21 mars 2023

FAUSSES APPARENCES

 


On a souvent tendance à dire que tout le monde porte un masque, afin de cacher sa vraie nature, ses véritables penchants. Et quoi de mieux que le jour du Mardi Gras, dont le défilé de char de notre ville constitue le clou du spectacle, pour se dissimuler encore plus aux yeux de tous, utilisant d’autres masques, afin d’assouvir des plaisirs qu’on n’ose pas montrer au grand jour habituellement, et faisant suite à un mois de Carnaval. Ce jour, encore plus que les jours précédents, où les excentricités de tout ordre sont autorisées, nous fait devenir quelqu’un d’autre, et fait partie des priorités de la fête. On se glisse dans le costume de personnages divers et colorés, de figures célèbres de l’histoire, de BD, de contes, arborant des maquillages représentant des icônes du folklore fantastique, jusque tard dans la nuit. Ce jour où chacun montre un autre visage de soi, nimbés dans les lumières parsemant les rues et les chars, au rythme de la musique festive s’invitant même dans les maisons, et faisant danser toutes les classes d’âge aux fenêtres.

 

Un jour où la joie se lit sur les lèvres pour des dizaines, des centaines d’enfants et d’adultes à travers la ville, mais aussi dans des dizaines d’autres, le Mardi Gras occasionnant de multiples fêtes sur tout le territoire américain, au rythme des groupes musicaux, des artistes et stars de la TV, du cinéma et autres. Mais il existe aussi des situations où certaines personnes se cachent derrière d’autres façades, et craignent le faste du Mardi Gras, sa chaleur, sa frénésie. Car cette journée de fête pour nombre d’entre nous qui aimons ce qu’elle représente, peut-être synonyme de crainte pour d’autres. Pouvant divulguer une vérité que tout un chacun n’est pas forcément prêt à voir et entendre. C’est ce type de situation que j’ai vécu. Je vous rassure : je ne suis pas ce type de personne que j’ai évoqué jusqu’à maintenant. Mais j’ai découvert le vrai visage de l’un d’entre eux. Après que celui-ci a réussi à nous tromper tous, nous les habitants de ce petit quartier tranquille de notre ville de La Nouvelle Orléans. Ou plutôt celle-ci, car il s’agit d’une femme. La plus insoupçonnable de notre quartier…

 

Pour que vous compreniez la situation, il faut savoir que notre quartier est régi par une association, qui assure des fonctions diverses pour le bien-être de tous. Cela va de l’organisation de fêtes conviviales, où tout un chacun est convié, à celui d’entraide entre voisins pour des tâches de tout ordre. Que ce soit pour des procédures administratives, judiciaires, des conseils dans des domaines aussi variés que le jardinage, la mécanique, l’entretien des boiseries, la manière de colmater une fuite d’eau au sein de sa cave. Ainsi qu’un système de surveillance, envers qui n’importe quel habitant du quartier peut faire appel, en cas de soupçons d’actions malveillantes sur une personne en particulier, et pouvant nuire à la tranquillité et la sécurité de tous. Au sommet de cette association, que l’on désigne plus familièrement sous la désignation de Comité de Lower Garden District, le nom de notre quartier, il y a Candy Nox.

 

Une femme extraordinaire, le cœur sur la main, toujours prête à sacrifier ses propres plaisirs, ses moments de détente, pour venir en aide à tout ceux ayant besoin de ses paroles rassurantes, de ses conseils avisés, de son accompagnement dans des moments difficiles, tels qu’un enterrement, ou une visite à l’hôpital pour un proche. Depuis 12 ans qu’elle officie au sein de ce comité, je l’ai toujours vue comme une présidente aimée et appréciée de tout un quartier, pratiquement l’équivalent d’une sainte. Toujours souriante, arborant des tenues impeccables, et, j’ai honte de le dire, car étant marié à une femme fabuleuse, terriblement sexy. Mais je ne suis pas le seul à avoir de telles pensées pour elle. C’est un peu le cas de tous les hommes du quartier. Surtout qu’elle est une éternelle célibataire. Et pour autant, ça n’a jamais été un sujet de conflit pour les épouses des maris, se mettant presque au garde à vous à chaque apparition de Candy. Car elles aussi étaient sous le charme de cette presque déesse de notre quartier. La sécurité de tous a toujours été sa priorité absolue, comme une mission. Et si je vous disais le nombre de fois que nous l’avons vu faire tomber le masque de personnes que l’on n’aurait jamais soupçonnées de rien, vous seriez surpris.

 

Un peu comme Mme Solbestein. En apparence, cette dernière se présentait sous la forme d’une dame âgée, bien sous tous rapports, mais dont les habitudes étaient surprenantes. Comment vous dire ? Il y avait comme un mystère qui était autour de cette vieille femme, qui sortait rarement de chez elle, mis à part pour s’occuper de son jardin. Nombre de fois, Candy lui a proposé de participer à des petites sessions d’activités, au sein de la maison de membres du Comité, comme elle en organisait une fois par semaine. Des activités pouvant aller de réunions pour présenter des cosmétiques, des boites tupperware, des jeux de société, ou simplement pour papoter entre femmes. Mais Mme Solbestein n’a jamais voulu participer à cela. Indiquant que ça ne l’intéressait pas. Elle préférait ses propres activités, qui ne pouvaient être comprises.

 

Des propos qui furent relayés par Candy à nombre d’entre nous, et qui furent le déclencheur de la méfiance portée sur cette vieille dame. Des lumières étranges étaient parfois vues, sortant de son grenier, ou de son salon, filtrant à travers les volets épais de ses fenêtres, en pleine nuit. L’épaisseur de ces volets, au contraire de ceux de toutes les autres maisons du quartier, faisaient se poser des milliers de questions sur ce que cette vieille femme pouvait bien faire au sein de sa maison. Des rumeurs de sorcellerie firent vite le tour du quartier. D’autant que ses activités nocturnes augmentaient à l’approche de Mardi-Gras. Et c’est durant cette période qu’étaient constatées des morts très étranges. Cependant, il n’y avait pas que pendant Mardi Gras que des corps étaient trouvés dans les alentours. C’étaient toujours des enfants, et les morts s’accentuaient dès que l’on s’approchait de ce jour. Candy trouvant l’attitude de Mme Solbestein suspecte, et pensant qu’il y avait une relation entre elle, ses activités de nuit et la vague de morts se trouvant dans un périmètre proche de sa maison, elle fit son enquête.

 

 Et un soir, elle demandait à une petite équipe « spéciale » qu’elle avait formée, dont je faisais partie, de découvrir une fois pour toutes ce que tramait cette vieille femme, qui était peut-être une meurtrière. C’était la veille de Mardi Gras. Nous étions 4, en plus de Candy, et nous nous sommes introduits discrètement dans son jardin, passant par la porte arrière de sa maison, que Candy savait ne pas être fermée la nuit. Un élément qu’elle avait constaté au cours de sa petite enquête personnelle, pour anticiper l’action de notre équipée, et découvrir le secret de Mme Solbestein. Après être entrés au sein de sa demeure, nous avons surpris cette dernière en pleine séance de sorcellerie. Un pentagramme était dessiné au sol, à l’endroit où habituellement un tapis se trouvait. Toujours selon les propos indiqués par Candy, la seule à avoir eu l’occasion de parler de près avec la vieille femme.

 

Des bougies étaient disposées à chaque branche. Ainsi que le corps ensanglanté d’un poulet. Mme Solbestein portait dans ses mains une sorte de dague. Vous savez, un peu comme celles qu’on utilise dans les films d’horreur traitant de sacrifice. Candy fut la première à s’avancer en courant, nous demandant d’encercler la femme, afin qu’elle ne s’échappe pas. Il ne fut pas difficile de la maitriser. Sur le pentagramme, nous découvrions également des objets divers. Des bracelets, des colliers en plastique, des chaussettes, des gants... Pendant que deux d’entre nous appelaient la police, après avoir attaché celle qui s’était avéré être une vraie sorcière, Candy et moi nous découvrîmes dans d’autres pièces des choses plus… macabres. Des doigts ensanglantés, coupés depuis peu, figuraient dans une petite boite, dans un tiroir de la commode de sa chambre. Il y avait aussi une fiole contenant du sang. Plus tard, nous trouvions, dans le congélateur, des organes cachés dans des sacs alimentaires, au milieu d’autres, et contenant des cœurs, des poumons, des foies… C’était un spectacle horrible. Et je dois avouer que tout le monde fut soulagé quand la police est venue peu après, emmenant avec eux la vieille femme, qui se laissait faire, sans rien dire, résignée. Cette nuit-là, j’ai très mal dormi, repensant sans cesse à ce que nous avions découverts.

 

Le lendemain, jour du Mardi Gras, Candy m’avertissait que la police l’avait appelée. Lui disant que les organes trouvés chez Mme Solbestein, correspondaient à ceux manquant sur les corps d’enfants qui avaient été découverts aux alentours depuis plusieurs mois. Elle me disait aussi que cela l’avait fatigué, et qu’elle avait laissé le soin de demander à d’autres membres du Comité de s’occuper de l’organisation du Mardi Gras cette année. Qu’elle ne se sentait pas la force de faire la fête après ce qu’on avait découvert. Ce que je pouvais comprendre. Néanmoins, cela me peinait de savoir Candy rester seule, à l’écart de la fête. Je décidais de me rendre chez elle, afin de lui apporter un peu de compagnie, et aussi la réconforter, après notre découverte éprouvante de la veille. J’en avais parlé à mon épouse, et elle m’avait donné son consentement. Pendant que tout le monde fêtait Mardi Gras dans les rues, je me dirigeais donc vers la maison de Candy, et entrait. Celle-ci n’ayant pas répondu après que j’ai sonné plusieurs fois à la porte d’entrée.

 

C’était la première fois que j’entrais chez Candy à dire vrai. Je me sentais un peu gêné de cet acte. Mais elle faisait tellement pour nous tous, que je trouvais normal que pour une fois, ce soit elle qui soit le centre d’attention de l’un d’entre nous. Il y avait une impression bizarre pendant que je marchais au sein de la demeure. Une oppression semblant venir de l’atmosphère. J’appelais Candy, mais celle-ci ne répondait pas. Je doutais qu’elle se fut endormie, vu que je venais de l’appeler il y avait à peine un quart d’heure. Je continuais mon avancée, sentant s’accentuer, au fur et à mesure que je m’avançais dans le salon, cette impression étrange qui se dégageait tout autour de moi. Je voyais de la lumière venant de la salle de bains. Je l’appelais encore, afin de ne pas la trouver dans une tenue qui ne pourrait que m’embarrasser, plus que je ne l’étais déjà. Mais je ne recevais toujours aucune réponse. Alors je continuais, et pénétrais dans la pièce où je pensais que Candy se trouvait. Et… Comment dire ? Je… Je ne m’attendais vraiment pas au spectacle qui s’offrait à moi… En face de moi, me fixant comme si j’étais de la viande à découper, je voyais Candy. Enfin, une partie d’elle seulement. Elle s’était en partie transformée en une sorte de créature à la peau écailleuse, la moitié de son visage comportait la même texture. Son œil droit ressemblait à ceux d’un crocodile, ou d’un serpent. De la peau humaine gisait au sol. Comme s’il s’agissait d’un costume dont elle s’était dévêtue. Je la vis arracher le reste de peau de son visage, finissant de montrer sa véritable apparence.

 

 Elle s’approchait de moi, le pas lourd, me fixant toujours. Malgré la peur, mon instinct me fit prendre en main un canif que je portais toujours à ma ceinture. L’une des mesures sécuritaires imposées par Candy elle-même, lors de nos rondes du quartier. Elle se jetait alors sur moi, et je brandissais la lame juste devant, fermant les yeux. J’entendais alors un bruit sourd. Celui d’un corps tombant au sol. Je rouvrais les yeux, et voyais le monstre qui avait été Candy agoniser, la gorge transpercée, son sang, d’un vert presque fluorescent, coulant sur le carrelage. Profitant de mon aubaine, je courais à vive allure dans la maison, sortant au-dehors.

 

Le lendemain, après que, remis de cette expérience, j’eusse appelé la police, exposant mon incroyable découverte, des agents du FBI vinrent à la maison. Ils me firent signer un document où j’acceptais de ne rien dire de ce que j’avais vu concernant Candy. Ils m’apprirent que celle-ci n’était pas la Candy que tout le quartier connaissait. La vraie Candy, enfin son corps, avait été retrouvée dans le jardin, enterré très profondément, au pied d’un pommier. Le FBI supposait que cette créature avait pris sa place il y avait déjà un an de ça. Cela correspondait au moment où ils avaient perdu la trace de ce qu’ils appelaient un reptilien. Des créatures pouvant prendre une apparence humaine, mais dont la véritable forme, sans qu’ils sachent pourquoi, se révélait le soir de Mardi Gras. L’excuse de la fatigue venait du fait qu’elle savait que sa nature allait être révélée, si elle se montrait aux festivités.

 

La fausse Candy était au courant que Mme Solbestein avait découvert sa vraie identité. Cette dernière était vraiment une sorcière, et si elle possédait des objets des enfants, qu’elle connaissait tous, c’était pour trouver des preuves, par l’occultisme et le vaudou, que Candy n’était pas ce qu’elle semblait être. En revanche, les organes dans le congélateur et ailleurs avaient dû être déposées par la créature, afin de la faire accuser des meurtres, et ainsi l’empêcher de révéler la vérité. Cette même vérité que j’avais apprise, parce que j’avais voulu donner du réconfort à celle que je pensais être notre Candy qu’on aimait tant. Et qu’on ne verrait plus jamais.

 

Après ça, mon épouse et moi avons déménagés, loin d’ici, selon les conseils des hommes du FBI, qui se chargeraient de nous donner une autre identité, et une nouvelle vie. Je ne verrais plus jamais Mardi Gras de la même façon après cette expérience, revoyant sans cesse le visage de la créature qui avait pris la place de Candy. J’espère qu’un jour, je parviendrais à mettre ça derrière moi, et retrouver goût à Mardi Gras…

 

Publié par Fabs

18 mars 2023

YANDERE

 


On ne sait jamais ce qui se cache réellement dans l’esprit de quelqu’un. Et surtout, ce qui a permis l’implantation de ses désirs, ses pulsions, ses goûts, ses passions… Aussi répréhensibles soit ces éléments qui font la personnalité d’un homme ou d’une femme, quand on aime, on a souvent tendance à faire comme si on n’avait rien vu, rien entendu concernant les secrets inavouables de l’être aimé. Une politique de l’autruche qui peut amener à se rendre complice de situations allant à l’encontre de nos propres convictions sur la valeur de la vie humaine. On sait au fond de soi qu’on ne devrait pas continuer cette relation, que les actes commis par son conjoint, sa conjointe, n’est pas normal. Ils n’appartiennent pas à l’éducation qui est la sienne, soumise à des règles parfois strictes, et où compassion, respect et honnêteté sont les bases mêmes de ce qui fait de nous un être humain.

 

L’amour rend aveugle, dit le dicton. Et ce que j’ai vécu avec Izumi en est la parfaite représentation. Vous connaissez le terme japonais de Yandere ? Ces personnes, souvent des femmes, dont la conception de l’amour se repose sur ses tendances psychopathes ? N’hésitant pas à tuer pour obtenir l’amour désiré, ou pour protéger celui ou celle qu’elle aime, sans se préoccuper le moins du monde des ressentis de la personne qu’elle a choisie comme âme sœur. Seul compte pour elle le bonheur de leur couple, et ce, quel que soit les conséquences. Quitte à éliminer toute personne pouvant menacer cet équilibre amoureux qu’elle juge idéal et sain, selon ses propres dogmes familiaux. Eh bien, Izumi était une Yandere. De la forme la plus dangereuse qui puisse exister.

 

Et quand je l’ai découvert, au lieu de la dénoncer, comme n’importe qui l’aurait fait, j’ai voulu me persuader que ce n’était pas sa faute, qu’elle n’était pas responsable de ses actes, qui n’était destiné qu’à préserver notre relation. Et je l’ai protégée à mon tour. L’aidant à dissimuler les preuves de ses actes sanglants et meurtriers. Mais ce n’était pas le pire. Car j’ai découvert plus tard que ses pulsions de meurtres, usant du prétexte de l’amour pour les relativiser, n'étaient pas véritablement de son fait, d’un désordre psychologique en elle étant né en même temps qu’elle sortait du ventre de sa mère. Quelque part, c’était bien de cela qu’il s’agissait. Mais ces tendances meurtrières ont été élevées avec soin, développées, forgées d’une manière minutieuse. Il y a déjà eu des cas de relation particulière entre une future tueuse et son psychanalyste, dès lors que ses pulsions étaient détectées suffisamment tôt pour espérer être traitées, sans pour autant finir sa vie derrière les murs d’un centre spécialisé.

 

On voit ça souvent dans les mangas. Ou alors, il s’agit d’une rencontre fortuite avec une autre personne ayant les mêmes disponibilités, les mêmes envies de meurtres impossible à contrôler. Une sorte de relation Professeur/élève, pouvant évoluer en couple, et défrayant les chroniques de faits divers des médias de toutes sortes, papier comme numérique. Ce genre de duo à l’épopée sanglante parsèment l’histoire. Tout le monde connait Bonnie et Clyde bien sûr, l’exemple typique de la relation amoureuse ayant conduit au meurtres à grande échelle. Même si, dans leur cas, l’appât du gain et de la liberté était le moteur des morts qu’ils ont accumulés tout le long de leur histoire. Dans le domaine fictif, on pourrait citer aussi le film « Tueurs-Nés » d’Oliver Stone, ou encore « Perdita Durango » d’Alex de la Iglésia. Mais là encore, ce sont des relations ponctués par une forme de rébellion de la société les entourant, et pas d’une envie incontrôlable de tuer par pur plaisir, venant de leurs gênes. Dans le cas des Yandere et d’Izumi, c’est complètement différent. Ses pulsions à elle sont ancrées au plus profond de son être, et elle n’a jamais cherché à les refouler, ou se sentir coupable de les avoir.

 

Bien au contraire. Izumi aimait ce qu’elle était. Elle disait d’elle-même avoir plus de sensation de se sentir vivant que les gens « normaux ». Ça aussi, c’était particulier. Elle savait qu’elle était différente, elle en était consciente, ce qui allait à l’encontre d’une Yandere classique, qui, pour la plupart, ne se rendent pas compte de leur folie. Je me souviens de ses paroles, après que j’ai découvert sa particularité, et que je lui ai demandé s’il y avait une chance qu’elle devienne un jour « normale ». Qu’est-ce que je pouvais faire pour qu’elle se sente mieux en elle ? Sa réponse fut sans appel :

 

- Pourquoi voudrais-tu que je change ? Je me sens bien telle que je suis… Je suis née ainsi… Je suis vivante… Tellement vivante, tu ne peux pas imaginer… Je sais que tu es capable de me comprendre. Comprendre cette lueur de vie qui m’habite. Mon vrai moi. Pas le masque que j’arborais avant devant les autres

 

- Je… Je ne sais pas si j’arriverais un jour à vraiment m’habituer à ça… Tous ces meurtres que tu as commis… Le sourire que tu m’as montré en les évoquant, après notre départ de cette ville où j’ai vécu tant d’années… En parlant de leurs corps mutilés, démembrés parfois… C’est ta conception du bonheur… Mais je ne suis pas encore sûr que je pourrais y adhérer complètement un jour…

 

- Tu le deviendras, j’en suis sûre. Je ne t’en laisserais pas le choix. Nous sommes faits pour être ensemble. Je le sens en moi. Tu es celui que j’ai choisi parmi des dizaines d’autres, car j’ai senti que tu étais le seul qui pouvait accepter ce que je suis

 

Je suis resté silencieux à cette annonce. Un mélange de peur de ce qu’elle était, de culpabilité pour n’avoir pas su déceler le mal en elle plus tôt. J’ai essayé de la comprendre, d’adhérer à son mode de vie. Je me disais qu’après tout, c’était sa vision de l’amour, et que je ne pouvais pas aller contre ça. Je ne pouvais pas lui demander d’aller à l’encontre de sa nature. Tout comme je savais que notre relation serait envahie par le sang, à chacune des contrariétés d’Izumi. La moindre personne m’approchant de trop près, conversant avec moi, et qui, à ses yeux, pouvait comploter contre elle et le couple que nous formions, devenait un ennemi à faire disparaitre. Et j’ai fini par devenir complice de ça… Parce qu’au fond de moi, je l’aimais malgré tout, et je ne voulais pas la perdre. Ce qui arriverait fatalement si je la trahissais, et la dénonçait aux autorités compétentes… A bien y réfléchir, dès le début, notre relation n’avait aucun point commun avec les belles histoires de mes amis, sur fond de dîner aux chandelles, de soirées, ou de rencontres près d’un cadre idyllique, comme un lac, ou une partie de campagne. La nôtre a débuté de manière différente.

 

Vous vous souvenez que je vous ai dit qu’Izumi était une Yandere ? En fait, elle appartenait au départ à une autre catégorie. Une Hikikomori. Une personne s’enfermant chez elle, se cloitrant pendant des jours, des semaines, des mois entiers, pour ne pas à avoir à côtoyer le monde extérieur. Ne sortant que pour des besoins alimentaires ou corporels, afin de ne pas s’ankyloser. Je l’apprendrais plus tard de sa bouche, mais dans le cas d’Izumi, quand elle sortait, c’était uniquement pour assouvir ses besoins de tuer, et calmer ainsi ses pulsions régulières. Avant que je la rencontre, les médias parlaient souvent d’une vague de meurtres dont on recherchait toujours le coupable. Les victimes avaient été trouvées dans des conditions abominables. Chaque corps semblait avoir subi les assauts de quelqu’un qui n’avait plus de traces d’humanité, tellement les lacérations qui les composaient dépassaient l’entendement. Eventrements, énucléations, organes sortis de leur corps, cordes vocales arrachées. Du jamais vu en matière de meurtres dans notre petite ville d’Okayama, à 15 minutes de trajet d’Osaka. Tout le monde se demandait quel monstre pouvait opérer à de tels horreurs. Et, au vu de la force nécessaire pour mettre les corps dans cet état, chacun pensait que seul un homme pouvait être le coupable. Ils étaient tellement loin de la vérité…

 

Ces meurtres étaient au centre de la plupart des conversations, y compris au sein du centre social où je travaillais. L’habitude que j’avais de parvenir à sortir de leur cocon les personnes que l’on me confiait a été déterminant dans le choix de mon patron de m’envoyer là où habitait Izumi. Une demande faite par la mère de la  jeune fille, s’inquiétant que celle-ci ne sortait plus depuis plusieurs mois, et espérait que l’on puisse l’aider à retrouver un semblant de vie. Et surtout vaincre sa peur de sortir. Ce n’était pas la première fois que je me retrouvais à traiter un tel cas. Les Hikikomori étaient courant dans le secteur dont je dépendais. Ce qui était plus inhabituel, c’était qu’il s’agissait d’une fille. En général, cette catégorie de personnes refusant de sortir de chez eux, était plutôt l’apanage des hommes. Du coup, le contact serait sans doute plus complexe qu’à mon habitude. Néanmoins, j’acceptais de m’occuper d’Izumi Naoshita. Le nom de la personne que je devais parvenir à rendre à la vie, selon les termes que nous employions entre collègues. Après avoir pris connaissance de son adresse, je me rendais donc chez elle, où je fus accueilli par sa mère, attendant ma venue. Elle me fit part de ses recommandations concernant sa fille :

 

- Je tiens à vous prévenir qu’Izumi a du mal à parler à des étrangers. Elle ne fait confiance qu’aux membres de sa famille. J’ai fait appel à votre centre en désespoir de cause. Ni moi, ni son frère ne parvenons à lui faire entendre raison. Izumi persiste à ne pas vouloir sortir

 

- Elle s’alimente bien au moins ? Je sais que certains Hikikomori dédaignent parfois la nourriture, contribuant à leur mal-être, et les affaiblissant

 

Minao, la mère d’Izumi me rassurait :

 

- Non, sur ce point-là, Izumi se nourrit parfaitement. J’ai fait appel à une société de livraison de plats. Pour éviter tout contact qui pourrait nuire au mental d’Izumi, les livreurs ont pour consigne de déposer les plats devant la porte, et de signaler leur présence par mail à ma fille. Elle prend grand soin de sa toilette également, et se passionne pour divers arts. Je peux vous dire lequels, si cela peut vous permettre un meilleur contact

 

- Ce serait très utile en effet. Merci de cette initiative, madame Naoshita

 

- Oh je vous en prie : appelez-moi Minao. Nous sommes appelés à nous voir souvent désormais. Pour ma part, vous faites déjà partie de la famille, et je ne vous remercierais jamais assez de vous occuper d’Izumi. Elle est si fragile…

 

- Je ferais de mon mieux, Mad… je veux dire Minao. Soyez en certaine

 

Me souriant, Minao reprenait :

 

- Je vais vous laisser entre vous. Izumi connait déjà votre visage : je lui ai montré sur son ordinateur, en consultant les membres de votre centre, par le biais de votre site web

 

Souriant à cela, Minao précisait un détail :

 

- D’ailleurs, c’est elle qui vous a choisie. Rien qu’en voyant votre visage, elle savait que vous pourriez l’aider…

 

Je me sentais un peu gêné de cette information. Ça me reléguait quasiment à un match d’un site de rencontres, orchestrée par Minao. Mais je gardais pour moi cette impression, sans savoir que c’était exactement le cas. Une rencontre préparée, dont j’étais le centre, à la demande de celle qui allait bouleverser ma vie à tous les niveaux.

 

- Je vais vous laisser discuter entre vous. Si vous avez le moindre souci, n’hésitez pas à m’appeler. Je vous laisse mon numéro. Mais je suis persuadée que vous saurez faire des miracles avec Izumi…

 

Je remerciais Minao de sa confiance, ne pouvant m’empêcher de rougir un peu à cela, et je prenais en main le petit bout de papier qu’elle me tendait, comportant son numéro de téléphone. L’instant d’après, Minao partait de l’appartement, me laissant seul avec Izumi. Je m’approchais alors d’elle, prudemment, afin de ne pas la brusquer. Elle semblait plongée sur l’écran de l’ordinateur situé devant elle, qui diffusait un documentaire sur des cas de meurtriers célèbres du Japon. Sur le coup, j’étais un peu surpris de ce choix de la part d’Izumi. Etait-ce cela les « arts » qui passionnait Izumi dont m’avait parlé Minao ? C’était un peu troublant, pour ne pas dire dérangeant. Je ne m’attendais pas à ce qu’une jeune fille comme elle puisse s’intéresser à des sujets aussi morbides. Mais je ne disais rien, et faisait mine de m’intéresser à la vidéo, afin de nouer un premier contact.

 

- C’est impressionnant. Un peu macabre, mais vraiment intriguant. Il y a longtemps que tu t’intéresses à cela, Izumi. Si tu permets que je te tutoie…

 

Montrant un air surpris, délaissant la vidéo, Izumi levait la tête vers moi. Elle restait de longues minutes à me dévisager, semblant observer chaque parcelle de mon visage. Une situation curieuse et gênante, mais mon métier m’avait appris à me conforter aux habitudes des personnes que je devais aider. Puis, Izumi se mit à poser sa main sur ma joue droite, ses yeux plongés dans les miens. Elle semblait subjuguée par ce qu’elle voyait, me mettant dans une position encore plus inconfortable, car je ne m’attendais pas vraiment à ce type de réaction. Ayant plus l’habitude du mutisme de mes « patients ».

 

- Vous êtes tellement beau… Exactement comme sur le site… Maman avait raison : vous serez parfait

 

Puis, semblant sortir de l’espèce de transe dans laquelle elle semblait se trouver, Izumi s’excusait :

 

- Oh…Je… Excusez-moi…  Je ne voulais pas vous dire ça… C’est tellement gênant… Je vous prie de m’excuser. Mon attitude est indigne d’une jeune fille…

 

Ces simples paroles montraient une éducation très prononcée de la part d’Izumi. Je supposais qu’elle venait d’une famille attachée aux règles de bienséance, et je ne pouvais que lui pardonner son petit écart tactile.

 

- Ce n’est rien, je t’assure… Disons que c’est une prise de contact plus direct que je pensais. Ne t’alarme pas pour ça. Tiens, tu sais quoi ? Si ça peut t’aider à te sentir en confiance avec moi, tu peux me toucher d’autres parties de mon corps. Mais attention : en se limitant aux parties hautes uniquement

 

De par cette autorisation, j’avais déclenché l’étincelle qui entrainait toute la suite de notre relation. Ma naïveté, et la candeur du geste premier d’Izumi sur mon visage, avait eu raison de la prudence et du professionnalisme que j’avais habituellement.

 

- C’est… C’est vrai ? J’ai le droit… de toucher vos mains aussi alors ?

 

- Tout à fait : les mains sont autorisées 

lui dis-je le sourire aux lèvres.

 

Elle bifurquait alors son regard vers mes mains, les fixant comme s’il s’agissait d’un trésor, avant de mettre ses deux mains dessus. Je l’entendais murmurer :

 

- Elle sont si douces… Si chaudes… J’aime vos mains… J’aime les toucher

 

Tout en continuant de les palper, elle relevait la tête, dirigeant à nouveau son regard vers moi

 

- J’ai bien fait de vous choisir… Vous êtes vraiment celui que je recherchais depuis si longtemps… Maman a eu raison de me pousser à vous rencontrer, vous en particulier… Je sais maintenant que nous sommes destinés à un grand avenir vous et moi… Enfin… Toi et moi…

 

Je sais que j’aurais dû user de plus de sévérité à ce moment, la repousser, lui dire que je n’étais pas ce qu’elle pensait pour elle, que j’étais là pour l’aider à aller mieux, mais pas de cette manière. Mais son regard était si intense que j’étais comme hypnotisé. Je ne parvenais pas à lui dire non, à lui dire d’arrêter ça. D’un coup, j’avais cessé d’être un travailleur social, mais un simple homme, ne pouvant résister au désir qui émanait d’Izumi. Sans presque m’en rendre compte, elle posait déjà ses lèvres sur les miennes, caressant mes bras de ses mains. Lentement, elle me faisait basculer en arrière, me mettant à sa merci, sans que je parvienne encore à dire non. Je ne saurais pas l’expliquer, mais c’était comme si quelque chose refusait de me rendre à la raison, en repoussant ses avances. Bien au contraire, je me laissais aller au plaisir des sens, la laissant me déshabiller et fusionner avec moi, en l’homme faible que j’étais, répondant à l’appel de la chair, comme tout célibataire qui se trouverait dans une telle situation…

 

C’est ainsi que commençait notre relation. Belle, troublante, envoûtante. Les mots me manquent pour décrire notre histoire d’amour naissante. A ce moment, bien que sachant que je risquais de perdre mon emploi si cela se savait, j’étais le plus heureux des hommes. Izumi était plus jeune que moi de près de 10 ans, mais elle avait une maturité bien plus importante que ne le supposait son âge. Cependant, je savais que je risquais gros avec cette relation. Izumi n’avait que 17 ans, moi 27. Ce qui me mettait dans la position inconfortable d’un pervers incapable de contrôler son propre corps, et ses pulsions. Malgré tout, cette relation contre nature, allant à l’encontre des règles de mon métier de travailleur social, eut un effet bénéfique sur le comportement d’Izumi, à la grande joie de sa mère, à qui je cachais, bien évidemment le lien entre sa fille et moi.

 

Les progrès d’Izumi pour sortir au-dehors étaient fulgurants. Bientôt, je l’emmenais à des vernissages dans des expositions de peinture, lui faisait découvrir le cinéma, et d’autres activités ponctuelles. Afin de ne pas faire soupçonner que ses sorties étaient loin d’être entièrement professionnelles.  J’avais précisé à Izumi de ne surtout pas parler de ce qu’il y avait entre nous à quiconque, y compris sa mère. Elle acceptait sans problème, trop heureuse de me voir de plus en plus régulièrement, et même en dehors des heures où nos sorties étaient vues comme étant des éléments de la thérapie miraculeuse dont profitait Izumi. Le jour de ses 18 ans fut un soulagement pour moi, car étant majeure, je ne risquais plus de me retrouver dans une cellule pour notre relation interdite. Certains de mes collègues n’étaient cependant pas dupes, et s’étaient rendu compte que mon « travail » avec Izumi était plus intime que je ne voulais l’avouer. J’en ai parlé avec Izumi, indiquant que je craignais que mes collègues ne me dénoncent. Même si elle était majeure maintenant, je risquais de gros ennuis avec la justice s’ils demandaient une enquête sur notre relation avant ça.

 

C’est là que tout a basculé. Bien que ne voyant pas les actes d’Izumi quand je n’étais pas là, l’obligeant à suivre ses instincts de meurtres, au gré de prétextes familiaux pour ne pas que je vienne certains jours ou nuits, je m’étais rendu compte de certains faits curieux. Pas seulement d’Izumi, mais aussi de la constitution particulière de l’appartement où elle vivait. Le salon, la salle de bains, la chambre étaient toutes dotées de revêtement d’insonorisation, comme on en voit dans les studios d’enregistrement pour les idoles japonaises faisant partie de mon quotidien, en tant que grand passionné d’artistes de J-Pop. A plusieurs reprises également, j’avais retrouvé de minuscules traces de sang sur le sol, un meuble, ou le rebord du lavabo. Ou encore des cheveux qui n’appartenaient ni à moi, à elle, ou bien sa mère. La seule personne, en dehors de nous deux, que je pensais avoir ses entrées et sorties au sein de cet appartement. J’ai bien tenté de lui demander discrètement si ces cheveux, ce sang appartenait à des amis qu’elle aurait invités sans m’en faire part, mais la réponse était toujours la même :

 

- Tu sais bien que seul toi et ma mère ont accès ici. Jamais je ne permettrais la venue de quelqu’un d’autre ici. Quand au sang, il m’arrive parfois de me couper en m’épilant les jambes. Je n’aime pas utiliser la cire ou d’autres méthodes « douces ». Je préfère le contact de la lame sur ma peau. J’aime sa froideur, la sensation que cela procure. Mais parfois, j’ai tendance à appuyer trop fortement, emportée par mon excitation. D’où quelques « accidents » …

 

Elle semblait me parler de ça avec une telle innocence que jamais il ne me serait venu à l’esprit de penser que ce sang avait une autre provenance. Et puis, il y eut ce jour où Mikumi s’ajoutait à la liste des victimes du tueur insaisissable qui faisait la une des médias depuis plusieurs mois. Le centre fut en deuil. Personne n’imaginait qu’on ne la verrait plus parmi nous. Quelque chose me troublait cependant. Mikumi faisait partie des 3 collègues ayant des doutes sur ma relation avec Izumi. C’était peut-être juste une coïncidence. Je me rattachais à cet espoir. Mais un soir, je trouvais par hasard, une barrette que je savais ne pas appartenir à Izumi, dans la poubelle de la salle de bains. Une barrette comportant du sang. Et surtout le même modèle qu’utilisait Mikumi quand elle venait prendre son service au centre.

 

Deux jours plus tard, ce fut au tour de Satoshi de trouver la mort de la même manière que les autres victimes du tueur. Quelques jours après, Nao se rajoutait au nombre. Piqué par la curiosité et le doute, je parcourais discrètement, en « crackant » les dispositifs de sécurité de leurs ordinateurs, leurs agendas personnels. Et découvrait que le soir de leurs meurtres, ils avaient rendez-vous avec un mystérieux interlocuteur. Il n’y avait pas de nom ou de prénom, pas même un pseudo, sur l’agenda. Ce qui faisait que je n’étais sûr de rien. Mais en me rappelant la barrette tachée de sang, il devenait clair qu’il n’y avait plus de place pour les coïncidences. Mikumi, Satoshi et Nao menaçait la relation que j’entretenais avec Izumi, et pouvaient révéler qu’elle avait commencé avant l’annonce officielle que j’avais indiqué de celle-ci, après qu’Izumi ait atteint l’âge de 18 ans, et prononçant la guérison de celle-ci de son état. Et ne justifiant donc plus qu’elle fasse partie de notre suivi. Ce qui donnait une légitimité à notre couple. Là encore, j’ai tenté de parler de ça à Izumi, mais elle l’a très mal pris :

 

- Comment tu peux oser me poser une telle question ? Tu ne me fais plus confiance ? Oui, j’étais au courant de leurs doutes nous concernant, mais ça s’arrête là.

 

Confiant dans ses paroles qui semblaient sincères, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle me mentait, pour que je ne découvre pas qu’elle était la tueuse monstrueuse que la police recherchait. Je ne voulais pas y croire, mais il y avait trop d’éléments allant dans ce sens pour ne pas tenir compte de la possibilité qu’Izumi soit une meurtrière. J’ai découvert autre chose. Avant que je rencontre Izumi, les meurtres étaient espacés entre eux. Des industriels, des musiciens, des artistes pour un grand nombre d’entre eux. On les soupçonnait d’avoir une relation avec une mystérieuse inconnue, malgré leur statut d’hommes mariés pour la plupart. Ou ayant une petite amie officielle. Et un grand nombre d’entre eux avaient été aperçus, à un moment ou un autre, dans le quartier où vivait Izumi. Durant la période où j’étais en pleine phase d’amour naissant avec elle, aucun meurtre n’a été signalé. Comme si le tueur avait pris une « pause ».  Pause qui a repris dernièrement avec les crimes de Mikumi, Satoshi et Nao.

 

Des personnes en lien avec moi et Izumi. Mais dans le lot des victimes, il y avait aussi d’autres cas de figures. Toutes ayant un lien avec l’une des autres morts. Sœurs, mères, prostituées, collègues, amis d’enfance : que des personnes ayant pu découvrir l’identité de la fameuse inconnue de personnes qu’elles connaissaient. Ce qui avait pu signer leur arrêt de mort. Ce n’était pas un meurtrier classique. Les morts visaient des gens pouvant nuire à la relation que l’inconnue entretenait avec les futures victimes. Quand à la mort de celles-ci, on pouvait facilement envisager qu’elle avait découvert ces faits, et avaient voulu la dénoncer, provoquant leur ajout dans la liste de ce meurtrier, qui s’affichait de plus en plus clairement pour moi comme une meurtrière. Une amoureuse n’acceptant pas qu’on perturbe la relation qu’elle avait avec l’homme qu’elle avait choisie. Une forme particulière de Yandere, à mi-chemin avec un Serial Killer.

 

A la suite de ça, ma relation avec Izumi changeait, montrant une jalousie extrême, et me faisant de plus en plus la soupçonner d’être le meurtrier recherché. Enfin, une meurtrière à la force phénoménale, ce qui pouvait expliquer, la police cherchant un homme, qu’Izumi ait échappée jusqu’à présent à la traque. Seulement Izumi ne montrait pas les signes d’une quelconque faculté indiquant une telle force. Semant mon doute sur son lien véritable avec les meurtres. Je n’arrivais pas à imaginer Izumi user d’une telle sauvagerie sur des êtres humains. Mais la suite allait me montrer que je ne m’étais pas trompé sur son implication. Après que j’ai évoqué qu’elle ait pu  jouer un rôle dans le meurtre de mes collègues, parce qu’ils menaçaient notre couple, elle est devenue plus méfiante me concernant. Je sentais être suivi en permanence, l’impression d’avoir des yeux braqués sur moi dans mon dos, surveillant les contacts que j’avais avec d’autres. Plusieurs fois, je me suis disputé avec Izumi, celle-ci m’ayant vu avec une femme, me demandant qui elle était. Ce n’était que des amies, ou des membres de ma famille. Et j’avais beau lui répéter qu’elle seule comptait à mes yeux, elle refusait de m’écouter, persuadée que je la trompais, que je ne l’aimais plus.

 

- Je t’ai vu avec cette femme ! Tu prenais un café avec elle, tu riais quand elle parlait !

 

- Mais enfin, Izumi, tu parles de ma sœur ? Elle vient d’arriver à Okayama, pour quelques jours. Elle est de passage dans la région, et comme ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu, on s’est donné rendez-vous à ce bar ! Qu’est-ce que tu vas chercher ?

 

- Et cette autre avec qui tu parlais à l’arrêt de bus ? C’était ta sœur aussi peut-être ?

 

- Mais enfin, Izumi. Elle ne faisait que me demander le trajet à prendre pour rejoindre le quartier commerçant !

 

Et ces disputes devenaient de plus en plus fréquentes. Mais le pire arrivait par la suite. La jeune femme qui m’avait demandé un renseignement fut retrouvée dans une ruelle quelques jours plus tard, l’état de son corps identique aux précédentes victimes. Et je restais sans nouvelles de ma sœur. Celle-ci ne répondait pas à mes appels. Jusqu’à ce que je voie son corps faire la une des  médias, une semaine après notre dernier contact. En voyant ça, le doute n’était plus permis. Trop de coïncidences. Je décidais de demander de manière plus directe à Izumi si elle était responsable de toutes ces morts le soir-même. Mais cette fois-là, elle n’était pas seule à l’appartement. Sa mère était également présente. Ce qui fait que je n’osais pas parler de mes soupçons à Izumi. Mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit Minao qui me donne une réponse à mes doutes…

 

- Cher Hideki, j’ai comme l’impression que, toi aussi, tu as fortement déçu ma petite Izumi. J’étais pourtant persuadée que tu étais différent des autres. Que tu comprendrais les actes d’amour qu’elle te vouait

 

- Actes d’amour ? C’est une meurtrière ! Tous ces gens tués… Ma sœur…

 

- Ils étaient toutes et tous un obstacle à notre amour. Je ne pouvais pas les laisser gâcher notre belle histoire. Ils devaient mourir pour que nous puissions vivre heureux.

 

- Maintenant, Hideki, je dois te poser une question : aimes-tu vraiment Izumi ? Es-tu prêt à accepter son amour sans conditions, à te fermer aux autres pour vivre pleinement ta relation avec elle, jusqu’à couper les ponts avec ta famille ? De ta réponse dépendra le choix de te réduire toi aussi à un corps sans vie, ou célébrer des noces dans la plus stricte intimité, et faire partie de notre clan… particulier

 

- Je t’en prie, Hideki, dis-moi que tu n’es pas comme les autres. Montre-moi que tu m’aimes vraiment. Je n’ai pas envie de te tuer, de te faire la même chose qu’à ceux qui t’ont précédé, parce qu’ils ne voulaient pas me comprendre. Je t’aime Hideki. J’ai su dès que j’ai vu ton visage sur mon écran d’ordinateur que tu serais enfin celui qui pourrait partager ma vie. Je comptais te dire ce que j’ai fait, mais je voulais être sûre de ton amour. Maintenant, j’ai des doutes. Je crains que tu aies la même réponse que les autres. Tu sais ce qui leur est arrivé. Ecoute ton cœur, et prends la bonne décision.

 

- Ecoute-la Hideki. Tu te demandes sans doute comment une jeune fille frêle comme elle peut avoir une telle force ? C’est en elle depuis toute petite, comme tous ceux de notre clan. Nos ancêtres sont liés au dieu Hachima. Le dieu de la guerre et de la culture. Un lien qui a permis à tous leurs descendants de naitre avec cette force particulière, qui se déclenche face à des contrariétés puissantes. Nous sommes fiers de cela, et nous protégeons les actes de nos enfants. Même quand, comme pour Izumi, ils peuvent avoir des accès de fureur reliés à leur jalousie importante, je le reconnais. Mais Izumi est ma seule fille, et je ne permettrais pas qu’on lui fasse du mal. Alors, dis-moi : quel est ta réponse Hideki ?

 

J’avais l’impression de voir le monde s’écrouler autour de moi. Avais-je vraiment le choix ? Si je refusais, je rejoindrais la liste des victimes d’Izumi, parce que j’aurais refusé son amour, parce que je n’aurais pas accepté sa jalousie maladive et meurtrière. D’un autre côté, je me disais qu’en devenant son époux, en rejoignant son clan, je mettrais fin à la vague de meurtres. Plus personne ne serait en danger d’être massacré pour avoir eu le malheur de dire non à Izumi et sa mère. Alors, la mort dans l’âme, j’ai dit oui, déclenchant la joie de celle qui allait devenir mon épouse.

 

- Tu as fait un bon choix Hideki. Désormais, tu fais partie officiellement de notre clan. Nous allons quitter cette ville maintenant. Tu n’auras pas la possibilité de dire adieu à tes proches et tes amis. Ton départ soudain poserait trop de questions à ton entourage. Une fois sur nos terres, tu prêteras allégeance à Hachima, juste après tes noces avec Izumi. Afin d’offrir la même force qui caractérise les nôtres à vos futurs enfants. 

 

- Merci Hideki ! On va être tellement heureux toi et moi ! Je savais que j’avais bien choisi cette fois !

 

Ainsi, j’ai quitté la ville avec Izumi et Minao, vers ce qui allait constituer ma nouvelle vie, faite d’apprentissage. J’ai écrit ce journal lors d’une étape culturelle d’Izumi, après nos noces, et l’ai caché dans le meuble où, vous qui lisez ces lignes, l’avez trouvé en ce moment. Là où je suis désormais, je n’ai pas d’autre choix que d’adhérer au mode de vie d’Izumi et son clan. De l’amour que je lui montre, dépend ma propre vie, et celle d’autres, au gré de voyages dans d’autres villes, pour satisfaire sa soif de culture. Lors de ces escapades, il me faudra espérer de ne pas attirer l’œil d’autres filles, ou de personnes tentant un contact avec moi, qui lui déplairait. Cela a déjà été le cas, la jalousie et la surprotection d’Izumi n’ayant pas d’équivalent. Il y aura sans doute d’autres morts, c’est inévitable. C’est dans la nature de celle qui va partager ma triste vie de résigné. Minao sera là pour veiller à ce que sa fille échappe à toute forme de justice. Elle me protégera aussi, tant que je montre le même amour qu’Izumi m’offre. Je n’ai pas droit à l’erreur. Prenez ce journal comme une façon de prévenir d’autres que moi. Si vous aussi, vous êtes choisi par une fille du clan Naoshita, ne résistez pas. Il en va de votre vie et de ceux et celles que vous chérissez. Famille comme amis. Acceptez cet amour tel qu’il est. Sanglant et immodéré. De toute façon, on ne vous en laissera pas le choix…

 

Publié par Fabs