26 mai 2023

OBSESSION

 


 

Comment j’ai pu ne pas voir ce qu’elle était, comprendre son manège dès le départ, le jour où elle est apparue devant ma porte ? J’avais pourtant ressenti des frissons sur ma peau en la voyant se présenter, il y avait un je ne sais quoi de malicieux dans son regard, dans sa façon de parler, ses gestes faussement innocent. C’était comme si elle n’était qu’un mauvais rêve, sorti tout droit de l’imagination d’un mangaka un peu tordu, voulant pervertir l’image même de la lycéenne typique japonaise, l’associant à un haut degré de perversité se cachant derrière un masque d’un être candide et pur. Mais ce jour-là, j’ai rejeté cette première pensée, persuadé que mon expérience passée, la raison pour laquelle j’avais été amené à habiter dans cet appartement, du fait d’une horde de fans assaillant pratiquement la maison où j’étais né, en était la cause indirecte. A l’instant où Saeko s’est montrée à moi, en partie enveloppée dans une obscurité à cause d’un éclairage défaillant dans le couloir, mon esprit l’a immédiatement rattaché à l’image de ces jeunes filles, ces femmes, ces mères au foyer pour certaines, scrutant mes déplacements au sein du lieu où j’habitais avec ma famille.

 

Aujourd’hui, je me rends compte de l’erreur que j’ai commise en acceptant sa demande de signer ce simple autographe, en la faisant entrer dans mon appartement, dans ma vie, transformant cette dernière en un cauchemar dont je n’imaginais pas la teneur à venir par ce simple geste. Ai-je manqué de discernement ? Non, je ne pense pas. Pas sur le moment en tout cas. Je n’ai fait que répondre au refus d’un instinct guidé par l’image de mes parents effrayés de la situation dans laquelle je les avais imbriqués malgré eux. J’ai voulu croire que toutes mes fans n’étaient pas forcément des hystériques aux yeux hagards dès qu’elles me voyaient boire un bol de céréales, à travers leurs jumelles dont je percevais l’éclat traverser les vitres de notre demeure, ma famille et moi. Des écolières pour un grand nombre d’entre elles, des abonnées de mon compte Instagram qui m’avait valu la renommée, avec qui il m’était arrivé de discuter en conversation privée, sans mesurer leur nature à la limite de la schizophrénie.

 

J’ai fait l’erreur d’oublier que derrière leurs profils de personnes que je pensais être des femmes d’âge mûres, avec qui j’avais de nombreux points communs, à la photo de profil attirante, se dissimulait en fait des jeunes filles bien plus jeunes que je pensais, usant de photos récupérées sur le net ou crées spécialement à l’aide d’une IA, pour me tromper. Des fans ayant écoutés à outrance des interviews presque oubliées, datant de mes débuts, de reportages, d’articles relatant des informations sur ma vie privée, en fouinant dans mes poubelles, au titre réel du terme. Tout cela pour avoir de quoi alimenter des discussions, et me faire penser que nous avions de nombreuses affinités, dans le seul but de m’attirer à elles. La célébrité n’a pas que des avantages, j’en ai fait l’amère expérience, croyez-moi. Et au moment où je pensais avoir échappé à tout ça, libérant de la peur les membres de ma famille en partant loin d’eux, je suis tombé sur bien pire. Une incarnation de ce qu’on peut trouver de pire chez un fan, pratiquement l’image même que l’on peut se faire du mal à l’état pur : Saeko.

 

Mais vous devez vous interroger sur mes propos dispersés depuis tout à l’heure, mélangeant passé et présent, sans que vous en compreniez le sens. Vous devez vous demander qui est Saeko, celle qui a fait de ma vie un enfer, m’isolant de tous, par crainte de ses représailles si je déclenchais sa jalousie, tel qu’en a fait les frais Miri, une des habitantes de l’immeuble. Je me dois de vous dire comment j’ai pu en arriver à craindre ses rires en plein milieu de la nuit, faisant écho sur les murs de mon appartement, devenu ma prison. Vous expliquer comment j’en suis venu à avoir peur de ma propre ombre, de crainte d’en voir ressortir celle qui a fait de moi la représentation de l’otage traumatisé par tout ce qui l’entoure, jusqu’à sombrer dans la paranoïa la plus totale au moindre son, au moindre mouvement de lumière, à la moindre respiration ne venant pas de ma propre bouche. Alors, voici mon histoire. Elle vous semblera sans doute folle, dénué de rationalité, issu d’un esprit aux portes de la folie, dont la célébrité a fini par perturber le cerveau. Pourtant, elle est loin d’être une histoire d’horreur comme on pourrait en trouver dans les mangas de Junji Ito. Je n’ai rien inventé. Je ne suis qu’un messager pouvant témoigner que la terreur peut venir d’une écolière de 16 ans, crainte par toutes et tous dans un immeuble où j’ai eu la stupidité de venir me loger…

 

Je me nomme Ryoji Nishiri. Je suis influenceur sur Instagram. Oui, je sais ce que beaucoup d’entre vous doivent penser : encore un petit prétentieux, favorisé par la vie, et jouant de son physique pour arnaquer des filles en leur vendant des produits inutiles à des prix exorbitant. Je peux comprendre vos a priori, c’est légitime. Les réseaux sont remplis de personnes ayant ce statut, je ne le nie pas. Tout comme je ne peux pas désavouer que mon physique a certainement joué sur la montée de ma popularité. Mais, pour ma part, je ne vends pas l’eau de mon bain ou des remèdes vaudou pour séduire votre amie d’enfance à qui vous n’osez pas avouer vos sentiments. Non, moi, je vante les mérites d’une marque lié à un domaine qui a longtemps fait le désespoir de mes parents, n’y voyant qu’un passe-temps malsain, m’écartant du vrai monde. Celui des jeux vidéo. Ah, je sens que ça parle à nombre d’entre vous, pour avoir entendu les mêmes phrases de la part de leur père ou leur mère. Vous savez ces mots du style « tu ferais mieux de jouer avec tes amis à un sport où il y a un vrai ballon », « C’est pas avec ça que tu réussiras dans la vie » ou encore le fameux « comment tu veux rencontrer des filles et te marier en restant collé des heures à ta console ? ».

 

Tous les gamers ont connu ça, ces moments d’incompréhension avec les autres membres de sa famille, mis à part le petit frère, la petite sœur, passionné par vos actions sur des FPS, des RPG, des MMO de guerre, devenant leur héros. Je passais des heures soit sur mon PC, soit dans les salles d’arcades rétro, faisant souvent l’école buissonnière pour avoir plus de temps immergé dans des univers devenu comme une sorte de drogue dont je ne pouvais pas me passer. Une passion qui m’a fait repérer par une société de vente d’articles d’E-Sports, me proposant de me sponsoriser en tant que gamer Pro. Seule contrainte : n’utiliser que les produits de leur société, et vanter leurs mérites sur les réseaux en parallèle des tournois pros d’E-Sports auxquels je serais convié de participer. C’est ainsi que j’ai débuté une double « carrière », m’entrainant sur des compétitions en ligne, telles Toornament, Battlefly ou Glory4Gamers, qui m’ont permis de me faire un nom très rapidement, à la grande joie de mon sponsor.

 

Et dans le même temps, je présentais sur Instagram les produits que j’utilisais, « secret » de ma réussite, pendant les compétitions. Grâce à ma notoriété grandissante, je suis passé au grade supérieur en participant à des compétitions physiques, comme l’Esports Wolrd Convention, Intel Extreme Experts, ou la League of Legends World Championships. Bien que réticent au départ, mes parents, voyant le montant des virements arrivant sur mon compte bancaire, ont vite accepté que j’en fasse mon métier, bien qu’à leurs yeux, c’était plus une passion qu’un véritable travail. Mais il me permettait de vivre, et je leur faisait largement profiter de mes revenus, et gâtant régulièrement mon frère et ma sœur, qui rêvaient de devenir comme moi. Je devins rapidement une figure incontournable des réseaux sociaux, et un influenceur très côté. J’ai vécu plusieurs années de cette manière, avant de me limiter à mon statut d’influenceur sur Instagram. Les compétitions physiques d’E-Sport étant devenu de plus en plus intrusive dans mon quotidien, je voyais moins ma famille, devant aller souvent à l’étranger pour des tournois.

 

Et surtout, l’émergence de nouveaux gamers très doués faisaient que je commençais à avoir du mal à suivre le rythme. Il faut savoir accepter de ne plus avoir le niveau face à la nouvelle génération à un moment. Et mes revenus en tant qu’influenceur, agrémentés de vidéos où je commentais des tournois en ligne sur YouTube, d’autres constituées d’interviews de nouvelles stars du E-Sport, toujours sponsorisées par la société ayant fait de moi une star, étaient suffisantes pour me faire vivre, moi et ma famille. D’autant que les longues années où j’avais été gameur Pro m’avaient fait constituer une réserve d’argent immense sur mon compte bancaire, qui me rapportaient chaque année des sommes considérables en intérêts. Sans compter les NFT à mon image ou les invitations rémunérées à des conventions dédiées au gaming.

 

Mais cette popularité avait un revers. Tant que je faisais des voyages pour participer à des compétitions, j’étais rarement à la maison, ne communiquant avec ma famille que par visio ou téléphone. A partir du moment où j’ai arrêté les tournois physiques, j’étais plus présent dans la demeure familiale, ce qui satisfaisaient pleinement mes parents, ainsi que mon frère et ma sœur. Mais cela a entrainé les premières « invasions ». Me sachant plus présent chez moi, il y avait régulièrement des fans se postant autour de la maison, leurs téléphones à la main, quand ce n’étaient pas des caméras numériques. Et certains avaient tendance à être très téméraires. Plusieurs fois, l’alarme que j’avais fait installer plusieurs années auparavant, s’est déclenchée en pleine nuit, du fait de personnes ayant tenté de s’introduire, dans le but de voir de plus près leur idole, à savoir moi. Chaque fois que mon père voulait sortir pour acheter de quoi manger, il était assailli par les fans demandant qu’il leur fournisse des autographes de ma part, voulant savoir ce que j’avais mangé à midi ou la veille, si j’avais une petite amie…

 

Mon jeune frère et ma petite sœur subissait aussi ce genre de désagréments. Bien que les professeurs de leur école savaient comment tenir à distance les fans cherchant à s’introduire dans l’enceinte de leur établissement, les fans attendaient patiemment leur sortie des cours pour leur poser mille questions. Au bout de deux mois, mes parents ont dû se résoudre à leur faire prendre des cours à distance, pour éviter qu’ils soient en contact avec ces véritables harpies. Certains fans harcelaient de messages les portables de mes parents, ou les forums où ils avaient l’habitude de discuter avec leurs amis. Ils ne me reprochaient pas cet enfer, conscients que ce n’était pas ma faute, je ressentais une lourde culpabilité que ma famille, à cause de ma popularité, subisse un tel enfer, leur enlevant toute intimité, car scrutés à chacun de leur mouvement. Rien qu’arroser les fleurs dans le jardin était devenu une corvée pour ma mère qui adorait ça auparavant. Idem pour mon frère et ma sœur n’osant plus jouer au ballon ou d’autres jeux d’extérieur, de peur de voir crépiter les flashs d’appareils, de téléphone, et se voir assaillis de questions de plus en plus personnelles et intimes me concernant.

 

Une situation invivable qui m’a poussé à louer un appartement au centre de Tokyo, loin de ma ville natale, loin de cette folie médiatique causée par mes fans, dont certaines très jeunes, entre 13 et 14 ans, ce qui rajoutait au malaise. Il y avait même des mères d’amis, veuves ou séparées, des voisins cherchant à « collecter » des infos pour le compte de leur épouse, de leur belle-sœur célibataire. Je pensais échapper à tout ça, et offrir la paix à ma famille, en venant dans cet immeuble, situé à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre des hordes de mes fans. J’ai dû user d’un subterfuge, me cachant dans le creux de la banquette arrière de la voiture de mon père, pour échapper à la vigilance des fans se trouvant tout autour de la maison. Au bout de quelques jours, ma mère m’a appelée, pour m’indiquer que les fans s’étaient rendu compte que je n’étais plus là, et avaient cessés leurs « siège » quotidien. Seuls mes parents, et mon agent de liaison auprès de mes sponsors, connaissaient ma nouvelle adresse et mon numéro de téléphone, lui aussi changé, par mesure de précaution, ayant déjà eu la désagréable surprise de recevoir des messages de la part de groupies ayant hacké ce dernier à distance, par l’intermédiaire de petits génies de l’informatique.

 

C’est ainsi que j’ai atterri ici, dans cet immeuble. Le gérant, que j’avais mis au courant de la situation qu’avait subi ma famille, promettant de garder le secret de ma présence. N’étant pas familier des réseaux sociaux, il ne me connaissait pas, ce qui m’arrangeait. Mais il comprenait tout à fait ma position et mon désir de tranquillité, donc je lui faisait confiance. Malgré tout, le soir-même de mon emménagement, j’entendais cogner à la porte de mon appartement. Intrigué, car en dehors du gérant, je n’avais encore rencontré personne de l’immeuble, je m’avançais vers la porte, afin de savoir qui se trouvait là. En ouvrant, j’ai un moment tressailli, en voyant devant moi une jeune lycéenne, semblable à celles qui avaient rendus impossible la vie de ma famille. J’ai pensé un moment que le gérant n’avait pas su tenir sa langue, malgré sa promesse, mais la jeune fille, le sourire aux lèvres, et émettant un petit rire discret, me fit comprendre qu’il n’en était rien. Précisant qu’elle m’avait aperçu par la fenêtre de son appartement à mon arrivée, et qu’il lui semblait m’avoir vu quelque part. Alors, elle avait voulu vérifier par elle-même si j’étais bien celui qu’elle pensait que j’étais.

 

En lui demandant si elle savait donc qui j’étais, elle affichait un grand sourire, tout juste éclairé par la faible lumière du couloir, lui donnant une sorte d’aura curieuse, son corps étant baigné à moitié dans la pénombre, tandis que l’autre était envahi de luminosité. Puis, elle répondait à ma question, précisant qu’elle n’était pas vraiment passionnée par le gaming, mais qu’elle aimait beaucoup mes vidéos et mes posts sur Instagram. Rajoutant que j’avais une telle prestance, un tel charisme, qu’elle était très vite devenue fan… Un peu gêné par ces indications, essayant de minimiser mes « qualités » à ses yeux, elle m’indiquait alors son prénom, Saeko, me demandant de la tutoyer dans un esprit plus convivial, et voulant me rassurer quand au fait que j’habitais ici désormais. Elle ne dirait rien. Ce serait notre petit secret.

 

Je l’entendais rire à nouveau. Ce même rire qui serait synonyme de terreur quelques temps plus tard, me paraissait tellement plein de fraicheur et d’innocence à ce moment… Je lui indiquais qu’elle pouvait me tutoyer aussi, si elle le désirait. En demandant le motif exact de sa visite, car je supposais qu’elle n’était pas venue uniquement pour se présenter à moi. Ce à quoi elle répondait par l’affirmative, s’excusant, car je devais être fatigué de mon voyage, avant de me demander si je pouvais lui signer un autographe. Je voyais un peu plus son regard, et j’avoue qu’un moment, il me laissa sans voix. On avait l’impression qu’il ne montrait pas d’expression, comme vidé de toute essence. C’est difficile à décrire précisément, mais c’est l’impression que j’ai eu à ce moment. Voyant mon désarroi, Naoko demandait si elle avait quelque chose sur le visage. Ou bien… Si elle me faisait peur… Me sentant un peu stupide de l’avoir dévisagé ainsi, et conscient de ma maladresse à son égard, je tentais de rattraper le coup, lui affirmant que non, et l’invitant à entrer, car j’avais un stock de photos à dédicacer sur la petite table du salon.

 

A ce moment, je scellais mon destin en la faisant entrer dans mon lieu de vie. J’ignorais encore de quoi elle était capable, et donc très loin de penser qu’en lui accordant cette invitation à entrer, je venais de lui permettre d’avoir l’emprise sur moi. Mais sur le moment, je ne voyais qu’une jeune fille comme tant d’autre, ne voulant de moi qu’une simple signature. C’était bref, mais j’ai cru apercevoir, l’espace d’un instant, une sorte de rictus apparaitre sur ses lèvres. Comme si elle était satisfaite d’un plan mis en place. Mais je pensais avoir mal vu ou interprété, et me maudissait intérieurement de voir du mal partout. Ce n’était qu’une fan, après tout. Et elle avait promis de garder le silence sur ma nouvelle adresse.

 

Pourquoi m’en ferais-je ? Une fois qu’elle aurait son autographe, il y avait de grande chances que je n’en entendrait plus parler, vu qu’elle aurait eu ce qu’elle était venue chercher. J’avais tort à un point que je ne pouvais imaginer. Je la fis pénétrer dans l’appartement, et une fois complètement baignée dans la lumière, mes doutes sur elle semblaient se dissiper, me sentant ridicule d’avoir pensé un seul instant qu’elle pouvait être comme les autres fans ayant terrorisé, des semaines durant, les membres de ma famille. Cependant, elle donnait l’impression d’avoir désormais un certain pouvoir une fois entrée, s’asseyant sur le sofa sans demander la permission, et, voyant la pile de photos, s’empressa de les prendre en main. J’hésitais à lui dire que son attitude n’était pas très polie, quand je la vis chercher dans les photos. Pourtant, c’était des photos standard, identiques. Je ne voyais pas ce qu’elle pouvait chercher. Intrigué, je m’approchais, m’asseyant à mon tour, quand elle me tendit une des photos, en me disant que celle-ci, elle ne l’avait jamais vue sur Instagram.

 

En voyant plus en détail la photographie, je me rendais compte que j’avais mélangé des photos personnelles avec celles promotionnelles, destinées à la dédicace pour les fans. Je me sentais mal à l’aise, mais pas seulement du fait du mélange de ma part, mais des frissons qui parcouraient mon corps à cet instant, et je préférais ne pas lui dire que cette photo ne pouvait pas être donnée, car ressentant l’envie qu’elle sorte, sans trop savoir pourquoi. Une sorte de 6ème sens m’indiquant qu’il serait risquée qu’elle reste plus avant dans mon appartement. Je bafouillais un semblant d’explications, disant que c’était une nouvelle série qui n’avait pas encore été présentée. Qu’elle serait la première à l’avoir. Elle montrait un nouveau sourire, semblant satisfaite de ma réponse, et me demandant à ce moment si elle pouvait m’appeler par mon prénom, vu qu’elle m’avait donné le sien.

 

Il y avait une assurance dans chacun de ses gestes, de ses actions, qui me mettaient dans une sensation, que j’espérais imperceptible, d’inquiétude. Il fallait qu’elle s’en aille, si je ne voulais pas qu’elle s’aperçoive du début de peur qu’elle m’inspirait à cet instant. Et je préférais ne pas lui donner des signes de réticence de ma part à ses demandes, en acceptant. Elle souriait à nouveau, avec toujours ce regard que je n’arrivais pas à identifier comme de la vraie gentillesse, une forme de défi, ou quelque chose de plus subtil, presque un sarcasme gestuel à mon encontre. Voulant couper court à la conversation et sa présence, je prenais la photo, la signait, et lui remettait, en essayant le plus possible de ne pas montrer mon angoisse. Elle regardait la photo un moment, comme s’il s’agissait d’un trésor unique, puis, me regardant, toujours souriante, m’avouant sa joie pour ce présent, ainsi que le fait que j’habitais le même immeuble qu’elle, tout en rajoutant qu’elle allait me laisser me reposer maintenant. Il m’était très difficile de masquer mon soulagement de son départ, pendant qu’elle se levait, et se dirigeait vers la porte d’entrée, sans un regard en arrière. Elle ouvrait la porte, et elle me lançait une phrase glaçante, où elle me disait espérer que je me sentirais bien ici. Mieux que ceux qui m’avaient précédé, et qui l’avaient déçue…

 

Je n’eus pas le temps de lui demander ce qu’elle voulait dire par cette phrase, que déjà elle avait franchi la porte, refermant derrière elle. J’entendais le bruit de ses pas s’éloignant dans le couloir. J’avais l’impression qu’ils résonnaient dans ma tête, comme si j’étais connecté à eux, me clouant sur le sofa, sans oser me lever tant que j’entendais ce son à l’intérieur de mon crâne. Ce n’est que quand il se tut que je pus reprendre le contrôle de mes membres, soulagé. Je ne comprenais pas comment une simple gamine à mes yeux avait pu me transmettre un tel malaise. J’avais eu l’impression d’une terreur ayant envahi mon corps, la sensation qu’elle m’avait dicté mes gestes, m’empêchant de m’opposer à sa volonté. En un sens, elle me donnait la conviction qu’elle n’était pas qu’une simple lycéenne. Il y avait autre chose qui émanait d’elle, je le sentais en moi, sans pouvoir définir ce que c’était exactement.

 

Cette nuit-là, j’ai eu beaucoup de mal à dormir, repensant en continu à cette visite étrange, à Saeko et cette sensation de malaise qu’elle m’avait procurée. Mais ce ne serait pas la seule fois où je ressentirais ça. Saeko vint me rendre visite d’autres fois, toujours le soir, comme si c’était un rituel pour elle. Et à chaque fois, je n’osais pas lui dire non. Il y avait quelque chose en moi qui me disait de ne pas la contrarier. Et ainsi, petit à petit, Saeko s’est emparée de ma vie, me prodiguant des conseils sur la nourriture que je devais acheter, sur mes tenues pour mettre en valeur les produits de mon sponsor, sur les produits d’entretien à utiliser, d’hygiène, m’encourageant à user de tel shampoing, de teindre des parties de mes cheveux. Je ne comprenais pas pourquoi je me laissais dominer ainsi par une lycéenne. Qu’est-ce qu’il y avait en elle qui me poussait à répondre à chacune de ses attentes sans oser émettre un refus, ou même une opposition ?

 

Saeko me faisait peur, à moi, un adulte, sans pouvoir l’expliquer. Il y avait quelque chose que je ne m’expliquais pas venant d’elle. Comme surnaturel. Pourtant, je pouvais la toucher, sentir son parfum, je la voyais respirer. Elle n’était pas un fantôme comme je l’ai cru un moment. Elle était réelle. De plus en plus, elle se considérait bien plus que comme l’amie qu’elle se disait être, bien plus qu’une fan. Se permettant de me toucher les mains, me caresser les cheveux, ou déposer un baiser chaste sur la joue. Parfois, elle usait d’allusions comme si nous étions un couple, me montrant une maison, indiquant qu’on y serait bien plus tard, une fois que nous nous connaitrions mieux. La situation m’échappait, et je ne comprenais pas que quand Saeko était là, ma raison, mon libre-arbitre, s’évanouissait automatiquement, me réduisant quasiment à une marionnette entre ses mains. Quand mes parents m’appelaient au téléphone, je préférais ne pas parler de cette situation, de peur de passer pour un immature incapable de ramener à la raison une gosse de 16 ans qui s’était clairement entiché de moi, et voyait déjà un avenir nous liant tous les deux.

 

Idem pour l’agent de liaison de mon sponsor. Comment pourrais-je leur dire que les choix étranges que je faisais pour promouvoir leurs produits sur Instagram me venait des choix imposés mentalement par une lycéenne ? Elle s’imposait sur ma vie à plusieurs niveaux. Plusieurs fois, j’ai pu lire des commentaires assassins de sa part à des fans me faisant des compliments, quand ce n’étaient pas des déclarations pures et directes. Des fans dont je ne percevais plus la trace après ces altercations écrites. Il est même arrivé que les comptes de certaines disparaissaient d’Instagram. Comme si elles avaient décidés de quitter le réseau. Ou sommés de le faire. Je voyais le nombre de mes abonnés se réduire drastiquement, ce qui inquiétait mon sponsor, ne comprenant pas ces désabonnements en masse. Qui était-elle ? Pourquoi m’avoir choisi moi plutôt qu’un autre ? Était-je le seul à avoir subi ce que je supposais être une sorte de contrôle mental, ou quelque chose du même style ?

 

Le pire arriva avec Miri. C’était une habitante de l’immeuble elle aussi. Je la croisais souvent dans l’ascenseur, et, de fil en aiguille, nous en sommes venus à sympathiser, et même un peu plus. Elle détestait les réseaux sociaux, considérant ceux-ci comme des nids à problèmes. Donc, elle ignorait ma notoriété, et je savais qu’elle n’avait pas jeté son dévolu sur moi dans un but vénal ou par simple plaisir d’avoir « accroché » un star des réseaux, un influenceur prisé par nombre d’admiratrices. Nous nous donnions rendez-vous souvent en dehors du tournage de mes vidéos à l’extérieur, ou pour des shooting dans le but de présenter un nouveau produit sur Instagram. Et un soir, une invitation à prendre un café s’est transformé en un séjour plus poussé dans ma chambre. J’ai réussi à cacher ma relation avec Miri à Saeko, lors de ses visites. Je savais quand cette dernière venait, étant réglé comme une horloge, en termes de jour et d’heure, et donc comment éviter que Miri et Saeko se croisent.

 

Néanmoins, malgré mes efforts, je sentais que Saeko se doutait de quelque chose. Plusieurs fois, elle me posait la question si elle était la seule qui compte à mes yeux. J’avais pris l’habitude de ce genre de questions, me mettant chaque fois dans une gêne extrême, un sentiment de malaise constant. Mais depuis que Miri et moi avions une relation plus qu’intime, les questions de Saeko devenaient plus fréquentes, et surtout plus directes. Comme le fait une épouse se sachant trompée. J’avais parlé de Saeko à Miri. Mais comme elle n’était pas depuis longtemps dans l’immeuble, elle ne la connaissait pas. Je voyais dans le regard de Saeko chaque fois que je lui mentais, qu’elle semblait savoir ce qui en était. Mais qu’elle voulait me l’entendre dire. Et un soir, j’ai craqué. Un soir, j’ai eu l’impression d’être redevenu moi, pouvant m’opposer à la pression mentale, au pouvoir, je ne sais pas comment l’appeler, de Saeko. Mais je sais aujourd’hui que c’est elle qui m’a forcé à dire la vérité. Et je lui ai parlé de ma relation avec Miri.

 

Elle semblait très contrariée, même si elle ne le montrait pas ouvertement. Ce soir-là, elle est partie plus tôt que d’habitude. J’ai eu un sentiment de forte peur, et j’ai appelé Miri au téléphone. Miri sentait mon angoisse au téléphone, et me rassurait, me disant que personne n’était venu chez elle, et qu’elle ne courait aucun danger. Mais au moment de raccrocher, j’ai entendu derrière elle le son de quelqu’un cognant à la porte. Je n’ai pas eu le temps de dire à Miri de ne surtout pas l’inviter à entrer, celle-ci ayant déjà mis fin à la communication. Pris d’une panique intense, je me suis alors rué chez Miri, dévalant les escaliers quand l’ascenseur ne daignait pas aller assez vite pour remonter à mon étage. Et… Et j’ai trouvé la porte de l’appartement de Miri ouverte… A l’intérieur, j’ai trouvé Miri… Le visage arraché… La langue coupée, posée sur son téléphone, ses mains semblant avoir fondue, comme soumises à une température énorme. J’étais en larmes. Je pleurais tellement que des voisins sont venus pour savoir ce qui se passait. Ils n’avaient rien entendu, mis à part quelqu’un cognant à une porte.

 

Mais je voyais que certains semblaient en savoir plus qu’ils ne voulaient le dire. Leurs visage respiraient la terreur, mais ils ne voulaient pas parler. Même quand la police est venue, ils n’ont rien dit de plus que ce qu’ils m’avaient déjà dit. Lors de ma déposition au commissariat, j’ai parlé de ma relation avec Miri. Et j’ai parlé de Saeko. Les policiers semblaient étonnés quand j’ai évoqué son prénom. Ils m’ont expliqué que la seule Saeko qu’ils connaissaient dans cet immeuble, et correspondant à l’âge que j’indiquais, était portée disparue depuis 7 ans. Juste après que son père ait été retrouvé pendu dans son appartement. Saeko a été longtemps soupçonnée d’avoir maquillée ce suicide en meurtre, mais comme personne ne savait où elle était, les recherches pour la retrouver ont été abandonnées au bout de 8 mois.

 

Les policiers m’indiquèrent qu’avant ça, le comportement de Saeko à l’école était curieux. Son père l’élevait seule, après que son épouse l’ait quitté, car il avait été renvoyé de son travail pour avoir eu une aventure avec une stagiaire. La mère de Saeko avait toujours indiqué qu’elle n’avait jamais voulu un enfant, que son mari lui avait imposé. Plusieurs fois, les services sociaux sont venus dans l’immeuble, après que des traces de coups aient été constatés sur le dos de Saeko. Mais aucune charge n’a jamais pu être retenu contre la mère. Celle-ci parvenant à convaincre les inspecteurs que sa fille se faisait ça en se cognant la nuit contre le mur. Deux mois après le départ de son épouse, Saeko est tombée malade, du fait de malnutrition et de graves problèmes d’hygiène dans l’appartement, déclenchant des plaintes régulières de la part des voisins. Ne pouvant payer un médecin, beaucoup craignaient pour la vie de la fillette, s’attendant à apprendre son décès.

 

Et puis, un jour, comme par miracle, Saeko était complètement guérie, mais son comportement avait nettement changé. A l’école, elle devenait distante, se mettant à l’écart des autres, ne parlant plus à quiconque, y compris ses professeurs. Elle faisait peur à ces derniers, ceux-ci parlant d’un regard sombre, et d’une impression de frissons quand ils s’approchaient d’elle. Malgré tout, le directeur de l’école ne voulait pas répondre aux angoisses des professeurs désirant son renvoi, du fait de son attitude néfaste. Car Saeko avait d’excellents résultats scolaires, bien que refusant de communiquer. Y compris en sport, alors qu’avant sa maladie, elle était médiocre dans ce domaine. Après que son père soit mort et les recherches pour la retrouver abandonnées, il y a eu d’étranges rumeurs dans l’immeuble. Des rumeurs qui disaient que Saeko vivait toujours dans ce dernier, sans que personne ne sache où exactement.

 

Et puis, il y a eu plusieurs morts. Toutes des célébrités dans leur domaine. Un joueur de baseball d’abord, récemment divorcé. Il fut retrouvé noyé dans sa baignoire. Puis, ce fut le tour d’un mangaka. On l’a retrouvé mort intoxiqué, la tête dans son four. Il y eut le bassiste d’un groupe de J-Rock, des YouTubeur, et un mannequin. Tous avaient en commun un lien avec un domaine artistique ou médiatisé par les réseaux sociaux, et des histoires compliquées liées à leur vie de famille. Et tous ont indiqués, avant qu’on les retrouve mort chez eux, qu’ils recevaient souvent la visite de Saeko chez eux, et qu’ils ne parvenaient pas à l’empêcher de contrôler leurs faits et gestes, que ça les rendaient fous. 

 

Plusieurs perquisitions ont eu lieu dans l’immeuble, espérant retrouver Saeko, et comprendre comment une gamine pouvait pousser des gens à la folie, puis la mort. Mais ça n’a rien donné. Cependant, la mort de Miri était très différente des autres. Jusqu’à présent, toutes les victimes s’étaient elles-mêmes données la mort, pour échapper au contrôle de Saeko. Le visage arraché, les mains semblant brûlées à l’acide, ça ne correspondait pas aux autres drames. Après m’avoir fait ces révélations, les policiers, une fois terminé d’enregistrer ma déposition, me laissèrent repartir, la tête remplie de doute. Je n’étais donc pas le premier. D’autres que moi avaient subi le contrôle de Saeko. Je comprenais mieux le regard terrorisé des habitants. Ils savaient qu’elle était quelque part dans l’immeuble, et qu’il ne valait mieux pas attirer sa colère, en se mêlant de ses affaires, en tentant de protéger les cibles qu’elle avait choisie. Des idoles à ses yeux, qu’elle aimait plus que de raison, se moquant de l’incompatibilité que représentait son âge par rapport à ceux qu’elle désirait.

 

A force d’insistance, j’ai pu obtenir des infos complémentaires par le gérant de l’immeuble. Il m’avoua que le père de Saeko, la veille où sa fille avait changée de comportement, s’était mis à psalmodier des paroles étranges, pendant de longues heures, juste entrecoupées de courtes pauses. Des paroles qui ressemblaient à des incantations. Le gérant, comme d’autres habitants, ont supposé que le père de Saeko a fait appel à une entité guérisseuse pour sauver sa fille mourante, et que l’opération a réussie. Mais cela s’est accompagné de faire de Saeko autre chose qu’une humaine, expliquant son attitude envers les autres, son savoir, et sa faculté à se cacher au sein de l’immeuble, lui assurant une complète impunité, car personne n’ose s’en prendre à elle, sachant ce qu’il est advenu des célébrités qui ont tenté d’échapper à son contrôle…

 

Ne sachant pas quelle entité ou force l’avait guérie, et changée, je n’avais pas de solution pour me libérer de l’emprise de Saeko. Je ne savais même pas si elle était toujours humaine. Ce qui était sûr, c’est qu’elle avait recours au surnaturel. Sans doute avait-elle utilisé un sort, une invocation, une formule, que sais-je, lui ayant donné ce pouvoir mental lui assurant d’imposer sa volonté aux autres, à tous ceux sur qui elle avait décidé de devenir sa marionnette. Car je n’étais rien d’autres à ses yeux : un pantin devant obéir à ses caprices. Le meurtre de Miri montrait qu’elle ne reculerait devant rien pour empêcher quiconque d’avoir des sentiments envers moi, voire m’approcher tout simplement. Car il était évident que désormais elle aurait une emprise plus forte sur moi, une surveillance plus assidue, de manière à ce qu’une autre Miri ne me séduise pas. A ses yeux, elle étais la seule à qui je devais penser, la seule que je devais aimer, et peut-être plus.

 

J’étais devenu son obsession. Une obsession à laquelle je n’avais aucune échappatoire, et très bientôt la situation m’échappa totalement. De peur que je m’approche d’autres femmes sans qu’elle s’en aperçoive immédiatement, elle fit de moi un oiseau dans une cage. La porte ne pouvait plus être ouverte sans son consentement. Quand je désirais me rendre quelque part, pour un tournage, une séance photo, elle voulait savoir les détails de mes journées, en précisant, avec ce même sourire aux lèvres, qu’elle serait toujours là, quelque part, sans que je puisse la voir, afin de vérifier que je me conforme à n’être que sa chose, son jouet, sa possession. J’ai tenté de parler de ma situation à mes proches, par des messages codés, pensant que Saeko ne soupçonnerait pas la teneur de ces appels à l’aide. Mais c’était sous-estimer cette dernière. Chacune de mes tentatives se vouait à devenir un échec. Bien que mes messages étaient envoyés, ils ne parvenaient jamais à leur destinataire.

 

Au bout d’un moment, vraisemblablement ulcéré de mes tentatives, je n’avais plus la possibilité d’avoir un portable ou quelque moyen de communication sur moi. Elle me menaçait de s’en prendre à ceux ou celles à qui je tenterais de dire quoi que ce soit. Elle savait qu’il y avait peu de chance qu’on me croit ne pouvant apporter de preuves à ce que je vivais, mais pour elle, c’était comme une sorte de principe. Elle ne supportait pas que je tente de la défier en permanence. Les nuits étaient pires que les jours, ses rires remplissant mes nuits, usant de gestes de plus en plus tactiles à mon encontre, me rappelant régulièrement que j’étais à elle, et à personne d’autre, et qu’il me serait très déconseillé de la décevoir en se refusant à elle le jour où elle l’aurait décidée. Elle jouait avec mes nerfs en crescendo, et vint un jour où je n’avais même plus l’autorisation de sortir, car elle en avait assez que je cherche toujours plus de moyens de prévenir les gens de ce que j’endurais, ou demandant des informations sur le moyen de se débarrasser d’une humaine guérie par une entité que je supposais démoniaque.

 

A mes yeux, c’est ce qu’elle était. Un démon. Elle avait beau me dire que même si elle avait bénéficiée de pouvoirs venant d’un autre monde, n’ayant jamais désigné l’enfer, elle restait humaine. Une humaine améliorée, débarrassée de ses peurs, de ses émotions, qui l’avait réduite à un punching-ball de la part de sa mère. Plus jamais elle ne se laisserait dominer par quelqu’un. Désormais, c’est elle qui dominerait les autres, ceux qu’elle avait choisi, ceux à qui elle offrait de partager sa vie en échange d’un amour total. Mais pour autant, elle restait une romantique, telle qu’elle se désignait, et elle ne voulait pas forcer les choses, attendant que mon esprit soit résigné à accepter son amour, et qu’elle ferait tout pour me forcer à accepter qu’elle était la seule femme que j’aurais jamais désormais. Je devenais prisonnier de mon propre appartement, je ne pouvais plus communiquer à l’extérieur, appeler à l’aide. Par les pouvoirs dont elle disposait, les murs ne diffusaient aucun son à l’extérieur, les fenêtres ne pouvaient pas s’ouvrir. Régulièrement, à mon réveil, je trouvais des caisses remplies de nourriture variée, afin que je ne dépérisse pas, et chaque fois que je désirais quelque chose pour agrémenter mon quotidien de reclus, en dehors de toute forme d’objet pouvant me faire obtenir une communication, elle me l’accordait, et je le retrouvais dans l’appartement le lendemain matin.

 

J’ai quand même réussi à obtenir d’elle d’avoir du papier et un stylo, afin d’écrire mon histoire. Même si je trouvais le moyen de cacher ce journal sans qu’elle s’en aperçoive, une fois terminé d’écrire, elle savait que la personne qui viendrait à me succéder ne croirait pas un mot de mes délires. Quand aux habitants de l’immeuble, jamais ils ne tenteraient quoi que ce soit à son encontre : ils avaient bien trop peur. Je sens qu’elle commence à se lasser de moi, de mon obstination à refuser son amour, et j’ignore combien de temps elle me laissera vivre dans ces conditions, car je ne veux pas succomber à l’obsession que je suis pour elle. Une obsession qui se réduit de jour en jour. Je sais que le jour où une des personnes qu’elle suit en tant que follower, parmi les milliers qui figurent dans ses listes, viendra s’installer au sein de cet immeuble, si je refuse toujours de me soumettre totalement à elle, sans me résoudre à faire tomber mes barrières pour laisser son amour me consumer, mes jours seront comptés. Je grossirais la listes des faux-suicidés morts dans cet immeuble, et elle se mettra en quête de séduction de sa nouvelle cible.

 

Peut-être que personne ne croira ces lignes, tout le monde me croit déjà fou. Mon sponsor a rompu mon contrat, la plupart de mes amis me croient morts, tout comme ma famille, je n’ai déjà plus d’existence. Qui croirait les mots inscrits dans le journal d’un dingue aux yeux du pays ? Mais je me raccroche néanmoins à l’espoir que quelqu’un saura comprendre la détresse de mon écriture, et saura faire les recherches nécessaires pour trouver le moyen de mettre fin à la folie de Saeko, ce maitre des marionnettes que nous sommes tous à ses yeux…

 

Publié par Fabs

10 mai 2023

LE CULTE DE YRI'KLAH (La Porte de Mryl'Toh 2)

 


Quand j’ai découvert la Porte de Mryl’Toh et son secret, au sein de cette pièce secrète cachée dans les sous-sols de la bibliothèque de l’université de Miskatonic, je n’aurais jamais imaginé à quel point ce qui s’était révélé à moi allait transformer mon existence à tout jamais. Le savoir obtenu dépassait tout ce que l’homme pouvait concevoir en termes de technologie, de puissance mathématique, d’utilisations des matériaux dont l’assemblage permettait la création d’alliages qui pourrait révolutionner la conquête spatiale, et envisager de découvrir des galaxies et des mondes bien au-delà de ce que l’être humain pense connaître. Un accès à une partie de l’univers où réside Yith, un chemin, un itinéraire vers cette race qui avait modelé l’homme, et mis en place son évolution, pour qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui. En obtenant ce flux de savoir, je comprenais certains mystères de l’histoire humaine. Ces interrogations que les plus grands théologiens n’avaient pu résoudre, ces enquêtes inachevées restant sans réponse par manque d’éléments pouvant offrir au monde la vérité qui se cachait derrière.

 

La disparition de la civilisation minoenne, qui, contrairement à certaines théories tenaces, n’est pas dû à l’éruption du volcan de l’île de Santorin où se trouvait la majorité de ce peuple de Crète, entraînant des séismes dévastateurs. Les pertes ont été lourdes, mais pas insurmontables. La véritable raison est que déjà à l’époque, conscients de la puissance politique potentielle de cette civilisation en matière d’expansion sur la Grèce et le reste des territoires de Crète, les Yith ont tenté de s’emparer de l’esprit de plusieurs dirigeants du pouvoir en place, après avoir vu la facilité d’adaptation des minoens de se remettre de catastrophes, reconstruisant leurs palais détruits, dont celui de Knossos.

 

Cependant, les cerveaux investis ont mal supporté le contrôle, et provoqué des troubles d’ordre psychologique, causant des comportements inadéquats en termes de décisions politiques, et mettant en place la civilisation suivante, les mycéniens, qui ne furent pas plus prompts à assurer une stabilité économique, et l’acceptation par le peuple de décisions controversées, et créant la colère de la plèbe, se transformant en révolte, et faisant chuter la civilisation, jusqu’à sa destruction totale, causée par la colonisation achéenne.  Si les Yithians se sont intéressés à la civilisation minoenne, c’est aussi dû au fait qu’elle fut érigée par le roi Minos, dont la légende voulant qu’il était le maître d’une créature nommée le Minotaure fait aujourd’hui encore partie des fables les plus populaires.

 

Mais en fait, ce n’est pas une légende. Pas complètement. Thésée et Ariane n’ont jamais existé. Et Minos n’attendait pas 9 avant pour livrer 7 filles et 7 garçons à cette créature enfermée dans un labyrinthe. Ces « offrandes » étaient bien plus régulière. Tout contrevenant à l’ordre était systématiquement envoyé dans le labyrinthe d’où personne ne sortait jamais. Et on comptait nombre de disparitions incompréhensibles, qu’on supposait être de la volonté de Minos de nourrir sa créature, pour s’assurer sa docilité et les connaissances que cette dernière lui apportait en retour. Raison du haut savoir politique, économique et architectural possédé par Minos, qui lui a permis de créer la civilisation en devenir que sont les minoens. Et ce fameux Minotaure n’était en rien un homme à tête de taureau, mais Rhan-Tegoth, un Grand Ancien.

 

On sait que ce monarque qui vivait dans un immense temple au cœur du cercle arctique, a la particularité d’entrer en hibernation, lorsqu’il se trouve dans l’impossibilité de se nourrir de sacrifices d’hominidés réguliers. Il se calcifie alors, et prend l’apparence d’une statue. Sans entretien de sa part, son temple a subi les affres du temps, s’est érodé, et a fini par s’enfoncer dans la calotte glaciaire, envoyant Rhan-Tegoth dans les eaux. Il est plus que vraisemblable que l’un des autres Grands Anciens, aux capacités amphibiennes, comme Cthulhu ou Dagon, aient entendu son agonie, en se voyant couler avec son palais, et soit venu le récupérer sous sa forme calcifiée, avant de le déposer au creux de cette caverne, en gravant sur les parois le rituel issu des manuscrits pnakotiques des lomuriens.

 

Sachant que des membres de la Fraternité Pnakotique vivait sur l’île, ce n’était qu’une question de temps avant que Rhan-Tegoth soit réveillé par l’un d’eux. Le réveil ne pouvant être opéré que par un humain, servant de sacrifice. Quand le roi Minos a commencé à faire ériger un labyrinthe, qui, au départ, devait servir de terrain pour tester l’orientation et la résistance de futurs soldats, il a été mis au courant de la disparition de plusieurs travailleurs, ainsi que de l’architecte charge de l’ouvrage, après que leurs cris furent perçus, en direction d’une partie de la caverne. Point de départ du futur labyrinthe. Voulant savoir la raison de ces disparitions, Minos s’est trouvé nez à nez avec le Grand Ancien, et voyant les restes des ouvriers disparus au sol, ainsi que l’architecte, Minos a supplié Rhan-Tegot, s’engageant à lui fournir ce dont il avait besoin en échange de lui laisser la vie.

 

Intéressé, Rhan-Tegoth accepta, en imposant un tribut chaque jour qui passait. Il expliquait aussi à Minos que c’est l’architecte, membre de la Fraternité Pnakotique, ce que Minos ignorait, qui l’avait réveillé, ayant pu traduire le texte du rituel gravé sur la roche.  Il rajoutait qu’en retour il lui offrirait un savoir qui ferait de son règne le début d’une future civilisation marquant l’humanité de son empreinte. Minos se servait du Labyrinthe pour se débarrasser de fauteurs de troubles de son règne, d’opposants, et envoyait chaque jour un guerrier, sous le prétexte d’un entraînement particulier, pour tester ses facultés de guerriers. Personne n’osait dire quoi que ce soit quant au fait que les « élus » du labyrinthe ne donnait plus signe de vie par la suite. On supposait simplement qu’ils avaient échoués au test, et étaient donc morts en guerrier. Quand le roi Minos mourut, et le secret de son pacte avec le Grand Ancien avec lui, le labyrinthe resta à l’abandon. Le successeur au trône considérant ce dernier comme un caprice de grandeur de Minos, il ne voyait pas l’utilité de cette œuvre, et fit même boucher l’entrée de la caverne permettant d’y accéder.

 

Privé de nourriture à nouveau, Rhan-Tegoth retomba en hibernation. Mais les connaissances offertes par ce dernier à la civilisation Minoenne pouvait permettre aux Yithians d’élaborer un plan établi sur des siècles, pour s’assurer de leur futur retour au sein du monde dont ils étaient les créateurs. Un plan dont je ne savais pas encore la teneur exacte, mais je pus comprendre que cela était en lien avec le fait que tous les Grands Anciens étaient désormais en hibernation, attendant le moment propice pour asseoir leur domination totale sur le monde humain par la venue des troupes de Yuggoth, d’où ils étaient issus, et fief de Nyarlathotep, dit « Le Messager des Dieux », qui sert d’intermédiaire entre Azathot, « le créateur de toute chose » et les autres dieux. Son rôle était aussi de surveiller la gestion des diverses planètes créés par Azathot, qui avait confectionnée la planète Terre, par pure distraction, comme il l’avait fait avec d’autres mondes à travers la galaxie. En y insérant des créatures archaïques, et l’environnement les entourant, comme des enfants dessinent des personnages sur une feuille de papier.

 

C’était d’ailleurs la raison principale des Yithians sur Terre quand ils sont arrivés : faire de ce monde oublié par Nyarlathotep et Azathot le point de départ d’un projet destiné à remporter la guerre qui opposait depuis des millénaires Yith et Yuggoth. Les Yithians pensaient que leur établissement sur Terre, et la création d’êtres destinés à devenir des soldats pour vaincre les habitants de Yuggoth, passeraient inaperçue. Ce qui fut le cas. Mais la venue d’une autre race ennemie, les Polypes Volants, anéantissant leurs envoyés sur cette planète, avaient détruit leurs espoirs. Pire : les Polypes Volants, bien moins discrets dans leurs déplacements que les Yithians, avaient causé la venue des Grands Anciens à leur tour sur Terre.  Ceux-ci furent finalement vaincus, et résignés à vivre sous Terre, où un grand nombre d’entre eux vivent toujours, et à l’origine de multiples légendes. Les Grands Anciens, découvrant l’existence de l’homme par les Yithians, certains d’entre eux décidèrent de s’y installer durablement, voyant dans l’humanité de futurs jouets et esclaves dociles qu’il serait aisé de dominer et manipuler, dans le but de les divertir. La création de mondes par Azathot étant la base même du Dieu Suprême pour changer le quotidien des habitants de Yuggoth, comme terrains de divertissements.

 

Dans cet ordre des choses, des évènements comme le Krach Boursier de 1929, l’assassinat de Kennedy, les disparitions sur des dizaines d’années d’avions et de bateaux au cœur du Triangle des Bermudes, ou encore l’attentat du 11 Septembre 2001, ayant causé la destruction des tours jumelles du World Trade Center, sans oublier l’échec de la mission Apollon 11 le 14 avril 1970, sont autant de cas dont les Yithians sont l’origine direct de leur tentative de contrôle, dans la continuité de leur plan mis en place lors de la période égyptienne, et la construction des pyramides, véritables antennes cosmiques, et servant de portails.

 

C’est d’ailleurs à l’époque des pharaons que furent créées les Aron’Tchiyath Ammetim, les arches de résurrection, dont la plus célèbre reste l’arche d’alliance, l’Aron Ha’Edout, censé abriter les tables des Dix commandements, où Moïse les aurait déposées. Ce qui est faux. Enfin, pas totalement. L’Aron Ha’Edout, fut bien le réceptacle des tables, mais celles-ci furent détruites une fois mises à l’intérieur. La raison en est fort simple : ces arches ont été conçues pour « réparer » et conserver les corps des représentants des Yithians, comme Priyah. Toute matière ou corps ne contenant pas l’esprit d’un Yithian est systématiquement annihilé une fois déposée à l’intérieur. 12 arches furent fabriquées, pour chacune des prêtresses contenant un esprit Yithian, ayant parsemé l’histoire, les civilisations précolombiennes notamment : olmèques, mayas, aztèques ou Incas, mais aussi pour les dirigeants des peuples de Mû et de l’Atlantide, dont les guerres fratricides et l’utilisation d’armes confectionnées grâce aux connaissances offertes par les Yithians, finirent par causer leur anéantissement, par le biais de cataclysmes. Mû fut ravagé par des séismes de grande ampleur, pendant que l’Atlantide fut engloutie par le plus grand Tsunami qui ait existé sur Terre.

 

Je savais tout ça. J’étais l’un des réceptacles des connaissances Yithiannes, une partie du puzzle que constituait les 12 dont l’esprit avait pu permettre l’ouverture des portes mystiques de Vr’ak’Lih, le nom donné à l’ensemble des portails ouvrant sur Yith et ses habitants, qui attendaient dans l’ombre de voir leur race revenir à la suprématie qui avait été la leur, avant que les Polypes Volants ne leur volent leurs projets et s’emparent de leurs créations. Je comprenais le but recherché par les Ythians, à savoir assurer leur retour, dans la perspective de continuer ce qu’ils avaient commencé : faire de la Terre et la race humaine dont ils étaient les créateurs, une armée destinée à une guerre visant l’invasion de Yuggoth, pour mettre fin à l’existence de Azathoth, et obtenir la libération de leur peuple, dont plusieurs représentants étaient prisonniers de Yuggoth, et servant pour des activités de serviteurs, de sujets d’expériences, de jeux cruels, et parfois bien pires. Les Yithians savaient que l’existence d’Azathot était liée à Yuggoth, car c’était sa 1ère création, et elle était composée d’une partie de son cœur.

 

Détruire Yuggoth, et ses occupants, tous créés à partir de morceaux de corps d’Azathot, occasionnerait des dégâts et un affaiblissement tel à celui qu’on nommait aussi « Le Sultan des Démons », qu’il serait ensuite aisé aux Yithians de mettre fin à son règne en le faisant disparaître au niveau cosmique. Ainsi, les expéditions quotidiennes sur Yith de la part des habitants de Yuggoth prendraient fin, et leur peuple serait libéré du joug d’Azathot. Mais la présence des Grands Anciens sur Terre, désormais surveillé par Nyarlathotep, compliquait le projet des Yithians. Ils ne pouvaient se déplacer directement comme ils l’avaient fait au début, car ils seraient immédiatement repérés. Ils ne pouvaient compter que sur leurs esprits déjà sur Terre. Le fait de se cacher à l’intérieur d’humains permettait de tromper la vigilance de Nyarlathotep et des Grands Anciens. Et le fait que ces derniers étaient en état d’hibernation leur donnait un champ d’action bien plus large. Ce qui leur avait permis d’opérer tout ce que je vous ai décrit précédemment.

 

Mais ils n’étaient pas libres de faire tout ce qui s’avérait nécessaire à une emprise sur notre espèce. Pour ce faire, il leur fallait être présent sous leur forme originelle, et pour cela l’ouverture des 12 portes leur était primordiale, afin d’ouvrir un passage direct de Yith vers la Terre, et permettre l’arrivée massive de leurs troupes. L’objectif était de détruire, profitant de leur hibernation, les Grands Anciens qui étaient sur Terre, ou, au pire, les chasser de la planète. Leurs corps complets étant sur place, ils pourraient user de toutes leurs facultés pour faire de l’humanité des soldats dociles prêts à être envoyés sur Yuggoth, après avoir subi des « améliorations » nécessaires pour espérer l’emporter sur Nyarlathotep et les autres. Et pour ouvrir ces portails, il fallait des cerveaux de personnes ayant des capacités intellectuelles de haut niveau, et surtout suffisamment dociles pour accepter leur mission qui était de se rencontrer. Je ne comprenais pas bien pourquoi le fait de réunir les 12 était primordial au plan des Yithians, mais je me conformais à leur demande, d’autant que j’y trouvais mon avantage.

 

Ma quête, mon désir le plus profond, deviendrait une réalité, une fois que j’aurais permis cette réunion : mes parents seraient ressuscités. Les Yithians, auquel j’étais désormais connecté à travers l’espace et le temps, me donnant leurs instructions directement dans ma tête, m’avaient promis qu’ils ne feraient pas partie de l’armée qu’ils voulaient mettre en place après leur retour, tout comme moi. Chacun des 12 aurait le loisir de choisir quelle personne de leur entourage serait dispensé de participer à cette future guerre, au même titre qu’eux-mêmes. Une forme de remerciement de la part des Yithians pour notre contribution à leur retour et leur avènement prochain. Les jours suivants à étudier toutes ces informations de bout en bout me permirent de découvrir qui était la personne qui avait mis en place cette pièce construite autour de la porte de Mryl’Toh, et qui était, de plus, à la tête d’un culte dont l’objectif était de permettre la réunion des 12 à travers le monde, en trouvant les personnes susceptibles d’ouvrir les différentes portes.

 

J’avais ainsi la surprise de m’apercevoir que j’avais été manipulé depuis le début par celui que je considérais comme un véritable ami, en plus d’un protecteur, et même d’un second père. Armin, le directeur de l’Université de Miskatonic. Depuis mon enfance, il avait deviné mon potentiel pour ouvrir la porte. Et s’il était devenu ami avec mon père, c’était pour se rapprocher de moi, et faire en sort de me guider, de manière subtile, vers la porte, persuadé que je pourrais obtenir l’aval de Priyah pour permettre son ouverture. D’ailleurs, il me confierait par la suite que c’est lui qui avait ramené le corps de la prêtresse d’Égypte. C’est là-bas, lors d’une expédition à la Vallée des Rois, espérant trouver des tombes non encore découvertes, qu’il est tombé sur l’entrée d’un temple à moitié enfoui dans le sable. Il m’avouerait qu’il était également un membre de la Fraternité Pnakotique, tout comme l’était avant lui, son père et son grand-père, lui ayant transmis leur savoir, obtenu à travers les manuscrits écrits par les Lomuriens, le peuple qui était en contact avec certains Grands Anciens, dont Abdul Al-Azred faisait partie.

 

Mais ce dernier était réfractaire au fait d’accepter une domination totale de la part des Grands Anciens, et a renié son propre peuple, s’isolant et se servant des connaissances acquises pour rédiger le Necronomicon. Du fait de sa rébellion, il n’avait pas en sa possession toutes les connaissances pnakotiques. Par la suite, la Fraternité a vu un de ses membres contrôlé par un Yithian. Une infiltration qui a été préjudiciable aux Grands Anciens, car une nouvelle dissension a établi la création de plusieurs groupes de pensée au sein de la Fraternité Pnakotique. Les Skra’Thygh-Not, entièrement dévoués aux Grands Anciens ; les Lynh’Tak’Sor, ayant adopté les doctrines des Yithians ; et enfin les N’rath, qui ne font partie d’aucun des deux clans, et voulant imposer leurs propres dogmes, en se servant des manuscrits dictés par les Grands Anciens, dans un but de pouvoir personnel pour créer une nouvelle religion d’ordre mondial.

 

Armin était un Lynh’Tak Sor, et à ce titre, en découvrant le tombeau, en lisant les inscriptions sur les piliers, puis en pénétrant dans le cœur du temple, où figurait Priyah, dans un Aron Tchiyath’Ammetim, ces arches de résurrection permettant la conservation des corps habités par des Yithiens, il comprit qu’il avait mis la main sur la première pièce d’un puzzle évoqué dans les manuscrits, pour préparer le retour des Yithians. De ce fait, il cacha sa découverte, et fit usage de ses relations pour faire sortir d’Egypte l’Aron contenant Priyah. Il savait que c’était elle en traduisant les écritures en Yithian figurant sur les côtés du cercueil de pierre, et aussi de la présence des signes sur le dessus de la sépulture. Profitant de sa position au sein de Miskatonic, étant à l’époque en charge de la bibliothèque, et pas encore Directeur de l’université, il avait, dès les premiers mois de sa prise de fonction, élaboré et fait construire la pièce et ses éléments. Dont la statue et son système d’ouverture, permettant l’accès au futur lieu où serait placé l’Aron d’une des prêtresses, ainsi que le livre d’instructions, avec l’aide d’autres membres de la Fraternité mis au courant de sa « possession ». Le tout sous couverture de travaux de consolidation des fondations du bâtiment.

 

Il savait depuis longtemps que l’université était située au-dessus d’un nœud de lignes telluriques, dont la plus grosse concentration se trouvait sous l’endroit où avait été construite la bibliothèque. Persuadé que cette dernière n’avait pas été érigée par hasard à cet endroit, et que la construction même de Miskatonic devait être le fait d’un membre de la Fraternité, il y avait des années de cela, c’est ce qui l’avait incité à postuler pour son poste au sein de la bibliothèque. Selon les manuscrits Pnakotiques, il suffisait d’un simple agencement de mur, comportant des cavités destinées à recevoir la pression d’un être habité par un Yithian, dont la surface en dessous était creuse, et relié au sol par un tuyau fin constitué d’or, servant de conducteur entre l’énergie tellurique du nœud dans les profondeurs, et celle émise par la prêtresse y apposant ses pattes, pour permettre la création du portail, et ouvrant l’accès à Yith.

 

Par la suite, après s’être assuré que l’accès à la pièce ne puisse pas être trouvé par n’importe qui, en instituant des règles au sein de la bibliothèque, juste après avoir été nommé Directeur de Miskatonic, il créa le culte de Yri’Klah, dont le but était de trouver les hommes ou les femmes susceptibles de pouvoir ouvrir les portes par l’intermédiaire des Aron. Je faisais partie de ces « potentiel ». Et, plus horrible encore, j’appris que c’est lui qui avait mis en place l’accident dont mes parents avaient été victimes, afin de se servir de ma tristesse pour encore plus se rapprocher de moi. C’est la raison pour laquelle il « protégeait » mes frasques auprès des professeurs. Quant aux insectes qui m’ont dirigé vers la porte, il s’agissait de créatures qui figuraient dans le temple découvert dans la Vallée des Rois. Quand il avait fait transporter l’Aron de Priyah, ces insectes, ces scarabées, s’étaient agglutinés sur le cercueil de pierre, s’accrochant à ce dernier. Comme des protecteurs, des gardiens indissociables. Ces scarabées dont la présence m’avait surpris au départ, raison pour laquelle je les avais suivis, n’étaient donc, eux aussi, qu’un élément du stratagème d’Armin.

 

Un soir, il vint dans ma chambre, en pleine nuit, me demandant de ne pas parler trop fort, car il avait des révélations à m’avouer. Précisant que certaines me sembleraient sans doute difficile à croire, mais qu’il savait que j’avais vu Priyah, et que si j’étais encore en vie, c’était que je faisais partie des « élus », l’un des 12 permettant l’ouverture des Vr’Ak’Lih. Il m’avouait que ce jour était l’accomplissement de ce qu’il avait permis, dont la culture de mon goût à l’interdit, cette curiosité pour découvrir des rites interdits pour faire revenir mes parents d’entre les morts. Curieux de ces mots, je le fis entrer, et c’est là qu’il m’apprenait tout ce que je vous ai appris juste avant, me faisant tomber dans un état entre la stupéfaction, la colère et la tristesse. Je n’avais été qu’une marionnette entre ses doigts, et la mort de mes parents avaient été l’étincelle pour la suite de ses desseins, car il savait à quel point j’étais attaché à mon père et ma mère, se servant de cet amour pour mieux diriger mon destin, sans que je me rende compte que c’est lui, et non moi, qui me dictait ma ligne de conduite.

 

Je pensais que le hasard m’avait fait découvrir cette pièce, le cercueil, Priyah. A cause de ma propension à vouloir faire revivre mes parents, mon désir, ma curiosité des sciences occultes, que je pensais être la solution pour faire disparaître mes larmes et ma mélancolie. Mais il n’en était rien. Le 2ème père que je pensais être Armin n’était qu’un monstre, et j’étais tombé dans son piège les yeux fermés, ne me rendant pas compte que derrière le masque de ses sourires compatissants, se trouvait une ordure de la pire des espèces. Je n’étais rien de plus que celui qui lui donnerait accès au rêve de son culte, à la mission que s’étaient donnés les Lynh’Tak Sor. Que lui importait mes ressentiments, seul comptait pour lui que de mon lien avec les Yithians découle la consécration qu’il attendait : permettre aux Yithians de parvenir à achever leur plan. Du coup, les atours de ces derniers me paraissaient beaucoup moins glorieux que je pensais, quand Armin m’apprit un élément caché par les habitants de Yith.

 

La fameuse réunion était en fait un sacrifice, puisqu’une fois les 12 réunis, l’union du savoir de tous ces humains occasionneraient la fusion des corps, libérant une énergie telle qu’elle briserait l’espace et le temps. Une sorte de choc dimensionnel qui ouvrirait le plus grand portail, la plus grande ouverture entre les mondes qu’il puisse être donné de voir. En comparaison, la Porte des Etoiles n’était qu’une forme étendue de celui des jeux vidéo interactifs avec figurines, comme les Skylanders. Armin, en fait, c’était ça : une personnification grandeur nature de Kaos. La seule différence, c’était qu’il n’était pas le penseur, mais était lui-même un pion du grand plateau de jeu servant aux Yithians qu’était la Terre. Malheureusement pour moi, je ne pouvais plus reculer. J’étais lié à un Yithian, désormais. Je partageais son savoir, mais il y avait une contrepartie. Il contrôlait tout ce que j’étais : mes moindres pensées, le moindre de mes mouvements, le déplacement de mon sang, le fonctionnement de mes muscles. Si je montrais une quelconque réticence à leur plan, je ne serais pas tué : les Yithians avaient besoin de mon assistance. Mais il me ferait ressentir un état de douleur tel que je n’aurais d’autre choix que d’accepter d’être le jouet auquel était destiné chacun des 12.

 

Je savais aussi que tout leur discours sur le fait de faire revenir mes parents n’étaient que des mensonges. Jamais ils n’ont eu l’intention de m’aider en ce sens. Armin m’avait confirmé que, malgré toutes leurs capacités, les Yithians ne pouvaient pas faire revenir un mort à la vie. Sinon, ils auraient depuis longtemps ressuscités tous ceux des leurs tombés au combat des mains des habitants de Yuggoth ou des Polypes Volants, et n’auraient pas eu besoin de mettre au point ce plan dont la race humaine dans son intégralité était la matière première. Comprenant cela, je me résignais, bien que ne pouvant réprimer mes envies de meurtre sur Armin. Mais il était intouchable : si je tentais quoi que ce soit sur lui, les Yithians me punirait pour mon acte. Alors, je me suis comporté comme un gentil toutou pendant des mois, des années. Jusqu’à ce que les 12 portes fussent finalement toutes ouvertes. Notre réunion doit se dérouler dans quelques jours, sous la supervision d’Armin et de quelques vassaux des Lynh’Tak Sor du culte de Yri’Klah.

 

Profitant de ce sursis avant ma fin, et le peut-être futur avènement des Yithians, bien que rien ne dit que leur plan leur permettra de prendre l’ascendant sur les Grands Anciens, j’ai donc écrit ce journal. Une manière pour moi de laisser une trace, même infime, peut-être inutile, car j’ignore si quelqu’un le lira après que la guerre aura débutée, ou sera même en position de le faire, du fait de la domination exercée par les Yithians. Mais j’avais besoin de libérer ma haine envers eux, envers Armin, tous aussi manipulateurs les uns que les autres. En fin de compte, les Grands Anciens ne sont pas les seuls êtres dépourvus de tout sentiment envers la race humaine. A leurs yeux, nous ne sommes que des jouets créés par une race inférieure à la leur. Pour les Yithians, c’est bien pire : nous sommes ni plus ni moins que des parties d’une arme qu’ils ont mis des siècles à assembler. Les Grands Anciens ont au moins la décence de reconnaître notre existence de formes de vie, afin que nous les honorions, en tant que serviteurs ou d’esclaves. Ils ne tuent que ceux qui font actes de rébellion à leur domination totale sur nous. Les Yithians, eux, ne nous accordent même pas le droit le plus basique qu’aspire à être tout humain : celui de pouvoir vivre…

 

Publié par Fabs