23 févr. 2021

EVOLUTION (Le Cadeau du Monstre 2)

 



Il s’est passé plusieurs mois depuis que j’ai quitté la demeure des Hogson, leurs secrets et celle à qui je dois mon apparence actuelle, Tanya, qui m’a offert le plus beau des cadeaux en échange de son sacrifice. Le moyen pour moi de me venger de cette vie qui s’est tant moquée de moi à toutes les étapes de mon existence. Mes parents indignes, Gus, l’infidèle Daphné et tous les autres qui ont participé à me faire haïr l’humanité sous toutes ses formes. Quand je me suis retrouvé entre les griffes de ce malade de Duncan Hogson, l’un des pires représentants d’une espèce humaine qui accentue chaque jour qui passe mon dégoût, j’ai cru que j’avais franchi l’ultime frontière me séparant d’une mort en devenir. Au départ, je n’étais pas contre, bien au contraire. Certes, j’avais retrouvé un semblant de vie à travers ce petit boulot qui m’avait fait rencontrer cette ordure de Duncan, mais quelque part au fond de moi, je savais bien que ce ne serait que provisoire. Que je n’étais pas destiné à être heureux de toute manière. C’est inscrit dans mes gênes. Je ne peux rien y faire. Depuis, ma naissance, c’est comme s’il était écrit que je devais en chier toute mon existence.

 

Vous croyez au destin ? Moi, oui. De toute mon âme. J’y ai toujours cru. Je sais ce que vous vous dites. Que ma transformation m’a rendu sarcastique, que je ne pense pas vraiment mes propos. Eh bien, vous vous trompez lourdement. Je n’ai jamais été aussi sincère que maintenant. Toute ma vie n’a été qu’une succession de bugs d’existence, me confortant dans mon idée que je n’avais sans doute pas ma place auprès des autres humains qui peuplent la planète. Que j’étais une erreur de la nature, une expérience ratée du vieux barbu qui se cache dans ses nuages, dégoûté de m’avoir créé, et cherchant par tous les moyens à me pousser dans mes derniers retranchements pour que j’attente moi-même à mes jours, mettant fin ainsi à un processus qui n’aurait jamais dû avoir sa place sur Terre. Je ne sais pas s’il existe vraiment. A vrai dire, j’en doute de plus en plus. 

 

Ou alors, il y a déjà longtemps qu’il est parti, après avoir vu ce que l’homme est devenu, nous laissant livré à nous-mêmes, comme des rebuts dont on n’a que faire, des emballages tout justes bons à finir dans la poubelle après utilisation de son contenu, quand ce dernier n’a pas atteint la date de péremption, obligeant le Grand Propriétaire à exprimer son dépit en le laissant croupir avec les emballages, au milieu des ordures de la grande benne de la vie. Voilà ce qu’est l’être humain. Un produit. Un produit dont chaque exemplaire est à l’essai les premières années de sa vie. Et si tu ne corresponds pas à l’idée que le Grand Créateur avait en te faisant exister, il s’arrange pour te faire comprendre que tu n’es qu’un numéro parmi des milliards d’autres, et que le mieux que tu aies à faire pour ne faire honte à la qualité de sa production, c’est de disparaître, purement et simplement. Mais pas question pour lui de se salir les mains. Non. C’est clairement pas son style. Il préfère mettre sur ta route des éléments participant à ta déchéance inéluctable, accentuant ton idée que tu n’es qu’un maillon d’une chaîne dispensable. A partir du moment que tu as compris ton véritable rôle dans cette chaîne réservée aux meilleurs, dont tu ne fais pas partie, tu n’as que 2 choix : accepter ton sort et le fait que tu vas souffrir toute ta vie, quel que soit tes choix, aussi judicieux soient-ils ; ou bien arrêter le mécanisme de l’horloge qui te permet de continuer à avoir un souffle de vie.

 

Et dans ce dernier cas, là encore, plusieurs choix s’offrent à toi : en finir rapidement, en utilisant les objets que le destin met sur ton chemin ; flingue, armes blanches, poison, … ; attendre patiemment que ceux-ci se décident d’eux-mêmes de détruire à la fois ton égo, ta dignité, ton honneur et ton désir de vivre ; ou encore demander à quelqu’un de faire le geste que toi-même tu es incapable de faire, par lâcheté, dans la plupart des cas. Mais il existe parfois des cas, où une petite poussière se glisse dans les rouages de cette fatalité, et te redonne un semblant d’espoir, une lumière qui t’indique que tu vas pouvoir te venger de tous les plans foireux que le planqué des nuages a décidés pour toi. Dans mon cas, ce rouage, c’était Duncan Hogson et sa fille, Tanya. Sans doute la seule femme, et j’ai bien dit femme, qui m’ai accepté autant que je l’ai accepté telle qu’elle était. Je ne la voyais pas comme un monstre, tel que le désignait son connard de père, sans oublier sa mère qui n’était guère mieux. Non, moi, je suis sans doute le seul à avoir vu ce qui se cachait derrière son masque que beaucoup aurait désigné comme hideux. Derrière son apparence, il y avait un cœur qui ne demandait qu’à battre si on lui en laissait l’occasion. Je ne saurais dire comment ni pourquoi, mais elle aussi a senti que j’étais celui qui parviendrait à changer sa condition d’être mal-aimé, que je serais la seule personne au monde à pouvoir lui montrer le véritable visage de l’amour, sans se préoccuper des futilités de l’apparence physique. Je sais que beaucoup d’entre vous, quand j’ai évoqué cette première partie de mon histoire, ont été révulsés à l’idée que j’ai pu copuler avec une telle créature, mais moi je l’ai pris comme ce qui pouvait m’arriver de meilleur dans ma merde de vie. Alors, vous voyez, le cadeau qu’elle m’a fait, ce visage, ce corps, ainsi que toutes les facultés qui vont avec, pour moi, il n’existe rien de plus beau, de plus fabuleux, en regard de tout ce que j’ai vécu.

 

Avant que vous me posiez la question, car je sais que vous allez le faire, oui, j’ai bien évoqué des facultés. Sans doute dû au mode de transmission de ce virus particulier. Je les ai découvertes au fur et à mesure que je transmettais cette maladie d’un nouveau genre à mes victimes. Comme vous l’imaginez, mon plan de modification du gène humain ne s’est pas fait du jour au lendemain. Je me doutais bien que mon apparence ne me faciliterait pas la tâche pour approcher des représentantes de la gent féminine, afin de leur transmettre à mon tour cette étape de ce que je considère comme une étape de l’évolution humaine. Cela m’a pris plusieurs jours à chercher de quel moyen j’allais mettre mon plan à exécution. C’est là, en proie à la colère parce que je ne trouvais pas de solution, que ces facultés se sont montrées à moi. Grâce à la complicité involontaire d’un petit con à moitié shooté par la coke. Je pense que c’est son état de manque qui a fait qu’il ne s’est pas aperçu de mon apparence. Ses yeux étaient tellement explosés qu’il ne devait voir en moi qu’une silhouette capable de lui donner le fric dont il avait besoin pour se procurer la dose lui permettant de sortir de son état.

 

 

Au début, vu qu’il ne faisait pas partie des cibles que je recherchais, persuadé à ce moment-là que seuls les actes sexuels permettaient de transmettre le virus qui était en moi, j’ai tenté de le dissuader de s’en prendre à moi. Je ne maîtrisais pas encore très bien ma force, et je ne cherchais pas à tuer. Mon objectif était tout autre. Mais devant son entêtement, je ne suis pas parvenu à garder mon calme très longtemps. Je l’ai d’abord repoussé violemment contre le mur de la ruelle où il m’avait plus ou moins trouvé, espérant y trouver un cadre pour réfléchir à ce que j’allais faire. Mais ma force ne l’a pas pour autant dissuadé de contre-attaquer. Il a sorti un canif rétractable de sa poche, menaçant de me « planter » si je ne lui donnais pas mon fric, sa vision ne lui permettant pas de voir qui j’étais. Devant mon nouveau refus, il est devenu furax et m’a enfoncé sa lame dans le bras gauche. Je ne m’y attendais pas. J’avais pourtant vu des balles ricocher sur la peau de Tanya quand son père lui avait tiré dessus. Je pensais disposer de la même résistance, mais ce n’était pas le cas. Le collier était sûrement la cause directe de cette invulnérabilité. Moi, je n’étais qu’une photocopie de ce pouvoir.

 

La douleur fut terrible. Je me tenais le bras, alors que le sang coulait à flot sur le sol. Un sang grisâtre et curieusement fluide, comme de l’eau. Je sentis la colère m’envahir, malgré ma tentative de ne pas céder à la violence face à cet abruti dominé par le manque de drogue. Mais ce fut en vain. Bientôt, mes yeux se parèrent d’un jaune presque fluorescent, et mon corps se para d’une aura enveloppant mon corps gris. Je regardais avec mépris cet être insignifiant qui se trouvait en face de moi, mon regard pénétrant le sien avec insistance, sans que je puisse maîtriser quoi que ce soit. Instinctivement, mon bras droit se leva à la perpendiculaire, désignant le junkie. Je serrais le poing peu à peu, pendant que ma cible était envahie de tremblements faisant vibrer son corps. Je le vis s’élever soudain du sol, lévitant comme dans un numéro de magie. Mais là, il n’y avait aucun trucage. Plus il s’élevait en l’air, plus il vibrait de toute part, plus mes yeux éclairait la ruelle. Au bout d’un moment, je vis les os de ses bras sortir de leur enveloppe de chair, pendant que le junkie hurlait de douleur.

 

Ensuite, ce fut au tour de ceux de ses jambes de subir le même sort, puis ses yeux sortaient de leur orbite dans un magma de sang s’échappant de tous les orifices possible et imaginables : yeux, nez, oreilles, sans compter les trous causés par les os ressortant du corps. Sa tête se mit à gonfler comme un popcorn cuit au micro-ondes dans un bruit de craquement horribles, déchirant le calme de la nuit. Je crus que son corps entier allait exploser, quand je parvins à contrôler ma fureur, sans trop savoir comment. Mes yeux redevinrent peu à peu à leur couleur d’origine, perdant leur fluorescence surnaturelle, mon bras s’abaissant, pendant que le corps du junkie tomba au sol de toute sa masse. Il continuait à hurler de toutes ses forces, me suppliant de faire cesser sa souffrance. Il criait qu’il s’excusait, que je pouvais garder mon fric, qu’il parlerait de moi à personne. Je m’avançais vers lui, conscient de sa terreur nouvelle à mon encontre, et, pris de pitié face à cette petite chose inférieure, je répondis à sa requêter d’arrêter son mal. Je m’accroupis juste à côté de lui, et tout en plongeant mon regard dans le sien, observant ce qui restait de son corps. Les os ressortis faisaient entrevoir l’intérieur des bras et des jambes, véritable récipient de chair à vif d’où le sang continuait de s’écouler à toute allure. Son œil droit était totalement ressorti de son orbite, pendant sur son visage. Sa tête était horriblement déformée, formant une élongation à peine supportable. Je fixais donc son œil gauche à moitié sorti, et j’enfonçais ma main dans sa gorge d’un seul coup, écrabouillant tout l’intérieur, et arrêtant sa vie au même instant. Il ne souffrirait plus maintenant.

 

Ce pouvoir était à la fois fascinant et terrifiant. Mais je devais apprendre à le contrôler. Par la suite, je procédais à des « expériences » sur des proxénètes des petits braqueurs de rues, dont la disparition ne se remarquerait pas. Je découvris ainsi comment me servir de ce pouvoir, à renforcer la solidité de mon corps par la pensée, me rendant aussi invulnérable que l’était le corps de Tanya. Je me rendis compte également que j’étais capable d’influencer l’esprit de mes victimes, pouvant les forcer à faire tout ce que je désirais. Ces pouvoirs étaient déments. Mais il y avait autre chose… Je pouvais transmettre ce pouvoir autrement que par voie sexuelle. Je m’en rendis compte sur un de mes « sujets », qui était parvenu à me blesser par balle. Une balle perforante. Il m’avait pris par surprise, et je n’avais pas eu le temps de penser à renforcer mon corps. Et, alors que je me penchais vers son visage terrorisé, quelques gouttes de mon sang tombèrent dans sa gorge. 

 

Je le vis se transformer sous mes yeux. Cela lui pris du temps. Beaucoup de temps. Un processus long de près de 2 heures. Mais il devint comme moi. Le même corps, les mêmes yeux, la même silhouette grisâtre. Cela sembla modifier également son cerveau. Au lieu d’être horrifié par ce qu’il était devenu, au contraire, il se leva, et partit dans l’obscurité. Il fut le premier, et grâce à lui, je découvris que je pouvais réaliser mon plan de manière plus simple. Le sang était la solution. Mon sang. Nul besoin désormais d’être obligé de violenter des femmes pour transmettre le virus qui changerait l’être humain en ce qu’il méritait d’être. Une étape de son évolution. Il suffirait faire absorber mon sang à mes victimes. Mais celles-ci étaient-elles capables de le faire à leur tour ? Les jours qui vinrent répondirent à cette question. J’accumulais les victimes, les transformant, et j’appris bientôt l’existence de mystérieuses agressions dans des parties de la ville où je n’avais jamais été. Les journaux télévisés que je suivais parfois au travers des vitrines de magasins la nuit, les radios entendues dans des bars avoisinant mes lieus de repos, indiquaient toujours plus d’agressions, de créatures étranges aux yeux jaunes luisant dans l’obscurité. La contamination était bel et bien en route.

 

Au fur et à mesure, mes créatures se firent moins discrètes. Sans doute dû à leur nombre de plus en plus important. Des vidéos les montrant en pleine action furent diffusées à travers tous les médias possibles, des photos furent prises. L’existence d’une nouvelle race en devenir faisait place aux rumeurs des premiers jours, que beaucoup pensaient être l’œuvre d’alcooliques ou d’illuminés notoires. Mon projet était en marche, mais ce n’était pas suffisant. Même si les transformations devenaient de plus en plus importantes, je voulais que le processus s’étende sur un territoire plus vaste. Mais j’ignorais quelle méthode employer. Bien sûr, je pouvais me déplacer et faire ce que j’avais fait dans cette ville, créant d’autres communautés de créatures qui, à leur tour, comme elles l’avaient fait ici, donneraient naissance à d’autres. Mais c’était trop lent, et surtout, les hommes normaux, la surprise passée, commençaient à répliquer. Des milices se formaient, des patrouilles de police, des troupes militaires furent envoyées pour éradiquer le mal naissant. Malgré leurs facultés identiques aux miennes, mes créations tombaient jour après jour face aux armes mises au point par les hommes de science pour percer leur corps et éteindre leurs vies.

 

C’est en regardant un reportage relatant une expédition contre mes congénères que je trouvais la solution pour étendre plus avant cette nouvelle race qu’était devenue la mienne. Les réseaux d’eau potable. Si une quantité suffisante de sang était déversée dans ces réseaux, elle contaminerait de manière irréversible toute la population de la ville en un temps record. Il me suffirait alors de faire le même type d’opération à travers le pays pour faire du continent le point de départ d’une expansion mondiale de notre race. Et pas seulement l’eau potable. Les rivières, les usines de soda, de plats préparés, toutes les formes d’alimentation… En contaminant le mode alimentaire humain, c’est le monde entier qui serait bientôt en pleine phase d’évolution. Alors que je me demandais comment réunir suffisamment de créatures pour s’attaquer à ces différents réseaux d’alimentation, je me découvris une autre faculté. La téléphathie. En pensant à la meilleure manière d’opérer, je me rendis compte que je pouvais « voir » les pensées des autres créatures à travers la ville. Et que je pouvais communiquer avec elles par la pensée…

 

C’était inespéré. A partir de là, tout s’est enchaîné. Pendant que les troupes d’intervention militaires se focalisait sur des groupes, envoyés par mes soins pour faire diversion, j’envoyais mes « soldats » vers des cibles bien déterminées afin de mettre mon plan en marche. Une autre de mes facultés dont je découvrais l’existence, c’était une montée très nette de l’intelligence. J’étais désormais capable de mettre au point des stratégies, d’élaborer des techniques d’invasion de sites phares, sans pour autant bouger de là où j’étais, en véritable général. Il ne fallut que quelques semaines pour que les plus grands sites soient pris d’assaut par mes semblables, suivant scrupuleusement mes indications, les agents de sécurité des différents lieux visés étant incapables de les contrer. Un autre des avantages de cette race nouvelle : une harmonie parfaite, dépourvue de toute haine envers ses semblables, attaquant non pas pour le plaisir de tuer des humains, mais uniquement pour les contaminer, et grossir nos rangs, se contentant de se nourrir des animaux qu’ils rencontraient dans les rues : chiens, chats, rats, … Parfois, des élevages de lapins, de poules ou autres animaux de ferme.

 

Notre race n’avait que faire des notions de confort, de technologie ou autres futilités de la vie humaine. Seul l’instinct de survie, d’entraide, de compassion subsistait de notre ancienne condition humaine. Débarrassé de tout le superflu. Au bout de quelques mois, tout le continent Nord-américain était devenu notre territoire, les quelques rares humains ayant échappé à la contamination se terrant comme nous le faisions à nos débuts. Au bout d’un an, c’est toute la planète qui fut sous notre emprise, reléguant l’ancienne race dominante humaine à quelques groupes se cachant sous terre, dans les montagnes, obligés de revenir à des valeurs simples tels que leurs ancêtres étaient familiers, vivant de chasse de cueillette de fruits, limitant leurs conforts à des grottes, des souterrains, des égouts, … Des lieux où ils pensaient pouvoir échapper à nos semblables. Mais l’extinction se poursuivait petit à petit, inexorablement. Les villes n’étaient plus que des amas de briques, de métaux inutilisés, sombrant peu à peu en de vastes ruines.

 

Nous sommes devenus la race dominante d’une planète n’ayant plus à craindre les guerres, les mensonges, les trahisons, la dégradation des sites naturels, et autres exactions de l’être humain. Une évolution nécessaire pour permettre à cette Terre de survivre. Il nous arrive bien parfois de devoir recourir à la violence face à des groupes humains refusant de rejoindre notre communauté. Auquel cas, nous n’avons d’autre choix que de revenir de temps à autre à des comportements bestiaux, arrachant des têtes, des bras, éventrant des corps ou se nourrissant de leur chair. Des choix s’expliquant aussi parfois parce que l’humain reste le gibier le plus facile à traquer, conscient également que pour survivre, notre race ne peut pas transformer l’intégralité des survivants humaines. C’est pourquoi nous ne nous attaquons, en cas d’extrême nécessité, qu’à de petits groupe isolés, constitués de seulement quelques membres, afin de laisser aux groupes plus importants le temps de se reproduire, et de nous permettre d’obtenir un nombre plus important de viande par la suite.

 

Ce n’est pas du cannibalisme comme vous pourriez le croire. Notre mode alimentaire a quelque peu changé par rapport à nos débuts, dans le seul but de préserver une faune nécessaire à notre propre survie. L’humain est le seul animal non primordial. Nous prenons simplement garde à ce que les survivants de développent pas un retour vers une technologie suffisante pour retourner la situation à notre désavantage. Même s’il y a peu de chance que cela survienne un jour, car les abords de chaque ville pouvant permettre cela sont sous le contrôle de dizaines de communautés de nos semblables. Cela a pris du temps, mais j’ai finalement réussi là où le vieux barbu a échoué. Evincer les conflits entre les membres d’une même communauté, devenir une unité, soucieuse de sa survie et des éléments y contribuant, en particulier l’environnement et les différents écosystèmes dans lesquels nous vivons.

 

Ne voyez pas nos chasses envers les humains comme des actes monstrueux. L’homme n’est plus qu’une proie, mais c’est un juste retour des choses, après que celui-ci a chassé et détruit tant de races et d’espèces au cours de son histoire. Quand à moi, je me suis réconcilié avec le destin. Je ne sais pas si vous croyez en la réincarnation, mais pour ma part, j’en suis persuadé. J’ai rencontré il y a peu une femelle pour lequel j’ai eu une sensation de familiarité, une sorte de « déjà-vu » sentimental. Je ne saurais pas l’expliquer, mais je suis sûr que c’est l’esprit de Tanya qui est en elle. Même gentillesse, même douceur, mêmes lèvres me donnant des frissons… Le destin a reconnu sa défaite envers moi, et pour se faire pardonner, il m’a redonné Tanya. Aujourd’hui, je me dis que ma vie faite de pleurs et de destruction mentale était sans doute nécessaire pour permettre la mise en place de cette évolution de la race humaine, un passage obligé vers cet état de fait dont je devais être le pivot central. Moi et Tanya. Je l’ai appelée comme elle. Elle m’a souri à l’évocation de ce prénom. Ce qui me conforte dans mon idée que je ne me suis pas trompé. Mais je dois vous laisser maintenant. Nous partons en chasse tous les deux, et j’ai repéré tout à l’heure un groupe de 3 humains pour notre dîner. L’un m’a l’air bien dodu. On devrait se régaler.

 

Publié par Fabs


10 févr. 2021

PEINTURES DEMONIAQUES (Jeffrey Forks 2)

 


Il s’est déjà passé 3 mois depuis ma première confrontation face aux Spectres Noirs, et j’en ai encore gardé une expérience traumatisante. Bien plus que je ne l’aurais souhaité. Mais elle aura eu l’avantage de me faire connaître leurs limites pour s’imposer dans notre monde, même si je reconnais que sans la bague d’Odin, je ne serais plus là pour en parler. A l’heure qu’il est, sans cet artefact salvateur, mon âme aurait rejoint les limbes, plongée à jamais dans les ténèbres d’une dimension inconnue, pendant que l’un d’eux occuperait mon corps et s’en servirait pour explorer les archives de mon oncle, afin de découvrir des indices sur les autres objets parsemant le monde, et capables de leur ouvrir les portes de notre dimension, à eux et leurs créatures infernales dont ils sont les marionnettistes.

 

Passé ce constat, j’ai parcouru plusieurs états dans l’espoir de recueillir des indices s’ajoutant aux notes de feu mon tuteur disparu. Une sorte de périple, une quête à la recherche de personnes ayant connu l’objet des recherches de celui qui m’a protégé d’eux de son vivant. Aidé en cela par des livres forts anciens dont l’existence n’est relatée dans aucune liste, aucune archive, aucun fichier informatique. Des documents uniques, transmis uniquement par voie manuelle, de générations en générations. Et quand celle-ci était rompue, faute de descendants, ils atterrissaient dans les mains de personnes à même d’accomplir cette mission particulière. Celle d’empêcher ces êtres, ces figures du mal de pénétrer notre dimension, pour en faire une succursale d’un enfer bien pire que tout ce qui a pu être lu dans les récits ecclésiastiques à travers l’histoire de l’humanité. C’est ainsi qu’ils sont arrivés au sein du manoir de mon oncle, avec leurs secrets, leurs formules, leurs invocations permettant de mettre fin à l’activation des artefacts. J’ignore encore à l’heure actuelle qui sont les créateurs de ces objets maléfiques, ces portes vers le ShadowEarth où vivent ces ombres du malheur et de la destruction, les Spectres Noirs.

 

J’espère trouver des réponses à mes nombreuses questions en parcourant l’immense salle des archives de l’oncle Ludwig, située sous le manoir, au cœur même des fondations. Ces mêmes fondations qui ont été érigées sur une ligne tellurique, sur le réseau Hartman, la même où se situe les Pyramides de Gizeh, ce qui n’est certainement pas un hasard. Je savais par mes parents que l’excentricité supposée de l’oncle Ludwig l’avait poussé à être tyrannique sur les bâtisseurs qui ont été chargées de creuser les fondations du manoir, selon ses plans, et il était capable de piquer des colères noires s’il constatait un écart sur le placement des piliers constituant les bases de soutien de sa future demeure, et n’hésitait pas à tout faire recommencer pour que tout soit conforme, au centimètre près, à ses calculs. Il a fallu 4 ans de travaux, et près de 6 équipes différentes de sociétés de construction pour finalement arriver au lieu que je connais. L’oncle Ludwig n’hésitant pas à licencier purement et simplement ceux qu’ils jugeaient incompétent pour finaliser la tâche monumentale qu’est le manoir.

 

On pourrait croire que cette exactitude dans les placements était l’œuvre d’une personne dérangée. En tout cas, c’est ce que croyait toute la famille, et c’est la raison qui a poussée celle-ci à prendre ses distances avec lui. Pour tous les membres de la famille, Ludwig n’avait clairement plus toute sa tête depuis sa rencontre avec une étrange femme lors de l’enterrement de son épouse. Là encore, en parcourant les notes, quelque chose d’étrange apparaissait quant à cette mort prématurée. Martha, l’épouse de l’oncle Ludwig était décédée dans des circonstances plus que curieuses. Officiellement, elle avait succombé à une tumeur au cerveau, mais en relisant certains documents présents au sein de cette salle des archives, cette tumeur était dû à de fortes émanations radioactives. Et elle s’était déclenchée à la suite de fouilles tout près du site de Gizeh, en Egypte, Martha travaillant pour l’AIA, l’institut Archéologique d’Amérique. A la lumière de tout ça, il subsistait de nombreuses zones d’ombres, sur ce qui avait amenée sa tumeur à se déclencher, l’objet de ses recherches, et le fait que cette étrange femme ait rencontré l’oncle Ludwig, semblant savoir plus de choses qu’elle ne voulait en dire. De cette rencontre est née une collaboration mystérieuse, amenant l’oncle Ludwig à faire construire ce manoir.

 

 Je n’ai pas encore tout découvert sur l’identité de cette femme qui semble être à l’origine de tout. Si ce n’est, selon les nombreuses notes de mon oncle, qu’elle disait appartenir à une organisation existant depuis des centaines d’années, en marge des gouvernements successifs qui ont bâti l’histoire américaine, dont les bases semblent remonter à l’investiture d’Abraham Lincoln. Une véritable énigme qui dépasse largement mes connaissances actuelles. Pour l’instant, j’ai plus de questions que de réponses. Le nom de cette organisation d’abord, son créateur, les raisons de son existence, l’identité de cette mystérieuse femme, la maladie de Martha, la construction du Manoir et toutes ses extensions. Car oui, j’ai découvert des choses surprenantes sur cette demeure que je pensais tant connaitre. Moi qui pensais que la salle des artefacts était l’endroit le plus bizarre du manoir, ce n’était en fait que l’arbre qui cache la forêt. Je ne peux pas vous détailler plus avant les différentes pièces se cachant sous le château, toutes aussi surprenantes que les autres, au nombre de 9. Ça aussi, ça n’est sûrement pas dû au hasard. J’ai retrouvé ce chiffre très souvent sur divers documents au fur et à mesure de mes lectures. J’en viens même à penser que cela à un rapport avec cette mystérieuse organisation. Mais je me perds dans mes pensées, et je m’éloigne de la raison pour laquelle je voulais vous informer de ce qui m’est arrivé suite à ma première confrontation avec les Spectres Noirs. Eux aussi d’ailleurs ont un rôle à jouer dans tous ces mystères que je commence à mettre au jour, mais chaque chose en son temps. Pour l’heure, je me dois de vous évoquer les évènements qui ont suivis.

 

J’en étais resté à ces personnes m’ayant fourni certains de ces documents m’ayant permis de combler quelques « trous » dans l’histoire de mon oncle, sur les Spectres, le ShadowEarth et le reste. C’est ainsi que j’ai appris qu’il y a différentes sortes d’artefacts, selon une sorte de classement établi par l’oncle Ludwig. Mais était-ce bien lui qui en est le véritable auteur ? Qu’importe après tout. Toujours est-il qu’il existe donc 3 catégories : les LowFacts, les MiddleFacts et les HighFacts. Les LowFacts sont les plus faciles à gérer, ce sont des objets ne permettant l’accès à notre monde qu’à des créatures inférieures du ShadowEarth. De simples équivalents aux petits démons qui remplissent les pages des manuels ésotériques qu’on peut dégotter un peu partout dans des boutiques spécialisées.

Des créatures faibles facilement renvoyables dans leur dimension, avec des armes humaines, moyennant quelques aménagements au préalable. Un simple pistolet peut faire l’affaire. Mais il faut que les balles aient été forgées à partir d’un mélange d’étain, d’argent, de cuivre et de plomb, recouvertes d’un onguent particulier, dont j’ai trouvé la recette au sein des archives. Parfois, d'autres méthodes plus simples suffisent. Il y a ensuite les MiddleFacts, plus compliqués à renvoyer dans le ShadowEarth. Elles ouvrent notre monde à des créatures appartenant à un bestiaire que je pensais appartenir à diverses légendes et mythes, tels Minotaures, Harpies ou Gorgones d’une part ; et des créatures plus complexes à décrire, car n’ayant pas vraiment de forme propre, plus proches d’entités fantomatiques ou parfois électriques : une sorte d’énergie vivante mais pouvant agir physiquement. Si la catégorie des créatures mythologiques possède certaines faiblesses indéniables, grâce à l’utilisation d’armes cette fois plus spécifique ou par la récitation d’invocations propres à les renvoyer d’où elles viennent, les entités sont clairement plus difficiles à se débarrasser. Car si elles peuvent agir physiquement sur les humains, il n’en pas de même pour nous pour les atteindre, et seules l’utilisation de pierres de pouvoir associés à certaines facultés inhérentes à son détenteur peuvent en venir à bout.

 

J’arrive à un détail très important me concernant. Je vous ai dit, lors de ma précédente expérience, que quelque chose semblait attirer les Spectres vers moi. En fait, j’ai découvert, toujours grâce aux notes de mon oncle, que cette attirance était de la crainte. Notre famille est constituée de personnes ayant des facultés cachées, qui ne se déclenchent qu’à partir d’un certain âge, et suivant certaines conditions. Comme une altercation avec une force surnaturelle… ou l’entrée dans un lieu où l’énergie tellurique est très puissante… Comme le manoir. Cette faculté n’apparait que toutes les 9 générations, et de manière aléatoire. Et seules quelques personnes formées à les reconnaitre peuvent ressentir l’aura émanant de ce pouvoir ne demandant qu’à sortir. Mon oncle était de ces personnes capables de ressentir cette force. C’est la raison pour laquelle, malgré ses réticences à me recueillir au sein de sa demeure au départ, il a finalement senti ce qui était en moi. Et qu’il m’a fait part de certains secrets, le concernant lui et la menace dans les murs du manoir. C’est d’ailleurs ma présence qui a réduit la frontière entre le ShadowEarth et notre dimension, par le biais de lignes tellurique situées sous le manoir.

Une force que mon oncle m’a appris à cultiver, de manière indirecte, afin de juger de sa puissance. Il n’a pas eu le temps de tout m’apprendre sur la manière de m’en servir. C’est mon expérience face aux Spectres Noirs qui m’a donné des pistes. Par le fait d’avoir pu utiliser la bague d’Odin. Même si je ne peux pas l’utiliser sur une longue période, je suis l’un des rares à pouvoir la porter sans être immédiatement réduit en cendres en quelques secondes. Depuis ce jour, j’ai appris, à force d’apprentissage, à maîtriser le pouvoir de la bague sur une période plus longue. Et c’est cette même force qui peut me permettre de vaincre les entités sortant des MiddleFacts.

 

La dernière catégorie, les HighFacts, est propre aux Spectres Noirs. C’est celle qui permet de les faire entrer, eux et uniquement eux, dans notre monde. Il n’en existe que 6 à travers le monde. La boite à musique qui m’a donné tant de sueurs froides fait partie des ces 6 HighFacts. Aujourd’hui, elle est enfermée dans un endroit plus sûr, dans les sous-sols du manoir, dans une pièce que j’ai fait aménager dans ce but, dont l’entrée est fermée par une porte blindée dont je suis le seul à connaître la combinaison, en fait une formule, selon un cadran d’ouverture bien particulier. Face aux Spectres, seule l’utilisation combinée de mes facultés et de la bague d’Odin peut parvenir à les repousser.

 

Heureusement, tous ces artefacts disséminés à travers le monde ne peuvent être activés par leurs propriétaires, qui, pour la plupart, ignorent leurs pouvoir, que sous certaines conditions. Mais il n’en reste pas moins que je dois toutes les retrouver et les ramener au manoir, afin d’empêcher toute forme d’invasion de la part du ShadowEarth. A ce jour, au manoir, il y a 34 LowFacts, 16 MiddleFacts et 1 HighFact qui sont enfermés dans la pièce spéciale dont je vous ai parlé précédemment. 51 artefacts donc au total. Sur 100 existants de par le monde. Autant vous dire que ma tâche va être ardue. Maintenant que vous savez les points principaux concernant le ShadowEarth, les Spectres Noirs, leurs créatures, les artefacts et les quelques secrets que j’ai mis à jour concernant le manoir et le passé de mon oncle, il est temps que je vous relate ce que j’ai vécu il y a seulement quelques jours. Une expérience éprouvante, mais qui m’a permis de tester et de perfectionner mes compétences et le contrôle de mes facultés face aux créatures du ShadowEarth.

 

Comme je vous l’ai indiqué, j’ai repris à mon compte le réseau d’indicateurs mis en place par mon oncle, les contactant chacun à leur tour, précisant que je reprenais le flambeau de ce dernier. Même si certains ont paru réticent dans un premier temps, le fait que je leur parle de mon expérience avec les Spectres Noirs, la découverte de mes facultés, et surtout le fait de pouvoir utiliser la bague d’Odin, les a finalement tous convaincus. Et c’est donc l’un d’eux qui m’a fait part de faits étranges se déroulant à Newport, sur des individus s’adonnant à des actes inhabituels de leur part : conduite dangereuse, violences aggravées, insultes publiques, et même des agressions physiques à l’arme blanche. Le fait troublant lui faisant penser qu’il s’agissait d’un artefact lié au ShadowEarth, c’était que toutes ces personnes étaient des amateurs d’art reconnus, passionnés de peintures. Et surtout que leurs changements de personnalités est survenue juste après avoir acquis un tableau d’un peintre très en vogue actuellement. L’autre truc étonnant, c’était que ledit peintre était totalement inconnu il y avait encore 1 mois de cela. Il ignorait à quel niveau, et la nature de l’objet à la base de ces troubles, étant donné qu’il n’existe aucune liste recensant la forme des objets liés au ShadowEarth, mais la coïncidence était troublante, et le peintre avait sûrement un rapport avec les évènements actuels.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’était que la qualité d’enquêteur des indics de mon oncle serait capable de faire rougir n’importe quel inspecteur de police chevronné. Je me rendais donc à Newport pour en savoir plus sur ce fameux peintre, un certain Ramon Todello. En fouillant sur Internet, j’appris qu’il n’était dans cette ville que depuis 2 mois. Ce qui rendait son succès fulgurant encore plus étonnant, d’autant plus que ses toiles n’avaient rien de fabuleux. J’appris qu’il avait fait une exposition le mois dernier dans une des galeries d’art de la ville. Encore un fait qui ne devait rien au hasard. En reprenant le détail des faits fournis par mon indic, le début du changement des amateurs d’art avait commencé juste après cette exposition. Je devais commencer par-là, et en savoir un peu plus sur le dénommé Ramon Todello. J’avais bien son adresse, mais je ne pouvais pas débarquer chez lui sans un motif valable, et surtout connaître un peu mieux ses habitudes.

 

Une fois à la galerie d’art, je fis mine de m’intéresser aux œuvres exposées. Au bout d’un quart d’heure, un homme en complet veston s’approcha de moi, me demandant si j’étais intéressé par un tableau en particulier. L’appât avait fonctionné. Restait plus qu’à ferrer le poisson. J’expliquais que je recherchais s’il y avait un tableau de Todello encore exposé dans la galerie, qu’un ami m’avait recommandé. Le vendeur m’apprit ainsi que les 6 toiles qui étaient présentes avaient toutes été vendues le même jour. Il avait rarement vu un tel engouement pour un artiste totalement inconnu. Mais il y avait autre chose qui l’avait troublé. Sur les toiles en elle-même. Il ne savait pas comment l’expliquer, mais il se dégageait quelque chose d’étrange de ces toiles. Comme une sensation hypnotique quand on les regardait. Lui-même se sentait mal à l’aise à chaque fois qu’il avait été en leur présence. Et il avait remarqué que les personnes passant devant s’arrêtait brusquement, comme subjuguées par le tableau. Il était dans l’art depuis longtemps, et il avait déjà vu des toiles emporter l’adhésion par leur style particulier, leurs couleurs, la manière dont elles étaient peintes… En gros, une « patte » du peintre qui le faisait se démarquer des autres. Dans le cas de Ramon, il n’avait pas remarqué ce « petit plus » qui faisait qu’une toile obtenait un intérêt de par sa constitution. C’était des paysages banals, et peints sans génie, sans traits propres à se faire remarquer. Et pourtant, on se sentait comme « attiré » par elles, comme une sorte d’appel mystique, il ne saurait pas trop dire. Mais le fait est que les clients de la galerie, habituellement très exigeant quant à la qualité des peintures, étaient en extase sur ces toiles en particulier. De manière vraiment très étrange. Il avait même dû séparer 2 clients habituels qui en étaient presque arrivé aux mains pour pouvoir acheter une des toiles. C’est quelque chose qui avait été vraiment perturbant. L’histoire s’est tassée, l’un des 2 hommes ayant finalement jeté son dévolu sur une autre toile. Une toile de Todello elle aussi.

 

Je remerciais le vendeur pour ces petits détails, et lui faisait croire que 2 toiles exposées au mur de la galerie me plaisaient, mais que je ne parvenais pas à me décider. Et que je reviendrais demain pour faire mon choix, que j’allais réfléchir à tête reposée. Le vendeur me laissa donc repartir, en me disant qu’il attendait mon retour avec une certaine impatience. Le pauvre… Il risquait d’attendre longtemps. Bon, avec tout ça, une certitude s’imposait : c’était bien les toiles le nœud du problème. Mais j’ignorais encore à quel niveau. Maintenant, je devais observer discrètement Todello, surveiller ses allées et venues, et surprendre une de ses ventes. L’homme de la galerie m’ayant également indiqué que, suite à son récent succès, il ne vendait plus ses toiles qu’aux acheteurs venant directement à son atelier. Au bout de 2 journées, ma patience fut récompensée. Un homme d’une quarantaine d’années, habillé plutôt chic, semblait se diriger vers l’atelier de Todello, que je n’avais pas encore vu, celui-ci ne semblant pas sortir de chez lui. Comment il faisait pour attirer ses clients alors ? Le bouche à oreille sans doute des précédents acquéreurs de ses toiles.

 

Quoi qu’il en soit, je le suivais discrètement, alors qu’il montait l’escalier menant à l’atelier du peintre, espérant découvrir quelle était la nature exacte de l’objet maléfique. Arrivé en haut de l’escalier, je restais en retrait, juste assez pour voir l’homme suivre un petit couloir, puis passer l’encadrure d’une porte. Enfin, à dire la vérité, il y avait bien l’encadrure, mais pas de porte à proprement parler. Ce qui m’arrangeait. Ainsi, cela me serait plus facile pour observer ce qui se passait à l’intérieur. Une fois l’homme entré, je m’engageais à mon tour dans le couloir, et me postais près de l’encadrure, m’avançant légèrement, suffisamment pour pouvoir voir la scène se déroulant entre les murs. Je voyais ainsi le fameux peintre, qui n’avait franchement rien de classieux. C’était même tout le contraire. En comparaison, un SDF aurait une meilleure allure. Entre le jean rapiécé, les cheveux hirsutes, et le tee-shirt rempli de peinture séchée depuis visiblement un bon moment, indiquant clairement qu’il n’avait pas été lavé depuis un sacré bout de temps, on ne pouvait pas dire qu’il était l’archétype du mec dangereux. Mais ce qui m’interloqua, c’était la réaction du « client ». Complètement figé devant le tableau que le peintre lui présenta. Je n’étais pas un expert de la peinture, mais comme l’avait dit le vendeur de la galerie, je ne voyais rien de fabuleux dans ce tableau, qui représentait une simple maison au bord d’un étang.

 

Mais franchement, en comparaison de ce qu’on voit en peintures sur le net, de peintres contemporains j’entends, ce que je voyais semblait avoir été dessiné par un enfant, tellement c’était mauvais. En revanche, la suite était plus inquiétante. Au bout d’un instant, l’acheteur se retourna dans ma direction, les yeux complètement dans le vide, baragouinant je ne sais quels mots en continu, comme s’il récitait un texte qu’on venait de lui apprendre. Au fur et à mesure qu’il s’avançait vers l’entrée de l’atelier, j’entendais plus distinctement ses paroles, où il énonçait clairement le mot « tuer » à plusieurs reprises. C’est à ce moment que je décidais d’entrer, essayant de secouer l’homme pour le sortir de sa transe hypnotique. En m’apercevant, le peintre devint comme furieux, et tenta de me séparer de l’homme, qui, dans la lutte, finit par tomber à terre. Je m’empoignais avec le peintre, qui avait un regard de fou, les yeux en sang, montrant les dents comme donnant l’impression de mordre. Le genre de personnes qu’on voit régulièrement dans les films mettant en scène des possédés. L’empoignade fit place à une série de coups de poing en pagaille de la part de moi et de lui, tel une bagarre de rue. Le client, lui, restait à terre, complètement dans les vapes, ne semblant pas savoir où il se trouvait. Au cours de mon affrontement physique avec le peintre, je me rapprochais de la toile, espérant découvrir ce que la peinture du malade mental qui m’agrippait avait de si particulier pour transformer ceux qui la regardait en simili-zombies obéissant à un ordre bien donné. Dans le feu de l’action, presque sans réfléchir, et surtout n’ayant pas d’arme sous la main, et aussi ne voulant pas blesser trop grièvement le peintre, sans savoir son degré de possession, j’attrapais un outil qui servait à la peinture au couteau, histoire de me défendre.

 

En faisant ça, je fis tomber tout ce qui était à côté : palette, pots de peinture, et un pinceau d’un noir très profond, du manche aux poils, d’où semblait émerger une sorte d’aura qui me mettait mal à l’aise. En voyant le pinceau tomber, le peintre redoubla de folie, hurlant comme pas possible, et se jetant quasiment sur moi, tel un animal enragé. Comprenant qu’il cherchait à récupérer le pinceau, je le pris de vitesse et m’emparais de ce dernier, tout en évitant l’assaut du fou furieux, qui tomba quelques mètres plus loin, la tête la première dans un fourbis constitué d’habits, de toiles vierges et autres accessoires de peinture. Il se releva, hurlant de lui rendre le pinceau. Il était évident que j’avais trouvé quel était l’objet maléfique que je cherchais. Mais pour l’heure, ce qui m’importait surtout, c’était le dégénéré en face de moi, qui s’était remis debout, et qui se préparait à se jeter sur moi à nouveau. Je remarquais sur le bord de la fenêtre tout près, une grosse bougie, disséminant sa lumière. Me dirigeant vers elle, je plongeais le pinceau dans sa flamme. Celui-ci s’embrasa presque immédiatement, comme si il n’était qu’un vulgaire morceau de papier. Au même moment, le peintre redoubla ses hurlements, en proie à une douleur intense, se tenant les deux côtés du crâne, avant de tomber à genoux, puis de s’étaler de tout son long sur le sol, inerte. Le pinceau continuait de se consumer. Je le lâchais au sol, le voyant se réduire à un tas de cendre. Si c’était bien lui l’artefact, ce ne devait être qu’un simple LowFact, les plus fragile de la catégorie. Mais alors que je pensais que tout était fini, j’écarquillais les yeux en voyant ce qui sortait du tableau.

 

Toutes les couleurs semblaient s’être rassemblées pour former un amalgame improbable, et cherchant à sortir de la toile, comme un esprit ayant été enfermé et voulant retrouver la liberté. C’est là que je compris ce qui en était. Le pinceau était bien l’artefact, le portail, mais il avait permis l’entrée dans notre monde d’un démon inférieur issu du ShadowEarth, qui avait dû se fondre aux couleurs utilisées par le peintre et s’intégrer à la texture même de la toile où elles avaient été posées. Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Les couleurs continuèrent de fusionner entre elles, formant une silhouette informe, sortant de la toile, posant ce qui s’apparentait à un pied sur le sol. Puis, je me rappelais du pinceau qui avait brûlé au contact de la flamme de la bougie. Il devait en être de même pour le démon en lui-même. Mais je devais agir avant qu’il sorte intégralement de la toile. Une fois sorti, il me serait plus difficile de m’en débarrasser, et je serais sans doute obligé d’avoir recours à une invocation ou un sortilège pour le détruire. Une opération longue et fastidieuse, que je préférais réserver pour des créatures plus imposantes comme celles issues des MiddleFacts.

 

 

J’attrapais la bougie, et la lançais sur la toile et la semi-silhouette qui était presque sortie, mais toujours reliée à la toile. En prenant feu, la toile répandit les flammes jusqu’à cette forme indéfinie, qui semblait fondre et hurler de douleur, en poussant des cris indéfinissables et stridents. Je crus que mes tympans allaient exploser sur le coup. Il fallut plusieurs minutes avant que le démon et la toile elle-même furent entièrement anéantis par le feu, ne laissant qu’une forme noircie sur le parquet de l’atelier. Encore un peu abasourdi par tout ça, je revenais vers le peintre, pour voir si je pouvais encore faire quelque chose. Mais c’était peine perdue. Celui-ci était bel et bien mort. En revanche, le client, lui, semblait émerger peu à peu de sa transe, se demandant ce qu’il faisait là. Et en me voyant moi, puis le corps du peintre, il se releva en trombe, avant de s’enfuir sans demander son reste. Après tout, c’était mieux comme ça. Je me voyais mal lui expliquer qu’il était sous le contrôle d’un démon d’une autre dimension enfermé dans une toile de peintre.

 

Néanmoins, j’avais plutôt intérêt à partir d’ici avant que cet abruti appelle la police qui serait encore moins prompte à me croire quand aux évènements qui venaient d’arriver. Je sortais donc vivement de l’atelier, non sans jeter un dernier regard à ce pauvre type qui avait eu le malheur d’avoir en sa possession un objet aussi dangereux que ce pinceau maléfique. Quelque chose me chiffonnait cependant. Si le démon principal était enfermé dans cette toile, qu’en était-il des 6 toiles d’origine vendues par la galerie. Elles devaient elles aussi comporter des démons. Je me devais de vérifier. Dans les jours qui suivirent, aidé par mon indic avec qui je pris contact, je mis la main sur les autres toiles, grâce au carnet de commandes du peintre, où figuraient leurs adresses. Fort heureusement, ils étaient tous des hommes soit seuls, soit avec des épouses en voyage ou dans la famille, ce qui facilita la destruction des toiles, qui, privées du démon principal, étaient restés enfermés à l’intérieur des tableaux, en nous introduisant dans les propriétés, sans être inquiétés, tout en agissant de manière discrète.

 

Cette fois-là, je n’ai pas ramené l’artefact au manoir, mais comme il a été détruit, le résultat est tout aussi bien. Après avoir donné congé à mon indic, je repartais donc vers ma demeure, ce manoir aux mille secrets, dont il me tardait de découvrir les solutions aux innombrables énigmes laissés par mon oncle, l’organisation mystérieuse en tête. Sans parler du chiffre 9, la femme, le lien avec Gizeh et tout le reste. Un véritable puzzle dont je ne détenais pas encore toutes les pièces. Mais bientôt, une première pièce allait m’apporter un début de réponse sous la forme d’un appel téléphonique. Au bout du fil, une voix féminine qui disait bien connaître feu mon oncle Ludwig, et qu’elle était prête à partager certaines infos avec moi, mais à certaines conditions. J’acceptais, trop heureux d’avoir enfin des réponses. Elle devait venir au manoir dans 6 jours, le temps pour elle de régler quelques détails. Il me tardait de pouvoir enfin rassembler les morceaux manquants. J’avais hâte. Et ce qu’elle allait me révéler allait complètement bouleverser ma vision de ce que je pensais déjà savoir. Sur ma famille, mon oncle… et l’accident qui avait coûté la vie à mes parents.

 

… à suivre dans le prochain épisode : « Le Secret de Gizeh »

 

Publié par Fabs