29 août 2022

LES SOEURS DEMONIAQUES : CE SANG QUI ME FASCINE (Point de vue d'Helga)

 


 

4 - CE SANG QUI ME FASCINE (Helga)

 

Cette histoire fait partie d'une série de 4, et constitue le premier projet du collectif "Les Colporteurs de l'Horreur", adoptant 4 points de vue différents des personnages de l'histoire. 4 visions se complétant l'une et l'autre, afin de mieux discerner la subtilité des psychologies des protagonistes principaux : Magnus (le Père), Yrsa (La Mère), Liv et Helga (Les Filles).

 

Le sang… Pourquoi me fascine-t-il autant ? Pourquoi me procure-t-il tant d’attrait, de frissons dans tout le corps à chaque goutte qui coule des corps qui tombent sous mes coups ? Difficile de l’expliquer. C’est comme s’il me procurait une sensation de bien-être, comme un complément à mon existence, une partie d’un puzzle ne demandant qu’à s’assembler en moi pour former un tout, remplissant les parties manquantes qui me constitue. J’ai tentée de faire ressentir cette passion à ma sœur, mais elle n’est clairement pas comme moi. Je ne vois pas ses yeux frétillants de plaisir en voyant une artère tranchée, déversant ce flux de vie sur le sol, cette chair luisante exposée à la lumière, ou la peau pâlissante.  Je ne ressens pas chez elle cette frénésie qui m’accompagne à chaque morceau de chair arrachée, chaque lambeau découpé du bout de mes ongles, ou d’un œil séparé de son orbite à la simple force de mes dents. J’en viens vraiment à me demander parfois si elle est vraiment ma sœur, et si ma mère ne m’aurait pas trompée en me faisant croire qu’elle l’était, alors qu’il ne s’agit que de l’enfant d’une quelconque vagabonde, à qui elle aurait promis de prendre soin de sa fille…

 

Je sais : ça peut paraitre horrible de penser de ça d’un membre de sa famille, surtout que j’ai eu de nombreuses fois la confirmation que cet inconnu à qui il était interdit de s’approcher de nous, était en fait notre père biologique à toutes les deux. Mais en ce cas, pourquoi Liv n’a pas la même propension à aimer la mort tel que moi ? Pourquoi dois-je toujours user de ma force de persuasion pour l’obliger à faire ressurgir la vraie nature qui est en elle ? Je sais qu’au fond de son être, elle est née pour semer mort et désolation dans son entourage. Mais elle refuse sa destinée offerte par celle qui nous a donné la vie, avant de nous abandonner des années plus tard, aux mains de cet humain insignifiant se prétendant notre père. J’ai du mal à croire que notre mère ait pu se laisser aller à des sentiments envers ce laquais misérable, tout comme je ne comprends pas ce besoin d’aimer, qui fait des hommes des êtres faibles et méprisables. Il suffit de tuer la personne qu’ils chérissent pour les voir tomber à genoux au sol, pleurant sans discontinuer, et appelant à l’aide un Dieu qui n’existe que dans leurs stupides croyances. C’est pitoyable, vraiment. Ma sœur, qui est-tu vraiment ? Je me souviens de ces moments de notre enfance où tu t’interrogeais sur le rôle de cet homme, derrière la porte de la chambre ayant constitué l’essentiel de nos journées, tentant de nous apercevoir, avant de se faire insulter et déclenchant la colère de notre mère, lui ordonnant de partir, juste après qu’il ait amené nos repas.

 

Liv ne comprenait pas pourquoi cet homme, qui pour moi n’était qu’un serviteur sans importance, avait cet air si triste, dédaignant les recommandations de notre mère de ne pas lui prêter attention. Qu’il n’était rien pour nous. A cette époque, j’adorais être auprès de Maman, et je sentais que c’était réciproque. Elle me savait obéissante, ne cherchant pas à discuter les raisons pour lesquelles nous ne devions pas sortir de cette chambre, et avait toujours des attentions particulières envers moi. Ce qui rendait jalouse ma sœur, je le sentais. Et cela m’amusait. Énormément. J’adorais la défier, lui montrer que c’est moi que Maman préférait, en étant toujours au plus près de cette dernière. Voir la tristesse que cette situation occasionnait à Liv me procurait une joie indescriptible. En grandissant, nous avons découvert ce monde inconnu qui se trouvait au-delà de la chambre constituant notre espace de vie. D’autres pièces, d’autres lieux où nos yeux pouvaient étendre leur vision, accumulant de nouvelles connaissances. Je pensais que ce nouvel univers permettrait de changer la perception de Liv de ce qui nous entourait, qu’elle cesserait de se pâmer devant ces histoires insipides de princes et de princesses, remplies de cet amour qui me faisait presque vomir de sa niaiserie et son inutilité. Mais son intérêt pour cet homme, à qui il était désormais autorisé de nous voir, mais sans toutefois pouvoir nous approcher, ne faisait que grandir, et je me sentais alors dans l’obligation de lui rappeler ce que notre mère nous avait demandées le concernant. Ce à quoi elle me répondait :

 

« Mais pourquoi ? Il a l’air si triste en nous observant. J’aimerais tellement apprendre à mieux le connaitre. C’est notre père après tout… »

 

Dans ces moments, je m’interposais entre elle et l’homme, afin que celui-ci ne voit de moi que mon dos, et lui rappelais que même s’il nous avait donné la vie, notre mère ne voulait pas qu’on soit proches de lui. Je lui mentais en lui disant que moi aussi j’aimerais mieux le connaitre, et insistant sur le fait que seul comptait la volonté de notre mère, et lui demandant si elle voulait lui désobéir.

 

« Non, bien sûr que non…Excuse-moi. Tu as raison. Je ne devrais m’occuper que de ce que nous a dit maman »

 

 Des paroles qui me faisaient exulter de plaisir, car elles montraient ma domination sur elle, sur cette sœur qui subissait souvent les remontrances de notre mère, et me permettant d’être plus proche que jamais de celle-ci. Au grand désespoir de Liv, je le voyais dans ses yeux. Mais au lieu de montrer une quelconque compassion, je m’arrangeais pour alimenter le fossé entre toutes les deux. Je voulais m’accaparer cette reconnaissance qui n’appartenait qu’à moi envers notre mère. J’étais celle qui lui étais le plus proche en tout point, et pour moi, Liv ne pouvait que faire faiblir sa force mentale de celle-ci, ce que je refusais intérieurement, tellement je considérais ma mère comme un modèle absolu qu’il me fallait suivre, et à qui je me devais de ressembler en tout point, le plus possible. Et pour faire comprendre ses erreurs à Liv, j’ai commencée à lui faire mal, persuadée que c’était la meilleure méthode pour qu’elle comprenne enfin où était sa place. C’est ainsi que j’ai découvert le pouvoir de régénération qui caractérisait notre nature d’êtres à part de la race humaine. Chaque blessure infligée à Liv se guérissait peu de temps après. Voyant cela, je n’hésitais plus à la blesser, finissant par considérer ces actes comme des jeux, et me faisant découvrir cette sensation de plaisir de faire naitre la souffrance, la douleur chez les autres. C’était pour moi la révélation de ce que j’étais vraiment, et j’adorais ça…

 

En grandissant, ma position de préférée s’accentuait, et Liv se réfugiait dans ses stupides livres. Je me plaisais à la narguer chaque fois que j’étais auprès de notre mère, et voir l’air triste qu’elle dégageait était une victoire des plus délectables. Malgré tout, les livres dont se paraient les journées de Liv, trouveraient plus tard la base de nos escapades, au-delà des murs de cette maison. C’est au même moment que j’ai ressentie un changement chez ce père nous observant en silence, frustré de ne pouvoir nous approcher. Je pouvais percevoir les ondes de colère, se transformant peu à peu en haine nous concernant, liv et moi. Un sentiment qui allait atteindre son paroxysme un certain soir où notre vie allait basculer. J’avais trouvé depuis peu une nouvelle occupation qui me passionnait, consistant à démembrer les poupées offertes par notre père. Une manière pour moi sans doute de m’habituer à ce qui serait mon occupation principale à notre majorité, à Liv et moi. Comprendre de quelle manière arracher un bras, une jambe, ou faire sortir des yeux de leur emplacement, était pour moi comme une sorte de nouvelle révélation sur le plaisir que me procurait de donner de la souffrance, quand Liv n’était plus en état de s’adonner à mes petits jeux sanglants. Ce soir-là, j’ai donc permis à Liv d’être plus près de notre mère que d’habitude. Disons que je lui ai offert une sorte de trêve, et il ne fallut pas longtemps pour s’endormir dans les bras de notre mère, qui venait de s’assoupir peu de temps auparavant.

 

Notre père venait de rentrer dans la pièce. Habituellement, je ne m’intéressais pas à sa présence. Mais je sentais une odeur que je ne connaissais pas sur lui, et cela m’intriguait, m’attirait. Alors, laissant mes poupées, je me suis dirigée vers lui. Je ne sais pas s’il a considéré mon approche comme une menace ou si c’était un réflexe à son état, sans doute dû à l’odeur du produit se dégageant de lui. Toujours est-il qu’il m’a frappée violemment, alors que j’étais à quelques centimètres de lui. Pour la première fois, j’ai ressentie de la douleur sur mon corps, ce qui me fit déverser des larmes en tombant sur le sol, suite à l’impact de la main de mon père sur ma joue. Au même moment, je sentais quelque chose de différent en moi, et je vis dans les yeux de mon père que cet état l’effrayait. Le bruit occasionné par tout ceci fit se réveiller ma mère, qui se jetait alors sur mon père, lui criant dessus :

 

« Tu as osé porter la main sur Helga ? Misérable cloporte ! Pour qui te prends-tu ? »

 

Voir ma mère s’en prendre avec violence à notre père, lui assénant coups sur coups, était un spectacle des plus plaisants, et je m’extasiais devant, souriant. Mais Liv a tout gâché en s’agglutinant à notre mère, l’empêchant de continuer, et permettant la fuite de notre père au-dehors. On l’entendait crier à tue-tête, appelant à l’aide. L’instant d’après, des hommes se sont rués dans la maison, s’emparant de notre mère, faisant tomber Liv au sol près de moi, avant de l’attacher sous nos yeux. La surprise fit que moi et ma sœur étions incapables de bouger et parler, assistant à sa défaite :

 

« Misérables vermisseaux ! Vous paierez pour ça ! Je vous maudis ! Vous entendez : je vous maudis tous ! »

 

Après ça, les hommes ont emmené notre mère hors de notre maison, et c’est là que commençait la deuxième partie de notre vie, sans notre mère. Je ne comprenais pas qu’elle ne donne plus signe de vie. Je ne comprenais pas qu’au vu du modèle qu’elle représentait pour moi, elle ne soit pas parvenue à se débarrasser de simples humains. C’était inconcevable à mes yeux. Ça ne pouvait signifier qu’une chose : elle nous avait abandonnées, Liv et moi, volontairement. Et dès lors, l’admiration que j’avais pour elle s’est envolée peu à peu, se transformant en haine profonde pour nous avoir laissées aux mains de ce tortionnaire qui était censé être notre père. Mais ses actes envers nous deux montrait clairement ce que je pensais de la race humaine : un déchet ne vouant que mépris à des êtres tel que nous, parce qu’il ne comprenait pas ce que nous étions. Mais sa haine a eu des avantages : elle m’a renforcée dans mon désir de supporter ce qui m’avait surpris la première fois. J’ai découvert comment résister à la douleur et la souffrance, profitant du pouvoir de régénération qui coulait en moi, et me permettant de supporter n’importe lequel des coups que me portait mon père. Liv avait plus de mal, en faible qu’elle était. Alors, je m’arrangeais pour narguer notre père le plus souvent possible, pour ne pas qu’il s’en prenne à elle. Notre mère n’étant plus là, c’était à moi qu’il incombait de prendre sa place, en la protégeant, même si elle n’était qu’une petite gourde, inconsciente de ce qu’elle était capable de faire, au même titre que moi. Je devrais donc m’occuper de son éducation, et montrer à cette larve, ce soi-disant père, qu’il ne m’impressionnait en aucune façon. Nous avions atteintes l’âge de 18 ans, et j’étais déjà habituée aux accès de colère de notre père, m’amusant de sa peur et de ses coups. Je lui demandais de me frapper toujours plus, souriant et riant, ce qui inquiétait cette idiote de Liv :

 

« Helga, pour…pourquoi tu dis ça ? Je veux pas que tu aies mal… Je veux que maman revienne… Papa est trop méchant avec nous… »

 

Je lui criais alors de se taire, que ces misérables coups n’étaient que des caresses pour moi, et lui demandant d’arrêter de l’appeler Père. Ce n’était qu’un humain. Précisant aussi que c’était le résultat de l’abandon de notre mère, et que je la détestais elle aussi pour nous avoir laissées ici.

 

« T’as pas le droit de dire ça ! Maman reviendra, j’en suis sûre ! Elle reviendra pour nous libérer… »

 

L’évocation de notre mère faisait redoubler la colère de notre père, qui faisait pleuvoir de plus belle ses coups, et me faisant rire encore plus à chaque blessure reçue de ses mains, souriant en voyant son visage pâlir, suite à la guérison toujours plus rapide de mes plaies, à moi et ma sœur Liv. Au bout d’un moment, découragé, il s’arrêtait et quittait la pièce, pendant que je continuais à rire de lui. Je savais qu’en nous frappant, c’était comme s’il le faisait à notre mère. Je le voyais dans ses yeux, je sentais son sentiment de vengeance et d’impuissance émanant de lui. Tout comme je savais qu’il nous avait vues, Liv et moi, près du petit bois, alors que le corps de Karel était étendu au sol, son sang rougissant le sol. Un acte qui faisait suite à l’utilisation de l’attirance qu’exerçait Liv sur les garçons du village partout où elle se rendait, à chaque fois que nous profitions de l’absence de notre père pour nous rendre hors de la maison. Ma domination sur elle s’étant accentuée avec les années, je l’incitais à se placer dans des endroits propices à servir d’appât, avant qu’un garçon tombe dans le piège. Il y avait parfois des obstacles à surmonter, comme la fois où cette petite imbécile d’Agnetta appelait l’une de nos futures proies, s’approchant de Liv, suivant notre procédure habituelle :

 

« Gunnar, tu ne devrais pas t’intéresser à elle. Tous ceux qui l’ont fait ont été punis de manière horrible… »

 

Heureusement pour notre plan, son ami la rassurait et la fit repartir, les yeux tristes. De toute façon, si ça n’avait pas été le cas, je me serais chargée de l’ajouter à notre liste. Elle aurait été la seule fille, mais je n’aurais pas été contre le fait de changer nos habitudes. Quoi qu’il en soit, Liv parvenait à convaincre nos proies de la suivre dans les bois avoisinants, près d’un arbre spécifique, où j’attendais le moment propice pour fondre sur la cible, à qui je tranchais la gorge d’un coup, avec une arme de fortune. Un morceau de verre entouré d’un tissu. L’utilisation d’un couteau aurait trop attiré l’attention par sa disparition au sein de la maison à notre père. A partir de là, j’haranguais Liv pour qu’elle fasse sa part aussi. Lui indiquant où trancher, sans le tuer directement. Je tenais à voir la vie s’enfuir du corps avant de passer au final. J’allongeais alors mes ongles, changeant la forme de mes dents et m’affairais à déchiqueter en profondeur le garçon nous servant à libérer mes pulsions meurtrières.

 

Dans les débuts, Liv n’était qu’observatrice. Je la forçais à regarder pour qu’elle s’imprègne de la joie de tuer, pour que ça libère ses instincts. Puis, elle a dû participer elle aussi, sous mes directives, comme toute sœur digne de ce nom. Je la félicitais alors, comme pour la rassurer de sa peur qu’elle ressentait, de sa honte, de sa culpabilité ressentie. C’était mon devoir de sœur de l’habituer à ce qui était notre nature profonde. Puis vint le soir où, à nouveau, un changement radical de notre famille arrivait. Un soir où notre père se déchainait sur nous encore plus que d’habitude sur Liv et moi. Et comme d’habitude je me moquais de son inaptitude à me faire trembler. Quand soudain, la porte arrière de la maison s’ouvrit, faisant apparaitre notre mère :

 

« Arrête ça, misérable humain ! Je t’interdis de poser la main à nouveau sur mes enfants ! »

 

Aussi bien Liv que moi furent surpris de ce retour inattendu, tout comme notre père, qui cessa immédiatement ses coups :

 

« Yrsa ? Co… Comment tu peux être là ? Je te croyais morte depuis tout ce temps… Je pensais que l’Eglise s’était débarrassé de toi… »

 

Séchant ses larmes, Liv, elle, montrait sa joie :

 

« Maman ? C’est toi ? Je savais que tu étais toujours en vie… »

 

Voyant que Liv tentait de se précipiter vers notre mère, je m’interposais, et m’adressais à celle qui nous avait abandonnées, l’accusant de nous avoir laissées subir les coups de notre père pendant des années, et qu’à mes yeux, elle ne valait pas mieux que lui.

 

« Helga, t’es injuste ! Maman a été enfermé loin de nous. Comment aurait-elle pu… »

 

Je ne laissais pas le temps à Liv de finir sa phrase, et fonçais vers notre mère, lui tranchant la gorge à l’aide de mes ongles, m’acharnant sur elle, comme l’une de nos proies habituelles.

 

« Helga ! Arrête ! Tu es folle ! Pourquoi tu fais ça à Maman ? »

 

Le visage rempli de sang, je me tournais alors vers Liv, lui indiquant qu’on avait pas besoin d’elle. Que tout ce qu’on savait, on l’avait appris par nous-mêmes. Que notre mère n’était pas là pour nous apprendre ce qui faisait notre nature et le reste. Qu’elle était inutile, et qu’elle n’aurait jamais dû revenir. J’entendais alors notre mère me supplier :

 

« Helga… S’il te plait… Je suis ta mère…Comment tu peux me faire ça à moi ? »

 

Je disais alors à cette dernière qu’on était exactement ce qu’elle voulait que l’on devienne. Qu’elle n’avait plus qu’à mourir. Précisant que j’allais tellement la charcuter, que son pouvoir de régénération ne pourrait pas agir, et que je n’aurais plus à entendre les stupidités de Liv sur son retour miraculeux. Cette dernière, sous le coup de la colère, se dirigeait alors en trombe vers moi, espérant sauver notre mère. Mais je lui assénais une profonde blessure à la jambe, la faisant tomber au sol, en lui indiquant qu’elle guérirait vite, et de ne pas s’inquiéter. Je me retournais alors vers ma mère et achevais ce que j’avais commencé. Au bout de quelques minutes, le corps sans vie de celle qui fut notre mère ne bougeait plus. Je me dirigeais alors vers ma sœur, l’aidant à se relever, et je m’adressais à notre déjà ancien père, précisant que notre vie commune avec lui se finissait ce jour. Après un coup comme ça, les habitants risquaient de faire le rapprochement avec les autres meurtres, et que c’était mieux pour moi et Liv de vivre notre vie désormais. Liv regardait le corps sans vie de notre mère, avant de s’adresser à moi :

 

« Je te déteste ! »

 

Je souriais, et lui disais que je l’aimais aussi, mais que maintenant on devait partir. Je lui pris la main, et on sortait de la maison, laissant notre père terminer sa triste vie d’humain. Le tuer n’avait pas d’intérêt, et puis disons que c’était mon petit cadeau pour le remercier d’avoir forgé ma nature pendant toute ces années, et révélé notre nature, à moi et Liv. Nous avons donc continuées comme je l’avais enseigné à ma sœur. Elle servait d’appât, je m’occupais de faire taire nos cibles, et elle m’aidait à finir le travail, afin d’assouvir les pulsions propres à ce que nous étions. Je sais qu’elle me déteste, et qu’elle guettera la moindre occasion, le moindre faux-pas, la moindre inattention pour me tuer, dès qu’elle en aura l’occasion.

 

Je n’ai pas envie de mettre fin à sa vie. C’est une idiote, une soumise, mais elle reste ma sœur. Même si ça ne me dérange pas plus que ça de la faire souffrir, de lui infliger douleur et blessures pour renforcer son caractère, jamais je ne pourrais me résoudre à me séparer d’elle. Elle et moi sommes promises à une grande vie de meurtres et de désolation partout où nous passerons. Nous serons bientôt connues dans l’histoire comme les sœurs démoniaques. Alors, s’il vient un jour où je me lasse de cette vie, et que je suis trop âgée pour continuer, je la laisserais assouvir sa vengeance envers moi. J’espère seulement que d’ici là, j’aurais réussie à faire d’elle quelqu’un capable de se débrouiller sans moi. Je compte sur toi, petite sœur. Surprends-moi, et deviens ce que je suis, afin que je puisse partir sous tes coups le sourire aux lèvres, avec la satisfaction que tu perpétue notre lignée dignement…

 

Publié par Fabs

LES SOEURS DEMONIAQUES : CETTE SOEUR QUI ME FAIT PEUR (Point de vue de Liv)

 


 

 

3 - CETTE SOEUR QUI ME FAIT PEUR (Liv)

 

Cette histoire fait partie d'une série de 4, et constitue le premier projet du collectif "Les Colporteurs de l'Horreur", adoptant 4 points de vue différents des personnages de l'histoire. 4 visions se complétant l'une et l'autre, afin de mieux discerner la subtilité des psychologies des protagonistes principaux : Magnus (le Père), Yrsa (La Mère), Liv et Helga (Les Filles).

 

J’ai parfois du mal à me dire qu’Helga est bien ma sœur, tellement nous sommes différentes, elle et moi. Elle me fait peur. Sa manière de regarder les autres, comme si tout ce qui était autour d’elle était une cible potentielle pour assouvir ses pulsions meurtrières. Son regard qui s’illumine quand elle tranche les gorges de tous ces garçons, se servant de moi pour les attirer. J’en viens à me demander si elle ne m’accepte pas comme sœur uniquement pour ça, pour jouer les appâts et s’amuser de me voir pleurer en même temps qu’elle m’oblige à finir le « travail », pendant que notre victime du jour agonise, nous observant, Helga et moi, semblant appeler à l’aide, avec ces yeux remplis d’incompréhension dirigés vers nous. Mais je n’ai pas le choix. Je ne veux pas prendre le risque de la contrarier, de lui donner l’excuse de se débarrasser de moi aussi, comme elle l’a fait avec maman…

 

Tout n’a pas toujours été comme ça. Je ne me souviens pas très bien de notre enfance, de ces moments de bonheur apparents avec maman quand nous n’avions que quelques années. Je ne comprenais pas bien qui était cet homme qui n’avait pas le droit de nous approcher. Au début, je pensais que c’était un serviteur, chargé de nous amener nourriture, jouets et robes, qu’il n’avait que ce seul lien avec notre famille. Je voyais son air triste parfois dans l’encadrure de la porte, après qu’il ait cogné à cette dernière pour nous amener nos repas, maman refusant que l’on sorte de la chambre où l’on se trouvait tous les trois. Dans ces moments-là, j’avais envie de lui dire qu’il pouvait entrer, qu’il pouvait jouer avec Helga et moi, comme tout bon serviteur qui se respecte. Au vu de ce qui nous entourait, j’ai longtemps cru être comme ces princesses des contes que maman nous lisait le soir avant de nous coucher. Helga disait que c’était juste des histoires, mais moi je rêvais de vivre les mêmes aventures, de rencontrer un joli prince qui m’emmènerait dans son royaume. Et toutes ces tentures autour des fenêtres, ces draps bordés de soie, ces meubles, et tout le reste, pour moi, c’était déjà un signe d’une certaine aisance digne d’une famille royale.

 

Mais j’ai très vite déchantée en apprenant la vérité, une fois que j’étais en âge de comprendre ce qu’était cette réalité qui nous entourait. Celui que je pensais n’être qu’un serviteur était en fait notre père. C’est à lui que nous devions d’être venues au monde, Helga et moi. Maman n’aimait pas en parler, mais j’ai appris que c’est papa qui avait sauvé maman d’un endroit sombre, froid et plein de gens qui lui voulaient du mal. Un endroit très différent de celui où nous nous trouvions à ce moment. Alors pourquoi maman était si méchante avec lui ? Pourquoi il ne pouvait pas nous voir, nous toucher ? Je comprenais mieux sa tristesse à chaque fois qu’il tentait de nous apercevoir, et que maman l’en empêchait. C’est là que je m’apercevais de cette différence entre Helga et moi. Elle ne prêtait pas vraiment attention à ce que moi je voyais, que son insouciance lui dictait de ne pas s’attacher, obéissant de manière stricte aux directives de maman de ne pas le regarder non plus, qu’il n’était pas digne de nous observer. Helga était très attachée à maman, encore plus que moi. Je pense que c’est à cause de cet attachement qu’elle a mal supportée que maman nous laisse seul avec cet inconnu qu’était notre père. Nous avions beau grandir, nous ne le connaissions pas, il n’était qu’un étranger qui avait à peine le droit de vivre sous le même toit que nous.

 

Par la suite, nous avons pu sortir, ma sœur et moi de cet espace qu’était la chambre où nous avions grandi une grande partie de notre enfance. Nous avons découvertes d’autres pièces, comme la cuisine, le salon, et nous avions accès à de vrais toilettes, et non plus un simple pot de chambre dans un coin de la pièce, dont le contenu était jeté par la fenêtre par maman ou posé devant la porte, laissant l’homme nous servant de père le vider et le nettoyer, comme un domestique d’une grande maison. De cette époque, je me souviens de cet air triste, mélangé à de la joie de ce père si proche, mais si éloigné de nous. Il me faisait de la peine. Mais à chaque fois que je tentais de lui adresser un sourire, Helga me rappelait à l’ordre :

 

« Ne fais pas ça… »

 

Je demandais pourquoi, indiquant que l’homme avait l’air si triste là-bas, et que j’aimerais bien apprendre à mieux le connaitre. Après tout, c’était notre père. Helga me prenait par les épaules dans ces moments, se mettant de dos pour ne pas que l’homme voie ses yeux rougis par la colère, pendant que maman, ignorant ce qui se passait, était affairé à cuisiner les aliments apportés par notre père.

 

« C’est peut-être celui qui nous a donné la vie, mais maman ne veut pas qu’on s’approche de lui. Moi aussi, j’aimerais bien le connaitre un peu mieux, mais si maman ne veut pas, c’est qu’il doit y avoir une raison. Et tu ne voudrais pas désobéir à maman, pas vrai ? »

 

Je lui répondais par la négative, m’excusant avec insistance auprès d’Helga sur mes propos. Quand Helga me montrait ses yeux rouges, je savais que je ne devais pas avoir une opinion différente d’elle. Alors, je baissais les yeux, ne voulant pas qu’elle se mette en colère contre moi. Je ne connaissais pas encore ce dont elle était capable à cette époque, mais il y avait comme une sorte d’instinct qui me disait de ne pas la défier, sous peine de le regretter. Je pense que c’est là que j’ai compris que ma sœur me faisait peur, qu’elle était plus forte que moi. Elle avait une fureur en elle que je ne comprenais pas. Exactement comme maman quand notre père s’approchait d’un peu trop près. En ce sens Helga ressemblait beaucoup plus à notre mère que moi, d’un point de vue caractère, violence verbale et agressivité. A cause de ça, j’évitais le plus possible de la contrarier. Maman aussi pouvait être méchante parfois envers moi si je ne faisais pas ce qu’elle disait, mais ce n’était rien en comparaison d’Helga. Plusieurs fois, elle m’a enfoncée ses ongles dans la chair de mes épaules, pour bien me faire comprendre d’obéir à maman. Elle ne supportait pas que j’interroge maman sur beaucoup de choses concernant papa. Après les remontrances somme toute supportables de maman, Helga me prenait toujours à part, et elle me faisait mal. C’est comme ça qu’on a compris, elle et moi, que nous pouvions guérir facilement, quelle que soit la blessure reçue.

 

A chaque fois qu’elle plantait ses ongles dans ma chair, au niveau du cou, des bras ou des jambes, peu de temps après, la blessure cicatrisait, se refermait, ne laissant plus aucune trace. Et Helga profitait de ça pour me forcer encore plus à faire ce qu’elle me disait. Elle savait que j’étais plus sensible qu’elle aux blessures, même sachant qu’elles guérissaient ensuite. Il y avait un certain sadisme dans ses actes envers moi. Elle y prenait un grand plaisir, c’était une évidence, et plus encore parce qu’elle savait que jamais je n’oserais lui faire la même chose, même pour me défendre. Malgré tout, je finissais par m’habituer à cette vie familiale un peu spéciale, très différente de ce que j’avais lu dans les livres. J’aimais beaucoup lire, contrairement à Helga qui passait une grande partie de ses journées auprès de maman, me narguant, comme pour me dire « maman est à moi, pas à toi ». Ce qui fait que j’avais rarement l’occasion de faire des activités avec elle. Alors la lecture me permettait de pallier ce manque affectif qu’Helga m’empêchait d’avoir avec maman, de manière rapprochée. J’aimais beaucoup les histoires romantiques, ça me passionnait. J’apprenais de cette manière nombre de techniques d’approche envers les jeunes garçons, ce qu’Helga saurait utiliser à profit à son avantage par la suite, une fois que maman nous laissa aux griffes de papa, et que je découvrais que la frustration de ne pas s’approcher de nous pendant des années, avait transformé notre père en un être froid, mauvais, et nous vouant une haine qu’il est difficile de décrire avec des mots.

 

Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé ce jour-là dans les détails. Tout ce dont je me rappelle, c’était que je m’étais endormie dans les bras de maman, qui, pour une fois, n’était pas monopolisée par Helga, celle-ci étant occupée à démembrer ses poupées, s’amusant à lacérer leurs habits et la texture de leur visage de chiffon. Ces moments étant rares, je profitais de ces instants de bonheur que j’avais à être auprès de maman, comme si Helga m’autorisait à agir de la sorte. Et puis, j’ai été réveillé par les cris d’Helga, suivis de bruits de chute. Maman m’a posée au sol, avant de crier en se dirigeant dans la direction d’où venaient les pleurs :

 

« Tu as osé porter la main sur Helga ? Misérable cloporte ! Pour qui te prends-tu ? »

 

Je me frottais les yeux pour mieux comprendre ce qui se passait, et je voyais alors maman s’en prendre violemment à notre père, pendant qu’Helga observait la scène d’où elle était, allongée sur le sol, souriant de ce qu’elle voyait. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais en voyant maman aux prises avec papa, j’ai eu un réflexe de défense, et je me suis approchée de maman, me blottissant contre elle, comme pour la protéger. Un geste stupide. Comment aurais-je pu la défendre au vu de ma petite taille ? D’autant que Maman n’avait clairement pas besoin de mon aide. Ce qui suivit découlait de ma stupidité, maman détournant son attention de papa, celui-ci en profitait pour s’enfuir, et sortir de la maison. Nous entendions ses cris au-dehors, et peu de temps après, des hommes s’introduisirent dans la maison, s’emparant de maman, me séparant d’elle. Je fus projetée au sol pendant que maman était attachée, sans qu’Helga et moi puissions faire ou dire quelque chose, tétanisées par ce qui se passait devant nos yeux, auquel se rajoutait les cris de maman :

 

« Misérables vermisseaux ! Vous paierez pour ça ! Je vous maudis ! Vous entendez : je vous maudis tous ! »

 

Ensuite, maman fut emmenée au dehors, et on ne l’a plus revue pendant des années, restant seules avec cet étranger qu’était notre père, ce qu’Helga n’a jamais pu pardonner à maman, persuadée qu’elle nous avait abandonnées. Un sentiment qui la rongeait chaque jour un peu plus, développant sa fureur envers les habitants du village en son for intérieur, les rendant responsable de la fuite de notre mère, sans qu’elle ai pu expliquer la raison de son absence. Nous avons donc vécues plusieurs années ainsi, dans le doute. Si au départ, Helga tenta de croire en mes paroles sur le fait que maman reviendrait bientôt, plus les années passaient, plus elle ne croyait plus en ce que je disais, en cet espoir de son retour, et se confortant dans le fait qu’elle nous avait lâchement laissées entre les mains de notre bourreau de père. Je dis bien bourreau, car nous devenions ses souffre-douleur, se défoulant sur nous pour des raisons futiles, nous utilisant comme des domestiques pour diverses tâches. J’ai tentée plusieurs fois de le raisonner, de demander pourquoi il nous faisait subir tout ça, mais à chaque fois, la réponse était la même :

 

« Pourquoi je fais ça ? Parce que je ne peux pas le faire sur votre mère, tout simplement. Parce que vous êtes des monstres, fabriquées par elle. En tout cas, Helga en est un… »

 

Puis observant avec insistance mes yeux :

 

« Pour toi, je ne suis pas encore sûr… Mais tu portes forcément les mêmes germes de mal que ta mère et ta sœur »

 

Des paroles qui servirent de prétexte à Helga pour tester sa résistance aux coups, pour voir à quel point notre faculté de guérison de régénération pouvait aller. Elle narguait sans cesse notre père, cherchant à ce qu’il la frappe le plus fort possible, allant toujours plus loin dans la recherche de la souffrance :

 

« Eh bien vas-y… Qu’est-ce que tu attends ? Frappe-moi encore… Je sais que tu en meure d’envie… Frappe-moi pendant que tu le peux encore »

 

Dans ces moments-là, je ne faisais que pleurnicher, demandant à Helga pourquoi elle disait ça. Répétant en boucle que je voulais que maman revienne, que papa était trop méchant avec nous. Ce à quoi Helga rétorquait :

 

« Tais-toi Idiote ! Tu pense vraiment que j’ai mal ? Ce sont des caresses pour moi. Et arrêtes de l’appeler Père ! Il ne le mérite pas ! Et ce n’est qu’un humain de toute façon… Et maman nous a abandonnées ! Je la déteste elle aussi pour nous avoir laissées ici…»

 

Je lui criais qu’elle n’avait pas le droit de dire ça ! Que maman reviendrait un jour, j’en étais sûre… Elle reviendrait pour nous libérer. L’évocation de notre mère faisait redoubler la colère de notre père sur nous, s’acharnant sur moi à m’en faire pleurer sans discontinuer, pendant qu’Helga riait à chaque coup de poing qu’elle recevait, chaque coup de pied porté sur son corps, chaque blessure se formant sur ses bras ou ses jambes. Fixant notre père de yeux toujours plus vifs. Ce dont j’étais encore incapable. Au bout d’un moment, voyant que ses coups ne causaient aucune lésion durable, celles-ci guérissant aussi soudainement qu’ils leur donnaient naissance, papa s’arrêtait, exténué des efforts fournis à se déchainer sur nous, et lassé des rires d’Helga.

 

« Encore ! Encore ! Pourquoi tu t’arrêtes ? J’en veux plus ! Encore plus ! »

 

Mais ça, ce n’était rien en comparaison de ce qu’Helga m’obligeait à faire en l’absence de notre père, bûcheron de son état. Dès que celui-ci partait de la maison, elle m’entrainait avec elle, afin de l’aider à assouvir sa soif de sang et de violence comme elle disait. Prétextant que les caresses de notre père ne permettaient pas de lui donner ce qu’elle voulait. Elle savait que j’attirais les regards des garçons du village, bien plus qu’elle dont les attitudes de garçon manqué faisaient fuir le moindre prétendant. Alors elle profitait de cette propension involontaire de ma part d’aimant à garçons, telle qu’Helga me désignait. Me faisant poster sur un coin de rue, comme attendant quelque chose.

 

Le stratagème était rôdé, et il ne fallait pas longtemps avant que je sois abordée, et que je parvienne à le convaincre de me suivre près du petit bois, à l’abri des regards indiscrets, suivant en cela les recommandations d’Helga, qui suivait toutes les étapes de séduction. Une fois aux abords de la forêt, je montrais un arbre bien défini à la future proie, qui me suivais bien docilement, comme un petit chien à qui on promettait le plus beau des os. A peine arrivée, et profitant que le prétendant plonge son regard dans le mien, Helga se montrait, sortant de derrière l’arbre servant de lieu de sacrifice, ne laissant pas le temps au pauvre garçon de réagir. D’un coup, elle lui tranchait la gorge à l’aide d’un bout de verre enrobé d’un tissu. Une arme de fortune, simple mais efficace, et surtout qui pouvait facilement se renouveler et se jeter sans que ça se remarque. Au contraire d’un couteau dont l’absence aurait forcément attiré l’attention de notre père. C’est là que le sadisme d’Helga entrait en jeu, alors qu’elle me tendait un autre verre, comme celui ensanglanté qu’elle tenait :

 

« Vas-y Liv ! à ton tour ! Regarde : tu as juste à planter le verre ici, trancher la chair de ses bras. Fais-le doucement : il ne faudrait pas qu’il meure trop vite. Je tiens à voir la vie s’enfuir de lui petit à petit. Pendant ce temps, je m’occupe de ses jambes. Et après ça, on passera au final »

 

Elle me montrait alors ses ongles qui s’allongeait, ses dents qui passaient de leur forme rectangulaire à celle de triangles aiguisés, prêts à se planter dans le corps et à déchiqueter le pauvre garçon servant de défouloir à Helga. Elle savait que je détestais quand elle m’obligeait à tuer. Les premières victimes, elle s’était contentée de me forcer à regarder, s’appliquant à découper lentement le corps. Et une fois que la vie n’était plus présente dans le corps, s’acharnant à dépecer à coups de dents et d’ongles le reste, afin de faire croire à l’attaque d’un animal, tel un ours ou un loup, qui étaient en grandes quantités dans la région. Mais après, elle a tenu à ce que je participe moi aussi, afin que je franchisse à mon tour la ligne, tout comme elle. Comme une vraie sœur se doit de le faire. C’était le prétexte qu’elle me sortait à chaque fois que j’hésitais, me prenant la main pour m’aider le cas échéant, pour s’assurer que je ne m’enfuirais pas en courant.

 

« C’est très bien, Liv. Tu es de plus en plus douée, tu sais ? Tu me fais très plaisir, ma chère petite sœur adorée… »

 

Et moi, je n’osais rien dire, je faisais comme elle me disait de faire, car j’avais trop peur de subir le même sort si je refusais. J’avais bien trop peur d’elle et de ce qui adviendrait si je ne m’abaissais pas à suivre ses traces. Je suis devenue une meurtrière à cause d’elle. Je suis devenue un monstre à cause d’elle. Usant des mêmes facultés qu’elle. Les yeux rouges, les ongles, les dents. J’étais son parfait sosie dans le meurtre sauvage. J’étais sa prisonnière, sa complice, et elle le savait. Elle savait que jamais je n’oserais me rebeller contre elle, contre les horreurs qu’elle m’obligeait à faire. Même le jour où on s’en est pris à Karel, le fils de notre voisin. Toutes les deux on a senties qu’on nous observait, alors que le corps du jeune garçon gisait au sol, baignant dans une mare de sang coulant sur la terre. Helga a dit qu’elle sentait la haine de notre père venant d’un fourré. Il nous avait vues avec le corps de Karel. On ne savait pas depuis combien de temps il était là, mais il savait maintenant qu’on était à l’origine des morts, et que les loups ou les ours n’avaient rien à y voir. Et puis un soir, notre père s’est encore plus déchainé sur nous, alors qu’une nouvelle disparition d’un des garçons du village avait été annoncée. Il savait que nous étions à l’origine de ça. Il savait même que nous nous dévêtissions pour opérer à notre « rituel », afin de ne pas laisser de traces de sang sur nos habits, et semer le doute. Ce soir-là, alors qu’il nous frappait avec effervescence, et qu’Helga riait de plus belle, incitant à ce qu’il nous frappe toujours plus, la porte arrière de la maison s’est ouverte avec fracas, et une voix familière se fit entendre :

 

« Arrête ça, misérable humain ! Je t’interdis de poser la main à nouveau sur mes enfants ! »

 

Helga et moi n’en revenions pas, et papa arrêta aussitôt ses coups :

 

« Yrsa ? Co… Comment tu peux être là ? Je te croyais morte depuis tout ce temps… Je pensais que l’Eglise s’était débarrassée de toi… »

 

Pour ma part, j’étais tellement heureuse. Je savais que maman ne nous avait pas abandonnées, et je me précipitais vers elle, des larmes de joie, cette fois, coulant sur mes joues. Mais Helga s’interposait, stoppant ma course, avant de s’adresser à notre mère :

 

« Tu manque pas de culot, maman. Tu nous a laissées subir les coups de cet homme pendant des années, et tu crois qu’on va t’accueillir à bras ouverts ? Pour ma part, tu ne vaux pas mieux que celui qui se prétend notre père… »

 

Je disais à Helga qu’elle était injuste. Que maman avait été enfermée loin de nous contre son gré. Mais je ne pus pas terminer ma phrase. Déjà, Helga avait foncée sur maman, et tranchée sa gorge avec ses ongles qu’elle venait d’allonger, avant de s’acharner sur elle comme elle le faisait avec nos victimes du village. Je lui criais d’arrêter, qu’elle était folle, mais elle se contenta de se retourner, s’adressant à moi :

 

« On a pas besoin d’elle ! Tout ce qu’on sait, on l’a appris par nous-mêmes… Notre nature, notre besoin de tuer, le moyen d’attirer nos proies, nos facultés de régénération… Où était-elle quand on avait besoin d’apprendre tout ça ? Elle est inutile, et elle n’aurait jamais du revenir… »

 

Au même moment, maman, agonisante, tentait de faire revenir Helga à la raison :

 

« Helga… S’il te plait… Je suis ta mère…Comment tu peux me faire ça à moi ? »

 

Imperturbable, Helga lui répondait :

 

« Eh bien quoi ? C’est pas ce que tu voulais ? Que l’on devienne comme toi ? Tu peux mourir tranquille alors… Je vais tellement te charcuter que tu n’auras pas le temps de te régénérer, et après ça cette idiote de Liv arrêtera de me saouler avec le fait que tu vas revenir… »

 

Pris d’une colère intense, je fonçais sur Helga, mes yeux rouge vif se montrant à notre père, qui les voyais sur moi pour la première fois, mais Helga freina ma course en m’occasionnant une profonde blessure à ma jambe droite, et me faisant tomber au sol, juste avant de sourire :

 

« T’inquiètes pas : tu va vite guérir »

 

Elle se tournait alors vers maman

 

« Bon, on en étais où ? »

 

Continuant son déchainement de coups sur maman, cette dernière succombait rapidement, ses facultés de guérison ne parvenant plus à suivre les attaques, et elle restait sans vie sur le sol. Helga revint vers moi, m’aidant à me relever, ma blessure s’étant déjà refermée, et m’entrainant à la suivre au-dehors, non sans adresser un dernier message à notre père :

 

« C’est ici que notre vie commune se termine. Après un coup comme ça, ça risque d’être compliqué de cacher notre nature aux yeux du village. Les habitants vont faire le rapprochement avec les autres meurtres. Dommage : tes petites séances de coups envers moi vont me manquer… Mais toutes les bonnes choses ont une fin… »

 

En sortant, j’observais le corps lacéré de maman, pleurant comme jamais il ne m’était arrivé de le faire, tout en donnant mon ressentiment à ma sœur :

 

« Je te déteste ! »

 

« Moi aussi, je t’aime. Au lieu de pleurnicher, suis-moi… »

 

Nous partîmes alors de cette maison qui avait été le point de départ de notre vie, laissant notre père expliquer ce qu’il pourrait aux villageois sur la présence de notre mère et la manière dont elle avait été massacrée. Les semaines, les mois suivants ne furent qu’une succession de meurtres toujours plus violents, selon le bon plaisir d’Helga. Moi, dans le même temps, je commençais à prendre goût à cette nouvelle vie, car je n’avais plus cet espoir qui m’empêchait de plonger dans la noirceur voulue par Helga. Maman était cet espoir. Maintenant qu’elle n’était plus, j’avais un autre objectif : la vengeance. Jamais je ne pourrais pardonner à Helga ce qu’elle avait fait.

 

Pour autant, je n’avais pas encore la force nécessaire pour l’affronter et lui faire subir la même chose qu’à maman. Alors, je m’appliquais à suivre ses directives, devenant un exemple d’élève studieuse, et une sœur attentionnée, protectrice. Je refusais qu’une autre personne que moi la tue. Cela prendrait peut-être des années pour arriver au même niveau de monstruosité qu’elle, mais je m’accrochais à ce nouvel espoir. Elle devenait mon objectif, le but ultime qui me ferait s’accrocher à ce monde. J’ignorais ce que je ferais après l’avoir fait rejoindre les centaines de victimes mortes sous ses coups, et aussi des miens dorénavant. Peut-être tenterais-je de trouver une place quelque part, loin des humains, loin de tout. Un havre de paix pour un monstre tel que moi. Si tant est qu’un tel endroit puisse exister. Mon destin est sans doute de mourir à mon tour. Mais pas avant qu’Helga paie pour maman. Je me le jurais, et je n’aurais de cesse de vivre jusqu’à ce que je parvienne à cette finalité…

 

Publié par Fabs