29 janv. 2023

ELEVATOR GAME

 


 

Au début, j’ai pensé que l’absence d’Aya était dû au surmenage et à ses nombreuses recherches qu’elle devait faire dans le cadre de sa thèse à me rendre, qui se rajoutait à ses obligations familiales très intenses. J’ai rarement vu une étudiante se donner à fond dans tout ce qu’elle entreprend. En apprenant son train de vie, mon premier instinct a même été de m’inquiéter pour elle. Cumuler autant de tâche telle qu’elle le faisait, ça me semblait presque insurmontable pour une jeune fille de sa corpulence. Mais en fait, Aya était un vrai paradoxe vivant. Frêle à l’extrême, au point que des rumeurs d’anorexie se sont propagés rapidement quand elle a commencé ses études au sein de l’université de Tokyo, et plus particulièrement dans la faculté des arts et lettres. Elle cumulait avec un emploi de serveuse dans un petit bar du quartier de Shinjuku, où elle officiait 4 midis et soir dans la semaine.

 

En plus de ça, elle s’occupait de son petit frère pour pallier l’absence de sa mère, qui se trouvait en soins intensifs à l’hôpital situé au cœur de la même université où elle faisait ses études. Une proximité qui lui permettait d’aller la voir souvent, entre ses cours. Quand elle travaillait le soir au bar, c’était son père qui se chargeait de garder Shinji, son petit frère. Bien que séparé de sa mère, et ne vivant plus au foyer avec cette dernière et Aya, il était resté très proche de sa fille, avec qui il conversait souvent au téléphone, pour se tenir au courant de sa santé. Lui aussi s’inquiétait de son train de vie très lourd. Pour lui, garder Shinji avait un double rôle : cela lui permettait d’avoir la joie d’avoir ce dernier près de lui 4 soirs par semaine, en plus de ses week-ends de garde, une semaine sur deux, obtenu après sa séparation d’avec son épouse, et mère d’Aya. Et en plus, il avait la satisfaction de soulager quelque peu la charge de sa fille. Il emmenait Shinji à l’école le lendemain matin, s’occupait des démarches administratives le concernant le cas échéant, et allait aux réunions parents-professeurs.

 

Une situation compliquée qu’approuvait la mère d’Aya, au courant du rôle de son mari pour Shinji. Bien que leurs différends les ait conduits à cette séparation qui avait fait beaucoup souffrir Aya et Shinji au début, Rina, la mère d’Aya, appréciait cette aide bienvenue. Malgré cette situation, Aya avait une force mentale que je n’avais jamais vu chez aucun autre étudiant de l’université, et gardait toujours le sourire à tout moment. Jamais je ne l’ai vu afficher une mine montrant de la fatigue, ou une lassitude de cette vie trépidante à un haut niveau. Et surtout, elle avait un niveau de culture impressionnant, en plus d’une ambition de carrière déjà planifiée. Oui, vraiment, Aya était un phénomène à elle toute seule, une étudiante hors paire qui était au-dessus de tout le monde parmi les élèves dont je m’occupais, et d’une énergie à toute épreuve. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle puisse un jour disparaitre du jour au lendemain, sans donner signe de vie à quiconque, juste après m’avoir rendu sa thèse. Un travail dont elle était très fière.

 

Je me souviens de son sourire quand elle est venue me l’apporter. Il n’y avait rien dans son attitude qui différait d’habituellement. Rien qui pouvait indiquer un mal-être pouvant expliquer sa disparition. Et je m’interroge toujours sur ce qui a bien pu se passer. Sa thèse portait sur une légende urbaine, le « jeu de l’ascenseur ». Elle voulait se spécialiser dans l’étude de ces mythes propres au 20ème siècle. De ceux qui parsèment Internet de sites en sites, de forums en forums, inondant les réseaux sociaux. Elle était vraiment passionnée par ça, ce qui nous faisait un point commun, étant moi-même féru de ces histoires fictives, mais basées sur des faits réels. Une forme d’expiation de drames humains pour la plupart, une explication de phénomènes que beaucoup attribuait au paranormal. Mais Aya était persuadée que tout était explicable, si on prenait le temps d’analyser toute l’histoire de ces légendes. Nous avons beaucoup disserté sur ça, et quand elle m’a indiqué que cela serait le sujet de sa thèse, je l’ai fortement encouragée. Il y avait des étincelles dans ses yeux quand elle en parlait, quand elle me parlait des ses recherches sur le sujet, et en tant que mentor et professeur, c’était une grande joie de voir autant de passion chez une étudiante. Nous passions beaucoup de temps ensemble au sein de l’université, et je l’ai même accompagné plusieurs fois au chevet de sa mère. Une proximité qui a déclenché des rumeurs d’une complicité plus intime que la normale entre un professeur et son élève. 

 

Heureusement, cela a vite été démenti par Aya, qui était très en colère de ces ragots qu’elle jugeait horribles, né de la jalousie de mes collègues, ne comprenant pas le lien qui unissait Aya et moi. Je la considérais comme une fille, bien plus qu’une simple étudiante à mes yeux, et j’avais tendance, je le reconnais à la surprotéger face aux attaques d’autres étudiants, qui avait du mal à accepter qu’une fille puisse être aussi douée. Un comportement machiste inacceptable au sein d’une université aussi prestigieuse que celle que je considérais un peu comme ma seconde maison. J’admirais Aya, sa détermination, sa patience, son engouement pour tout ce qui avait trait à ces légendes urbaines qui nous liait elle et moi. Sa disparition m’a fait l’effet d’un choc dont je ne me suis toujours pas remis. Pourquoi a-t-elle agi de la sorte ? Je ne parviens pas à m’imaginer qu’elle ait décidé de tout plaquer sur un coup de tête, sans une raison bien préciser pour expliquer son geste. Sans même une lettre indiquant sa décision à son père ou sa mère. J’ai tenté de comprendre avec cette dernière, continuant à lui rendre visite après qu’Aya ne donne plus signe de vie, les raisons qui avait pu pousser cette étudiante modèle à tout laisser tomber, abandonnant ses études, sa famille, son travail. Mais à ce jour, personne n’a de réponses.

 

Le seul élément qui reste pour donner un semblant d’explication, c’est la thèse qu’elle m’a fournie, quelques jours avant qu’elle ne devienne une énigme aussi mystérieuse que les légendes urbaines qu’elle aimait étudier. Cette thèse relatant le fruit de ses recherches approfondies sur le fameux « jeu de l’ascenseur ». Ce rituel qui donne accès, dit-on, à l’Otherside, un autre monde parallèle au nôtre, dans une version plus sombre, et seulement ponctué par la lumière rouge d’une croix au lointain. Et ce en suivant des règles bien précises pour y arriver. Des règles immuables, qui ne donnent pas droit à l’erreur, sous peine de subir des conséquences terribles. Un sujet qui a fait naitre d’autres rumeurs, disant qu’Aya aurait pénétré l’Otherside, et s’y serait retrouvé coincée, sans possibilité de revenir dans notre monde. Des stupidités sans aucun fondements, vu qu’Aya m’a fournie elle-même sa thèse, après avoir effectuée le rituel. Ce n’est qu’après ça qu’elle a disparu, sans laisser de traces nulle part de son existence.

 

Si je voulais trouver des réponses, je savais que je les trouverais dans ces écrits, j’en étais convaincu. Dans cette thèse se trouvait la raison qui l’avait poussée à partir je ne sais où, à cause d’un évènement survenu lors des nombreuses phases du jeu de l’ascenseur, qui aurait mal tourné, et aurait eu des conséquences psychologiques suffisamment graves pour qu’elle décide de disparaitre. Pour comprendre, il me fallait lire cette thèse avec attention, sans négliger le moindre détail pouvant m’éclairer, et qui donnerait un sens à son absence auprès de sa famille, aussi soudaine qu’inexplicable. J’ai d’abord survolé cette thèse, et ce que j’y ai découvert a bouleversé la vision que j’avais sur les légendes urbaines et leurs origines, sur l’existence de cet Otherside, sur la réalité du paranormal dans notre monde. Après ça, je me devais de partager mes découvertes, en postant mes conclusions, après l’avoir lu en même temps que vous allez l’écouter, en récitant la thèse d’Aya, sur le blog que vous êtes en train de lire actuellement. Car, non, ce n’est pas une affabulation. Tout ce qui est décrit dans les lignes écrites par Aya, je sais que c’est la vérité. J’en suis persuadé.

 

Je la connais trop bien pour imaginer un seul instant qu’elle ait pu inventer tout ce qu’elle décrit. Quant à l’absorption de produits stupéfiants, ce n’est même pas envisageable. Je vous l’ai dit : je considérais Aya comme ma propre fille. Et je sais qu’elle me considérait bien plus que comme un simple professeur, de l’aveu de sa propre mère, au fil de nos discussions, après qu’Aya ait disparu. Nous partagions de nombreux secrets l’un et l’autre, et si elle avait pris une quelconque drogue, je sais qu’elle ne me l’aurait pas caché. Et de toute façon, je l’aurais vu immédiatement. Les attitudes, le regard, sont des choses qui sont difficilement contrôlable par quelqu’un sous influence d’un tel produit. Si Aya avait montré les signes d’une telle dépendance, je m’en serais très vite aperçu, et sa famille encore plus. Non, tout ce que vous allez entendre à travers l’enregistrement audio que je vais entreprendre sous ce préambule, sont forcément la réalité de ce qu’Aya a vu et entendu lors de sa tentative de comprendre le phénomène qu’elle étudiait, au cœur de sa thèse sur les légendes urbaines japonaises.

 

Pour cela, elle n’a pas hésité à effectuer elle-même le rituel, en suivant point par point, ses différentes phases, telles qu’elles sont décrites, et qu’elle a noté, en retraçant l’historique du rituel. De ses origines jusqu’à nos jours. Malgré cette première lecture rapide de son travail, je n’ai pas trouvé de quoi expliquer sa volonté de disparaitre après m’avoir confié le résultat de ses recherches. Mais il est vrai que je ne l’ai pas lu dans les détails, ni même le feuillet final, distancé du reste par un intercalaire. Sans doute avais-je la crainte de savoir jusqu’à présent. Peur d’annoncer une vérité macabre, ou le signe d’une folie dû à ce jeu, à ses recherches, qui ferait tant de mal à sa famille. Je sais, c’est lâche. Et je me dois de réparer cette erreur dès maintenant. En lisant de manière plus précise sa thèse, ainsi que le feuillet final… Mais je me suis déjà trop étalé sur mes ressentis, sur ma relation avec elle et mon rôle. Il est temps de vous lire les lignes écrites par Aya, qui se présente sans doute presque désormais comme une forme de testament, ou son dernier acte de vie. Voici donc le contenu de cette fameuse thèse. Enfin, en tout cas, la partie où elle évoque en particulier son expérience. Le reste n’étant pas lié au jeu de l’ascenseur, il me semblait inutile de le lire, pour une meilleure compréhension de ce qui s’est passé, et pour éviter de vous faire sortir du contexte :

 

« Je me nomme Aya Jirobushi. J’ai toujours été passionnée par les légendes urbaines, leur aura, la fascination qu’elles inspirent, la peur qu’elle suscitent. C’est incroyable de penser qu’à notre époque de science, où tout est explicable, des croyances fortes utilisent différentes formes de mythes, de rituels, ancrés dans les fondements de notre société moderne, faite de métal, de technologie, d’informations numérique, et qu’on puisse encore prêter foi à des croyances qu’on pourrait penser appartenir à une époque révolue. Celle de nos ancêtres qui se servait de superstitions liées à la religion, pour donner une explication à des phénomènes qu’ils ne comprenaient pas. Une époque où les actions d’une bactérie, d’un phénomène météorologique, l’action d’enzymes, de bactéries, de mouvements terrestres, aujourd’hui parfaitement connus, aient pu engendrer des explications surnaturelles, et relayés de régions en régions, sur le simple fait de rumeurs colportées de bouche à oreille. Et ce, en suivant les principes d’une populace avide de donner un sens à des situations ou les effets de faits scientifiques, géologiques ou de diverses natures, échappant à la compréhension étroite de cerveaux peu enclin à accepter autre chose que la facilité du paranormal.

 

Que ces croyances aient perdurés à ces époques lointaines est compréhensible en soi : la médecine et la science étaient loin de tout connaitre des secrets de la terre, de la nature et du corps humain. D’où la naissance de simili-solution, sous forme de rituel, pour rassurer des esprits influençables, afin de parer à conjurer ces « diableries », qu’on attribuait à des démons, des fantômes, ou autres formes habituelles propres à l’ésotérisme de tout ordre. Mais aujourd’hui, alors que ces phénomènes anciens ont tous été disséqués dans les moindres détails, apportant des preuves scientifiques quant à leur fonctionnement, le pourquoi de leur processus, la manière d’y remédier, quand cela est possible, le fait de constater qu’il existe encore et toujours des personnes susceptibles de croire à l’impossible ne peut que susciter la fascination, l’interrogation, le désir de comprendre ces peurs et ces angoisses, qui ne devraient plus être.


Pour quelqu’un comme moi, cartésienne à un haut niveau, et étant sceptique de nature, parfois de façon étant à même de déstabiliser n’importe quel féru de paranormal, et le retranchant dans ses doutes sur la possibilité que ce qu’il croit puisse avoir une explication tout à fait logique et scientifique, c’est vraiment passionnant. Imaginer que même de grands esprits tels que des artistes renommées, des stars du grand ou du petit écran, et même des sommités du paysage politique de notre pays puisse prêter foi aux divagations de personnes s’amusant à créer la panique et l’effroi, par le biais d’histoires sur Internet, je trouve ça tellement ahurissant. Mais c’est ce qui fait tout le charme de la science, de la culture et de l’étude de l’histoire que de démontrer que ces croyances, d’où qu’elles proviennent, ont malgré tout des fondements appartenant à des éléments bien réels. Pourquoi ont-ils été déformés et réorchestrés par la suite ? Difficile de donner une réponse sans connaitre le fonctionnement et le mode de vie des personnes ayant contribuées à créer ces mythes.

 

C’est dans ce cadre que je suis venu à étudier l’un de ces mythes, qui trouve ses sources, comme toute légende urbaine, dans quelque chose de bien tangible et réel, avant d’être sorti de son contexte, déformé, interprété différemment par des cerveaux avides de trouver une certaine reconnaissance, en indiquant avoir trouvé une autre explication que celle donnée officiellement, et qui n’arrive pas à convaincre ceux qui croient fermement au surnaturel sous ses différentes formes. Cette légende, ce mythe, est celui du « jeu de l’ascenseur », ou « Elevator Game » au niveau international. Car oui, ce rituel particulier, qui trouve ses origines au sein du japon, tel que je vais l’expliquer dans les lignes qui vont suivre, s’est exporté dans d’autres pays, rallongeant la liste des prétendus « joueurs ». Bien que je reste persuadée que la plupart de ceux ou celles ayant affirmé y avoir joué, n’ont fait qu’utiliser la célébrité du rituel, afin de se mettre en avant, en ayant appris par cœur les différentes phases, pour donner du sens à leur envie de gloire, même si elle est éphémère.

 

Mais pour prouver que ce jeu n’est ni plus ni moins que ce qu’il semble être, une méthode pour donner du crédit aux initiateurs du mythe, que se sont réappropriés ceux qui ont sorti ce rituel du fin fond de l’anonymat où il a été enfermé pendant des années, il m’était indispensable de m’adonner à ce « jeu », en suivant les différentes étapes énumérées sur les sites m’ayant servi dans le cadre de mes recherches. Pour preuve du caractère fictif de ce rituel, car j’en suis persuadée, j’ai pu constater que les « règles » du retour ont été élaborées des années après celles du voyage « aller ». Comme pour corriger une erreur faite par le créateur de ce rituel au but farfelu, à savoir rejoindre l’Otherside, cet autre monde parallèle au nôtre, reproduisant à la perfection la ville où réside le joueur ou la joueuse, dans une version où l’obscurité domine. Personnellement, j’y vois une tentative maladroite d’une représentation de l’enfer. La présence de cette croix rouge, dont la forme diffère selon les versions, classique dans certaines, inversée dans d’autres, confirme mon hypothèse. La croix pouvant être un symbole du pêché. D’ailleurs, le fait même que ce soit une croix qui soit la seule lumière de cet Otherside est lourd de sens et de symbolisme, et prouve le caractère religieux du rituel, né d’un esprit fermement ancré dans des croyances empruntés aux pays catholiques.

 

 D’ailleurs, la présence de la croix n’est apparue qu’à partir de l’exportation du rituel en dehors de l’asie. D’autres indiqueront que la couleur rouge fait référence à la symbolique, bien japonaise celle-ci, de « barrière contre les démons », afin d’empêcher l’entrée dans notre monde de ceux-ci. Ce fameux Otherside se montre ainsi clairement comme l’endroit d’où viennent les démons qui peuplent d’autres légendes japonaises, et cette croix sert de frontière entre l’accès à notre monde et le lieu où sont parqués des créatures infernales. Mais je pense avoir assez attisé votre curiosité sur l’objectif de ce jeu de l’ascenseur. Il est temps pour moi de vous énumérer en substance les origines de ce jeu, qui remontent à 2006, à Tokyo, dans le quartier de Minato. Cette année-là, un problème technique a causé la mort d’une personne présente dans un ascenseur, au cœur d’un immeuble. Les portes de l’appareil sont restées ouvertes pendant le démarrage. Le déséquilibre résultant de la montée ayant précipité la malheureuse victime vers l’extérieur de l’ascenseur, plusieurs mètres plus bas, s’écrasant au sol, et se tuant. Ce n’est pas le seul cas cependant. D’autres immeubles ayant les mêmes types d’ascenseur de la même société étant à l’origine de leur élaboration, ont présenté le même défaut. Les ascenseurs démarraient, alors que les portes ne s’étaient pas refermées.

 

Certains témoignages révèlent qu’en plus des départs des machines, aucun bouton d’étage n’avait été touché par les usagers. En gros, l’ascenseur partait sans aucune sollicitation. L’enquête a révélé qu’il s’agissait d’un défaut de fabrication propre à cette série, et tous ont été remplacés, fermant ainsi le scandale. Mais le japon étant ce qu’il est, fermement ancré dans les croyances aux esprits, démons et autres, de nombreuses spéculations ont commencé à circuler sur le fait qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un problème technique, selon la version officielle indiquée dans les médias, mais bel et bien l’action d’un esprit ayant pris le contrôle des fameux ascenseurs. Il y a eu aussi des rumeurs amusantes reliant le fait divers au scénario d’un film occidental, nommé sobrement « L’Ascenseur », réalisé par Dick Maas, et relatant les actions d’une puce électronique installée au cœur de la machinerie de l’appareil. Une sorte d’IA ayant décidé de tuer les usagers, dès lors que ceux-ci entrent dans la cage de l’ascenseur.

 

Les rumeurs disaient que la société se serait inspirée du film pour offrir une autonomie à leurs machines, et réduire les coûts de maintenance. Bien évidemment, cette théorie a été démontée de toute pièce, preuves à l’appui. Mais celle des esprits était tenace. Deux ans se sont déroulés, et les prémices du jeu sont nés à travers un forum en 2008, sur un textboard japonais : 2CH (nommé aujourd’hui 5CH). Un forum sans inscription préalable, permettant de parler de tout et n’importe quoi, et souvent source des rumeurs les plus folles et les théories les plus abracadabrantes. Dans cette première version, le jeu ne comprenait que les règles du voyage aller, sans possibilité de retour. A partir de ce message, en date du 22 octobre 2008, un fil s’est créé, entrainant une série de discussions sur le fameux jeu et ses étapes, longue de 736 messages.

 

Cela s’est relayé jusque sur les forums communautaires de Gizmodo au japon en 2009, puis s’est étendu en Corée du Sud, à travers les sites Daum et Naver à partir de 2010. Dans tous ces messages, les instructions se bornaient à indiquer les termes 4ème, 2ème, 6ème, 10ème et 5ème étage, propre aux étapes à respecter pour atteindre l’Otherside. A ce moment, il n’est fait aucune mention d’une femme mystérieuse apparaissant au 5ème étage. Celle-ci ne s’incrustera que dans les versions plus complètes des règles d’instructions du jeu des années plus tard, et qui sera lié à un évènement médiatique situé en 2014, la tristement célèbre affaire Elisa Lam. A l’époque, l’affaire fait grand bruit, et nombreux sont ceux ayant vu la fameuse vidéo où l’on voit Elisa dans l’ascenseur, à faire un parallèle avec le jeu, pensant que l’explication du mystère du comportement de la jeune femme était dû au fait qu’elle s’adonnait justement au rituel. 

 

Théorie qui fut très vite eclipsée, car le jeu de l’ascenseur s’appuie sur un ordre bien précis de touches à appuyer, pour monter et descendre les étages d’un immeuble comportant au moins 10 étages. Or, la vidéo ne montrait pas cette rigueur de la part d’Elisa, celle-ci semblant appuyer au hasard sur les boutons, et ne faisant pas de va-et-vient entre les étages. Cependant, la diffusion de cette vidéo, survenant juste après la découverte de son corps, ont fait naitre de nouvelles règles au jeu, s’ajoutant à sa phase de retour, qui a fait son apparition en 2011 sur un site coréen, ainsi que l’apparition de la fameuse femme du 5ème étage, que beaucoup identifie aujourd’hui comme une sorte de clone d’Elisa, ou l’esprit ayant obligé cette dernière, toujours selon certaines rumeurs tenaces, à procéder à son attitude dans l’ascenseur de la vidéo, et ayant adopté son apparence.

 

Une théorie abracadabrante qui est loin de faire l’unanimité. La vérité est que personne ne sait réellement qui est cette femme, ni son rôle exact. La seule chose certaine est qu’il ne faut surtout pas lui adresser la parole, sous peine de graves conséquences, mais sans donner de précisions. Que se passe-t-il si on transgresse cette règle en parlant à l’inconnue ? Meurt-on sur le champ, disparait-on, ou bien, selon certaines théories, devient-on sa remplaçante, obligé de procéder au jeu à sa place pour les futurs autres adeptes du rituel ? Impossible de le savoir sans le tester, mais au vu des risques, je ne connais personne qui serait assez fou pour envisager cette option, qui mettrait fin au processus du rituel.

 

Il est à noter qu’avant ça, d’autres instructions se sont fait connaitre par le biais de traductions en anglais des sites coréens où figure les instructions du jeu. C’est le blog Scary Stories, le 27 octobre 2011, qui, le premier, fait connaitre les règles en dehors de l’asie. Des éléments précisant qu’une fois dans l’otherside, aucun appareil électronique ne fonctionne, comme les téléphones. Bien que le message sur le blog ne soit resté que peu de temps, il a fait sensation, et a été repris en 2012 par le fait d’une nouvelle traduction par Saya In Underworld, et c’est là que les premiers récits de personnes attestant avoir tenté le rituel, vu l’Otherside et revenu pour témoigner de ce qu’ils ont vu apparaissent. La légende du jeu de l’ascenseur a alors pris une dimension internationale.

 

Maintenant, tout ce que vous avez lu précédemment, c’était mon impression avant que je procède moi-même au jeu, afin de montrer que le mythe tournant autour n’était pas fondé, et que ceux et celles ayant témoigné l’avoir exécuté et vu l’Otherside n’était qu’un ramassis de mensonges, dans le seul but de se faire remarquer sur les réseaux. Cependant, une fois procédé au rituel, mes convictions ont fondu comme neige au soleil, dès lors que j’ai vu la femme du 5ème étage, et ressenti l’aura sombre et me mettant mal à l’aise qui se dégageait d’elle. Avant de vous relater mon expérience personnelle sur le rituel, je vais vous énoncer les fameuses règles de base de celui-ci, dont je vous ai fait la chronologie dans les lignes précédentes. Il se compose ainsi :

 

1/Trouver un immeuble d’au moins 10 étages, idéalement 15. Dirigez-vous vers l’ascenseur.

2/Appuyez uniquement sur le bouton « Haut » pour l’appeler. Ne jamais utiliser le bouton « Bas » s’il y en a un.

3/Lorsque les portes s’ouvrent, entrez dans l’ascenseur. Vous devez impérativement entrer dans l’ascenseur au RDC, et y entrer seul. Ne continuez pas si quelqu’un entre avec vous dans l’ascenseur.

4/Appuyer sur le bouton du 4ème étage

5/Quand l’ascenseur arrive au 4ème étage, ne pas sortir, et appuyer sur le bouton du 2ème étage

6/Quand l’ascenseur arrive au 2ème étage, ne pas sortir, et appuyer sur le bouton du 6ème étage

7/Quand l’ascenseur arrive au 6ème étage, ne pas sortir, et appuyer sur le bouton du 2ème étage

8/Quand l’ascenseur arrive au 2ème étage, ne pas sortir, et appuyer sur le bouton du 10ème étage

9/Quand l’ascenseur arrive au 10ème étage, ne pas sortir et appuyer sur le bouton du 5ème étage

10/Quand vous arrivez au 5ème étage, une femme va peut-être entrer. Ne pas lui parler. Ne pas la regarder. Elle n’est pas ce qu’elle semble être.

11/Appuyer sur le bouton du RDC. Si l’ascenseur commence à monter vers le 10ème étage au lieu de descendre, continuez le jeu. Si l’ascenseur descend au RDC, le rituel a échoué. Sortez aussitôt que les portes s’ouvrent. Ne vous retournez pas. Ne dites pas un mot. Vous pouvez recommencer le rituel à zéro.

12/ Si, à ce stade du jeu, vous avez des doutes sur la suite, vous pouvez annuler le processus. Pour cela, vous devez appuyer sur n’importe quel bouton d’un étage, en plus du RDC ou du 10ème étage. L’annulation du jeu doit se faire avant d’atteindre le 9ème étage. Sinon, vous êtes obligé de continuer.

13/Si vous atteignez le 10ème étage, vous allez devoir décider de sortir ou non de l’ascenseur. Si vous décidez de sortir, ET que la femme vous a rejoint au 5ème étage, elle peut en profiter pour vous demander où vous allez. Ne lui répondez surtout pas. Ne la regardez pas.

14/Sortez de l’ascenseur sans dire le moindre mot. Vous saurez que vous êtes dans l’otherside, car vous serez seul : il n’y aura personne aux alentours à part vous, et aucun bruit ne se fera entendre, aucune lumière ne sera présente dans le couloir. Vous vous dirigerez alors vers une des fenêtres, et observerez au-dehors. Vous verrez votre ville, mais il n’y aura aucune lumière, à part une croix rouge au lointain.

 

PHASE RETOUR :

Si vous n’êtes pas sorti de l’ascenseur au 10ème étage :

1/Appuyez sur le bouton du RDC. Les portes doivent se fermer, et l’ascenseur doit commencer à descendre. Si ce n’est pas le cas, continuez à appuyer sur le bouton du RDC jusqu’à ce qu’il descende.

2/ Une fois arrivé au RDC, sortez dès que les portes s’ouvrent. Ne parlez pas. Ne vous retournez pas. Sortez de l’immeuble et retournez chez vous le plus vite possible.

 

Si vous avez décidé de sortir de l’ascenseur :

1/Empruntez le même ascenseur que celui de l’aller.

2/Une fois dans l’ascenseur, répétez les étapes 4 à 11 du jeu.

3/Quand vous arriverez au 5ème étage, appuyez sur le bouton du RDC. L’ascenseur montera alors au 10ème étage. Appuyez sur n’importe quel étage en plus du RDC ou du 10ème étage pour annuler l’ascension. Vous devez absolument annuler AVANT de franchir le 9ème étage.

4/Quand vous serez au RDC, regardez attentivement autour de vous avant de sortir de l’ascenseur. Si le moindre détail vous semble étrange, qu’il vous parait « éteint », ne sortez surtout pas de l’ascenseur ! Répétez les opérations depuis le début, jusqu’à ce que tout semble normal. Quand vous êtes bien certain d’avoir rejoint votre monde, vous pouvez sortir.

 

5/Ne sortez que si vous êtes absolument certain d’être revenu dans votre monde. Si vous le faites et que vous vous aperceviez ensuite d’un détail étrange qui vous a échappé, dommage pour vous. Vous êtes enfermé dans l’Otherside, et vous ne pourrez pas revenir dans votre monde. Comme personne n’a pu dire ce que contient exactement l’Otherside, quoi qu’il arrive, n'allez pas au-delà de la croix rouge, sous peine de sans doute le regretter…

 

Instructions supplémentaires :

Si vous sortez de l’ascenseur au 10ème étage, vos sens peuvent être troublés, au point de ne plus savoir par quel ascenseur vous êtes venu. Il est conseillé de mettre une marque, ou un repère quelconque sur la porte de l’ascenseur avant de sortir. Ceci afin d’être sûr de bien reprendre le même en repartant. Si vous entendez un bruit suspect, repartez immédiatement vers l’ascenseur.

 

Si à un moment du rituel, vous perdez connaissance, il y a des chances que vous vous réveilliez chez vous. Mais regardez attentivement.  Le « chez vous » pourrait ne pas être le vrai.

Si quelqu’un d’autre que la femme du 5ème étage entre dans l’ascenseur avec vous, annulez le rituel.

Quoi qu’elle fasse, surtout ne regardez pas, ne parlez pas à la femme du 5ème étage. Si vous le faites, elle pourrait décider de vous garder pour elle.

 

Comme vous le voyez, des règles qui se sont nettement complexifiées depuis ses origines, ce premier message sur un textboard japonais. J’ai pu constater que dans certains cas, en suivant différentes sources, le voyage du retour impose de suivre le processus inverse des étages de l’aller, mais ça reste très rare. De même, si dans le message d’origine, il est indiqué de commencer au 1er étage, cela indique en fait la base de l’ascenseur, suivant les particularités de numérotation de l’immeuble où il se situe. Dans certains pays, cela étant dû à des superstitions locales, ou des normes techniques, il n’y a pas de rez-de-chaussée : il est considéré comme un sous-niveau.

 

Or, les sous-niveau ne sont pas inclus dans le processus pour faire le rituel et sont proscrit. Ce qui oblige à monter les escaliers pour débuter le jeu au 1er étage, tel que l’indique les règles. Ce qui est dangereux, car lors de certaines phases, l’ascenseur devant redescendre à la base pour que cela fonctionne, il va descendre au sous-niveau considéré par l’immeuble, ce qui provoquera immanquablement un échec systématique, ou, au pire, des conséquences risquées pour la suite des évènements. Je n’ai trouvé aucun témoignage indiquant l’exécution du rituel dans ce cas de figure, ce qui signifie que le jeu n’est pas pratiqué dans les pays ayant cette configuration de numérotation des étages dans les immeubles.

 

Après avoir attentivement mémorisé toutes les étapes, j’ai donc choisi un immeuble possédant les bonnes caractéristiques pour la bonne exécution du jeu. Et pour encore plus de chance de réussite, ou peut-être était-ce une volonté personnelle de défier encore plus le mythe autour de ce jeu, je me suis rendu dans le quartier de Minato, là où cette légende urbaine trouve ses origines. Pour être certaine que le rituel ne soit pas interrompu par l’intrusion d’un client dans l’ascenseur lors du processus, m’obligeant à refaire les étapes, et me faisant perdre du temps inutilement, j’ai débuté le jeu à 3 heures du matin. L’immeuble était un hôtel, où j’avais préalablement réservé une chambre la veille par Internet, réduisant ainsi le flux de passages de personnes parasites au déroulement du jeu. Sans doute habitué à des venues incongrues après une réservation, la personne au guichet n’a pas posé de question sur mon arrivée inhabituelle pour prendre possession de ma chambre, se contentant de me donner ma clé. Sans savoir que me rendre à cette dernière n’était pas le but de ma présence en ces lieux.

 

Je ne peux pas nier que, l’espace de quelques secondes, j’ai un peu angoissé avant de débuter le jeu, restant de longues secondes avant d’appuyer sur le bouton qui allait lancer celui-ci. Ça semble ridicule dit comme ça, de la part de quelqu’un comme moi qui ne porte crédit qu’aux choses concrètes. Sans doute l’aura de mystère autour de ce jeu avait une portée psychologique plus importante que prévu. Une « pause » qui interrogeait la personne à l’accueil, me demandant si j’allais bien. Je fermais les yeux un instant, respirant une bonne bouffée d’air pour évacuer mes doutes insensés, puis me retournait, indiquant que tout allait bien. C’était juste une absence sans gravité. La fatigue devant être en cause. Lao, le prénom inscrit sur l’étiquette de son costume me sourit alors, montrant un signe rassuré, et retournant à ses occupations sur l’écran situé devant lui, sous le guichet. Quant à moi, j’entrais dans l’ascenseur qui venait de s’ouvrir, tintant comme pour m’annoncer le point de départ de mon aventure.

 

Ainsi, je démarrais ce jeu particulier, suivant chaque étape l’une après l’autre, jusqu’à arriver au 5ème étage, la phase cruciale du déroulement de ce rituel comme nul autre que tout ceux que j’avais démystifié auparavant, trouvant toujours une explication logique, rationnelle et scientifique. Les portes s’ouvraient, mais rien ne se passait. Aucune femme ne semblait faire son apparition. Stupidement, ça me rassurait quelque peu. Après tout, les règles du jeu précisaient bien que sa venue n’était pas systématique. Certains témoignages indiquaient qu’ils avaient procédé au rituel sans rencontrer la fameuse femme du 5ème étage, sans que cela change quoi que ce soit à la suite. Du coup, ça me confortait dans le fait que tout ceci n’était vraiment rien de plus qu’un mythe idiot, concocté par des esprits en mal de reconnaissance, et féru de surnaturel de bas étage. Un terme on ne peut plus adapté à la situation. Mais j’ai vite déchanté…

 

Alors que les portes commençaient à se fermer, deux mains se glissaient de chaque côté de ces dernières, interrompant l’avancée du mécanisme. Un moment d’angoisse me prit alors à la gorge, tellement sa venue me surprenait. Je n’ai vu que sa silhouette, donc je ne pourrais pas vous la décrire. J’ai tout juste eu le temps de voir la maigreur de ses doigts, et l’aspect élimé de la longue robe noire qu’elle portait. Ses longs cheveux, dont j’entrevoyais l’extrémité dépasser sur un côté de sa robe, tombaient jusqu’aux genoux. Je n’ai pas cherché à voir son visage, mais, si tout ceci n’a duré que quelques secondes, même si ça semblait bien plus long à mon esprit sur le moment, j’ai quand même eu le temps d’apercevoir une sorte d’aura noire émaner autour d’elle.

 

Pour me conformer aux règles, qui précisaient de ne surtout pas la regarder, j’ai vite détourné les yeux, restant près des boutons des étages, portant mon regard sur la paroi de l’ascenseur en face de moi. Je ne sais pas si cela a eu une influence pour la suite, mais c’est là que j’ai entrevu une partie de son reflet sur le métal réfléchissant de l’ascenseur, situé à droite du panneau des boutons d’étage. Je ne voyais pas son visage. A dire vrai, je ne suis même pas sûre qu’elle en avait un, car je n’apercevais que des sortes de lueurs à hauteur des yeux, et rien d’autre. J’avais beau être rationnelle, l’atmosphère résultant de la venue de cette femme me mettait mal à l’aise, et j’avais du mal à garder mes esprits pour me concentrer sur la suite de la procédure du jeu. Quand les portes de l’ascenseur se fermèrent, après que la femme soit complètement entrée en son sein, je ressentais un début de panique que je ne pouvais pas m’expliquer. C’était stupide… Comment je pouvais ressentir une telle peur. Ce n’était sans doute qu’une simple coïncidence, ou une blague faite par un des membres du personnel. Peut-être que l’un d’eux avait entendu parler de moi par un des étudiants de l’université, vu que j’avais plus ou moins fait entendre à mes rares amies de mon intention de tenter le jeu, et l’endroit où j’allais l’effectuer.

 

 Sans doute une manière inconsciente pour moi de prévenir où je me trouvais, au cas où tout ceci se passerait mal, et facilitant mes recherches, s’il y avait besoin. L’un de ceux ou celles qui me jalousaient ouvertement avaient peut-être entendu une de mes conversations à ce sujet, et décidé de me donner une leçon de frayeur, juste par amusement. Ce n’était pas impossible. Mais si c’était le cas, l’illusion était parfaite, et la personne qui jouait le rôle de la femme mystérieuse était très douée, comme allait me le montrer la suite des évènements. Etant en instant d’incertitude, celle-ci s’adressait alors à moi :

 

- Vous n’appuyez pas sur le bouton du rez-de-chaussée ?

 

Cette simple phrase, lourde de sens, montrait soit, que l’interprète de la femme connaissait très bien les phases du jeu, et savait comment distiller l’angoisse, soit elle était bien ce qu’elle semblait être. Celle à qui il ne faut surtout pas répondre, et ne pas regarder. Concernant ce dernier point, au vu de ce que j’avais aperçu sur la paroi, je n’étais pas certain d’avoir évité une première erreur de ma part. Et puis, il y avait cette impression de lourdeur de l’atmosphère emplissant la cabine de l’ascenseur, cette aura néfaste qui semblait émaner d’elle. J’entendais qu’elle commençait à marcher vers moi, comme pour donner suite à sa question. Je ne voulais pas qu’elle vienne plus près, alors j’ai appuyé sur le bouton du rez-de-chaussée. Dès cet instant, même si je ne pourrais pas le certifier à 100 %, j’ai cru voir un sourire venant de son visage, toujours vide de traits, comme plongé dans des ténèbres, malgré la lumière tout autour. Et puis, l’ascenseur s’est mis à monter. Le jeu continuait…

 

Moi qui n’avais jusqu’alors pas peur des légendes que j’étudiais, je ressentais une angoisse ne cessant de monter, en même temps que l’ascenseur se dirigeant vers le 10ème étage. Ça n’était pas logique : j’étais persuadé à ce moment que le fameux rituel s’arrêterait là. Je m’étais préparée à refaire les étapes plusieurs fois pour prouver qu’il était impossible que l’ascenseur monte au 10ème alors que j’avais actionné le bouton du rez-de-chaussée. Et pourtant, le fait était là : cela se passait exactement comme les témoignages que j’avais décortiqué, et balayait mes convictions sur le caractère mensonger de ce jeu de l’ascenseur. Je ne la voyais pas, mais je sentais le sourire de cette femme dans mon dos. Désormais, je savais qu’elle n’était pas une actrice engagée pour me faire peur, preuve de l’immaturité de certains étudiants. Elle était bien celle décrite dans les textes que j’avais lu en profondeur. Et ma peur ne faisait que s’accroitre. J’aurais pu tout arrêter à ce moment, en utilisant le processus d’annulation du rituel. Mais malgré ma crainte profonde du moment, je voulais aller au bout. Savoir si l’otherside existait. Je devais savoir…

 

L’ascenseur stoppait. Le 10ème étage. Les portes s’ouvraient, et un tintement différent se faisait entendre. Il était comme lointain, presque inaudible, et ce n’était pas la seule bizarrerie. Dans le couloir, tout était éteint. Pourtant, il y avait de la lumière dans le hall d’entrée. C’était inconcevable qu’il n’y en ai pas ici. Qu’une lampe ne fonctionne pas, c’était plausible, mais que rien, absolument rien ne soit éclairé, ça c’était plus que curieux, et ça me mettait mal à l’aise, car c’était conforme aux descriptions de l’Otherside… Impression qui se renforçait, en voulant voir l’heure sur mon téléphone. Celui-ci était éteint. Et pourtant, je l’avais chargé complètement avant de venir dans l’immeuble choisi pour effectuer le rituel. Et comme si ça n’était pas assez inquiétant, la femme derrière mon dos s’adressait à nouveau à moi :

 

- Vous allez quelque part ? Peut-être puis-je vous guider ?

 

A ce moment, mon angoisse montait d’un cran, et sans même réfléchir, ne voulant plus être près d’elle, je sortais de l’ascenseur, me dirigeant dans la pénombre du couloir. Ce fut ma deuxième erreur. J’ai oublié à cet instant les recommandations du rituel, indiquant de vérifier où se trouvait l’ascenseur d’où on sortait avant de s’aventurer dans l’Otherside. Je n’ai pas réfléchi, car ayant trop peur de ce que cette femme pouvait avoir en tête. Je me souvenais alors que j’avais dans la poche intérieure de ma veste une petite lampe de poche. Je savais que mon téléphone ne marchait plus, alors il y avait peu de chance que la lampe elle ait une autre finalité. Et pourtant, elle s’allumait… Je sortais à nouveau mon téléphone, juste pour vérifier, mais celui-ci était toujours désespérément éteint. C’était incompréhensible… Et derrière moi, la femme parlait à nouveau :

 

- Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à m’appeler. Je ne suis pas loin. J’oubliais : je m’appelle Saori…

 

J’entendais alors ses pas s’éloigner dans le couloir, pendant que la panique m’avait totalement envahie. Il y avait comme de la séduction dans sa voix à cet instant, comme si elle m’incitait à abandonner le reste. J’aurais bien du mal à le décrire avec précision, mais j’ai vraiment ressenti une forme d’appel, d’envoûtement, je ne saurais dire, et j’ai dû lutter pour ne pas céder, me retourner, et la suivre. Je n’avais jamais ressenti ça auparavant, même auprès de mes rares coups de foudre. C’était à la fois troublant et dérangeant. Au fur et à mesure de son éloignement, la pression s’est effacée. Mais ce n’était que le début. Me servant de ma lampe, je me dirigeais vers la fenêtre au bout du couloir. Je devais savoir si les descriptions du dehors de l’Otherside étaient fondées. Je devais voir ce qu’il y avait à l’extérieur. Me rapprochant de la fenêtre, je ne pus que constater que l’aspect général de ce dernier, tel que je l’avais lu, était identique à ce qui se montrait à mes yeux.

 

L’obscurité envahissait tout. C’était bien Tokyo en face de moi. C’était bien le quartier de Minato. Mais il semblait n’y avoir aucune vie apparente. Tout était éteint aussi loin que mon regard puisse se poser. La seule lumière était une croix rouge au lointain, là aussi, conforme aux témoignages. Il y avait autre chose. Autre chose qui me faisait paniquer, au point de courir soudainement l’instant d’après, pour me rediriger vers l’ascenseur, et quitter cet endroit. Des formes noires, indéfinissables, volaient et virevoltaient autour de la croix. Comme si elles tentaient de franchir une frontière invisible, dont la limite était cette croix. Un flot incessant constitués de ce qu’il me semblait être des sortes d’ailes immenses sortant des silhouettes, et des points rouges, semblables à des yeux, qui regardaient dans ma direction. Dès lors, mon esprit cartésien s’est envolé complètement. Je ne devais pas rester ici. Je ne devais pas prendre le risque que la femme revienne, et qu’elle me fasse succomber à son appel. Je devais fuir.

 

Cependant, en courant vers l’ascenseur, ma tête me faisait mal, j’avais l’impression d’avoir une centaine de piques qui la transperçait sans s’arrêter, ma vue se troublait, mes jambes se pliaient de manière autonome, me faisant ralentir. Je glissais, tombais au sol. Me faisant violence, je rampais devant moi pour atteindre l’ascenseur. Mais il n’y en avait pas qu’un seul. Un deuxième avait fait son apparition. C’était impossible. J’étais certaine qu’il n’y avait qu’un seul ascenseur. Bien que ma sortie eût été précipitée, voulant échapper à Saori, j’avais rapidement observé autour, malgré la pénombre. Et si un autre ascenseur avait été présent à côté de celui d’où je sortais, je l’aurais forcément vu ! Et pourtant, il y en avait bien deux, c’était indéniable. J’essayais de me rappeler un élément pouvant distinguer les deux, me rappelant qu’une des règles recommandait d’apposer une marque sur les portes extérieures, pour être sûr de reprendre le même chemin qu’à l’aller. Et j’avais négligé ce détail que je trouvais superflu. Ce fut ma 3ème erreur.

 

Je me rappelais un vague détail : une griffure sur l’une des portes droites. Je me raccrochais à ça, cherchant cette marque sur le premier ascenseur que je voyais. Il n’y en avait pas. Je continuais donc à ramper vers le suivant, et là je vis la marque salvatrice. Je me relevais péniblement, la sensation de lourdeur des jambes semblaient s’atténuer, mes maux de tête aussi, tout comme ma vision redevenait plus nette. J’appuyais sur le bouton pour ouvrir les portes, et me glissais furtivement à l’intérieur. J’attendais d’avoir à nouveau tout mes moyens avant d’entreprendre la phase retour du jeu. Une fois fait, j’appuyais sur le bouton du 4ème étage. Après avoir respecté les étapes successives scrupuleusement, je suis revenu finalement au rez-de-chaussée. Me rappelant les recommandations, j’observais autour de moi, attentive au moindre détail pouvant m’indiquer que je n’étais pas revenu dans notre monde. Je voyais Lao interrogatif à mon attitude, il s’adressait à moi. Je l’observais lui aussi, vérifiant qu’il n’y avait rien « d’éteint » en lui, qui m’indiquerais que je suis toujours dans l’Otherside, et qu’à l’image de Saori, il n’était qu’un habitant de ce monde, dont le but était de m’y piéger.

 

Mais son regard était vif, identique à celui qu’il avait lors de ma venue, les lumières du hall étaient présentes, et je ne voyais rien qui pouvait ressembler à quelque chose d’éteint ou d’inhabituel, d’anormal. Des ombres, des auras, des difformités, quoi que ce soit pouvant prouver que c’était l’Otherside devant moi, et pas le vrai monde où je suis née. Rassurée, haletant comme jamais, remplie de sueur sur tout le corps, j’ignorais les appels de Lao, avançant droit devant moi, sans un regard nulle part ailleurs, sans dire le moindre mot. Une fois à l’extérieur, je pleurais devant les lumières de la ville, l’odeur des bars à sushis autour, le brouhaha des passants sur les trottoirs, le vrombissement des moteurs de voiture, des bus, et autres véhicules motorisés. Jamais je n’avais eu autant de plaisir à entendre et voir tout ça comme maintenant. Je pleurais à chaudes larmes, m’effondrant à genoux sur le bitume. Un couple s’approchait, me demandant si j’allais bien. Je leur répondais que oui, de ne pas s’inquiéter. J’avais juste eu une dure soirée.

 

Plus tard, je revenais à la maison, épuisée par tout ça, mais enfin sereine. Je n’arrivais pas à croire tout ce que j’avais vu. Pourtant, je savais que je n’avais pas rêvé. Le rituel, Saori, L’Otherside… Tout était vrai. C’était la première fois que je devais reconnaitre qu’il existait autre chose que notre monde. Et je repensais aussi à ces formes autour de la croix rouge. Était-ce des démons, des esprits ou autre chose de plus terrible ? Et le rôle de Saori n’était pas clair non plus. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle cherchait à faire en tentant d’attirer à elle ceux qui pratiquaient le jeu. Devenaient-ils des sortes d’esclaves, ou bien étaient-ils jetés en pâtures à ces créatures volant autour de la croix rouge ? A dire vrai, je préférais ne pas savoir. J’ai écrit toute mon expérience, telle que vous la lisez en ce moment, dans ses moindres détails, comme une preuve de l’existence de l’Otherside et ce qui le compose. De la réalité, du fonctionnement authentique du rituel.

 

J’ai vu l’Otherside, et du peu que j’ai vu, je sais qu’il ne vaut mieux pas y être enfermé. Cette obscurité permanente ne présage pas d’un monde dénué de tout danger, bien au contraire. Mais mon aventure ne s’arrête pas là. Je sens que je ne suis pas seule dans l’appartement. J’ai la forte impression que quelqu’un ou quelque chose m’observe depuis que je suis rentrée. Prise d’un doute, me rappelant à nouveau les recommandations des règles, j’ai regardé chaque partie des lieux, à la recherche d’un détail qui pourrait m’indiquer que je me suis trompée, que je ne suis pas rentrée dans mon monde. Que, sans savoir comment, les habitants de l’Otherside m’ont trompée, en me faisait croire que j’étais à nouveau dans mon monde. Je ne sais plus quoi penser. J’ai vue des ombres semblant sortir des murs dans la salle de bain, alors que je voulais me doucher, ce qui m’a fait hurler de terreur. Le visage de Saori. Je l’ai vue à ce moment, se reflétant dans un miroir du salon. Un visage terrifiant, inhumain.

 

Je ne peux pas le décrire, c’est impossible. Jamais je n’ai vu quelque chose d’aussi monstrueux. Mais ce n’est pas la vraie question. Pourquoi est-ce que je la voie ? Pourquoi la présence de ces ombres ? J’ai pourtant accompli la phase retour du jeu sans problème majeur. Ce n’est pas logique… A moins que… L’ascenseur… Est-ce que j’ai vraiment pris le bon en repartant. Les témoignages ne donnent pas de vraies précisions sur ce qui se passe si on se trompe à ce moment. On suppose que l’on reste enfermé dans l’Otherside, mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce qu’au contraire, on n’ouvre pas, par cet acte, un passage vers notre monde, un portail qui permet aux habitants de ce monde de ténèbres de venir chez nous ? Cherchant sans doute d’autres prétendants au jeu, les guidant, leur montrant le chemin à pratiquer pour permettre d’autres passages à travers la ville. Ou peut-être pire. Les emmener au-delà de la croix rouge, se servant d’eux pour briser la barrière empêchant les créatures bloquées derrière de venir plus avant, et emprunter à leur tour les passages créés.

 

Sans le savoir, par mon erreur, j’ai sans doute déclenché le point de départ d’une invasion future. C’est impardonnable. Il doit y avoir un moyen d’empêcher ça, de réparer mon erreur. Un processus qui ferme le passage avant qu’il soit trop tard. J’ai besoin d’effectuer des recherches plus approfondies. Il me manque des détails. Je dois me rapprocher de spécialiste du surnaturel, ceux-là même dont je me moquais ouvertement auparavant. Ils ont peut-être la solution. Je ne peux négliger leur expérience dans le domaine. Mais pour cela, je dois tout quitter ici. Sans dire au revoir. Ils ne comprendraient pas ma démarche. Ils penseraient que mon implication dans mes études sur les légendes urbaines a fini par me faire voir des choses qui n’existent pas. Mais je sais que je n’ai pas rêvée. Je sais que tout est vrai. Et si je ne veux pas que notre monde devienne une extension de l’Otherside. Je dois partir, explorer le monde à la recherche d’une solution. Désolé Maman. Désolé Papa. Désolé Shinji. Je sais que vous allez pleurer ma disparition, mais je n’ai pas le choix. Je ne veux pas vous impliquer dans ça. Ce serait cruel de ma part. 

 

La seule personne à qui j’aurais pu en parler, c’est vous, professeur, mais même vous ne comprendriez pas tout, car vous n’avez pas pratiqué le jeu de l’ascenseur. L’Elevator Game, que nombre d’autres personnes comme moi au départ, prennent pour un rituel de plus à rajouter à la liste des créations stupides d’auteurs en mal de frissons à offrir aux passionnés de paranormal et de mondes au-delà de l’imagination. Je dois mener cette quête sans votre aide, je dois parcourir les pays, à la recherche d’une réponse, à la recherche d’un moyen de fermer le portail que j’ai ouvert par mon ignorance. Je vous demande pardon. Un jour peut-être, je serais en mesure de vous expliquer directement, une fois trouvé le moyen d’empêcher l’irréparable. Aujourd’hui, je conclus cette thèse sur ce simple mot : Pardon… »

 

C’est ainsi que se ferme la thèse d’Aya, et j’avoue que je ne sais plus quoi penser. Je ne sais pas quoi dire à ses parents, à son petit frère qui comptait tant à ses yeux. Je sais que si tout ça n’était pas vrai, jamais elle n’aurait laissé sa famille dans l’inquiétude et l’incompréhension. Je ne sais pas où tu es Aya, mais je ne peux que te souhaiter bon courage dans ta quête. Je sais que s’il y a bien quelqu’un qui puisse réussir une telle entreprise, c’est bien toi. Je veillerais sur ta famille, sois en sûre. Et j’attendrais chaque jour que tu reviennes à nous, pour nous faire part de ce que tu as trouvé, la solution à la fermeture du passage de l’Otherside. Maintenant, vous qui lisez ces lignes à votre tour, vous êtes libre de penser ce que vous voulez. Vous pouvez croire que j’ai tout inventé, je ne peux pas vous en vouloir. C’est tellement insensé. Mais aujourd’hui, maintenant que la mère d’Aya est hors de danger, et qu’elle semble s’être rapproché de son mari, sans doute à cause du drame de la disparition de leur fille, je suis plus serein. Je vais chercher Aya, où qu’elle soit dans le monde, et je vais lui apporter toute mon aide, tout mon soutien. L’Otherside ne gagnera pas cette guerre en devenir. J’en fais le serment solennel…

 

Publié par Fabs