25 déc. 2022

UN NOËL A CRYSTAL LAKE (Hommage à "Vendredi 13")

 


 

L’inspiration. L’imagination. Comment parvient-elle dans les cerveaux d’hommes, de femmes, d’enfants ? Qu’est-ce qui créée l’étincelle parvenant à modeler des personnages, des univers, des lieux ? Parfois, c’est dû à la culture diversifiée, par le biais de livres, de documentaires, d’articles de journaux, ou sur les réseaux sociaux, de rumeurs sur le net, de sites de toutes sortes. Que ce soit dans le domaine du crime, de la mythologie, de la cryptozoologie, de témoignages, de reportages. Il n’y a pas vraiment de formule secrète en fait : tout dépend de la capacité de chacun de créer, étendre, insuffler la vie dans une histoire. Comme on malaxe de la pâte à modeler en fait. Et puis il y a ceux qui font appel à leur propre vécu, en bien ou en mal, ou bien celui de souvenirs de leurs proches, ou de parfaits inconnus, rencontrés dans la rue, à la faveur d’un spectacle, d’une soirée, d’une pause dans un bar pour se remettre d’une journée de travail harassante.

 

C’est cette faculté à se servir de tout ce qui nous entoure qui permet à des romanciers ou des scénaristes d’offrir des histoires pouvant captiver les futurs lecteurs, auditeurs ou spectateurs. On sait bien que la plupart des films d’horreurs sont fictifs, plaçant des protagonistes dans une situation prétexte, pour les faire se confronter à des tueurs, des entités, des esprits revanchards, dans le simple but de divertir. Mais parfois, certains s’inspirent de personnages bien réels. Dahmer, Gacy, BTK, Bundy et tant d’autres font régulièrement le plaisir coupable de passionnés de l’horreur. Pas forcément parce qu’ils cautionnent les actes de ces monstres humains, mais plutôt parce qu’ils sont fascinés par le processus qui a fait de ces tueurs des êtres sans le moindre remords pour leurs actions.

 

On pourrait croire que c’est tout le contraire pour les personnages devenus des icônes de l’horreur, tel Chucky, Freddy Krueger, Pinhead, Michael Myers, Ghostface et bien d’autres. Même si certains d’entre eux ont quand même été plus ou moins inspirés par des tueurs à l’origine. Hannibal Lecter, tout comme Bates, ou encore Leatherface, doivent leur existence à Ed Gein par exemple. Mais qu’en est-t-il d’autres figures faisant le bonheur des fanas d’horreur, comme Jason Voorhees ? L’une des icônes les plus marquantes et appréciés du genre, dont le terrain de prédilection, son territoire privilégié, reste Crystal Lake. Un lieu dont le nom évoque automatiquement le célèbre tueur, tellement il a marqué les esprits. Et si nombre de lacs portent ce nom, comme celui situé dans près des villes de Burnsville, Pelican Rapids, Enfield ou Glimanton, aucun d’entre eux n’est celui qui a servi pour le tournage du premier film, en 1980.

 

Le nom de Crystal Lake évoque également une célèbre affaire de disparition, dans les années 70. Celle de Debbie Spickler, Janice Pocket et Lisa White. Même si dans ce cas précis, il s’agit d’une région située aussi dans le Vermont, où figure aussi un lac portant le même patronyme, près de Barton. Mais le vrai Crystal Lake, celui où s’est déroulé le tournage de l’un des slashers les plus connus de l’histoire horrifique, lui, est dans l’état du New Jersey, près de la ville de Hardwick. Devenu depuis un lieu touristique, prisé par de nombreux fans de la saga, chaque été, afin de placer ceux ayant acheté leurs billets sur le site officiel de Crystal Lake Tours, et propriété de la société Northern New Jersey Council, Crystal Lake et son camp sont devenus des lieux mythiques. Pour une somme variant entre 89 et 179 dollars, vous pouvez dormir dans le camp No-Be-Bo-Sco, faire du canoé sur le lac, et profiter des nombreuses animations offertes aux visiteurs, ainsi qu’acheter des souvenirs pour faire pâlir d’envie vos amis.

 

Parmi les animations, vous pouvez assister à la venue de Jason Voorhees lui-même, sur les rives de Crystal Lake, venant faire un tour au sein du camp, en quête de jeunes ados ayant commis les péchés de chair, de boisson ou de drogue, comme dans les films. Pour un fan, se faire pourchasser par une incarnation de Jason Voorhees, il n’y a pas mieux. Même si chacun est conscient que ce n’est qu’un figurant, payé pour faire peur, avec le sourire, à ceux ayant donné leur argent, dans le seul but d’avoir une frayeur, le temps d’une nuit, inoubliable.

 

Mais ce que je vais vous révéler risque de vous faire changer d’avis sur la nature et l’inspiration de ce lac mythique et son camp tout aussi célèbre. Car ce qui vit là-bas est loin d’être une simple légende, une rumeur ou toute autre création issue du cerveau d’un scénariste d’Hollywood. Comme vous, je pensais que Jason Voorhees avait été inventé de toute pièces, au même titre que nombre de ses « collègues » du monde horrifique. Mais parfois la fiction est dépassée par la réalité, et mon équipe et moi-même en avons fait les frais un soir de Noël. Oui, vous avez bien entendu. Dans les films, Jason chasse en été, saison de prédilection de ce tueur légendaire du cinéma d’horreur. Mais le personnage dont il est l’inspiration n’a pas la même notion de respect chronologique. Et à ce moment, j’étais loin d’imaginer que le scénario concocté par Victor Miller pour le premier film de la franchise, n’était pas complètement inventé, et comportait des éléments appartenant à une légende locale, qui lui a servi pour créer son histoire devenu le succès que l’on sait, à l’âge d’or du slasher.

 

Ce que je vais vous confier, je ne l’ai encore dit à personne. En tout cas, j’ai volontairement occulté certains détails à la police, suite à ce qui nous est arrivé ce soir-là, de peur qu’on me prenne pour un geek absolu de la saga Vendredi 13 et de Jason Voorhees. On m’a longtemps soupçonné d’être un dérangé, dont la passion pour la saga horrifique avait fait sombrer dans la folie, au point de vouloir reproduire certains faits de mon « idole », comme les policiers l’ont précisé dans leur rapport. Jusqu’à tuer ceux qui étaient venus avec moi, dans un souci de retrouver la sensation de me glisser dans la peau de mon tueur préféré. 

 

Ayant choisi l’hiver pour mieux détourner l’attention. L’été aurait été impossible, puisque le camp était réservé de nombreux mois à l’avance par des groupes, des couples, ou de simples fans, afin de se trouver dans la même ambiance des films où officiait Jason Voorhees. Mais la vérité est tout autre, et je me devais de la raconter. Ne serait-ce que pour soulager ma conscience, et surtout révéler ce qui s’est vraiment passé cette nuit-là. Le massacre qui s’y est déroulé, et la terreur qui s’est emparé de moi, et qui se trouve toujours blotti dans un coin de ma tête, rien que d’évoquer cet horrible cauchemar dont je suis le seul survivant.

 

Ce n’est pas Jason que j’ai affronté à ce moment, mais bien pire. J’ai été confronté à celui dont il s’inspirait, et dont Victor Miller s’est bien gardé de révéler l’existence, sans doute par peur de créer un engouement trop important, et qui aurait pu nuire à la popularité du film par la suite, si tout le monde l’apprenait. Je pense également que si Miller a volontairement établi le contexte de son scénario en été, c’est justement pour que personne ne fasse le rapprochement avec la vérité entourant Crystal Lake, et de l’aura meurtrière qui l’entoure chaque hiver. Depuis déjà bien des années, et caché par les autorités de la ville, évitant toute fuite, pour ne pas risquer que l’activité touristique liée au camp en été pâtisse du fait que du sang est bel et bien enfoui dans la terre de Crystal Lake. Et celui-ci, ce n’est pas du cinéma. Ce n’est pas du liquide de synthèse fabriqué par des spécialistes du maquillage. Le sang qui s’y trouve est celui de victimes bien réelles. Toutes tuées dans des conditions atroces, comme allait me le montrer mes recherches après cette tragique nuit. Mais reprenons au début. Je vais vous raconter comment tout a commencé, et de quelle manière je suis devenu le suspect numéro un d’un carnage sans équivalent dans l’histoire de Crystal Lake…

 

Ça s’est passé il y a 2 ans de ça. Avant tout chose, je dois préciser que je suis scénariste. Même si mon CV se limite à deux petits films de série B, qui sont directement sortis en DVD et en VOD, j’ai cet amour du genre qui ne m’a jamais quitté depuis que je suis gosse. Je pense que ça ne vous surprendra pas vraiment, au vu de ce que je vous ai dit précédemment, mais mon premier film d’horreur que j’ai eu l’occasion de voir, c’est « Vendredi 13 », à l’âge de 16 ans. Le petit plus qui me fait penser que j’étais peut-être destiné à vivre la tragédie qui allait me tomber dessus, c’est que je suis né en 1980, l’année où le film est sorti. Et un hasard n’arrivant jamais seul, je suis sorti du ventre de ma mère le jour de la première du long-métrage. Pas à la même heure, je vous rassure. Si ça avait été le cas, ça aurait quand même été encore plus étrange.

 

À la suite de cette découverte qui allait me marquer à jamais, je me suis goinfré, les années suivantes, de films d’horreur de toutes sortes. Que ce soient des classiques, comme ceux étant tombé dans l’oubli du vide intersidéral de la mémoire collective. Même des spécialistes les plus avisés officiant sur des sites dédiés à l’histoire du genre. C’est pour vous dire à quel point j’étais avide de sang versé, de tripes sorties du corps et autres joyeusetés s’affichant sur un écran, petit ou grand. J’ai vu beaucoup de nanars, du style de ceux qu’on n’ose pas avouer avoir vu, et il y en a un paquet que je préfère ne pas énoncer, tellement ce serait leur donner l’importance qu’ils ne méritent pas. Mais à côté de ça, il y en a aussi qui sont des références en la matière, dont un grand nombre de chefs-d’œuvre. De « Carnival of Souls », un de mes préférés, à « Psychose », « L’Exorciste », « Rosemary’s Baby », « Les Frissons de l’Angoisse » ou encore « L’Au-Delà » de Lucio Fulci, de très loin le meilleur film du réalisateur italien, et qui figure dans le trio de tête de mon palmarès de l’horreur personnel.

 

Une passion qui m’a amené à vouloir créer moi aussi des histoires, et de fil en aiguille, après un passage dans une école dédié, je suis devenu scénariste. Bon, j’étais conscient que j’étais encore loin d’avoir le niveau des grands auteurs de l’histoire de l’horreur, mais néanmoins mon premier scénario, envoyé à de multiples petites boites spécialisées dans le genre, a intéressé l’une de ces dernières, et j’ai pu ainsi devenir officiellement un scénariste reconnu. Enfin, reconnu, c’est un grand mot. Disons que je n’étais plus un total inconnu, puisqu’un film dont j’avais signé le scénario venait de sortir. Sans doute pas le film du siècle, mais dont les chiffres de vente ont suffisamment satisfait les producteurs, et qui a obtenu des notes plus que correctes sur les sommités que sont Rotten Tomatoes et IMDB, et me permettant de vendre mon 2ème scénario à un prix plus élevé que le premier.

 

Là encore, de très bons scores pour un petit film de genre, m’ont amené à voir encore plus grand. Bien que fana de la franchise, j’avais été assez déçu de la direction des derniers volets de « Vendredi 13 ». Je pense que tout le monde sera d’accord sur l’absurdité du Uber Jason du 10ème volet de la saga. Franchement, l’idée d’envoyer l’un des tueurs les plus emblématiques du genre dans l’espace, comment le dire sans être vulgaire… C’était vraiment la pire idée qu’on puisse avoir pour le personnage. Un irrespect total des fondements de la franchise. Déjà le 8ème, se situant à Manhattan, c’était déjà limite, mais là, c’était n’importe quoi. Et le remake en 2009 n’a fait qu’enfoncer le clou de la dégénérescence de « Vendredi 13 » à mes yeux. Je voulais rendre un vrai hommage à cette saga qui m’avait fait découvrir le monde de l’horreur, et j’ai même proposé à des producteurs « ma » vision, revenant aux sources du mythe. Comme Victor Miller était en plein procès avec Sean S. Cunningham à l’époque, pour les droits du personnage, je ne pouvais pas l’utiliser officiellement. Mais j’ai eu l’idée d’une sorte de mémorial : un documentaire basé sur l’aura que représentait Crystal Lake, le territoire mythique de la saga, aux yeux des fans.

 

Mais pour plus d’authenticité, il fallait qu’on aille sur place, à Crystal Lake, là où avait été tourné le 1er film de la saga. Ayant pas mal appris sur les tournages des films adaptés de mes scénarios, je me sentais confiant pour réaliser moi-même ce documentaire. D’autant qu’une grande partie serait constitué de témoignages de fans, et de techniciens qui avaient officiés sur des films de la franchise, à défaut d’avoir assez de pouvoir pour me garantir la présence de stars de « Vendredi 13 », Kane Hodder en tête, celui qui représente le mieux Jason Voorhees, pour être l’acteur l’ayant le plus souvent incarné. Mais je gardais espoir de pouvoir l’approcher ou le contacter pour l’associer au projet. Dans un premier temps, il me faudrait tourner des plans de base et quelques séquences à Crystal Lake même. Et je voulais quelque chose de différent de ce qui avait déjà été fait en termes de documentaire sur l’homme au masque de hockey.

 

Après tout, il y en avait déjà eu sur la saga, dont le plus connu « My Name Is Jason ». Mais celui-ci était sorti en 2009, et commençait à dater un peu. D’autant que je voulais une atmosphère à part. Le fait de ne pouvoir obtenir l’autorisation de tourner en été sur place, à cause de la vague touristique rapportant des bénéfices conséquents à la société gérant Crystal Lake, fut une aubaine pour moi qui cherchait un cadre à part pour ce nouveau documentaire. Placer les fêtes de Noël en fond pour parler de Vendredi 13 et Jason Voorhees, c’était suffisamment audacieux pour inciter la société à accepter de me laisser tourner exceptionnellement durant cette période, en retour d’un pourcentage sur les futures recettes du film, s’ajoutant à la somme astronomique demandée pour l’autorisation de filmer au cœur de Crystal Lake et du camp reconstitué. J’ai dû insister un peu auprès de la maison de production ayant accepté de financer le film, trouvant cette somme exagérée, mais après plusieurs négociations, et quelques coups de fil à ladite société, acceptant de revoir son prix à la baisse, mais un pourcentage plus important, je pus finalement monter mon équipe, et tous ensemble nous partîmes avec notre matériel à Crystal Lake, quelques jours avant Noël…

 

Je sais que ça va vous paraitre cliché, mais je n’invente rien : à peine arrivé à Hardwick, la ville proche de Crystal Lake, alors que l’équipe et moi on s’était arrêté pour se restaurer dans un petit fast food local, on a été abordé par un vieil homme qui semblait s’être fait couper les cheveux l’année de l’indépendance américaine, tellement ils étaient longs, et clairement sans entretien depuis au moins aussi longtemps. Le genre de péquenot qu’on voit au début des films d’horreur pour prévenir d’un danger. Un des membres de l’équipe a même ironisé en le voyant se diriger vers nous dans ce sens, pariant que l’épouvantail qui arrivait allait sûrement nous dire de pas aller à Crystal Lake. Et bingo ! ça n’a pas loupé. Le gars nous disait effectivement que c’était une mauvaise idée d’aller là-bas à cette période de l’année. Je lui disais que Jason Voorhees ne nous ferait rien. En hiver, il devait hiberner. Ce qui fit rire les autres membres de notre petite assemblée. Mais pas le vieux.

 

Celui-ci nous disait que ce n’était pas de Jason Voorhees dont on devait se méfier. Ce n’était qu’un personnage créé pour le cinéma. En revanche, il y avait autre chose à Crystal Lake, et l’hiver était la saison où il sortait. Personne dans la région ne se rendait là-bas à cette période, pour ne pas prendre le risque de tomber sur cette chose, quoiqu’elle soit. Les rares à l’avoir vu ont décrit quelque chose d’inhumain, dont le visage n’avait rien de normal. Des vêtements en lambeaux, détrempés, comme semblant sortir du lac. Des côtes visibles, ou pendaient parfois des morceaux de chair. Et un signe distinctif : une sorte d’uniforme scolaire, comme en portent les étudiants, avec les lettres JV sur le côté gauche. Les initiales de Junk Valley, du nom d’une des confréries officiant au sein de la Hardwick University, qui existait autrefois. Il y avait des rumeurs à l’époque qui disaient que leurs membres pratiquaient la magie noire, et qu’un soir plusieurs d’entre eux se sont installés au camp de vacances.

 

Parmi eux, il y avait une nouvelle recrue, ou plutôt un bizut, tel qu’il était désigné, accepté chez eux uniquement parce qu’il leur servait plus ou moins d’esclave à tout faire. Le garçon était atteint du syndrome de Down, sorte de parent de la trisomie 21, et avait plusieurs malformations au visage. Son œil gauche était plus bas que le droit, et sa bouche ne pouvait s’ouvrir complètement. Ses oreilles étaient également à des hauteurs différentes l’une de l’autre, et avait des difficultés à parler. Le recteur de l’université pensait que le fait qu’il soit intégré à une des Confréries, en contact permanents avec des camarades, l’aiderait à s’épanouir, et échapperait au regard des autres élèves. Mais il avait mal choisi la confrérie. Bien que son dirigeant eût assuré que Jim, le prénom du garçon, serait bien traité, il avait menti. Voyant l’opportunité d’avoir un petit toutou obéissant, prompt à faire les tâches les plus ingrates, à l’abri des regards de tous, car au sein de la Confrérie, qui n’abritait que des petites merdes, selon les termes du vieux, n’ayant aucune compassion pour les personnes défavorisées par la nature.

 

C’était l’hiver, et Jim avait voulu traverser le lac gelé, sans doute fasciné par le fait de « marcher sur l’eau ». Et les autres membres, ayant été rejoints peu après par les membres d’une sororité de la même université, ne se sont pas occupés de lui, sans penser à dire à Jim de ne pas aller trop loin, au cas où la glace serait trop mince. La glace céda à l’endroit où s’était rendu Le garçon, et il s’est noyé. Son corps n’a été retrouvé que le lendemain matin, flottant sur l’eau, près des berges du lac, la glace ayant fini de fondre durant la nuit, dû à une saison étonnamment douce pour cette période de l’année. Voulant éviter des problèmes avec sa mère, qui faisait partie du conseil de l’université, et avait fait confiance elle aussi à la Confrérie, cachant le corps aux filles de la sororité, et l’emmenant dans une cabane vide de tout occupant, 4 des membres pratiquèrent un rituel pour ramener le garçon à la vie. Mais si celui-ci a bien été ressuscité, il est revenu « différent », se mettant à massacrer toutes les personnes dans le camp. Seuls 2 garçons et 4 filles ont pu lui échapper, et ont avoué leurs actes envers jim, la noyade et le reste.

 

Bien sûr, personne n’a voulu croire à la partie de la résurrection, mais par la suite, le camp et l’accès au lac est resté interdit pendant des années. Ce qui n'empêchait pas certains curieux de s’y aventurer, sans jamais revenir. On dit que Jim massacre toute personne pénétrant au camp et aux abords du lac durant la saison où il est mort, puis ressuscité. Le reste du temps, personne ne sait vraiment où il se terre. Certains supposent qu’il retourne dans le lac, durant ces périodes, avant de ressortir en hiver, dès les premiers flocons.

 

Amusé par l’histoire, autant que le reste de l’équipe, qui faisait furieusement penser à une nouvelle version de celle de Jason Voorhees, en mode hiver, nous fîmes la promesse au vieil homme d’être prudent, avant de repartir vers notre objectif. Nous installions notre équipement dans une des cabanes du camp, prenions le temps de faire quelques plans du lac, dépourvu de glace. A se demander si on était vraiment en hiver, si ce n’était la neige alentour, se fixant sur les arbres, l’herbe et la terre des lieux, et recouvrant les toits des chalets d’habitations. Pendant les deux jours qui suivirent, nous profitions du temps relativement doux pour tourner le maximum de séquences, suivant le programme préétabli, avant de nous prendre une petite journée de détente pour décorer les chalets.

 

Noël approchait, et même si tous ceux présents avaient sacrifiés leur présence auprès de leur famille pour pouvoir effectuer le tournage, l’esprit de Noël se devait d’être au sein du camp. On faisait même un petit sapin de fortune au sein du chalet principal, servant de réfectoire, et nous permettant de nous réunir tous ensemble, autour d’un repas préparé par notre expert en cuisine. Nous reparlions de ce que nous avait raconté le vieux à Hardwick, s’amusant des similitudes avec le scénario de Victor Miller, et nous demandant si celui-ci était au courant de cette légende locale. Le JV évoqué, sur l’uniforme scolaire, pouvait très bien avoir inspiré le scénariste pour désigner le nom du personnage qui allait devenir une icône par la suite. Quant au fait que Jim avait le syndrome de Down, les malformations de son visage, le fait qu’il se soit noyé, son aspect supposé après sa résurrection… ça faisait beaucoup de coïncidence. Il n’y avait que le truc de la magie noire qui différait.

 

Mais en fait, un des membres, qui avait eu l’occasion de discuter avec Miller, nous confiait qu’une séquence montrant la mère de Jason Voorhees pratiquer la magie noire pour faire revenir son fils à la vie, figurait dans le tout premier script de « Vendredi 13 ». Mais Sean S. Cunningham, le producteur du film, trouvait que ça faisait un peu « trop », et que ça gâchait le mystère autour de Jason, ainsi que l’explication de son statut surnaturel. Alors, Miler a gommé ce passage de son script, pour aboutir à celui que nous connaissions tous. Après un long moment encore à discuter, tout le monde se dirigeait vers son propre chalet pour la nuit, oubliant pour un temps la légende de Jim, et son lien avec Jason Voorhees.

 

En pleine nuit, je fus réveillé par des cris de terreur intense, venant de l’un des chalets. Effrayé et curieux de savoir ce qui pouvait bien pousser l’un des membres à crier de cette manière, je m’habillais rapidement, et me précipitais au dehors. Bien que pensant qu’il ne s’agissait vraisemblablement que d’un cauchemar dû au contexte des lieux, je devais m’assurer que rien de grave n’était arrivé. Mais rien n’aurait pu me préparer à ce que j’allais voir…

 

Bientôt, de nouveaux cris se firent entendre, tous aussi horribles et remplis d’une peur immense, et venant d’un autre chalet. Les autres cris s’étaient tus. La première alerte fut de voir l’état de la porte du chalet d’où venaient les nouveaux cris. Je m’étais décidé à aller dans cette direction, me disant que je pourrais vérifier plus tard ce qui en était dans l’autre chalet. J’entendais des cris de plus en plus aigus, preuve de douleurs à un niveau difficilement imaginable, et certainement pas d’un simple cauchemar. La porte avait été littéralement fracassé par une force surhumaine, ne laissant que de petits morceaux de bois attachés aux gonds, pendant que le reste parsemait le sol. En entrant, le spectacle qui s’offrait à moi me pétrifia sur place, tant il semblait que je venais d’être propulsé en plein cœur du tournage d’un film d’horreur que j’affectionnais tellement. A la lumière de ma torche, que j’avais prise avec moi, Je voyais Phil, le cadreur de l’équipe, gisant au sol, un énorme trou au centre de son corps. Comme si une masse l’avait traversé de part en part, projetant ses boyaux au sol. Ceux-ci se trouvaient quelques mètres plus loin, placardé contre un des murs. Mais ce n’était pas le pire. Je voyais une silhouette encore indéfinie, du fait de la pénombre, soulever un corps devant lui. Il n’y avait plus de cris, mais j’entendais nettement le bruit d’os se craquelant, de chair qu’on arrache, du style qu’on entend dans tout film d’horreur. Sauf que là, il n’y avait aucun trucage. Il fallut que je voie la tête de Mel rouler à mes pieds pour que je sorte de l’état d’immobilité dans lequel j’étais plongé.

 

Aussitôt, je braquais ma torche vers la silhouette, qui tenait toujours en main le reste du corps de ce pauvre Mel. Au même moment, l’inconnu se retournait, et là j’avais l’impression d’entendre le vieux d’Hardwick me remémorer l’aspect physique du fameux Jim dont il nous avait relaté l’histoire. Le même visage, le même état de corps délabré, suintant d’eau par endroit, comme s’il venait de sortir du lac, les mêmes lettres sur le restant d’uniforme collé sur les os et la chair en putréfaction qui se trouvait devant moi. JV. Junk Valley. La confrérie dont nous avait parlé le vieil homme au fast food. Jim. C’était Jim qui se trouvait devant moi, tel que décrit quelques jours plus tôt. Ce n’était pas une histoire prévue pour faire peur aux touristes arrivant dans la région. C’était une réalité. Je reculais, terrorisé par la vision de Jim ayant jeté le reste du corps de Mel au sol, et s’avançant vers moi, sans proférer le moindre mot. La vision du visage de Jim avec celui de Jason Voorhees semblait fusionner devant mes yeux ébahis, autant par la surprise que par la peur qui m’envahissait de plus en plus.

 

Je trouvais la force de m’enfuir du chalet, sortant au dehors. Je tombais sur Rick et Morty, complètement affolés, parlant en même temps, ce qui faisait que je ne comprenais rien à ce qu’ils me disaient. Mais entendant Jim marcher sur le bois éclaté qui restait de la porte d’entrée du chalet derrière moi, je faisais un geste de la main. Autant pour leur dire qu’ils me diraient ce qu’ils voulaient plus tard, que pour les décider à me suivre, en direction des voitures. Fort heureusement, mes clés étaient toujours dans ma poche avant droite de mon jean, que j’avais eu la bonne idée de mettre avant de sortir au-dehors, suite aux cris entendus. On courait à perdre haleine, sans se soucier d’autre chose que vouloir rejoindre ce qui semblait être notre seule échappatoire. Rick me disait qu’on aurait dû aller voir si Homer était toujours en vie. Ce à quoi je répondais que c’était exactement ce que ferait un protagoniste de film d’horreur, suivant un script débile bourré de clichés. S’il voulait mourir tout de suite, pas de souci, il n’avait qu’à y aller. Mais au vu de ce que moi j’avais vu, il était évident qu’Homer ne pourrait plus jamais manger de Donuts de sa vie, au vu de l’état dans lequel il devait se trouver en ce moment.

 

Sur le coup, je pensais que cette forme d’ironie pourrait détendre un peu l’atmosphère, mais ce fut tout le contraire. Morty était en larmes, n’arrêtant pas de répéter qu’on aurait dû écouter le vieux. Une vraie fillette. Et Rick de rajouter dans les conneries, en disant qu’on devrait prendre chacun une voiture différente, pour « perturber » Jim. Là encore, avec tout mon tact, je lui demandais si ça lui arrivait de regarder les films d’horreur. Parce que si c’était le cas, il saurait que se séparer, c’était encore plus débile que vouloir aller où se trouvait le tueur, son idée brillante qu’il avait dite précédemment. Au lieu de m’énoncer l’un après l’autre les pires clichés des films d’horreur, on ferait mieux de se grouiller de rejoindre les voitures, au cas où Jim/Jason serait aussi rapide que Michael Myers. Le seul gars au monde capable de battre un sprinter rien qu’en marchant…

 

Et puis une mauvaise surprise arrivait : Jim ne marchait pas : il courait. Ça collait pas du tout avec Jason en revanche, et dans ma tête, j’insultais le vieux d’Hardwick, en lui disant que dire que Jason était un expert en course faisait partie des trucs utiles qu’il aurait dû nous préciser… Arrivé aux voitures, deuxième mauvaise surprise. En plus d’être un champion de course, et une machine à démembrer de compétition, Jim avait un cerveau. Là aussi, ça ne collait pas. Ni avec Jason, ni avec le fait que Jim était atteint du syndrome de Down. A croire que la résurrection était le remède idéal pour éliminer tous les défauts de quelqu’un. Intellectuel comme physique. Jim était devenu une vraie machine à tuer, doté d’une déduction de malade. Deux des voitures avaient été proprement détruites en bonne et due forme. Ce n’était même pas la peine de penser à rouler dans les épaves qu’elles étaient devenues. Par contre, la troisième, celle de Morty, avait échappé au pilonnage à la Jim. Sans doute parce qu’elle était garée plus en retrait, sous les arbres, moins soumise à la lumière de la lune. Cette même foutue lune qui nous éclairaient comme un projecteur, facilitant la tâche de Steve Austin alias Jim.

 

Il ne valait peut-être pas 3 milliards, mais il était tout aussi efficace. Et ça sans membres bioniques. Mais au contraire des jambes composées de chair pourrie et d’os décalcifié. En temps normal, j’aurais applaudi à deux mains les bienfaits de la résurrection, vu ce qu’elle procurait, mais là je pensais surtout à sauver ma peau. J’eus le réflexe de crier à Morty de me lancer ses clés de voiture pour nous faire gagner du temps. Et sans me poser de questions. En rappelant que moi j’étais devant, et que donc, potentiellement, j’avais plus de chance d’arriver en premier à la voiture, la faire démarrer, et leur permettre de s’engouffrer dedans juste à temps pour qu’on se barre et qu’on échappe au concasseur humain qui se rapprochait. Morty grommelait un peu, marmonnant de pas abîmer ses sièges, et me lançait ses clés. Je ne sais pas si c’est la chance, le destin ou quelque chose du même genre, mais juste après j’entendais des brisements d’os, suivis de cris et du bruit d’un corps qu’on fracasse contre un arbre de plein fouet.

 

2 minutes plus tard, j’entendais les cris de Morty, avec les mêmes bruits similaires. Pas le temps de me retourner pour voir ce qu’il en était. De toute façon, au vu des cris et des impacts entendus, c’était évident que Rick et Morty étaient passés dans une autre dimension. Je n’ai pas réfléchi plus : arrivé enfin à la voiture, je m’installais derrière le volant, et malgré mes doigts qui composaient la chevauchée des walkyries en Do majeur, tellement ils tremblaient, je parvenais à faire démarrer le moteur, alors que le fils de Hulk commençait à défoncer le coffre, avant de s’attaquer à la portière avant, côté passager. Vous savez ce que ça fait le cri d’un ténor dans un opéra ? Ben, je crois que j’ai fait le même en voyant Super Jimmy arracher la portière, s’accrochant et tenter de rentrer dans la voiture, alors que j’étais déjà en train de rouler. J’ai eu le réflexe de diriger la bagnole vers un arbre sur la droite, et écraser la masse qu’était Jim dessus. Je n’ai pas pris la peine de vérifier si ça l’avait rétamé ou non : j’ai foncé droit devant moi, me dirigeant vers Hardwick, où j’ai signalé ce qui était arrivé à la police locale. Ça m’a pris du temps pour arriver à leur faire comprendre que je n’étais pas bourré, et que mon équipe de tournage venait de se faire massacrer par leur légende du coin. Ces abrutis ont pris tout leur temps pour vérifier qui j’étais, et le réseau internet merdique n’a pas arrangé les choses. Pour finir, le lendemain matin, ils se sont décidés à aller voir sur place, et n’ont pu que constater le massacre.

 

Jim n’était visible nulle part, et je doutais que quelques flics l’inquiète, vu le festival qu’il avait pratiqué cette nuit. Mais parmi les détails « omis » par le vieux concernant Jim, j’ai appris par la suite que ce dernier n’agissait que la nuit. Et comme les policiers ont tout fait pour ralentir les choses et me croire, j’ai toujours le soupçon qu’ils l’ont fait sciemment, pour éviter de se retrouver face à Jim, même s’ils ne l’avoueront jamais. Au lieu de ça, j’étais le coupable idéal à leurs yeux. Un névrosé psychopathe, caché dans la peau d’un scénariste aigri, ce sont les mots exacts figurant sur le rapport psychiatrique que j’ai dû subir, pour prouver que je n’étais pas un fou voulant rentrer dans l’histoire des tueurs en série. Ils n’ont jamais pu prouver mon implication, tout comme rien n'a pu indiquer la présence de Jim, mais je garderais des séquelles indélébiles de cette nuit. A cause de ça, plus aucun producteur n’a voulu conclure de contrat avec moi, et j’ai dû renoncer à mon rêve de faire ce documentaire.

 

Néanmoins, je ne renonce pas à mon désir de réaliser un film, réunissant des fonds là où je peux. Mais aux yeux d’Hollywood, je suis un tueur qui a réussi à berner la police, en faisant croire à l’existence d’un monstre, créé par mon cerveau malade. Bien sûr, j’ai tenté de défendre ma position, et j’ai réussi à trouver des personnes qui me croient, mais il reste toujours un doute pour beaucoup que je suis le seul vrai tueur de cette nuit-là. Comment je pourrais inventer un truc pareil ? Et surtout, comment j’aurais pu tuer mon équipe aussi froidement ? Et de cette manière… J’ai vu les photos des cadavres de Mel, Phil, et les autres. Même en passant des corps dans un hachoir géant, on n’arriverait pas à ce résultat. Alors, moi… Et pourtant, je commence à avoir moi aussi des doutes sur ce qui s’est passé réellement cette nuit-là depuis quelques jours… Depuis que j’ai trouvé dans un des tiroirs de mon appartement un vieil uniforme d’université, avec les lettres JV dessus… Je ne sais plus quoi penser… Est-ce que Jim existe vraiment, ou est-ce que c’est moi Jim, mon cerveau m’ayant fait croire tout le reste, réinterprétant toutes les scènes dont j’ai cru être simple spectateur. J’ai besoin d’aide pour comprendre qui je suis réellement. Car en ce moment, dans ma glace de salle de bain, je vois Jim qui me sourit…

 

Publié par Fabs

27 nov. 2022

CHARLIE

 


 

 

Je sais que ce que je m’apprête à faire dépasse toute logique, tout cerveau censé aux yeux de la science, et même de la loi, mais je ne suis pas fou. Je sais ce que j’ai vu. Je sais de quoi est capable Charlie. Il est mauvais, tout simplement. Et même s’il est en sommeil depuis plusieurs années au sein du Smithsonian Institute, à Washington, ce n’est qu’une apparence. Beaucoup ne voient en lui qu’un simple pantin de bois, enfermé derrière une vitrine, où il jouit du regard émerveillé des visiteurs du site, impassible. Personne n’imagine tous les méfaits dont il est la cause. Ce qu’Edgar a fait pour lui. Car c’est bien le pire, et montre toute l’intelligence de l’entité qui se cache en Charlie. Jamais elle ne s’est sali les doigts, obligeant son propriétaire à commettre ses crimes à sa place. Son petit corps de bois ne lui laissant qu’un champ d’action assez limité pour finaliser les crimes horribles dont il est la cause. Pour faire taire ceux et celles qui ont découvert l’horrible vérité sur sa véritable nature. A savoir que Charlie n’est pas qu’une simple marionnette.

 

C’est un monstre qui n’a pas sa place dans ce monde. Ne serait-ce qu’en mémoire de mon ami Edgar, je dois faire cesser de vivre cette abomination responsable de plusieurs meurtres. Même si ce sont les mains d’Edgar qui les ont commis, Charlie est celui qui les a commandités, de sang-froid, sans le moindre remord, afin que personne ne sache ce qu’il est en réalité. Ce soir, je vais faire quelque chose d’insensé : je vais m’introduire au sein du Smithsonian Institute, briser la glace de l’endroit où se trouve Charlie, le retirer de son piédestal où il a été placé, et l’emmener avec moi vers la seule place où il devrait être : en enfer. Je vais détruire ce pantin démoniaque, brûler son corps, et réciter l’invocation de désincarnation pour qu’il disparaisse à jamais de la surface de la terre. Je dois bien ça à Edgar, lui qui est devenu la véritable marionnette de cette monstruosité enfouie dans le corps de Charlie, avant de connaitre l’horrible destin qui a mis fin à sa vie. Après qu’il ait enfin compris que son pantin avait détruit l’idéologie qu’il avait du monde du spectacle.

 

Mais pour mieux comprendre la raison pour laquelle je me prépare à commettre une intrusion, un vol, et la destruction d’une idole pour tout ventriloque digne de ce nom, ce pantin de bois qu’est en apparence Charlie McCarthy, et qui a fait le bonheur de milliers de spectateurs à la radio, avant de faire des tournées durant des années, je me dois de reprendre depuis le début. Ceci dans le but que vous puissiez savoir que je ne suis pas fou. Tout ce que je vais vous révéler est la stricte vérité. Je n’ai rien inventé. Si j’ai pu échapper à la liste des victimes, c’est uniquement parce que j’ai eu suffisamment de lucidité pour cacher ce que je savais en présence de Charlie. Et quelque part, le dernier geste qu’Edgar a eu face à la marionnette qui avait fait sa gloire, c’est à cause de moi. Je me sens responsable de ça. Et c’est en sa mémoire que je me dois d’annihiler ce cauchemar de bois. C’est le moins que je puisse faire, pour éviter qu’un autre subisse l’influence de Charlie un jour. Je sais qu’il ne restera pas éternellement derrière sa vitrine, et que, lassé de son sommeil, il sortira de lui-même, en quête d’un nouvel esclave humain qui obéira à ses moindres désirs sanglants, en retour du succès sur les planches qu’il promettra à son nouveau « maitre ».

 

Même si ce terme est loin d’être approprié concernant Charlie. Personne n’est en mesure de contrôler un tel monstre. Aucun esprit avisé ne peut concevoir tout le machiavélisme qui se trouve dans le corps de bois de ce pantin diabolique. J’ai tenté plusieurs fois d’avertir de la vraie nature de ce dernier, à des personnes en qui je pensais pouvoir obtenir confiance et sincérité. Mais soit elles m’ont prises pour un fou n’ayant pas accepté la fin tragique d’Edgar, sans savoir ce qui s’était réellement passé ce soir-là ; soit elles ont profité de ma naïveté pour utiliser mon témoignage à leur propre avantage. R.L. Stine fait partie de ceux-là. Oui, vous savez bien : ce romancier qui a créé ce personnage faisant partie de ceux étant les plus emblématiques de sa série littéraire pour enfants : « Chair de Poule ». Slappy est directement inspiré de Charlie. Son costume de soirée, tout comme son nœud papillon. Stine a changé la couleur et certains éléments, mais c’est Charlie qui a servi de base pour son personnage. En découvrant ce qu’il avait fait de mes confessions, j’ai cessé toute relation avec lui. Je me suis senti trahi, et je ne lui ai jamais pardonné.

 

Mais il est temps de vous raconter comment tout a débuté, par les lignes de ce journal. C’est à la fois ma rédemption, mes excuses envers Edgar ne n’avoir pas su le sauver de l’emprise de Charlie, et ma mise en garde à tout ceux qui auraient la stupidité de recourir à la magie noire pour obtenir une gloire menant au meurtre, pour ne pas retrouver l’anonymat d’où ils venaient. Je me nomme Theodor Mack. J’étais le meilleur ami d’Edgar Bergen. Oui, vous avez bien entendu. Le fameux Charlie dont je vous parle depuis tout à l’heure, c’est bien Charlie McCarthy. Ce pantin de bois en costume, haut de forme et monocle qui a fait le bonheur de tant de personnes à travers le monde, et inscrit dans les grandes lignes de la ventriloquie. Avant que tout débute, Edgar et moi étions comme des frères inséparables, toujours ensemble partout où nous allions. C’est moi qui ai sculpté la tête du Charlie McCarthy que vous connaissez tous. A la demande d’Edgar. Il s’est intéressé très jeune à la ventriloquie, dès l’âge de 11 ans : c’était une vraie passion pour lui, et c’est ce qui nous a rapproché.

 

Une passion qui l’a poussé à venir à Chicago à ses 16 ans, où il a fait ses études à la Lake View High School, avant de travailler dans une salle de cinéma de films muets. Il avait entendu parler de moi et mes talents de sculpteur. Et après avoir acquis une marionnette de base au sein de ma boutique, Theo Mack & Son, pour la somme de 35 dollars, il m’a montré le dessin d’un garçon travaillant pour un journal qu’il connaissait, et au tempérament assez « coquin ». C’est le terme qu’il a employé pour le désigner. Il tenait à ce que la tête de Charlie McCarthy, le nom qu’il avait décidé de donner à sa future marionnette, garde cette expression à la fois d’innocence et d’espièglerie sur le visage. Charlie était censé être un enfant, mais ayant des vues très prisées sur les filles. Une manière pour Edgar d’utiliser le double sens des paroles de Charlie, sans se faire censurer, du fait de l’âge enfantin de son pantin. Nous avons beaucoup discuté du « modèle » de Charlie, son tempérament, ses vues sur les filles dont il parlait souvent à Edgar, et de la direction qu’il voulait donner aux futurs sketchs.

 

Étant le fournisseur officiel des ventriloques professionnels, discutant souvent avec eux, et les côtoyant régulièrement, venant à leurs spectacles, en tant qu’invité d’honneur privilégié, je l’ai beaucoup aidé à peaufiner son personnage de scène s’opposant au côté mutin de Charlie. Nous avons passé des soirées entières à parler de tout ça, multipliant les soirées autour d’un verre, élaborant les répliques de Charlie. Je servais de cobaye aux sketchs, de spectateur test, afin que tout soit au point, avant de se lancer officiellement dans la grande cour du showbiz de la ventriloquie. Je l’ai recommandé auprès des salles de spectacle, et, de fil en aiguille, je lui ai fait rencontre Elsa Maxwell. Une grande dame qui travaillait pour le compte de Noel Conward. Impressionné par la qualité de la prestation d’Edgar et Charlie, elle les a recommandés pour un engagement auprès du Rainbow Room. A partir de là, Edgar a été repéré par des producteurs, qui, à leur tour, l’ont recommandé pour l’émission radiophonique de Rudy Vallée. Le début du succès pour Edgar et Charlie. Et le début du cauchemar également…

 

Edgar était tellement stressé par le succès de l’émission et de son spectacle, qu’il avait toujours la crainte de mal faire, de ne pas être assez parfait lors d’une émission, que ses sketchs n’aient pas assez de réalisme. C’est un point qui l’obsédait. Il voulait que Charlie ait l’air le plus « vivant » possible. J’avais beau lui dire que comme l’émission était à la radio, on ne le voyait pas. Aussi bien lui que Charlie. Donc, le réalisme qu’il voulait n’était pas très important. Mais Edgar ne voulait pas démordre de ça. Il voulait que son Charlie soit plus qu’un simple pantin : il le voulait tel Pinocchio à la fin du conte de Carlo Collodi. Un véritable être vivant. Et il était très sérieux quand il disait ça. Je trouvais ça un peu perturbant, tentant de le ramener à la raison. Mais son obsession de perfection l’amena à prendre contact avec des personnes peu recommandables. Et sachant mon aversion sur certaines pratiques que je jugeais incompatible avec la réalité, il a rencontré en secret une prêtresse vaudou, qui lui avait été conseillé par un des membres du staff de l’émission de Rudy Vallée.

 

Je me suis même demandé si ce n’était d’ailleurs pas Rudy lui-même qui avait amené Edgar à rencontrer Edna, la prêtresse. Elle était assez connue à l’époque au sein de la partie secrète du showbiz. Nombre d’artistes avaient recours à elle pour retrouver du courage, se garantir le succès pour un spectacle, ou d’autres choses plus contestables. Il y avait une aura sinistre qui tournait autour d’elle, et des affaires étranges ayant résulté des consultations dont elle était l’épicentre. Des « accidents » de concurrents d’acteurs, des bobines de films détériorés avant la première d’un film, un théâtre ayant subi un incendie, et d’autres bizarreries du même style. Y compris au sein de l’émission de Rudy. Certaines rumeurs indiquant que ceux et celles qui contredisaient les décisions de Rudy disparaissaient, ou contractaient une maladie grave. Quand ce n’était pas pire. De nombreuses morts étaient parfois à déplorer autour des personnes ayant contacté Edna, forgeant sa réputation pas très glorieuse. Des enquêtes furent menées, demandées par l’entourage des victimes, mais aucune charge, ni preuve ne fut jamais trouvée, pouvant relier Edna à ces faits curieux et souvent funestes.

 

Si j’avais eu connaissance qu’Edgar allait avoir recours aux services d’Edna, j’aurais tout fait pour l’en empêcher. Au nom de notre amitié, j’aurais pu le dissuader de trouver une solution moins risquée pour donner du « vivant » à Charlie, tel qu’il le désirait. Plutôt que faire appel à Edna. Mais ce ne fut pas le cas. Je ne sais pas exactement ce qui s’est dit et passé entre Edgar et cette prêtresse. Mais ce que je sais, c’est que le comportement de celui que je considérais comme un frère a changé du jour au lendemain. Il est devenu plus sûr de lui, plus arrogant envers le personnel tournant autour de lui. J’ai pu constater l’excellence et la répartie des sketchs au fil des émissions, c’était indéniable. Mais je me disais qu’Edgar avait juste réussi à évacuer son stress, en se remettant en question, comme je lui avais conseillé. Le « transformant » mentalement, en faisant quelqu’un de plus posé. Et surtout qu’il avait perdu son obsession de toujours mal faire, avec cette peur de chuter aussi vite qu’il était monté. J’avais tellement tort… Je n’imaginais pas ce qui allait découler de ce brusque changement. Pas seulement d’Edgar. Mais aussi de Charlie…

 

 

Par la suite, la carrière d’Edgar et de son pantin Charlie MCarthy s’est envolé dans les hautes sphères du spectacle. De 1937 à 1956, le show attirait des millions d’auditeurs. Du jamais vu pour un spectacle de ventriloquie à la radio, alors que personne ne voyait le visage, ni de la marionnette, ni du ventriloque. A tel point que beaucoup croyaient que Charlie était une personne réelle, et pas un simple pantin. Puis ce fut l’apothéose : tournées, films, rencontres avec de grande stars de l’époque. Même la grande Marilyn Monroe a posé avec Charlie. Bien sûr, j’étais heureux pour Edgar : il méritait toute cette gloire. Mais il y avait des moments où il montrait des signes d’angoisse, de mal être évidents en ma présence. Surtout quand Charlie était dans la même pièce. Au début, je me disais que c’était juste une impression, et qu’Edgar avait peut-être, sans me l’avouer, recouru à un autre sculpteur pour « améliorer » les traits du visage de Charlie. Juste après que j’ai pu constater le changement d’attitude, moins névrosé, d’Edgar, j’avais pu observer que Charlie n’était pas comme avant. Il était… plus… humain.

 

Je sais que dit comme ça, ça peut paraitre dingue, mais je vous assure que même la texture du bois au toucher était différente. Et il y avait autre chose qui m’alarmait, et me décidait à en savoir un peu plus, au fur et à mesure des années, et des changements d’humeur d’Edgar, sur Charlie. Edgar ne voulait pas qu’on s’approche de trop près de son pantin de bois. Il prétextait que Charlie pouvait être perturbé par la présence d’autres que lui. Même moi, à un certain moment, je n’avais plus le droit de toucher la marionnette. Edgar me disait que Charlie n’aimait pas que je le touche, qu’il détestait sentir la moiteur de mes mains. C’était insensé. Edgar considérait vraiment Charlie de plus en plus comme un être vivant, et pas un simple accessoire de spectacle. J’ai essayé de lui dire, indiquant que Charlie n’était pas vivant, qu’il ne devait pas parler de lui comme une véritable personne, ça n’avait pas de sens.

 

Mais ça déclenchait des colères noires de la part de mon ami. Je ne l’avais jamais vu réagir comme ça. Plusieurs fois nous nous sommes disputés parce que, selon Edgar, je n’avais pas le droit de parler de Charlie comme un objet. Je n’avais pas le droit de l’insulter. C’était grâce à Charlie que sa vie était devenue un bonheur de tous les jours. C’était grâce au succès des shows et des films qu’il avait rencontré Frances, son épouse, et eu sa fille, Candice. Grâce à Charlie encore qu’il avait développé son spectacle, avec la création de deux autres pantins : Mortimer Snerd et Effie Klinker. Même si ceux-ci, bien que très appréciés du public aussi, n’avait pas autant de popularité que Charlie McCarthy, qui restait la vraie star des tournées d’Edgar. Quand Edgar était comme ça, je préférais laisser couler, et le laisser dans son délire. J’ai eu l’occasion de discuter avec Frances, à l’insu d’Edgar. Elle m’avouait qu’elle aussi s’inquiétait du comportement de son mari envers Charlie. Candice, sa propre fille, passait au second plan. Le pantin devait être à table avec eux chaque jour. Elle avait voulu lui dire une fois que ce n’était pas sain. Surtout pour Candice qui souffrait de son rôle de « sœur » d’un pantin.

 

Et là aussi, Edgar devenait plus dur dans ses paroles. Disant que Charlie faisait partie de la famille au même titre qu’elle et Candice. Frances avait dû faire suivre Candice auprès d’un psychiatre, car elle avait du mal à comprendre que son propre père la dédaignait au profit d’une marionnette. Edgar donnait des bains, prenait garde aux plis du costume, repeignait lui-même les couleurs de certains endroits du visage de Charlie, qui étaient un peu moins vives selon ses dires. C’était très perturbant pour Frances, mais au vu des réactions d’Edgar dès qu’on évoquait en mal Charlie, elle n’osait plus rien dire en ce sens sur son « enfant ». J’avais vraiment du mal à comprendre ce qui avait pu changer mon ami à ce point, à cause d’une simple marionnette faite de bois. Je ne le reconnaissais plus. Et un soir, j’ai fini par comprendre que tout ce que m’avait dit Edgar concernant Charlie, disant qu’il était un être vivant, n’était pas le fait d’un cerveau s’étant fragilisé à cause du succès.

 

C’était juste après un spectacle lors d’une tournée. Avant que le show commence, Edgar m’avait appelé par téléphone, me disant qu’il devait me parler de toute urgence. Ça concernait Charlie. Il ne pouvait pas m’en dire plus, mais il avait besoin de me confier un secret, avant qu’il ne soit plus en mesure de le faire. Me répétant plusieurs fois qu’il avait besoin d’aide, et qu’il comptait sur moi. Parce que j’étais le seul qui serait en mesure de comprendre ce qu’il avait fait. Et qu’il espérait que je lui pardonne pour ses actes. Des paroles énigmatiques. J’ai voulu demander plus de détails, mais Edgar me disait qu’il ne pouvait pas. Il avait profité qu’« Il » se reposait encore dans une pièce à côté de sa loge pour m’appeler. Il ne pouvait pas s’attarder plus avant qu’« Il » se rende compte de sa trahison. Après ça, il raccrochait, me laissant dans l’interrogation sur ses paroles, qui, sur le moment, n’avait pas vraiment de sens pour moi. Sa voix avait été parsemé d’hésitations, entrecoupées d’une respiration saccadée. J’avais ressenti son angoisse à ses paroles. Celle que je connaissais avant que le succès de son show le transforme. C’était ce même stress qui le caractérisait et faisait de lui l’Edgar qui était devenu plus qu’un client, ou une connaissance. Mais un ami. Et en tant que tel, je ne pouvais pas prendre cet appel à l’aide à la légère. Car c’était bien de ça dont il s’agissait.

 

Quant au « il » dont il faisait mention, ça ne pouvait être que Charlie. J’en étais convaincu. Alors, j’ai laissé mon travail en cours, et je suis parti à l’adresse qu’il m’avait indiqué, entre deux tremblements de voix. Comme c’était tout près de Chicago, je m’y suis rendu, intrigué par ce qu’Edgar avait à me dire. Il m’avait demandé de venir à la fin du spectacle, en me rendant directement à sa loge. Il préviendrait le personnel pour que je puisse accéder aux coulisses. Il me suffirait de me présenter, et on me conduirait jusqu’à lui. Là, il m’expliquerait plus en détail ce qui le rongeait, et qu’il avait besoin de confier à un vrai ami. Je n'oublierais jamais ces paroles de ce soir-là. Elles me hantent, car à cause du temps perdu à passer des coups de fil pour repousser mes rendez-vous prévus le lendemain, sachant que la nuit risquait d’être longue, et que je ne sois pas en mesure d’assurer mes activités après ça, je me suis retrouvé coincé à la sortie de la ville. A cause d’un accident qui venait de survenir quelques minutes plus tôt, et m’ayant contraint à attendre que les services de police et les ambulances aient évacué les blessés, et rendu à nouveau la voie libre, je suis arrivé plus tard que prévu. Près d’une heure après la fin du spectacle.

 

A mon arrivée, je me suis annoncé, et un des employés du théâtre où Edgar venait de faire son show me montrait la direction de la loge de la star de la soirée. S’excusant de ne pouvoir m’y mener directement. On m’attendait plus tôt, et au moment de ma venue, le personnel était très activé à diverses tâches d’après spectacle. Je remerciais l’homme m’ayant donné ces indications, et montré le chemin, avant de me rendre vers la loge. Je me préparais à cogner à la porte de celle-ci, quand j’ai entendu une conversation. Edgar parlait avec quelqu’un dont je ne reconnaissais pas la voix. Des paroles assez houleuses, où Edgar montrait des signes de peur dans les mots sortant de sa bouche, demandant pardon à son interlocuteur, s’excusant de son appel. Je supposais que cela concernait celui qu’il m’avait fait quelques heures plus tôt. L’autre voix était menaçante, indiquant à Edgar qu’il ne devait son succès qu’au fait qu’Edna lui avait permis d’exaucer son vœu de le rendre plus « vivant ». De ne jamais l’oublier. Et qu’en retour, il devait obéir à ses moindres exigences, quelles qu’elles soient. Les actes commis étaient nécessaires pour que la gloire perdure. S’il n’était pas capable de se conformer à ça, et refusait d’exécuter les petites « missions » qu’il lui exigeait de faire, pour faire taire les gêneurs et les concurrents pouvant faire de l’ombre à leur business, il devrait s’attendre à des conséquences qui ne lui plairait pas.

 

J’ignorais encore qui pouvait proférer de telles menaces, à peine dissimulées à mon ami, mais je devais avouer qu’en les entendants, je n’étais pas très rassuré. J’ai hésité à faire appel à nouveau à un employé, ne serait-ce que pour savoir si un visiteur imprévu était venu voir Edgar, mais en voyant le cortège d’hommes affairés à courir un peu partout, rangeant du matériel dans tous les coins, j’ai préféré m’abstenir. Comme pour avertir Edgar de ma présence, j’ai fait sortir un « Hum, hum » bien senti, avant de cogner à la porte de la loge. Au même instant, la conversation s’est arrêtée, et j’entendais des pas se diriger vers l’endroit où je me trouvais. Edgar vint m’ouvrir, tentant, tant bien que mal, de dissimuler la terreur emplissant son visage, et m’invitant à entrer. Je lui demandais s’il allait bien. Je voyais des tonnes de sueur perler sur son front et ses joues, qu’il épongeait nerveusement avec un mouchoir portant les initiales « E & C ». Pour Edgar et Charlie.

 

Il me répondait que oui, évitant soigneusement toute question que je lui posais sur la présence d’un autre visiteur avant moi. Précisant qu’il me semblait avoir entendu une autre voix dans la loge, et cachant volontairement que j’avais parfaitement entendu les moindres mots de celle-ci. Je lui demandais alors la raison qui l’avait poussé à m’appeler, précisant qu’il voulait me voir de toute urgence. Ce à quoi il se confondait en excuses sur le sujet, indiquant qu’il était très stressé ces derniers temps, et qu’il pouvait lui arriver de dire des choses qu’il ne pensait pas à n’importe qui. En fait, tout allait bien selon lui, et il n’y avait aucun souci. Il ne se rappelait même pas pourquoi il m’avait demandé de venir. Mais vu qu’il ne s’en rappelait pas, ça ne devait pas être bien important. Il s’excusait à nouveau de m’avoir dérangé pour rien, et pour se faire pardonner, m’invitait à le suivre au bar du coin, pour évacuer la fatigue de l’après spectacle. Je ne cherchais pas à approfondir plus avant le fait que je savais bien qu’il me mentait. Je connaissais chacune des mimiques qu’il faisait dans ces cas-là. Depuis toutes ces années passées ensemble, où je l’ai vu monter au firmament des ventriloques, fêtant chacune des étapes qu’il avait franchies, j’avais appris à tout savoir de lui.

 

Je ne comprenais pas bien ce qui le poussait à me mentir de manière aussi maladroite. J’avais très bien perçu son angoisse au téléphone, et il avait la même à l’instant où il me parlait. Malgré tout, en tant qu’ami, je me gardais de faire la moindre remarque à ce sujet, et acceptais l’invitation. Edgar prenait son manteau, non sans s’être à nouveau épongé le front, et, l’espace d’un instant, mon regard a croisé celui de Charlie, qui se trouvait assis sur la malle servant à le transporter. C’est difficile à décrire sans passer pour quelqu’un atteint d’hallucinations, mais j’ai cru percevoir un regard qui n’avait rien de factice. Ce n'était pas le regard immobile et sans vie d’une marionnette. C’était celui de quelque chose de bien vivant. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais à cet instant, Charlie semblait me fixer intensément. C’était très perturbant. Et tout à coup, bien que sur le moment, je crus avoir rêvé, il m’a semblé voir les yeux de Charlie cligner.

 

Un peu abasourdi par ce fait, me demandant si c’était la fatigue qui me faisait voir quelque chose d’aussi délirant, mon impression se renforçait en voyant un sourire se dessiner sur le visage de la marionnette, me fixant toujours. Ça ressemblait à une mise en garde de façon très nette. J’utilisais alors mes doigts pour me frotter les yeux plusieurs secondes, persuadé de voir des choses appartenant à l’impossible que je mettais sur le compte de l’angoisse dû à l’attitude étrange d’Edgar. En les rouvrant, Charlie était comme à son habitude. Les yeux immobiles, sans sourire apparent. Je me disais que la suractivité de ces derniers jours, dû à de nombreuses commandes avait de drôles de conséquences sur mon mental et ma vue. Mais c’est là que je vis, dessiné sur la poussière de la malle, l’image d’une tête de mort. Et cette fois, ce n’était pas une hallucination. Je me rendais près de la malle pour m’assurer de sa présence, au grand étonnement d’Edgar, qui me demandait ce que je faisais. Sans dire un mot, m’accroupissant pour mieux observer, je ne pus que constater que le dessin n’était pas dû à une mauvaise interprétation de ma vue et de mon cerveau. Je remontais la tête, et je vis Charlie me montrer un large sourire, et un regard parmi les plus noirs que j’ai eu l’occasion de voir…

 

Effrayé, je reculais d’un coup, étalant mon postérieur sur le sol, fixant Charlie qui montrait toujours le même sourire. Edgar vint vers moi, me tendant la main pour m’aider à me relever, et me demandant ce que j’avais. Je prenais sa main, me remettant debout, rassurant mon ami que j’allais bien. J’avais juste un petit coup de fatigue moi aussi. Edgar souriait, en rajoutant que j’avais bien besoin d’un verre. Au moins autant que lui. Je riais de moi-même en observant à nouveau Charlie. Le sourire avait disparu. Ne laissant à la place que les traits artificiels que je lui avais dessiné en sculptant son visage. Après tout, peut-être était-ce moi qui lui avait donné cet aspect trop réel dès sa conception, écoutant les recommandations d’Edgar. Je ne devais m’en prendre qu’à moi-même si je subissais les contrecoups de la trop grande perfection dont j’étais l’auteur. Je décidais de mettre ça de côté, et suivais Edgar. Non sans adresser un dernier regard vers Charlie avant de fermer la porte. Je n’ai pas reparlé de cet épisode à Edgar après ça. Aussi bien le fait qu’il m’ait appelé « pour rien », à cause de l’angoisse le submergeant, que le fait d’avoir cru déceler de la vie à l’intérieur de cette marionnette de bois qu’était Charlie.

 

Ce n’était rien de plus. Un objet de spectacle. Certes réaliste, mais un simple pantin de bois tout ce qu’il y avait de plus banal. Avec le temps, j’ai pensé avoir oublié cet épisode qui m’avait mis mal à l’aise quand il était arrivé, sûr et certain que j’avais rêvé les expressions de vie de Charlie. Et puis, il y a eu la fois où Candice, la fille d’Edgar, m’a fait part, de manière discrète, qu’elle avait peur de Charlie. Disant qu’elle l’avait vu se déplacer parfois la nuit. Candice avait beau être une enfant, je ne l’ai jamais entendu dire le moindre mensonge à mon encontre. C’était une petite fille tout ce qu’il y avait de plus droite en termes d’éducation. Elle tenait ça de sa mère, un modèle en la matière, qui avait su inculquer les bonnes manières à sa fille à la perfection. Il était inconcevable que Candice puisse me raconter des mensonges aussi importants, même pour me taquiner. Sans doute dans un but de protection, je lui ai dit qu’elle avait sans doute cru voir Charlie marcher, parce qu’elle était entre deux phases de sommeil, lui faisant croire des rêves pour la réalité. J’usais de ma position d’adultes pour la convaincre que Charlie n’était qu’une marionnette. Et qu’elle ne pouvait pas bouger.

 

Mais en réalité, les mots de Candice me rappelèrent ma propre expérience, et surtout des bribes de la conversation que j’avais surpris juste avant de pénétrer dans la loge d’Edgar ce soir-là. Au vu de tout ça, l’idée que Charlie pouvait être le fameux interlocuteur discutant et menaçant Edgar à ce moment, et non pas Edgar lui-même répétant un sketch comme je le crus tout d’abord, m’apparut comme une évidence incontestable. Je me rappelais le dessin de tête de mort dans la poussière, le sourire et le regard de Charlie. Et je me rappelais aussi l’évocation d’Edna dans la conversation que j’avais tu avoir entendu à Edgar. Edna. Sa réputation de prêtresse vaudou offrant ses services à qui était capable de se les payer était souvent au cœur des conversations, à chaque fois qu’un évènement étrange se déroulait dans le monde du spectacle, et incluant l’un de ses clients. A partir de là, sachant Edna à l’intérieur du mystère entourant Charlie, je ne pouvais que concevoir que l’impossible était devenu une réalité.

 

Cette impression que j’avais eu que Charlie avait été modifié devenait certaine. Dès lors, bien que rempli d’appréhension à cette idée, sans faire part de mes doutes à Edgar, j’utilisais mes contacts dans le milieu du spectacle pour obtenir un rendez-vous avec Edna, voulant savoir la vérité sur ce qu’était devenu Charlie à son contact. Ce ne fut pas facile, mais je pus la rencontrer. Si au départ elle était réticente à donner des informations sur l’un de ses clients, la vue de la grosse somme que je lui offrais en retour de ces révélations eut vite fait d’effacer ses « principes ». C’est ainsi qu’elle m’avouait qu’effectivement Edgar était venu la voir, sur recommandation de Rudy Vallée. Celui qui était à l’origine de la gloire ascendante d’Edgar et Charlie. Elle avait procédé sur la marionnette à une invocation vaudou, introduisant une entité à l’intérieur, et donnant l’expression de « vie » recherchée par Edgar pour son pantin. Elle l’avait prévenu que cette action était irréversible. Une fois l’entité placée dans la marionnette, elle ne pourrait pas être retirée, et Edgar devrait se soumettre aux désirs de l’entité à l’intérieur, s’il voulait voir le succès de son show atteindre les sommets auquel il aspirait.

 

Edna précisait qu’Edgar était obsédé par le fait de rendre Charlie différente des autres pantins utilisés par ses collègues ventriloques. Il voulait une marionnette dont l’histoire de la ventriloquie se souviendrait durablement, et ferait de lui la référence en la matière. Une folie des grandeurs dont j’avais déjà pu ressentir quelques traces lors de nos conversations sur ses doutes, son appréhension de voir son show tomber dans l’oubli s’il ne lui apportait pas un « plus », capable de marquer les auditeurs. Edna rajoutait qu’Edgar était conscient des risques que cette « vie » à l’intérieur de Charlie pouvait générer, tout comme il acceptait la contrepartie demandée par l’entité, en retour du succès obtenu, grâce aux « changements » de Charlie. Elle avait été très claire sur ce que cette relation impliquait, et que s’il faisait marche arrière, elle nierait avoir eu un lien avec lui. Tout comme elle le ferait s’il me prenait l’envie de parler de notre conversation.

 

Edna précisait qu’elle ne contrôlait pas l’entité qui s’était immiscé dans Charlie. Elle ne servait que d’intermédiaire entre le monde des esprits et les objets dans lequel elle leur demandait de se placer, pour le compte de ses clients. Ce qui suivait ensuite, concernant les actes commis par les propriétaires des objets possédés, ce n’était pas son affaire. Son rôle s’arrêtait une fois la transaction effectuée. Si Edgar faisait des choses contre nature pour répondre aux exigences de l’entité dans Charlie, il ne devait s’en prendre qu’à lui. C’était lui qui avait demandé cette « cohabitation », et il devait en assumer les conséquences. Je savais désormais ce qu’il en était de Charlie, me confortant que le pantin était bien celui dont j’avais surpris la conversation à travers la porte, et que je n’avais pas rêvé les petits gestes d’intimidation de la marionnette à mon encontre. Cette tête de mort que Charlie avait dessiné à mon intention était éloquente en ce sens. Elle signifiait que si je disais quoi que ce soit sur elle, Edgar en subirait les conséquences à travers moi.

 

Je remerciais Edna pour ces précieuses informations, et prenais congé. En sortant de son cabinet, j’étais en proie à mille questions. L’angoisse ressentie par Edgar au téléphone, son revirement quant à sa demande de venir le voir, une fois parvenu à sa loge… C’était du au fait que ce soir-là Edgar avait voulu me dire la vérité sur Charlie. Mais ce dernier avait eu connaissance de la trahison de son « maitre », et mon retard lui a permis de mettre les choses au point avec Edgar. D’où son changement d’attitude quand je suis arrivé. Dans le même temps, je repensais aux paroles d’Edna concernant les « actes » demandées en retour des services de l’entité à l’intérieur de Charlie. J’étais au courant de morts mystérieuses ayant profité à l’ascension d’Edgar dans le milieu de la ventriloquie. L’une concernait l’un de ses collègues qui devait faire un show au sein d’un grand palace, à Las Vegas. Un endroit très prisé, qui avait la réputation d’avoir un public composé de grands producteurs de cinéma et de télévision parmi ses clients. Un spectacle en son sein pouvait assurer d’être vu par eux, et obtenir un éventuel contrat en or.

 

Edgar savait cela, et il avait demandé à l’époque de faire partie du prochain contrat d’exclusivité, portant sur plusieurs soirs de représentation. Le palace avait dû refuser la demande d’Edgar, car l’un de ses collègues avait déjà signé un contrat. Et les dirigeants du palace jouant sur la diversité des spectacles offerts, il aurait fallu pas mal de temps avant de proposer à nouveau à un ventriloque d’être la star des soirées du palace. Cependant, le ventriloque qui devait faire ces shows exclusifs a été retrouvé mort chez lui. Pendu au lustre de son salon. Du coup, la direction du palace est revenue vers Edgar pour le remplacer. Ce fut le début de son premier contrat avec un des dirigeants d’Universal. Plusieurs journalistes se posèrent la question sur la mort du ventriloque. Celui-ci était loin d’être dépressif, heureux en couple. Rien qui pouvait laisser présager de son acte. Et en y réfléchissant bien, d’autres faits curieux entouraient le succès fulgurant d’Edgar et Charlie. D’autres morts, des « accidents » étranges ayant conduits à la perte d’un bras, ou d’une jambe de la part des malheureuses victimes. Toutes auraient dû avoir des contrats à la place d’Edgar, ou avaient eu des mots violents avec lui.

 

Des journalistes, des réalisateurs, des directeurs de théâtre véreux… Autant de victimes, dont l’origine de leur malchance se trouvait dans leur relation avec Edgar et Charlie. J’avais du mal à croire qu’Edgar soit devenu un meurtrier. De ce que m’avait dit Edna, les entités placées dans les objets selon un rite vaudou, n’agissaient pas par elles-mêmes. Elles avaient besoin d’un « maitre », ou plutôt un esclave, pour opérer à leurs pulsions meurtrières. Elles se plaisaient à répandre le mal, où qu’elles se trouvent. Elles prenaient le prétexte d’obstacles à éliminer pour que leur « maitre » puisse accéder au succès promis, afin que ceux-ci obéissent à leur désir de mort. Une manière pour elles de ne pas se salir les mains directement, et éloigner tout soupçon, en faisant en sorte que les morts dont elles sont la cause, par l’intermédiaire de la personne sous leur coupe, donnent l’impression d’accidents tout à fait banals. Cela faisait partie de leur mode de fonctionnement, et éviter d’attirer l’attention de manière trop prononcée sur leurs « maitres ».

 

Cependant, malgré ces informations, comment décider Edgar à tout abandonner : sa gloire, ses shows et tout le reste, dans un souci d’humanité et de remise en question sur ses actes, pour obéir à une entité dont le seul plaisir était d’étendre la mort autour de l’esclave qu’était devenu Edgar ? Je connaissais suffisamment mon ami pour savoir qu’il ne renoncerait jamais à ce qui représentait toute sa vie. Je me retrouvais coincé entre le désir d’aider Edgar à sortir de ce carcan infernal, en détruisant Charlie et ce qu’il contenait, bien que ne sachant pas encore comment faire, et prendre le risque de le voir me haïr pour ça. Détruire Charlie, à ses yeux, serait pris comme la pire des trahisons, et jamais il ne me pardonnerait pour ça. Cependant, c’était la seule solution si je voulais libérer Edgar de l’emprise de Charlie, quitte à devenir un paria pour lui, en ayant brisé sa carrière. J’aurais beau lui dire que c’était son talent qui avait fait de lui ce qu’il est devenu, et non pas cette entité cachée en Charlie, je savais très bien qu’il ne m’écouterait pas. Edgar pouvait être très têtu sur tout ce qui concernait sa passion de la ventriloquie, et le succès qu’il avait forgé autour. Et Charlie faisait partie de cette équation. Jamais il ne renoncerait à lui, même pour sauver sa propre âme de la condamnation éternelle pour ses actes.

 

Pendant des années, j’ai cherché la solution idéale. J’ai vu la gloire d’Edgar grossir au fil des années, sans jamais dépérir. Mais aussi l’angoisse ressentie par Frances, son épouse, ainsi que sa fille Candice. En grandissant, celle-ci avait finie par accepter que le fait d’avoir vu marcher Charlie n’était que des rêves d’enfant. J’ignore comment, mais je pense qu’Edgar a eu vent des propos de Candice, concernant Charlie et ses petites virées nocturnes. Et qu’il a demandé à ce dernier de faire preuve de plus de prudence au sein de sa maison. Je supposais que Charlie, ou plutôt l’entité à l’intérieur, avait besoin de se dégourdir les jambes de temps à autre, et que cela lui était difficile à accomplir dans les studios de cinéma, à la radio, ou pendant les tournées. Frances m’a avoué qu’Edgar faisait régulièrement des sorties entre amis, jusque tard dans la nuit, pour se remettre de la pression. Elle avait toujours eu confiance en lui, et à aucun moment n’a pensé que ces virées avaient une autre fonction que ce qu’Edgar lui disait. Ces sorties, c’était pour permettre à Charlie de ne pas s’ankyloser, et se déplacer librement, loin de tout regard, et ainsi éviter que Candice soit à nouveau témoin de ses marches nocturnes.

 

D’autant que ces sorties sont apparues peu de temps après la naissance du deuxième enfant du couple, Kris. Le risque que son fils voit aussi Charlie marcher était trop grand, et il avait dû mettre en place ce stratagème, afin d’anticiper à tout nouveau souci de cet ordre. Avec le temps, j’ai trouvé le moyen de détruire Charlie, mais je n’ai jamais trouvé le courage de le faire du vivant d’Edgar. A deux reprises, je me suis retrouvé face à ce maudit pantin, en l’absence d’Edgar, lui demandant d’arrêter de tourmenter mon ami, en lui faisant commettre des atrocités à sa place. Je n’ai eu pour réponse que des paroles blessantes, des menaces même, concernant Candice et Kris si je cherchais à nuire à la relation qu’il avait avec Edgar. Alors, par peur, par amitié, par lâcheté, j’ai renoncé. Jusqu’à ce que celui avec qui j’avais forgé le plus solide des liens finit par rompre avec Charlie. De manière définitive. Devant mes yeux. C’était lors d’une autre tournée, à Las Vegas. J’avais voulu faire une surprise à Edgar, en lui apportant quelques friandises dont il raffolait, pour fêter la fin du tournage de son dernier film.

 

C’était le tout premier film cinéma d’une autre institution aux yeux de milliers d’américains : celui des Muppets. Edgar avait été invité à participer à cet évènement. Une sorte de transition entre deux époques de marionnettes. Pour Edgar, c’était un grand honneur de faire partie de la distribution de ce film. Et je voulais qu’on fête ça ensemble. Mais quand je suis arrivé à la loge, j’ai entendu une grande dispute. Je reconnaissais la voix de Charlie, et j’ai pensé au pire. Alors, sans hésiter, j’ai ouvert en grand la porte, pénétrant dans les lieux. J’ai vu Charlie, debout au milieu de la pièce, face à un Edgar semblant très énervé. A mon arrivée, Charlie s’est adressé à moi, me disant que je tombais bien, car justement j’étais au centre de leur discussion. J’ai demandé à Edgar quelle horrible chose Charlie lui avait demandé. Celui-ci semblait choqué de voir que je ne semblais pas surpris de voir son pantin bouger et s’exprimer comme un être vivant. Je lui avouais que j’étais au courant depuis bien longtemps, tout comme les actes qu’il avait fait à la demande de Charlie. Avec tout son machiavélisme, ce maudit pantin confirmait mes paroles.

 

Je rajoutais que j’avais tenté à plusieurs reprises de l’avertir, en usant de subterfuge pour ne pas avouer que je connaissais son secret, par crainte de répercussions de Charlie sur Candice et Kris, par suite des menaces de la marionnette sur eux. Entendant cela, Edgar semblait exploser de colère, après m’avoir observé de longues secondes, et fonçait sur Charlie, portant ses mains sur la gorge du pantin de bois. Je n’osais rien faire, mes membres se raidissaient à la vision d’Edgar vouloir mettre fin au cauchemar. J’étais comme bloqué mentalement et physiquement. Charlie riait au contact des mains d’Edgar, sachant pertinemment que cela n’aurait aucun effet sur lui. Il se permit même de le narguer en lui disant que s’il endommageait trop le pantin, il se trouverait un autre corps à posséder. Et qu’il opterait peut-être cette fois pour un corps humain. En me désignant de la tête. A ces mots, Edgar redoublait de violence, frappant des poings sur le visage de la marionnette qui riait de plus belle, puis faisant cogner sa tête sur un miroir, brisant ce dernier en des dizaines de morceaux, dont je reçus quelques éclats, et causant de petites coupures sur le coté du visage.

 

Charlie riait encore plus fort, disant à Edgar qu’il ne le détruirait pas comme ça. Son corps de bois, par sa présence à l’intérieur, ne pouvait subir de coups. Et en effet, malgré la rage d’Edgar pour briser le pantin, aucune marque, quelle qu’elle soit, n’apparaissait sur le visage hilare de Charlie, ni même son corps. Je ne sais pas si c’est cette constatation qui causa la suite, ou le simple fait de la fatigue de son vieux corps, ni même d’une action de Charlie lui-même, ayant échappé à ma vue, mais Edgar s’effondrait d’un coup sur le sol, se tenant les mains sur la poitrine. En le voyant immobile, alors que Charlie riait de satisfaction, je sortais de ma torpeur, et je me dirigeais vers mon ami agonisant, se tenant toujours la poitrine. Son visage blêmissait à vue d’œil. En me voyant, il me souriait, en me demandant péniblement de veiller sur Frances et ses enfants, et de ne surtout pas leur dire la vérité sur Charlie. Il ne supporterait pas d’apprendre qu’il avait été un meurtrier au service d’un pantin.

 

Je lui promettais bien évidemment. Edgar, que je devinais être au prix d’un terrible effort, me disait ces simples mots, avant de fermer les yeux, succombant à l’arrêt de son cœur : « Merci » … Je pleurais à torrent, dévasté par la mort d’Edgar. Il avait fallu que Charlie lui demande de me tuer, car je devenais trop « gênant », pour qu’Edgar finisse par comprendre que ce pantin diabolique ne méritait pas toutes les monstruosités qu’il avait faites à sa demande, juste pour qu’il continue à vivre son rêve de grand ventriloque. C’est pendant que j’étais affalé sur le corps sans vie de mon ami que Charlie me mit au courant de la raison de leur dispute auquel il avait assisté. Il eut même le culot de me dire que c’était mieux comme ça. Qu’Edgar s’était ramolli ces dernières années. Il était de plus en plus réticent à exécuter les petites missions qu’il lui demandait. Je me relevais, faisant face à cette face de bois qui venait de me priver d’un ami cher. Par sa faute une femme aimante devenait veuve, ses enfants allaient pleurer sa disparition. Charlie me répondait qu’il s’en moquait : il n’était pas humain, alors toutes ces petites choses insignifiantes faisant partie de la vie familiale lui étaient totalement indifférentes.

 

A ce moment, il rajoutait qu’il s’était bien amusé avec Edgar. Maintenant, il allait s’endormir quelques temps, quelques années, peut-être, le temps qu’il faudrait pour qu’un autre abruti daigne obtenir lui aussi le succès qu’il pense avoir droit, pour un talent futile. Et si cela devait durer des siècles de sommeil, qu’il en soit ainsi. Le temps n’avait pas la même importance pour un être tel que lui. Il viendrait forcément un moment où il aurait un nouvel esclave avec qui jouer. A peine avait-il fini cette phrase que je voyais le pantin qu’était Charlie s’affaisser et s’étaler sur le meuble où il s’était installé. Quelques minutes plus tard, plusieurs employés, alertés par les bruits venant de la loge, arrivèrent sur place, voyant le corps inanimé d’Edgar sur le sol. Je leur expliquais qu’il venait d’avoir une crise cardiaque pendant que nous discutions. M’interrogeant sur les bruits, je leur indiquais qu’Edgar semblait pris de panique des douleurs ressentis, et s’était mis à cogner les meubles. Les blessures constatées par la suite par le coroner appelé, confirmèrent mes dires de marques de coups violents portés sur une surface dure.

 

 

Les années passèrent, et ma culpabilité s’accentuait. J’ai demandé s’il était possible de récupérer Charlie, mais Frances s’y opposa. Ce pantin, c’était la chose la plus importante de la vie de son défunt mari, et sa place était dans un musée. Afin que le souvenir d’Edgar, de son œuvre, perdure à jamais. Je ne pouvais pas m’opposer à cette décision, car elle était tout à fait légitime. Charlie fut donc envoyé au Smithsonian Institute de Washington, dans la section dédiée aux pantins et marionnettes de tout ordre, ayant marqué l’histoire de l’Amérique. J’ai tenu ma promesse faite à Edgar : j’ai veillé sur Frances, prenant régulièrement des nouvelles d’elle. Que ce soit par téléphone, ou en me rendant à son domicile. Parlant de qualités et défauts d’Edgar, de petites anecdotes faisant la joie de Candice et Kris, mais en évitant d’évoquer Charlie.

 

Frances m’avouait que si elle m’avait refusé de me céder ce pantin, c’est parce que celui-ci avait brisé une grande partie de la vie d’Edgar, et en tant que grand ami de la famille, elle refusait que je subisse le souvenir de ça en le voyant chaque jour chez moi. Alors, elle avait usé d’un faux prétexte pour le soustraire à ma vue, tout comme à la sienne et ses enfants. Elle m’avouait aussi qu’elle préférait savoir Charlie loin d’eux, car cette marionnette, sans qu’elle puisse vraiment l’expliquer, lui avait toujours provoqué un malaise quand elle se trouvait près d’elle. Je ne pouvais pas lui dire combien elle avait raison, mais oui : Charlie était bien mieux hors de leur vue.

 

Comme je vous l’ai dit plus tôt, j’ai trouvé par la suite comment détruire Charlie. Ou plutôt l’entité en sommeil à l’intérieur. J’ai dû user de méthodes un peu « brusques » envers Edna, pour la forcer à m’avouer de quelle manière procéder. Elle ne voulait pas m’indiquer ça au départ, de peur que je fournisse cette technique à d’autres de ses clients. Si trop de monde savait comment mettre fin à la relation entité/clients, la réputation de son entreprise pourrait en pâtir. J’acceptais de me taire sur ce point. Et on en revient au début de ce récit. Au moment où je me prépare à pénétrer au sein du Smithsonian Institute, et m’emparer de Charlie. J’ai loué une petite maison où je pourrais procéder à la dissociation du lien entre l’entité et le pantin de bois, et au renvoi de la même entité dans la dimension d’où elle vient. Je n’ai pas tout compris à ce que m’a dit Edna, mais ces entités ne peuvent pas être détruites à proprement parler. Elles sont indestructibles. 

 

La seule manière de s’en débarrasser est donc de les bannir de la dimension terrestre. Et le rituel qu’elle m’a fourni, avec un onguent spécial à appliquer sur l’objet où est enfermé l’entité sert à faire repartir cette dernière à son origine. Par sécurité, il est préférable de détruire aussi l’objet, une fois le rituel accompli. Il peut arriver que, même expulsé, il reste des traces infimes de l’énergie qui était contenu dans l’objet. Au bout de plusieurs années, ou siècles selon les cas, ces « morceaux » grossissent, se rassemblent, et forment une sorte de « clone » autonome de l’entité de base, avec les mêmes capacités, et la même propension à utiliser des humains comme « petits toutous », prompts à obéir à leurs pulsions, en échange de leurs services. Une fois débarrassé de son hôte, je brûlerais donc Charlie, le pantin. Afin d’être sûr qu’il ne causera plus jamais le moindre mal à quiconque.

 

Si vous entendez parler d’un vol étonnant au Smithsonian Institute de Washington, et concernant le pantin le plus célèbre de la ventriloquie, vous saurez donc que j’ai réussi la première partie de mon plan. Ce journal, à l’heure où je l’ai écrit, est le témoignage de ce que j’ai vu et vécu concernant Charlie. Si après ces lignes vous ne voyez pas de précision au sujet de l’expulsion de l’entité à l’intérieur de la marionnette, c’est parce que j’aurais échoué et réveillé l’entité. Et que Charlie se prépare à refaire parler de lui…

 

Publié par Fabs