17 juil. 2023

LA COLERE DE LA VOUIVRE

 


 

Je ne voulais pas ça… Je ne voulais pas que notre village soit réduit à néant par ma faute, simplement parce que j’ai commis l’erreur de dérober l’escarboucle et le diadème de cette créature démoniaque et destructrice qu’est la Vouivre. La première fois que je l’ai vue, je n’ai fait qu’apercevoir la silhouette de son dos, au milieu de la vapeur d’eau l’entourant, dû à la cascade où elle se baignait. Je n’y voyait que la forme d’une jeune fille aux longs cheveux caressés par l’écume. C’est tout juste si j’ai pu voir la couleur de sa peau, que les rayons du soleil offrait à ma vue. Une peau étrange, à mi-chemin entre le vert de l’herbe, et celle rose nacrée propre à tout humain, semblant montrer ce qui ressemblait à des écailles argentées par endroits. Très loin des légendes parlant d’une créature plus proche du serpent ou du dragon, munie d’ailes de chauve-souris, au cri pouvant percer les tympans d’une seule note, et faire couler du sang des oreilles, des yeux et du nez, signe distinctif d’une hémorragie interne de grande ampleur.

 

A dire vrai, je ne croyais pas vraiment à l’existence de ce monstre capable de mimétisme, et détenteur d’un joyau pouvant offrir la richesse à qui le détiendrait. Ce n’était pour moi qu’une fable destiné aux enfants, un conte de plus dans le folklore fantastique riche de ma région, la Bourgogne-Franche-Comté, dont les sources sont nées dans la célèbre « Chanson de Roland », aux environs de l’an 1100, dans les vers « Serpenz E Guivres, Dragun E Averser ». Avec les siècles, le mot « Guivre », signifiant « Vipère, Serpent », a évolué, jusqu’à devenir le mot que l’on connait de « Vouivre » au XIXème siècle, et désignant ce monstre mythique du patrimoine culturel local, dont il existe des variantes dans divers pays, comme la Suisse, l’Angleterre et l’Italie. Comme beaucoup dans mon village, j’ai été élevé dans ces traditions de la menace de monstres qu’il est bon de ne pas défier, ni provoquer la colère, relayé de génération en génération, jusqu’à constituer la base des légendes du département du Jura où se trouve mon village, et où je suis né, Drasnes.

 

Ma famille a toujours été de nature modeste, à l’image de nos voisins et amis. Drasnes ne comporte qu’une soixantaine d’habitants, tous vivants de l’élevage de moutons ou de chèvres, et de la fabrication de fromages, dont le Morbier. Sources principales de revenus pour le fonctionnement de notre village. Mais la grande sécheresse qui a frappé de plein fouet notre département du Jura en Juillet 2022, a causé la mort de nombre de bêtes, du fait de la chaleur, réduisant drastiquement nos ressources, et menaçant la survie financière de la plupart d’entre nous. Mes parents faisaient ce qu’ils pouvaient pour nous permettre de tenir le coup, en attendant la fin de cette calamité météorologique, et les conséquences économiques que cette situation engendrait. Mon père dut même se résoudre à partir travailler dans une grande ville, s’éloignant de notre famille, afin de trouver de quoi nous permettre de résister à cette mauvais passe, et avoir de quoi manger suffisamment. C’est du fait de tout ça qu’au fil de discussions avec mes amis du village, j’ai entendu en détail la légende de la Vouivre.

 

Cette créature à l’allure reptilienne, marchant sur deux pattes, et en possédant deux autres, faisant penser à des bras humains garnis d’écailles, sans oublier d’immenses ailes dans le dos. Contrairement à ce qu’on dit parfois sur elle, la Vouivre n’appartient pas vraiment à la catégorie des dragons, bien qu’elle en ait plusieurs attributs, mais est plus proche d’un serpent ailé. Les mythes l’évoquant parle d’une créature gardant un trésor d’une grande richesse, enfouie sous terre, et dont l’accès est inconnu, car uniquement accessible par la créature, invisible pour tout être humain. On relate également que des nids de vipères, connus comme étant des sortes de compagnons naturels des Vouivres, l’accompagnant lors de sa seule sortie de l’année à la surface, et sont considérés comme des endroits potentiels où figure l’entrée du domaine de la Vouivre. Mais personne n’est assez fou pour déranger ces nids hautement dangereux afin de vérifier s’il cache l’accès au royaume d’une Vouivre. D’autant que, de toute façon, un être humain serait incapable de creuser suffisamment en profondeur pour dégager l’entrée, et ainsi entrer sur le lieu de vie souterrain de ce monstre.

 

Sans compter qu’espérer sortir vivant d’une telle expédition, où on pouvait se retrouver face à cette créature, avait plus de chance d’amener à une mort certaine qu’à un succès garanti pour en ramener les richesses gardées. Quoi qu’il en soit, comme dit plus tôt, je ne croyais pas en ces légendes, que je considérais amusantes, mais dénué de tout sens logique ou ancré dans le réel. J’étais bien cartésien pour ça. Jusqu’à ce qu’un soir, je fus mis en présence de cette silhouette évoquée au début de mon récit, dans l’eau d’une rivière, alimentée par une cascade. Je pensais qu’il s’agissait d’une fille de notre village, et la nature masculine étant ce qu’elle est, mon côté curieux et voyeur se mit en fonction presque immédiatement. J’avais envie de savoir qui, des filles que je connaissais, dont certaines étaient de vraies beautés inaccessibles, car leur virginité était jalousement protégée par leurs parents, pouvait avoir eu l’idée saugrenue de se baigner à cet endroit, alors qu’une douche à son domicile aurait été bien plus discret.

 

Avant de tomber sur ce spectacle d’ombres, de là où j’étais de prime abord, j’étais à la recherche de fruits et de champignons, afin d’agrémenter le repas du soir à venir. L’obsession de savoir qui était cette fille peu prude m’envahissait, et je m’approchais discrètement, me faufilant dans les bosquets jouxtant la rivière, où je pouvais avoir un meilleur lieu d’observation. Je ne suis pas vraiment fier de ce qui m’a poussé à vouloir voler la vision du corps nu d’une des filles du village, je dois bien l’avouer. Mais quand on vit dans un lieu reculé comme celui où se trouve notre petite communauté, le désir s’avère parfois plus fort que la raison. D’autant qu’assister à un spectacle live, changeant des images dénudés de mannequins ou de starlettes sur le web était bien plus attirant que la chasse aux champignons. Etant plus près, c’est là que je compris qu’il s’agissait de bien autre chose qu’une nymphette ayant échappé à la vigilance de ses parents, s’exhibant à la vue de tout promeneur passant dans les environs.

 

Bien que la vapeur d’eau cachait une grande partie de son corps vue de dos, j’ai pu voir les détails que je vous ai énoncé plus tôt. Je pensais que cette couleur de peau particulière, les écailles, venaient d’une mauvaise interprétation de ma part, dû au reflets du soleil, ou autre phénomène météo particulier me faisant voir des éléments fantastique à la place d’un corps nu tout à fait normal. Mais la présence de ce qui s’apparentait manifestement à une queue virevoltant dans l’air, et partant de la base de son dos me convainquit définitivement que j’avais en face de moi la vouivre des mythes de la région. Il était dit dans ces contes que cette créature sortait une fois par an pour se baigner et boire. Et pour profiter pleinement de ce moment de détente pour elle, elle posait son diadème et son escarboucle sur les berges de l’endroit qu’elle avait choisi pour ses ablutions. Le nom d’escarboucle vous est peut-être inconnu ou vague. C’est en fait le nom désignant une pierre précieuse figurant sur le front de la créature, et reliée au diadème. Les deux ne formant qu’une seule pièce. C’est comme un médaillon rattaché au diadème par un fil d’argent ou d’or, ou bien une série d’autres bijoux de moindre valeur.

 

La culture populaire indique que cette escarboucle procure richesse à son détenteur, pouvant changer le fer en or à son contact. Un peu comme la mythique pierre philosophale des alchimistes. Mais ce joyau est protégé par de nombreuses vipères, lorsque la Vouivre la dépose sur la berge. Celles-ci ayant pour mission de la protéger lorsque leur maitresse se baigne et se désaltère, afin d’empêcher quiconque de s’en emparer. Cette pierre, cette escarboucle, c’est une sorte de clé magique qui permet à la Vouivre de rejoindre son royaume souterrain où se trouve ses trésors. Sans elle, la créature est condamnée à rester en surface, tant qu’elle n’a pas récupéré son bien. Les récits n’indiquent pas ce qui se passe si elle n’y parvient pas. Est-ce qu’elle meurt ? Ou bien est-elle obligée de quitter la région où elle vit, par honte de s’être fait dérober ainsi cette pierre ? Je n’ai pas réfléchi à ce qui pouvait découler de ce vol, de la réaction de la Vouivre, une fois découvert qu’on lui avait dérobé ce qui lui appartenait. Seul comptait pour moi le fait que ce joyau pouvait tout changer, non seulement pour ma famille, mais aussi pour mon village, qui pourrait sortir de la crise dans lequel il se trouvait.

 

Mais pour ça, je devais d’abord trouver où la Vouivre avait posé son diadème et l’escarboucle y étant attachée. Je ne sais pas si c’était un signe du destin, ou autre, mais le soleil me montrait l’emplacement du bijou, en provoquant un reflet éloquent en ce sens, près des roseaux sur ma droite. Tout en faisant attention de ne pas alerter la créature qui continuait de se baigner, sans se douter de ma présence, je m’approchais lentement, jusqu’à l’apercevoir. Le diadème et son joyau, au milieu d’une dizaine de vipères glissant en permanence dessus, traçant des courbes continuelles sur sa surface, en digne gardiens de leur maitresse. Je réfléchissais à un moyen de faire fuir ces bestioles, et je trouvais. J’avais dans ma poche une feuille de papier, une liste écrite par ma mère, où figurait les produits à demander au boucher de notre village. J’avais en ma possession dans mon autre poche un briquet qui ne me quittait jamais. Je prenais un bâton parmi ceux figurant au sol autour de moi, y enroulait le papier, et l’enflammais, avant de me diriger vers les vipères, et m’en servir pour les faire fuir.

 

Je devais faire vite, car le son des sifflements des serpents pouvaient alerter la Vouivre, malgré le bruit de la cascade, si je n’y prenais par garde. Finalement, la chance fut de mon côté, et je parvins à éloigner à bonne distance ces petites gardiennes, et m’emparer de mon objectif, avant de détaler. Je ne me retournais pas, mais j’entendis alors un cri strident venant de la cascade, suivi d’un immense déferlement d’eau, dont je recevais des filets sur le dos et mes cheveux. Le cri semblait s’amplifier, et je crus percevoir aussi un bruit de craquement d’os et un bruissement faisant penser à des battements d’ailes d’une très grande ampleur. Je ne me désarmais pas, et fonçais droit devant moi, sans chercher à savoir si la distance me séparant de la cascade et de la Vouivre était suffisante. Après plusieurs minutes de cette course folle, je parvenais au village, prenant enfin le temps de vérifier si la créature m’avait suivie. Mais je ne voyais aucune trace d’elle. Ni dans les airs, ni sur la terre ferme, sortant des bois que je venais de traverser, à l’opposé de la rivière et la cascade où j’avais dérobé le fruit de mon larcin.

 

Je ne me suis pas servi immédiatement de l’escarboucle, voulant être sûr que la Vouivre n’avait pas trouvé le chemin du village, ou avait renoncé à me suivre tout simplement, trop honteuse de s’être fait voler. A moins, comme je le pensais un premier temps, que la perte de son joyau, la clé pour rejoindre son domaine souterrain, lui avait fait perdre ses forces, voire la vie. Un peu comme on retire le fluide vital, l’élément indispensable à la vie d’une créature mythologique dans les films. Au bout de deux jours, il devenait évident que la potentielle menace de la Vouivre avait disparu. Dès cet instant, j’ai commencé à me servir des pouvoirs de l’escarboucle, qui était tout aussi réel que ne l’était l’existence de cette créature légendaire qu’était la Vouivre. J’indiquais alors aux habitants du village que je possédais ce joyau pouvant faire revivre notre village. Dans un premier temps, beaucoup redoutaient la colère de la créature, qui allait forcément chercher à récupérer son bien, et abattre son courroux sur nous tous. Et je voyais de nombreux regards de désapprobation me fixer, inquiets de la suite.

 

Mais je les rassurais, en leur disant, même si je ne l’avais pas vu de mes yeux, que la Vouivre avait péri dès lors que je lui avais dérobé le bijou. Affirmant que j’avais vu son corps se décomposer sur place. Comme il n’existait aucun récit décrivant ce qui arrivait en cas de perte de l’escarboucle par une Vouivre, et me faisant confiance, les sourires firent place aux mines blafardes, et une ère d’abondance pleuvait sur notre village. De nombreux objets furent transformés en or grâce au joyau, qui furent vendus à des marchands spécialisés dans l’achat de produits précieux. Notre village retrouvait la vie grâce à moi, et j’étais traité comme un héros. Même les parents protecteurs voyaient d’un bon œil que leur fille me fréquente, me laissant l’embarras du choix. Choix qui se porta très rapidement sur Emma. Cela faisait déjà longtemps que j’avais remarqué cette belle brune, et je savais que c’était réciproque. Mais comme je vous l’ai déjà dit, notre village est ancré dans des traditions qui peuvent sans doute paraitre vieillotte, au vu des mœurs d’aujourd’hui. Et fréquenter une fille du village ne peut se faire sans l’accord des parents, et sous certaines conditions.

 

Espérer une nuit avec elle, sans une relation durable n’était même pas envisageable, mais peu m’importait. Je savais au fond de moi qu’elle serait l’élue de mon cœur depuis des années, sans pouvoir le dire ouvertement, en dehors d’aveu secret à certains de mes amis, qui savaient que je lorgnais sur elle sans pouvoir l’approcher. Au risque de me faire écharper par son père, un homme bourru aux mains capables de broyer un crâne avec une facilité déconcertante. Hors de question que je tente le diable auparavant, au vu de ce risque. Alors que maintenant, mon statut de sauveur me donnait l’approbation, dont je profitais sans la moindre hésitation. Les mois passaient, le village resplendissait de bonheur, tout comme moi. Le père d’Emma avait consenti à ce qu’elle et moi nous puissions nous fiancer, selon les coutumes du village. Le soir même de cet accord, j’entraînais Emma à part, hors de notre lieu de vie commun, et, pour sceller notre union, je décidais de lui offrir le joyau. Un cadeau de futur mariage en quelque sorte. J’ai vu son sourire quand elle a pris la pierre en main, tout heureuse de ce geste, semblant la toucher au plus haut point. Et c’est là que tout bascula…

 

Sous mes yeux, le corps d’Emma se tordait de toute parts, changeant de couleur, faisant apparaître des tons verdâtres, se remplissant d’écailles, d’immenses ailes sortaient de son dos, toute sa silhouette grandissait à vue d’œil, montrant une allure reptilienne. La… La Vouivre… Impossible… Je voyais Emma depuis des années. Et cette créature ne sortait de son royaume qu’une seule fois par an, et ne se mêlait jamais aux humains. Il était impossible que je n’ai pu déceler qu’elle et la Vouivre soit une seule et même personne. Ou alors… Ou alors, tout ce qu’on disait sur cette créature était faux… Le monstre me fixait, sans dire un mot, se contentant de me montrer la direction d’un arbre. A bien y réfléchir, en sortant du village, c’est elle qui m’avait entraîné vers ce coin, me disant qu’on y serait plus tranquille pour discuter de ce que je voulais lui dire, tel que je lui avais confiée. Comme si elle s’attendait à ce que je lui fasse cette demande. Et ce présent.

 

Je transpirais à grosses gouttes, terrifié de la présence de la créature, qui continuait de me montrer cet arbre en particulier. La peur au ventre, craignant que la Vouivre ne me tue une fois le dos tourné, je m’avançais lentement vers l’endroit désigné. Je constatais que la terre avait été remuée au pied de l’arbre. Craignant de comprendre, je m’agenouillais, creusant à mains nues pendant plusieurs minutes, avant de m’arrêter, épouvanté… Devant moi se trouvait le visage d’Emma, les yeux fermés, le teint blafard, la vie absente de son corps… Emma… Quand ? Quand la Vouivre avait-elle pris sa place ? J’avais cru comprendre qu’elle était douée de mimétisme. Certains récits disaient qu’elle pouvait prendre l’apparence d’une jeune fille. D’ailleurs, c’est sous cette forme que je l’avais vu de dos, au pied de cette cascade. Elle avait dû parfaire l’illusion en cachant les attraits qui m’avait fait comprendre sa nature dans la rivière, masquant ses écailles, sa teinte verte de certains endroits de son corps, sa queue…  Je savais cette faculté, mais au vu de ce que j’avais vu d’elle il y avait des mois de ça, je ne la pensais pas capable d’une telle perfection d’imitation d’un être humain. Et pas seulement ça…

 

Elle avait pu jusqu’à copier les attitudes d’Emma, sa voix, et tout ce qui faisait d’elle la fille dont j’étais éperdument amoureux depuis si longtemps. Comme si elle avait « absorbé » tout ce qui faisait Emma, y compris ses souvenirs et ses ressentiments. Une illusion parfaite. Je ne savais pas comment, mais elle avait dû profiter d’une sortie de l’élue de mon cœur hors du village pour prendre sa place. Ou bien elle s’était introduite chez elle une nuit, sans indiquer sa présence à ses parents, qui ne se sont rendu compte de rien. Et alors que je me lamentais en voyant le corps d’Emma, j’entendais des dizaines de cris venant du village. Je me retournais. La Vouivre n’était plus là. Les larmes coulant sur mon visage s’intensifiaient en voyant mes amis courir partout, pourchassé par cette créature ayant atteint une taille considérable, à hauteur de maison, ravageant tout sur son passage, laissant libre cours à sa colère. Je voyais mes amis tenter de s’enfuir, mais étant bloqué dès qu’ils cherchaient à franchir les limites du village, comme s’il était entouré d’une barrière invisible. Un autre pouvoir de ce monstre qui n’était pas précisé dans les livres.

 

C’était horrible. J’apercevais des corps voler dans les airs, propulsé au sol avec une force défiant l’imagination, ou s’encastrant dans les murs de maisons, sans que je puisse savoir quoi faire. Mais que pouvais-je faire face à une telle créature, dont j’avais provoqué la colère, en lui volant ce qui lui appartenait. J’avais cru lui échapper, mais elle avait été bien plus intelligente que moi. Bien plus machiavélique. Je m’attendais presque à voir des flammes surgir des habitations, mais j’oubliais que la Vouivre, malgré toutes ses facultés, n’appartenait pas à la race des dragons. Il lui était impossible de cracher du feu. En revanche, elle pouvait émettre des sons inaudibles pour un être humain en apparence, mais pouvant écraser tout l’appareil auditif, compresser des organes, écraser les yeux de l’intérieur, broyer les gorges. Vous voyez les pouvoirs de Black Canary ? Les cris de la Vouivre sont encore plus ravageurs et capables de réduire un corps humain à l’état de viande sortant de l’abattoir. Pendant plus d’une heure, j’ai entendu les cris de souffrance et de douleur de mes amis, de mes voisins, de tout ceux que j’aimais. Morts par ma faute, se faisant massacrer sans ménagement à cause de mon choix de voler une créature sans pitié.

 

Plus tard, je voyais la forme de la Vouivre sortir du village d’où ne sortait plus aucun son. Elle reprenait peu à peu une forme humaine, celle d’Emma, puis celle d’une autre jeune fille, dont la silhouette me rappelait celle que j’avais vu ce jour maudit où j’avais décidé de la voler. Elle se dirigeait vers moi, son diadème sur la tête, l’escarboucle postée sur son front. Elle souriait, me fixant du regard, me défiant, passant à côté de moi, et me laissant en vie. Elle avait décidé de me donner la pire des punitions. Me laissant seul avec la culpabilité de vivre en me sachant responsable de la mort de l’intégralité des habitants de mon village. Ce jour-là, Drasnes fut rayé de la carte par une créature que je pensais n’appartenir qu’aux contes de ma région. Je n’ai jamais revu la Vouivre après ça. Je n’ai jamais cherché à la retrouver, tentant de deviner à quelle rivière elle avait décider de s’adjuger sa pause annuelle, hors de son royaume souterrain. Je ne me sentais pas la force de lui demander pourquoi avoir tué tout mon village au lieu de moi seul…

 

Quelque part, je connaissais la réponse. Elle savait qu’il ne pouvait pas y avoir punition plus monstrueuse pour me faire comprendre qu’on ne vole pas impunément une Vouivre, sans en subir les terribles conséquences. C’est un être machiavélique, diabolique, démoniaque, sous ses airs de jeune fille pure sous sa forme humaine, conforme à ce qui est dit dans les livres, et même plus encore. J’enregistre ce jour mon témoignage pour laisser une trace de mon histoire, de ma faute, de l’horreur que fut ma vie après ça. Je n’osais plus m’approcher d’autres villes, de peur que la Vouivre veuille parfaire sa vengeance, en retrouvant ma trace, lors de sa sortie annuelle. Juste pour me rappeler que je ne serais jamais en paix tant qu’elle serait en vie. Peut-être même que de là où elle est, dans son royaume situés sous terre, elle m’observe jour après jour. Attendant que je me rapproche des hommes, se délectant de me faire subir à nouveau la culpabilité du massacre de ceux m’entourant. Je le vis désormais comme un mal éternel et insidieux, prêt à frapper si j’ai le malheur de me rapprocher des hommes.

 

Alors, toutes les années qui ont suivies, j’ai vécu dans cette forêt, au sein de cette cabane que j’ai construite, loin des hommes, ayant parfois l’impression d’entendre le rire de la Vouivre, s’amusant de ma condition d’homme détruit, même si je sais que c’est peu probable. Mais avec tout ce que j’ai découvert sur elle, je ne sais plus ce qui est vrai ou faux la concernant. Aujourd’hui, j’ai décidé de vous envoyer cet enregistrement, à vous, qui êtes un spécialiste des mythes et légendes. Je ne sais pas si vous me croirez. Si ce n’est pas le cas, je vous demande de vous rendre sur les ruines de Drasnes, et de procéder à des analyses poussées des habitations et du sol. Peut-être y trouverez-vous des preuves de l’existence d’un monstre capable d’anéantir tout un village. Je sais que la version officielle parle d’un mini-séisme ayant causé le massacre de ses habitants. Il n’en est rien. Je ne sais pas ce qui a pu pousser les légistes à avancer une telle thèse, au vu de l’état des corps, qui n’ont rien à voir avec ceux des victimes d’une catastrophe naturelle.

 

Sans doute que certains se doutent de ce qui s’est passé réellement, et qu’ils préfèrent cacher la vérité aux yeux du grand public. Ce ne serait pas la première fois que des dirigeants tentent de masquer la vérité. Je vous laisse maintenant juge de mes dires, tout en renouvelant ma demande d’inspecter ce qui reste de Drasnes, si tant est qu’on vous autorise à le faire. Voire de demander à analyser à nouveau les corps. Bien que ceux-ci doivent être réduits à des tas de poussière en terre aujourd’hui. Mais les progrès scientifiques de notre époque peuvent faire des miracles dit-on. A vous de voir ce que vous jugerez nécessaire de faire, et de croire ou non en l’existence de ce monstre implacable qu’est la Vouivre…

 

Publié par Fabs

5 juil. 2023

BARGHEST-Le Chien Noir Fantôme

 


 

Quand je pense à toute cette histoire, à la manière dont elle a débuté, et me faisant sombrer dans ce cauchemar dont je ne vois pas d’issue, je me dis que ma soif de savoir a été le déclencheur de ce qui a suivi. La faute à une éducation forgée dans la culture de notre pays, sur ses traditions, son folklore, ses croyances, que mon père m’a inculqué. Je revois ses yeux brillants en découvrant que j’avais les mêmes passions que lui sur l’histoire de l’angleterre et ses mythes, ses légendes, dont un grand nombre ont dépassé les frontières de notre beau pays. Mon père était un érudit très connu, faisant régulièrement la une des journaux, participant à des conférences internationales, où il exposait ses découvertes fondamentales sur l’explication scientifique et historique des plus grandes croyances à caractère fantastique de la patrie de Sainte Hilda. La patronne de l’éducation, de la culture et de la poésie.

 

Il était mon modèle. Je dévorais ses traités sur les mythes anglais, qu’il décortiquait sous tous les angles sans relâche à chaque heure, chaque minute de sa vie. Avec le recul, je pense que la mort prématurée de ma mère a été le déclic de sa dévotion à la culture et la démystification des légendes britanniques. Lynna, ma mère, était très croyante, et surtout très attachée aux différents signes, telle qu’elle le désignait, montrant l’existence de forces occultes, de créatures nous entourant, voué à faire le mal, de par la faute d’hommes faisant partie de cultes dédiés à des idoles paiennes, appartenant à une époque sombre de l’histoire de notre pays. C’était presque une obsession pour elle, depuis la mort de sa sœur, dont le corps avait été retrouvée près de la gorge de Troller’s Gill. Une mort qu’elle associait au Barghest, le fameux chien noir fantôme du folklore anglais, l’un des mythes les plus connus du territoire.

 

Elle avait été retrouvée déchiquetée, de nombreuses traces de morsures et de griffes parsemant son corps broyé par un animal à la force prodigieuse. L’enquête officielle avait conclu à l’attaque d’une bête vraisemblablement échappée d’un cirque itinérant, ou d’un particulier n’ayant pas déclaré la possession d’un fauve, et ayant trompé la vigilance de son maitre. Ce qui pouvait expliquer la brutalité et la sauvagerie constaté sur le corps d’Emily, la sœur de ma mère. Mais ma mère, elle, restait persuadée que seul un Barghest était en cause.  Ce drame a renforcé sa position sur l’existence de créatures dépassant l’entendement, vivant parmi les hommes. Son état mental sombrait chaque jour un peu plus, cherchant la preuve de l’existence de cet animal légendaire, malgré les tentatives de mon père de la dissuader de persévérer dans la voie de la folie. Rajoutant que ses investigations démesurées ne ramèneraient pas sa sœur. Des déclarations qui causaient le contraire de l’effet escompté, renforçant le désir de ma mère de prouver ses dires.

 

Finalement, sa folie l’amena à découvrir son corps, tout près de l’endroit où sa sœur avait été tuée, près de Troller’s Gill. C’est un peintre s’étant rendu à proximité pour son art, qui avait découvert le corps ensanglanté de ma mère, avec des blessures ayant été faite avec des roches tranchantes. Les policiers chargés de comprendre ce qui s’était passé conclurent que ma mère s’était elle-même mutilée, sans doute en proie à des hallucinations, qui avait du lui faire croire à l’attaque d’une des créatures dont elle voulait prouver l’existence. Mon père fut très marqué par cette mort. Moi, j’étais trop jeune pour comprendre ce qui en était, ayant du mal à accepter l’absence de celle que j’adorais, malgré ses délires persistants au sein de notre foyer. C’est à la suite de ça qu’il s’est plongé dans sa quête de démystification des légendes. Comme une forme de mission qu’il s’était donné, pour éviter que d’autres familles voient leur vie brisée par des croyances stupides et sans fondement, selon la formule qu’il adoptait pour justifier ses recherches.


Pendant longtemps, j’ai surtout connu ma nourrice, Bessie, qui était comme une deuxième mère pour moi, et les regards qu’elle portaient sur mon père ne laissait aucun doute sur l’amour secret qu’elle lui portait, et qu’elle avait bien du mal à cacher à mes yeux d’enfant. A dire la vérité, j’aurais tellement aimé qu’elle puisse un jour trouver le courage d’avouer ses sentiments, mais mon père consacrait toute son énergie à ses recherches, à sa vocation, enchainant les déplacements dans divers comtés du pays, hors de notre Yorkshire tant aimé, et ne gardait plus de place dans son cœur pour l’amour, brisé par la perte de ma mère. Je ne le voyais que très peu, et j’ai grandi en faisant des domestiques de notre demeure et Bessie, ma véritable famille, qui me choyaient comme si j’étais leur fils à toutes et tous. Cela me consolait, et me permettait d’oublier l’absence répété de mon père.

 

Je ne saurais pas vous dire si c’était dans un but de me rapprocher de celui-ci, ou une forme inconsciente de lui rappeler qu’il avait un fils, mais je me suis intéressé aux mêmes passions de mon père. Lisant, étudiant tout ce qui avait un rapport avec les légendes, les mythes de notre chère Angleterre. Apprenant le vrai du faux, en regroupant diverses informations, et me passionnant dans les artefacts liés à ces histoires. Encouragé par mon père, qui s’apercevait ainsi que j’étais là, j’ai persévéré dans cette tâche. Incorporant des écoles de prestige liée à l’histoire et la culture britannique, obtenant de nombreux diplômes, et faisant la fierté de mon père, devenu enfin, grâce à cela, une figure paternelle aimante et s’excusant de son absence auprès de moi pendant tant d’années. Je ne lui en voulais pas. Je comprenais le pourquoi de sa quête folle, la raison qui l’avait poussé à casser les mythes ayant causé la folie et la mort de ma mère.

 

Quand il est parti à son tour, j’ai hérité de la maison familiale, ainsi que toutes les bizarres collections qu’il avait accumulées au fil des ans. Des outils rituels, des statuettes, des objets réputés maudits, allant de peintures au goût douteux, créé par des peintres au moins aussi possédés artistiquement que mentalement, jusqu’à des flûtes en os, rappelant les civilisations précolombiennes, mais appartenant à la culture celte, très présente dans notre pays. Moi aussi, comme mon père avant moi, je suis devenu une figure incontournable des mythes. Pas seulement britannique, mais d’autres continents. Même si je privilégiais les légendes appartenant à notre pays. 

 

A cause de ça, il m’arrivait fréquemment de recevoir des appels d’illuminés notoires, persuadés d’avoir en leur possession des objets magiques, ou des preuves de l’existence de créatures diaboliques ou appartenant aux forces du mal. Dans le seul but de me prouver que je me trompais en affirmant que tout ceci n’était que des balivernes, créés par des cerveaux très imaginatifs, mais reposant néanmoins sur des bases bien réelles, qui, elles, étaient loin d’être fantastiques, mais enracinées dans des cultures et des croyances, parfois extrêmes, vouées au paranormal et la religion. C’est ainsi que j’ai été contacté par l’homme qui allait changer de manière radicale ma perception du surnaturel. Colby Southden. Celui qui allait être la cause du cauchemar qui envelopperait ma vie, par le biais d’un objet à priori anodin, et même classique, mais aux propriétés mystiques faisant remonter en moi des fantômes de mon passé, de mon enfance marquée par la mort de ma mère, de sa folie, et de la quête de mon père, m’ayant poussé à suivre la même voie de combat contre la vérité et les superstitions. Un objet qui allait me remettre en contact avec le mythe du Barghest, des années après le double drame ayant endeuillé notre famille, et entrainé ma mère et sa sœur avant elle dans son sillage…

 

Ce jour-là, j’étais occupé, comme à mon habitude, à explorer le net pour acquérir ou consulter des documents anciens et des livres traitant de mythes britanniques locaux, dans le but de trouver de nouveaux sujets à explorer pour mes futurs livres. Ayant déjà 3 œuvres ayant obtenu parmi les ventes les plus importantes dans le domaine de l’analyse historique et culturel des légendes et objets mystiques. Puis, un appel rompit le silence. A l’autre bout du fil, un homme prétendait avoir quelque chose qui pourrait m’intéresser, qu’il désirait vendre à bon prix.

 

- Mr. Elliott Loventon ? Je me permets de vous contacter, car j’ai en ma possession un objet qui, je pense, serait susceptible de vous plaire… 

 

- Un objet ? Quel objet ? 

 

- C’est un médaillon, un porteur de chance pour être plus précis. Je sais que vous êtes friand d’objets aux propriétés mystiques. Et celui-ci pourrait changer votre point de vue sur la magie… 

 

J’étais intrigué, à la fois par l’assurance de mon interlocuteur, mais aussi par sa faculté à m’interroger sur la nature du fameux objet…

 

- Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai la réputation de démystifier les soi-disant propriétés magiques de tels objets. En quoi celui-ci pourrait m’intéresser plus que d’autres ? Il faudrait vraiment qu’il… 

 

- C’est un médaillon comportant un os de Barghest… Oui, vous avez bien entendu : le même animal ayant causé le malheur de votre famille… Grâce à ce médaillon, peut-être pourriez-vous être en mesure de modifier votre propre destin, et ne pas finir comme votre mère et sa sœur… 

 

Je restais un instant sans voix. Bien sûr, le passé de ma famille était loin d’être secret, pour avoir été étalé par mon père, afin de répondre aux journalistes lui demandant la raison de sa « quête ». Mais la manière dont cet homme avait d’avoir mis ça dans le fil de la conversation était plutôt inattendu, et assez malaisant…

 

- Je suis désolé… Je ne voulais pas vous blesser en vous rappelant des souvenirs douloureux. Mais c’était le seul moyen d’obtenir à coup sûr votre attention… 

 

Satisfait des explications de l’homme, après avoir été sur le point de presque l’insulter sur ses propos, je demandais :

 

 

- C’est un peu… brutal comme entrée en matière, en effet. Cependant, vous avez raison sur un point : vous avez éveillé mon intérêt sur cet objet. Mais une question : comment savez-vous qu’il s’agit bien d’un véritable os de Barghest ? 

 

J’entendais l’homme ricaner légèrement :

 

- Je savais que vous me poseriez cette question. Si je le sais, c’est parce que c’est moi qui ai fabriqué ce médaillon. Et l’os, je l’ai moi-même déterré dans une tombe. Celle du mage Noir de l’abbaye de Whitby. La même tombe que nombre d’historiens recherche, et qui contient non seulement les restes du mage, mais aussi ceux de l’un des Barghest qu’il contrôlait et était à ses côtés le jour où il fut tué, et abattu avec son maitre… 

 

- Le mage noir… Je connais bien cette légende liée au Barghest. Personne n’a jamais pu prouver son existence, ni même la réalité de sa prétendue tombe. Quant à ceux qui servaient de garde du corps au Mage Noir… D’ailleurs, si j’en crois les racontars, on dit que le 2ème Barghest surveillerait la tombe de son maitre, tuant sans vergogne quiconque s’en approcherait. Comment auriez-vous pu obtenir cet os sans subir d’attaque ? 

 

- Je vois que vous n’ignorez rien de cette légende qui n’en est pas une. Elle est tout ce qu’il y a de plus réel. Je n’en attendais pas moins d’un spécialiste du Barghest. Mais si vous voulez en savoir plus, il vous faudra me rencontrer, et me certifier que vous vous porterez acquéreur du médaillon… Dans le cas contraire, je m’adresserais à un autre… 

 

Piqué au vif, et curieux de voir cet artefact qui pourrait m’ouvrir les voies d’une explication de l’un des mythes les plus connus de Whitby, j’assurais de mon intérêt pour le médaillon proposé, en acceptant de lui acheter, après qu’il m’ai fourni l’adresse où le rencontrer pour la transaction :

 

- Je ne suis pas encore sûr de la véracité du médaillon, mais j’accepte de vous rencontrer. Je jugerais sur place si son achat est justifié. Si tant es qu’il soit digne d’intérêt, et que le fameux os de Barghest ne vient pas de la dépouille de votre propre chien décédé… 

 

L’homme ricanait à nouveau :

 

- Je n’ai jamais eu de chien. Vous pourrez demander à mes voisins… Et l’os est authentique. Je vous envoie mes coordonnées sur votre boite mail officielle. Cher futur acquéreur de chance… 

 

- A ce propos, pourquoi vouloir vous débarrasser d’un tel objet, s’il vous apporte la chance ? N’importe qui pourrait tuer père et mère pour bénéficier d’un tel pouvoir… 

 

- Cela me regarde. J’ai mes raisons. Si vous m’achetez le médaillon, vous saurez bien assez tôt que toute chance à son revers. Bien, je vous attends pour mercredi de cette semaine. Je vous donnerais tous les détails concernant le médaillon et son pouvoir une fois que vous serez en face de moi. A bientôt, Mr. Loventon… 

 

Je n’eus pas le temps de rajouter autre chose, que déjà l’homme raccrochait. Quelques minutes plus tard, je recevais un mail comportant le nom et l’adresse de l’inconnu… Il résidait à Whitby… Le même endroit d’où venait la légende du Mage Noir. Je me rappelais avoir évoqué celle-ci lors de mon premier ouvrage, dans le chapitre consacré aux différentes histoires liées au Barghest. A dire vrai, il n’y a pas grand-chose de connu sur lui, mis à part quelques couplets dans des vers de poètes de l’époque. Sur la partie réelle le concernant, il s’agissait d’un moine celte qui avait refusé la légitimité du Concile de Whitby, en 664. Concile établi par le roi Oswiu de Northumbrie, dans le but de réunifier les églises celtes et l’Eglise de Rome.

 

Avant le Concile, il existait des confits mineurs en apparence, comme le statut de la date de Pâques, ou le style des tonsures des moines. Du moins, de manière officielle. En fait, on reprochait aux églises Celtes d’autoriser la continuité de certaines pratiques considérées comme païennes au catholicisme, comme le sacrifice d’animaux pour obtenir de meilleures récoltes, ou la guérison des malades. Ainsi que l’existence de cultes voués aux anciens dieux celtes, plus ou moins tolérés. Ce qui allait à l’encontre même du christianisme de l’Eglise de Rome. Le Concile balaya tout ça, rayant définitivement cette tolérance de ces cultes interdits, et provoquant la colère du plus éminent des moines celtes, officiant à l’Abbaye de Whitby, et n’acceptant pas ce qu’il indiquait être un blasphème vis-à-vis des ancêtres celtes.

 

Après que le Concile officialisa l’accord de réunification des Eglises britanniques, avec l’accord de l’abbesse Hilda, dirigeante de l’Abbaye de Whitby, qui serait canonisée Sainte par la suite, on dit que le fameux Moine, surnommé le Mage Noir, et officiant au sein de la même Abbaye, suspecté d’appartenir à un ordre ancien composé de druides en secret, aurait lancé des attaques envers les églises, pour les punir d’avoir procédé à la réunification. Des attaques proférées par un couple de Barghest, des chiens noirs fantômes, et occasionnant des blessures graves sur des prêtres. Finalement, le Pape St Vitalien ordonna l’excommunication du moine, et demanda son arrestation pour actes de violence à l’encontre des édifices ecclésiastiques. On dit que le moine fut pourchassé et tué, sur l’ordre d’un des notables de Whitby, très influent, et fervent défenseur de l’Eglise de Rome, voulant mettre un terme au règne du Mage Noir. Parmi les membres de la milice formée pour éliminer ce dernier, figurait un chasseur de monstres, chargé d’éliminer les Barghest protégeant Alistair Drogby, le nom du moine.

 

Seul l’un des deux fut tué, à l’aide de flèches spéciales. Alors qu’il était blessé à mort, Alistair ordonna au Barghest survivant de s’enfuir, et de veiller sur sa tombe, où que son corps soit enterré. Par la suite, le moine et le Barghest tués furent mis en terre au sein du cimetière Ste Mary de Whitby, de manière anonyme. Aucune plaque, aucun monument funéraire ne fut érigé. Et pour être sûr que personne ne tenterait d’accéder au cadavre du Mage Noir, un mausolée fut érigé au-dessus, contenant une dalle de ciment au-dessus de la tombe du moine. Mausolée appartenant au notable ayant demandé la mise à mort d’Alistair, pour accueillir, officiellement, les membres de sa famille. On dit qu’un chien noir était vu régulièrement au sein du cimetière, comme surveillant la sépulture de son maitre défunt, fidèle à la demande de ce dernier. Et plusieurs faits divers relatent des attaques régulières du Barghest survivant envers tous ceux tentant de s’approcher du mausolée la nuit. Et le jour, des grognements se font entendre près du même mausolée.

 

S’il est difficile de définir la réalité de la partie concernant les Barghest, en revanche, Alistair a bien existé, et c’était un farouche opposant au projet du Concile, appelant les moines des églises celtes à la révolte. De là à dire qu’il était un druide et chef d’un culte « sombre », il n’existe aucune preuve établissant cela. Dans les faits, il fut accusé de trouble de l’ordre public, à cause de nombreux actes de vandalisme sur les églises, réclamant à être entendu par le Pape pour qu’il reconsidère cette « union non-désirée » par les Celtes. Par la suite, les actes ont cessés du jour au lendemain, et plus personne ne sut ce qu’était devenu Alistair. Les historiens supposent qu’il s’est exilé loin de Whitby, et est mort dans l’anonymat le plus complet, à cause d’une maladie quelconque. Expliquant le pourquoi de l’arrêt de ses opérations anti-Concile. Les croyances étant ce qu’elles sont, vu que son corps n’a jamais été officiellement reconnu et retrouvé, la part surnaturelle et sa supposée alliance avec les Barghest ont contribué à la légende.

 

Je me demandais ce que Colby savait à propos de tout ça dans les détails. Si je me basais sur ce qu’il m’avait affirmé au téléphone, la possibilité que le Mage Noir, enfin, Alistair ait été tué par une milice créée par le fameux notable de Whitby, puis enterré en secret, n’était pas complètement absurde, et même très probable, expliquant sa disparition soudaine. Avant de m’engager dans ce voyage, je décidais d’aller voir mon ami Dariel pour lui demander conseil. En plus d’être un ami d’enfance, il était aussi le médecin de famille, et était au courant de mon histoire compliquée. Son père s’était rendu souvent auprès de ma mère, quand mon père ne parvenait pas à calmer ses crises d’hystérie, conséquentes à des disputes au sujet de l’existence du Barghest. Dariel accompagnait toujours son père, qui voulait faire de lui son successeur, et c’est ainsi que notre amitié s’est enclenchée, au gré de ses visites avec son médecin de père.

 

Il a été témoin de mon malheur pendant toutes les années où j’ai subi la disparition de ma mère, et l’éloignement de mon père. Et c’est lui qui, finalement, a su apporter l’amour que recherchait ma nourrice, ayant accepté qu’elle n’obtiendrait jamais l’amour de celui qu’elle désirait. Une forme de dépit qui l’a fait épouser Dariel. Mais si ce n’était pas vraiment un amour réciproque au départ entre eux deux, à cause de la différence d’âge principalement, Bessie a appris à aimer Dariel, voyant en lui un moyen de s’éloigner de la maison où elle souffrait intérieurement de l’aveuglement de mon père envers elle. C’est une situation qui peut paraître un peu particulière pour beaucoup d’entre vous, qui lisez ces lignes aujourd’hui, comme témoignage de ce qui s’est passé, mais pour Dariel, comme pour moi, ce n’était rien de plus qu’un concours de circonstances, qui a contribué à renforcer notre amitié. J’arrivais à la maison de mon complice d’enfance, le terme qu’on employait souvent entre nous, et sonnait.

 

Je savais que Bessie était à son club ce jour-là, et cela me facilitait les choses. Je serais plus à même de parler ouvertement à Dariel, qui était aussi un passionné des légendes, même s’il n’était pas aussi intoxiqué que moi, tel qu’il me désignait. Bessie ne partageait pas vraiment cette même passion. En tout cas, pas de manière aussi importante. Disons que cela avait tendance à lui rappeler mon père, l’amour qu’elle n’avait jamais eu, à cause de cette même passion des mythes. La porte s’ouvrait sur un Dariel tout sourire :

 

- Elliott ! Le chercheur de vérité daigne me voir aujourd’hui ? Attends, faut que je note ça sur un calendrier… 

 

- T’exagères… On s’est vu la semaine dernière je te rappelle… 

 

- C’est bien ce que je disais : ça fait déjà une éternité pour moi… Bon, blague à part, que me vaut l’honneur de la visite de Mr. Légende, l’homme qui se passionne plus sur les objets inanimés que les beautés de l’amour… 

 

- Tu vas pas remettre ça sur le tapis ? Si je ne suis pas marié, c’est juste que j’ai pas trouvé celle qui était la bonne… 

 

- Ben, en même temps, tu la cherches pas beaucoup non plus… 

 

- Dit celui qui s’est marié à ma nounou… 

 

- Je vois… C’est une déclaration de guerre… Bon, attends : je connais une tripotée de grandes moches qui vont te harceler chez toi pour que tu leur offres le chemin de ton lit… Tu m’en diras des nouvelles… 

 

- Bon, ok, j’ai rien dit… On peut discuter maintenant, monsieur le coach en amour ? 

 

 - ça peut se faire… Ah ah, je rigole hein… Allez viens, entre, et raconte-moi tout… 

 

C’est ainsi que je lui exposais l’étrange coup de fil venant de Whitby, le médaillon, l’os de Barghest, le Mage Noir, et le reste… Dariel écoutait attentivement tout mon récit, puis, avec son flegme habituel, m’incitait à faire le voyage, m’indiquant qu’au pire, ça me ferait voyager un peu. Rajoutant qu’une babiole de plus ou de moins dans ma collection, ça ne changerait pas grand-chose. Il finissait par me convaincre complètement, et je décidais donc de me rendre à Whitby le jour donné par ce Colby Southden. Le jour dit, je me retrouvais devant la maison de Colby, après avoir parcouru les 76 Km m’ayant fait venir de York jusqu’à Whitby. Une maison très chic, dans le pur esprit britannique des riches familles. Je me surprenais à me demander si c’était le résultat de la fameuse chance offerte par le médaillon. Quelque peu subjugué par tant de luxe extérieur, je ne remarquais pas la porte s’étant ouverte pendant que j’étais absorbé dans mes pensées.

 

-Vous vous demandez si c’est grâce au médaillon si j’ai tout ça, pas vrai Mr. Loventon ? 

 

Revenant à mes esprits, et me détournant du spectacle du jardin, tout aussi flamboyant que les murs de la maison, je répondais, un peu gêné :

 

- Oh…Je… Non… Enfin, oui… Excusez-moi… J’étais un peu distrait… Vous avez une maison tellement magnifique… 

 

- Ce ne sont que des apparences… Le sacrifice et les tourments pour obtenir ce havre sont bien plus sombres que vous pensez… 

 

Je ne savais que répondre à ça… Il y avait un je ne sais quoi de tristesse dans sa voix, moins dans l’assurance qu’il m’avait adressé au téléphone…

 

- On sera mieux à l’intérieur, vous ne croyez pas ? A moins que vous n’ayez changé d’avis concernant le médaillon ? 

 

- Oh, non… Je suis toujours intéressé… Mais on n’a pas discuté du prix au téléphone, et il n’y avait rien dans le mail non plus… 

 

 - J’attendais de voir si vous alliez bien venir. Mais maintenant, on va pouvoir discuter de tout ça tranquillement. Suivez-moi… 

 

Je rentrais dans la maison de Colby, fermant la porte derrière moi, et où que se porte mon regard, je ne voyais que du luxe à tous les niveaux. Je me demandais quel métier pouvait exercer Colby pour avoir les moyens de se payer tout ça. Moi qui pensais que la maison héritée de mon père était déjà un brin de paradis, en comparaison de celle-ci, elle faisait pâle figure… S’étant aperçu de mon émerveillement, tout en continuant de marcher dans le couloir devant nous, Colby s’adressait à moi :

 

 - Une fois devenu propriétaire du médaillon, tout ce que vous voyez ici, vous serez en mesure d’avoir la même chose dans votre vie. Et ça arrivera très rapidement. Les pouvoirs du Barghest sont très puissants, vous vous en rendrez vite compte. Profitez-en avant que le contrecoup arrive… 

 

- Le contrecoup ? C’est-à-dire ? Y’aurait-il une « malédiction » à la suite de la chance offerte ? 

 

Semblant conscient d’avoir sans doute parlé plus qu’il ne devait, et craignant que cela influe sur mon envie d’acquérir le médaillon, Colby se rattrapait :

 

 - Non… Je ne parlais pas de ce contrecoup là… N’ayez aucune crainte. C’était juste une remarque personnelle. Le luxe, les belles choses, vous savez, on s’en lasse vite. Il y a plus important que ça dans la vie. En tout cas, de mon point de vue… Mais chacun a ses propres opinions. Ce sera peut-être différent pour vous… 

 

Je m’interrogeais à nouveau. Il était tellement différent de ce que je pensais avoir cru percevoir de sa personnalité. J’avais ressenti une certaine arrogance au téléphone de sa part. Et là, c’était tout le contraire. J’avais la bizarre impression qu’il avait de la peine que je sois venu, comme une forme de culpabilité cachée, sur le fait de me transmettre le médaillon. Mais je gardais ça pour moi, et entrais avec Colby dans une pièce située sur la droite. Il me faisait installer sur une chaise, devant un bureau rempli de documents et de divers papiers, qu’il se hâtait de ranger, comme s’il s’était aperçu d’un oubli de sa part.

 

 - Excusez-moi pour le désordre. Je suis un peu distrait ces derniers temps… 

 

- Vous êtes tout excusé, ne vous inquiétez pas. Je sais ce que c’est de ne pas penser à tout en temps et en heure… 

 

Il ne disait rien, et achevait de regrouper les papiers, les plaçant dans un tiroir. J’avais eu le temps de remarquer des dessins de Barghest. Enfin, sa représentation la plus connue. Telle qu’elle est établie dans le folklore britannique, et visible dans certains métrages ou séries, comme « Le Chien des Baskerville », la plus connue de toutes. Puis, sorti d’un autre tiroir, il sortait un objet que je supposais être le fameux médaillon.

 

- Voilà ce que vous êtes venu chercher. Comme je vous l’ai dit au téléphone, c’est moi qui l’ai conçu, à partir des os du Barghest trouvé dans la tombe du Mage Noir. Un travail fastidieux, qui m’a demandé pas mal de recherches et d’études de divers ouvrages mystiques pour le mettre au point. 

 

Colby me laissait prendre le médaillon en main. Il était constitué d’un contour de ce qui semblait être de l’argent pur, comportant des signes tel que j’en avais vu sur des livres de démonologie, ou d’autres ouvrages ésotériques constituant les bases de mes recherches sur l’origine des artefacts liés à l’histoire britannique, et remontant, bien souvent, au peuple Celte. Le centre se composait d’une pierre, une opale à première vue, avec à l’intérieur ce qui ressemblait fortement à des éclats d’os broyés.

 

- Ce n’est pas une opale, si vous vous posez la question, même si ça y ressemble. C’est le résultat d’une composition chimique, qui serait trop compliqué à vous détailler. Nécessaire pour diffuser le pouvoir extrait de l’os de Barghest. S’il est broyé, c’est pour mieux permettre la quintessence de ce qui le constitue. L’alliance des deux, combinés aux formules gravées sur le contour, font de ce médaillon un objet mystique unique au monde, et n’étant présent dans aucun livre connu… 

 

A partir de là, il m’expliquait comment il était tombé sur un manuscrit au sein d’une vieille maison lors d’une de ses « chasses », avouant qu’il était, il y avait encore quelques mois, un simple chasseur de trésors, explorant des lieux historiques en toute illégalité. Le manuscrit était caché dans une niche de pierre, dont l’ouverture s’était actionnée au hasard de la manipulation d’une statue. L’ouvrage indiquait comment confectionner un artefact pouvant apporter la chance, à partir d’os de Barghest. Connaissant la légende du Mage Noir, il s’est mis à la recherche d’indices pouvant lui permettre de trouver la tombe d’Alistair et le Barghest censé avoir été enterré à ses côtés. Il est tombé sur une lettre d’un notable officiant à l’époque où le moine a « disparu » sans raison. Une lettre où le notable expliquait qu’il regrettait de n’avoir pas détruit le corps du Mage Noir et son « horrible bête », car il était sans cesse hanté par des cauchemars depuis ce jour. Comme si le moine le harcelait depuis sa tombe cachée. Suivait des détails sur l’endroit où était situé la sépulture du Mage Noir, et le fait que des morts étaient survenus au sein du cimetière près de celle-ci, et devant être la cause de l’autre Barghest, le mâle.

 

Car, oui, les 2 chiens fantômes du Mage Noir était un couple. Et c’était la femelle qui avait été tuée par les flèches du chasseur de monstres. Le mâle ne faisait pas que protéger son ancien maitre, mais aussi sa femelle. Colby expliquait qu’il y avait un seul jour où la créature ne pouvait pas pénétrer dans le cimetière pour assurer la protection des corps, c’était le jour de Pâques. Il y voyait sans doute un rapport avec l’accord du Concile de Whitby. La date de Pâques faisant partie des désaccords entre les églises Celtes et l’Eglise de Rome, et celle finalement choisie après le Concile, et toujours effective aujourd’hui, fut celle du calendrier romain. L’Impossibilité du Barghest de se rendre ce jour précis près de la tombe, le Mage Noir ayant été enterré dans un cimetière catholique non celte, pouvant être expliqué par ce fait. Comme une forme d’opposition des terres consacrées par l’Eglise de Rome aux créatures celtes de ce jour marquant la séparation du Mage Noir par rapport au Concile.

 

C’est ainsi qu’une nuit Colby s’est rendu au cimetière, suivant les indications présentes sur la lettre, précisant que la sépulture se trouvait sous le mausolée de la famille du notable. Il creusa le sol, après avoir perforé la dalle de ciment. Une opération longue, et, pour éviter de croiser qui que ce soit le matin de Pâques, il devait finir son ouvrage avant 8 heures, l’horaire d’ouverture du cimetière. Ce qui fait qu’il a tout juste eu le temps de prendre un seul os du Barghest, qui fut très compliqué à extraire de la terre, sans doute à cause de sa nature démoniaque, avant que les premiers habitués du cimetière ne viennent. Après cette nuit mouvementée et exténuante, il a commencé à mettre au point l’artefact, ce qui lui prit 3 jours de labeur. Mais la récompense fut à la hauteur. Dès lors, la chance lui offrit le respect des autres, richesse et aventures amoureuses à profusion, faisant de lui un homme heureux. Il suffisait juste d’être en possession de l’artefact, sans forcément le porter sur soi en permanence.

 

Mais, comme il l’avait expliqué auparavant, il indiquait qu’il s’était lassé de cette vie facile. Désormais, il avait tout ce qu’il avait espéré obtenir, et ne trouvait plus d’attrait à claquer des doigts pour avoir tout et n’importe quoi. Il désirait que quelqu’un d’autre profite de ce cadeau que représentait le médaillon, mais il voulait que ce soit quelqu’un qui avait la passion des mythes. C’est pourquoi il avait pensé à moi. Le prix qu’il demandait n’était pas très grand, car la valeur obtenu pour faire changer le médaillon de propriétaire importait peu. Le plus important était le fait de le transmettre, avec la chance qu’il offrait. Bien que sentant qu’il ne disait pas tout, je ressentais à nouveau cette tristesse en Colby, et l’attendrissement ressenti à cet instant fit que j’accordais ma confiance à cet homme semblant blasé de son statut d’homme comblé. Alors je lui donnais la somme qu’il demandait, lui signant un chèque, et signant un document où je reconnaissais être le nouveau propriétaire du médaillon. Un passage obligé, selon ses dires, pour conclure définitivement la passation de l’artefact, avec tout ce que cela impliquait.

 

Encore des paroles énigmatiques, mais sur le coup, je mettais ça sur le compte de son désir d’officialiser la transaction. Je revenais chez moi et installais le médaillon en place d’honneur de la pièce où se trouvait les autres artefacts constituant mes possessions. Bien que ne persuadé de l’inexistence du pouvoir du médaillon, qui m’intéressait plus en tant qu’objet mystique à part, je dus très vite me rendre à l’évidence : son pouvoir était réel, et j’allais bientôt en ressentir tous les effets, aussi incroyable que cela puisse paraitre. J’ai mis du temps à accepter que le médaillon fût la cause de la chance qui me tombait dessus les jours, les semaines, les mois suivants. Mais arriva un moment où je ne pouvais nier ses propriétés. Je fis la connaissance d’une jeune femme lors d’une conférence, se disant grande fan de mes ouvrages. Au début, nous conversions par le biais d’internet, et de fil en aiguille, nous nous échangions nos numéros de téléphone, rajoutant une proximité plus intime dans notre relation. Puis elle vint s’installer à York, afin de se trouver plus près de moi. Nous nous rencontrions souvent, lors de balades dans les parcs, ou pour prendre le thé chez elle ou chez moi, assistant ensemble à des spectacles, des conférences de collègues.

 

Nous devenions de plus en plus proche, à la grande joie de Dariel, qui ne cessait de me charrier sur cet amour naissant :

 

Moi qui pensait que je serais à la retraite avant de te voir avec une femme, il semblerait que j’avais tout faux. Félicitation à toi, casanova ! Jamais j’aurais pensé que tu trouverais une future épouse aussi ravissante… Je suis presque jaloux… 

 

 - Fais attention : je pourrais bien redire à Bessie tes mots… 

 

- Si tu fais ça, je dis à ta chère Carlyn où tu planques tes revues de chèvres sans poils… 

 

- N’importe quoi… Et pourquoi pas des lamas pendant que tu y es ? 

 

- Ah, c’est pas bête ça… Attends, je note : vidéos de lamas lécheurs à indiquer à Carlyn… 

 

 - Comme si elle allait croire ce genre de trucs… 

 

- Ne sous-estime pas mon pouvoir de persuasion… Et puis, n’oublie pas : toi tu sais que c’est faux… Mais elle… Ce serait drôle de la voir retourner toute ta maison pour chercher revues et vidéos zoophiles, rien que pour savoir si j’ai dit vrai… 

 

Je ne pouvais m’empêcher de rire à un tel monument de stupidité, qui me faisait revenir à notre période où n’importe quoi nous offrait le sourire, me faisant oublier le malheur m’entourant. Dariel avait toujours été comme ça : une sorte de médicament vivant à la morosité. Deux semaines plus tard, je demandais Carlyn en mariage. La consécration d’un bonheur qui illuminait ma vie quand elle acceptait sans même une hésitation :

 

- Tu n’imagines pas le temps que j’ai attendu pour que tu te décides enfin à me faire cette demande… J’ai même interrogé ton ami Dariel, et Bessie aussi, pour savoir ce qu’il fallait que je fasse pour te pousser dans cette voie… 

 

 - Tu me fais peur là. Demander conseil à Dariel, c’est jouer avec le diable. Je veux même pas savoir ce que cet idiot a pu te donner comme directive… 

 

Carlyn riait à ces mots, se rappelant les mots de Dariel, et préférant garder ces « infos » pour elle :

 

- Je crois, en effet, qu’il vaut mieux que tu restes dans l’ignorance sur ce point… ça sera mieux pour votre amitié… 

 

- ça j’en doute pas. En comparaison, Bessie a dû être plus sage niveau conseils… 

 

Carlyn rougissait :

 

- Eh bien, en fait… Je vais garder ça aussi pour moi… Tu serais surpris de ce qu’elle m’a conseillé… Que je n’ai jamais appliqué d’ailleurs… Je dirais même que ses idées étaient encore pire que Dariel… 

 

Ne pouvant m’empêcher d’éclater de rire, en indiquant que c’était le résultat d’une longue période à vivre auprès de quelqu’un comme Dariel qui avait dû contaminer Bessie à ce point, Carlyn m’accompagnait dans la bonne humeur, avant de s’approcher de moi, et m’embrasser tendrement. Ce n’était pas la première fois, mais cette fois-là, le goût de ses lèvres avait une toute autre saveur, et cela se rajoutait à mon train de vie m’ayant propulsé dans les hautes sphères de la gloire, la reconnaissance scientifique s’étendant toujours plus, accompagné de multiples autres plaisirs.

 

Mon mariage avec Carlyn avait été sans doute l’un des évènements le plus important de l’histoire de notre ville de York. Mais ce n’était que la partie de l’iceberg la plus plaisante qui était sur le point de laisser place à sa partie sombre. Une phase où j’allais comprendre un peu mieux les mots proférés par Colby lors de ma rencontre chez lui, et la raison pour laquelle il semblait si pressé de se défaire du médaillon. J’allais découvrir que le Barghest n’était pas une légende, mais était bien une réalité. Me faisant me replonger dans un passé que je pensais avoir enfoui en moi. Un passé où se mélangeait les images de ma mère, et de la sœur de celle-ci, de Troller’s Gill, et l’absence de mon père. Le début d’un cauchemar dont je ne ressortirais pas indemne, semant l’incompréhension de Carlyn, de Dariel et de bien d’autres, me faisant passer pour un névrosé dans le meilleur des cas, ou d’un fou bon à enfermer. Si Colby s’était débarrassé du médaillon, c’était parce qu’il n’avait plus la force de résister à la menace qui allait s’inviter à ma porte. Pour survivre, il lui fallait transmettre ce mal, et j’avais été le pigeon idéal à son stratagème, comme allait me le montrer les semaines suivantes…

 

C’était 3 semaines après le mariage. Ce soir-là, Carlyn s’était rendu à une soirée où nous étions tous les deux invités, dans le cadre de l’inauguration d’un musée consacré au folklore fantastique britannique, composé d’une collection dont un grand nombre venait d’un prêt de ma part. J’étais ravi de pouvoir exposer ainsi ce que j’avais récolté au cours des années, ainsi que ceux de mon père. Il aurait été tellement fier de ça. C’est aussi à sa mémoire que j’avais accepté que ces divers artefacts soient les pièces maitresses de ce musée.

 

Mais j’étais trop fatigué pour me rendre à la soirée après l’inauguration, se rajoutant à une nuit blanche où je faisais des recherches dans le cadre de découvertes archéologiques au sud de l’Irlande, afin de faire un parallèle entre les artefacts misa à jour et l’histoire du pays. Cela me gênait de ne pouvoir être présent, mais Carlyn insista pour je reste à me reposer, plutôt que d’avoir un zombie à ses côtés, menaçant de s’écrouler de fatigue à tout instant. Précisant que Dariel et Bessie seraient là pour veiller sur elle, et que je ne devais pas m’en faire.

 

Je me retrouvais donc seul dans ma grande maison, ce qui ne m’étais pas arrivé depuis bien longtemps. Mais je n’arrivais pas à dormir pour autant, malgré mon envie de fermer les yeux. C’était rageant, et même l’absorption de somnifère n’y faisait rien. Je me disais que prendre un bol d’air pur au-dehors m’aiderait peut-être à me détendre, mettant mon impossibilité de me rendre au pays de Morphée sur le stress engrangé de ces derniers jours. Entre le voyage en Irlande où j’avais été convié pour étudier sur place les artefacts trouvés, les analyses en résultant, les recherches une fois revenu à York, mon corps avait été très sollicité, créant une nervosité tellement grande qu’il ne pouvait se résoudre à se laisser aller au sommeil. Alors, je me rhabillais, enfilais une veste, et je me dirigeais vers la porte me séparant de la chaleur de mon foyer à la froideur de la nuit. Cependant, en passant devant le médaillon acquis auprès de Colby, et mis en place d’honneur dans le salon, je ressentais une impression étrange. C’était difficile à définir, mais c’était comme des ondes néfastes émanant de l’objet, semblant envelopper toute la pièce, jusqu’à la porte d’entrée. Une sorte d’oppression omniprésente.

 

Je mettais ça sur le compte du stress et de la fatigue, me faisant entrevoir des sensations n’appartenant qu’aux superstitions entourant le médaillon, évoquées par Colby. Je ne croyais pas au fait que l’os composant cet objet soit celui d’un Barghest. C’était stupide. Néanmoins, le médaillon en lui-même, le travail d’orfèvre opéré par Colby dessus en faisait quelque chose d’unique en termes de confection, que même un joailler hautement réputé ne parviendrait sans doute pas à créer. Cet os, enfin ce fragment d’os, ne devait être que celui d’un quelconque animal, c’était une évidence à mes yeux, et certainement pas le vestige d’un animal aussi connu du folklore britannique, popularisé par « Le chien des Baskerville ». Je repensais aussi à l’aura de la ville de Whitby. Dans le roman de Bram Stoker, « Dracula », Whitby était l’endroit où avait débarqué le Demeter, le bateau ayant ramené le comte vampire de ses terres natales, pour se rendre en Angleterre. Dracula s’étant transformé en gros chien noir dans le roman, il était évident que Stoker s’était inspiré de la légende du Barghest, chère à Whitby, pour cette séquence.

 

Ça faisait beaucoup de coïncidences, mais ça restait de simples croyances. Des croyances qui avaient coûté la vie à ma tante et ma mère, les ayant poussées dans la folie, ou victimes de celle d’autres voulant faire croire à l’existence de cette bête démoniaque. Mais j’allais très vite repousser mes convictions dès l’instant où j’ouvrais la porte de l’entrée, refoulant de mon esprit mes pensées concernant le médaillon, Whitby, Colby et le reste. Au début, je pensais qu’il ne s’agissait que d’un animal égaré, s’étant enfui de la maison d’un voisin, et cherchant de la nourriture, pensant obtenir la pitié d’un résident, et sans doute attiré par les lumières aux fenêtres de ma demeure. Mais son air menaçant était en opposition avec cette supposition. Et surtout son allure était conforme à ce que je savais, de ce que j’avais lu concernant la créature liée au médaillon en ma possession, et l’obsession de mon père en rapport avec les mythes, comme un remède pour effacer le souvenir de la mort de ma mère.

 

Sa couleur noire, ses yeux rouges, son allure décharnée, comme semblant sortir des enfers, ses dents découvertes, prononçant très clairement son hostilité, ses argots aux pattes aussi sombres que les ténèbres, plantées dans le sol, formant de minuscules fissures tout autour de la zone où il était positionné. Il était en tout point conforme au Barghest des légendes, tel que décrit dans les livres que j’avais étudié. Et surtout, il y avait une aura d’une noirceur totale tout autour du corps de cette bête, qui faisait frissonner l’ensemble de ma peau, de mes muscles, à ma grande honte. C’était ridicule. Ce n’était qu’un chien égaré. Certes menaçant, et me faisant reculer, mais ça restait un animal tout ce qu’il y avait de plus normal. Pour moi, ç’était une évidence. La suite me convainquit qu’il n’en était rien. J’appelais les passants déambulant dans la rue, leur demandant d’appeler un agent pour me débarrasser de cette bête qui me menaçait, mais je n’avais comme retour que des yeux remplis d’incompréhension à ma demande. La plupart détournait les yeux, m’ignorant, comme si j’étais un fou divaguant qu’il fallait éviter. Mais les paroles d’un homme me firent raidir sur place

 

- Quel chien, milord ? Il n’y a aucun chien ici. Ni devant vous, ni nulle part… Vous devriez rentrer chez vous pour vous allonger. Vous semblez avoir une telle fatigue qu’elle provoque en vous des hallucinations… 

 

Je restais sur place à ces mots, pendant que l’homme s’éloignait, après avoir détourné le regard. Pourquoi ne le voyait-il pas ? C’était inconcevable. Je n’étais pas fou : le chien se trouvait bien devant moi. Voulant défier le diable, je tentais de m’approcher, pensant que l’apparition née de mon imagination à force d’avoir trop étudié ces derniers temps finirait par s’effacer. Mais au lieu de cela, le chien se mit à grogner fortement, encore plus menaçant, laissant couler de la bave sur le sol, et laissant s’échapper à ce contact une légère fumée. Comme si de l’acide s’était déversé de la gueule de cet animal dont l’existence ne semblait se révéler qu’à moi. Envahi par la peur, je reculais immédiatement, terrorisé par ce chien qui ne pouvait pas être là. C’était impossible. Je fermais les yeux, espérant faire disparaitre cette monstruosité. Mais ça ne changeait rien. Pire : le chien s’avançait d’un pas dans ma direction, comme pour me signifier de rentrer chez moi, et qu’il ne me laisserait pas aller plus avant dans la rue. En proie à la panique, je rentrais alors. Voulant me persuader que la présence de ce chien n’était que le résultat d’un rêve éveillé, j’ai alors tenté à plusieurs reprises de ressortir, espaçant le temps de chacune de mes tentatives…

 

Mais à chaque fois, il était là, menaçant, grognant, réduisant la distance le séparant de ma porte en s’avançant. Avec toujours cette aura sombre autour de lui, et cette impression meurtrière à mon encontre se dégageant de son corps. Un Barghest. Je savais que ça paraissait complètement fou, mais c’était bel et bien cet animal mythique qui se trouvait devant chez moi, m’empêchant de sortir, me faisant prisonnier de ma propre maison. Ça ne pouvait pas être réel. Non. Le… Le barghest n’était qu’une invention de conteurs voulant donner une incarnation à la peur suscitée par le monde animal. Une représentation des enfers telle qu’elle était imaginé par des esprits trop ancrés dans leurs délires paranoïaques. Comment pouvait-il avoir revêtu une forme physique ? Et pourquoi était-je le seul à le voir ? Qu’avais-je fait pour mériter d’être harcelé par lui ?

 

Voulant malgré tout me persuader que l’homme dans la rue, à cause de la pénombre et le faible éclairage, avait peut-être mal discerné le Barghest, j’attendais le retour de Carlyn. Quand j’entendais les voix de Dariel et Bessie, je me sentais soulagé. Je pensais que la fin de ce cauchemar allait s’amorcer. Mais par mesure de précaution, j’attendais que Carlyn les remercie de l’avoir raccompagné, montant les marches menant à notre porte, pendant que le bruit du moteur de la voiture de Dariel s’éloignait, pour sortir sur le perron, voulant en avoir le cœur net.

 

Elliott ? Tu es encore debout à cette heure ? Rassure-moi… Tu ne m’attendais pas quand même ? Tu sais bien que je ne craignais rien avec Dariel et Bessie à mes côtés

 

- Non… Je le sais bien… C’est juste que… Je… Je ne me sens pas très bien… Je crois que je vois des choses bizarres… 

 

- Des choses bizarres ? C’est-à-dire ? Tu m’inquiètes… Tu n’as pas dormi ? 

 

- A vrai dire, je ne parvenais pas à fermer l’œil. J’ai voulu sortir pour m’y aider. Mais je ne pouvais pas… Cet animal m’en empêchait… S’il te plait, dis-moi que tu le vois toi aussi… Dis-moi que je ne suis pas en train de devenir fou… 

 

Carlyn se retournait, regardant dans tout le périmètre autour d’elle, afin de répondre à mes interrogations. Mais elle se rapprochait ensuite, l’air peinée, confirmant ainsi les affirmations de l’homme dans la rue précédemment…

 

- Il n’y a aucun animal dans les alentours… Je ne sais pas ce que tu penses avoir vu, mais c’est sûrement le fait de ta fatigue. Rien d’autre. Viens, rentrons. Je vais m’occuper de toi. Ça t’aidera sans doute à te détendre. A défaut de trouver le sommeil, je saurais te faire penser à autre chose que des idées saugrenues… 

 

Elle me prenait par le bras, un sourire mutin parsemant son visage, montrant son intention effectivement de me « détendre » à sa façon. En d’autres moments, je n’aurais pas hésité à me dire que tout ça n’était que le fruit de mon imagination. Mais pourtant, alors que Carlyn me faisait avancer plus avant au sein de notre demeure, je regardais un instant en arrière. Il était toujours là. Menaçant, grognant, irréel. Et rien dans l’attitude de Carlyn ne laissait penser qu’elle l’entendait, tout comme elle ne l’avait vu. Malgré tout, je décidais de mettre ça de côté, et me laissais emmener par ma chère épouse vers notre chambre, où elle prit soin de m’offrir une nuit agitée pour mettre mes hallucinations de côté. Prétextant qu’elle serait bien plus efficace que n’importe quel médicament pour me faire effacer toute trace de stress en moi. C’est dans ces moments-là que je me rendais compte de la chance que j’avais de l’avoir à mes côtés. Sa tendresse, sa compassion, son écoute, ses conseils très souvent. Tout en elle avait fait de moi un autre homme, se rajoutant à tout le reste. J’avais du mal à accepter ce fait, mais depuis l’acquisition de ce médaillon, la chance m’avait accompagné chaque jour. Gloire, richesse et amour, tout m’avait souri. Tout comme me l’avait dit Colby…

 

Le lendemain matin, je pensais que ce cauchemar avait disparu. J’étais serein, convaincu que j’avais rêvé la présence du Barghest, persuadé que ce n’était dû qu’à une forme extrême de fatigue et de nervosité. Mais je me trompais. Alors que Carlyn s’apprêtait à sortir pour ses activités habituelles, comme son club de bridge dont elle était très friande, je le vis à nouveau. Toujours posté au même endroit que la veille. Le Barghest. La même noirceur, le même air menaçant, la même intention de m’empêcher de sortir. J’étais tétanisé. Ce… Ce n’étais donc pas un rêve. Le Barghest était toujours là, et j’étais sa cible.

 

- Carlyn… Tu…Tu ne le vois vraiment pas ? 

 

S’interrogeant de ma question, au moment où elle descendait les marches de l’escalier, Carlyn montrait un air inquiet :

 

- C’est encore ton animal fictif ? Je ne comprends pas… Qu’est-ce qui t’arrive ? Je ne t’ai jamais vu comme ça… Tu as l’air… terrorisé. 

 

Elle s’approchait de moi, caressant ma joue droite, les yeux pleins de tristesse de me voir ainsi.

 

- Qu’est-ce qui peut bien te préoccuper autant pour te mettre dans cet état ? Tu sais que tu peux tout me dire… Il n’y a pas que le stress, je le vois bien… C’est… autre chose… Dis-moi ce qui te tracasse. Je pourrais peut-être t’aider. Ou bien en parler à Dariel. 

 

- Non… Non, je… Ce n’est rien… Je t’assure… Trop de tension en ce moment vis-à-vis de mes recherches, c’est tout… Mais tu as raison : je vais en parler à Dariel. Il saura me prescrire ce qu’il faut pour remédier à ça… 

 

Souriant à ces paroles, Carlyn semblait rassurée, et m’embrassait avant de repartir, satisfaite de ma réponse. Je la voyais s’éloigner, tentant de dissimuler mon angoisse sur le fait que le Barghest était toujours là, me donnant l’impression de bondir sur moi à tout moment. Dès que Carlyn fut hors de vue, je refermais la porte brusquement, me laissant face à une terreur sans nom. Pourquoi ? Pourquoi le Barghest m’en voulait-il à ce point ? Que pouvais-je bien avoir… Un éclair de réflexion m’envahit alors… Le médaillon… Cette chance acquise, c’est à lui que je la devais… Et l’élément central de ce médaillon, c’était ce fameux fragment d’os de Barghest. Je n’y croyais pas au départ, mais maintenant, il n’y avait plus aucun doute sur l’existence réelle de cette créature. J’ai tenté d’appeler Colby, afin d’avoir des détails, voulant savoir si lui aussi avait été menacé par le Barghest. Mais je n’avais pas de réponse. La ligne indiquait que le numéro n’était plus attribué. Ce qui me confortait que Colby s’était bien foutu de moi en me faisant acheter ce médaillon.


C’était cet objet qui était la raison de la présence du Barghest, et Colby avait du forcément subir ce que je vivais. Je ne pouvais pas sortir, donc impossible de me rendre à Whitby. J’eus donc l’idée de solliciter Dariel pour le faire à ma place. Je devais savoir si Colby avait une solution pour me débarrasser du Barghest. Je supposais que le fait de le faire changer de propriétaire était la clé, mais je devais être sûr de ça. Pouvait -on détruire le médaillon ? Devait-on le remettre dans la tombe du mage noir pour échapper à la colère du Barghest ? L’os dans l’artefact était celui de sa femelle. Ça devait être la cause principale de sa colère envers les possesseurs du médaillon. Mais j’avais besoin de confirmations, et seul Colby était en mesure de me les donner. Dariel était le seul à pouvoir m’aider dans cette tâche.

 

- Dariel ? Je… Excuse-moi de te demander ça… Mais, j’aurais besoin que tu puisses te rendre à Whitby, voir la personne qui m’a vendu le médaillon dont je t’ai parlé il y a quelques mois. Je ne peux pas m’y rendre moi-même, n’étant pas en état de voyager… 

 

 - Carlyn m’a appelé. Elle s’inquiète pour toi. Qu’est-ce qui se passe ? Tu veux que je vienne te voir ? En tant que médecin… 

 

 - Non… Non, ça… ça ira, je t’assure… C’est juste de la fatigue, beaucoup de fatigue. Ça passera. Mais j’ai vraiment besoin de toi. Je vais t’expliquer .

 

 - Ok. Tu sais que je ne peux rien refuser à un ami comme toi. Mais je persiste sur le fait que je devrais venir te voir. Carlyn a insisté sur ce point. Et c’est pas à toi que je vais apprendre que c’est dangereux de refuser quelque chose à ta chère épouse. Je tiens à ma vie moi… 


Je riais nerveusement. Dariel savait comment me détendre par de simples phrases. Mais cette fois, ça ne changerait pas grand-chose à ma situation. Je lui indiquais où habitait Colby, les questions qu’il devait lui poser, concernant le médaillon. Je lui indiquais que c’était dans le but de parfaire mes recherches sur un futur bouquin qui serait intégralement consacré au Barghest. Bien qu’interrogatif au début, Dariel acceptait par amitié pour moi, de faire le voyage à Whitby et rencontrer le fameux Colby.

 

- J’ai peu de clientèle en ce moment. Je vais décaler mes rendez-vous, de façon à partir dans les prochains jours pour Whitby. Je te cache pas que, même si je sais que c’est pour ton bouquin, les questions que je dois poser à ce Colby sont vraiment étranges. Même de la part d’un curieux comme toi. Mais je te fais confiance, tu sais ce que tu fais. Mais à mon retour, je veux des détails sur ton état… 

 

- Promis… Je tâcherais de te dire tout ce qu’il faut… ça te semblera sans doute dingue, mais je sais que toi, tu ne me prendras pas pour un fou. 

 

- Mais tu es fou ! Fou de m’avoir comme ami… C’est déjà beaucoup… 

 

Riant à nouveau, je donnais plus de détails à Dariel, et je raccrochais, attendant qu’il me donne les réponses concernant le médaillon. Je passais mes journées à observer par la fenêtre, de peur d’ouvrir la porte et découvrir que le Barghest se jetait sur moi au même instant. Il était là, sans que personne dans la rue ne se soucie de sa présence. Aucun passant ne le voyait. Il n’y avait que moi. J’étais piégé chez moi par un animal que j’étais le seul à voir. Était-ce moi qui sombrait dans la folie ? Le Barghest était-il réel ? Ou bien mon imagination était telle que je le croyais vivant, au point de ressentir l’aura démoniaque autour de lui, le son de ses grognements. C’était comme les symptômes de la paralysie du sommeil, mais en mode éveillé. Je savais que je ne dormais pas. Dariel m’avait répondu. Carlyn pouvait me toucher, et la sensation de sa peau, il était impossible que ça soit du domaine d’un rêve intense.

 

Si c’était le cas, ça voudrait dire que toute ma vie se résumait à un songe. Mon père, ma mère, et tout le reste ne seraient que des chimères créées par mon cerveau ? Non, ça ne pouvait pas être. Je savais que j’étais dans le réel. Aucun songe ne pouvait donner de telles sensations aussi précises. Mais à dire la vérité, j’aurais préféré que ça soit le cas. J’avais de plus en plus de mal à pouvoir expliquer mon état permanent de stress à Carlyn chaque jour. Elle ne comprenait pas que je me refusais à sortir, voyant mon air en proie à la terreur dès qu’elle ouvrait la porte.

 

- J’ai vraiment peur pour toi… Tu refuses de sortir, prétextant de voir un… comment tu l’appelles… un Barghest qui menace de te tuer… C’est… je n’ai pas les mots… Je sais que ta mère s’est tuée à cause de cette croyance… Je ne suis pas psychiatre, mais peut-être que le traumatisme de ce jour s’est installé plus profondément que tu pensais dans ton esprit. Et aujourd’hui, il a atteint un niveau tel que tu penses voir cette créature… 

 

 - JE NE SUIS PAS FOU !! LE BARGHEST EST LA ! DEVANT LA PORTE ! 

 

Voyant la tristesse dans ses yeux, et conscient que j’avais été trop loin dans mon intonation à son encontre, je tentais de m’excuser :

 

- Je… Excuse-moi… Je ne voulais pas crier… mais je sais ce que je vois. Je ne m’explique pas sa présence, ni pourquoi je suis le seul à le voir, mais je ne délire pas… Et maintenant, je me dis que ma tante et ma mère ne l’étaient pas elles non plus… 

 

- Je ne peux plus… Je ne peux plus vivre comme ça… Tu as besoin d’être soigné… Je t’aime… A un point que tu n’imagines même pas… Mais je refuse de te voir sombrer de plus en plus chaque jour, sans que tu veuilles recevoir de l’aide de ma part, de Dariel ou d’autres qui s’inquiètent tout autant que moi…Je… j’ai parlé à Bessie. Je lui ai fait part de ma peur. Car, oui, tu me fais peur… J’ai peur de ce que tu es devenu. Tu n’es plus l’homme que j’ai aimé… Tu as atteint un point de non-retour, et je ne veux pas sombrer avec toi. Je vais m’installer chez Bessie et Dariel quelque temps. Je compte sur toi pour te ressaisir, et accepter de te faire soigner. Je reviendrais quand tu pourras me certifier que tu ne vois plus tes… fantômes… 

 

J’aurais voulu la retenir quand elle a appelé Bessie pour venir la chercher, mais je ne le pouvais pas. Je savais qu’elle avait raison. Je sombrais. Petit à petit, je n’arrivais plus à discerner ce qui était réel de ce qui était du domaine du fictif. Il n’y avait pas que le Barghest. Je voyais ma mère, avec son corps en lambeaux, le visage ensanglanté. Je voyais ma tante aussi, dans un état qui n’était guère mieux. Je savais que Carlyn m’avait entendu parler seul, à quelqu’un d’invisible. Je parlais à ma mère, lui demandant comment faire fuir le Barghest. Elle m’indiquait comment elle avait été tuée par lui, tout comme ma tante, qui confirmait les dires du fantôme de ma mère. Mais elles n’avaient pas de solution à m’apporter, me disant qu’on n’échappe pas au Barghest une fois qu’on l’a contrarié et qu’il a pris quelqu’un pour cible. Alors, j’ai laissé partir Carlyn. Pour la protéger. La protéger de moi, de la folie qui me submergeait chaque jour un peu plus. Et puis un soir, Dariel vint me voir, et les nouvelles qu’ils m’apportaient ne firent que me plonger encore plus dans le désespoir sur ma situation.

 

- Ecoute, je sais que Carlyn est à la maison. Bessie m’a appelé pour me le dire. On l’a installé dans la chambre d’amis. Je sais pas ce qui t’arrive en ce moment, et j’aimerais vraiment que tu te confies à moi. Carlyn m’a parlé du Barghest. C’est lié à ma « mission » à Whitby pas vrai ? 

 

 - Je te remercie pour Carlyn, toi et Bessie. Je sais que vous prendrez bien soin d’elle. Et oui, le médaillon, le Barghest, tout est lié. Mais dis-moi : as-tu des réponses à m’apporter ? 

 

Dariel prenait un air grave à cette question :

 

- Ecoute, je me suis rendu à Whitby, à l’adresse que tu m’as indiquée. Pour apprendre que Colby était mort depuis une semaine. On l’a retrouvé égorgé dans son salon, des traces de griffures partout sur son corps. Ce sont les voisins qui m’ont précisé ça. Du coup, j’ai pas de réponses à t’apporter sur ce que tu m’as demandé. La police suppose qu’il a été attaqué par un chien errant ou un truc du genre… 

 

 - C’est pas un chien. Pas un chien classique en tout cas. C’est le Barghest qui l’a tué, c’est certain… 

 

 - Encore avec ça… Elliott, le Barghest n’existe pas… C’est juste un mythe. Toi, plus que n’importe qui, tu sais ça… Je sais pas ce que tu vois. C’est sûrement dû à plusieurs choses, et y’a pas que le stress des recherches pour ton supposé bouquin. Je sais que c’est du flan ça aussi. Tu cherches à savoir comment te débarrasser du Barghest pas vrai ? Mais tout est dans ta tête. Laisse-moi te présenter à un collègue. Il saura t’aider. Tu es mon meilleur ami, et je supporte pas de te voir comme ça… 

 

- JE… NE SUIS… PAS FOU, BORDEL ! LE BARGHEST EST DEVANT CHEZ MOI CHAQUE HEURE, CHAQUE SECONDE DE TOUTES MES FOUTUES JOURNEES ! 

 

Me calmant, je m’excusais auprès de Dariel :

 

- Excuse-moi… Je voulais pas m’emporter… Mais le barghest existe, je t’assure. Je peux pas sortir à cause de lui, et je deviens dingue, car je sais pas comment le faire partir. Tu vois, même toi tu me crois pas. Parce que je suis le seul à le voir. C’est comme une malédiction. Parce que j’ai été trompé par cet enfoiré de Colby… 

 

- Ok, écoute : je vais te laisser. Je vois que j’arriverais pas à te faire changer d’avis. Mais si t’as besoin de parler, tu sais où appeler. Et repense à ce que je t’ai dit concernant mon collègue. Que ça soit moi ou Carlyn on veut juste t’aider, car on t’aime. Ça nous fait du mal de te voir plonger dans la folie… 

 

Je voulais rajouter quelque chose, mais Dariel, d’un geste de la main me fit signe que c’était mieux de rien dire de plus. Il avait les yeux les plus tristes que j’ai vu sur son visage depuis qu’on se connaissait. Alors, je me suis tu, et l’ai regardé franchir le seuil de la porte. Quand il a ouvert, , j’ai eu une lueur d’espoir… J’aurais voulu rappeler Dariel, lui dire ce que je voyais, ou plutôt ce que je ne voyais plus, mais il était déjà parti. Le Barghest… Il n’était plus sur le perron. Il avait disparu. Est-ce… Est-ce que ça voulait dire que j’étais guéri ? La malédiction du médaillon s’était achevée avec la mort de Colby. Mais ça ne collait pas. Ce dernier était mort depuis une semaine. Ça correspondait à peu près au moment où j’avais vu le Barghest la première fois devant ma porte. Et en entendant les grognements de celui-ci derrière moi, j’ai su pourquoi il n’était plus devant chez moi. Il était passé au stade final. Comme il l’avait fait pour Colby.

 

Je me retournais progressivement, évitant les gestes brusques, afin d’éviter de le provoquer trop ouvertement. Et il était bien là, tout crocs dehors, avec toujours son aura noire encore plus sombre, ses yeux encore plus rouges, prêt à bondir, et me faire rejoindre Colby. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu ce réflexe à ce moment. Appelez-ça une intuition. Mais je me suis rué à l’endroit où était placé le médaillon, laissant le Barghest sur place, qui ne montrait pas son intention de me courser. Sans doute pour accentuer encore plus ma terreur, pour me montrer qu’où que j’aille, que je coures, sautes ou vole, il m’aurait. Il savait que je ne pouvais rien contre lui. Cependant, ce que je prenais pour un coup de folie de ma part sur l’instant s’est révélé payant, pour un court moment. J’ai décroché le médaillon, et l’ai lancé en direction du Barghest. Celui-ci l’a reniflé, avant de le prendre dans sa gueule, puis de disparaitre sous mes yeux.

 

A ce moment, je pensais vraiment être sauvé. Je n’ai pas revu la créature de la journée, et j’ai commencé à écrire mon expérience, relatant tout ce qui s’était passé jusqu’à présent. Afin de laisser une trace de tout ça. J’étais dans mon bureau à ce moment, et je finalisais les dernières pages, quand les fantômes de ma mère et de ma tante me sont apparus soudainement, l’air encore plus triste que les autres fois où j’avais conversé avec elles, et dirigeant leur regard vers la porte de la pièce. J’entendais gratter. J’entendais des grognements. Quand je me suis rendu compte qu’il était dans ma maison la première fois, j’ai supposé qu’il avait profité de la visite de Dariel pour s’introduire chez moi. Quand il a disparu, après que je lui ai fourni le médaillon, ce n’était qu’un répit. Il a dû déposer le médaillon, et donc le fragment d’os de sa défunte compagne, auprès du reste du corps de celle-ci, et du corps du mage noir. Mais comme il était entré une première fois dans le salon, passant par la porte d’entrée, il devait pouvoir y accéder librement désormais. Ce qui n’était pas le cas du bureau. Mais au vu de la brutalité des coups que j’entendais, creusant le bois, je savais que c’était une question de minutes avant qu’il pénètre ici, et me fasse subir le même sort que Colby.

 

Je sais que mon temps est compté, et quand vous lirez ces lignes, j’aurais sans doute rejoint le rang des victimes de cette bête infernale. Mais au moins, il restera ce journal montrant que je n’étais pas fou. Les traces sur mon corps sans vie sauront indiquer que le Barghest est une réalité, et qu’il ne fait pas bon déclencher sa colère et devenir sa cible. Pour ma tante et ma mère, c’était sûrement dû au fait qu’elles avaient eu l’audace de se rendre sur le territoire du Barghest vivant à Troller’s Gill. Un affront qui s’était soldé par la mort des impudentes. Colby parce qu’il avait défié une autre de ces créatures, sans doute plus répandues qu’on le pense sur le territoire britannique. Pour ma part, parce que j’ai été trompé, et que je me suis rendu complice involontaire de la profanation de la tombe de la femelle de ce Barghest. Simplement en achetant ce foutu médaillon.  Les lacérations sur mon corps, l’état de la porte du bureau, si tant est qu’elles seront visibles autant que celles de mon corps, devraient au moins pouvoir permettre d’établir la vérité sur l’existence du Barghest.

 

Alors, si vous aussi, vous avez du mal à croire aux légendes, souvenez-vous de mon histoire. Le Barghest n’est sans doute pas le seul monstre à parsemer les routes et les paysages de l’Angleterre. D’autres créatures toutes aussi dangereuses pour l’homme sont sans doute quelque part, guettant le moindre faux pas de l’un de vous pour vous faire passer de l’état de vie trépidante à celui de cadavre se décomposant au gré des vents. Il ne tient qu’à vous d’être méfiant, et de vous renseigner sur l’historique des artefacts qui entreront en votre possession. Si certains sont inoffensifs, d’autres renferment des malédictions pouvant libérer sur vous la colère du monde de l’ombre…

 

Publié par Fabs