29 déc. 2020

MEFIEZ-VOUS DU NOUVEL AN !

 


J’ai longtemps cru que tout ce qui a trait aux divinités antiques et ses dérivés n’étaient que le fruit de croyances dus à de l’incompréhension des forces de la nature. Une manière pour l’homme de donner une explication à ce qu’il ne comprenait pas, en donnant son origine à des êtres fabuleux et invisibles pour les êtres humains, vivant dans un royaume tout aussi incroyable et féérique, et surveillant les moindres faits et gestes de nous, pauvres mortels, et n’hésitant pas à nous punir pour nos fautes blasphématoires, allant à l’encontre des doctrines érigées par « ceux d’en haut ». L’histoire a montré que ces fameux Dieux n’étaient en fait que des créations bien humaines, construites par des hommes bien réels, avides de pouvoirs, utilisant ces symboles pour mieux asseoir leur contrôle de clans, de tribus, voire de civilisations entières. Il suffit de voir le pouvoir exercé par les prêtres durant le règne des Pharaons, la Rome antique ou encore la Grèce pour s’en convaincre. Même les monarques, les empereurs, les rois, craignaient de provoquer la colère des Dieux en s’en prenant aux prêtres et leurs attributs.

 

Aujourd’hui, tout ça peut paraître désuet et ridicule aux yeux de beaucoup. Ces mêmes personnes qui idolâtrent un Dieu unique pour les mêmes raisons que le faisaient les anciennes civilisations, et ce depuis l’ère préhistorique. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, la religion passe par des solutions plus extrêmes pour obtenir plus de fidèles, surtout au Moyen-Orient, et ce au détriment des non-croyants, à coups d’actes terroristes, de guerres fratricides et de conflits à l’intérieur même de gouvernements fragiles. Quand on y regarde de plus près, on ne voit pas de grands changements par rapport aux institutions religieuses des civilisations antiques. Maintenant, chacun croit ce qu’il veut, le principal étant de respecter le choix de ceux qui ont choisis de croire en un Dieu, quel qu’il soit. Là où je voulais en venir, c’est que je suis un pur athée. Je ne crois qu’en ce que je vois. Et tant qu’on ne m’a pas prouvé l’existence de quelque chose, je mets ça sur le registre des Mythes et Légendes qui font de notre monde un territoire vaste et varié, rempli des mystères les plus emblématiques propres à chaque croyance. 

 

Mais ma position a changé depuis quelque temps. Je ne suis plus si sûr de ce que je crois, ou plutôt de ce que je ne crois pas. Plus précisément de ce que je ne croyais pas, car ma position sur ce fait a nettement changé depuis que j’ai rencontré l’un d’entre eux. Ou du moins sa représentation humaine. De nature, les Dieux sont censés être immense, à la hauteur de ce qu’ils représentent devant les êtres inférieurs que nous sommes face à leurs puissance et leurs pouvoirs. Pouvoirs qui sont loin d’être usurpés, croyez-moi. Pourquoi je vous dit ça ? Tout simplement parce que je les ai vu à l’œuvre ces pouvoirs.  Par l’un d’entre eux. Et pas des moindres, puisqu’il s’agit de Janus, le Dieu aux 2 visages. L’un dirigé vers le passé, l’autre vers l’avenir. Il est connu comme le gardien de l’équilibre de l’humanité et des dimensions. C’est lui qui est capable d’ouvrir les portails reliant les différents mondes représentants le passé, le présent et l’avenir. Tant que ceux-ci restent séparés l’un de l’autre, le monde garde un semblant d’existence. Mais s’ils venaient à se mélanger, ce serait le chaos le plus total. Et c’est bien ce qui s’est passé au sein de la petite ville où je vivais. J’ai bien dit vivait, car aujourd’hui la ville a été rayée de la carte, et l’intégralité de ses habitants ont été anéantis, après avoir sombré dans la folie la plus totale, devenant des meurtriers en puissance, massacrant sans aucun état d’âme tout ceux qu’ils croisaient : hommes, femmes, enfants, animaux, … rien ne leur échappaient. C’est bien simple. S’il fallait donner une représentation de l’enfer sur Terre, TearCity serait le meilleur exemple. TearCity : rien que son nom aurait dû donner une forme d’alerte. Je ne sais pas qui lui a donné son patronyme, mais je me demande aujourd’hui si son destin n’était pas scellé à l’instant même où ce nom a été donné.

 

En anglais, Tears, ce sont les larmes. Et des larmes, il en a coulé en l’espace de seulement quelques semaines. Des larmes de sang pour la plupart. Et tout ça à cause de nous. A force de conflits, de mensonges, de manipulations sur nos voisins, nos amis, nos frères, nos enfants, nous avons provoqué le courroux de ces Dieux qu’on pensait n’exister que dans les livres. Mais je peux vous assurer qu’ils sont bien réels. En tout cas l’un d’entre eux. Janus, dont je vous ai parlé précédemment. Janus, historiquement, est celui qui permet de garder l’équilibre le 1er Janvier. Il ouvre le portail vers la nouvelle année, tout en laissant l’année passée derrière, avec ses erreurs, ses ressentiments, ses souvenirs. Puis il ferme le portail, afin que les effluves de l’année passée n’envahissent pas l’année à venir, et ne perturbe sa teneur, son essence. 

 

Seulement, Janus, à force de voir tout ce que l’être humain est capable de faire à son prochain, il s’est demandé s’il était vraiment nécessaire de permettre aux hommes de ne pas succomber en les aidant à créer une nouvelle année pleine d’espoir, au vu de ce qu’ils en faisaient ensuite, à coups d’actions parfois pire que l’année précédente. Alors, il a eu une idée : mettre l’homme à l’épreuve en lui montrant un aperçu de ce qui se passerait s’il n’empêchait pas de réguler le flux du passé de se déverser dans le présent et l’avenir. Provoquant le chaos le plus total. Mais dans un souci de magnanimité, il a voulu le faire sur un territoire restreint, sous forme de message visuel. Et, comme il me l’a fait savoir, il le ferait chaque année, dans une ville différente, jusqu’à ce que l’homme décide de cesser ses exactions continuelles. Jusqu’à ce qu’il juge que le temps sera venu de ne plus restreindre son champ d’action à une seule ville, mais au monde entier. Autant vous dire que, au vu du mode j’men foutiste de l’être humain, j’ai bien peur que le jour de l’Apocalypse survienne dans quelques années, et s’il ressemble, en version étendue, à ce que j’ai vu à TearCity, ça va être un véritable massacre au sens véritable du terme. 

 

Entendez par là que les évènements auquel j’ai été témoin vont radicalement vous faire changer d’avis sur l’existence des Dieux et leurs pouvoirs. Mais pour mieux comprendre, il vaut sans doute mieux que j’explique ce qui s’est vraiment passé à TearCity. Certains d’entre vous en ont peut-être entendu parler, mais ils n’en ont vu que ce que les médias ont bien voulu faire voir. La réalité était bien pire. Même ceux qui, comme moi, l’ont aussi vécu, ont encore du mal à croire ce qu’ils ont vu sur place, tellement le spectacle était un carnage à tous les points de vue. Et si je vous relate ça aujourd’hui, c’est que le 1er Janvier approche à grand pas. Les évènements relatés date de l’année dernière, mais si vous n’y prenez pas garde, cette année, c’est une autre ville qui va servir de terrain de démonstration à Janus, et j’ignore laquelle.

 

Tout a commencé le 5 décembre 2019 donc, à TearCity, une petite ville perdue de l’Arkansas, avec l’arrivée d’un nouveau psychiatre au sein d’un quartier tranquille de la cité, remplaçant son prédécesseur, qui, à force de soigner les fous, avait fini par sombrer lui aussi dans la folie. Ça c’était la version officielle. En réalité, Janus avait un peu aidé cette folie à s’installer dans ce brave psychiatre. Il avait besoin d’un poste déclencheur pour le plan qu’il avait conçu, et le métier de psychiatre était idéal pour ce qu’il avait prévu. Mais il lui fallait un poste déjà bien fourni en victimes, pardon, en clients. Et c’est là que j’interviens. 

 

Ah, j’ai oublié de me présenter : je m’appelle Clint Carver. Je suis agent immobilier, spécialisé dans la reprise de cabinets dans le domaine de la médecine, et c’est moi qui ai fourni l’élément de base à Janus, à savoir ce cabinet d’où toute cette folie est partie. J’ignore toujours pourquoi Janus m’a confié ses plans, ce qu’il avait prévu de faire subir à la ville. Aujourd’hui, je me dis qu’il avait besoin d’un témoin de ses pouvoirs, de ce qu’il pouvait créer, du chaos qu’il pouvait engendrer, afin que je prévienne l’humanité de ce qui l’attendait si elle ne changeait pas. Une tâche énorme auquel je ne suis pas vraiment sûr de pouvoir parvenir à établir, mais maintenant, avec ce que je sais, je ne peux plus m’y soustraire. Pas avec toutes les horreurs que j’ai vu. J’aimerais autant éviter que cela recommence cette année, dans une autre ville. Pour en revenir à ma relation avec Janus, quand je lui ai présenté ses locaux, j’ai été surpris par le fait qu’il semblait déjà à l’aise en ce qui concerne la constitution des bureaux. Comme s’il les connaissaient déjà. Ce qui était le cas, mais je ne l’apprendrais que bien plus tard. On est très vite devenus amis, du moins c’est ce que Janus avait tenté de me faire croire. Mais c’était bien avant que je découvre ce qu’il était, et ce qu’il projetait de faire.

 

Pour dire la vérité, je ne m’intéressais pas particulièrement à ses activités de psychiatre, étant plus que néophyte en la matière, mais à force de sorties sous forme de tournée des bars, où je pus découvrir les premières prémices de ses capacités, même si, sur le coup, je prenais ça plus pour une résistance assez exceptionnelle à l’alcool qu’à autre chose. Il était capable d’engloutir l’équivalent de 3 tonneaux de bière en une soirée sans qu’il en ressente un seul effet. Il m’avait dit qu’à une époque il avait battu Bacchus lui-même à un concours de beuverie. Sur le coup, j’ai pris ça pour une plaisanterie, mais maintenant que je sais qui il est vraiment, je sais bien que c’était loin d’en être une. Et si lui et Bacchus existent, alors tous les autres Dieux aussi. Sauf que la plupart se sont désintéressé de la question humaine, bien plus occupé par la création d’un autre univers, dans une autre dimension, où ils pourraient à nouveau asseoir leur importance envers d’autres créatures. Seul Janus et quelques-uns sont restés au sein de notre dimension, refusant d’admettre d’avoir été oubliés par ceux qu’ils ont créés.

 

 

Enfin, bref, plusieurs fois, Janus m’a demandé d’assister à une de ses séances avec ses clients. C’était curieux et non professionnel comme demande. Ces séances sont censées être privées, et ne concerner que lui et ses patients, secret médical oblige. Mais lui ne semblait pas être trop préoccupé par cela. Au contraire, il voulait qu’on sache ce qu’il faisait. Un comportement inhabituel pour un professionnel de la médecine, et troublant. Tellement troublant que finalement j’ai accepté sa proposition, et j’ai assisté à une de ses séances. Pour mieux comprendre, depuis qu’il était arrivé, mais je n’avais pas encore fait le lien à ce moment-là, une vague de crimes a commencé à faire parler d’elle. De plus en plus imposante. Au début, ce n’était que des petits délits plus que des crimes graves à proprement parler, mais qui s’intensifiaient de jour en jour. Une semaine après l’arrivée de Janus en ville, le nombre de crimes, allant du braquage avec violences au tabassage en pleine rue augmentait sans cesse, et la police ne savait plus sur quel pied danser. Alors quand j’ai su le contenu de ces séances, j’ai bien vite fait le rapprochement avec la vague de violences qui secouait la ville, mais je ne pouvais pas le prouver.

 

Au début de ladite séance, Janus hypnotisait son patient, mais le truc bizarre, c’était que, contrairement à ce qu’on voit dans les films traitant de cette technique, il n’utilisait aucune artifice ou objet pour concentrer le regard de son patient. Ni pendule, ni montre ou assimilé. Juste son regard. Pénétrant. Profond. Irréel. C’était vraiment flippant quand il regardait son patient de cette manière. Par moment, j’avais l’impression qu’une lumière émanait de son iris. Une lumière légèrement bleutée qui se reflétait dans les yeux de sa « cible ». Comme si un rayon, sous forme de halo luminescent se projetait de ses yeux dans ceux de la personne en face de lui. Et en quelques secondes, la personne était en transe. Ça aussi c’était inhabituel. Je ne me prétendais pas expert, mais je savais qu’il fallait plus de temps que ça pour que quelqu’un entre en transe de manière aussi profonde. Mais le plus inquiétant, c’était après. Janus faisait ressortir ce qu’il y avait de pire en la personne en face de lui. Parvenant à le faire refouler dans ses souvenirs les plus anciens, ses vies antérieures comme il m’avait expliqué. Des existences pas toujours et même rarement tendres et en phase avec la personne que l’on voyait allongée sur le sofa du cabinet de Janus.


Certains vivaient à l’époque romaine, et semblaient même connaître Janus pour lui avoir voué un culte, incluant des sacrifices humains, d’autres étaient des bandits de grands chemins n’hésitant pas à égorger les riches marchands qu’il détroussaient. Ou encore des politiciens véreux recourant au meurtre pour acquérir plus de pouvoir. A chaque fois, des personnalités monstrueuses ressortaient de ces séances. Car oui, je ne me suis pas limité à une seule. Devant l’insistance de Janus, j’ai assisté à des dizaines de ces séances… particulières, où Janus ne semblait pas intéressé de soigner ses patients, mais au contraire, il les poussait encore plus dans leur folie et leur mal, allant même à leur mettre un couteau dans les mains, et leur demandant de le poignarder. Quand l’un d’eux planta Janus, je voulus intervenir, mais il m’en empêcha d’un signe de la main. Me disant qu’il ne craignait rien. Que ça faisait partie de sa thérapie de les pousser dans leurs derniers retranchements afin de mieux les libérer. J’étais loin de m’imaginer ce qu’il voulait dire à ce moment quand il indiquait vouloir les libérer. Pour Janus, ça signifiait faire ressortir leurs pulsions meurtrières cachés au plus profond d’eux, et les pousser à commettre les pires atrocités. Je trouvais sa méthode plus que bizarre et je lui en fis part. Lui demandant comment il pouvait espérer guérir un patient de la sorte, en l’incitant à aller toujours plus loin dans sa folie et ses instincts. Que c’était même dangereux. Qu’ils pouvaient recourir à la violence en dehors de son cabinet, rien que pour obéir à leur thérapie de « liberté » de conscience.

 

Je n’oublierais jamais sa réponse. Il m’avait dit que c’était justement le but recherché. Qu’il se foutait de les guérir. Car, de toute façon, ils étaient comme tous les êtres humains qu’il voulait punir : des bombes à retardement du meurtre et de la violence qui ne demandaient qu’à pleinement s’assumer dans leurs actes cachés dans leur for intérieur. Des mots durs et dénués de toute morale et d’éthique, que j’avais du mal à croire qu’ils venaient d’un psychiatre digne de ce nom. C’est là qu’il m’avait dit qu’il n’était pas un vrai psychiatre. Qu’il était un Dieu déçu du comportement de l’être humain. Et que la meilleure manière de punir les hommes, c’était de leur montrer ce qu’ils étaient réellement les uns aux autres. Que c’était la seule manière de les sauver d’eux-mêmes, en éradiquant les faibles, et en s’auto-détruisant, afin de ne laisser que des éléments de folie pure, s’annihilant en commettant les pires actes possibles, pour ne laisser que les êtres les plus valables. 

 

Ceux qui auraient su comment leur échapper. Que TearCity était un terrain d’expérimentation pour montrer au monde entier jusqu’où la folie humaine était capable d’aller, pour les faire culpabiliser, leur faire peur, leur indiquer le chemin à ne pas suivre, mais que ça prendrait sûrement des siècles pour arriver à l’objectif qu’il s’était fixé. Bien entendu, je ne l’ai pas cru ce jour-là. Je lui ai dit que les Dieux n’existaient pas, mais que par contre lui semblait avoir un sérieux grain pour faire ce qu’il faisait. J’aurais mieux fait de me taire. Je pense qu’en disant ça, je l’ai vexé. Et il a changé. Physiquement. Ses bras se sont mis à gonfler, laissant apparaître ses veines, grossissant à vue d’œil. Ils ont grandi de manière exponentielle, tout comme ses jambes, son corps. En quelques secondes, il avait atteint une taille de géant, dont la tête touchait le plafond. Parlons-en de sa tête. D’un coup, il se mit à la tourner, et je découvris qu’il avait 2 visages. Un doté d’un rictus presque démoniaque, sourcils froncés, aux lèvres noires comme la nuit. L’autre évoquant la tristesse, comme ayant supporté le poids des ans, vieux, blanc, les yeux cernés. J’étais terrorisé de cette vision. Je voulus tenter de m’enfuir, mais impossible d’ouvrir la porte. Il me demanda de sa voix rauque si maintenant je ne croyais toujours pas aux Dieux, et s’il fallait qu’il me coupe une à une toutes les parties de mon corps pour qu’il comprenne qu’il existait, et qu’il était là, devant lui. Je tombais à genoux, les larmes aux yeux, persuadé que ma dernière heure était venue. Contre toute attente, Janus m’indiqua son véritable nom, son origine, son histoire, son but à travers ces thérapies, presque tout, afin de s’assurer ma compréhension et mon attention.

 

Ce jour-là, il me dit qu’il était lassé de cette comédie, et que désormais, il allait accélérer le processus en allant voir directement ses patients chez eux, avec leur famille. Que s’il ne croyait toujours pas en son existence et ses pouvoirs, que je devrais me balader attentivement dans les rues, une fois sorti de ce cabinet, pour voir à quel point l’homme est un animal avide de sang et de puissance, dès lors qu’on fait ressortir ses instincts primaires enfouis en lui. Je transpirais comme jamais j’avais transpiré, envahi par une peur indescriptible face à la créature qui se trouvait en face de moi, et qui remettait en question tout ce que je pensais savoir, explosant en mille morceaux mes convictions d’athée convaincu. Il reprit bientôt peu à peu les dimensions dans lesquelles je l’avais connu, en me demandant à nouveau de sortir afin que je puisse mieux juger de l’étendue bestiale de l’être humain. 

 

Renouvelant ce qu’il m’avait dit que tout ceci était un test pour montrer au reste du monde ce qu’il adviendrait s’il n’équilibrait pas les mondes. Et que ce n’était pas fini. Maintenant, il allait parfaire son plan, en mélangeant les dimensions du passé, du présent et du futur au sein de cette ville, accentuant encore plus la folie déjà présente. J’obéis donc à sa demande, et je sortis du cabinet, pour découvrir toute l’étendue de sa puissance à travers les rues de la ville dans laquelle  j’avais grandi. C’était inimaginable : le ciel était envahi d’un épais nuage noir tourbillonnant où se chevauchait des éclairs de différentes couleurs, et où virevoltaient des bâtiments semblant tout droits sortis des livres d’histoire. Empire romain, moyen-âge, renaissance, japon féodal, époque des colonies, et plus encore. Mais aussi des structures étranges que je n’avais jamais vu, aux formes géométriques improbables. Mais le pire n’était pas en haut, mais dans les rues. Tous les habitants semblaient être en proie à la folie la plus totale, courant sans savoir où aller, se tenant la tête, comme persuadés que celle-ci allait exploser, criant aux « voix » de les laisser tranquille. Ici et là, des hommes, des femmes déambulaient dans les rues, munis de couteaux, de haches, ou d’autres armes de toutes sortes, plus dangereuses les unes que les autres, massacrant toute personne qu’ils croisaient, à coups de tranchage de gorge, de démembrements le sourire aux lèvres, d’autres dévorants des bébés jetés par leurs mères par les fenêtres.

 

Ailleurs, des automobilistes fonçaient sur les passants ayant le malheur d’être sur leur chemin, revenant plusieurs fois sur le corps de leurs victimes, comme pour s’assurer de leur mort. A d’autres endroits, des hommes se battaient à mort, frappant toujours plus fort leurs adversaires, jusqu’à qu’ils gisent à terre. Après coup, ils sortaient une lame pour les découper par pur plaisir, comme des trophées, jetant les morceaux autour d’eux. Plus loin une femme fracassait la tête d’un handicapé en fauteuil roulant contre un mur, avec une telle force que celle-ci se limitait bientôt à une bouillie humaine. Encore ailleurs, un homme armé d’un sécateur prenait pour cible les oreilles des gens qu’ils croisaient, dont il s’ornait en les accrochant à une ceinture macabre, pourvu de dizaines d’autres. Jamais je n’avais assisté à un tel spectacle aussi monstrueux et morbide. Le pire des films d’horreur était le summum de la douceur face à cette succursale de l’enfer sur Terre. J’étais atterré par ce que je voyais au fur et à mesure que je m’avançais dans les rues. 

 

Chaque portion de rue m’offrait encore davantage de morts affreuses, de sang, de boyaux et d’entrailles étalées sur des lampadaires, des bancs, eux-mêmes rougis par des litres et des litres de sang. Même l’herbe avoisinante des parterres fleuris était maculée de morceaux de chair, je trouvais des yeux sortis de leur orbite sur lesquels je marchais par inadvertance, provoquant un craquement morbide sous mes pieds. L’horreur que je voyais n’avait même plus de nom. A chaque pas, j’espérais que j’allais me réveiller, que tout ceci n’était qu’un cauchemar immonde dont j’étais le spectateur privilégié et impuissant. Mais ce n’était pas le cas, et je voyais toujours plus loin dans l’horreur, toujours pire, entre des enfants coupés en deux, dont les deux parties étaient placardées sur des affiches vantant les mérites de la viande, et un couple de vieillards qu’on avaient découpés en morceaux et réassemblés sur le corps de l’autre, formant un puzzle au-delà de tout ce qui pouvait être imaginé dans l’atroce. Et partout des cris venant de toute l’étendue de la ville, en proie à la folie la plus totale, véritable tableau vivant de ce qu’il peut y avoir de pire en ce monde, allant bien au-dessus de la plus horrible des guerres et ses cadavres jonchant le sol. Et pour mieux me désarçonner, aucun de ces fous furieux ne semblaient me voir ou m’approcher, sûrement selon la volonté de Janus qui m’avait expliqué que cette folie était dû à sa faculté de faire mélanger passé, présent et avenir. C’est comme ça qu’il opérait : en faisant se fusionner les esprits des gens de leur vies antérieurs et de leurs futurs, souvent horribles, au sein de leur vie actuelle. En résultait un état faisant dysfonctionner le cerveau, incapable d’assimiler toutes ces données dans un même espace, et formant cette folie que je voyais autour de moi.

 

Explosions de gaz, incendies, murs défoncés à coup de masses, véhicules ravagés par les flammes, avec bien souvent leurs propriétaires à l’intérieur, faisaient aussi partie du paysage mortel formant désormais la ville. Toute personne extérieure tentant de pénétrer en son sein étant immédiatement contaminé par la folie ambiante. Toutes les télés du monde retranscrivirent ces scènes toutes plus horribles les unes que les autres, sans la moindre compassion, fidèles à leur goût du spectacle, et sans état d’âme ni quoi que ce soit qui puisse faire abstraction des dires de Janus. C’est exactement ce type de comportement humain, de voyeurisme abject, qui avait conduit ce Dieu du Chaos à faire ériger ce monument de l’horreur. Devant l’impossibilité de faire quoi que ce soit, et pensant avoir affaire à un virus extrêmement virulent et contagieux, il fut décidé l’éradication totale et complète de la ville. 

 

Et ce malgré l’indignation suscitée par une telle décision. Un périmètre de sécurité de plusieurs dizaines de kilomètres fut mis en place, et la ville bombardée, afin de s’assurer l’élimination de toute traces et d’agents contaminants. Autrement dit : les infectés. Aujourd’hui encore, il est impossible de s’approcher de la ville. Des barricades ont été disposées tout autour de la ville pour parer à toute éventuelle contamination. Mais moi, je sais que tout ceci est inutile. Je sais que Janus n’a pas l’intention de s’en tenir là. Que chaque année, le Nouvel An sera le terrain d’un autre massacre généralisé. Peut-être même que le prochain sera sur une ville plus étendue que TearCity, avec des répercussions encore plus grandes. A ce rythme-là, d’ici quelques décennies de cette épuration, l’humanité se limitera à quelques individus, prouvant les propos de Janus, qui doit bien rire à cette perspective. Tout ça pour dire, maintenant que vous savez toute l’histoire, qu’il n’est pas trop tard pour empêcher l’éradication de notre espèce. Vous savez quoi faire désormais. Et surtout, si vous faites partie des nombreuses personnes à souhaiter une bonne année à vos proches et amis, repensez à mon histoire, et demandez-vous si vous ne serez pas les prochains à subir le sort de TearCity. Ne vous dites pas une bonne année, car vous ne savez pas combien de temps il vous reste à vivre, selon le bon vouloir de Janus, le Dieu aux deux visages, le Gardien du temps passé, présent et futur, le Dieu du Chaos.

 

Publié par Fabs

23 déc. 2020

TOUTES LES SIRENES NE SONT PAS GENTILLES (Partie 3)

 


Après cette nuit, je ne savais plus quoi penser de Krysta. Quelque chose en moi me disait qu’il fallait que j’arrête les actes de ce monstre sanguinaire, pendant que l’autre tentait de me persuader que ce n’était pas sa faute, qu’elle ne faisait qu’obéir à sa nature, son instinct qui lui intimait l’ordre de se nourrir. J’avais l’impression d’avoir le cœur coupé en deux, et je me demandais laquelle des deux parties finirait par prendre le dessus. Après être partie prendre un bain de mer, me laissant me morfondre seul, car encore sous le choc de la mort de Mr. Spenger, Krysta est venue me rejoindre près de la cheminée où je m’étais installé, regardant les flammes danser, perdu dans mes pensées noires. Elle est venue s’asseoir à côté de moi, me regardant comme une enfant consciente d’avoir fait une bêtise, mais ne sachant pas comment se faire pardonner. En tout cas, c’est ce que je croyais fermement. C’était l’idée que je me faisais de sa personnalité. Toujours ma foutue naïveté. Mais comment penser autrement en voyant son regard presque larmoyant et interrogatif. Pouvais-je imaginer un seul instant que ces yeux dépourvus de larmes nétaient que le reflet de la véritable Krysta, et que j’étais bien trop aveuglé par ma passion pour elle pour l’entrevoir, ne serait-ce qu’un instant.

 

« Je t’ai fait de la peine. Je le sais. Mais je n’y peux rien. Je suis comme ça. Je ne peux pas aller contre ma nature. Je sais que tu ne me pardonneras pas d’avoir mangé ton ami. »

 

Je la regardais fixement. Je crois que c’était la première fois qu’elle semblait éprouver des regrets à propos de ses actions. Mais était-elle sincère ? Aujourd’hui, je sais que non, alors même que mon sang se déverse sur le sol de ma maison, et qu’une véritable apocalypse d’une ampleur inimaginable se dirige vers notre petite ville si paisible autrefois. Avant la venue de Krysta. Mais pas seulement elle. Elle n’était au fond qu’un émissaire de quelque chose de bien plus terrible. Une armée. Une armée des abysses. 

 

Et ce n’était que la face visible de l’iceberg. Le secret et les objectifs du clan de Krysta allait bien plus loin encore dans l’horreur. Je n’oublierais jamais le regard de Krysta quand son père m’a blessé à mort, me laissant là, agonisant, pendant que celle que j’aimais par-dessus tout n’avait même pas posé un regard sur moi après ça, rejoignant son clan au dehors, comme si je n’étais qu’un déchet sans importance, maintenant que je lui avais donné ce qu’elle cherchait depuis le début. Le véritable sens de sa mission. Son point de départ en fait. La partie douce. La partie dure, je ne la verrais pas, car je serais sans doute mort entretemps. Mais pour l’heure, j’ignorais tout ça, et tout ce que je voyais devant moi, c’était la belle sirène dont j’était follement dingue. Dingue au point de tout lui pardonner, même les meurtres les plus affreux qu’elle allait commettre par la suite. Tous plus horribles les uns que les autres. Alors, je fermais les yeux, sans rien dire, et la laissais m’embrasser. Sa manière à elle de se faire pardonner pensais-je à cet instant. Et je me laissais embarquer dans une nuit intense de fusion de nos deux corps sur le sol du salon, et j’oubliais mes appréhensions envers elle.

 

Le lendemain, je demandais à Krysta de ne surtout pas sortir de la maison. Je devais me rendre en ville, histoire de faire bonne figure, en feignant l’ignorance quand au meurtre de Mr. Spenger.  Et aussi essayer de savoir, le plus discrètement possible, si quelqu’un avait eu le temps de voir quelque chose concernant Krysta… ou moi. Krysta me souriait, tout en s’approchant de moi. Le genre de sourire qui vous paralyse et vous fait régresser à l’état de cerveau d’adolescent, pour qui les filles sont la seule chose qui le fasse fonctionner. Elle posa ses bras autour de mon cou, plongeant son regard d’un bleu intense dans mes yeux.

 

« Tu peux partir tranquille. Je te promets que je ne tuerais personne aujourd’hui. »

 

Elle interrompit sa phrase, comme si elle réfléchissait à ce qu’elle allait me dire ensuite

 

« Mais il faudra quand même qu’on voie ensemble comment me nourrir, maintenant qu’il n’y a plus de boucher en ville. Tu sais combien j’ai besoin de viande. Je suis sûr qu’il y a plein de personnes que tu aimerais voir mourir sans oser le dire. Je pourrais être la solution à ça. »

 

Je n’en revenais pas du calme avec lequel elle m’avait dit ça. Pour elle, tuer des humains, c’était comme aller au marché. Nous n’étions à ses yeux que des barquettes de viande à engloutir, pour calmer son estomac, véritable gouffre sans fin. En comparaison, la fringale de Luffy, le héros du manga « One Piece », c’était un amateur. Ne sachant quoi répondre, je lui disais qu’on en discuterait plus tard. 

 

« Très bien. Alors bonne route. Et mes amitiés à Michael. »

 

J’étais vraiment sidéré de la façon dont elle avait sorti cette phrase. C’était vraiment comme s’il ne s’était rien passé de plus qu’une simple escapade nocturne sans la moindre conséquence. J’acquiesçais de la tête pour toute réponse, et sortit de la maison, non sans poser un dernier regard derrière moi, me posant la question si Krysta allait respecter sa promesse de ne pas faire de nouveau carnage en mon absence. Que ce soit ici, dans la maison, ou ailleurs. Mais je cessais de me torturer et prenais le chemin de la ville.

 

Une fois là-bas, je voyais que le meurtre de Mr. Spenger était sur toutes les lèvres, au centre de toutes les conversations. Il n’y avait pas une personne en ville qui n’en parlait pas. J’entendais les mots « monstre », « démon », « boucherie », « inhumain » à travers chaque coin de rue que je parcourais. Cela me faisait de la peine d’entendre ces mots qui désignait Krysta, sans qu’une seule fois j’entende une description, aussi petite soit-elle, de l’agresseur de ce brave Mr. Spenger. Et puis, je croisais Michael, qui recueillait encore des témoignages. Se gardant bien de ne pas rentrer dans la boutique, histoire de ne pas aller dégobiller son petit déjeuner dans une des poubelles de la ville. Il m’aperçut, et immédiatement il vint vers moi, pour me donner la « nouvelle ».

 

« Ah mon pote, tu n’imagines même pas la nuit que j’ai passé. Une horreur ! Je te passe les détails, mais on a retrouvé Mr. Spenger mort dans sa boutique. Tué d’une façon horrible. Enfin, le terme exact, ça serait plutôt « massacré ». J’ai failli vomir sur le corps tellement c’était horrible »

 

Bien entendu, je m’étais préparé à ce qu’il m’annonce ça, et je faisais semblant de rien, tout en affichant ma surprise, sans en faire trop. Michael me prit à part, pour ne pas trop faire de vagues. Il m’invita à venir à la maison boire un verre, pour qu’on puisse discuter de tout ça plus calmement. Il me dit que Samantha serait là. Ça lui ferait plaisir de me revoir. Je voulus lui dire qu’on n’était plus au lycée, que sa sœur et moi, c’était de l’histoire ancienne, mais Michael était déjà reparti prendre des dépositions. Au moins, j’étais rassuré sur une chose : à priori, personne n’avait vu quoi que ce soit sortir de la boutique. Ni Krysta, ni moi, ni même une silhouette. C’était déjà ça. Je fis donc le tour des boutiques, histoire de trouver des substituts de viande pour Krysta. Près d’une heure plus tard, je me rendais au domicile de Michael, comme promis. Samantha m’ouvrit la porte. Ça faisait bien 3 ans que je ne l’avais pas vu. Elle était revenue en ville depuis une ou deux semaines environ, d’après ce que Michael me dit. Elle venait de finir son master en psychologie, où elle avait fini dans le trio de tête. Ça ne m’étonnait pas vraiment. Rarement vu une fille aussi intelligente qu’elle. En plus d’être une vraie beauté. J’avais parfois du mal à croire que Michael était son frère. C’était vraiment les deux extrêmes. Pas que Michael n’était pas intelligent, bien au contraire, mais Samantha, à ce niveau-là, c’était au moins 6 crans au-dessus.

 

« Content que tu sois venu. Par contre, je te parlerais de l’histoire Spender plus tard. Je ne voudrais pas que Sam entende des détails un peu trop « croustillants », si tu vois ce que je veux dire. Je suppose qu’on a déjà dû te dire pas mal de trucs en ville, de toute façon. »

 

Je lui répondis que oui, en effet, je connaissais presque toute l’histoire. Comme si j’y étais. Quelle ironie dans cette phrase. J’en avais presque honte. J’acceptais le « deal », et on discuta. De tout et de rien. De Sam bien sûr, de la disparition d’Humphrey, de la foule de papiers qu’il devait faire suite à « l’évènement en ville »… et de Krysta. Quand Michael l’évoqua, je sentis que ça faisait quelque chose à Sam. Pour que vous compreniez mieux, Sam et moi, on est sorti ensemble quelque temps, lorsqu’on était à l’université. Le couple parfait. Les deux têtes du campus. Et ça faisait la fierté de Michael de savoir sa petite sœur chérie avec moi. On s’aimait beaucoup elle et moi. Enormément. On avait même projeté de se marier. Et puis, on a été séparé par la vie, comme on dit. Sam avait la possibilité de faire des études de droit, mais pour ça, elle devait aller loin, très loin de l’université. Et moi, je ne voulais pas faire le voyage avec elle. Je ne me voyais pas faire tout ce trajet dans un endroit où je n’aurais pas ma place. Je sais, c’était égoïste de ma part. Mais pour ma défense, j’étais jeune et con. Et puis, maintenant, il y avait Krysta. 

 

Mes sentiments pour Sam étaient disparus depuis longtemps, et plus encore depuis la rencontre avec ma sirène. Pour Sam, vu les yeux qu’elle me fit tout le temps où j’étais chez Michael, c’était différent. Il était évident qu’elle avait toujours de l’amour pour moi. Je dois avouer que c’était un peu gênant. Le temps passa, et je devais retourner à la maison, alors j’indiquais à Michael que je partais. Pendant que celui-ci rangeait les cadavres de bières sur la table, Sam me raccompagna à la porte. Je voulus dire quelque chose, comme pour m’excuser de la façon dont on s’était quitté, mais elle mit un doigt sur mes lèvres, histoire de me faire comprendre de me taire. Et au moment où je tournais la poignée de la porte, elle me prit le poignet, me demandant de me retourner, et voulant savoir si j’étais heureux avec Krysta. Vous vous doutez bien que je ne pouvais pas tout dire, alors je me contentais de dire oui, ne sachant pas quoi dire d’autre. Sam semblait satisfaite. Elle me demanda alors de fermer les yeux. Qu’elle voulait juste me faire un petit présent en souvenir de notre ancienne relation. Elle me disait que c’était une façon pour elle de mettre un terme à notre histoire. Que c’était important pour elle.

 

Que vouliez-vous que je fasse ? Vu la façon dont je l’avais larguée, je ne pouvais pas faire autrement que d’accepter. Alors, je fermais les yeux. Et Sam m’embrassa. Un baiser fougueux et passionné qui me fit revenir mes années lycée en tête en quelques secondes. Je voulus dire quelque chose, mais Sam me fit comprendre de me taire à nouveau, et elle m’ouvrit la porte, en me souhaitant tout le bonheur possible avec Krysta, et qu’elle espérait qu’elle, je ne lui ferais pas la même chose qu’avec elle. Comme je ne savais pas quoi dire, je me contentais d’hocher la tête, et je repartis vers la maison, pendant que Sam refermait la porte. C’était bizarre comme sensation. L’impression de trahir deux personnes en même temps. Moi et Krysta. Sauf que moi, je restais posé. Mais Krysta… Ce qui allait ensuite arriver, juste pour un simple baiser d’adieu, en souvenir de nos années tendresse, Sam et moi, j’étais loin de m’imaginer ce que ça allait déclencher. Vous avez déjà vu des films d’horreur ? Genre « Freddy », « Vendredi 13 » et les autres ? Eh ben, en comparaison de ce qui allait arriver, je peux vous dire que ces films, c’était des documentaires. Mais je brûle les étapes. Et j’allais découvrir qu’il ne faut pas croire aux promesses faites par une sirène. En tout cas, pas cette sirène-là.

 

A peine revenu à la maison, je retrouvais Krysta, assise sur une chaise, apparemment occupée à manger un truc sur la table. Sur le coup, je me disais qu’elle avait dû se prendre un des derniers steaks du frigo. C’était pas vraiment un steak. Enfin, pas au sens où on l’entend d’un point de vue humain. Je m’approchais d’elle. Elle semblait surprise, cherchant à cacher ce qu’il y avait sur la table. Elle avait la bouche pleine de sang. Son tee-shirt aussi. J’avais peur de comprendre. Je me dirigeais vers la table, écartant Krysta, un peu brusquement, et là je vis une nouvelle horreur. Sur la table étaient disséminés une tête à moitié dévorée, des trous à la place des yeux, du sang en pagaille dégoulinant de partout. A côté, un bras, ou du moins ce qu’il en restait, avec des morceaux de doigts éparpillés un peu partout. C’était pas possible. Elle m’avait promis. Qui c’était ce corps ? Un homme apparemment. Mais où elle avait été le chercher ?

 

« Je suis désolée. J’avais vraiment trop faim. Alors, je suis allée sur la plage. Il y avait un homme avec une drôle de planche. Il était torse nu. Et son corps était tellement appétissant. J’ai fait semblant que j’avais envie de lui, et je l’ai attiré vers les rochers… Et je l’ai dévoré. Enfin, en partie. J’avais peur qu’on me voie manger. Alors, j’ai ramené le corps ici, pour pouvoir manger tranquillement. »

 

J’avais plus de mots. Qu’est-ce que Krysta comprenait pas dans la phrase « on ne mange pas des humains » ? C’était comme quand je lui ai appris les rudiments de notre langue. Elle tiquait toujours entre la lettre « C » et la « K ». Pour elle, c’était idiot d’avoir 2 lettres pour le même son. J’avais beau lui dire que le son n’était pas le même suivant le mot employé ou le type de phrase, elle ne comprenait pas. Du coup, quand je lui ai appris à écrire son nom, « Crysta » avec un « C » est devenu « Krysta ». Avec un « K ». Je n’ai pas osé lui dire que c’était pas comme ça que le prénom s’écrivait. Elle avait l’air tellement contente d’avoir appris à écrire son prénom humain. C’est comme ça qu’elle est devenue Krysta avec un K. Là, c’était pareil. Elle comprenait ce qu’elle avait envie de comprendre. Et quand une sirène a faim, tu peux lui dire ce que tu veux, tu ne peux rien faire contre son estomac. Je lui demandais si tous les « morceaux » du corps était là.

 

« Non. Il en reste près des rochers. Je ne pouvais pas tout ramener en une seule fois. Alors je les ai cachés. Je comptais récupérer le reste cette nuit, quand tu dormirais. »

 

Au même moment, Michael me téléphonait. Il voulait savoir s’il pouvait passer boire une petite bière. Non, mais c’était vraiment la journée ! On venait d’en boire au moins une dizaine. Je lui répondais qu’on ferait ça une autre fois. Que j’étais crevé… et Krysta aussi. S’il voyait ce que je voulais dire.

 

« Mais bien sûr. Excuse-moi. Je ne voudrais surtout pas freiner tes ardeurs… Sacré Don Juan ! On se fera ça un autre jour de la semaine. J’aimerais en savoir plus sur la manière dont tu a rencontré ta déesse. Je suis jaloux tu sais. Allez, je te rappelle, et on se trouve un jour. »

 

Je raccrochais, et immédiatement, je demandais à Krysta de m’aider à prendre des draps pour ramener le reste du corps ici, avant que quelqu’un le trouve. Krysta accepta. Et puis, elle fit un geste qu’au début je croyais anodin, mais qui allait avoir de graves conséquences. En passant près de moi, elle me sentit le visage, le cou, en me regardant avec des yeux pas comme d’habitude. Elle semblait en colère. Elle toucha mes lèvres avec un de ses doigts, et le porta à sa bouche. A ce moment, son expression changea. Pendant un instant, je crus même qu’elle allait se transformer, car ses yeux étaient devenus rouges. Comme quand elle avait tué Billy et ses amis. Comme face à Mr. Spender. Je ne comprenais pas la raison sur le coup. J’aurais du plus y prêter attention. Mais à cet instant, j’étais plus préoccupé par le fait de cacher le cadavre du surfeur resté sur la plage que par l’attitude de Krysta. Et puis, elle m’a posé une question :

 

« Elle s’appelle comment ? »

 

Je lui disais que je ne comprenais pas sa question, et surtout je comprenais pas pourquoi elle avait l’air en colère. Elle reprit :

 

 « Qui est la femme qui t’a embrassée ? J’ai senti son odeur sur toi, et sur tes lèvres, j’ai goûté l’humidité des siennes. Alors, je répète ma question :  qui est la femme qui t’aime ? »

 

Là, d’un coup, je comprenais mieux. Sam. Son baiser. Je venais juste de me souvenir que je voulais effacer ce dernier en me nettoyant le visage, justement pour éviter ce genre de quiproquo, connaissant les facultés de Krysta. Je lui expliquais alors brièvement mon aventure avec Sam à l’université, notre séparation, et le fait que je venais de la revoir tout à l’heure. Qu’elle m’avait embrassé, mais que c’était juste un geste d’amitié. Que c’était courant chez les  humains ce genre de pratiques. Elle continua à me regarder avec son regard rouge pendant quelques secondes, puis sembla redevenir normale, même si ce terme n’est pas vraiment approprié pour elle. Au final, je préférais plus sage d’aller seul à la plage pour récupérer le reste du corps, pendant qu’elle nettoierait la table et cacherais les morceaux de cadavres à la cave, avec Humphrey. Comme elle semblait être redevenu la Krysta que je connaissais, je luis fis confiance à nouveau, et de son côté, elle accepta de nettoyer. J’allais vite regretter mon choix.

 

Je fus parti un peu plus de deux heures. Le corps était dans un état presque indescriptible. Le corps était éventré de tout son long, laissant pendre une partie de ses entrailles. Une partie seulement. Le reste devait être dans l’estomac de Krysta. Les deux jambes étaient grignotées à plusieurs endroits. On aurait dit qu’un énorme rat les avaient rongées. Le sable autour était d’un rouge vif, tellement il y avait de sang qui avait coulé. On aurait dit un tableau de Giger redessiné par le peintre du film « L’Au-Delà » de Fulci. Un carnage. Néanmoins, malgré mon dégoût, je mettais chaque morceau dans les draps, nouant ceux-ci pour faciliter le transport, et mis le tout sur mon épaule, tout en balayant le sable, pour cacher la partie tachée par le sang, en espérant que la pluie et le vent se chargeraient de faire disparaitre le reste. Je remontais à la maison. La table avait bien été nettoyé. Je descendis à la cave. Un autre trou avait été creusé à côté de celui d’Humphrey. Les morceaux non finis par Krysta y figuraient. Au moins, pour une fois, elle avait fait ce qu’il fallait. Je mettais ma « partie » dans le trou et rebouchais le tout. Pour parfaire l’illusion, je mettais par-dessus du bric à brac, afin de cacher les traces. Je remontais à l’étage, et là je m’étonnais de ne pas voir Krysta. Elle ne prenait pas de douche, car elle trouvait que l’eau n’était pas adaptée à sa peau. Elle préférait l’eau de mer. Et je ne l’avais pas croisée. Alors où était-elle encore passée ? Et puis, d’un coup, je me rappelais notre petite querelle concernant Sam. Et je fus soudain envahi par la peur. Elle connaissait son odeur. Il ne serait pas difficile à Krysta de remonter sa piste comme elle l’avait fait pour moi. 

 

Je sortais en trombe de la maison, ne prenant même pas la peine de fermer la porte, tellement je craignais que Krysta fasse la plus grosse des conneries. Michael n’était peut-être pas le flic le plus intelligent de la planète, mais si on touchait à sa sœur, je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais il changeait complètement d’attitude. Il n’y avait qu’avec moi qu’il n’avait rien dit, parce qu’il avait compris ma décision de ne pas suivre Sam pour ses études de droits. Et puis Sam aussi avait comprise. Du moins elle avait montré un masque le faisant croire. Alors, Michael ne m’en avait jamais voulu. Mais là, si Sam mourait et que Michael découvrait que c’était Krysta, et surtout que j’étais complice de son meurtre, il ne me ferait aucun cadeau. Je devais absolument empêcher Krysta de commettre l’irréparable. Une demi-heure plus tard, j’arrivais à la maison de Michael. La porte était grande ouverte. Je m’attendais au pire.

 

J’entendais des cris venant de l’intérieur. Trop tard ! Krysta était déjà en pleine action. Je me précipitais malgré tout, espérant sauver Sam à temps. Dans le salon, il y avait un policier étendu sur le sol, la gorge tranchée, l’une des jambe arrachée qui avait été jetée sur le canapé. Le flic vivait encore. Il m’indiqua que Michael avait dû se rendre en urgence à la maison des Powell. Les Powell. Un couple de retraité adorable, situé à l’autre bout de la ville. Harvey, le policier agonisant, m’expliqua que le couple avait été sauvagement attaqué par un animal sauvage. On les a retrouvés tous les deux partiellement dévoré. Les cris du couple ont été entendus par plusieurs voisins qui ont appelé Michael. Comme il avait peur pour sa sœur, il avait demandé à Harvey de veiller sur elle. Et, il y avait à peine quelques minutes, un monstre avec des griffes et une gueule énorme pleine de dents avait fait irruption dans la maison, défonçant la serrure de la porte. Il avait essayé de l’arrêter, mais la créature avait été trop rapide. Elle lui avait arraché la jambe comme si c’était un bout de bois. Juste avant de lui trancher la gorge. Il ne savait même pas comment il était encore en vie. Mais au moment de dire ça, le pauvre Harvey a fait une hémorragie, crachant du sang en pagaille. Quelques secondes plus tard, il n’était plus. J’avais perdu trop de temps. Il était évident que les Powell, c’était l’œuvre de Krysta. Pour éloigner Michael. Avec sa rapidité, elle n’avait eu aucun mal à venir ici en quelques minutes.

 

J’entendais Sam crier. Elle était encore en vie. Je me ruais vers sa chambre d’où semblaient venir les cris. J’entrais en trombe. Mais c’était trop tard. Sam ne criait plus. Sa tête gisait au sol, complètement défigurée. Son corps avait été lacéré de toute part. Ses lèvres avaient été également arrachées, et disposées sur la table de nuit, comme un message. Ses mains avaient été littéralement écrabouillées, formant un amas de chair difforme, et étalées sur la couette du lit. Et debout, juste à côté, il y avait Krysta, dans toute sa splendeur de monstre sans pitié.

 

« Maintenant, elle ne pourra plus jamais t’embrasser. Je ne laisserais aucune femme t’approcher. Tu m’appartiens. A moi, et à personne d’autre. J’ai besoin de toi. Tu fais partie de ma mission. Je l’ai promis à mon père. Je lui ai promis que grâce à toi, notre clan allait renaître. »

 

Je ne pouvais même plus bouger, tellement j’étais sous le choc. Sam ! Elle avait massacré Sam pour un simple baiser. Je voulais empêcher Krysta de partir, mais j’en étais incapable. Elle passa à côté de moi, pendant que j’étais en larmes en regardant le corps anéanti de Sam, sans même me dire où elle se rendait. Je l’apprendrais par la suite. Mais je savais déjà une partie de la vérité en cet instant. Je n’avais toujours été qu’un pion. Un pauvre pion naïf et amoureux. Je faisais partie de son plan qu’elle avait dit. De sa mission. La fameuse mission qu’elle prétendait avoir laissée au second plan parce qu’elle m’aimait. Comment avais-je pu être aussi stupide ? Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Plus tard, Krysta me dirait où elle avait été cette nuit-là. Sur la plage. Pour rejoindre son père. Pour lui faire son rapport. Ce sont les termes qu’elle emploierait. Elle me raconterait même ce qu’ils s’étaient dit ce soir-là. 

 

« Ma mission est presque terminée, père. J’ai juste dû faire face à un petit imprévu. Rien de bien grave. Mais tout est réglé. »

 

« Bien. C’est parfait ma fille. Tu sais que notre survie dépend du succès de ta mission. C’est primordial. Nous comptons tous sur toi. »

 

« Je sais, Père. Regardez : l’humain a mis la vie en moi. Dans quelques mois, le premier être de notre futur va naître. Il ne reste plus que votre intervention. Le reste de la ville sera le point de départ de notre renouveau. Les uns serviront de reproducteurs, les autres de repas »

 

« Je suis si fier de toi. Tu as parfaitement réussi ta part de la mission. De notre côté, nous devons encore réunir quelques menus détails, et nous pourrons venir te rejoindre. Il ne te reste qu’une petite semaine à attendre »

 

Là-dessus Krysta était revenu à la maison pour se coucher, comme si rien ne s’était passé auparavant. Moi, j’étais toujours en état de transe quand Michael est arrivé, criant comme un fou dans la maison, après avoir vu le corps d’Harvey

 

« Sam ! Sam ! Saaaam ! »

 

Michael était dans un état indescriptible. Il pleurait toutes les larmes de son corps. Ça a duré un temps interminable. Et moi, je restais là, incapable de dire quoi que ce soit. Même quand Michael m’a demandé :

 

« Qui a fait ça ? Dis-le moi ! Je veux savoir qui a massacré ma sœur ! »

 

Je hochais la tête, comme pour lui dire que je ne savais pas. Et puis, il a vu le message posthume de Sam. Sur le lit. Elle avait tracé les 3 premières lettres de son assassin : « KRY »

 

« KRY ? Krysta ! C’est elle qui a fait ça ? Je savais qu’il y avait quelque chose qui clochait chez elle. Humphrey avait la manie de noter ses impressions lors de ses enquêtes sur son blog privé. Il les notait à partir de son portable. J’ai vu ces notes en allant sur son blog à partir de son ordinateur. Il indiquait qu’il soupçonnait Krysta d’être à l’origine des meurtres de Billy et ses potes. »

 

Je ne parvenais toujours pas à dire le moindre mot. 

 

« Tu ne dis rien ? Qui ne dit mot consent. C’est la bonne formule, n’est-ce pas ? On discutera plus tard toi et moi. Pour l’instant j’ai une traque à lancer »

 

Et il me laissa là, à mon désespoir, toujours incapable de dire quoi que ce soit, attendant ma sentence. Mais le cauchemar était loin d’être fini. Il restait encore à venir l’apothéose de Krysta, son père et leur clan. Et ça allait se conclure dans un bain de sang comme jamais le pays n’en avait vu.

 

… à suivre

 

Publié par Fabs