28 févr. 2022

L'EMPIRE DE KRYSTA 4

 


 

Après l’attaque manquée du général Weiss, tout le palais est en émoi, attendant les nouvelles concernant l’état de santé de Krysta, atteinte de plusieurs balles dont l’une tout près du cœur. Si ça n’avait été que des balles classiques, le personnel médical de l’entourage de la reine n’aurait eu aucune difficulté a arrêter l’hémorragie, et quelques jours de repos après l’intervention auraient suffit pour que Krysta reprenne sa position de monarque de l’empire. Cependant, les balles utilisées par le chef de la résistance humaine étaient loin d’être aussi basiques. Elles étaient le fruit de la science de Vladimir Illioutchine, qui avait mis à contribution les informations fournies par Dolorès, par le biais des documents photographiés par elle dans les appartements de la famille royale. Et pas seulement ça…

 

Dolorès, avait également fourni la composition des pièces en détail, ainsi que les habitudes de déplacement de la reine et de son entourage au sein du palais. Des informations primordiales, ayant servies pour le plan d’attaque des lieux à  la tête pensante du Général Weiss, et accessoirement, pion principal de la Chambre des 9, dont un des représentants faisait figure d’aide de camp auprès du même général. A savoir Luna, la N°10 de l’organisation, chargée de surveiller les avancées de Vladimir concernant les sirènes et tritons : leur anatomie, leur structure cellulaire, leur résistance, leur capacité de mimétisme, leur permettant de passer du stade humain à celui de monstre avide de chair humaine. Tout ce qui pouvait permettre de créer d’autres hybrides utiles aux essais de Monster Island, dont une deuxième expérience se préparait, avec cette fois, des combattants plus expérimentés.

 

Des chasseurs de monstres réputés dans l’ombre de leur « profession », cobayes idéaux pour tester les nouvelles créatures mises au point par Vladimir, à partir des gênes d’autres monstres légendaires, dont certains fournis par Comet, la N°7 de la Chambre, et qui est aussi à la tête d’un commerce lucratif de « location » de Yokaï auprès de la pègre asiatique, telles que les Triades, son principal client. Black Hole, le N°1 de la Chambre fermant les yeux sur son activité secondaire, tant qu’elle permet à Vladimir de créer ses hybrides, afin de combattre les Spectres Noirs du ShadowEarth et les créatures que ceux-ci contrôlent. L’araignée de la première expérience avait comme base une Jorogumo, mais s’était révélée assez faible. Grâce aux données recueillies sur les sirènes et tritons, et leur association à des Yokaï plus puissants, Vladimir serait en mesure de créer d’autres monstres plus à-mêmes de résister à des ripostes comme l’avait fait les youtubeurs pour le premier essai de l’île.

 

Et surtout, les informations obtenues grâce à Dolorès avait permis au scientifique de créer des balles spéciales, capables de déstructurer l’ADN des sirènes et des tritons, en affaiblissant la vitesse de régénération de leurs cellules, et bloquant leur capacité de se transformer de manière exponentielle. En gros, ces balles, une fois dans le corps de leur cible, fondaient, libérant une substance qui s’attaquaient directement au système sanguin, et modifiaient l’ADN, tout en provoquant une forme d’anémie irréversible, pouvant conduire à l’affaiblissement, puis la mort de la personne touchée. Par mesure de précaution, en cas d’utilisation vers des cibles humaines, cette substance n’agissait que sur des ADN et du sang à la structure moléculaire inhumaine, c’est-à-dire ayant plus de 6 composants dans sa géométrie autour de l’atome central de la molécule. Pour déterminer cette différence, la substance est dotée de nanorobots capables de calculer cette différence dans les molécules du corps dans lequel ils ont été implantés.

 

C’était une arme redoutable pour les sirènes, car elle pouvait les empêcher de se transformer en leur véritable forme, et détruisait leur système immunitaire dans le même temps. La mort, à plus ou moins long terme devenait de ce fait inéluctable pour la cible, quel que soit sa capacité de résistance, et aucun médicament ou traitement n’était en mesure de contrer les effets de la substance, la MDV-38, soit Molecular Destructuration Virus. Ou Virus de Déstructuration Moléculaire. Le nombre 38 correspondant au nombre d’essais qu’il avait fallu à Vladimir pour la mettre au point, grâce à ses cobayes, généreusement fournis par le Général Weiss, au sein de son laboratoire dans la forteresse de la résistance humaine.

 

Le général Weiss n’avait pas tout compris les explications de Vladimir quand ce dernier lui en avait fait part, en dehors du fait qu’atteindre Krysta était primordial pour espérer atteindre le moral du peuple sirène, et permettre des attaques frontales groupées par la suite, face à des combattants déstabilisés par la perte de leur reine. Scylla avait pu échapper au même mal que Krysta, car la balle ayant atteint son épaule avait traversée celle-ci, et n’avait donc pas pu déverser sa substance à l’intérieur de son corps. Pour Krysta, qui avait été atteinte par 4 balles, son état de santé risquait de se détériorer de manière extrêmement rapide, du fait de l’afflux massif d’AMV-38 dans son corps. Sans compter que, ignorant la particularité de ces balles reçues par leur reine, les médecins de l’Empire étaient dépassés par le mal dont souffrait Krysta, qu’ils ne comprenaient pas. Ils avaient retiré les balles et avaient soignés les blessures, mais ne comprenaient pas que son état ne s’améliorait pas, et même s’aggravait à chaque minute qui passait. Ce qui énervait fortement Sacham, doutant des capacités de ces mêmes médecins.

 

« Bande d’incapables ! Comment vous pouvez vous prétendre médecins alors que vous n’êtes même pas foutus de soigner de simples blessures par balles ? Êtes-vous si incompétents que je doive faire appel à des humains pour soigner ma mère ? »

 

Scylla, malgré son bandage couvrant son épaule, tentait de raisonner Sacham :

 

« Calme-toi Sacham… Ils font ce qu’ils peuvent… Peut-être que la balle a atteint quelque chose qui n’a pas encore été décelé… »

 

Scylla réfléchissait un instant, avant de reprendre :

 

« Ou bien alors… Je ne m’y connais pas beaucoup en sciences, mais il y a peut-être autre chose qui empêche la guérison de la reine… »

 

Sacham, interrogatif, demandait à Scylla d’exposer ce qu’elle pensait :

 

« Autre chose ? Explique-toi Scylla… A quoi penses-tu ? Dis-moi ce que tu pourrais savoir que les meilleurs médecins de l’Empire ignorent ? »

 

N’osant parler, sans doute de peur d’être moqué par Sacham, Scylla prit son courage à deux mains, et exposa sa théorie…

 

« Eh bien… Peut-être que ces balles n’étaient pas des balles ordinaires… Peut-être y avait-il un produit à l’intérieur qui est à l’origine du mal dont souffre la reine… Un produit qui nous est inconnu, car créé par un génie scientifique de haut niveau… »

 

Sacham se mit à rire :

 

« C’est ridicule ! Si un tel produit, capable de rendre une sirène dans un tel état existait, je serais au courant… Et les médecins l’auraient déjà trouvé… Même s’ils sont particulièrement incompétents, les appareils ne mentent pas, eux. Un tel produit aurait immédiatement été révélé… »

 

« Sauf si ledit produit s’est mélangé à la structure moléculaire, et est de ce fait, indétectable… A moins d’étudier la structure ADN de la reine… »

 

A la lumière de cette révélation, le visage de Sacham s’illumina, avant de s’adresser aux médecins :

 

« Vous avez entendu ce qu’a dit votre reine ? Etudiez en profondeur l’ADN de ma mère, et trouvez s’il y a quelque chose qui cloche qui pourrait expliquer son état… Et surtout, trouvez comment y remédier… A moins que je doive vous faire remplacer par d’autres médecins plus capables, et me servir de votre corps comme plat principal pour mon dîner ? Cela fait des années que notre peuple ne s’adonne plus au cannibalisme sur des membres de notre propre espèce, depuis la création de l’Empire, mais je pourrais faire une exception pour vous… »

 

A ces mots, les médecins s’affairèrent à transporter Krysta dans une des ailes du Palais Royal, où ils pourraient faire les examens nécessaires pour faire suite à l’idée fournie par Scylla. Et bientôt, la reine fut enlevée de son lit, avant d’être positionnée sur un brancard, puis emmenée vers les laboratoires de l’aile scientifique. Sacham, l’air anxieux, les regarda partir, non sans les haranguer, pour leur donner plus de motivation :

 

« Et j’exige un rapport de votre part toutes les demi-heures, afin de me tenir au courant de vos découvertes. Bougez-vous ! C’est la vie de votre reine qui est en jeu ! »

 

Les médecins hochèrent de la tête, puis continuèrent leur chemin, à travers les couloirs du Palais. Une fois ceux-ci partis, Sacham s’adressa à Scylla :

 

« Tu ne m’avais pas dit que tu avais de telles connaissances… Je suis impressionné… »

 

Scylla rougissait, heureuse dans le même temps de voir un élément d’elle intéresser celui qu’elle aimait. Elle se disait que c’était peut-être un premier pas vers une relation plus tendre entre elle et lui, et surtout plus proche des désirs qu’elle attendait de son roi :

 

« Eh bien, disons que nous n’avons pas vraiment eu l’occasion d’en parler… Tu étais tellement distant avec moi depuis notre mariage, que je ne savais pas comment aborder certains sujets. De peur que cela ne ferait qu’accentuer ton désintérêt pour moi… »

 

Sacham afficha un air dépité, comme conscient du mal causé à Scylla :

 

« Je dois avouer que j’ai été injuste avec toi. Je n’ai jamais pris le temps de discuter de tes centres d’intérêt. Je pensais que seul ce qui concernait l’Empire avait de l’importance… Et je t’ai délaissé… J’en suis désolé… »

 

Scylla, touchée par les mots de Sacham montra un grand sourire :

 

« Non, ne sois pas désolé…Je comprends ta position, tes choix… Même si cela m’a fait du mal… S’il n’y avait pas eu la reine pour me réconforter dans ces moments-là, je ne sais pas si j’aurais supporté cette situation très longtemps… »

 

Sacham s’approcha d’elle, lui tenant le menton, fixant son regard, avant de s’adresser à elle :

 

« ça n’arrivera plus…Je veux dire que plus jamais je ne te laisserais de côté…Tu es ma reine, je n’ai pas le droit de te mettre derrière les préoccupations politiques et militaires… »

 

Avant de rajouter :

 

« Une fois que ma mère sera remise, grâce à tes indications, tu te joindras à moi pour forcer cette ordure de Général Weiss à sortir de son minable forteresse… Je lui ai lancé un ultimatum, et j’entends bien le décider à le respecter…S’il ne veut pas voir ma colère se déverser sur les villes proches de son trou à rats… »

 

Scylla, les larmes aux yeux du fait de cette déclaration, ne put s’empêcher de joindre ses bras autour du cou de Sacham, et de l’embrasser tendrement, heureuse de voir son rêve d’obtenir les sentiments de celui qu’elle aimait depuis si longtemps s’accomplir enfin. Pendant ce temps, à plusieurs kilomètres de là, le Général Weiss était parvenu à rejoindre la forteresse de la Résistance humaine. A peine arrivé, il donna des instructions à ses hommes :

 

« Tara ! Où est-elle ? Je veux que vous la cherchiez immédiatement ! Et une fois que vous l’aurez trouvé, enfermez-la dans une cellule ! Elle nous a trahis… Elle a trahi son peuple… Je ne peux pas laisser passer ça… Même si elle est ma fille, elle doit comprendre qu’elle ne peut pas faire n’importe quoi sans en subir les conséquences… »

 

Obéissant aux ordres de leur Général, plusieurs soldats se mirent à parcourir la forteresse, à la recherche de Tara. Weiss, épuisé, se rendit à son bureau, réfléchissant à ce qu’il devait faire la concernant… Il n’arrivait pas à croire que son propre sang, sa propre chair, ait pu faire une telle chose. Ce n’était pas seulement son autorité qu’elle avait bafouée. A cause d’elle, tout le plan mis au point depuis des semaines, en accord avec Vladimir, qui l’avait aidé à établir les détails, s’était transformé en échec total. Pire : il se retrouvait à devoir faire un choix pour éviter un bain de sang à des innocents parmi les civils des villes avoisinantes. Sa punition devait être exemplaire, afin de montrer qu’aucune action de ce type ne pourrait être tolérée, tant qu’il serait le chef de la Résistance… Mais il ignorait quelle sanction appliquer… Devait-il faire preuve de tolérance, simplement parce qu’elle était sa fille ? Ou alors montrer son impartialité totale ?

 

Si Vladimir avait été là, il aurait été en mesure de l’aider à prendre la décision qui s’imposait… Il savait que celui-ci était au Caire à l’heure actuelle… Il lui avait indiqué qu’il devait rencontrer un de ses supérieurs là-bas… Une certaine Pulsar… Dans le même temps, Vladimir lui avait permis de l’appeler s’il avait besoin de ses conseils avisés, en cas de doute. D’autant qu’il fallait qu’il le mette au courant de l’échec du plan. Se décidant à l’appeler, Weiss sortit son téléphone, et composa le numéro de portable du scientifique. Au bout de plusieurs sonneries, Vladimir répondit :

 

« Oui, Général Weiss ? Que puis-je pour vous ? Le plan s’est-il bien déroulé ? Et surtout, Krysta a-t-elle été touchée par une de mes balles magiques ? »

 

Weiss prit une grande inspiration, conscient que Vladimir serait sans doute déçu des informations qu’il s’apprêtait à lui faire, mais il se devait de lui indiquer ce qu’il en était, tout comme son indécision concernant sa fille…

 

« Justement, à ce sujet… ça ne s’est pas passé comme prévu… A cause de ma fille… Je ne vais pas rentrer dans les détails, car je sais votre temps précieux, mais à cause d’elle, tout a échoué…Elle a communiqué des informations à l’ennemi, et cela a mené à un désastre… J’ai perdu tous mes hommes… Malgré tout, j’ai pu atteindre Krysta, comme vous me l’aviez préconisé… »

 

« Je vois… C’est fâcheux en effet… Cependant, si Krysta a été touchée, en ce moment, l’AMV-38 est en train de la tuer à petit feu, et il ne faudra pas longtemps avant que son décès soit confirmé. Ce qui devrait complètement déstabiliser l’ennemi… »

 

« Eh bien, à ce propos, il y a un autre imprévu… Sacham… Le freluquet amoureux de Dolorès a nettement changé de mentalité… Il est devenu roi à son tour, et n’est plus du tout le même qu’avant… Sans doute dû à la disparition de Dolorès… Vu qu’il n’y a plus trace d’elle, je suppose que son rôle a été découvert…Ce qui a dû changer la position de l’ancien transi d’amour en ce qui concerne les humains… »

 

« Et a-t-il montré des signes de reprendre efficacement le flambeau, ou bien n’a-t-il en sa possession qu’un simple titre de gloire offert par sa mère ? »

 

« Je peux vous assurer qu’il est au moins aussi cruel, si ce n’est plus, que Krysta. C’est un stratège hors-pair… J’ai honte de l’avouer, mais il est très doué dans ce domaine, et son tempérament fait qu’il pourrait s’avérer encore plus dangereux que Krysta… »

 

« Voilà qui est embêtant… Du coup, la mort de Krysta ne changera rien… Il va falloir revoir nos plans… Je termine ce que j’ai à faire ici au Caire, et je tâcherais de revenir le plus vite possible pour que nous étudions cela ensemble… Y-a-t-il autre chose que vous vouliez me demander, Général Weiss ? »

 

Weiss sembla hésiter, un peu gêné de demander à Vladimir quoi faire concernant sa fille. Il hésita, puis finalement se décida à lui faire part de ses doutes :

 

« Eh bien, en fait, je me demandais si vous sauriez me guider pour ce que je dois faire concernant ma fille, Tara. Je n’ai jamais été très proche d’elle, mais elle reste ma fille. Cependant, je ne peux pas laisser impuni son acte de trahison. Pour n’importe qui d’autre, j’aurais déjà monté le peloton d’exécution. Mais ma fille… Quel père serais-je si je le faisais pour elle ? »

 

Vladimir resta silencieux un instant, donnant l’impression de réfléchir à la meilleure réponse à apporter au général. Puis, il reprit :

 

« N’étant pas père, il me serait difficile d’orienter votre choix. Néanmoins, en tant que scientifique, je peux vous dire ceci : supposons qu’un corps se retrouve avec une tumeur bénigne en lui…Afin d’éviter que celle-ci se transforme en cancer, et touche la majorité des fonctions vitales du corps, il est nécessaire de l’éliminer avant toute complication. Cela évite au corps de subir des dommages mortels pour l’ensemble des autres parties de ce qui le constitue. C’est un sacrifice nécessaire. Je pense que cette manière de penser peut s’appliquer à un usage militaire. Dites-vous que la tumeur est votre fille, et le corps l’espèce humaine, et vous aurez mon avis sur la question… »

 

Ne comprenant que trop bien les allusions de Vladimir, le général Weiss le remercia, avant de raccrocher, les larmes aux yeux… Il voulut malgré tout donner une dernière chance à Tara de justifier son acte, et appela le service carcéral, afin de savoir si sa fille avait été trouvée, et avait été conduite en cellule. Ayant eu confirmation que cela était le cas, Weiss sortit de son bureau, et se rendit là où sa fille avait été incarcéré sur ses ordres. A son arrivée, celle-ci montra immédiatement des signes belliqueux à son encontre :

 

« Comment as-tu pu oser me mettre en taule ? C’est ça l’image du père que tu veux donner ? Tu es exactement comme maman disait en fin de compte… »

 

« Je t’interdis de salir la mémoire de ta mère. Tu ignores ce que j’ai ressenti à sa mort… Et là n’est pas la question… Si je t’ai fait enfermer, c’est parce que tu t’es rendu coupable de trahison… Tu as donné des informations à l’ennemi qui ont conduit à l’échec de la mission que j’avais élaboré avec Vladimir… »

 

Tara se mit à ricaner, comme si elle s’attendait à cette réponse :

 

« Vladimir… Vous faites la paire tous les deux… Il est au moins aussi inhumain que tu l’as été avec Maman… Et tu ne m’empêcheras pas de parler d’elle… J’en ai rien à foutre de ce que tu penses de ce que j’ai fait… C’est toi qui a lancé les hostilités en tuant mon fiancé… Simplement parce que c’était un triton… »

 

« Et pour toi, pactiser avec un ennemi, c’est normal ? Si je l’ai fait exécuter, c’est parce qu’il se servait de toi pour obtenir des informations sur la sécurité de la forteresse… Il se moquait bien pas mal de ce que tu ressentais…Tu ne sais pas ce que je sais… »

 

« Ben voyons… Faut toujours que tu trouves une justification à tes actes… Et pour maman, le fait qu’elle se soit suicidée parce que tu prenais plus d’importance à t’occuper des autres plutôt qu’elle, ça te poses pas de problème de conscience ? Par moments, j’ai honte d’être ta fille, tu n’imagines pas… »

 

La colère monta alors en Weiss, à l’évocation de sa fille sur ces douloureux souvenirs :

 

« Tu dépasses les bornes… J’ai voulu te laisser une chance d’échapper à ton sort… Mais tu viens de la gâcher… Je n’aurais pas de remords à t’exécuter pour punir ton acte de trahison… »

 

Tara riait, montrant un air de soulagement à son père, qui restait impassible à son attitude à son encontre :

 

« Tu veux me tuer ? Eh ben… On peut dire que t’es pas prêt d’avoir la médaille du père idéal… Tu as beau avoir toutes tes belles décorations, tu n’en restes pas moins une ordure… Tu croyais quoi ? Que j’allais pleurnicher en m’annonçant ça ? Que j’allais te dire « Oh, non papa, ne me tue pas » ? Eh ben c’est raté… Je m’en fous complètement… Je vais te dire même, je vais être soulagée… Je verrais plus ta tronche de merde devant moi… Je n’aurais plus à pleurer devant une photo de maman, ou à sucer les queues de tes petits soldats pour pouvoir me libérer la tête en sortant là où il y a la vraie vie… »

 

Weiss, impassible, se contenta de répondre :

 

« L’exécution aura lieu demain matin à 10 heures… Si tu as une dernière volonté à demander, c’est maintenant que tu dois la dire… »

 

Tara se mit à rire de plus belle :

 

« Ma dernière volonté, je l’aurais demain à 10 heures, en n’étant plus ta fille, mais un tas de viande au sol, après avoir été tué par tes marionnettes. Celles-là même qui ignorent le connard que tu es… »

 

Retenant ses larmes, Weiss ne voulut pas répondre aux nouvelles provocations de Tara. Il se contenta de tourner les talons et de revenir vers son bureau, pendant que sa fille l’insultait de plus belle dans son dos. Ce soir-là, il ne parvint pas à dormir. Trop de questions tournaient dans sa tête. Il repensait aux paroles de Tara au sujet de sa femme. Il ne comptait plus le nombre de disputes qu’il avait eu avec elle, lui reprochant de ne pas être assez présent à leur foyer. Préférant les tentes froides des manœuvres militaires à la chaleur de son foyer. C’est Tara qui avait découvert le corps pendu de sa mère en rentrant de l’école. Elle avait 8 ans à l’époque. C’était le père d’une de ses camarades de classe qui l’avait raccompagnée, sa mère n’étant pas venu la chercher comme elle en avait l’habitude. Et pour cause. Sur le corps, il y avait un papier avec quelques mots griffonnés : « Prends-soin de Tara. Moi, je n’ai plus la force de continuer à vivre avec un fantôme ».

 

Le jour des funérailles, il n’avait pas versé de larmes, alors que Tara était en pleurs. Il avait dû la retenir, car elle voulait rejoindre sa mère, n’arrêtant pas par la suite de dire à Weiss qu’il était un méchant papa, et qu’elle le détestait. Que c’était à cause de lui que maman n’était plus là. Malgré sa jeunesse, elle avait déjà compris qu’il était responsable. Et en grandissant, leur relation n’a fait qu’empirer. Jusqu’à présent, il avait toujours fermé les yeux sur les frasques de sa fille, respectant en cela les derniers mots de son épouse décédée. Mais cette fois, il ne pouvait plus la protéger. Lui aussi n’avait plus la force de le faire. De plus, il préférait encore voir Tara tuée sur ses ordres que de l’observer se faire dévorer par Sacham sous ses yeux, sans rien pouvoir faire. Un mal nécessaire. Il se rappelait les paroles de Vladimir, pendant qu’il se donnait du courage en buvant verre sur verre. Finalement, en plein milieu de la nuit, la fatigue et l’alcool finirent par l’emporter, et il s’assoupit, la tête et les bras sur son bureau.

 

Le lendemain, il fut réveillé par ses hommes, lui annonçant que le peloton d’exécution était prêt. Et Tara était déjà attachée dessus. Il les suivit. Arrivé sur place, il s’adressa à Tara :

 

« Tu as une dernière chose à dire avant que je donne l’ordre de tirer ? »

 

Tara riait à nouveau :

 

« Ouais : fais-moi enlever ce bandeau de merde sur mes yeux. Je veux que tu voies mon regard quand la vie le quittera. Je veux que tu te souviennes toute ta vie restant de ça. De cette haine que j’ai pour toi… »

 

Soupirant, Weiss ordonna qu’on enlève le bandeau sur les yeux de sa fille. Puis il demanda aux soldats chargés de l’exécution de se mettre en joue. Il observa une dernière fois le visage ricanant de Tara, qui le défiait toujours, avec l’arrogance qui la caractérisait, puis ordonna de tirer…

 

Un long silence suivit les tirs. Weiss ordonna à ses hommes de quitter l’aire d’exécution. Voyant deux d’entre eux affairés à retirer les liens du corps sans vie de Tara, il intervint :

 

« Non ! Laissez son corps sur place jusqu’à ce soir. Je veux qu’il serve d’exemple à tout le monde ici présent. Je veux que tout soldat qui aurait l’envie de trahir notre espèce se souvienne que je serais sans pitié pour un tel acte, comme je l’ai fait avec ma propre fille. »

 

Les soldats s’exécutèrent, et laissèrent le corps attaché. Quand soudain, un autre courait vers le général Weiss pour lui annoncer une attaque massive de sirènes et de tritons envers deux villes proches. Toute la population des deux cités avait été massacrée sans pitié, ne laissant que désolation et morts par centaines derrière une armée semblant se diriger droit vers la forteresse. Ça ne pouvait signifier qu’une seule chose : Krysta était morte, et Sacham venait pour accomplir sa promesse de tout détruire avant de s’occuper de lui. Weiss ordonna à tout ses hommes de se tenir prêts à combattre l’armée de Sacham. Et quelques heures plus tard, les guetteurs annoncèrent son arrivée. Weiss se posta sur une des tours de guet, et put voir l’ampleur de cette dernière.

 

Jamais il n’avait vu un tel déploiement de sirènes et de tritons réunis au même endroit. C’était comme si le paysage tout entier avait laissé sa place pour le passage de cette armée de mort. En comparaison, Attila et les Huns n’auraient pu être considérés que comme une poussière, tellement cette armée-là dépassait tout ce qu’il avait pu voir en quantité de soldats. L’armada était arrivée aux pieds de la forteresse. Il reconnut Sacham à leur tête, qui se mit à parler par le biais d’un porte-voix :

 

« Weiss ! Vous m’entendez, je le sais ! Je suis ici comme je vous l’avais dit, si ma mère mourait. Et c’est à cause de vos petites balles magiques. J’ignore qui les a mises au point, mais je le saurais très vite, une fois que j’aurais pris d’assaut votre petit château de sable ! Et je le dévorerais lui aussi pour l’empêcher d’en fabriquer d’autres… »

 

Weiss demanda qu’on lui amène un porte-voix, à lui aussi, afin de répondre à Sacham, qui avait à ses côtés la femme qu’il pensait avoir touchée d’une balle elle aussi. Celle que Sacham désignait comme sa reine. La balle devait avoir traversé l’épaule, c’était la seule explication pour qu’elle soit encore en vie également.

 

« Celui dont vous parlez n’est pas ici ! Mais je voudrais vous adresser une requête, si vous l’acceptez… »

 

Sacham, adressant un sourire à Scylla à ses côtés, avant de regarder à nouveau vers l’endroit où se trouvait le Général Weiss, répondit à son tour :

 

« Vous me ferez toujours rire Weiss ! Avoir le culot de me demander une requête dans votre position, j’admire votre courage… Rien que pour le fun, dites toujours… »

 

Sacham, le sourire aux lèvres, alors qu’il s’apprêtait à donner le signe de l’assaut, prit le temps d’écouter Weiss qui reprit la parole :

« C’est moi que vous voulez avant tout ! Alors donnez-moi votre parole de laisser la vie à tout ceux ici présent, contre ma vie. Je me rends, et vous serez libre de me démembrer en autant de morceaux que vous voudrez ! »

 

Sacham se mit à rire immédiatement, puis répondit :

 

« C’est dommage que vous allez mourir aujourd’hui, Weiss… Dans d’autres circonstances, je vous aurais pris comme bouffon au palais. Mais là, voyez-vous, je suis un peu moins d’humeur à la plaisanterie… Mais attendez, je vais réfléchir à votre proposition… »

 

Sacham fit mine de réfléchir, mettant ses doigts sur son front, puis, les enlevant, il s’adressa à nouveau au Général Weiss, en souriant d’un air sarcastique :

 

« ça y est : j’ai réfléchi… C’est Non… »

 

Puis, levant le bras droit, et regardant ses hommes qui n’attendaient que ce geste pour passer à l’attaque, il s’apprêtait à l’abaisser quand la sonnerie d’un téléphone se mit à retentir. Comprenant qu’il s’agissait du sien, il demanda à Scylla de répondre, ce qu’elle fit, demandant ce qu’il en était. Seuls les médecins du Palais avaient son numéro. Il attendit la fin de la conversation, et fut surpris de voir des larmes couler sur les joues de sa reine… Celle-ci s’adressait à lui :

 

« Sacham…C’est… Je ne sais pas comment te dire ça… Ta mère… La reine... Elle est en vie… En tout cas, c’est ce que les médecins m’ont dit… »

 

« Si c’est une blague de leur part, je ne la trouve pas drôle du tout… J’ai vu son corps sans vie de mes yeux… Comment pourrait-elle être en vie à nouveau ? Une sirène qui ressuscite ? ça ne s’est jamais vu… Tu es sûre que c’est bien un des médecins royaux qui t’a dit ça ? »

 

Devant l’assurance de Scylla, Sacham dut se rendre à l’évidence de la probabilité que sa mère, bien qu’il ne comprît pas comment, soit revenue à la vie. Mais pour lui, cette nouvelle, bien que réjouissante, ne changeait rien à ses objectifs, qui était d’écraser la résistance humaine. Il était sur le point de donner l’ordre d’attaquer, quand Scylla, les yeux emplis à la fois de surprise et de terreur, lui montra du doigt des silhouettes semblant se placer tout autour de leur armée.

 

« Sacham…  D’où viennent  ces soldats tout autour ? Je croyais que les humains étaient tous retranchés derrière la forteresse... »

 

Sacham devait se rendre à l’évidence. Comme le disait Scylla, une masse de soldats encore plus nombreuse que leur armée les encerclaient. Mais plus encore que ce mouvement de troupe imprévu, il sentait quelque chose d’étrange émanant d’eux :

 

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce ne sont pas des humains. Ce sont des sirènes. Des sirènes et des tritons. Mais ils ne sont pas des nôtres. C’est un autre clan. Ma mère ne m’a jamais parlé d’un autre clan ennemi existant. Je pensais que nous étions les seuls… »

 

Puis, s’adressant au général Weiss :

 

« Weiss ! J’ignore comment vous avez réussi ce tour de magie, mais je ne peux qu’applaudir... Je suppose que c’est le même scientifique à l’origine de vos balles anti-sirènes qui est le responsable… »

 

Bien que l’idée le dégoûtât, il ne pouvait que se résoudre à renoncer à l’assaut, au vu de ces troupes en supériorité numérique les entourant. La mort dans l’âme, il s’adressa à nouveau au général :

 

« Vous gagnez cette fois, Weiss… Vous féliciterez de ma part votre sorcier de son tour de passe-passe… Mais ce n’est que partie remise… Aujourd’hui, je me retire, mais je n’abandonne pas pour autant la guerre… Je vais réunir l’armée la plus puissante que vous ayez jamais vu, et je vous écraserais, vous et vos nouvelles recrues… Et au vu des nouvelles que je viens de recevoir, il se pourrait que vous ayez une autre surprise de taille quand je reviendrais pour vous anéantir… »

 

Juste après cette tirade, Sacham ordonna le retrait des troupes. L’armée du roi des sirènes dut repartir sans avoir pu accomplir ce pourquoi elle était venue, retournant vers leur lieu de départ, aux abords du Palais Royal. Au bout de quelques instants, elle disparut, sous les yeux du Général Weiss, observant ces alliés inattendus. Puis, il reçut un message sur son portable, lui demandant de venir dans son bureau pour avoir des réponses aux questions qu’il devait se poser en ce moment. Intrigué, il demanda à ses hommes de continuer à observer l’armée salvatrice qui avait permis d’être sauvé in extremis, avant de se rendre à son bureau. Une fois sur place, il aperçut une silhouette installée sur son fauteuil.

 

« Fermez la porte, Général Weiss. Je préfère que notre conversation soit d’ordre privée pour l’instant… »

 

Bien que sur la défensive, Weiss s’exécuta, et s’adressa ensuite à la silhouette devant lui :

 

« Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entrée ici ? Et surtout, qu’est-ce que vous voulez ? »

 

La voix reprit :

 

« Allons, allons, Général : est-ce ainsi qu’on s’adresse à celle qui vient de vous sauver la vie, vous et vos hommes ? Ce n’est pas très poli… »

 

Puis, la silhouette sortit de l’ombre, se révélant à la lumière, et montrant les traits d’une femme. Une femme qui lui rappelait quelqu’un qu’il connaissait malheureusement bien, et qui était la cause de la résistance…

 

« Si vous vous posez la question, et je sais que c’est le cas, oui, j’ai un certain lien de parenté avec Krysta. Et Sacham, aussi… Puisqu’il s’agit de ma fille et mon petit-fils… »

 

Eberlué par la surprise de cette révélation, Weiss parvint tout juste à bredouiller :

 

« Que… Quoi ? Vous êtes… la mère de Krysta ? Mais je croyais qu’elle était morte depuis des années… »

 

La femme s’assit sur le devant du bureau de Weiss, souriant à ces mots :

 

« Chaque chose en son temps, Général Weiss. Je vous dirais tout ce que vous devez savoir. Mais laissez-moi d’abord me présenter : Je me nomme Myrga. Reine de la Nouvelle Atlantis. Et je viens pour vous aider, vous et votre peuple, à retrouver votre liberté… »

 

Fin du 2ème Cycle

 

A suivre dans le 3ème cycle :

« Mermaid’s War-Les Enfants d’Atlantis »

 

Publié par Fabs

22 févr. 2022

LA MOMIE DES MERS

 


Cette histoire est basée sur un faits divers réel. Celui de la découverte, au large des îles des Philippines, du corps momifié de Manfred Fritz Bajorat, à l'intérieur de son bateau à la dérive, le 25 Février 2016. Un cas unique de momification naturelle en milieu marin, et ce dans un temps extrêmement court, soit 7 jours, rendant caduque tout ce que l'on pensait savoir sur le processus de momification...

 

Quand j’ai reçu au sein de mon lieu de travail particulier, cette morgue où je passe le plus grand nombre d’heure de mon temps de vie dans la semaine, le corps de Manfred Fritz Bajorat, j’ai d’abord été surpris par l’état de ce dernier. Ma première réaction a été de penser qu’il s’agissait d’une momie égyptienne sortie d’un sarcophage volé dans un musée spécialisé dans cette période de l’histoire. Bien qu’improbable, cette idée n’était pas si saugrenue de prime abord, tellement j’ai vu des histoires incroyables au sein du département de police dont je dépendais. Mais ce n’était pas une momie « classique » au sens propre du terme. Entendez par là que ce n’était donc pas le corps desséché et parfaitement conservé d’un ancien pharaon ou bien celle d’un prêtre inca ou aztèque, mais bel et bien celle d’un homme mort dans des circonstances curieuses, il n’y avait que 7 jours… Ce qui semblait impossible. Comment un corps avait pu se momifier de façon aussi parfaite en un laps de temps si court ?

 

Franchement, j’ai bien cru au départ qu’on me faisait une blague douteuse, avec la complicité des autres membres du département policier. D’autant que j’avais déjà eu droit à deux reprises à leurs blagues de très mauvais goût, qui m’avait values des sueurs froides. La première fois pour mon arrivée au sein de la morgue. Une sorte de bizutage morbide où les membres de la section scientifique avaient placés à l’intérieur d’un corps fraîchement débarqué, des sortes d’électrodes tel qu’on en utilise pour faire repartir le cœur de personnes en état de choc cardiaque, savamment dissimulées, actionnables à distance. Cette nuit-là, j’ai poussé des hurlements de terreur en voyant le corps bouger, comme s’il était vivant, grâce à la dextérité des manipulateurs. J’ai couru comme un dératé dans les couloirs, me dirigeant vers la sortie. Une fois arrivé à la porte située à l’arrière du bâtiment, et avoir ouvert celle-ci, j’ai eu la surprise d’être accueilli par un groupe de policiers hilares, qui m’ont expliqué leur petite blague qui avait failli me déclencher une crise cardiaque.

 

La deuxième fois, ils ont poussé la perfection encore plus loin, la nuit d’Halloween, en substituant un corps, avec la complicité de mon supérieur et ami, et en mettant à la place, pendant que j’avais été envoyé par ce salaud de Chris à la réserve pour récupérer une pompe de thanatopraxie, prétextant d’un mauvais fonctionnement de celle que nous utilisions habituellement. Ça ne m’avait pas paru bizarre dans un premier temps, la pompe présentant effectivement des irrégularités depuis quelques jours. J’ignorais à ce moment que la vraie pompe avait été remplacée volontairement par une défectueuse à mon insu, par ce même Chris. A mon retour de la réserve, surpris de son absence soudaine, mais ne m’en alarmant pas, car pensant qu’il était peut-être parti aux toilettes, je me préparais à effectuer les opérations d’usage sur notre patient du soir, quand celui-ci se mit à se lever et se diriger vers moi.

 

Je crois que je n’ai jamais hurlé aussi fort que ce soir-là. La faute au génie du maquillage d’un groupe d’étudiants spécialisés dans les films d’horreur, qui s’était chargé de maquiller un des hommes du commissariat proche de la morgue, de manière tellement réaliste, et ressemblant trait pour trait au défunt qu’on était chargé, Chris et moi, de s’occuper, que j’ai vraiment cru être dans une version véritable du retour des morts-vivants. J’étais tellement terrorisé que je suis tombé au sol, cherchant à fuir à reculons, puis en rampant, après avoir lancé tout ce que je pouvais comme objets à proximité sur le mort qui marchait. Et puis, comme pour la fois précédente de leurs tours macabres, j’ai entendu des rires venir de toute parts, des policiers et Chris se montrant, caméras à la main pour certains, portables pour d’autres, filmant la scène. En me retournant, je vis le « cadavre » les mains sur les genoux, éclatant de rire lui aussi. Ça m’a pris plusieurs minutes avant de me remettre, et il a fallu que le comédien enlève son masque de latex pour que je sois convaincu que ce n’était pas un vrai mort en face de moi, malgré les explications des autres.

 

Comme vous voyez, j’avais pris l’habitude de leurs petites farces à la limite du supportable, et j’ai bien cru qu’il s’agissait d’une nouvelle mise à l’épreuve de leur part. Mais cette fois, j’ai vu le ton interrogatif de Chris et des gars chargés d’amener le corps, et j’ai compris que ça n’avait rien d’une nouvelle pitrerie orchestrée par Chris et ses amis. Ce cas était bien réel, et suscitait nombre de questionnements. 7 jours. Il ne s’était passé que 7 jours pour que ce corps se momifie, selon les premières analyses des équipes médicales, suite à la constatation et la découverte du corps de Manfred Fritz Bajorat au sein de son bateau en dérive. 7 jours pour arriver à une momification de cette ampleur, ça semblait tellement impossible.  Scientifiquement impossible que ce corps se soit momifié en si peu de temps, là où il fallait parfois des mois, voire des années pour arriver à un résultat similaire. Et encore. En utilisant des techniques particulières pour favoriser la momification, tel les rites utilisés par des civilisations tels que les prêtres de l’égypte antique ou celles précolombiennes. Tandis que là, d’après les premiers rapports légistes en notre possession, rien de tout ça n’avait été constaté. La momification s’était faite de manière totalement naturelle, sans la moindre intervention humaine. C’était du jamais vu, et j’avoue m’être posé la question d’une action surnaturelle, bien que cette idée, en tant qu’explication rationnelle, et en tant que médecin cartésien, me révulsait. Mais le fait était que ni Chris, ni moi, ni l’entourage scientifique n’avait de solution à apporter dans un premier temps à cette énigme…

 

La nouvelle fit grand bruit évidemment, au vu de la nature exceptionnelle d’un tel fait, et les journaux et médias de toute sortes ont eu vite fait d’élaborer des hypothèses toutes aussi farfelues les unes que les autres. Certains évoquèrent des créatures marines, possédant une sorte de venin ayant causé cette momification ultra-rapide ; d’autres parlèrent d’une expérience ratée occasionnée par la personne momifiée, bien qu’il fut prouvé que Manfred, la victime de ce mal étrange, n’avait aucune connaissance scientifique, et n’avait rien d’un Dr. Frankenstein ou ayant des connaissances dignes d’Octopus ou Fatalis, au grand dam des fans de comics ou passionnés de science improbable. Les complotistes ont fait part de leurs théories à base de gênes extraterrestre ou de météorites venues d’une autre galaxie possédant un virus inconnu, et inoculé à son insu à la victime. Autant de tentative d’explications toutes aussi folles et dénuées de sens les unes que les autres, surtout en connaissant la personnalité de Manfred Fritz Bajorat.

 

Ce dernier était un marin, un navigateur expérimenté de 59 ans, de nationalité allemande, qui était parti des Pays-Bas il y avait 20 ans de cela pour un tour du monde en bateau. C’est un ami du navigateur qui avait indiqué qu’avant la découverte du bateau, avec à son bord le marin, il n’avait plus eu de contact avec son ami depuis déjà un an. Beaucoup ont avancé que la mort était, du coup, peut-être plus ancienne qu’on le croyait, et que les légistes chargés des premières constations du décès s’étaient trompés dans la datation. Mais l’ami du navigateur avait précisé que Manfred avait peut-être eu une avarie sur sa radio, ce qui l’avait empêché de communiquer, n’ayant pas le matériel adéquat, et surtout les connaissances, pour la réparer. Celui-ci ayant été assez discret sur ses rares étapes pour se ravitailler durant son long périple en mer. D’autant que l’enquête a également révélé que le bateau avait essuyé une tempête. Seule incertitude à ce sujet : on ne savait pas si la mort était survenu pendant cette dernière, ou avant, expliquant la dérive du bateau, la mort de Manfred ayant été évaluée à 7 jours avant sa découverte.

 

C’est d’ailleurs ce point qui nous a alerté en premier, Chris et moi. Nous nous demandions si cet environnement particulier qu’est le milieu marin n’avait pas eu un impact sur cette momification accélérée et hors norme, allant à contresens de tout ce qu’on pensait savoir sur cet état de conservation du corps. Les vents océaniques et leur air salé, rempli d’iode, favorise une putréfaction rapide, comme il a déjà été constaté lors de corps repêchés en mer, sur les parties immergées de ceux-ci, étant en contact avec l’air, car flottant à la surface de l’eau. Mais généralement, dans ces cas-là, l’effet de putréfaction se limite à certaines zones, et pas au corps entier. Et surtout n’occasionne pas une momification de cette ampleur, mais simplement une rigidité cadavérique plus rapide que la moyenne. Dès lors, nous nous mîmes à faire plusieurs constatations en autopsiant le corps, et nous nous aperçûmes d’un premier fait troublant. A savoir que le haut du corps était dans un meilleur état de momification que la partie basse. Ce qui n'avait pas de sens. Du moins, c’est ce que nous pensions à ce moment-là.

 

Le fait que Manfred était enfermé à l’intérieur de son bateau, et donc n’étant pas en contact avec l’eau, facteur non négligeable de désagrégation du corps, était une clé du mystère, que Chris et moi avons creusé. Pour qu’une momification puisse opérer, elle doit avoir lieu dans un environnement aqueux, humide à un certain niveau, sans pour autant être immergé, et le corps doit être dépourvu de toute substance liquide, ceci afin d’éviter la putréfaction interne et occasionnée par des bactéries.

 

Un environnement humide, balayé par des vents de même teneur, favorisent l’accélération de la momification, car empêchant la prolifération de ces bactéries, provoquant la putréfaction. Les bactéries se développant en milieu sec. Un autre élément nous apporta la lumière de la solution. En l’occurrence, la présence de substances poisseuses sous le corps, signe que le corps s’est vidé de toute forme liquide qui aurait pu provoquer la putréfaction du corps. Celle-ci s’est donc opéré en dehors du corps. Ce dernier, asséché et soumis à l’air marin, a commencé à se contracter, et a mis en place la momification. Un phénomène constaté lors de la découverte de momies découvertes dans des grottes présentant des conditions similaires, où le taux d’humidité et la présence de vents s’engouffrant par l’entrée de la grotte, permettait également une momification, bien que moins rapide que celle de Manfred.

 

Le dernier élément déterminant était la position de Manfred, dont la mort était dû, selon les rapports et l’autopsie effectuée par nos soins, à un infarctus du myocarde. Le navigateur devait être donc assis au moment de l’attaque cardiaque, et fut sans doute très soudaine, le laissant dans la position où il fut trouvé par les marins locaux ayant découverts le bateau à la dérive et le corps à l’intérieur. Cette position assise a favorisé l’expulsion des liquides du corps, autrement dit ce qu’on appelle les jus de putréfaction, qui se sont déversés au sol, et formant les substances poisseuses découvertes sous le corps. Une fois débarrassé des liquides le constituant, comme le sang et l’eau, ceux-ci se putréfiant en dehors, les tissus du corps, soumis aux vents marins salés, celui-ci agissant en tant que conservateur, en se déposant sur sa surface, et formant une couche protectrice, qui a occasionné un assèchement rapide de l’intérieur, en commençant par les organes, avant de s’étendre sur les autres parties. Raison pour laquelle la partie supérieure du corps était dans un état de conservation plus évoluée que la partie basse, cette dernière, pas complètement vidée de tout liquide, ayant une action moins propice à une momification aussi rapide que la partie haute.

 

Fort des résultats de nos analyses, nous avons donc pu expliquer de manière rationnelle ce cas unique de momification qui n’a pas d’équivalent, en tout cas dans l’environnement où il a été découvert. Néanmoins, il subsiste quelques zones d’ombre sur des points qui n’ont pas été révélés à la presse, Chris et moi étant conscients qu’ils soulèveraient d’autres interrogations qui pourraient remettre en question nos conclusions sur la mort étrange de Manfred. Points relatés aux officiers des affaires maritimes chargés de l’affaire, qui ont clairement fait comprendre de ne pas ébruiter ces zones d’ombre. J’ignore pourquoi j’ai fait ça, mais j’ai cherché à savoir si ces officiers appartenaient bien à la marine, de manière non-officielle, usant de mes compétences informatiques et d’un passé que je me suis bien gardé de signaler quand j’ai été embauché à ce poste, il y a 6 ans de ça, à une époque où je faisais partie d’un groupe de hackers opérant sur des cibles bien précises, coupables d’actions frauduleuses, et ayant causées des drames familiaux.

 

Et si j’ai bien pu constater la véracité d’identité de deux d’entre eux, le 3ème qui les accompagnaient, lui, était totalement inconnu des services maritimes, côtiers ou toute autre fonction du même ordre. Ce qui était curieux et me confortait dans le fait que les fameux points, qui pouvait paraitre insignifiant, avaient sans doute une importance plus grande qu’il ne le paraissait. L’un d’eux étaient ces fameux trous en forme de triangle situés sous l’oreille droite du corps, qui, malgré la momification, avaient pu être visibles par traitement informatique des clichés du corps. Une autre chose curieuse était l’absence de plusieurs dents, qui montraient des traces non pas de chute naturelle ou d’extraction dentaire, mais plutôt semblaient avoir été comme découpées au laser, de façon bien nette, à la base de la racine. Celle-ci étant toujours en place, montrant bien qu’il ne s’agissait pas d’une extraction. En tout cas pas de façon classique. L’un des faits le plus troublant était la datation même de l’âge de Manfred, qui ne correspondait pas à sa date de naissance officielle, telle qu’indiquée sur son extrait de naissance.

 

La datation, aussi dingue que ça paraissait, donnait l’âge de… 256 ans ! C’était complètement incompréhensible. J’ai fait le test de datation 3 fois, pensant m’être trompé, sans en parler à Chris, et à chaque fois je suis arrivé au même résultat… Il semblait que son extrait de naissance et la plupart des documents officiels concernant Manfred avaient été falsifiés, afin de cacher son véritable âge. Sans compter que certains tissus internes ne correspondaient pas avec l’ADN d’autres parties du corps, ce qui était encore plus troublant. Ainsi que des traces de coutures extrêmement fines, presque invisibles. La momification avait permis de mettre à jour ces traces infimes. C’était comme si Manfred était composé de différentes parties de corps. A la lumière de ces constatations, je me posais la question de qui était réellement Manfred Fritz Bajorat… Etait-il seulement humain ? Et qui était cet officier maritime qui n’apparaissait sur aucun registre ? Ayant acquis certaines de mes découvertes de manière non autorisées, je ne pouvais évidemment pas en parler. Mais depuis, je me sens épié, surveillé par quelqu’un… ou quelque chose…Tapie dans l’ombre, prêt à guetter un faux pas de ma part, une révélation de ces points troublants pour lesquels on nous avait explicitement indiqués, à Chris et moi, de nous taire. Sauf que Chris ne savait pas tout ce que j’avais découvert. Ce qui me mettait dans une position bien plus dangereuse que lui…

 

Une semaine plus tard, j’appris que Chris avait été muté ailleurs, à sa demande. Chris et moi on ne se cachait jamais rien. Jamais il n’aurait omis de me dire qu’il partait ailleurs. Et son remplaçant semble trop prévenant pour être sincère. Je sens bien qu’il joue un jeu, afin de m’amadouer, espérant que je fasse une erreur en parlant de ce que je ne devrais pas savoir, et que Chris ne savait pas. Je sais que j’ai sans doute mis le doigt sur quelque chose d’interdit, et que ma « disparition » ou ma « mutation secrète » est peut-être déjà inscrite sur un document, attendant qu’un cachet soit apposé si mon surveillant, car il est évident que c’en est un, se rend compte que j’en sais trop. C’est pourquoi j’ai fait ce journal, et que je vous l’ai envoyé, Mr. Mulder, en utilisant un chiffrage que je sais que vous serez capable de décoder. Juste au cas où quelqu’un parviendrait à le réceptionner en même temps que vous. Après tout, j’ai bien réussi à cracker votre adresse mail pour vous envoyer ce journal. Qui dit qu’il n’y en a pas d’autre qui ait pu le faire…

 

Je fais confiance à votre réputation, et j’espère que vous porterez crédit à mes interrogations à travers ces mots que je vous livre. Si par la suite, vous constatez ma disparition en tentant discrètement de me recontacter, sans que mon babysitter ne s’en rende compte, c’est que mes découvertes se révèleront plus importantes que je le pensais. Et en ce cas, vous resterez le seul à même de résoudre le vrai mystère qui se cache derrière le secret de la momie des mers…

 

Publié par Fabs