27 nov. 2020

UN COEUR A PRENDRE

 


Croyez-vous à l’amour ? Ou plutôt croyez-vous aux rencontres fortuites lors d’une soirée dans un bar où vous n’attendez rien, en dehors de plonger un peu plus dans la morosité qui vous étreint au moment où vous y êtes entré ? Je sais, ça peut paraitre un peu bizarre comme question, mais c’est pour que vous compreniez mieux ce qui m’est arrivé il y a peu, et aussi faire en sorte que de mettre en garde contre la personne qui m’a rendu en l’état dans laquelle je vous parle en ce moment. Ah oui, c’est vrai : j’ai oublié de vous préciser que je ne suis pas humain. Enfin, pour être précis, je ne le suis plus. Je suis devenu ce que vous appelez un fantôme, un esprit, un revenant. Qu’importe le nom que vous lui donniez. Je ne suis plus qu’un corps immatériel condamné à errer dans ce monde. Vous pensez sans doute que je mérite cet état ? Que c’est parce que j’ai commis une faute grave que je me retrouve à déambuler de la sorte ? Bon, je ne peux pas vous en vouloir : vous faites vraisemblablement partie de ceux qui ont été nourris par les histoires fantastiques à la « The Grudge » ou « Conjuring », persuadés que tous les esprits sont mauvais et ne cherchent qu’à faire le mal. J’ai été comme vous à une époque. Mon seul lien avec le surnaturel étaient les films, les bouquins, les docs, que je considérais plus comme une distraction que comme un fait établi. Je le regrette aujourd’hui. Si j’avais un peu plus cru en ces choses, j’aurais certainement été plus méfiant, je serais toujours un être physique, et je ne serais pas là à me lamenter sur mon sort auprès de vous. Mais je brûle les étapes. Vous vous demandez sûrement comment j’ai bien pu devenir cette entité fantomatique qui cherche à vous prévenir d’un danger ? Et vous avez raison. Mais je tiens à vous prévenir : cette histoire est à la fois belle et tragique, horrible et tendre. Tout dépendra du point de vue que vous aurez sur les évènements que je vais vous conter à présent.

 

Mais reprenons au début : je me nomme Harvey. Je vous vois venir. Non, pas comme le lapin invisible du film avec James Stewart. Même si au vu de mon état actuel, je peux comprendre la comparaison. Mais mon prénom, je l’avais bien avant de devenir un esprit. Reprenons : le soir où ma vie a basculée, je venais de subir une séparation douloureuse avec celle qui partageait ma vie depuis 5 ans. Autant vous dire que moralement, j’étais dans un état pas beau à voir. Le visage blafard, les yeux dans le vide… Une loque au sens propre du terme. Et comme je trouvais que c’étais pas assez, je me suis retrouvé sans trop savoir comment dans ce bar, à commander whisky sur whisky. 

Je devais bien en être à mon 4ème verre quand une femme magnifique est venue s’asseoir près de moi, au comptoir du bar. Je n’avais jamais vu une telle beauté. De type asiatique, les cheveux noirs descendant jusqu’à la moitié du dos, des courbes parfaites, un visage angélique… Bref, j’étais complètement sous le charme. Le type même de personne que tu sais que tu ne pourras jamais avoir la moindre chance avec elle. Alors, quand celle-ci a commencé à entamer la conversation, j’ai cru que j’étais en train de rêver. Je ne me rappelle même plus de quoi on a parlé exactement. J’étais tellement subjugué par sa beauté que je ne me souviens pas avoir fait attention à autre chose. Et puis, le rêve a atteint un autre niveau : elle m’a invitée à continuer notre conversation chez elle. Elle m’a dit qu’elle n’habitait pas très loin, et qu’elle aimerait beaucoup faire plus ample connaissance avec moi dans un cadre plus…intime.

 

Face à une telle proposition, je ne connais aucun homme qui aurait refusé. Surtout de la part d’une véritable déesse de beauté comme elle. Alors, bien sûr, j’ai accepté, et je l’ai suivi chez elle. Une petite maison toute simple, dans le plus pur style japonais, avec un petit jardin composé de tout ce qu’on voit dans les films venant tout droit du pays du Soleil Levant. Jusqu’à la devanture. Avec une différence cependant : un peu partout, il y avait des décorations d’araignées. Statuettes, lampes japonaises, gravures sur le mur. C’était beau, mais curieux cette obsession de ces bestioles. Déjà, j’aurais dû me douter que cela cachait quelque chose. Mais je ne sais pas si elle m’avait envoûté ou quoi que ce soit d’autre, mais je ne voyais qu’elle. Comme si on se connaissait depuis des années. Du coup, tout le reste m’importait peu. A l’intérieur, on a continué à parler un peu, tout en partageant une bière asiatique. C’était vraiment agréable, et plus le temps passait à discuter avec elle, plus je sentais mon désir pour elle augmenter. Et puis, elle m’a pris par la main, avec ce petit regard mutin qui en disait long. 

 

Elle m’a entrainé vers sa chambre, et moi j’étais comme un petit garçon à qui on avait promis de faire voir son cadeau d’anniversaire en avance. Sauf que là, le cadeau, était bien plus somptueux. Une fois entré dans sa chambre, sans que j’ai le temps de dire quoi que ce soit, elle a commencé à me déshabiller. Complètement. Ensuite, elle m’a littéralement poussé vers le lit où je me suis affalé sans bouger, attendant la suite des évènements. Elle s’est mise nue à son tour. Son corps était magnifique, parfait. En y repensant, trop parfait. Cela aurait dû m’alerter. Une beauté physique pareille, ça n’existe pas dans le monde humain. Mais sur le coup, j’étais bien trop sous le charme pour penser à ça. Elle s’est allongée sur mon corps. Moi, je sais pas pourquoi, mais je pouvais même plus bouger, comme paralysé par sa beauté irréelle. Sans trop savoir pourquoi, je fermais les yeux. Sans doute pour vérifier que je ne rêvais pas. J’en sais trop rien en fait.

 

C’est après que tout a dérapé. Que le cauchemar a commencé. Pendant que j’avais les yeux fermés, j’ai senti que mon corps se paralysait de plus en plus. C’était comme si je m’étais transformé en piquet de bois. Je sentais même plus mes bras et mes jambes. C’était vraiment très curieux. Quand j’ai rouvert les yeux, j’ai cru que j’étais soudainement plongé en enfer. Devant moi, la jeune femme magnifique avait fait place à un visage de cauchemar. Une rangée de yeux d’un rouge flamboyant parsemait le haut de celui-ci. Sa bouche était pourvue d’une multitude de dents acérées, son nez avait disparu, ses cheveux semblaient comme flotter dans les airs autour d’elle. Et il y avait pire : des excroissances sortaient de son corps. On aurait dit des pattes immenses. Mais pas n’importe quelles pattes. Des pattes d’araignée. Et en regardant vers mon corps, je compris pourquoi je ne pouvais plus bouger. J’étais pris dans une sorte de cocon fait de toile qui enveloppait tout mon corps, bloquant tout mes mouvements. J’étais pris au piège. Mais l’horreur ne s’arrêta pas là. Elle prit dans ses bras une couverture. L’aspect faisait penser à un lange pour bébé. Elle le déposa alors près de ma tête, puis défit le lange. A l’intérieur, une quantité impressionnante d’œufs se mit à éclore, libérant des centaines de petites araignées qui se ruèrent vers mon visage, avant de le croquer de toute part. La douleur était insupportable, et elle, elle regardait en souriant. Pendant que je me faisais dévorer le visage de toute part en hurlant, elle se jeta sur moi à son tour, plongeant sa main dans mon corps, et, en quelques secondes, extirpa mon cœur palpitant et sanguinolent. Je pense que c’est à ce moment là que je vis les choses autrement. De plus haut. 

 

Mon esprit était sorti de mon corps, et j’assistais au carnage perpétré par la Jogorumo et ses enfants. J’ai appris le nom de cette créature par la suite, en me faufilant dans une bibliothèque. Quand on n’a plus de corps, rien de plus facile. Le plus compliqué a été d’apprendre à manipuler les objets matériels. Bref. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer ce qu’on peut ressentir quand on voit son propre corps se faire littéralement dévorer par une créature de ce type, sans rien pouvoir faire. C’est la pire des situations. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais devenu un fantôme. Au début, j’ai cru que j’étais sous l’emprise de drogue, ou quelque chose d’assimilé. Mais quand j’ai essayé de l’arrêter, de crier, et que j’ai vu que mes doigts passaient à travers son corps, sans que ça puisse la stopper, j’ai compris. J’ai compris que j’étais mort, et que c’était mon corps qui servait de repas à cette créature. Le spectacle était horrible et a duré des heures. A la fin, il ne restait plus rien. Même pas les os. Tout juste des masses de sang sur le sol et les draps du lit. Je suppose qu’elle a tout nettoyé par la suite. Ou jeté. Et qu’elle avait déjà en tête sa prochaine chasse. Car c’est tout ce que j’étais. Une proie. Un casse-croûte pour satisfaire son appétit.

 

Voilà mon histoire. Comme je vous l’avais dit : belle au début, tragique à la fin. Le genre d’histoires qui vous fait voir la vie autrement. Mais au moins, je tiens à ce que mon sacrifice serve à quelque chose, en prévenant de l’existence de cette monstruosité. Maintenant, vous savez à quoi vous en tenir. Si par malheur, vous croisez la route d’une beauté asiatique sans équivalent, que vous vous sentez attiré par elle de manière irrésistible sans comprendre pourquoi, et que celle-ci vous invite à venir chez elle : fuyez. Partez le plus loin possible d’elle et de sa bouche dévoreuse de chair. Car une fois entré dans son antre, ce sera trop tard. Vous rejoindrez la liste de ses victimes, et deviendrez comme moi une âme en peine. Un esprit tourmenté qui regrettera toute sa vie d’avoir fait passer le plaisir avant la prudence. 

 

Publié par Fabs

24 nov. 2020

VENGEANCE INVISIBLE

 


La vie tient parfois à peu de choses, et le simple fait de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment peut engranger la pire des situations, alors qu’on n’en est pas conscient au moment de l’acte. C’est ce qui est arrivé à Nathan, alors qu’il passait la tondeuse afin de rendre le jardin de sa propriété nouvellement acquise plus acceptable. Un terrain immense qui n’avait pas subi un tel rafraîchissement depuis des années visiblement, au vu de la hauteur des herbes. Une propriété qu’il avait eue pour une bouchée de pain, à cause de sa mauvaise réputation. Tous les précédents habitants ayant disparus dans des circonstances mystérieuses, ou retrouvés morts, le visage rempli par la terreur, comme si ils avaient vu le diable en personne. Mais cela importait peu Nathan. Tout ce qu’il voyait, c’était qu’il était désormais propriétaire d’une magnifique demeure avec jardin. Il aurait pourtant dû se montrer plus curieux. Cela lui aurait sans doute valu de choisir un endroit qui allait lui faire découvrir l’enfer.

 

Nathan continuait donc de tondre les herbes hautes, quand soudain sa machine se bloqua net, comme si elle avait rencontré un obstacle. Il observa devant la tondeuse, la déplaça pour comprendre ce qui avait bien pu causer cela, mais il ne voyait rien : pas de pierre, de branche ou quoi que ce soit qui aurait pu expliquer que la tondeuse soit freiné dans son avancée. Sans plus chercher à comprendre, il continua malgré tout son labeur. A la fin de la journée, alors que le soir commençait à tomber, il éteignit le moteur, et rentra l’appareil dans la remise, avant de se diriger vers sa nouvelle maison pour un repos bien mérité. Une fois à l’intérieur, il ouvrit le frigo afin d’y prendre une bière, et s’installa ensuite sur le canapé du salon. Au bout d’un instant, il sentit une forte piqûre au niveau du cou. Pourtant, il n’avait entendu aucun moustique ou bestiole de ce genre tourner autour de lui. Instinctivement, il mit sa main à l’endroit où il avait ressenti la piqûre, et fut étonné de la grosseur de la plaie, et de l’étendue de sang en découlant. Si c’était un moustique qui avait fait ça, il devait avoir une sacré taille. Il alla vers la salle de bain, afin de prendre de l’alcool pour se désinfecter et un pansement. Tout en cherchant ce dont il avait besoin, il sentit une nouvelle piqûre au niveau du pied, encore plus douloureuse. Il regarda au sol, histoire de voir s’il avait marché sur une quelconque vis ou un clou laissé par les précédents propriétaires qui lui aurait échappé, mais là encore il ne voyait rien. Sans plus chercher ce mystère, il soigna sa blessure au cou, avant d’observer son pied. La blessure était là encore très profonde. Quel insecte avait bien pu provoquer ça ? Nathan se disait que dès demain, il ferait une inspection plus minutieuse de la maison, afin de se débarrasser de ces hôtes indésirables et surtout invisibles.

 

Un peu troublé par tout ça, et voyant qu’il commençait à se faire tard, il alla ensuite dans la cuisine afin de se faire un repas rapide. La tonte du jardin l’avait bien fatigué, et il était pressé de se coucher, alors il opta pour un plat préparé au micro-onde, afin de gagner du temps. Une fois celui-ci réchauffé, il s’installa sur la table de la cuisine, et commença à manger. Puis, de nouveau, il sentit une nouvelle piqûre au niveau de la cheville cette fois. Cette fois, il voulait en avoir le cœur net. Il interrompit son repas, et se mit à 4 pattes sous la table pour savoir ce qui était la cause de ce qui ressemblait fort à des attaques ciblées. Mais il ne voyait rien. Il ne comprenait rien. Mais en revenant s’installer sur sa chaise, il commença à paniquer en voyant son assiette. Une tête de mort semblait avoir été dessinée sur la purée de son plat. Assez petite, mais néanmoins bien visible. Nathan se leva d’un coup, observant les moindres recoins de la pièce, à la recherche de l’ennemi invisible qui semblait se trouver près de lui. Mais il avait beau regarder dans tous les coins, il ne voyait toujours rien. C’était incompréhensible. Nathan se disait que ce devait être la fatigue qui lui donnait des hallucinations. Il se décida alors à se rendre dans sa chambre, afin de se coucher. Une fois sur place, alors qu’il commençait à se déshabiller pour mettre son pyjama, son angoisse augmenta en entendant une voix très faible, mais néanmoins audible dire ces mots : « vengeance ». Qui avait bien pu dire ça ? Il ne voyait toujours rien autour de lui. Un fantôme ? Il n’y croyait pas. En plus de ça, un esprit se serait déjà manifesté physiquement. En tout cas, c’est ce qu’il tentait de se persuader. Soudain, il ressenti une autre piqûre au niveau de la tempe, puis une autre au niveau des jambes, des pieds. Cette fois, il crut apercevoir des petites silhouettes, très furtives se déplaçant au pied du lit avant de se faufiler sous celui-ci. Voulant connaitre le fin mot de l’histoire, il regarda sous celui-ci. Et là, il n’en revint pas : des centaines de petits êtres le fixaient. Leur taille ne devait pas dépasser quelques centimètres, voire quelques millimètres, mais ce qui était le plus inquiétant, c’était de voir qu’ils avaient tous des armes. Certes à leur taille, mais qui semblaient cependant très nettement dangereuses : couteaux, faux, pioches, machettes,… un vrai arsenal de tueurs en puissance. Puis, l’un d’eux s’avança vers Nathan, et s’adressa à lui : « Tu as tué Grimlock. Tu vas payer pour ton crime, maudit humain ».

 

Grimlock ? Tué ? De quoi ils parlaient ? Il n’avait tué personne. Soudain, il se rappela un détail lorsqu’il tondait la  pelouse : ce fameux obstacle qui avait bloqué la tondeuse. Ce devait être ce fameux Grimlock, écrabouillé par la tondeuse. Il tenta de se relever pour s’enfuir, sentant bien que quoi qu’il dirait face à cette foule en furie, il ne pourrait pas  les faire changer d’avis. Mais il ne put aller bien loin. Bientôt, ce fut une véritable armée qui sortit de sous le lit, armes en main qui se dirigèrent vers Nathan. Courant, sautant, enfonçant leurs armes partout sur son cou, ses bras, ses jambes. Il avait beau les rejeter, il en revenait d’autres, chaque fois plus nombreux, et plus décidés à le tuer. Il chercha à fuir vers la porte pour leur échapper, mais il se sentit soudain stoppé dans son élan. Les petits êtres avaient attachés ses pieds avec une longue corde qu’ils serraient avec force. Et avant qu’il ait eu le temps de faire quoi que ce soit, ceux-ci tirèrent d’un coup sec et Nathan se vit basculer en avant, sa tête frappant de plein fouet le mur devant lui, et le faisant s’écrouler sur le sol, tué sur le coup de l’impact. Voyant le corps inerte, celui qui semblait être le chef des petits êtres escalada le corps de Nathan, afin de se diriger vers son crâne, et planta plusieurs coups de couteau, comme pour s’assurer de sa mort. Au bout d’un moment, semblant satisfait, il fit un signe de la main, et toute l’armée des petits êtres se dirigèrent en sautant vers la fenêtre de la chambre, se glissant sous l’interstice ouvert qui leur avaient permis de se faufiler dans la pièce pour attendre le meurtrier de leur ami, avant de disparaître dans le jardin.

 

Si jamais vous veniez à voir une annonce pour cette maison et ce jardin, que ce soit sur le net ou au sein d’une agence immobilière, n’en tenez pas compte, et choisissez en une autre. Même si son prix est attractif, dites-vous que votre vie vaut bien plus que de la risquer, au cas où vous aussi, vous contrariez les petits êtres qui vivent sur cette propriété.

Publié par Fabs

19 nov. 2020

L'ARBRE AUX SACRIFICES

 


Peut-on forcer la chance ? Et si oui, jusqu’à quelles limites est-on capable d’aller pour que celle-ci fasse littéralement partie de notre quotidien ? Nombre d’entre nous font confiance au destin pour que cette chance s’insinue dans nos habitudes, au hasard d’un jeu à gratter, d’une rencontre amoureuse, d’un investissement hasardeux, ou d’un nouveau lieu de résidence. C’est avec cet état d’esprit que Young-Jae est venu s’installer dans le quartier de South Main Street à Eureka Springs, pensant y trouver le calme dont il avait besoin, après des semaines difficiles, dues à sa séparation avec son épouse. Une séparation qu’il n’a toujours pas digérée, tellement il la trouvait injuste et incompréhensible, arrivée juste après la perte de leur fille de 5 ans, Sun-Hi, renversée par un chauffard dans la rue, alors qu’il était occupé à réparer sa voiture dans le garage. Son épouse lui reprochait de ne pas avoir mis tout en œuvre pour empêcher ce drame. Qu’il aurait dû mieux la surveiller, faire en sorte qu’elle soit à ses côtés, pendant qu’il était à nouveau affairé à bidouiller sa foutue voiture. La perte d’un enfant est un déchirement à plusieurs  niveaux, et son épouse ne l’avait pas acceptée, rejetant toute la faute à Young-Jae, dont le comportement à la limite de l’impassible, n’avait pas vraiment arrangé les choses.

 

C’était ça qui avait été le vrai problème. Young-Jae n’exprime pas les émotions de la même manière que tout un chacun. De toute sa vie, il se ne souvenait même pas avoir pleuré ne serait-ce que quelques minutes, quel que soit la situation dans laquelle il s’était trouvé confronté. Pour la mort de son père, il n’avait pas pleuré. Pour celle de sa sœur, non plus. Et quand sa première épouse a été emportée par un cancer, là encore, il n’a pu verser la moindre larme. Pire encore : lors de la cérémonie funéraire de sa fille, alors qu’il était submergé par la tristesse au même niveau que son épouse, et de tous ceux qui les connaissaient, il ne parvenait à produire aucune larme. Son épouse avait pris ça pour un comportement inadmissible de la part d’un père, et elle avait demandé le divorce quelques jours après l’enterrement de leur fille. 

 

Cette impossibilité à ne pouvoir pleurer dans des évènements tragiques est un   comportement qui peut paraître curieux, sauf quand on sait que Young-Jae est atteint du syndrome de Sjögren, une maladie auto-immune rare, qui se caractérise par l’impossibilité de sécréter des larmes, à cause de la destruction des glandes les produisant. Seulement, il a appris qu’il était atteint de ce mal il y a seulement quelques semaines, après s’être décidé à consulter un médecin, sur les conseils d’un ami. Il avait bien mis au courant son ex-épouse de cette maladie, mais pour elle, ça ne changeait rien. S’il n’avait pas été occupé sur son véhicule, qu’il cherchait sans cesse à améliorer, comme une sorte d’obsession qu’il ne pouvait contrôler, Sun-Hi serait toujours en vie. Il l’aurait vu se diriger vers le portail en contrebas de leur maison, située sur une petite colline, surplombant le quartier où ils demeuraient. Il l’aurait vu sortir dans la rue, sans se soucier des véhicules circulant à toute allure. Il aurait pu empêcher que sa vie soit fauchée, alors qu’il lui restait tant d’années devant elle. Tant de temps où elle aurait encore pu offrir son sourire à ses parents, ses amis, ou bien les habitants du quartier qui l’adoraient.

 

Young-Jae savait bien que sa passion maladive à aimer avoir les mains dans un moteur en quasi-permanence avait joué un rôle essentiel dans ce drame. Mais comment aurait-il pu deviner que Sun-Hi sortirait de leur propriété, elle qui d’habitude craignait toujours d’être éloignée, ne serait-ce que de quelques mètres de ses parents ? Ce que Young-Jae ne savait pas, c’était que ce jour-là, Sun-Hi était subjuguée par la beauté d’un papillon multicolore qui s’était posé sur sa main, avant de repartir. Elle avait voulu le suivre, sans même réfléchir au danger que cette poursuite risquait d’entraîner. Mais quand on est une petite fille de 5 ans, on ne pense pas à ce genre de choses. Et voilà à quoi en était réduite aujourd’hui la vie de Young-Jae. Détruit de l’intérieur, mais incapable de le montrer. C’était comme une malédiction insurmontable. Un virus dont il ne connaissait pas le remède. Et il n’était pas le seul. Le médecin qui lui avait appris son mal ignorait comment résoudre son problème. Ce n’était qu’un petit médecin de campagne, et il n’avait pas les compétences pour traiter une maladie comme celle du syndrome de Sjögren. Alors, Young-Jae devait apprendre à vivre avec ce mal insidieux qui lui pourrissait la vie depuis son enfance, et qui lui avait valu de perdre tour à tout son enfant et son épouse qu’il aimait tant. 

 

C’était pour mettre de côté tout ça qu’il était venu s’installer ici, à Eureka Springs. Il avait longuement consulté sur le Net un endroit où il serait à même de reprendre le cours de sa vie, dans un environnement propice au calme et la sérénité. Et parmi tout les endroits merveilleux qu’il avait pu voir, Eureka Springs s’était imposé dans son cerveau, sans qu’il sache trop pourquoi. Comme une intuition, une petite voix dans sa tête qui lui avait quasiment intimé l’ordre de se rendre en cet endroit. Une fois sur place, il ne pouvait que constater à quel point cette ville respirait la tranquillité à laquelle il aspirait. Un vrai petit coin de paradis, dominé par des paysages à couper le souffle, à commencer par les Monts Ozark, et ses forêts luxuriantes. Décidément, l’endroit idéal pour un nouveau départ. Il avait trouvé cette maison sur South Main Street, recommandée par l’agence immobilière de la ville. Une maison magnifique qui lui faisait un peu penser à la demeure de Scarlett O’Hara dans « Autant en Emporte le Vent », l’un de ses films préférés. Là encore, il se disait que le destin était malicieux.

 

Il était loin de s’imaginer à quel point. Après avoir passé le portail lui donnant accès au Jardin qui s’étendait à perte de vue, il remarqua un vieil arbre, juste à la droite de la maison. Imposant, mais dont l’aspect jurait quelque peu avec la beauté du cadre dans lequel se trouvait le reste de la propriété. Il devait bien avoir des centaines d’années cet arbre, à en juger par la pâleur de ses rares feuilles disséminées sur les hautes branches. Et elles n’étaient pas les seules : l’écorce était aussi d’une texture particulière. Comme un vêtement dont les couleurs sont passées, du fait de leur âge. Il y avait autre chose d’étrange. Le centre du tronc de l’arbre semblait comme divisé en 2 parties. Une sorte de ligne donnait l’impression que l’arbre pouvait s’ouvrir et se refermer. C’était idiot, bien sûr, mais c’était vraiment l’idée qui lui venait en tête en voyant son aspect. Il l’observa quelques instants encore. Il ne pouvait l’expliquer, mais cet arbre le fascinait. Il y avait quelque chose qui lui donnait l’impression que les prochains jours, les prochaines semaines seraient liées à celui-ci. C’était vraiment curieux. Puis, Young-Jae se secoua la tête, comme pour se réveiller d’un songe, oubliant le vieil arbre, et se dirigea vers la maison, avant de s’engouffrer à l’intérieur.

 

Quelques jours plus tard, Young-Jae, alors qu’il commençait à prendre ses marques au sein de sa nouvelle vie, regarda à nouveau vers le vieil arbre qui le fascinait toujours autant. Cédant à sa curiosité, il se rapprocha de celui-ci, comme mû par un instinct  lui demandant d’en apprendre plus. Arrivé à la hauteur de l’arbre, il observa de plus près la texture de l’écorce. C’était vraiment très étrange. Elle  n’était pas dure, mais avait une certaine flexibilité, comme si on touchait un jouet en caoutchouc… ou de la peau humaine. Il regarda plus attentivement le centre du tronc qui l’intriguait tant. On avait vraiment l’impression d’un système d’ouverture. Un peu comme le  personnage de Gluttony dans le manga « Full Metal Alchemist ». Sauf que là, il ne voyait pas comment l’ouvrir. Il essaya d’écarter les deux tubulures opposées qui faisaient tout le long du bas du tronc, espérant parvenir à un résultat. Mais en vain. Tout ce qu’il parvint à faire, c’est s’entailler le doigt sur un morceau d’écorce. Alors qu’il appuyait sur la coupure tout en essayant de prendre un mouchoir dans sa poche, il entendit un léger crissement venant de l’arbre. Venant tout droit des tubulures.

 

 Il n’en croyait pas ses yeux. Il y avait maintenant une légère ouverture, extrêmement fine. Qu’est-ce qui avait bien pu la déclencher ? Il regarda alors sa blessure au doigt, et remarqua une trace de sang sur l’écorce, sur un des côtés constituant la brèche. Obéissant à un instinct, Young-Jae enleva le mouchoir qu’il venait de placer autour de son doigt, et positionna ce dernier à l’endroit où on voyait l’ouverture se dessiner. Pressant son doigt,  malgré la douleur, afin de faire couler plus de sang. Et là, ses yeux s’écarquillèrent : l’ouverture avait encore grandie. C’est le sang qui déclenchait le processus. Comment c’était possible ? Ce n’était qu’un arbre après tout. Ça n’était pas un être vivant. Enfin, pas au sens humain du terme en tout cas. Alors qu’il se demandait comment il pourrait encore plus permettre l’ouverture, il remarqua un reflet au pied de l’arbre. Il se rapprocha alors de la faible lumière émise. Sur le sol, légèrement caché par des brins d’herbe, il découvrit une pièce. Mais pas une pièce actuelle. On aurait dit une sorte d’écu ou de doublon espagnol. Comment une telle pièce pouvait se trouver sur cette propriété ?

 

Une idée saugrenue vint à l’esprit de Young-Jae : si c’était le fait d’avoir permis la légère ouverture qui avait fait sortir cette pièce de nulle part ? Ca semblait complètement stupide, mais voir un arbre s’ouvrir au contact du sang était déjà aberrant en soi. Du coup, l’idée n’était peut-être pas totalement dénuée de sens. Il se rappela qu’il avait vidé un lapin la veille pour son dîner, dont il avait gardé le sang pour faire une sauce. Il se précipita dans la maison, tout en remettant le mouchoir autour de sa plaie. Au bout de quelques minutes, il ressortit avec un flacon où se trouvait le sang du lapin. Sans réfléchir, il déversa la totalité à l’endroit où l’écorce de l’arbre semblait s’écarter. Et là, il crut rêver : sous ses yeux, au contact du sang, l’écorce s’écarta grandement, laissant apparaître un trou beant. L’intérieur du trou était bien trop sombre pour voir quoi que ce soit, et il ne voulait pas prendre le risque d’y plonger la main, sans savoir ce qu’il pouvait bien y avoir à l’intérieur. Instinctivement, il regarda au sol, histoire de voir s’il y avait une autre pièce, ou quelque chose de plus grande valeur. Mais il n’y avait rien. Se serait-il trompé ? Est-ce que ce n’était qu’un hasard si cette pièce se trouvait là ?

 

Perdu dans ses pensées, il entendit une voix venant du portail, scandant son nom. Un facteur attendait avec un colis. Pourtant, il n’avait rien commandé. Piqué par la curiosité, il se rendit au portail, afin de réceptionner le colis. Dans le même temps, le facteur le félicita pour le concours, avant de partir. Le concours ? De quel concours parlait-il ? Young-Jae vit alors sur le colis un logo. Celui d’une société spécialisée dans les vêtements de luxe. Il ouvrit le paquet, et à l’intérieur se trouvait une chemise Emporio Armani d’une collection qui ne se faisait plus, mais dont il savait qu’elle était très recherchée aujourd’hui. Il le savait parce qu’il adorait cette marque, mais qu’il n’avait jamais pu s’en payer une. La seule fois où il aurait pu avoir l’occasion, c’était… Le visage de Young-Jae se figea alors. Il regarda à nouveau le colis. Il vit qu’il y avait une lettre avec la chemise. Dans celle-ci, il était indiqué qu’il était le lauréat d’un concours de dessin. Un concours qu’il avait passé à l’âge de 12 ans, et qu’il pensait avoir perdu, n’ayant jamais eu connaissance des résultats, sa famille ayant déménagé vers un autre état peu de temps après qu’il ait envoyé son dessin. Comment la société du concours avait pu retrouver sa trace après tant d’années ? D’autant plus qu’il n’y avait pas longtemps qu’il était ici.

 

Il regarda alors à nouveau vers l’arbre. Maintenant, il en était sûr et certain. Cet arbre était loin d’être ordinaire. En plus de se nourrir de sang, il attirait la chance à celui qui lui en fournissait. Il y avait autre chose. Pour les quelques gouttes de sang, il avait eu une pièce ancienne, dont il ignorait encore la valeur. Pour le sang du lapin, le lot d’un concours passé il y avait des années. Une chemise de luxe hors de prix. Que se passerait-il s’il offrait plus de sang à l’arbre ? Cette idée commençait à germer dans l’esprit de Young-Jae, même si elle était clairement immorale. Il ne pouvait quand même pas tuer un être humain, juste pour vérifier ses soupçons, et pour avoir plus de chance… Même si cet arbre le fascinait de plus en plus, sans parler de la perspective de devenir l’homme le plus chanceux de la ville, ou même plus, il ne pouvait pas se résoudre à une telle extrémité. Il décida d’en rester là, et de réfléchir une autre fois à ce dilemme.

 

Les jours passèrent, et bientôt, un évènement inattendu accéléra le destin liant Young-Jae à l’arbre sanguinaire. Un matin, il eut la surprise de voir débarquer son ex-épouse. Que pouvait-elle bien venir faire ici ? Bien que réticent au départ, il accepta malgré tout de la laisser entrer dans la maison. Au départ, il pensait qu’elle avait eu des remords sur le fait de lui avoir rejeté la faute de la mort de Sun-Hi. Mais il n’en était rien. Si elle était là, c’était pour lui faire signer les papiers du divorce. Young-Jae n’en revenait pas qu’elle ait fait tout ce chemin juste pour avoir la certitude qu’il les signerait. Il avait reçu une demande de son avocat, qui lui avait envoyé déjà un exemplaire de ces papiers à signer. Mais avec tous ces évènements au sujet de cet arbre mystérieux, Il avait oublié. Et c’est là que la colère ressentie se transforma en haine pour la femme qu’il avait autrefois aimée. Une haine qui lui fit faire un geste qu’il n’aurait jamais cru capable de faire. Il s’empara d’une statuette de Bouddha posée sur un petit meuble, et profitant du fait qu’elle sortait les papiers pour les disposer sur la table, Young-Jae frappa de toutes ses forces l’arrière du crâne de son ex-épouse. Le choc fut tellement violent que celle-ci s’écroula sur la table. Voulant être sûr qu’elle n’avait pas survécue, il frappa encore la tête de sa victime.

 

Plusieurs fois. Young-Jae n’en revenait pas qu’il ait fait ça. Il laissa tomber la statuette sur le sol, et s’approcha du corps, tâtant le cou, afin de vérifier qu’il était bien sans vie. Aucun doute possible : son ex-épouse était bien morte. C’est alors qu’une autre idée s’imposa à Young-Jae, aussi folle que celle qu’il venait de commettre. Au prix de terribles efforts, il transporta le corps dans la salle de bains, et le plaça dans la baignoire. Il s’absenta un moment avant de revenir avec un grand couteau de boucher, puis trancha le corps de part et d’autres, afin de faire couler le plus de sang possible, dans le but de le recueillir, et l’offrir à l’arbre. L’offrir. Ce terme le fit frissonner, et en même temps, il trouvait cela terriblement excitant. C’était comme un sacrifice. Un peu comme ceux pratiqués par les Mayas en amérique du Sud, tel qu’il l’avait vu dans un documentaire, il y avait peu de temps. Peut-être que cet arbre est investi par l’esprit d’un ancien prêtre de cette civilisation ?

 

Jusqu’à présent, il n’était pas très à même de croire au surnaturel, mais avec cet arbre, ses doutes en la matière s’étaient dissipées. Young-Jae attendit d’être sûr que tout le sang s’était déversé dans la baignoire, puis il recueillit ce dernier à l’aide d’un siphon, afin de le transvider dans des bidons vides qu’il avait trouvés dans la cave de la maison, quand il s’était installé à Eureka Spring. Un long travail de patience s’opéra alors, et quand ce fut fait, Young-Jae sortit dehors. Fort heureusement, l’endroit où se trouvait l’arbre était invisible de la rue, car plongé dans une sorte de pénombre. Ca aussi c’était curieux. Il n’y avait pas vraiment prêté attention jusqu’à maintenant, mais tout l’espace autour de l’arbre formait comme une sorte de zone d’ombre très opaque, presque irréelle. Il se dirigea donc vers l’arbre, et, utilisant le siphon à nouveau, mais cette fois dans le but inverse, il déversa le sang contenu dans un premier bidon sur l’écorce. Le trou s’écartait de plus en plus, au point de former maintenant une ouverture de la taille d’une porte.

 

Dans l’attente de voir quelque chose se produire sous ses yeux, Young-Jae vit bientôt ses efforts récompensés. Venant de la pénombre de l’ouverture de l’arbre, de curieuses lianes noires sortirent. On aurait dit des sortes de cordes, mais extrêmement souples, se mouvant comme des serpents, semblant avoir une vie propre. Au début, il n’y en avait que 3 ou 4, mais bientôt, c’est plusieurs dizaines qui sortirent de l’intérieur de l’arbre, cinglant les airs tels des fouets vivants, comme à la recherche de plus de nourriture. Elles voulaient du sang, Young-Jae en était persuadé. Alors, il approcha le second bidon de l’ouverture. Lentement, il ouvrit le couvercle, laissant échapper les effluves du liquide rouge s’y trouvant, avant de reculer.Les lianes donnaient l’impression d’avoir senti la présence du sang. Elles se dirigèrent vers le bidon. L’une d’elles plongea à l’intérieur de ce dernier, comme pour le sonder. Au bout de quelques secondes, elle ressortit, et s’enroula autour du bidon, bientôt suivie par les autres lianes, qui tirèrent le bidon vers l’intérieur de l’arbre. Puis, plus rien. De longues minutes s’écoulèrent. Young-Jae se demandait si elles allaient ressortir, ou bien si un « signe » allait bientôt ressurgir. Avec tout le sang qu’il venait d’offrir, il allait sûrement bénéficier d’une chance énorme. Peut-être que son compte en banque allait se remplir miraculeusement de millions de dollars. Ou bien allait-il rencontrer une femme magnifique, issue de la Haute Société, qui tomberait dingue amoureuse de lui. Et peut-être aussi qu’il deviendrait le PDG d’une grande société de voitures de luxe. Autant de rêves autrefois inaccessibles qui semblaient se dessiner dans l’esprit de Young-Jae.

 

Soudain, il vit les lianes ressortir. Comme la première fois, d’abord par petites quantités, puis de plus en plus nombreuses. Encore plus que tout à l’heure. Leur nombre ne cessait de croître, s’agitant dans tous les sens, comme cherchant à nouveau leur nourriture. Mais il avait déjà donné à l’arbre tout le sang dont il disposait. Et il ne voyait toujours pas le moindre signe de sa récompense. Il se risqua alors, aussi ridicule que cela pouvait sembler, à s’adresser à l’arbre, demandant son dû pour le sang offert. Convaincu de son bon droit, il s’approcha, alors que les lianes devenaient de plus en plus nombreuses, et semblaient s’intéresser de plus en plus à Young-Jae, se rapprochant, frôlant ses jambes, ses bras, ce qui  ne rassurait pas ce dernier. Mais il se disait qu’il s’inquiétait pour rien. Les lianes ne pourraient rien lui faire. Sinon, elles se retrouveraient privées d’un fournisseur en sang dont elles ne pouvaient se passer. Cependant, la présence des lianes devenaient de plus en plus inquétante, celles-ci de pressant de plus en plus près de Young-Jae, au point que certaines commencèrent à s’agripper à son corps, s’enroulant autour des jambes, des mains. Young-Jae, cette fois, avait peur. Il essayait bien de repousser les lianes, décrochant celles qui s’étaient enroulées, mais d’autres prenaient la relève. Il voulut reculer, mais le nombre de lianes s’accrochant à lui s’accroissait de plus en plus, au point de former une véritable enveloppe autour de lui. Young-Jae était complètement en proie à la panique. 

 

Pourquoi ? Pourquoi faisaient-elles ça ? Il avait nourri l’arbre. Il lui avait offert ce dont il avait besoin. Pourquoi s’en prenait-il à lui ? Mais tout à ses ressentiments, Young-Jae ne voyait plus d’échappatoire. Les lianes, à chaque seconde plus nombreuses, le tenait fermement, et commençait à le tirer vers l’arbre. Young-Jae ne pouvait même pas crier, à cause des lianes s’étant engouffrées dans sa bouche en quelques secondes, comme si elles avaient devinées qu’il allait le faire, et que cela pourrait poser problème. Il n’y avait même plus de corps, tellement le noir des lianes l’enserrant s’était agglutiné autour de lui, continuant à le tirer inexorablement. C’est là, alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres de l’arbre, qu’il vit ce qu’il y avait à l’intérieur. Une sorte d’immense plante, dotée de corolles en forme de triangles acérés, du sang séché parsemant ce qui semblait être le corps de ce monstre. Et au milieu de tout ça, une gueule énorme, constituée de milliers de dents sur plusieurs rangées, elles aussi tâchées de sang, semblant attendre son repas s’annonçant. Et ce repas, c’était lui. Il le savait à présent. Comment avait-il pu être assez bête de croire qu’il pourrait bénéficier de chance toute sa vie grâce à un monstre ? Les « cadeaux » avaient juste pour fonction de lui permettre de le nourrir suffisamment afin qu’il puisse s’ouvrir complètement, et se nourrir par lui-même, grâce aux lianes. Ce monstre était comme un calamar. Il utilisait la même technique, les lianes remplaçant les tentacules. Ca y était. Il était arrivé au point culminant. Les lianes commençaient à le soulever du sol, afin de le diriger vers la gueule du monstre s’agitant devant lui.

 

En quelques secondes, il fut basculé au-dessus de ce cauchemar végétal, avant d’être projeté à l’intérieur, les lianes desserrant leur emprise d’un seul coup. Young-Jae n’eut pas le temps de proférer le moindre son que déjà les dents tranchantes de la plante monstrueuse se plantèrent dans son corps, transperçant chacun de ses organes vitaux, avant de le mastiquer comme un simple morceau de viande. Ce qu’il était pour cette créature de cauchemar, qui continuait à mâcher son repas, coupant, lacérant, éviscérant chaque partie du corps de Young-Jae, sans la moindre retenue. Il ne fallut que quelques minutes pour que celui-ci soit ingéré par le monstre de l’arbre, qui arrêta le mouvement de sa mâchoire après coup, comme satisfait d’avoir bien mangé. Semblant signifier la fin d’un cycle de vie, les lianes semblaient comme rappelées à leur point d’origine, rentrant dans des sortes d’orifice qui couvraient tout le corps de l’horrible créature. Puis ce fut au tour du tronc de l’arbre, de se refermer peu à peu, jusqu’à reprendre sa forme initiale. Celle dans laquelle Young-Jae l’avait découverte, et qu’il n’aurait jamais dû changer. Cela lui aurait valu de ne pas avoir perdu dans la vie dans des conditions abominables. Mais comme tout être humain avide de pouvoir et de richesse, il n’a pas su s’arrêter à temps, à cause d’une curiosité sans doute trop exacerbée. Aujourd’hui, il a finalement découvert le secret de cet arbre qui le fascinait tant. Mieux encore, il en fait désormais partie. Quant à l’arbre, il est retombé dans un état de sommeil, attendant qu’un autre inconscient vienne le réveiller à nouveau, afin de recommencer un nouveau cycle de vie.

 

Publié par Fabs

10 nov. 2020

HERITAGE SANGLANT

 


La nuit venait d’étendre son voile opaque à travers les rues et ruelles de la ville, se glissant dans ses moindres interstices, cherchant le rai de lumière qui lui aurait échappé pour se fondre sur lui et l’obscurcir de son manteau noir. Seuls quelques lampadaires vieillis par le temps jouaient les rebelles et donnaient l’impression de défier ce seigneur invisible envahissant les murs de briques partout où il passait. C’est dans ce duel habituel que l’horreur allait encore étaler sa toute puissance dans la pénombre d’une impasse gorgée par le néant. Affalée sur le sol, ne pouvant même plus arriver à crier, une jeune femme qui avait fait l’erreur de vouloir prendre un raccourci, vit soudain s’abattre une lame tranchante et lui sectionner net son cou dépourvu de toute verroterie pourtant habituel à toute fille de la nuit digne de ce nom pour attirer ses clients d’un soir. 

 

Mais le rituel n’avait rien de précis, et encore moins l’œuvre d’un orfèvre du meurtre, car bientôt l’ombre porteuse de mort asséna de nombreux autres coups semblant être disséminés au hasard, lacérant le visage à plusieurs reprises de gauche à droite et de droite à gauche dans un balayage incessant et sanglant, mettant les chairs à vif, avant de s’affairer à sortir les yeux de la malheureuse victime de leur orbite, écartant les trous ainsi formés jusqu’à l’extrême, transformant ce qui avait été autrefois une tête en un amas de viande rougeoyante, dont la substance liquide qu’on appelait sang se déversait sur le sol en quantités énormes.

 

Les mains responsables de ce massacre ne s’arrêtèrent pas là, réitérant les coups mortels sur l’ensemble du corps, déchirant chaque parcelle de peau, mettant en lambeaux la chair, sortant les os, les brisant, arrachant les entrailles fumantes pour les déverser en masse au hasard de la ruelle. Quel que pouvait être l’ombre s’affairant à dépecer de la sorte l’ancien corps humain qui se trouvait devant lui, il donnait plus l’impression d’une bête abominable, tuant pour le plaisir, et considérant l’éviscération comme le jeu le plus plaisant qui soit. 

 

Tout heureux de son tableau sanguinolent, la « chose » se releva, observant, le sourire aux lèvres, son jouet qu’il venait d’annihiler de toute vie, le réduisant en une multitude de morceau épars, comme les pièces d’un puzzle morbide.  Avant de repartir vers l’entrée de la ruelle, l’abominable meurtrier donna un dernier coup en écrasant littéralement parlant la tête de son infortunée proie, projetant ce qui en restait en une profusion de tissus humains s’imbriquant dans le sol tout autour. Semblant satisfait cette fois-ci, l’auteur du carnage releva la tête vers l’un des lampadaires, comme s’il cherchait la lumière de celui-ci pour s’en imbiber. Après ça, il sortit de la ruelle, et apercevant une flaque d’eau jonchant le sol, dans un réflexe incontrôlé, se pencha pour y faire apparaître son visage. Voyant ce dernier, celui qui semblait ignorer la pitié, au vu de son acte précédent, sursauta et se mit à crier, comme épouvanté de ce qu’il venait d’y voir.

 

C’est à ce moment-là que le jeune Samuel se réveilla dans son lit, trempé de sueur de toute part, et respirant à perdre haleine, tellement il semblait terrorisé de ce qu’il venait de vivre en rêve. Ce n’était pas la première fois qu’il vivait ce genre de rêves abominable, et empreint d’un réalisme à terroriser toute âme sensible. 2 mois déjà que ses nuits étaient parsemées de ces visions atroces, où mort, sang et carnage fusionnaient en un amalgame effroyable. Samuel ignorait d’où pouvait bien venir ces visions, lui qui avait en horreur toute forme de spectacle horrifique, grâce à une éducation où sérénité et beauté étaient les maîtres-mots inculqués par sa mère adoptive. Peut-être était-ce là le nœud du problème en y repensant, se disait-il. Cela faisait 2 mois qu’il avait appris par celle qui l’avait sorti d’un enfer la vérité sur la nature de sa mère biologique. Un choc pour Samuel, du haut de ses 16 ans. Normal, quand on apprend que sa véritable mère l’avait mis au monde en prison. Fiona, sa mère adoptive, l’avait cependant soutenu dans cette épreuve, qu’elle avait jugée nécessaire au vu de son âge. Nécessaire, car elle craignait que Samuel apprenne par lui-même ce terrible secret, et que cela détruise les liens qu’elle avait forgée avec lui toutes ces années, depuis le jour où elle l’avait sorti de cet horrible orphelinat où il séjournait auparavant. Elle devait donc lui donner elle-même ses origines. Mais pas tout. Il ne devait pas savoir toute la vérité sur sa vraie mère, ni que c’était la raison principale pour laquelle il s’était retrouvé dans cet orphelinat.

 

Un endroit sordide, où les murs sentaient l’âcre et l’humidité, où le personnel chargé de s’occuper des enfants ignoraient le sens du mot empathie, et ne voyaient dans leur travail qu’une tâche ingrate qu’ils détestaient au moins autant que les pensionnaires dont ils avaient la garde. Samuel était arrivé dans cet orphelinat alors qu’il n’avait que quelques jours. Le fils d’une meurtrière qui avait accouchée de lui au sein de la prison où elle purgeait sa peine. L’accouchement s’était mal passé, la faute à un personnel incompétent en la matière, et qui avait tout juste réussi à sauver l’enfant. Ne sachant qu’en faire, car il était évident qu’il ne pouvait rester dans la prison, le directeur l’avait confié à cet orphelinat, les Services Sociaux ne pouvant trouver une famille d’accueil pour un si jeune enfant, et surtout sachant qu’il était l’enfant d’une tueuse. Il n’avait pas une très bonne réputation, mais le directeur n’avait pas le choix.

 

C’est ainsi que Samuel avait grandi au sein de cette atmosphère où la haine et l’injustice étaient ses compagnons perpétuels. Brimé par ses camarades, parfois même violenté, par pur plaisir, il ne pouvait compter sur aucune aide, les membres du personnel étant plus préoccupés du jour de leur paie que des violences subies par un jeune garçon. Un calvaire qu’il avait dû subir quotidiennement jusqu’à l’âge de 11 ans. Jusqu’à ce que Fiona vienne le soustraire à cet enfer. Ce que Samuel ne savait pas à ce moment-là, c’était que celle-ci avait bataillé des années, juridiquement parlant, pour obtenir le droit de l’adopter. Elle connaissait le secret de sa naissance, celle que personne ne lui avait dit, et aujourd’hui encore, même après lui avoir indiqué des informations sur sa naissance, elle gardait une partie de ce secret enfoui en elle. Et il y avait une raison bien précise à cela. Fiona était à la fois la sœur et l’avocate de la mère de Samuel. La meurtrière qui avait perdu la vie en le mettant au monde. En apprenant que le nouveau-né avait été confié aux Services Sociaux, puis envoyé dans cet orphelinat, elle n’avait eu de cesse d’obtenir sa garde, en tant que membre de la famille. Un combat de plusieurs années, mais qui avait fini par payer, et elle avait enfin pu adopter Samuel, et l’élever comme son propre fils.

 

Elle n’avait jamais compris le parcours sanglant de sa sœur, mais pour elle, il était hors de question que son fils devienne comme elle. Et pendant 5 ans, elle avait mis un point d’honneur à faire en sorte que Samuel puisse bénéficier d’une vie saine auprès d’elle, en évitant d’indiquer qu’elle était sa tante, et que sa vraie mère était une tueuse sanguinaire. Pour Samuel, elle ne devait être que sa nouvelle maman. Il ne devait surtout pas apprendre les liens de parenté entre elle et sa mère biologique. Une mission qu’elle s’était elle-même confiée, et qu’elle avait réussie haut la main. Mais à l’approche des 16 ans de Samuel, elle savait qu’il lui faudrait dire une partie de la vérité, masquant le reste, pour la propre santé psychologique de ce dernier. Elle avait fait en sorte que les dossiers indiquant la nature de Rona, sa sœur, ainsi que son parcours teinté de sang et de larmes, ne soient jamais révélés, et elle avait pu obtenir que ceux-ci lui soient confiés. Afin d’éviter toute fuite qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour Samuel. Mais maintenant, elle se demandait si elle avait bien fait de lui masquer une partie de la vérité. Les cauchemars récurrents de Samuel étaient plus qu’équivoques. Il y avait un fort risque que ce dernier ait hérité des gênes meurtrier de sa sœur, et que ceux-ci commençaient à se développer dans l’esprit fragile de Samuel. Elle espérait juste que ceux-ci ne prendrait pas l’ascendant et le mène vers quelque chose de plus néfaste.

 

Alors que Fiona s’inquiétait des cauchemars de Samuel, une silhouette cachée dans la pénombre observait en silence la fenêtre de la chambre de Samuel. Ce n’était pas la première fois qu’elle suivait de loin le jeune garçon, analysant chacun de ses comportements, comme si elle attendait que quelque chose se passe. Chaque sortie, chaque jour d’école, chaque action du jeune Samuel était scrutée, observée par l’étrange ombre, et ce, depuis de nombreuses années. Attendant le moment propice pour se révéler à lui, et lui fournir les indices pouvant expliquer ses cauchemars récents, et aussi les secrets que Fiona ne lui avaient pas révélés. Mais il n’était pas encore temps. Samuel n’était pas encore prêt pour ça. Cependant, l’ombre sentait que le dénouement était proche. Ce moment qu’elle avait attendue, entrait dans une phase primordiale, celle de la révélation. Elle saurait enfin si Samuel était l’espoir qu’elle voulait voir émerger au-delà de ses désirs les plus fous. Mais pour l’instant, il lui fallait encore attendre et observer, afin de déterminer le moment propice, et savoir si Samuel était ce qu’elle attendait.

 

Les jours se suivaient et se ressemblaient pour Samuel. Les nuits aussi. Ses cauchemars devenaient à chaque fois plus intense. Comme plus réalistes. Il avait beau dire à Fiona qu’il maitrisait ceux-ci, il sentait bien que ceux-ci évoluaient de jour en jour. Des détails troublants qu’il avait caché à sa mère, ne sachant pas si il les avaient rêvés ou s’ils étaient réels. Une bague retrouvée dans son tiroir par exemple. Au début, il pensait qu’elle appartenait à Fiona, ayant glissée d’un de ses doigts, ceux-ci étant chacun doté de l’une d’elles. Mais il n’avait jamais vu celle-ci à ses doigts. Elle ne pouvait donc pas lui appartenir. Mais alors, d’où venait-elle ? En plus de ça, il avait remarqué de fines traces rouges séchées sur la pierre au centre de la bague. Comme du sang. Comme dans ses rêves. Il y avait autre chose. Ses baskets aussi comportaient ces mêmes traces. Et quand il se levait le matin, il trouvait parfois de la terre sur le sol de sa chambre. Comme s’il était sorti dehors pendant la nuit. Ca n’avait pas de sens. S’il était sorti, il s’en souviendrait. Et en dehors de ses cauchemars, aucun souvenir de quoi que ce soit qu’il aurait pu faire en pleine nuit. Et surtout sans réveiller qui que ce soit. Au début, Samuel se disait qu’il voyait des choses là où il n’y en avait pas. Il y avait sûrement une explication à la présence de cette bague, à la terre, et aux traces rouges. Mais d’autres détails se rallongèrent par la suite, de plus en plus inquiétants.

 

Au fil des jours, il trouva dans son tiroir, un pendentif, une boucle d’oreille, et même un portefeuille. Dans celui-ci, il y avait une carte de visite : Dolorès Minora. Une agente immobilière. Comment il avait pu entrer en possession de ce portefeuille ? Mais ce n’était pas le plus grave. Le jour où il trouva le portefeuille, en descendant l’escalier pour rejoindre la cuisine, afin de prendre le petit-déjeuner, un nom entendu aux informations, venant de la radio allumée, l’avait fait sursauter. Les autorités avaient trouvés le corps d’une femme dans une ruelle, massacrée d’une manière inimaginable. Et ce n’était pas la première victime. C’était la 3ème fois qu’une scène d’une brutalité inouïe avait été découverte dans des ruelles de la ville. Sans qu’aucun témoin ne puisse donner d’indications quant à un éventuel suspect. Tout au plus, un témoin ayant évoqué une « ombre » de petite taille à proximité du dernier massacre. L’analyse de ce qui restait de son corps avait pu déterminer l’identité de la victime, grâce à son permis de conduire. Il s’agissait de Dolorès Minora. Samuel crut défaillir en entendant ce nom. Et ce n’était pas tout. La police indiqua également qu’une boucle d’oreille manquait. Non. Ca ne pouvait pas être vrai. C’était impossible. Il ne pouvait pas être en lien avec ces massacres.

 

Remarquant son malaise, Fiona lui demanda ce qui le tracassait. Luttant pour masquer son angoisse, Samuel répondit qu’il avait juste un peu mal à la tête. Mais avec un peu d’aspirine ça irait mieux, tout en arborant un sourire forcé. Fiona n’avait pas insistée, mais Samuel sentait bien qu’elle ne le croyait pas. Cependant, il partit du principe que c’était lui qui se faisait des idées à son sujet. Il termina son bol de céréales, et partit pour le lycée. Du moins, il le fit croire. Toute cette histoire lui martelait la tête, et il voulait en savoir plus. Il se mit en tête de se diriger vers le quartier où avait eu lieu le dernier meurtre, histoire de voir si quelque chose de familier sur le parcours lui reviendrait en mémoire. Mais une fois sur place, rien ne lui était familier. Peut-être aurait-il eu plus de chance s’il avait pu plus s’approcher de la scène de crime, mais impossible de se rapprocher plus, avec la police qui surveillait le quartier, sans parler des journalistes et autres badauds. Il était certain d’être refoulé. Un peu déçu, il reprit le chemin du lycée, quand il aperçut une silhouette dans la pénombre d’une ruelle, proche du lieu du massacre. Une silhouette qui semblait le dévisager. Il n’arrivait pas bien à définir s’il s’agissait d’un homme ou d’autre chose. Il ferma les yeux un instant, comme pour être sûr qu’il ne rêvait pas. En les rouvrant, la silhouette avait disparu. Une hallucination sans doute se dit-il, avant de reprendre sa route. A ce moment, Samuel ignorait que la nuit qui venait allait être déterminante pour lui révéler les questions qui l’envahissaient.

 

Le soir venu, après avoir dîné, Samuel, comme à son habitude, monta dans sa chambre. Trop fatigué pour lire une BD, tel qu’il le faisait habituellement, il s’allongea sur le lit, histoire de réfléchir à certains détails de cette histoire. Mais le sommeil fut plus fort que ses doutes, et il finit par s’endormir, sans même s’en rendre compte. Au bout de quelques heures, un phénomène étrange se produisit : Samuel fut envahi d’une aura luminescente, à  mi-chemin entre le rouge vif et le bleu cyan, comme semblant sortir de son corps, et l’enveloppant peu à peu, formant une sorte de brouillard sombre, effaçant peu à peu les traits de son visage, ses bras, ses jambes, tout ce qui constituait son corps, jusqu’à le recouvrir entièrement, ne laissant la place qu’à une entité nuageuse teinté de ténèbres. L’étrange créature qu’était devenu Samuel se dirigea alors vers la fenêtre, passant à travers, comme si elle n’avait jamais été là, tel un fantôme, un corps sans la moindre consistance physique.

 

 L’entité se déplaça alors en direction d’un quartier voisin, comme cherchant quelque chose, scrutant les trottoirs sur les côtés et devant elle. Puis, elle stoppa son avancée, semblant avoir trouvée ce pour quoi elle était venue. Se cachant dans la pénombre d’une ruelle, elle observait ce qui semblait être sa future proie. Quelques mètres plus loin, une jeune femme, sortant d’une soirée, disait au revoir à ses amis, et se dirigea ensuite dans la direction de Samuel, ou plutôt la créature qu’il était devenu. Arrivée à la hauteur de la ruelle, la femme stoppa son avancée, afin de s’allumer une cigarette. Rangeant son briquet et son paquet dans son sac, elle voulut reprendre son chemin, mais quelque chose, sans qu’elle puisse déterminer ce que c’était, l’angoissait. Elle regardait autour d’elle. Le quartier était curieusement désert. C’était bizarre. D’habitude, même à cette heure, il y avait toujours des passants qui déambulaient çà et là sur les trottoirs avoisinants. Alors que là, le silence semblait avoir pris possession des alentours. Comme si elle s’était retrouvée dans une sorte de bulle, une dimension où elle seule serait piégée. Cette sensation augmentait encore son angoisse, elle se sentait observée, mais elle ne voyait rien autour d’elle.

 

Elle cherchait à repartir, mais une sorte de brume sombre lui attrapa le bras, la serrant avec force, et semblant vouloir l’entraîner vers la petite ruelle à proximité. Elle voulut s’en défaire, mais impossible. Elle ne pouvait pas non plus crier. C’était comme si sa gorge ne fonctionnait plus, qu’elle ne pouvait plus faire sortir le moindre son. Bientôt, la brume noire lui attrapa l’autre bras et la taille, et elle se retrouva propulsée en plein milieu de la ruelle et de ses ténèbres. Il n’y avait aucun bruit autour d’elle. C’était surréaliste. Elle se remémorait un épisode d’une vieille série SF des années 50 dont le nom lui échappait, relatant une situation ressemblant à celle-ci. Et cela ne la rassurait pas vraiment, au vu du sort du personnage dans l’épisode. Elle ne ressentait plus l’étrange brume autour de ses bras. Celle-ci semblait l’avoir lâchée. Mais elle était paralysée par la peur, sans se l’expliquer. Elle ressentait une présence autour d’elle.

 

Puis, d’un coup, une silhouette noire, pareille à une sorte d’aura, se présenta devant elle. Ses yeux dessinés au sommet de ce qui semblait être sa tête, donnait l’impression de vortex où des sillons bleutés et noirs tournaient en continu au centre des orbites. La silhouette s’avança alors, lentement, sans le moindre bruit, si ce n’est la respiration de la femme, paniquée, qui ne pouvait pas bouger, tellement elle était en proie à la terreur. En quelques secondes, la silhouette positionna ce qui lui servait de tête au-dessus du visage de la jeune femme, comme observant ses contours, ou pour décider par quelle partie commencer. C’est alors qu’une main de brume se plaça sur le visage, appuyant de toute sa force, faisant craqueler chaque os constituant sa tête, alors qu’elle retrouva la faculté de crier. Au même moment, une autre main brumeuse agrippa son bras droit, et d’un geste, l’arracha dans un craquement effroyable. Un mélange d’os brisé, de chair arrachée et de sang propulsé aux alentours. La femme hurlait, pendant que l’autre main continuait de lui écraser la surface de son visage, faisant ressortir ses yeux, sa mâchoire étant comme expulsée et se retrouvant suspendue au niveau du cou. Le sang coulait de toute part, l’entité, prise d’une frénésie meurtrière, arrachant tout à tour l’autre bras,  plongeant dans le corps pour en extirper une partie des côtes, avant de les balancer sur un des côtés de la ruelle.

 

 La brume tueuse renouvela le geste pour arracher divers organes de la femme, qui n’avait déjà plus de vie. Sa tête ayant été broyée par le fait d’une force inimaginable, formant un magma de sang, d’os et de chair étalés sur le sol. Le cœur, le foie, les poumons, furent un à un extirpés du corps sans vie, broyés à leur tour, puis jetés au hasard dans la ruelle. Ce fut ensuite le tour des jambes d’être arrachées du tronc, balancées vers les murs avoisinant. Le massacre continua : les mains de brume s’affairant à retirer les os du cou, écartant la chair, tel un jeu morbide dont seul l’entité connaissait les règles. Le dépeçage dura plusieurs minutes, avant qu’elle décide d’arrêter. Sans doute aussi parce qu’il ne restait plus rien à démembrer.  La silhouette de brume se leva alors, dédaignant son œuvre, et repartant vers la sortie de la ruelle, comme guidé par un instinct qu’elle-même ne semblait pas comprendre. Arrivée au bout de la ruelle, l’ombre se dissipa peu à peu, laissant la place au corps humain de Samuel, l’aura rouge et bleu semblant réintégrer l’intérieur de celui-ci. Samuel se retrouvait comme en état de transe, un moment qui lui semblait familier, pour l’avoir sans doute vécu d’autres fois, sans s’en souvenir. 

 

Mais cette fois, c’était différent. Cette fois, il se souvenait de tout. Sa transformation, les corps massacrés, l’excitation ressentie en arrachant les membres,… Il revoyait tout. Et pourtant, cela ne l’effrayait pas. Au contraire, il semblait prendre plaisir à ces souvenirs sanglants. Même s’il ne semblait pas tout comprendre ce qui lui arrivait. Au même moment, une autre ombre similaire à ce qu’il était quelques instants auparavant fit son apparition devant lui. Elle aussi vit peu à peu disparaitre son enveloppe brumeuse pour laisser place à un corps humain. L’homme qui se trouvait alors devant Samuel se présenta comme son père. Un peu sceptique, Samuel continua malgré tout de l’écouter. Ce dernier lui expliqua que lui et son épouse, il y a de ça quelques années, avait fait un rituel. Une invocation. Un pacte avec un démon. En échange de sa puissance, ils lui ont promis de lui offrir des vies pour assouvir sa soif de. C’est ainsi qu’ils sont devenus des meurtriers pourchassés par toutes les polices du pays. Chaque braquage de banque ou de commerce en tous genres n’étant que des prétextes pour donner toujours plus de vies au démon qui leur offrait son pouvoir. Cependant, malgré toute cette puissance, leurs corps n’étaient pas invulnérables. Et lors d’un énième braquage, par imprudence, ils furent canardés de toute part par la police. Lui, il avait eu le temps de reprendre la forme de brume que lui et son épouse utilisaient lors des massacres, qui ne comportaient habituellement aucun survivant pouvant indiquer ce qu’ils avaient vu.

 

Mais sa femme fut prise par l’effondrement d’un pan de mur, déclenché par la fusillade. Il aurait voulu lui venir en aide, mais il aurait mis à jour leur existence et leur forme démoniaque. Plus tard, il apprit qu’elle avait été enfermé dans une prison de la région, et surtout qu’elle était enceinte. Il ne pouvait donc pas la faire sortir sans risquer de mettre en danger la mise au monde de l’enfant. Il devait attendre la naissance. Mais l’accouchement s’est mal passé, et son épouse est morte en mettant au monde l’enfant. L’homme indiqua à Samuel que cet enfant c’était lui. Il était resté en retrait toutes ces années, sans intervenir, car il voulait être sûr que Samuel avait hérité des facultés offertes par le démon, de manière génétique. Et surtout, qu’il était un meurtrier en puissance, aimant tuer et massacrer. Ce soir, il venait d’en avoir la preuve. Il était bel et bien son fils. Maintenant, ils allaient pouvoir reprendre la mission que leur avait donnée le démon. En famille. En tant que Père et Fils. Il n’arrivait pas à expliquer encore pourquoi, mais Samuel sentait que l’homme ne lui mentait pas. Il était heureux même de retrouver sa vraie famille. 

 

Et de voir sa vraie nature faire surface. Son père lui en apprendrait plus sur la manière de faire dans les prochaines semaines, les prochains, mois, les prochaines années. Notamment cette faculté de plonger une zone au cœur des ténèbres invisible des autres. Un moyen idéal pour tuer sans être vu ou dérangé. Ce pouvoir était fabuleux. Il voulait en savoir plus. Alors, Samuel sourit à son père, prit sa main, et ensemble, ils partirent au cœur de la nuit, vers un destin sanglant qui les appelait.

 

Publié par Fabs