21 juil. 2021

PUMPKIN STORIES I - Fondantes Friandises

 


Qu’est-ce qui peut provoquer de la rancœur chez un vieil homme ? Un amour perdu ? Un voisin indélicat ? L’impression d’être passé à côté de quelque chose toute sa vie, et qu’il saura qu’il n’aura plus jamais l’occasion d’obtenir, au vu de son âge ? Difficile de le savoir. Encore pour cela faudrait-il être dans la tête de la personne… Pour Thaddeus Conway, la rancœur est un élément qui fait partie de sa vie depuis longtemps. Disons qu’elle est presque née avec lui. Il en veut à tout et tout le monde en fait. Avec une particularité pour les enfants. Pour faire simple, il les détestent purement et simplement. La simple vue d’un charmant bambin arborant un sourire reconnaissant à sa maman qui vient de lui offrir une sucrerie à la confiserie du quartier, parce qu’il a été sage ne lui apporte que du dégoût. Il ne comprend même pas quel plaisir peuvent avoir les gens à avoir des enfants. Et il le fait bien comprendre à longueur de journée. Insultant les mômes ayant l’audace de faire du vélo devant chez lui, alors qu’il arrose ses fleurs. Et si ça ne suffit pas à les faire partir, il dirige le jet de son tuyau d’arrosage vers eux, un sourire méchant aux lèvres, montrant sa réjouissance de cet instant.

 

D’autres fois, en allant faire ses courses, si un enfant le frôle trop près, il utilise le bout de sa canne, l’enfonçant sur le pied de la chaussure du malheureux, lui faisant déverser des larmes à n’en plus finir, sous les yeux horrifiées de son père, n’écoutant même pas les noms désagréables que ce dernier lui adresse. Aussi horribles soient-ils, ces moments sont des moments de pure jouissance pour Thaddeus. Il n’éprouve rien de plus plaisant que de torturer l’esprit d’un enfant, faire déclencher la tristesse sur son visage le remplit de joie, ou bien faire semblant d’être maladroit dans un parc, dans le seul but de faire échapper le ballon d’une petite fille. Celle-ci, désespérée de voir s’envoler son bien offert par son grand frère, retenant ses larmes en entendant le rire du vieil homme acariâtre qui observe la pauvrette regardant le ciel où son ballon a disparu.

 

Tel est Thaddeus Conway. Tout le monde dans le quartier le déteste, mais il s’en fiche royalement. Car il n’a que mépris pour tous. Chaque jour est l’occasion pour lui de chercher un moyen de tourmenter ses cibles favorites que sont les enfants. Il lui est bien arrivé de jouer des tours pendables à des adultes, profitant de son âge pour échapper à tout acte violent de la part de ses victimes, mais ça ne lui procure pas autant de joie. Mais il y a certains jours qu’il déteste tout autant que les enfants. Halloween fait partie de ceux-là. Il n’a jamais compris le plaisir que ceux de son âge pouvait avoir à offrir des friandises à ces petites choses en culottes courtes qu’il exècre tant, habillés de costumes tous aussi ridicules les uns que les autres à ses yeux. Voir cette joie sur leurs visages une fois leur butin obtenu augment encore plus sa rancœur à leur égard. Au moins a-t-il l’avantage qu’aucun enfant ne vient sonner à sa porte pour lui lancer le fameux « trick’N’Treat » qui l’énerve au plus haut point.

 

Mais voir le manège incessant de mères, de pères, de grands frères ou de grandes sœurs accompagner ces enfants pour faire leur tournée, déguisés eux aussi de ces frasques pour fêter Halloween, être obligé de supporter ces cris insupportables à ses oreilles de petits garçons jouant au vampire, au loup-garou ou autre monstre du folklore fantastique classique, sont des choses qui le rendent malade. Sans oublier les musiques de films d’horreur sortant des maisons, décorées pour l’occasion de citrouilles, de squelettes en papier, et autres stupidités à ses yeux. S’il pouvait, il aimerait tant faire disparaitre ces sourires que montrent ces enfants en ce jour. Entendre pleurs et désespoir serait pour lui une musique bien plus attrayante pour ses oreilles abîmées par le temps. Mais cette année pourrait bien être celle qui le verrait se réjouir de ce spectacle, car il a eu une idée… machiavélique pour transformer ce jour de réjouissances en tornade de larmes et de souffrances dans les rues du quartier. Une idée faisant appel à ses compétences en chimie. Car Thaddeus a été à une époque le pharmacien où chacun se rendait pour essayer d’obtenir quelque chose pouvant apaiser leur douleurs dentaires, ou bien des maux d’estomac douloureux.

 

Est-ce vraiment une surprise si je vous dis qu’il s’arrangeait toujours pour leur donner le traitement le moins efficace, voyant en pensée leur douleur grandissante à cause de médicaments fournis inadaptés, quand ils n’augmentait pas plus leur mal ? Certains s’en étaient rendus compte, en demandant conseil à d’autres pharmaciens ou des médecins, qui s’étonnaient de ces traitements donnés par un membre de l’ordre médical, censé apaiser la souffrance de ses clients. Au fur et à mesure, de moins en moins de gens venaient dans sa pharmacie, jusqu’à ce qu’il fût finalement renvoyé par le gérant de ladite pharmacie, ulcéré des plaintes à répétition concernant son employé, ce qui avait encore plus rajouté à la rancœur de Thaddeus envers les gens habitant dans son quartier. Mais cette année, il allait leur faire payer à tous, en s’en prenant à ce qu’ils avaient de plus cher : leurs enfants. Et pour mettre au point son plan démoniaque, il savait déjà comment il allait s’y prendre. Les friandises tant aimées par ces petites têtes blondes, brunes ou rousses parsemant sa rue allaient devenir leur pire cauchemar. Grâce à un produit de sa composition qu’il avait mis plusieurs années à mettre au point. Quelque chose qui serait indétectable et provoquerait des douleurs énormes à qui le consommerait.

 

Et quoi de mieux que ces fameuses friandises d’Halloween pour y déverser son fameux produit de vengeance ? Mais pour cela, il lui fallait pénétrer dans l’échoppe de la confiserie du quartier où tout les gens de sa rue s’approvisionnait en vue de ce jour de faste et de joie. Mais pour ça aussi, il avait déjà tout organisé dans sa tête pour s’y introduire, et insérer dans chaque friandise son produit de souffrance. Ce qui aurait pour effet de transformer la fête d’Halloween de son quartier en jour de malheur qui lui donnerait satisfaction en voyant ces familles désespérées en voyant leurs enfants à terre, se plaignant de douleurs plus que conséquentes, et ne sachant que faire pour y mettre fin. Ainsi, connaissant les habitudes du gérant du magasin, ce dernier ayant l’habitude d’avoir trop confiance envers les gens du quartier, en ne fermant jamais à clé la porte de service attenante à son commerce qui donnait dans une petite rue, Thaddeus entreprit d’attendre une nuit quelques jours avant ladite fête, au moment où le plus grand nombre de gens allaient vouloir acheter de quoi remplir leurs paniers remplis de bonbons, chocolats et autres butins pour les petits diables courant dans les rues le fameux soir, et s’introduisit sans peine dans l’échoppe du confiseur.

 

Bien entendu, il ne pouvait pas injecter son produit de vengeance dans toutes les friandises, mais malgré tout, une grande quantité de celles-ci en seraient farcies. Thaddeus se disait que ce serait bien le diable si le plus grand nombre de ces friandises ne finissaient pas dans les bols à offrandes des acheteurs. Sa besogne faite, il sortit aussi discrètement qu’il était entré, profitant d’une nuit sans lune, et rentra chez lui, ricanant de sa forfaiture une fois à l’intérieur de sa demeure, se délectant à l’avance de ce que son épopée allait provoquer. Le sourire aux lèvres, il se coucha donc, et, à partir du jour suivant, se mit à compter, presque inconsciemment, les heures le séparant du spectacle qu’allaient lui offrir malgré eux toutes ces petites jambes qu’ils détestaient tant. Les jours défilèrent donc, Thaddeus surveillant le calendrier, impatient, comme un de ces enfants qu’ils ne pouvaient voir, même en peinture, attendant le jour où il recevrait enfin son cadeau.

 

Et enfin, le jour J arriva. Thaddeus, comme s’il allait assister aux festivités du 4 Juillet, s’installa sur le perron de sa maison, tranquillement installé sur une chaise à bascule, une petite table basse à ses côtés, comportant sur sa surface une ou deux canettes de sa bière favorite, et attendant de voir et entendre les premières plaintes. Ce qui ne tarda pas à arriver, la voracité de certains enfants ne pouvant pas attendre d’être rentré chez eux pour se gaver de leurs sucreries fétiches n’ayant pas d’égal. Et ce qu’attendait Thaddeus arriva. Partout dans le quartier, des enfants se trouvaient à terre, se plaignant de douleurs atroces, causant inquiétude sur le visage de leurs familles dépitées, provoquant rires et satisfaction non dissimulée sur le visage du vieil homme. Cependant, au bout de quelques minutes, il se rendit compte de quelque chose de curieux. Les cris des enfants s’estompaient, et ceux des parents s’amplifiaient, parsemés de pleurs bien trop aigües pour expliquer de voir de simples douleurs. Curieux, il descendit de son perron, essayant de comprendre la chose. Et ce qu’il vit failli bloquer son cœur. Partout dans la rue, gisaient des petits corps, fondant à vue d’œil, comme s’ils avaient absorbés un acide destructeur, transformant leurs jambes en une sorte de mélasse difforme, leurs bras devenant aussi mous que des guimauves mises au feu, leurs visages étant flasques, ayant perdu tout signe de nez, bouche, yeux, et se noyant dans un magma de sang, libérant leurs entrailles fumantes aux yeux de leurs parents effondrés de terreur.

 

La peur commençait à s’installer dans le cœur de Thaddeus. Certes, il n’aimait pas les enfants, ils les exécraient, mais ils n’avait jamais voulu qu’ils meurent de façon aussi abominable. Le produit qu’il avait injecté n’aurait dû que leur infliger des douleurs abdominales, des maux de cœur, et rien de plus. Comment se pouvait-il que les corps fondent sur l’asphalte du quartier de cette manière, transformant la rue en hécatombe monstrueuse ? Il entendit des ambulances venir de plusieurs côtés, alertés par les familles, les amis en proie au désespoir le plus total, pendant que le sol continuait de se parer de bouillies humaines, qui avaient été autrefois des enfants rieurs et plein de vie. Pris de panique, Thaddeus se précipita vers sa maison, afin d’aller vérifier la composition de son produit, qu’il avait entreposé dans sa cave, à l’abri des regards indiscrets. Et là, il découvrit son erreur, dû à sa vue baissante. Il avait confondu le flacon contenant la base de sa mixture qui n’était censé que produire des maux mineurs, avec celui d’acide chlorhydrique. Faisant de sa composition non pas un mélange anodin, mais un véritable engin de mort.

 

Thaddeus était abattu. Jamais il ne pourrait se pardonner une telle erreur. Une erreur qui le poursuivrait le reste de sa vie. A ce jour, il continue de rester enfermé dans la chambre de la pension où il a choisi de finir ses vieux jours, refusant toute visite quelle qu’elle soit, les yeux fixant la fenêtre, comme s’il voyait toujours le massacre dont il avait été la cause, et qui avait fait la une des journaux. Il n’a jamais pu dire qu’il était responsable. Une fois découvert sa faute, sa voix a disparu, comme pour expier. Enfermé dans une prison qu’il s’est lui-même construit à l’intérieur de sa tête, il attend patiemment sa mort, sachant que c’est tout ce qu’il mérite, et semblant entendre des ricanements incessant envahir la pièce, comme pour lui rappeler sa damnation éternelle par l’esprit d’Halloween, cet esprit qu’il avait souillé par son acte irréfléchi. S’il avait pris le temps d’observer plus avant sur l’un des murs de sa chambre, il aurait pu apercevoir un sourire moqueur au milieu d’une tête de citrouille, portant un haut de forme, prenant plaisir à son calvaire. Celui justement de l’Esprit d’Halloween qui le hanterait à jamais jusqu’à sa mort….

 

FIN 

 

Publié par Fabs

20 juil. 2021

LE DEVOREUR DE COEUR 3

 


Pour bien comprendre tous les éléments, lieus, évènements et personnages de cette histoire,  je vous invite à lire bien évidemment les 2 volets précédents, mais aussi les autres récits constituant le MonsterVerse à laquelle cette saga est rattachée, à savoir "L'Empire de Krysta" (et son cycle précédent "Toutes les Sirènes ne Sont Pas Gentilles") et "Complainte Pour Un Jeune Monstre".

 

Il s’était passé 10 ans depuis que Ryan était devenu le nouveau dévoreur de cœur de la route du  pêché. 10 ans durant lesquels il s’était évertué à consolider la légende de la créature qu’il incarnait, et surtout son rôle. Pendant cette période d’autres souvenirs de la mémoire de son prédécesseur lui était parvenu par bribes successives, comme les pages d’un carnet de  notes qui apparaissent comme par magie, alors qu’on n’a jamais rien écrit dessus. Il en découvrait chaque jour un peu plus sur cette race particulière, existant pour donner un équilibre au monde. Un équilibre qui risquait d’être mis à mal par l’apparition d’autres créatures sévissant depuis quelques années sur le territoire américain. Personne ne sait encore vraiment comment elles sont parvenues à prendre une telle ampleur sur le territoire, étendant leur race toujours plus loin au fil des années, semant terreur et désespoir sur leur chemin, asservissant les humains, contrôlant des villes entières, sans que rien, pas même les autorités compétentes ne puissent rien y faire.

 

Il avait appris ce qu’étaient ces créatures. Des sirènes. Des sirènes mangeuses de chair, dirigées par une certaine Krysta. Celle-ci semblait être sur le point de créer de toute pièce un véritable empire. Mettant en place des usines où les humains étaient parqués, servant de nourriture ou de reproducteurs pour permettre à leur race de s’amplifier. Cela faisait déjà un moment que Washington avait lancé des opérations d’envergure contre elles, contre ces créatures. Ces sirènes et ces tritons qui constituaient la menace numéro 1 du territoire. Mais à chaque fois qu’une base envoyaient des appareils de mort pour les détruire ou au moins les empêcher d’avancer plus, celles-ci parvenaient à déjouer toutes leurs stratégies, plaçant des pièges pour stopper les tanks, se servant de leur intelligence pour élaborer des traquenards de plus en plus complexe. La faute à une intelligentsia militaire persuadée de pouvoir les maitriser, et,  ne voyant pas le danger, la menace que ces créatures représentaient, pendant qu’elles continuaient inexorablement les massacres.

 

Démembrant, croquant les chairs, annihilant toute vie, se servant de la technologie humaine pour parer aux attaques aériennes, en prenant possession de bases militaires aux dirigeant tellement arrogants et orgueilleux, qu’à aucun moment ils n’ont imaginé qu’ils pouvaient perdre face à elles. Face à leur rapidité, leurs plans de combat, leur férocité sans commune mesure. A chaque base, chaque point stratégique tombant sous leur emprise, elles apprenaient toujours plus pour contre-attaquer, et avancer sur le territoire américain. A l’heure où cette histoire commence, près de 20 % du territoire américain est déjà tombé entre leurs mains. Grâce aux centres de reproduction, leur nombre croît chaque  jour. Et il devenait évident que cela allait en grandissant. D’ici quelques années, la moitié des USA leur appartiendrait. C’est pourquoi les plus pessimistes avaient pris les devants en lançant d’immenses chantiers à l’Ouest du pays, construisant de gigantesques murs, des forteresses impénétrables où pourraient se positionner des avant-postes militaires pour protéger les villes et territoires se trouvant derrière cette véritable frontière en devenir contre cette race de créatures contre laquelle ils ne trouvaient pas de faille. Elles en avaient bien, mais pour avoir réagi trop tard, les humains s’étaient piégés eux-mêmes en permettant aux sirènes et aux tritons de devenir chaque jour plus puissants, en s’emparant des armes et technologies des bases, centres, villes qui tombaient sous leur joug.

 

Pour l’instant, la région où sévissait Ryan avait encore été épargnée. Mais cela lui importait peu. Son rôle se limitait à établir un équilibre entre les humains. A tuer ceux portant un cœur noir se risquant sur la route du pêché. Sa race n’était pas concernée par les agissements de ces créatures venues de l’océan. D’ailleurs, Ryan considérait même l’invasion des sirènes comme un complément à son rôle. Leurs actions permettait d’étendre la destruction des cœurs noirs humains bien au-delà de la zone où il se trouvait. L’équilibre voulu par ses ancêtres s’en trouvait donc avantagée. Bien sûr, des innocents périssaient aussi, mais nombre de ses aïeuls n’avaient guère été plus complaisants en ce sens, tuant eux-aussi des personnes qui n’auraient jamais dû être l’objet de leurs chasses. C’était à une époque où les membres de sa race était plus nombreuse, disséminés sur toute la planète. Une époque où il était plus facile d’agir et d’établir un vrai équilibre. Un équilibre forcé, voulu par les premiers représentants de sa race à une époque où l’homme n’était encore qu’une bête sauvage vivant en clans, se cachant dans des cavernes pour échapper aux bêtes féroces les tuant sans vergogne pour se nourrir.

 

Une époque où débuta l’histoire des dévoreurs de cœur. La naissance de leur rôle tel qu’il est suivi par Ryan aujourd’hui. Celui-ci observait en silence l’intérieur de sa caverne, ses reliques qui avaient augmentés depuis qu’il avait reçu ce « pouvoir » qui coulait en lui. Il revoyait en lui, comme s’il les avaient vécu lui-même, l’arrivée de ses ancêtres sur Terre. Car, oui, la race des dévoreurs, à l’origine, n’est pas de ce monde. C’étaient des chasseurs venus d’une autre planète. En quête de proie, ils parcouraient les galaxies, afin de satisfaire leur instinct de prédateurs d’un autre monde. C’est de cette manière qu’ils ont découvert la Terre. Au départ, elle ne devait être qu’une étape dans leur périple. Mais un imprévu a changé la donne, et les a obligés à séjourner plus que prévu sur cette planète. Une simple météorite ayant fait dévier leur vaisseau en le frappant de plein fouet, obligeant l’équipage fort de ses 40 membres à s’écraser sur Terre. Fort heureusement pour eux, cet atterrissage forcé n’avaient pas eu de conséquences pour eux, étant de nature robuste, capable de résister aux chocs les plus éprouvants.

 

Leur arrivée ne passa pas inaperçu. Les autochtones, les premiers homo-sapiens de l’époque, en les voyant sortir de leur vaisseau en miettes, les prirent immédiatement pour des dieux, et leur vouèrent ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui comme les prémices d’un culte. Un culte qui exigeait des sacrifices pour « nourrir » leurs dieux, dont le mets de prédilection était le cœur. Afin de ne pas s’attirer la colère de ces dieux, les premiers hommes pratiquaient donc régulièrement le sacrifice d’un des leurs, en leur offrant son cœur, en guise de remerciement de les protéger des dangers tout autour. Mais bientôt, le clan dut se rendre à l’évidence qu’à force de nourrir leurs bienfaiteurs, ils finiraient par enclencher la disparition totale de leur clan. Alors, des première chasses de membres d’autres clans furent mise en place pour continuer à profiter de la protection de leurs Dieux, à qui ils donnèrent, dans leur forme de dialecte abrupt, le nom de « Dévoreur de Cœur », du fait de leur plat nécessaire à leur existence. Comme vous pouvez vous en douter, ces chasses n’étaient guère appréciées par les autres clans qui voyaient d’un mauvais œil de servir d’objets de sacrifice aux dévoreurs.

 

C’est ainsi qu’éclatèrent les premiers conflits entre clans. Des guerres mêmes fratricides et sanglantes. Les crânes étaient fracassés, les corps transpercés de lames de fortune, fabriquées à partir de pierres tranchantes. Des familles étaient massacrées sous les yeux de leurs enfants, broyant leurs visages sans la moindre pitié, écartelant d’autres, sortant les os de leurs emplacements, s’en servant même comme arme pour tuer d’autres proies. L’un des premiers massacres de l’histoire de l’homme. Les dévoreurs, témoins de ce spectacle barbare et écœurant, même pour eux, durent faire cesser les combats en se positionnant en plein milieu des conflits, montrant leur puissance bien plus grande. Eux aussi durent avoir recours au départ au meurtre sans concession pour faire valoir leur position d’êtres supérieurs. Mais ce fut payant. Certains clans s’enfuirent, cessant tout combats, d’autres acceptèrent de s’allier, et un semblant de paix commença à s’installer. Les sacrifices reprirent pour nourrir les dévoreurs. Mais à plus grande échelle. Ceux-ci devinrent plus gourmands. Réclamant toujours plus. Certains hommes avaient des germes de révolte en eux, mais ils savaient qu’ils n’étaient pas de taille pour résister aux dévoreurs.

 

Jusqu’au jour où la position de force des dévoreurs changea. L’un d’entre eux mourut, écrasé par un rocher. A partir de là, les clans comprirent que les dévoreurs n’étaient pas des dieux. Qu’ils n’étaient pas immortels. Et qu’ils n’étaient donc plus obligés de les servir. Une révolte éclata, et malgré toute leur force, les dévoreurs durent s’enfuir, au vu du nombre, devant se cacher comme des animaux. Pendant des années, ils durent se contenter de se  nourrir de cœurs d’animaux. C’est là qu’ils s’aperçurent qu’ils pouvaient opérer à une sorte de fusion avec ces derniers, ces animaux de la Terre, très différents des espèces qu’ils connaissaient jusque-là, pouvant transformer leur corps. Plus ils mangeaient de cœur d’une même race d’animal, plus ils pouvaient prendre une partie de leur forme. Devenant une sorte de mix entre leur forme originale et celle de leurs proies. Cela leur permit d’échapper plus facilement aux hommes qu’ils voyaient évoluer peu à peu, mais conscients que leur arrivée sur Terre avaient changé leur mode de vie, leurs relations entre eux. Les premiers hommes qu’ils avaient rencontrés se contentaient de leur territoires, sans chercher à aller vers les autres. L’arrivée des dévoreurs avait modifié cela.

 

A cause des dévoreurs, l’homme découvrit qu’il pouvait tuer autre chose que des animaux pour se nourrir, se vêtir ou fabriquer des armes pour la chasse. Il découvrit qu’il pouvait avoir du plaisir à tuer d’autres hommes. Un sentiment qui évolua encore au cours des siècles, transformant l’homme de manière irrémédiable. Les dévoreurs, conscients de cela, en ressentirent une honte. Ils se rendirent compte qu’ils avaient perturbé un écosystème auquel ils n’appartenaient pas à l’origine. Qu’à cause d’eux, L’homme avait changé du tout au tout. Ils découvrirent peu à peu tout ce dont il était capable. Ils en furent horrifiés. Ils n’étaient que des chasseurs au départ. Passant de planète en planète pour traquer des animaux dépourvus d’intelligence. D’ailleurs, c’était par hasard qu’ils en étaient venus à manger des cœurs humains. Au départ, ils se contentaient des cœurs d’animaux autour du territoire du vaisseau où ils s’étaient écrasés. En rencontrant les hommes qui les avaient vu se nourrir de cœurs, ceux-ci avaient décidés de leur offrir des cœurs humains. Et les dévoreurs s’étaient rendu compte que ceux-ci étaient bien meilleurs que ceux des animaux dont ils se satisfaisaient jusqu’à présent. Tout avait débuté de cette manière. Ce qui suivit échappa à leur contrôle.

 

Grâce à leurs nouvelles formes, les dévoreurs observèrent en silence ce qu’ils avaient provoqués malgré eux chez les hommes. Cette haine, cette colère, cette rancœur qui emplissait nombre d’entre eux. Ils n’étaient pas tous ainsi, mais les dévoreurs sentirent qu’ils devaient réparer leur faute. C’est ainsi que leur vint l’idée d’éliminer les humains porteurs de cœurs tellement noirs de cette haine et de cette méchanceté dont ils étaient plus ou moins les créateurs. Afin d’apporter un équilibre à ce monde qu’ils avaient déstabilisé. Afin d’avoir un rôle à ce monde dont ils étaient des étrangers. Ils découvrirent aussi qu’ils pouvaient transmettre leur pouvoir. Qu’ils pouvaient semer des « graines » à l’intérieur d’animaux robustes. Celles-ci grandissaient dans leurs corps, modifiant l’ADN de leur hôte, pour en faire un nouveau dévoreur de diverses formes. Cela leur prit plusieurs années, mais ils créèrent ainsi des dizaines de dévoreurs, ils se dispersèrent à travers le globe, chacun d’eux repérant les cœurs trop noirs des humains d’instinct, comme s’ils ressentaient leurs pulsations particulières, comme s’ils les « sentaient ». Il y avait malgré tout une faille à leur méthode de transmission de pouvoir. Seuls les dévoreurs originaux étaient capables de « créer » de nouveaux dévoreurs. Ceux qui étaient nés de ces créations ne pouvaient que transmettre leur pouvoir. 

 

Au fur et à mesure des siècles, les hommes découvrirent l’existence des dévoreurs, ceux-là même à qui ils devaient d’être les hommes qu’ils étaient devenus. Une race belliqueuse, mesquine, avide de pouvoir entre eux. Et ils se mirent à les chasser. A l’issue du XVIIIème siècle, tous les dévoreurs originels avaient été tués. Ils ne restaient que ceux qu’ils avaient créés. Ceux qui ne pouvaient que transmettre leur pouvoir, sans pouvoir donner naissance à d’autres de leur race. Les chasses des humains envers les dévoreurs s’amplifièrent, les considérant comme des sortes de démons, créés par des sorcières, que l’Eglise leur demandait d’exterminer pour ne pas être damnés. Même après la fin de l’époque de la chasse aux sorcières, les traques contre les dévoreurs, dont le nombre ne cessait de décroitre au fur et à mesure des années, continuèrent. Certains dévoreurs prirent des formes diverses au cours des siècles, mettant en place des légendes, les fameux cryptides. Yeti, Bigfoot ou créatures assimilées étaient des dévoreurs. Ceux-ci furent peu à peu tués, pas forcément par les humains, mais par la nature. Eboulements, tremblements de terre, glissements de terrains eurent raison de ces créatures à l’origine de la nature de l’homme.

 

S’il existe encore certains de ces cryptides à travers le monde, ce sont d’anciens dévoreurs qui, à force d’être obligé de s’isoler pour éviter d’être chassés, de ne plus pouvoir dévorer de cœur humain, en vinrent à oublier ce qu’ils étaient, leur rôle, leur nature, leur origine véritable. Ceux qui parvinrent à subsister continuèrent à assurer ce qu’ils considéraient comme leur rôle primordial pour apporter l’équilibre à ce monde qu’ils avaient modifiés. Jusqu’à mourir à leur tour sans avoir pu transmettre leur pouvoir. Certains d’entre eux, au fil des années se rendirent compte qu’ils pouvaient transmettre leur pouvoir à des humains. Des humains au cœur pur de toute faute véritable. Comme le prédécesseur de Ryan. Celui-là même qui avait fait de lui le nouveau dévoreur de ce siècle. Le dernier de sa race existant sur terre, si on fait l’exception des cryptides ayant oublié ce qu’ils étaient. Après avoir repensé à ces souvenirs d’un autre âge, Ryan sortit de la caverne. Il avait senti un cœur noir. Il était temps pour lui de faire honneur à la légende de nouveau et débarrasser la terre de celui-ci.

 

Cependant, quelque chose lui semblait curieux. Ce cœur noir était tout près. Comme s’il se trouvait extrêmement proche. Trop proche. Il le sentait derrière lui. Comment cela était-il possible ? Serait-il dans sa caverne ? Mais comment ? Pourquoi ne l’avait-il pas ressenti plus tôt ? Mais à peine s’était-il retourné pour comprendre qu’il sentit comme une énorme décharge électrique lui traverser tout le corps, et il s’effondra au sol. Avant de voir ses yeux se fermer, il crut apercevoir une silhouette d’un être humain s’approcher doucement de lui, puis ce fut le trou noir. Quand il se réveilla, il était attaché à un rocher, dans sa propre caverne. Et devant lui se tenait un homme, assis sur un rocher, buvant dans un des récipients lui servant pour boire.

 

« Enchanté… Dévoreur… C’est bien ainsi qu’on t’appelle ? »

 

Encore un peu sonné, Ryan demanda :

 

« Comment ? Comment avez-vous fait pour que je ne vous sente pas plus tôt. Je sens votre cœur noir. Sans doute un des plus noirs que j’ai pu sentir. J’aurais dû vous repérer depuis des heures… »

 

L’homme lui répondit simplement :

 

« Ah, ça ? C’est très simple en fait. Simple camouflage en aspergeant mon corps d’un produit particulier. Ce qui t’as empêché de me sentir trop tôt. Pour ça, je dois remercier l’un de tes ancêtres, qui avait tenu un journal parlé sur un dictaphone, expliquant beaucoup de choses sur votre race, vos aptitudes, votre histoire. Il était très bavard. Et il avait mis au point ce stratagème. J’ignore pourquoi. C’est curieux. Peut-être voulait-il protéger quelqu’un, un homme, de ses congénères… Qu’importe… »

 

Ryan ne comprenait pas ce que cet homme lui voulait. S’il avait voulu le tuer et mettre ainsi fin à la race des dévoreurs, il l’aurait déjà fait. Que voulait-il ? Comme pour répondre à cette question, l’homme reprit :

 

« Je suppose que tu te demande pourquoi je ne t’ai pas tué ? C’est très simple :  j’ai besoin de toi. Ou plutôt, j’ai besoin de tes gênes. Ton ADN. Je dois prélever un morceau de ta moelle épinière pour ça. Ça risque d’être très douloureux. D’autant que j’ai un matériel assez sommaire. Mais je dois être discret. Je ne peux tout de même pas t’emmener dans un hôpital ».

 

L’homme souriait à l’issue de cette phrase, avant de reprendre :

 

« J’oubliais, je suis très impoli. Je me présente : Vladimir Illioutchine. Comme tu le vois, je suis un scientifique. Mais trêve de bavardage, passons aux choses sérieuses. »

 

Ryan vit Vladimir se lever, et ouvrir une sorte de petite mallette où se trouvait divers instruments. Dont une énorme aiguille. Du genre à faire peur à n’importe qui. Vladimir s’approcha de lui :

 

« Je vais essayer de faire vite, mais comme je t’ai dit, ça va faire assez mal. Désolé pour ça… »

 

Vladimir sembla réfléchir, avant de reprendre :

 

« Non, je rigole. En fait, je m’en fous que tu souffres. Tout ce qui m’importe, c’est d’avoir ton ADN… »

 

Vladimir émit un petit rire sardonique avant d’enfoncer la seringue sur le flanc droit de Karl, et de relever le piston de celle-ci afin d’en extraire ce qu’il était venu chercher. Karl avait l’impression de sentir sa vie s’enfuir de son corps, il avait envie de hurler, mais il ne voulait pas offrir la satisfaction à cet homme de le voir souffrir. Il voyait en mettant sa tête sur le côté la substance de son corps remplir la seringue petit à petit, augmentant la douleur à chaque graduation atteinte. Au bout de plusieurs minutes, le calvaire cessa enfin. Vladimir semblait satisfait en observant le contenu de la seringue, puis la rangea dans sa mallette, avant de la refermer. Puis, il se rapprocha de Ryan, portant avec lui une autre seringue, plus petite.

 

« Bon, ce n’est pas que je m’ennuie avec toi. Tu es une créature fascinante, et j’aurais vraiment aimé t’emmener avec moi pour t’étudier plus en détail. Mais je manque de temps, et surtout, ça a déjà été assez difficile de venir jusqu’ici sans tomber sur une de ces autres créatures qui envahissent ton pays en ce moment-même, petit à  petit. Alors, avec toi… Il viendra un jour où j’aurais besoin de revenir dans ce pays, pour en apprendre plus sur elles. Mais je sais être patient. Une chose à la fois. »

 

Vladimir enfonça la petite aiguille dans le corps de Ryan, qui vit ses yeux se fermer peu à peu, tout en entendant Vladimir continuer :

 

« Tu vas faire une petite sieste. Ça me permettra de partir sans que tu ne puisse rien me faire. Une fois endormi, je te détacherais et tu seras libre de continuer à faire ce que tu as à faire. Peut-être qu’un jour on se reverra toi et moi. Mais ce jour-là, ça ne sera pas seulement pour une simple extraction, tu peux en être certain. »

 

Vladimir souriait à nouveau, alors que le produit de l’aiguille avait été entièrement déversé dans le corps de Ryan, et c’est tout juste s’il entendit celui-ci dire encore quelques mots :

 

« Bonne nuit. J’ai hâte qu’un jour on puisse se revoir. J’aurais sans doute pas mal de chose à t’expliquer sur ton rôle dans toute cette histoire, et la manière expliquant que je te connaisse si bien, toi et ta race. »

 

Puis, les yeux de Ryan se fermèrent totalement, et il retomba à nouveau dans une sorte de trou noir. A son réveil, Vladimir avait disparu, et il était à nouveau libre de ses mouvements. Il avait du mal à croire qu’il s’était fait berner de cette manière. Et il repensait à l’aura du cœur noir de Vladimir qu’il avait ressenti quand ce dernier procédait à l’extraction d’un morceau de sa moelle épinière…. Il avait du mal à croire qu’un cœur aussi noir puisse exister… Mais il se disait qu’il réfléchirait plus tard à ça. Il ressortit de la caverne pour se mettre à l’air frais et respirer à pleins poumons, afin d’éliminer totalement l’effet d’engourdissement qu’il ressentait encore quelque peu.

 

Dans le même temps, au commissariat de la ville proche, une voiture du FBI se gara devant celui-ci. Une jeune femme en sortit et demanda à voir le shérif chargé du poste. L’agent chargé de l’accueil, une fois vu le badge de la femme, hocha la tête en signe d’acceptation, et lui demanda de le suivre. Il la mena à un bureau quelques mètres plus loin, cogna à la porte du bureau, et fit entrer la jeune femme, la présenta à son supérieur, et referma la porte. Le shérif était plutôt surpris de la visite d’un agent du FBI ici, alors que le pays était en proie à la panique la plus totale. Il lui demanda la raison de sa visite. Celle-ci, d’un air assuré, presque de dédain envers le shérif demanda à avoir accès à tous les dossiers concernant le Dévoreur de Cœur traités par son prédécesseur, et ami de son collègue qui avait été chargé de l’enquête de cette légende quelques années plus tôt. Un temps l’air renfrogné, acceptant mal l’air hautain de la femme à son encontre, il lui demanda pourquoi le FBI voulait reprendre cette enquête, après ce qui s’était passé la dernière fois, ayant causé la mort de son collègue et du précédent shérif.

 

La femme, qui répondait au nom d’Agent Missie Calder, lui indiqua que cela ne le regardait en rien, et que son rôle consistait à obéir à toute demande du FBI, quelle qu’elle soit. Décidément, le shérif commençait à détester de plus en plus cette femme, mais il n’avait pas le choix que de lui obéir, et lui montra l’endroit où tous les anciens dossier de son prédécesseur concernant cette affaire se trouvaient. Missie passa plusieurs heures à inspecter chaque dossier, chaque document de l’enquête menée par l’ancien shérif et des agents qui avaient été mandatés par le FBI pour résoudre cette affaire, et qui s’était fini par la mort des 3 enquêteurs. Cette simple pensée lui fit verser une petite larme sur le coin de l’œil. L’un des agents, Ryan, était son frère, et le jour où elle avait appris la mort de ce dernier, elle avait cru que sa vie s’était arrêtée. Ou plutôt sa disparition, puisque son corps n’avait jamais été retrouvé, contrairement à celui du shérif, retrouvé sur  la route du pêché. Pendant toutes ces années, elle avait trimé dur pour obtenir son diplôme d’agent du FBI, avec tout le temps l’idée en tête de comprendre la disparition de son frère. Elle voulait des réponses. Plusieurs fois, elle avait fait la requête de reprendre l’affaire auprès de ses supérieurs, mais ils avaient toujours refusés. Et plus encore actuellement, alors que le pays était en crise, et qu’ils ignoraient le temps que cela prendrait pour s’en sortir. S’ils y parvenaient.

 

Elle avait bien sûr entendu parler de cette invasion de sirènes et de tritons. Au début, quand les infos ont commencé à en parler, elle avait pris ça pour une mauvaise blague. Mais elle avait vu ensuite les images des massacres. Ces corps dont les têtes étaient arrachées à la main par des créatures de cauchemar. Dire qu’elle adorait quand son frère lui racontait « La Petite Sirène » quand elle était gosse… Du coup, comme elle ne pouvait pas avoir l’aval de ses supérieurs, elle avait décidée de passer outre, et de se rendre ici sans le consentement de ces derniers. Elle savait qu’elle risquait de lourdes sanctions pour ça, voire être purement et simplement renvoyée du FBI pour insubordination, mais peu lui importait. Elle voulait savoir. Par tous les moyens. Et puis, un sourire illumina soudain son visage. Elle avait trouvé ce qu’elle cherchait. Dans un dossier caché. La carte numérique de la région avec l’emplacement supposé de la grotte du Dévoreur de Cœur. Quand elle avait cherché à se renseigner sur cette affaire, elle avait bien senti que ça dérangeait. Elle s’était sentie dans la peau d’une version féminine de Fox Mulder. On lui avait juste dit que son frère et le shérif qui l’aidait dans son enquête était sur la piste d’une grotte où sévissait cette soi-disant créature. Mais que ça n’avait mené à rien…

 

Mais maintenant qu’elle savait où se trouvait cette grotte, elle sentait qu’elle était près de son but. Elle demanda au shérif de lui adjoindre un co-équipier pour se rendre à la grotte. Au début, le shérif refusa net qu’un de ses hommes poursuive une chimère. Qu’il n’était pas comme celui qui l’avait précédé. Le Dévoreur de Cœur, lui, il n’y croyait pas. C’était juste un Serial Killer très organisé et surtout un malade mental de premier ordre. Cependant, Missie insista, rappelant son devoir envers elle de lui fournir toute l’aide qu’elle demandait, sous peine de sanctions envers lui, si elle rapportait qu’il avait refusé sa demande. Le shérif marmonna, puis demanda à un de ses hommes d’accompagner l’agent Calder. Ce dernier, un nommé Spike, la suivit, et ensemble ils se rendirent à la fameuse grotte. Pendant le trajet, elle sentait bien que Spike n’arrêtait pas de la dévisager, scrutant son corps de toute part, comme si elle n’était qu’un objet. Visiblement, il ne devait pas avoir vu une femme depuis un moment. Elle se retenait de lui dire ce qu’elle pensait de son attitude, alors que celui-ci pensait être discret dans son mode de prédateur en quête de proie à ajouter à son tableau de chasse. Mais elle n’eut pas à lui dire quoi que ce soit à ce sujet, car ils étaient arrivés sur place.

 

Ils avancèrent prudemment, tout en observant autour d’eux, scrutant et écoutant le moindre bruit suspect. Ils entrèrent dans la grotte, toujours avec prudence. Mais rien. Aucun bruit ne semblait se faire entendre. S’il y avait une créature qui vivait ici, elle était absente de toute évidence. Rangeant leurs armes, Missie et Spike s’affairèrent à inspecter l’intérieur de la grotte. Découvrant les reliques macabres qui y étaient installées, occasionnant un sentiment de dégoût à Spike. Puis, alors que Missie s’était dirigé vers l’autre partie de la grotte, Spike vit une ombre bouger dans un  recoin de la grotte. Puis, une silhouette s’avancer peu à peu vers lui. Il demanda à la silhouette de s’arrêter, mais celle-ci n’obéissait pas. Alertée par les cris de Spike, Missie revenait sur ses pas, se dirigeant vers la direction où se trouvait ce dernier. Spike jeta un œil succinct vers Missie, pendant que la silhouette arrivait dans la lumière. Elle se rapprochait toujours plus de Spike, qui était dans une panique totale en voyant ce qui se trouvait devant lui, et découvrant que la légende du Dévoreur n’était pas un conte pour enfant. Il tira un premier coup de feu, mais la peur lui fit manquer sa cible, finissant dans le fond de la grotte. Il tira à nouveau, manquant encore. Ses mains tremblaient tellement qu’il était incapable de viser quoi que ce soit. Missie était arrivé à son niveau, se plaçant devant son co-équipier totalement paralysé par la peur, pendant que la créature n’était plus qu’à quelques mètres devant eux. Soudain, cette dernière s’arrêta net, avant de se mettre à parler :

 

« Missie ? C’est toi ? Que… Qu’est-ce que tu fais ici ? »

 

Missie semblait ne pas comprendre. Comment cette créature pouvait la connaitre.

 

« Missie… C’est moi…. Ryan. Tu… Tu ne devrais pas être ici…. Enfuis-Toi…. Je… Je ne veux pas te faire de mal… »

 

Puis, observant Spike, tremblant comme une feuille, il reprit :

 

« Par contre, lui doit mourir…. Son cœur noir me l’impose… »

 

Missie eut alors un choc en voyant le regard de la créature. Troublée par les mots de cette dernière, elle sentait que c’était bien Ryan devant elle, aussi improbable que cela devait être. Elle ne pouvait pas l’expliquer, mais elle savait, rien que par son regard, que c’était lui ».

 

« Ryan ? C’est…. C’est impossible…. Comment es-tu devenu cette… Chose ? »

 

« Ce serait trop long à t’expliquer… Tu dois partir…. Et me laisser tuer ton co-équipier… »

 

Missie avait les larmes aux yeux, à la fois pour avoir retrouvé son frère, et aussi pour avoir découvert qu’il était devenu un monstre.

 

« Je ne peux pas te laisser faire ça. Laisse-moi t’arrêter. Et on trouvera une solution »

 

Ryan la suppliait, alors qu’il voyait Missie s’approcher, son arme toujours pointée vers lui :

 

« Non ! Ne me regarde pas ! Ne regarde pas mes yeux plus encore ! Sinon, tu vas sombrer dans la folie ! »

 

Missie semblait tétanisée, dans l’incompréhension totale. Ryan en profita pour s’éclipser sur le côté, afin de ne pas plonger son regard dans celui de Missie, et assomma celle-ci, qui tomba au sol. Karl s’approcha alors de Spike, qui était tombé à genoux, lui demandant de ne pas le tuer. Mais pour toute réponse, Karl s’avança plus encore, et d’un coup, plongea sa main dans le torse de l’agent de police, extrayant son cœur, avant de le ressortir, enlevant toute vie de ce dernier, dont la tête s’abaissa sur son corps. Il posa le cœur un instant, avant d’arracher un morceau de tissu de l’uniforme de Spike, afin de s’en servir comme bandeau, qu’il posa sur les yeux de Missie. Quand celle-ci revint à elle, elle était assise au sol, les bras et les jambes attachées, avec un bandeau sur les yeux. Ryan s’adressa à elle :

 

« Un jour, je t’expliquerais tout Missie. Pourquoi je suis devenu le Dévoreur de Cœur, mon rôle, et plusieurs autres choses. Mais pour l’instant, tu dois me promettre de ne rien dire de tout ça à quiconque. Spike est mort. Je mettrais son corps sur la route du pêché plus tard. »

 

Il voyait des larmes sortir de sous le bandeau de sa sœur.

 

« Tu dois partir, maintenant. Je vais détacher tes liens. Mais tu ne dois surtout pas enlever ton bandeau. Je vais te ramener à la voiture qui t’a emmené ici. Tu me le promets ? »

 

Missie, pleurant toujours plus, hocha la tête. Ryan défit ses liens, comme promis, et la fit s’installer au volant de la voiture.

 

« Tu as entraperçu mon regard. Pas suffisamment pour voir la folie s’installer en toi. Mais assez pour que nous soyons connectés. Je te promets de te contacter télépathiquement pour tout t’expliquer dans les prochains jours. Mais aujourd’hui tu dois partir… »

 

Missie hocha à nouveau la tête, pendant que Ryan lui recommanda d’attendre quelques minutes avant d’enlever son bandeau et partir. Ce qu’elle fit. Sans chercher plus à comprendre. Ryan observait dans la pénombre de sa grotte la voiture s’éloigner. Il était heureux et triste à la fois. Plus tard, Missie rejoignit la ville, se dirigeant vers le commissariat. Mais quelque chose lui semblait bizarre. Certes ce n’était pas une grande ville, mais tout de même : il n’y avait aucune trace de qui que ce soit dehors. Elle se gara. Et entra dans le commissariat. Et là, elle crut être entrée en enfer. Devant elle, des dizaines de corps gisaient au sol dans d’immenses flaques de sang, des bras, des  jambes étaient séparées de leur corps, des têtes écrasées. Les sirènes ! Les sirènes étaient ici ! Sans s’attarder, elle se retourna, et voulut courir vers la voiture. Mais elle sentit alors une main traverser sa tête de part en part, projetant ses yeux hors de ses orbites loin devant, tombant sur le sol. Puis la main de cauchemar relâcha son emprise, laissant tomber le corps de Missie sur le sol, pendant que l’être responsable de sa mort, se penchait vers elle, et commençait à la dévorer.

 

Au même moment, dans sa grotte, Ryan était aux portes du désespoir. Du fait de sa connexion récent avec sa sœur, il l’avait vu  mourir comme si elle était devant elle, tuée par cette sirène ou ce triton, il n’était pas sûr. Il resta prostré au sol plusieurs minutes avant de se relever, levant le poing au ciel, maudissant le clan des sirènes pour leur acte, et jurant qu’il leur ferait payer leur crime un jour. Il savait cependant que son rôle se limitait à tuer uniquement les humains au cœur noir. Quelque chose en lui l’empêchait de tuer qui que ce soit d’autre. De plus, il ne pouvait quitter la route du pêché. C’était son territoire. Son terrain de chasse. Et désormais, sa malédiction. Jamais il ne pourrait venger la mort de Missie. Et il tomba à nouveau en larmes dans la pénombre de sa grotte. Ryan ne le savait pas encore à ce moment-là, mais d’ici plusieurs années, il allait de nouveau croiser Vladimir. Un Vladimir différent. Possédant plus de connaissances à même de lui permettre de changer sa nature. Il modifierait ce qui l’empêchait d’aller à l’encontre de sa nature. Il lui donnerait la possibilité d’obtenir réparation pour l’acte odieux dont avait été victime sa sœur. Il serait capable de tuer autre chose que des humains au cœur noir….

 

Publié par Fabs