10 févr. 2021

PEINTURES DEMONIAQUES (Jeffrey Forks 2)

 


Il s’est déjà passé 3 mois depuis ma première confrontation face aux Spectres Noirs, et j’en ai encore gardé une expérience traumatisante. Bien plus que je ne l’aurais souhaité. Mais elle aura eu l’avantage de me faire connaître leurs limites pour s’imposer dans notre monde, même si je reconnais que sans la bague d’Odin, je ne serais plus là pour en parler. A l’heure qu’il est, sans cet artefact salvateur, mon âme aurait rejoint les limbes, plongée à jamais dans les ténèbres d’une dimension inconnue, pendant que l’un d’eux occuperait mon corps et s’en servirait pour explorer les archives de mon oncle, afin de découvrir des indices sur les autres objets parsemant le monde, et capables de leur ouvrir les portes de notre dimension, à eux et leurs créatures infernales dont ils sont les marionnettistes.

 

Passé ce constat, j’ai parcouru plusieurs états dans l’espoir de recueillir des indices s’ajoutant aux notes de feu mon tuteur disparu. Une sorte de périple, une quête à la recherche de personnes ayant connu l’objet des recherches de celui qui m’a protégé d’eux de son vivant. Aidé en cela par des livres forts anciens dont l’existence n’est relatée dans aucune liste, aucune archive, aucun fichier informatique. Des documents uniques, transmis uniquement par voie manuelle, de générations en générations. Et quand celle-ci était rompue, faute de descendants, ils atterrissaient dans les mains de personnes à même d’accomplir cette mission particulière. Celle d’empêcher ces êtres, ces figures du mal de pénétrer notre dimension, pour en faire une succursale d’un enfer bien pire que tout ce qui a pu être lu dans les récits ecclésiastiques à travers l’histoire de l’humanité. C’est ainsi qu’ils sont arrivés au sein du manoir de mon oncle, avec leurs secrets, leurs formules, leurs invocations permettant de mettre fin à l’activation des artefacts. J’ignore encore à l’heure actuelle qui sont les créateurs de ces objets maléfiques, ces portes vers le ShadowEarth où vivent ces ombres du malheur et de la destruction, les Spectres Noirs.

 

J’espère trouver des réponses à mes nombreuses questions en parcourant l’immense salle des archives de l’oncle Ludwig, située sous le manoir, au cœur même des fondations. Ces mêmes fondations qui ont été érigées sur une ligne tellurique, sur le réseau Hartman, la même où se situe les Pyramides de Gizeh, ce qui n’est certainement pas un hasard. Je savais par mes parents que l’excentricité supposée de l’oncle Ludwig l’avait poussé à être tyrannique sur les bâtisseurs qui ont été chargées de creuser les fondations du manoir, selon ses plans, et il était capable de piquer des colères noires s’il constatait un écart sur le placement des piliers constituant les bases de soutien de sa future demeure, et n’hésitait pas à tout faire recommencer pour que tout soit conforme, au centimètre près, à ses calculs. Il a fallu 4 ans de travaux, et près de 6 équipes différentes de sociétés de construction pour finalement arriver au lieu que je connais. L’oncle Ludwig n’hésitant pas à licencier purement et simplement ceux qu’ils jugeaient incompétent pour finaliser la tâche monumentale qu’est le manoir.

 

On pourrait croire que cette exactitude dans les placements était l’œuvre d’une personne dérangée. En tout cas, c’est ce que croyait toute la famille, et c’est la raison qui a poussée celle-ci à prendre ses distances avec lui. Pour tous les membres de la famille, Ludwig n’avait clairement plus toute sa tête depuis sa rencontre avec une étrange femme lors de l’enterrement de son épouse. Là encore, en parcourant les notes, quelque chose d’étrange apparaissait quant à cette mort prématurée. Martha, l’épouse de l’oncle Ludwig était décédée dans des circonstances plus que curieuses. Officiellement, elle avait succombé à une tumeur au cerveau, mais en relisant certains documents présents au sein de cette salle des archives, cette tumeur était dû à de fortes émanations radioactives. Et elle s’était déclenchée à la suite de fouilles tout près du site de Gizeh, en Egypte, Martha travaillant pour l’AIA, l’institut Archéologique d’Amérique. A la lumière de tout ça, il subsistait de nombreuses zones d’ombres, sur ce qui avait amenée sa tumeur à se déclencher, l’objet de ses recherches, et le fait que cette étrange femme ait rencontré l’oncle Ludwig, semblant savoir plus de choses qu’elle ne voulait en dire. De cette rencontre est née une collaboration mystérieuse, amenant l’oncle Ludwig à faire construire ce manoir.

 

 Je n’ai pas encore tout découvert sur l’identité de cette femme qui semble être à l’origine de tout. Si ce n’est, selon les nombreuses notes de mon oncle, qu’elle disait appartenir à une organisation existant depuis des centaines d’années, en marge des gouvernements successifs qui ont bâti l’histoire américaine, dont les bases semblent remonter à l’investiture d’Abraham Lincoln. Une véritable énigme qui dépasse largement mes connaissances actuelles. Pour l’instant, j’ai plus de questions que de réponses. Le nom de cette organisation d’abord, son créateur, les raisons de son existence, l’identité de cette mystérieuse femme, la maladie de Martha, la construction du Manoir et toutes ses extensions. Car oui, j’ai découvert des choses surprenantes sur cette demeure que je pensais tant connaitre. Moi qui pensais que la salle des artefacts était l’endroit le plus bizarre du manoir, ce n’était en fait que l’arbre qui cache la forêt. Je ne peux pas vous détailler plus avant les différentes pièces se cachant sous le château, toutes aussi surprenantes que les autres, au nombre de 9. Ça aussi, ça n’est sûrement pas dû au hasard. J’ai retrouvé ce chiffre très souvent sur divers documents au fur et à mesure de mes lectures. J’en viens même à penser que cela à un rapport avec cette mystérieuse organisation. Mais je me perds dans mes pensées, et je m’éloigne de la raison pour laquelle je voulais vous informer de ce qui m’est arrivé suite à ma première confrontation avec les Spectres Noirs. Eux aussi d’ailleurs ont un rôle à jouer dans tous ces mystères que je commence à mettre au jour, mais chaque chose en son temps. Pour l’heure, je me dois de vous évoquer les évènements qui ont suivis.

 

J’en étais resté à ces personnes m’ayant fourni certains de ces documents m’ayant permis de combler quelques « trous » dans l’histoire de mon oncle, sur les Spectres, le ShadowEarth et le reste. C’est ainsi que j’ai appris qu’il y a différentes sortes d’artefacts, selon une sorte de classement établi par l’oncle Ludwig. Mais était-ce bien lui qui en est le véritable auteur ? Qu’importe après tout. Toujours est-il qu’il existe donc 3 catégories : les LowFacts, les MiddleFacts et les HighFacts. Les LowFacts sont les plus faciles à gérer, ce sont des objets ne permettant l’accès à notre monde qu’à des créatures inférieures du ShadowEarth. De simples équivalents aux petits démons qui remplissent les pages des manuels ésotériques qu’on peut dégotter un peu partout dans des boutiques spécialisées.

Des créatures faibles facilement renvoyables dans leur dimension, avec des armes humaines, moyennant quelques aménagements au préalable. Un simple pistolet peut faire l’affaire. Mais il faut que les balles aient été forgées à partir d’un mélange d’étain, d’argent, de cuivre et de plomb, recouvertes d’un onguent particulier, dont j’ai trouvé la recette au sein des archives. Parfois, d'autres méthodes plus simples suffisent. Il y a ensuite les MiddleFacts, plus compliqués à renvoyer dans le ShadowEarth. Elles ouvrent notre monde à des créatures appartenant à un bestiaire que je pensais appartenir à diverses légendes et mythes, tels Minotaures, Harpies ou Gorgones d’une part ; et des créatures plus complexes à décrire, car n’ayant pas vraiment de forme propre, plus proches d’entités fantomatiques ou parfois électriques : une sorte d’énergie vivante mais pouvant agir physiquement. Si la catégorie des créatures mythologiques possède certaines faiblesses indéniables, grâce à l’utilisation d’armes cette fois plus spécifique ou par la récitation d’invocations propres à les renvoyer d’où elles viennent, les entités sont clairement plus difficiles à se débarrasser. Car si elles peuvent agir physiquement sur les humains, il n’en pas de même pour nous pour les atteindre, et seules l’utilisation de pierres de pouvoir associés à certaines facultés inhérentes à son détenteur peuvent en venir à bout.

 

J’arrive à un détail très important me concernant. Je vous ai dit, lors de ma précédente expérience, que quelque chose semblait attirer les Spectres vers moi. En fait, j’ai découvert, toujours grâce aux notes de mon oncle, que cette attirance était de la crainte. Notre famille est constituée de personnes ayant des facultés cachées, qui ne se déclenchent qu’à partir d’un certain âge, et suivant certaines conditions. Comme une altercation avec une force surnaturelle… ou l’entrée dans un lieu où l’énergie tellurique est très puissante… Comme le manoir. Cette faculté n’apparait que toutes les 9 générations, et de manière aléatoire. Et seules quelques personnes formées à les reconnaitre peuvent ressentir l’aura émanant de ce pouvoir ne demandant qu’à sortir. Mon oncle était de ces personnes capables de ressentir cette force. C’est la raison pour laquelle, malgré ses réticences à me recueillir au sein de sa demeure au départ, il a finalement senti ce qui était en moi. Et qu’il m’a fait part de certains secrets, le concernant lui et la menace dans les murs du manoir. C’est d’ailleurs ma présence qui a réduit la frontière entre le ShadowEarth et notre dimension, par le biais de lignes tellurique situées sous le manoir.

Une force que mon oncle m’a appris à cultiver, de manière indirecte, afin de juger de sa puissance. Il n’a pas eu le temps de tout m’apprendre sur la manière de m’en servir. C’est mon expérience face aux Spectres Noirs qui m’a donné des pistes. Par le fait d’avoir pu utiliser la bague d’Odin. Même si je ne peux pas l’utiliser sur une longue période, je suis l’un des rares à pouvoir la porter sans être immédiatement réduit en cendres en quelques secondes. Depuis ce jour, j’ai appris, à force d’apprentissage, à maîtriser le pouvoir de la bague sur une période plus longue. Et c’est cette même force qui peut me permettre de vaincre les entités sortant des MiddleFacts.

 

La dernière catégorie, les HighFacts, est propre aux Spectres Noirs. C’est celle qui permet de les faire entrer, eux et uniquement eux, dans notre monde. Il n’en existe que 6 à travers le monde. La boite à musique qui m’a donné tant de sueurs froides fait partie des ces 6 HighFacts. Aujourd’hui, elle est enfermée dans un endroit plus sûr, dans les sous-sols du manoir, dans une pièce que j’ai fait aménager dans ce but, dont l’entrée est fermée par une porte blindée dont je suis le seul à connaître la combinaison, en fait une formule, selon un cadran d’ouverture bien particulier. Face aux Spectres, seule l’utilisation combinée de mes facultés et de la bague d’Odin peut parvenir à les repousser.

 

Heureusement, tous ces artefacts disséminés à travers le monde ne peuvent être activés par leurs propriétaires, qui, pour la plupart, ignorent leurs pouvoir, que sous certaines conditions. Mais il n’en reste pas moins que je dois toutes les retrouver et les ramener au manoir, afin d’empêcher toute forme d’invasion de la part du ShadowEarth. A ce jour, au manoir, il y a 34 LowFacts, 16 MiddleFacts et 1 HighFact qui sont enfermés dans la pièce spéciale dont je vous ai parlé précédemment. 51 artefacts donc au total. Sur 100 existants de par le monde. Autant vous dire que ma tâche va être ardue. Maintenant que vous savez les points principaux concernant le ShadowEarth, les Spectres Noirs, leurs créatures, les artefacts et les quelques secrets que j’ai mis à jour concernant le manoir et le passé de mon oncle, il est temps que je vous relate ce que j’ai vécu il y a seulement quelques jours. Une expérience éprouvante, mais qui m’a permis de tester et de perfectionner mes compétences et le contrôle de mes facultés face aux créatures du ShadowEarth.

 

Comme je vous l’ai indiqué, j’ai repris à mon compte le réseau d’indicateurs mis en place par mon oncle, les contactant chacun à leur tour, précisant que je reprenais le flambeau de ce dernier. Même si certains ont paru réticent dans un premier temps, le fait que je leur parle de mon expérience avec les Spectres Noirs, la découverte de mes facultés, et surtout le fait de pouvoir utiliser la bague d’Odin, les a finalement tous convaincus. Et c’est donc l’un d’eux qui m’a fait part de faits étranges se déroulant à Newport, sur des individus s’adonnant à des actes inhabituels de leur part : conduite dangereuse, violences aggravées, insultes publiques, et même des agressions physiques à l’arme blanche. Le fait troublant lui faisant penser qu’il s’agissait d’un artefact lié au ShadowEarth, c’était que toutes ces personnes étaient des amateurs d’art reconnus, passionnés de peintures. Et surtout que leurs changements de personnalités est survenue juste après avoir acquis un tableau d’un peintre très en vogue actuellement. L’autre truc étonnant, c’était que ledit peintre était totalement inconnu il y avait encore 1 mois de cela. Il ignorait à quel niveau, et la nature de l’objet à la base de ces troubles, étant donné qu’il n’existe aucune liste recensant la forme des objets liés au ShadowEarth, mais la coïncidence était troublante, et le peintre avait sûrement un rapport avec les évènements actuels.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’était que la qualité d’enquêteur des indics de mon oncle serait capable de faire rougir n’importe quel inspecteur de police chevronné. Je me rendais donc à Newport pour en savoir plus sur ce fameux peintre, un certain Ramon Todello. En fouillant sur Internet, j’appris qu’il n’était dans cette ville que depuis 2 mois. Ce qui rendait son succès fulgurant encore plus étonnant, d’autant plus que ses toiles n’avaient rien de fabuleux. J’appris qu’il avait fait une exposition le mois dernier dans une des galeries d’art de la ville. Encore un fait qui ne devait rien au hasard. En reprenant le détail des faits fournis par mon indic, le début du changement des amateurs d’art avait commencé juste après cette exposition. Je devais commencer par-là, et en savoir un peu plus sur le dénommé Ramon Todello. J’avais bien son adresse, mais je ne pouvais pas débarquer chez lui sans un motif valable, et surtout connaître un peu mieux ses habitudes.

 

Une fois à la galerie d’art, je fis mine de m’intéresser aux œuvres exposées. Au bout d’un quart d’heure, un homme en complet veston s’approcha de moi, me demandant si j’étais intéressé par un tableau en particulier. L’appât avait fonctionné. Restait plus qu’à ferrer le poisson. J’expliquais que je recherchais s’il y avait un tableau de Todello encore exposé dans la galerie, qu’un ami m’avait recommandé. Le vendeur m’apprit ainsi que les 6 toiles qui étaient présentes avaient toutes été vendues le même jour. Il avait rarement vu un tel engouement pour un artiste totalement inconnu. Mais il y avait autre chose qui l’avait troublé. Sur les toiles en elle-même. Il ne savait pas comment l’expliquer, mais il se dégageait quelque chose d’étrange de ces toiles. Comme une sensation hypnotique quand on les regardait. Lui-même se sentait mal à l’aise à chaque fois qu’il avait été en leur présence. Et il avait remarqué que les personnes passant devant s’arrêtait brusquement, comme subjuguées par le tableau. Il était dans l’art depuis longtemps, et il avait déjà vu des toiles emporter l’adhésion par leur style particulier, leurs couleurs, la manière dont elles étaient peintes… En gros, une « patte » du peintre qui le faisait se démarquer des autres. Dans le cas de Ramon, il n’avait pas remarqué ce « petit plus » qui faisait qu’une toile obtenait un intérêt de par sa constitution. C’était des paysages banals, et peints sans génie, sans traits propres à se faire remarquer. Et pourtant, on se sentait comme « attiré » par elles, comme une sorte d’appel mystique, il ne saurait pas trop dire. Mais le fait est que les clients de la galerie, habituellement très exigeant quant à la qualité des peintures, étaient en extase sur ces toiles en particulier. De manière vraiment très étrange. Il avait même dû séparer 2 clients habituels qui en étaient presque arrivé aux mains pour pouvoir acheter une des toiles. C’est quelque chose qui avait été vraiment perturbant. L’histoire s’est tassée, l’un des 2 hommes ayant finalement jeté son dévolu sur une autre toile. Une toile de Todello elle aussi.

 

Je remerciais le vendeur pour ces petits détails, et lui faisait croire que 2 toiles exposées au mur de la galerie me plaisaient, mais que je ne parvenais pas à me décider. Et que je reviendrais demain pour faire mon choix, que j’allais réfléchir à tête reposée. Le vendeur me laissa donc repartir, en me disant qu’il attendait mon retour avec une certaine impatience. Le pauvre… Il risquait d’attendre longtemps. Bon, avec tout ça, une certitude s’imposait : c’était bien les toiles le nœud du problème. Mais j’ignorais encore à quel niveau. Maintenant, je devais observer discrètement Todello, surveiller ses allées et venues, et surprendre une de ses ventes. L’homme de la galerie m’ayant également indiqué que, suite à son récent succès, il ne vendait plus ses toiles qu’aux acheteurs venant directement à son atelier. Au bout de 2 journées, ma patience fut récompensée. Un homme d’une quarantaine d’années, habillé plutôt chic, semblait se diriger vers l’atelier de Todello, que je n’avais pas encore vu, celui-ci ne semblant pas sortir de chez lui. Comment il faisait pour attirer ses clients alors ? Le bouche à oreille sans doute des précédents acquéreurs de ses toiles.

 

Quoi qu’il en soit, je le suivais discrètement, alors qu’il montait l’escalier menant à l’atelier du peintre, espérant découvrir quelle était la nature exacte de l’objet maléfique. Arrivé en haut de l’escalier, je restais en retrait, juste assez pour voir l’homme suivre un petit couloir, puis passer l’encadrure d’une porte. Enfin, à dire la vérité, il y avait bien l’encadrure, mais pas de porte à proprement parler. Ce qui m’arrangeait. Ainsi, cela me serait plus facile pour observer ce qui se passait à l’intérieur. Une fois l’homme entré, je m’engageais à mon tour dans le couloir, et me postais près de l’encadrure, m’avançant légèrement, suffisamment pour pouvoir voir la scène se déroulant entre les murs. Je voyais ainsi le fameux peintre, qui n’avait franchement rien de classieux. C’était même tout le contraire. En comparaison, un SDF aurait une meilleure allure. Entre le jean rapiécé, les cheveux hirsutes, et le tee-shirt rempli de peinture séchée depuis visiblement un bon moment, indiquant clairement qu’il n’avait pas été lavé depuis un sacré bout de temps, on ne pouvait pas dire qu’il était l’archétype du mec dangereux. Mais ce qui m’interloqua, c’était la réaction du « client ». Complètement figé devant le tableau que le peintre lui présenta. Je n’étais pas un expert de la peinture, mais comme l’avait dit le vendeur de la galerie, je ne voyais rien de fabuleux dans ce tableau, qui représentait une simple maison au bord d’un étang.

 

Mais franchement, en comparaison de ce qu’on voit en peintures sur le net, de peintres contemporains j’entends, ce que je voyais semblait avoir été dessiné par un enfant, tellement c’était mauvais. En revanche, la suite était plus inquiétante. Au bout d’un instant, l’acheteur se retourna dans ma direction, les yeux complètement dans le vide, baragouinant je ne sais quels mots en continu, comme s’il récitait un texte qu’on venait de lui apprendre. Au fur et à mesure qu’il s’avançait vers l’entrée de l’atelier, j’entendais plus distinctement ses paroles, où il énonçait clairement le mot « tuer » à plusieurs reprises. C’est à ce moment que je décidais d’entrer, essayant de secouer l’homme pour le sortir de sa transe hypnotique. En m’apercevant, le peintre devint comme furieux, et tenta de me séparer de l’homme, qui, dans la lutte, finit par tomber à terre. Je m’empoignais avec le peintre, qui avait un regard de fou, les yeux en sang, montrant les dents comme donnant l’impression de mordre. Le genre de personnes qu’on voit régulièrement dans les films mettant en scène des possédés. L’empoignade fit place à une série de coups de poing en pagaille de la part de moi et de lui, tel une bagarre de rue. Le client, lui, restait à terre, complètement dans les vapes, ne semblant pas savoir où il se trouvait. Au cours de mon affrontement physique avec le peintre, je me rapprochais de la toile, espérant découvrir ce que la peinture du malade mental qui m’agrippait avait de si particulier pour transformer ceux qui la regardait en simili-zombies obéissant à un ordre bien donné. Dans le feu de l’action, presque sans réfléchir, et surtout n’ayant pas d’arme sous la main, et aussi ne voulant pas blesser trop grièvement le peintre, sans savoir son degré de possession, j’attrapais un outil qui servait à la peinture au couteau, histoire de me défendre.

 

En faisant ça, je fis tomber tout ce qui était à côté : palette, pots de peinture, et un pinceau d’un noir très profond, du manche aux poils, d’où semblait émerger une sorte d’aura qui me mettait mal à l’aise. En voyant le pinceau tomber, le peintre redoubla de folie, hurlant comme pas possible, et se jetant quasiment sur moi, tel un animal enragé. Comprenant qu’il cherchait à récupérer le pinceau, je le pris de vitesse et m’emparais de ce dernier, tout en évitant l’assaut du fou furieux, qui tomba quelques mètres plus loin, la tête la première dans un fourbis constitué d’habits, de toiles vierges et autres accessoires de peinture. Il se releva, hurlant de lui rendre le pinceau. Il était évident que j’avais trouvé quel était l’objet maléfique que je cherchais. Mais pour l’heure, ce qui m’importait surtout, c’était le dégénéré en face de moi, qui s’était remis debout, et qui se préparait à se jeter sur moi à nouveau. Je remarquais sur le bord de la fenêtre tout près, une grosse bougie, disséminant sa lumière. Me dirigeant vers elle, je plongeais le pinceau dans sa flamme. Celui-ci s’embrasa presque immédiatement, comme si il n’était qu’un vulgaire morceau de papier. Au même moment, le peintre redoubla ses hurlements, en proie à une douleur intense, se tenant les deux côtés du crâne, avant de tomber à genoux, puis de s’étaler de tout son long sur le sol, inerte. Le pinceau continuait de se consumer. Je le lâchais au sol, le voyant se réduire à un tas de cendre. Si c’était bien lui l’artefact, ce ne devait être qu’un simple LowFact, les plus fragile de la catégorie. Mais alors que je pensais que tout était fini, j’écarquillais les yeux en voyant ce qui sortait du tableau.

 

Toutes les couleurs semblaient s’être rassemblées pour former un amalgame improbable, et cherchant à sortir de la toile, comme un esprit ayant été enfermé et voulant retrouver la liberté. C’est là que je compris ce qui en était. Le pinceau était bien l’artefact, le portail, mais il avait permis l’entrée dans notre monde d’un démon inférieur issu du ShadowEarth, qui avait dû se fondre aux couleurs utilisées par le peintre et s’intégrer à la texture même de la toile où elles avaient été posées. Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Les couleurs continuèrent de fusionner entre elles, formant une silhouette informe, sortant de la toile, posant ce qui s’apparentait à un pied sur le sol. Puis, je me rappelais du pinceau qui avait brûlé au contact de la flamme de la bougie. Il devait en être de même pour le démon en lui-même. Mais je devais agir avant qu’il sorte intégralement de la toile. Une fois sorti, il me serait plus difficile de m’en débarrasser, et je serais sans doute obligé d’avoir recours à une invocation ou un sortilège pour le détruire. Une opération longue et fastidieuse, que je préférais réserver pour des créatures plus imposantes comme celles issues des MiddleFacts.

 

 

J’attrapais la bougie, et la lançais sur la toile et la semi-silhouette qui était presque sortie, mais toujours reliée à la toile. En prenant feu, la toile répandit les flammes jusqu’à cette forme indéfinie, qui semblait fondre et hurler de douleur, en poussant des cris indéfinissables et stridents. Je crus que mes tympans allaient exploser sur le coup. Il fallut plusieurs minutes avant que le démon et la toile elle-même furent entièrement anéantis par le feu, ne laissant qu’une forme noircie sur le parquet de l’atelier. Encore un peu abasourdi par tout ça, je revenais vers le peintre, pour voir si je pouvais encore faire quelque chose. Mais c’était peine perdue. Celui-ci était bel et bien mort. En revanche, le client, lui, semblait émerger peu à peu de sa transe, se demandant ce qu’il faisait là. Et en me voyant moi, puis le corps du peintre, il se releva en trombe, avant de s’enfuir sans demander son reste. Après tout, c’était mieux comme ça. Je me voyais mal lui expliquer qu’il était sous le contrôle d’un démon d’une autre dimension enfermé dans une toile de peintre.

 

Néanmoins, j’avais plutôt intérêt à partir d’ici avant que cet abruti appelle la police qui serait encore moins prompte à me croire quand aux évènements qui venaient d’arriver. Je sortais donc vivement de l’atelier, non sans jeter un dernier regard à ce pauvre type qui avait eu le malheur d’avoir en sa possession un objet aussi dangereux que ce pinceau maléfique. Quelque chose me chiffonnait cependant. Si le démon principal était enfermé dans cette toile, qu’en était-il des 6 toiles d’origine vendues par la galerie. Elles devaient elles aussi comporter des démons. Je me devais de vérifier. Dans les jours qui suivirent, aidé par mon indic avec qui je pris contact, je mis la main sur les autres toiles, grâce au carnet de commandes du peintre, où figuraient leurs adresses. Fort heureusement, ils étaient tous des hommes soit seuls, soit avec des épouses en voyage ou dans la famille, ce qui facilita la destruction des toiles, qui, privées du démon principal, étaient restés enfermés à l’intérieur des tableaux, en nous introduisant dans les propriétés, sans être inquiétés, tout en agissant de manière discrète.

 

Cette fois-là, je n’ai pas ramené l’artefact au manoir, mais comme il a été détruit, le résultat est tout aussi bien. Après avoir donné congé à mon indic, je repartais donc vers ma demeure, ce manoir aux mille secrets, dont il me tardait de découvrir les solutions aux innombrables énigmes laissés par mon oncle, l’organisation mystérieuse en tête. Sans parler du chiffre 9, la femme, le lien avec Gizeh et tout le reste. Un véritable puzzle dont je ne détenais pas encore toutes les pièces. Mais bientôt, une première pièce allait m’apporter un début de réponse sous la forme d’un appel téléphonique. Au bout du fil, une voix féminine qui disait bien connaître feu mon oncle Ludwig, et qu’elle était prête à partager certaines infos avec moi, mais à certaines conditions. J’acceptais, trop heureux d’avoir enfin des réponses. Elle devait venir au manoir dans 6 jours, le temps pour elle de régler quelques détails. Il me tardait de pouvoir enfin rassembler les morceaux manquants. J’avais hâte. Et ce qu’elle allait me révéler allait complètement bouleverser ma vision de ce que je pensais déjà savoir. Sur ma famille, mon oncle… et l’accident qui avait coûté la vie à mes parents.

 

… à suivre dans le prochain épisode : « Le Secret de Gizeh »

 

Publié par Fabs

4 févr. 2021

LA CREATURE QUE J'AIMAIS

 


J’écris aujourd’hui mon histoire pour être sûr de ne pas oublier. De ne pas l’oublier. Car le chemin que je m’apprête à prendre risque de me faire plonger dans un enfer bien plus grand que celui que je viens de quitter à regret. Pas à cause des évènements auxquels j’ai assisté. Ni les meurtres. En y réfléchissant, carnage serait un mot plus juste. Non, ça, j’aurais préféré qu’ils s’enfuient de mes souvenirs le plus possible, qu’ils s’enfoncent dans les tréfonds de ma mémoire dans une abysse sans espoir de remonter à la surface. Mais j’ai beau tenter de les refouler, les images sont toujours là, bien tenaces, s’accrochant à mon être et mes souvenirs comme un clou piégé dans un mur d’une bâtisse cerné par les fougères de toute part. Mais c’est un moindre mal. Car derrière ces images de mort et de souffrance, je la revois. Pas seulement son apparence monstrueuse, celle-là même qui a été la cause de mon désespoir. Non. Je revoyais aussi celle qu’elle a toujours été. Celle que j’aimais. Au plus profond de mon être. Ce même amour qui m’a fait basculer dans l’indifférence de l’autre. Tous ces pauvres gens ayant subi sa puissance. Sa force issue de je ne sais quelle entité surnaturelle ayant pris possession de son corps, de son esprit. Cette même entité dont je recherche la trace aujourd’hui, afin que plus jamais quelqu’un d’autre ne revive ce que j’ai vécu. Ce qu’elle a vécu surtout. Et dire qu’on disait que c’était une légende. Une affabulation de l’histoire française, créée de toute pièces par des paysans à l’esprit faible et corvéable aux croyances les plus improbables. Mais ce que j’ai vu, ce dont mes yeux ont été les témoins est loin d’être une fable pour esprits crédules, croyez-moi. Et c’est justement parce que son existence doit être mise au jour que je rédige aujourd’hui ce journal. Peut-être que je fais tout ça pour rien. Pour qu’il est une raison d’être, encore faut-il que ce journal puisse être trouvé un jour. Et que la personne qui la trouvera ne pensera pas à son tour qu’il s’agit d’hallucinations dues à l’alcool ou au mal des montagnes, à cause de la faible teneur en oxygène, dont il est parfois difficile de s’habituer. 

 

Mais qu’importe ce que pensera celui ou celle qui trouvera ce récit. Le plus important est qu’il soit trouvé. Qu’il soit lu par quelqu’un qui y donnera un crédit, et qui rejoindra le clan des croyants concernant la réalité de ce véritable virus venu du fond des âges. Mais celui-ci n’a rien d’invisible. Bien au contraire. Mais il n’en est pas moins aussi dangereux. Non. Il est bien plus dangereux en fait, car j’ignore s’il existe un moyen de le détruire. J’ignore si je pourrais à nouveau tuer une telle force une fois présente devant moi. Car je sais qu’en la voyant, je reverrais le visage de Myriam. Le si doux visage de ma Myriam. Bien avant qu’elle se retrouve sous l’emprise de ce mal insidieux qui s’est emparé de son corps si parfait, de sa gentillesse si adorable, son sourire n’ayant aucun égal en ce monde et de sa personnalité qui me faisait fondre à chaque instant des jours passants. Mais je m’égare. Vous vous dites sans doute que je suis un peu fou. En un sens, je ne peux pas vous donner tort. Depuis tout à l’heure, je vous parle de possession, d’entité, de monstre millénaire. Mais à dire la vérité, j’aurai aimé que cela soit aussi simple. Qu’il s’agissait d’un monstre ayant pris le visage de ma tendre épouse. Peut-être aurais-je eu moins de difficulté à tirer sur la détente pour l’effacer de la surface de la Terre. Cependant, dans ses derniers instants, je savais que Myriam était toujours là. Ses larmes coulant sur ce qui avait remplacé son visage avait été plus qu’éloquent. Et je n’aurais jamais été capable de faire le geste fatal me privant de sa présence, si elle ne m’avait pas elle-même incité et même supplié de le faire.

 

Toutefois, avec le recul, je me dis que c’était la seule chose à faire au moment des faits. Sinon, qui sait quelles horreurs elle aurait encore pu commettre ? Ah, ça suffit : je me fais du mal plus qu’il n’en faut. Et j’oublie l’essentiel. Je dois vous raconter tout ce qui s’est passé. Depuis le début. Il est primordial que vous connaissiez les moindres détails de ce cauchemar, avant que je devienne véritablement fou. Je ne peux pas me permettre de sombrer dans la folie.  Pas avant que je n’aie éradiqué le mal qui a corrompu l’âme de la personne que j’aimais le plus au monde. Alors, installez-vous bien, car ce que j’ai à vous dire risque de vus choquer, de vous révulser, de vous montrer ce qu’est la bestialité dans toute sa splendeur, son essence. Enfoncez-vous bien profondément dans votre chaise, votre fauteuil ou votre canapé. Et prenez soin de prévoir une bouteille d’alcool fort à vos côtés. Une fois que je vous aurais tout dit, je vous assure que vous aurez besoin d’une bonne rasade pour vous remettre. Peut-être même deux. A vous de voir…

 

Mon épouse et moi sommes arrivés dans les Cévennes françaises il y a de ça un peu plus de 8 mois. C’était un moyen pour nous deux d’oublier le drame dont nous avions été les victimes quelques mois plus tôt. Le genre de drame qui peut briser un mental aussi violemment qu’une tempête peut renverser un bateau en quelques instants. Une tragédie qui à valu à ma chère Myriam de subir une thérapie pour se remettre du choc psychologique subi. Elle était enceinte de 5 mois, et suite à une chute dans l’escalier de notre demeure, alors que j’étais occupé à tondre la pelouse, elle a fait une fausse couche, et a perdu notre bébé. Je m’en suis longtemps voulu à ce sujet, car j’avais entrepris de faire ce « nettoyage » de notre jardin profitant d’une sieste de Myriam. En temps normal, j’ai toujours été à ses côtés tout le long de sa grossesse, dès lors que l’on savait qu’un troisième membre allait rejoindre notre couple. J’ai pris un congé sabbatique pour pouvoir suivre chaque étape de celle-ci, et pouvoir être aux petits soins pour la future maman et mère de notre petit bonheur en devenir. Cependant, Myriam avait été réveillée par le son de la tondeuse, pourtant très faible. Ça avait même été le principal critère de sélection de cette machine, justement pour éviter un stress inutile à Myriam pour ce type de moments de repos. Mais visiblement, elle n’avait pas un son suffisamment faible pour empêcher son réveil.

 

De ce qu’elle m’avait dit par la suite, elle avait essayé de m’appeler par la fenêtre qu’elle venait d’ouvrir, afin que je vienne l’aider à descendre l’escalier et qu’elle aussi profite du radieux soleil de la journée et du jardin. Mais je ne l’avais pas entendue. A cause du casque sur mes oreilles. Abruti que j’avais été. Sans ce casque, j’aurais pu éviter tout ce qui a suivi. Sans réponse de ma part, Myriam a décidé de tenter seule la descente, de manière prudente, une marche après l’autre. Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé de vous demander comment quelque chose qui peut paraitre insignifiant de prime abord peut être la cause de catastrophe en tous genres. C’est ce qui est arrivé à ce moment. Sous la forme d’une simple petite flaque d’huile de moteur. La faute à une erreur de ma part. Avant de descendre vers le jardin, je suis allé dans le placard de l’étage, là où je range mes outils de jardinage, afin de prendre un bidon d’huile. La tondeuse n’ayant pas fonctionné depuis des mois, et ne sachant plus si le réservoir du fameux liquide était à niveau, j’ai préféré jouer la précaution. J’ai vérifié si le bidon comportait assez d’huile pour un éventuel plein, et j’ai mal refermé le bouchon. En descendant les escaliers, quelques gouttes ont glissé le long du bidon jusqu’à tomber sur les marches à mon insu. 

 

Et c’est sur une de ces flaques formées par ces échappées d’huile que Myriam a glissée. Elle a tenté de se rattraper en agrippant la rambarde de l’escalier, mais sans succès. Elle a dévalé le grand escalier en bois jusqu’en bas, la laissant sans connaissance de longues minutes. Quand je suis rentré à l’intérieur de la maison, et que je l’ai vu étalée au sol, inerte, j’ai cru que mon cœur allait exploser, tellement j’étais en proie à la panique. J’ai tenté de la secouer, mais rien n’y faisait. Pourtant, elle respirait. J’avais mis mon oreille contre sa poitrine pour vérifier que le pire n’était pas arrivé. L’équipe de secours que j’avais prévenue ne parvint pas non plus à la ranimer tout de suite. Ce n’est qu’une fois à l’intérieur de leur véhicule que Myriam ouvrit enfin les yeux, un peu dans les vaps, se demandant ce qui était arrivé. Je la rassurais tout le long du parcours pour rejoindre l’hôpital le plus proche. Ceux-ci avaient été prévenus, et nous attendaient. C’est là que commença la plus longue des attentes, à me demander si Myriam allait me revenir. Ainsi que notre enfant. Je savais qu’une telle chute pouvait avoir des conséquences désastreuses à ce sujet. Et, malheureusement, je ne me suis pas trompé, même si j’aurais mille fois préféré. Myriam fut sauvée par les médecins, mais pas le bébé.

 

Myriam n’a pas réagi immédiatement quand je l’ai mise au courant. Elle semblait être dans un autre monde à mon annonce. Conséquence d’un traumatisme psychologique que je n’imaginais pas aussi important à ce moment. Mais au fil des jours, celui-ci se révéla inquiétant, Myriam appelant son bébé régulièrement, ou me demandant où je l’avais caché. En souriant. Pensant que je lui faisais une blague pas drôle. Elle s’énervait parfois dans ces moments-là, et je ne savais pas quoi faire. Il lui fallut plus de 2 semaines avant de comprendre que notre enfant ne connaitrait jamais notre maison. Ni la chambre que nous avions pris tant de soin à décorer ensemble. Son état psychologique ne disparut pas pour autant. Au contraire. Il empira même. Je n’eus pas d’autre solution que de la faire suivre, puis interner dans un centre spécialisé, après qu’elle eut tenté de s’ouvrir le ventre pour vérifier si son bébé s’était caché à l’intérieur. Ses paroles devenaient incohérentes, sans aucune logique, ni le moindre rapport entre elles. Si je ne voulais pas qu’elle finisse aux côtés de notre enfant disparu, je n’avais pas d’autre choix.

 

La thérapie fut longue, très longue. Plusieurs mois furent nécessaires. Mais elle fut payante, et je retrouvais la Myriam que je connaissais. Enfin, pas tout à fait, vous vous en doutez bien. Un tel drame laisse des traces indélébiles dans l’esprit d’une mère. Le psychiatre qui l’avait suivie me conseilla de l’emmener dans un endroit au calme, très loin de toute forme d’urbanisation pouvant lui rappeler ce qui était arrivé. J’ai cherché sur Internet l’endroit idéal pour ça, et je suis tombé sur une annonce sur cette région où nous avons décidé de nous poser. Myriam avait approuvé mon choix avec plus d’enthousiasme que je ne pouvais l’espérer. Et c’est ainsi que nous avons débarqué, nous les petits anglais qui n’avaient jamais été plus loin que leur ville de naissance de toute leur vie dans cette magnifique région des Cévennes. J’avais vu qu’elle portait un autre nom autrefois, mais je ne m’en rappelle plus. Mais est-ce vraiment important ?

 

Non, ce qui est vraiment important, c’est ce qui s’est passé par la suite. Nous habitions un petit chalet éloigné de tout, en plein cœur d’un paysage de rêve, entouré de montagnes toutes aussi belles les unes que les autres. Et une forêt nous encerclant. Une forêt qui allait être le point de départ de notre cauchemar. Mais j’y reviendrai un peu plus tard. Nous avions des voisins situés à environ 800 ou 900 mètres de là où nous nous trouvions. Un couple d’éleveurs de vaches adorables. Ils nous fournissaient en lait et en fromage, et ils n’ont jamais voulu qu’on leur donne quoi que ce soit en échange. Et surtout pas de l’argent. Ça leur faisait plaisir de faire découvrir les produits français à des petits « anglois » tel que nous. Ils nous appelaient souvent comme ça. Au début, je trouvais ça un peu péjoratif, même si je ne leur en ai jamais fait part. Mais Myriam trouvait ce surnom tellement mignon que je m’y suis habitué. Ils avaient un fils de 12 ans, Pierre, qui se passionnait pour notre pays. Surtout le football dont il était un grand fan. Je discutais souvent avec lui pour lui raconter les exploits de notre équipe nationale. Il avait les yeux qui brillaient dans ces moments-là. Et Myriam semblait reprendre des couleurs et de la vie au contact de ces gens. Surtout Karine, la femme du couple. Elles étaient extrêmement complices toutes les deux. Quand à Yves, le mari, il était un peu plus réservé, restant souvent en retrait… Sauf quand il s’agissait de parler de la région. Là, on ne l’arrêtait plus. Et Karine était obligé d’intervenir pour nous éviter une leçon d’histoire en 12 volumes.

 

Oui, vraiment, ces gens étaient de vraies perles. Le symbole même de l’hospitalité. On nous avait beaucoup parlé du manque flagrant de cette valeur de la part des français, et je dois avouer que ça nous inquiétait quelque peu. Mais au final, c’est comme partout : il y a des exceptions. On n’avait jamais rencontré des gens aussi charmants et attentionnés qu’eux. Avec le temps, on les considérait presque un peu comme des membres de notre famille, tellement on se sentait en phase avec eux. Et puis, Yves a commencé à nous parler des légendes et mythes de la région. Il avait une façon de raconter unique. C’était impossible de ne pas être passionné par ses récits. Myriam en particulier adorait entendre ces histoires. Surtout une. Celle parlant d’une créature pouvant exaucer toutes sortes de vœux. A certaines conditions. Les yeux de Myriam brillaient quand Yves racontait cette histoire. Et c’était assez régulier. A la demande de Myriam qui adorait l’écouter. Je me doutais des raisons qui la faisaient se passionner pour elle. A la suite de son accident et de sa fausse couche, les médecins l’avaient prévenue qu’elle ne pourrait plus jamais avoir d’enfant. Pour pouvoir la sauver, et éviter qu’elle ne rejoigne notre enfant dans les limbes, ils n’avaient pas eu d’autre choix que pratiquer certaines incisions irréversibles, provoquant la stérilité.

 

Ça aussi, ça avait contribué à la chute psychologique qui suivit de sa part. Alors, vous pensez bien : une créature qui exauce des vœux et qui pourrait réparer les dommages qu’elle avait subie, c’était fabuleux pour Myriam. Yves avait beau lui dire que ce n’était qu’une légende parmi d’autres, et qu’il ne fallait pas lui donner crédit à ce point, Myriam n’en avait cure. Elle y croyait dur comme fer. Sans doute ses origines irlandaises qui donnaient foi à toutes ces histoires pour enfants. Yves lui avait dit aussi de ne pas aller seule dans la forêt. Qu’il y avait d’autres dangers bien plus grands que de simples fables. La région était riche en de nombreux prédateurs. Pas toujours très connus. A ces mots, je sentais qu’Yves ne nous disait pas tout sur ces prétendues légendes. Je voyais à ces yeux qu’il avait l’impression d’avoir fait une bêtise en parlant de cette histoire. Mais il ne pouvait pas savoir à quel point Myriam était déterminée à retrouver son statut de femme… et de mère. C’est ainsi qu’un jour, alors que je pensais qu’elle se rendait au domaine de Karine et Yves, elle se rendit en secret dans la forêt avoisinante. A la recherche de cette fameuse créature. A la recherche d’une solution au mal qui l’envahissait sans qu’elle n’en dise rien. Elle n’a jamais trouvé la créature qu’elle recherchait. Mais elle a bien trouvé quelque chose. Une autre créature. Mais celle-là, beaucoup moins attirante quant à sa nature. Myriam allait ressortir de la forêt avec quelque chose en plus en elle. Mais ce n’était pas une vie. En tout cas, pas une vie comme on l’entend généralement. Elle revint effectivement avec quelque chose à l’intérieur d’elle. Mais c’était une malédiction. Un virus monstrueux qui allait la faire devenir une abomination qu’on pourrait croire tout droit sorti d’une BD d’horreur. Et lui faire commettre des atrocités à peine concevables par tout être humain qui se respecte. A moins de croire dans le surnaturel.

 

A dire la vérité, je n’ai pas remarqué de changement notable au début, si ce n’est un appétit plus important que d’habitude pour la viande rouge, assez surprenant, vu que Myriam n’a jamais été une grande passionnée de viande. Bon, elle n’était pas vegan non plus, c’est pour ça que ça ne m’a pas alarmé sur le coup. En fait, j’étais même content de la voir plus enjouée encore que d’habitude, souriante et prévenante, voulant sans cesse m’aider dans les tâches ménagères du chalet, alors que je m’étais engagé pour m’en occuper exclusivement, voulant la voir s’occuper d’elle et de son état en priorité. Il y avait autre chose qui m’a surpris, c’était sa frénésie de sexe. Alors que depuis sa sortie du centre elle n’éprouvait plus vraiment d’intérêt ou plutôt de motivation pour nos séances de sport en chambre, elle a soudain eu un regain d’incitation à la débauche, et de manière très prononcée. Beaucoup plus qu’elle ne l’avait jamais été. Là encore, je ne m’inquiétais pas, car je pensais que c’était la « thérapie naturelle » qui portait ses fruits, et peut-être l’air vivifiant du coin, sans oublier nos adorables voisins habitants tout près. Des petits trucs qui montrait un changement opérant en elle, mais tellement insignifiants au départ et pas particulièrement troublants, que je n’y pas vraiment porté attention. Mais au bout de quelques jours, tout bascula.

 

Myriam devenait plus agressive de jour en jour, parfois pour des broutilles. Un œuf tombé au sol alors qu’elle venait de laver le sol suffisait à la mettre dans une colère noire. Une ration insuffisante de viande au déjeuner et au dîner, la poussait à sortir du chalet pour se « calmer les nerfs » comme elle disait. Et elle restait parfois des heures avant de revenir à l’intérieur. Et moi, je préférais ne pas dire quoi que ce soit, de peur de la froisser ou d’augmenter sa tension qui devenait visible de plus en plus. Mais je me demandais quand même ce qu’elle pouvait bien faire dehors dans ces moments. Alors, un soir, dès qu’elle fut sortie, je me mis à la suivre discrètement, plus poussé par la curiosité que par l’inquiétude. Elle se dirigeait vers la forêt, sûre de son avancée, comme si elle connaissait les moindres recoins de celle-ci. Elle marquait un temps d’arrêt parfois, comme si elle cherchait quelque chose. Mais elle ne cherchait pas. Elle sentait l’air, fermant les yeux pour mieux s’imprégner de l’objet de sa quête. Comme un animal allant à la chasse. Et c’était exactement ce qu’elle fit.

 

Au bout d’un moment, je la vis se mettre à 4 pattes tel un chien, humant le sol, les feuilles ou les arbres. Et d’un coup, elle me donna l’impression de s’être mis au garde à vous. Un lapin. Il y avait un pauvre lapin en face d’elle. Remuant son petit nez à sa vue, comme conscient d’un danger imminent. Avant de commencer à détaler. Peine perdue : Myriam se mit à courir dans sa direction. Je n’avais jamais vu ça. Elle courait comme un loup à l’assaut de sa proie, balayant les feuilles à son passage, marquant le sol de ses pieds nus, ayant laissé ses chaussures près de la porte du chalet, comme je l’avais constaté avant de la suivre. En quelques secondes, elle eu la pauvre bête entre ses mains. Et elle plongea ses dents dans la gorge de l’animal, arrachant sa chair, la mangeant goulument, la mâchant avec un net plaisir de délectation qui s’affichait sur son visage gorgé du sang du lapin, celui-ci ne devenant peu à peu qu’un simple squelette dénué de toute chair. Elle avalait même les poils, léchant les os, histoire d’être sûre de ne rien laisser. J’étais habitué à voir des films d’horreur, mais là, le spectacle qui était devant moi était à la limite du supportable. Et surtout, j’avais du mal à croire que c’était toujours ma Myriam qui se trouvait devant mes yeux ébahis.

 

Une fois l’intégralité des os nettoyés, Myriam se redressa, reprenant une posture humaine, et revenait vers notre chalet. Une fois à l’intérieur, elle ne s’aperçut même pas de mon absence, et se dirigea vers la salle de bains, avant de se doucher en profondeur, éliminant odeur, traces de terre et de sang de son corps débarrassé de ses vêtements qu’elle prit soin de jeter à la poubelle, comme un étrange rituel morbide. Voilà à quoi ressemblait ses soirées. Je la suivis d’autre nuits, et à chaque fois, elle agissait de la même manière. Seule ses proies changeaient. Cerfs, sangliers, blaireau, … rien ne semblait résister à sa dentition. J’avais l’impression de voir une possédée, et pas ma Myriam. Mais à ce moment-là, elle était encore humaine. C’était avant son évolution. Avant qu’elle passe de son statut de femme aimante à celui de bête sanguinaire. Avant qu’elle s’en prenne à notre famille d’adoption. Nos si gentils voisins, qui allaient devenir ses nouvelles proies, pour répondre à une faim de plus en plus insatiable, dont l’estomac réclamait des victimes plus conséquentes au fur et à mesure que la bête en elle prenait l’ascendant sur son esprit humain. D’ailleurs, était-elle toujours humaine ? Je n’en suis pas sûr. Ce qui est certain, c’est que ce que je vis quelques jours après, me glaça le sang jusque dans mes entrailles les plus profondes. Je n’oublierais jamais ce qui est arrivé ce soir-là. Le soir où tout a basculé. Le soir où Myriam a définitivement cessé d’être un être humain.

 

Ce fameux soir, Myriam, comme d’habitude a pretexté avoir besoin de sortir pour prendre l’air. Je lui demandais si, pour une fois, je pourrais l’accompagner, que ça serait sympa de faire une petite sortie au clair de lune. Mais sa réaction fut assez violente, me disant que l’intérêt de ces sorties, c’est d’être seule, pour se ressourcer. Mais il n’y avait pas que sa colère étrange qui me pétrifia. L’iris de ses yeux avait pris une forme allongée, comme celle des félins, et d’un jaune très prononcé. Aux accents noirs, se confondant ensemble, formant une couleur presque irréelle. Rajouté à ça un bruit de craquement d’os venant de son corps, comme si elle s’apprêtait à se transformer en je ne sais quoi dépassant l’entendement. J’ai très nettement vu ses ongles se soulever, semblant vouloir laisser la place à quelque chose de plus gros, et ses veines devenir plus apparentes. J’ai même cru qu’elles allaient exploser pendant un moment. Je lui dis alors que je comprenais, que je l’attendrai comme d’habitude. A ces mots, elle sembla se calmer, et redevint la Myriam que je connaissais.

 

J’attendis quelques minutes après qu’elle soit sortie pour me mettre sur ses traces, mais je ne voyais pas sa silhouette sur le chemin de la forêt. C’était curieux. Aurait-elle compris que je la suivais, et aurait-elle changé de proie ? Mais en ce cas, qu’est-ce qui pouvait bien plus l’intéresser en matière de viande ? Je n’eus pas le loisir de me poser plus la question, car j’entendis des hurlements venant de la maison d’Yves et Karine. Des hurlements de terreur, et des cris d’une bête semblant tout droit sortie de l’enfer. Craignant de comprendre où était Myriam, je courais vers le domaine des parents de Pierre, espérant que ce dernier avait pu se mettre à l’abri. Myriam serait-elle capable de s’en prendre à un enfant ? Je me persuadais du contraire. Myriam ne le pourrait pas. Mais il semblait plus qu’évident que les cris que j’entendais n’avaient plus rien à voir avec elle, au fur et à mesure que je me rapprochais de ceux-ci.

 

J’arrivais enfin à la propriété de nos voisins. Et là, je pus voir toute l’étendue de l’horreur qui avait pris naissance dans le corps de ma chère Myriam. Elle n’était pas là d’ailleurs. Ou plutôt, ce n’était plus elle. C’était un cauchemar sur pattes. On aurait dit une sorte de loup monstrueux, sans en être un à proprement parler. La créature que je voyais, même si elle avait des dimensions plus ou moins humaines était à mi-chemin entre le lion, le tigre et le loup. Ses pattes arrière sur lesquelles elle se dressait étaient clairement celles d’un lion de forte stature. Epaisses, arrondies, munies d’argots d’où sortaient des griffes à faire pâlir n’importe quel prédateur de ce monde. Son corps était celui d’un loup, parsemé d’un pelage d’un gris argenté aux poils se dressant sur toute l’étendue du corps. Les pattes avant avaient l’ossature de celles d’un tigre, mais avec une structure entre le loup et l’humain. Il en était de même pour ce qui pouvait s’apparenter à des bras jusqu’aux épaules. D’immenses griffes sortaient de la main, ou la patte. En fait, je ne savais même pas comment on pouvait désigner ce que c’était. Et sa gueule ressemblait presque trait pour trait à l’idée qu’on pouvait avoir d’un loup-garou. Allongée, babines retroussées presque jusqu’à l’extrême, dents proéminentes et aussi pointues que des dents de requin, mais plus proches de celles d’un tigre du bengale ou assimilé. Des oreilles allongées sur un crâne à la texture et la forme de celle d’un humain. Le tout formait un maelstrom de ce que la nature avait de plus dangereux et de monstrueux en terme de prédateur. Si le docteur Frankenstein avait pu créer un animal au lieu d’un homme, il aurait certainement créé quelque chose ressemblant trait pour trait à cette… chose. 

 

Mais le pire tenait à son tableau de chasse qu’il tenait entre ses mains. Le jeune Pierre, dont le corps se trouvait pris entre ces pattes cauchemardesques, une partie des griffes plongeant dans son corps meurtri de toute part, et lacéré sur toute la partie du visage. C’est bien simple : on ne le reconnaissait presque plus. J’avais l’impression que l’intégralité de son sang coulait le long de son corps. Soudain, mes yeux se portèrent vers le sol, et le spectacle d’horreur se poursuivit. Karine et Yves gisaient l’un sur l’autre, à moitié dévorés, leurs habits en lambeau, le reste de leur chair se mélangeant au sang coulant sur le sol de la cour. Yves n’avait plus de tête. Ou plutôt, elle n’était plus à l’endroit où elle aurait dû se trouver. Séparée du reste du corps, sans presque plus un brin de chair dessus. Ses bras et ses jambes comportaient des traces de griffures profondes à un point que ses os étaient à nu. Et Karine… Elle, c’était guère mieux. Elle avait la poitrine éventrée, ses entrailles en sortant comme une version vivante d’un jeu d’anatomie, ses jambes avaient été brisées en deux, dont la majeure partie était totalement dépourvue de la moindre trace de chair. J’étais horrifié de cette vision qui s’offrait à moi. Je ne sais pas pourquoi, mais je me mis à crier aussi fort que je pouvais, comme si c’était ma voix qui avait réagi à la place de mon cerveau en l’instant présent.

 

Un cri qui fit se retourner la créature infernale qui se dressait devant moi. Elle relâcha le corps sans vie de Pierre à ses pieds, et me fixa de ses yeux injectés de sang, comme un scanner sondant un corps pour en étudier la moindre parcelle. Elle se dirigea vers moi, grognant, lâchant des pleins filets d’une bave translucide sur le sol, avant de stopper à quelques centimètres de l’endroit où je me trouvais. Elle me regarda ainsi plusieurs minutes, sans bouger, sans trace de la moindre agressivité à mon encontre. Etait-ce un signe que Myriam vivait toujours à l’intérieur de ce monstre qui la remplaçait ? Toujours est-il qu’après une phase qui me parut interminable, la bête se mit à rugir de toutes ses forces, la gueule grande ouverte. Je crus à ce moment que ma fin était arrivée. Que pouvais-je bien faire face à une telle créature ? Et puis, elle arrêta son cri, me regarda encore quelques secondes, se positionna à 4 pattes, et s’enfuit en direction de notre chalet, me laissant sur place, avec mes interrogations.

 

Je mis plusieurs minutes avant de sortir de ma torpeur, et puis, regardant les corps de ces malheureux qui avaient été plus que des amis, je me décidais à leur offrir une sépulture décente. Je trouvais une bêche et une pioche dans la grange, et creusais 3 tombes dans le petit jardin accolé à la demeure principale. Le plus difficile fut d’amener les corps jusqu’à celles-ci. N’étant pas très costaud physiquement, cela fut long et exténuant, sans parler des nombreuses crises de vomissement que leur état occasionna à mon estomac fragile. Après avoir mis les corps dans leurs tombes de fortune, je les recouvrais de la terre ayant servi pour les creuser, m’agenouillais un instant pour me recueillir, et repartais vers le chalet. Prêt à affronter la chose que Myriam était devenue.

 

Une fois à l’intérieur du chalet, je retrouvais Myriam, recroquevillée contre l’évier de la cuisine, des perles de sueur coulant partout sur son visage rempli du sang de ses récentes victimes. Elle semblait comme plongé dans une transe. Je m’approchais d’elle, tentant de la rassurer. Mais pour toute réaction, elle se leva d’un bond, me demandant de m’enfuir, qu’il ne fallait pas que je reste près d’elle. Qu’elle finirait par me tuer, comme elle venait de tuer Yves, Karine et Pierre. Je tentais à nouveau de lui parler, lui affirmant que malgré tout ce qui s’était passé, elle restait la femme que j’aimais. Est-ce que ce sont mes paroles, ou simplement parce qu’elle ne parvenait pas à contrôler la bête cachée en elle ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il qu’elle se leva brusquement, les yeux pleins de colère, me demandant comment je pouvais aimer une meurtrière, une bête de l’enfer, qu’il fallait que je parte pendant qu’elle pouvait encore se contrôler. Mais je ne bougeais pas, comme attendant qu’elle décide de me trancher la gorge et qu’elle se délecte de ma chair. Ce qui l’énerva encore plus, me traitant d’imbécile. Et là, elle me tendit le pistolet que je rangeais dans le tiroir de la cuisine.  Une précaution que j’avais acheté avant notre départ pour venir ici. Elle voulait que je la tue, pour ne plus qu’elle massacre d’autres innocents. Mais je luis disais que je serais incapable de faire ça à la femme que j’aime. A ces mots, elle plaça le pistolet dans mes mains, et recula de quelques centimètres, avant de se figer, fermant les yeux, donnant l’impression d’attendre quelque chose.

 

Puis, je compris ce qu’elle cherchait. Elle attendait que la bête en elle revienne à la surface. Elle lui donnait l’autorisation ou plutôt l’ordre de revenir. Et l’effet fut immédiat. Peu à peu, Myriam redevint la créature monstrueuse que j’avais vu il y avait peu au domaine d’Yves et Karine. Et, parlant d’une voix caverneuse, elle s’adressa à moi, me disant que si je ne pouvais pas la tuer, peut-être que je pourrais tuer le monstre en elle, prenant ma main droite avec ses pattes, pendant que l’autre patte plaçait le canon du pistolet sur son crâne. Elle me demanda de faire vite, pendant qu’elle parvenait encore à la contrôler. Que je ne devais pas hésiter. Que c’était la seule solution. Mais je ne pouvais pas. Impossible. Je vis alors des larmes couler sur sa gueule monstrueuse, comme un appel à l’aide. Je ne pouvais pas rester insensible à ça. Je regardais à nouveau l’arme, posais ma main dessus, et petit à petit, je descendais mon majeur sur la gâchette. Je la regardais à nouveau, comme pour me souvenir une dernière fois de ses yeux embués de larmes, je fermais les miens, et je tirais.

 

J’entendis toute la masse de son corps tomber sur le carrelage de la cuisine. Puis, il y a eu un grand temps mort. Je n’osais pas ouvrir les yeux, car je savais le spectacle tristement horrible qui allait se montrer en le faisant. Je ne sais plus le temps qu’il m’a fallu pour finalement avoir le courage de le faire. Je soulevais mes paupières très lentement, la peur au ventre. Et avant de baisser mon regard vers le sol, je pris une grande respiration, pensant que ça pouvait m’aider à supporter le choc que je m’apprêtais à affronter. Et je trouvais enfin la force de regarder. Elle était là, celle qui avait tant illuminé ma vie des années durant. Celle avec qui je pensais finir mes vieux jours, assis ensemble dans un vieux canapé, avec une tasse de chocolat chaud sur une petite table basse devant nous. Un rêve qui ne pourra jamais se réaliser. Je résistais à la douleur quelques secondes, avant que mes genoux ploient sous le poids de ma souffrance et fassent tomber le reste de mon corps auprès d’elle. J’ai pleuré pendant de longues minutes, des heures peut-être. Je n’en savais rien. Qu’importe. Ce que je savais, c’était qu’elle était partie. Où, je l’ignorais également. Sans doute dans un endroit où elle ne souffre plus en tout cas.

 

Mais il ne fallait pas que son sacrifice n’ait servi à rien. La balle avait bloqué toute tentative de transformation inverse. Elle était toujours sous la forme de cette… « chose ». Une idée me vint alors pour éviter toute utilisation de son corps par des abrutis de scientifiques ou des militaires avides de s’en servir pour créer d’autres monstruosités identiques pour des raisons futiles et surtout assassines. Alors, je sortais pour me rendre à la petite remise à l’extérieur du chalet. Je pris un bidon de fioul domestique et en versais tout autour du chalet, avant de rentrer à l’intérieur, et faire de même dans toutes les pièces. Sans oublier le corps de Myriam. Ma Myriam. J’avais encore les larmes aux yeux quand je lançais mon zippo sur son corps qui s’enflamma aussitôt, avant de sortir lentement du chalet. Je regardais ce dernier être ravagé par le feu un long moment, comme pour m’assurer d’être sûr qu’il n’en resterait rien à en tirer par les enquêteurs qui ne manqueraient pas de venir, alertés par la fumée de l’incendie. Et puis je partais.

 

Voila, vous connaissez toute l’histoire. Libre à vous de croire ou non, mais je peux vous assurer que je n’ai pas menti. A aucun moment. Ce n’était pas Myriam la meurtrière. C’était cette aberration qui était en elle. Cette malédiction qui lui avait été transmis par cette autre créature vivant dans les profondeurs de cette forêt. Cette même créature qu’il me fallait débusquer et trouver, afin d’éviter qu’un autre que moi subisse le même drame que moi. A l’heure où vous trouverez ce carnet, je serais déjà sur ses traces, prêt à en finir avec elle. Comment ? Vous vous demandez de quelle manière un simple humain peut venir à bout d’une telle créature ? C’est très simple : parce que je ne suis plus humain. Avant de sortir du chalet, j’ai utilisé une des griffes du corps de Myriam pour subir la même malédiction qu’elle. Je savais que c’était le seul moyen d’en finir avec l’origine de tout ça. Tuer la bête, et ensuite me tuer moi. Mais il me fallait faire vite, avant que mon humanité soit balayée par le monstre qui germait à l’intérieur de mon corps. Faites bon usage des informations que j’ai mis sur ce carnet, et prévenez le monde que nous ne sommes pas seuls. Et surtout que nous ne sommes pas le haut de la pyramide des espèces. Certaines d’entre elles sont devant nous. Au fait, je me souviens du nom de cette région avant de devenir le patronyme que l’on connait aujourd’hui. Cela s’appelait… le Gévaudan. 

 

Publié par Fabs