20 nov. 2021

ENTRETIEN AVEC UN TUEUR

 


« Monsieur Davish, vous m’entendez ? C’est votre psychiatre qui vous parle. Êtes-vous avec moi ? »

 

L’homme sur la chaise relevait la tête lentement, les yeux embrumés, comme sortant d’une longue nuit de sommeil, les yeux hagards, d’immenses poches sous les yeux. Le signe d’un manque flagrant de sommeil prolongé pour lequel il venait de faire défaut, l’espace d’un instant. Se rendant compte de ce fait, il sembla en proie à la panique, tentant de se débattre sur sa chaise, se questionnant sur sa présence au centre de cette pièce, les bras et les jambes sanglées sur celle-ci. La brume qui obscurcissait ses yeux quelques secondes auparavant commençait à se lever, lui donnant une vision peu à peu plus nette de la personne devant lui, assis de l’autre coté d’une grande table. Toujours en proie à une peur que lui seul semblait comprendre, il demanda, en même temps qu’il tentait d’arracher vainement les sangles qui le maintenaient à la chaise…

 

« Que… Qu’est-ce que c’est ? Qui êtes-vous ?... Pourquoi je suis ici ? »

 

« Monsieur Davish, calmez-vous. Ça ne sert à rien de vous débattre. Tout ce que vous gagnerez, ce sont des bleus supplémentaires à vos bras… »

 

L’homme fixa plus avant le regard de son interlocuteur. Un homme d’une trentaine d’années, portant des lunettes visiblement bien trop grandes pour lui, à en juger au nombre de fois où il les relevait sur son nez, pour ne pas qu’elles tombent sur la table. Vêtu d’un costume chic, tels qu’en ont les hommes d’affaires. Une cravate au nœud mal fait régnant au milieu d’une chemise d’un blanc immaculé. Et ayant les mains posées sur un tas de document disséminés sur la table les séparant de plusieurs centimètres…. Finalement, comprenant, que ses gestes ne lui permettraient en rien de se libérer de son carcan, Davish se calma, reprenant son souffle peu à peu. L’homme en face de lui reprit :

 

« Tout va bien, Mr. Davish ? Je vais vous laisser récupérer quelques secondes… Ensuite, nous devrons discuter de votre présence ici, et de ce dont vous vous souvenez, concernant la nuit du 14 Octobre dernier… »

 

Davish reprenait une respiration normale, tentant encore de comprendre les paroles de l’homme s’étant adressé à lui. De quoi parlait-il ? Le 14 octobre ? Il ne savait même pas quel jour il était en ce moment même… Et ce nom, Davish… ne signifiait rien pour lui… Il n’en avait pas le moindre souvenir… Seuls quelques images flottaient dans son esprit… Des flashs, des silhouettes confuses qu’il ne parvenait pas à définir. Une grande, semblant avoir de longs cheveux flottant derrière ce qui était vraisemblablement sa tête. Et deux plus petites, s’agglutinant à la première silhouette… Donnant l’impression d’une peur immense. Même s’ils ne pouvaient pas les voir, il devinait aisément qu’elles regardaient dans sa direction… Était-ce lui l’objet de leur peur ? Mais pourquoi ? Qu’étaient ces silhouettes pour lui ? Pourquoi avaient-elles l’air en proie à la terreur en le regardant ? Soudain, les silhouettes devinrent plus floues, disparates… Avant de s’effacer complètement au sein de sa tête…

 

« Mr. Davish ? Est-ce que vous pensez être capable de discuter avec moi maintenant ? »

 

Davish ferma les yeux quelques secondes, les rouvrant, clignant de l’œil, tentant d’éclaircir un peu mieux sa vision. Il était maintenant redevenu complètement calme, et avec toute la lucidité nécessaire pour écouter l’homme au costume… Il ignorait ce qu’il faisait ici, attaché sur cette chaise, dans cet endroit. Mais le meilleur moyen de le savoir semblait d’écouter l’homme au costume qui voulait engager la conversation avec lui. Il positionna sa tête bien droite, ainsi que son regard, et répondit :

 

« Oui… Oui, je crois… Je ne suis pas sûr… »

 

Il marqua un temps d’arrêt, avant de demander :

 

« Dites-moi : qui êtes-vous ? Et pourquoi je suis attaché sur cette chaise ? Qu’est-ce que vous me voulez exactement ? Je… Je ne comprends rien… Je ne me rappelle pas comment je suis arrivé ici… Ni pourquoi… »

 

L’homme croisa ses mains, tout en les laissant posées sur la table, et reprit la parole :

 

« Vous vous appelez Carson Davish, 44 ans, marié, et père de deux petites filles de 5 et 8 ans… Du moins, ça c’était votre situation avant il y a 2 semaines… Vous ne vous rappelez vraiment de rien de ce qui est arrivé, Mr.Davish ? Pas même de vagues souvenirs de cette nuit ? »

 

Davish avait beau se triturer la tête, il ne se rappellait de rien, en dehors de ces silhouettes qui lui étaient apparues l’instant d’avant. Ce devait être la femme et les enfants dont l’homme lui parlait… Mais pourquoi ne voyait-il pas leurs visages ? Et pourquoi avaient-ils peur de lui ? Leur avaient-ils fait du mal ? Avait-il attenté à leur vie ? Il cherchait une réponse, creusant toujours plus, mais rien ne lui revenait… A part leurs silhouettes apeurées…

 

« Non…Je… Je ne me souviens de rien… Je ne vois que des silhouettes… Des silhouettes terrorisées… Elles semblent regarder vers moi… Comme si elles avaient peur de moi… Peur que je leur fasse du mal… »

 

L’homme en costume montra un petit sourire discret :

 

« C’est déjà un début, Mr. Davish… Je suis ici pour tenter de comprendre ce qui s’est passé. Pour quelle raison vous avez commis les actes dont vous êtes accusé… Et pour lesquels, je ne vous le cache pas, vous risquez la peine capitale… Sauf si je peux prouver la folie passagère, expliquant la barbarie des meurtres dont vous êtes responsable envers votre famille… »

 

Davish regardait l’homme avec insistance, semblant peu à peu comprendre la raison de sa présence, même s’il ne se souvenait toujours pas de la moindre étincelle de souvenir…

 

« Des meurtres… ? Vous… Vous voulez dire que je les ai… »

 

L’homme l’interrompit avant qu’il finisse sa phrase :

 

« Tués… Tout à fait, Mr. Davish. Vous avez sauvagement assassiné, sans la moindre raison apparente, votre épouse et vos deux petites filles, avec une sauvagerie rarement vue… Le corps de votre épouse a été retrouvée démembrée… Les morceaux ont été éparpillées dans toute la pièce. Certains ont même été… »

 

L’homme semblait avoir du mal à finir sa phrase, comme si cela le révulsait d’en parler…

 

« Ont été quoi ? Dites-moi… Je dois savoir…Quels que soient mes actes, dites-moi ce que j’ai fait… »

L’homme remit ses lunettes en place, remonta le nœud de sa cravate, puis reprit :

 

« Des parties ont été retrouvées partiellement dévorées… Des organes… un bras…Et… ses deux yeux ont été arrachés… On les a retrouvés dans une marmite, mijotant dans un bouillon… avec d’autres morceaux de corps… Des morceaux appartenant à vos filles… Leurs doigts pour être précis… Tous leurs doigts ont été coupées, et versés dans cette marmite, avec les yeux de votre épouse… Comme si vous vous prépariez à les manger à leur tour… »

 

Alors que Davish accusait le coup, les yeux pétrifiés d’horreur à l’énoncé de ses actes, l’homme continua le récit :

 

« Ce n’est pas tout : le reste du corps de vos filles a été trouvé dans diverses pièces de la maison… La tête de l’une d’entre elles dans la cuvette des toilettes… Ses jambes suspendues au-dessus de la baignoire, dans la salle de bain… 

 

L’homme semblait presque suffoquer, s’arrêtant à nouveau pour énumérer les détails de la scène du crime dont Davish était le responsable…

 

« Mr. Davish… Il vaudrait peut-être mieux que je m’arrête là… Je pense que j’en ai déjà dit suffisamment pour que vous compreniez pour quelle raison vous vous trouvez en ces lieux… »

 

Davish n’arrivait pas à croire ce qu’il venait d’entendre… Avait-il vraiment été l’auteur de cette horreur ? Comment ? Comment en était-il arrivé à perpétrer cette abomination envers sa famille ? Cependant, même si cela le mettait au moins aussi mal à l’aise que l’homme en costume, il voulait en savoir plus. Inconsciemment, son besoin de savoir le lui réclamait…

 

« Je veux tout savoir… Ne m’épargnez rien, je vous en prie… Qu’ai-je fait d’autre ? Donnez-moi tous les détails… »

 

Alors que Davish retenait ses larmes du mieux qu’il pouvait, l’homme accéda à sa demande, sortant un mouchoir d’une des poches de son costume, afin d’éponger la sueur qui perlait sur son front…

 

« Très bien…Mr. Davish… Comme vous voulez… Même si je ne pense pas que savoir la suite soit très raisonnable… »

 

Observant Davish, comme pour lui demander de revenir sur sa décision de l’obliger à dicter le reste du massacre, mais voyant dans le regard de celui-ci sa détermination à tout savoir, l’homme en costume continua :

 

« Je vois que vous ne reviendrez pas sur votre décision… Très bien… Je… Je continue alors… »

 

L’homme se racla la gorge, comme pour se donner du courage, puis reprit :

 

« Le haut du corps d’une des filles, a été découvert dans une des chambres, attachée sur un petit cheval de bois... Avec l’intestin de votre autre fille… Celle-ci a été trouvée pour sa part éventrée, les boyaux à l’air, avec donc son intestin en moins, placardé sur l’un des murs de votre bibliothèque… Sa tête accrochée à un lampadaire. Il y avait aussi des traces de morsures sur les bras, où il manquait des morceaux de chair… Qui n’ont pas été retrouvés… On suppose que vous les avez… »

 

Davish continuait la phrase :

 

« Mangés, c’est ça ? J’ai… J’ai mangé de la chair humaine ?... J’ai mangé la chair de ma propre fille ?.... »

 

Davish avait tenu le coup jusque-là, mais les derniers détails eurent raison de sa force mentale… Il éclatait en sanglots, tentant de dire des mots entre chaque, mais aucun n’était compréhensible…L’homme en costume finissait d’essuyer son front, déboutonnant le haut de sa chemise, en proie à un mal à l’aise visible, après avoir décrit chaque parcelle des horreurs dont Davish était coupable. Il profitait de la détresse de ce dernier, qui était en état de choc, pour se verser un verre d’eau dans un gobelet en plastique disposé sur la table, grâce à la bouteille à sa disposition sur un coin de celle-ci, loin du périmètre de Davish. Au cas où ce dernier aurait eu l’idée de s’en servir comme ustensile pour se blesser. Une sécurité habituelle dans ce genre de réunion au sein d’un établissement dans lequel lui et son « client » se trouvait. Il attendit plusieurs minutes, le temps pour Davish de parvenir à revenir à un semblant de calme, après avoir entendu les faits lui étant reprochés. Il en profitait aussi pour ouvrir le dossier se trouvant devant lui, écartant les photos montrant l’état des corps retrouvés. Au vu de l’état de Davish, et de lui-même, il jugeait prudent de ne pas indiquer la présence de ces photos, pour ne pas accentuer l’état émotionnel de son client.

 

Il continuait de feuilleter les rapports d’enquête de la police, ainsi que les différentes descriptions du service de morpho-analyse, parlant d’une substance étrange trouvée mélangée au sang de la 2ème fille. Celle qui avait subie des morsures et avalement de chair. A l’heure qu’il était, les différents tests de la police scientifique n’avait pas permis de déceler de quel produit il s’agissait. Il était possible que ce soit un stupéfiant ou un produit proche. Auquel cas, il pourrait s’agir de l’origine de la folie de Davish. Mais quel enzyme ou toxine était capable de déclencher une telle bestialité ? Capable de faire régresser un homme au-dessus de tout reproche dans un état de transe proche d’un animal sauvage ? Et même plus que cela… En 15 ans de métier, jamais il n’avait vu un crime aussi abominable, dépassant tout ce qui était connu en psychiatrie moderne. Ça dépassait les limites même de la psyché humaine. C’était presque irréel… Comment Davish en était venu à avoir l’idée de disséminer les morceaux de corps partout dans la maison de cette façon. Contrairement à ce que pouvait laisser penser la première impression, il y avait une certaine logique dans la disposition des corps. Et il y avait autre chose qui l’avait troublé…

 

Chaque parties des corps découpés, en dehors du contenu de la marmite, portaient des numéros, gravés au couteau… Comme si Davish avait cherché à respecter une sorte de rituel bien défini. Ce qui était contraire à l’idée de dysfonctionnement passager du cerveau, suite à l’absorption supposée de stupéfiants. Si vraiment ce produit avait entraîné un tel dérèglement des capacités intellectuelles du cerveau, alors pourquoi ces numéros ? Et pourquoi les avoir disposés dans les pièces de telle manière. Même les morceaux de corps de l’épouse de Davish avaient été placés à des endroits bien distincts. Le haut de la cheminée… La table du salon… Le vaisselier…Le sofa… Et ces « numéros » se suivaient dans l’ordre dans la pièce, traçant un « trajet » défini, dont le dernier morceau était le tronc de la 2ème fillette dans la bibliothèque, à l’étage, située à quelques mètres de la chambre de ces dernières. Chacune ayant la leur… Pourquoi la chambre à côté de la leur avait été « épargnée » par cette piste ? C’était comme si la bibliothèque avait été choisie, à défaut de pouvoir utiliser la 2ème chambre.

 

L’homme n’avait pas précisé la présence des dents disposées sur la rambarde de l’escalier. Plantées dans le bois. Sur celles-ci, il n’y avait pas de numéro. Comme s’il s’agissait d’une sorte de « transition » pour indiquer la direction à suivre des morceaux suivants. Dans le même ordre d’idée, les toilettes du bas n’avaient pas été « utilisées » pour ce jeu de piste macabre, privilégiant celles du haut. Situées entre la chambre des parents, sur la gauche du haut de l’escalier et celles des filles, placées plus sur la droite de l’étage. La bibliothèque, elle, étant situé sur la partie en face d’une autre chambre, placée après celle des filles. Pour quelle raison une telle disposition des morceaux de corps, dans des pièces qui, visiblement, n’avaient pas été choisies au hasard ? L’homme en était à ses interrogations, quand Davish, ayant repris ses esprits, questionna alors l’homme au costume :

 

« Dites-moi : est-ce que j’ai agi à la suite d’une soirée particulière, d’une dispute, de quelque évènement particulier qui ai pu me faire basculer dans la folie de cette façon ? »

 

L’homme semblait surpris de cette question :

« À dire la vérité, Mr. Davish, je comptais sur vous pour m’éclairer sur ce point justement… La police a enquêté auprès de vos voisins, vos proches, vos collègues de travail… Histoire de savoir si vous aviez fait quelque chose d’inhabituel à votre quotidien, la journée précédant la nuit du massacre…. Mais la seule chose de différent à vos habitudes a été l’achat de fleurs, sur le chemin menant de l’entreprise où vous travaillez à votre demeure… Et vous n’y êtes resté, suivant les dires du fleuriste, qu’une dizaine de minutes. »

 

Davish réfléchissait, essayant de comprendre, pendant que d’autres images semblaient se former dans sa tête à l’issue de la révélation de ce détail…

 

« Le fleuriste… Oui… Je… je revois le magasin… Je… Je me souviens de ce moment… Pourquoi je ne me souviens que de ça ? Je lui ai demandé des fleurs spéciales pour un évènement particulier… Mais je ne sais plus lequel… »

 

L’homme sembla chercher dans les papiers disposés dans le dossier devant lui. Au bout de quelques secondes, il sortit un document. Un extrait d’état-civil, relatant le jour du mariage du couple.

 

« Le 14 Octobre, c’était l’anniversaire de votre mariage, Mr. Davish. Vous avez peut-être voulu fêter cet évènement par un cadeau particulier ? »

 

Davish revoyait d’autres images lui revenir en tête. Des flashs où il voyait du sang sur les murs. Des morceaux de corps arrachés par la seule force de ses bras. Il entendait les cris de terreur de sa femme, de ses filles… Leurs silhouettes s’affirmaient plus. Les traits de leurs visages devenaient plus distincts… Il se mit à crier, cette vision lui étant insupportable… L’homme n’osait pas intervenir, conscient que cette crise s’était déclenché suite à ces petits détails qui semblaient insignifiants, mais ayant visiblement leur importance. Davish se reprenait peu à peu, les images dans sa tête s’estompant. Il s’adressait alors à son interlocuteur :

 

« Excusez-moi pour ça… Je…J’ai revu une partie de la scène du massacre… J’ai revu de quelle manière…. Comment j’ai démembré ma femme… Puis mes petites filles… »

 

Davish était à nouveau en pleurs, abattu par la confirmation qu’il était bien le meurtrier abominable décrit plus tôt par l’homme en face de lui… Le visage encore inondé de larmes, il reprit :

 

« Le fleuriste… Il…Il m’a montré une fleur très rare… Il venait de la recevoir le matin même… Je me rappelle avoir été comme attiré par elle… J’ai ressenti comme un besoin de l’acheter… »

 

L’homme demandait :

 

« Une fleur ? Quelle fleur était-ce ? »

 

Davish creusait plus avant dans ses souvenirs…

 

« Elle était bleue… Bleue avec des sortes de petits bourgeons minuscules sous la corole… C’était la première fois que je voyais une fleur de ce type… Quand j’ai demandé au fleuriste le nom de sa variété, il m’a répondu qu’il n’en savait rien… Il l’avait reçu en même temps que sa commande le matin même, mais il n’avait rien commandé de tel… Pour lui, ce devait être une erreur de son fournisseur… Comme c’était la seule dans le lot, il s’est dit que ça ne servait à rien de faire une réclamation…D’autant qu’elle ne figurait même pas sur le bon de livraison… »

 

L’homme, entendant cela, se disait qu’il tenait peut-être une piste plus que sérieuse. Il avait entendu des particularités de certaines fleurs, dont le pollen avait le même effet hallucinogène que certaines drogues…

 

« Dites-moi, mr. Davish : vous souvenez-vous si le fleuriste vous a dit de quel pays provenait sa commande ? Une région particulière ? »

 

Davish réfléchissait encore

 

« D’une région près de l’Amazonie je crois. Je ne me rappelle plus vraiment le nom. C’était un nom assez complexe… Même le fleuriste avait du mal à dire le nom. Son fournisseur était en lien avec une tribu vivant dans un coin très peu exploré, avec qui il était en contact, via un de ses employés, venant de là-bas. Beaucoup de fleurs viennent de cet endroit, car elles sont très demandées. A cause de leurs vertus médicinales, d’après ce que je me souviens. Tout me revient petit à petit… Je… je ne sais pas comment l’expliquer… »

 

L’homme griffonnait quelques mots sur son carnet, avant de reprendre :

 

« Sans doute l’effet du pollen de cette fleur, Mr. Davish. Vous souvenez-vous avoir respiré son parfum, ou vu une sorte de poussière s’en dégager ? »

 

Entendant cela, d’autres images revinrent en tête à Davish. Il se revoyait sortir la fleur de son emballage, l’offrir à son épouse, qui lui souriait, l’embrassant pour le remercier d’avoir pensé à leur anniversaire de mariage… Il revoyait ses filles, voyant la fleur, se disputant pour aller chercher un vase pour la mettre dedans… Pour y mettre fin, il revoyait son épouse prendre un grand vase vide, placé au-dessus d’un meuble. Puis, elle demandait à ses deux filles de le remplir d’eau. Pendant que Davish finissait de développer le papier dans laquelle la fleur était placée. Il y eut une sorte de petit bruit en la prenant. Comme celui d’un désodorisant quand on l’actionne pour diffuser le produit à l’intérieur. Il avait accidentellement appuyé sur un des bourgeons situés sous la corole de la fleur. Une sorte de fumée légère bleutée et verte en était sortie. Il l’avait respirée. Cela l’avait fait éternuer, faisant rire son épouse et ses filles, qui revenaient, mettant le vase sur la table.

 

Puis, plus tard, il avait ressenti de forts maux de tête. De plus en plus importants. Il avait beau prendre de l’aspirine, ça ne servait à rien. Il devenait plus irritable, élevant la voix, faisant tomber le vase où se trouvait la fleur. Il la prenait à pleines mains, écrasant les autres bourgeons, faisant libérer encore plus de cette poussière, qu’il respirait à pleins poumons. Ses yeux se remplissaient de sang après ça. Ses veines de ses bras et de son cou devenaient apparentes. Il hurlait auprès de son épouse. Lui disant que c’était sa faute. Qu’elle l’avait énervé. Il la revoyait apeurée, ses deux filles collées à elle, demandant pourquoi papa était en colère… Ses bras gonflaient, comme soumis à une sorte de mutation… Sans doute un effet de la toxine de la plante absorbée en très grandes quantité. Ses veines passaient au noir. Un noir opaque. Ses yeux devenaient vitreux. Il s’approchait de sa femme, faisant tomber au sol l’une de ses filles. Celle-ci se mettait à pleurer. Il lui criait de la fermer, le visage menaçant. Sa femme lui demandait d’arrêter. Lui demandant pourquoi il agissait comme ça. Que s’il continuait, elle lui demanderait de sortir se calmer dehors.

 

Ça l’avait énervé encore plus. Il avait frappé sa femme. Très violemment. Elle était tombée en arrière, se tapant le dos sur la table de la cuisine, avant de se retrouver au sol, entraînant sa deuxième fille avec elle. Sa femme criait encore d’arrêter. Ses deux filles pleuraient. Les cris lui avaient fait encore plus mal au crâne. Il avait attrapé le bras de sa femme, tirant dessus, l’arrachant comme s’il ne s’était s’agit qu’un morceau de papier. Le sang giclait à profusion, se déversant sur ses filles, qui criaient encore plus, pendant que sa femme hurlait de douleur, mettant son autre main sur le moignon qui se trouvait à la place de son bras arraché. Il avait soulevé l’une de ses filles du sol, la tenant par le cou. Serrant de plus en plus fort. A tel point que sa tête se détachait, laissant tomber le reste du corps au sol. Sa femme devenait hystérique, pendant que son autre fille courait vers l’escalier, vers l’étage, espérant pouvoir s’y réfugier. Il s’approchait de sa femme, serrant son cou à son tour. Comme pour sa première fille, il la décapita à force d’user de la force de ses mains autour de son cou. La tête tombait à terre. Pris d’une folie meurtrière, il se mit à arracher l’autre bras de sa femme, puis ses bras, ses yeux. Mettant ces dernier dans une de ses poches, sans trop en connaitre la raison.

 

Puis il s’en prit au corps de sa petite fille décapitée, arrachant ses deux jambes, avant de s’emparer d’une pince dans un tiroir, arrachant plusieurs de ses dents, ainsi qu’à sa femme, dont la tête gisait toujours au sol. Il prit alors les morceaux du corps arraché de sa femme, les plaçant sur les meubles de la pièce, traçant des numéros sur les morceaux, avec son canif qu’il portait toujours sur lui. Il agrippait les jambes arrachées à sa fille au-dessus de la baignoire de la salle de bain, située à côté de l’escalier. Il se dirigeait ensuite vers l’escalier, le haut du corps de sa fille sur son épaule gauche, sa tête dans sa main gauche, les dents prélevées précédemment dans sa main droite. Il les plantait dans le bois de la rambarde, tout en montant l’escalier lentement. Arrivé en haut, il se dirigeait vers les toilettes en face de lui, situées entre la chambre des parents, et celle des filles, et y jetait la tête de sa fille dans la cuvette. Puis, il marchait vers la chambre de ses filles. Derrière la porte, sa 2ème fille, celle qui était parvenue à s’échapper, criait de la laisser tranquille, qu’il était un méchant papa, et qu’elle le détestait. Pour toute réponse, Davish défonçait la porte d’un coup de pied. Pendant que sa fille, acculé contre un mur, criait à tout rompre, il posait le tronc de son autre fille sur le lit, se dirigeant vers son enfant qui hurlait de plus belle.

 

Il se penchait vers elle, et d’un seul coup, lui fit subir la même chose qu’à sa sœur, la soulevant par le cou, serrant, jusqu’à ce que sa tête soit séparé du reste du corps. Davish observait le corps quelques secondes, puis pris le torse qu’il avait posé sur le lit, le disposait sur un petit cheval de bois. Voyant que le morceau de corps ne tenait pas, il revint vers l’autre corps, plongeait sa main dans le thorax, pour en prélever l’intestin, et s’en servit comme d’une corde pour fixer le torse sur le jouet en bois. Puis, il prit le corps de sa 2ème fille sur le dos, ainsi que sa tête, et se dirigeait vers la bibliothèque, dédaignant la seconde chambre. Une chambre au douloureux souvenir. Avant leurs deux filles, lui et son épouse auraient dû avoir un autre enfant. La chambre avait déjà été préparée à cette occasion. Mais son épouse fit une fausse couche. Depuis, plus personne n’entrait dans cette pièce. Une fois dans la bibliothèque, il accrochait le corps mutilé à l’un des murs, sur un porte-manteau. Puis plaçait la tête restante sur le haut du lampadaire de la pièce. Il observait un instant son œuvre, avant de s’en approcher. A ce moment, son ventre gargouillait, pris d’une faim intense. Il se mit à croquer alors le corps de sa fille fixé au mur, à plusieurs endroits, faisant la grimace. Alors, il découpait minutieusement chacun des doigts, les plaçant dans sa poche de pantalon, et fit de même avec les doigts de l’autre corps, puis redescendait.

 

En bas, il observait les morceaux du corps de son épouse. Comme pour vérifier quelque chose, il plongea la main dans la poitrine de cette dernière, extrayant son cœur, puis un poumon, croquant chacun d’eux, les mâchant méticuleusement. Puis fit du même sur un bras, semblant y trouver meilleur goût que le membre de sa fille. Ensuite, Voyant une marmite sur la cuisinière, il allumait le brûleur en dessous, puis sortait les doigts prélevés de sa poche, et les plongeait dans la marmite, dans un bouillon. Il se rappelait alors des yeux pris à son épouse, les sortait de son autre poche, et les plongeait à son tour dans le bouillon. Quelques instants plus tard, des sirènes de police retentissait dans la rue, des voix lui demandant de sortir. Il dédaignait la marmite et son contenu qu’il faisait cuire, et se dirigeait vers la porte de la maison. A peine sorti, des policiers qui se tenaient sur le côté de la porte l’empoignèrent, et l’un des deux lui donnaient un coup de tazer, l’assommant sur le coup.

 

Il expliquait tous ces détails l’un après l’autre à l’homme en costume, qui ne manquait pas une parole, restant silencieux tout du long, écoutant tout en prenant de nombreuses notes… Voyant que Davish avait fini son récit, il s’adressait alors à lui :

 

« C’est parfait, Mr. Davish. Maintenant, j’y vois plus clair. Je comprends ce qui s’est passé de manière plus limpide. Reste à voir avec la police si la fleur n’a pas été jeté par erreur, car c’est la seule chose qui peut vous donner des circonstances atténuantes. Une fois analysée, ses particularités pourront être étudiés plus en détail, et nous pourrons discuter avec le fournisseur du fleuriste, afin ce que celui-ci fasse en sorte que cette fleur ne se retrouve plus jamais sur un circuit de vente florale. »

 

Davish, un peu exténué par son long discours, demandait :

 

« Vous pensez que toutes ces révélations pourraient me permettre d’être déclaré irresponsable ? »

 

L’homme le regardait, baissant les yeux :

 

« Non, Mr. Davish. Vous restez malgré tout coupable d’un massacre abominable, et même sachant que c’est à cause de cette fleur et de son pollen particulier, ça ne vous empêchera pas de subir la peine capitale. Votre exécution est déjà programmée. Dans votre cas, la folie passagère va être presque impossible à établir. Et le temps que les analyses aboutissent, et ceci en supposant que la fleur soit retrouvée, il y a peu de chance que je puisse plaider une annulation de l’exécution. Peut-être un enfermement à vie ici, mais sans certitude. Tout au plus, dites-vous que vos révélations empêcheront d’autres cas du même type, et donc d’autres massacres… »

 

« Je comprends… C’est peut-être mieux ainsi… Maintenant que je me rappelle tout, de toute façon, je ne suis pas sûr que j’aurais pu accepter de vivre, sachant ce que j’ai fait »

 

« A la bonne heure, Mr. Davish…. Ravi de voir que vous comprenez la situation… Néanmoins, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour utiliser les informations fournies, et vous permettre de retarder votre exécution. C’est le mieux que je puisse faire, à mon avis… »

 

Davish fermait les yeux un instant, puis les rouvrait et répondait :

 

« Ne vous donnez pas cette peine. Je mérite 1000 fois de mourir. Et le plus vite sera le mieux… Cela m’évitera de souffrir dans ma tête plus longtemps… »

 

L’homme hochait la tête en signe d’acceptation, puis, refermant le dossier devant lui, signifiait à Davish son départ…

 

De l’autre côté de la porte où se situait cet échange, deux gardes discutaient entre eux :

 

« Alors, c’est lui qui va être exécuté dans 3 semaines ? C’est bien le boucher qui a massacré toute sa famille ? »

 

« Ouais, c’est bien lui. Un vrai malade… Personne sait pourquoi il a fait ça… Purée, j’arrive pas à croire comment on peut on arriver à tuer sa femme et ses gosses de manière aussi horrible… Comme une bête sauvage… »

 

« Des tarés, y’en a partout…. Regarde-le en plus ! Il parle tout seul… Il fait des gestes comme s’il y avait vraiment quelqu’un en face de lui. Non seulement, c’est un tueur taré, mais en plus il s’invente du monde dans sa cellule… »

 

« Moi, j’te dis, personne le regrettera, celui-là. Et pis un mec qui se parle à lui-même, c’est vraiment que son cerveau a disjoncté à fond… »

 

« Ouais… Si ça se trouve, il va même pas se rendre compte qu’il se fait exécuter »

 

« Ha, ha ! C’est bien possible encore… Bon allez, c’est pas tout ça, mais faut qu’on finisse notre ronde… Y’a d’autres tarés profonds dont on doit vérifier qu’ils foutent pas le boxon dans leur cellule »

 

Là-dessus, les deux gardes partaient de leur côté, laissant Davish seul avec lui-même, ce dernier ignorant que l’homme au costume avec qui il se croyait en grande discussion, le remerciant d’avoir trouvé une solution à cette énigme qui représentait le massacre de sa propre famille, n’était qu’une invention de son esprit tourmenté. Peut-être la solution trouvée pour lui permettre de comprendre et d’apaiser, par le biais d’un dialogue fictif, les évènements qui l’avaient amené à se trouver ici, au cœur de cette cellule. Et personne d’autre que lui ne saurait qu’il existe une fleur capable de transformer un homme en une véritable machine à tuer sans la moindre pitié, et sans équivalent en termes de puissance destructrice…

 

Publié par Fabs

17 nov. 2021

L'ANGE NOIR

 


 

On dit souvent que les créatures sorties des ténèbres ont toutes un mauvais fond, qu’elles existent uniquement pour montrer aux hommes leur faiblesse, et se repaître de leur chair et leur sang, ou encore par simple plaisir de tuer, afin d’assouvir leurs pulsions meurtrières. Mais même si cela représente effectivement la majorité des cas, il y a parfois des exceptions… Il existe aussi des être dont les capacités et le mode d’alimentation servent les intérêts de l’homme. En tout cas une partie d’entre eux. Je connais l’une d’entre elles. J’ai appris à m’habituer à sa présence au sein de l’hôpital où je travaille. Je peux même communiquer avec elle. Il me suffit juste de l’appeler par son prénom… Enfin, ce n’est pas vraiment son prénom. C’est celui que je lui ai donnée en rapport à ses facultés. Et elle l’aime beaucoup. Comment je le sais ? Parce qu’elle me l’a dit…

 

Pas directement. Elle n’est pas dotée de parole. Elle communique avec moi par la pensée. Ou plus exactement, je vois son image, sa silhouette exprimer des paroles à l’intérieur de ma tête. C’est difficile à expliquer. C’est comme un rêve éveillé. Mes yeux sont ouverts, mais j’ai l’impression de naviguer à l’intérieur même de mon esprit, pendant que mon corps, lui, reste immobile, comme figé dans l’espace où je me trouve quand je communique avec elle. Comme si je m’étais rapetissé, et que j’avais pénétré dans ma tête, marchant sur le sol que représente mon cerveau. Et là, elle apparaît. Pour faciliter nos échanges de pensée, le terme qui désigne le mieux notre moyen de communication, je l’ai doté d’un prénom. Ça me semblait plus simple, aussi bien pour elle que pour moi…

 

Je l’ai donc appelé Elizabeth. C’était le prénom de ma grand-mère. Une brave femme qui m’a élevé la majorité de mon enfance. Etant né d’une femme que je n’ai jamais connue, abandonné près d’une fontaine, au beau milieu d’un village. Elizabeth Karston était la matriarche de celui-ci, et elle fut la première à sortir, alerté par les cris que je poussais, et venant de devant la fontaine. Contre l’avis des autres villageois, elle prit soin de moi, m’adopta officiellement, m’éduqua, et surtout c’est à elle que je dois la passion de la médecine. Elle était ce qu’on a coutume d’appeler une guérisseuse, une rebouteuse. Elle usait de ses connaissances de la nature, et d’un pouvoir de magnétisation en elle pour soulager ceux et celles qui venaient la voir à sa demeure. Et nombreux étaient les personnes se succédant pour profiter de ses miracles. Elle m’avait dit un jour qu’elle tenait son don et ses connaissances d’une sorte de fée, qui l’avait choisie pour diffuser le bien autour d’elle, grâce à ce don. J’ignore si ce qu’elle m’a confié, et qu’elle considérait comme un secret, était la vérité, ou si elle voulait simplement me donner une explication à son don. Pendant longtemps, j’y ai vraiment cru en tout cas. Car pour un petit garçon tel que moi, voyant en elle l’image même de la bonté, ça ne pouvait être que la vérité, m’étant impossible de mettre sa parole en doute.

 

Bien sûr, en grandissant, j’ai appris que les mythes et les créatures de tout bords étaient nés de l’imagination parfois débordantes d’écrivains et de conteurs, et je me suis dit malgré tout, que l’origine du don de ma grand-mère, qui, lui, était véritable, venait peut-être tout simplement de gênes héritées de ses ancêtres. Transmis de génération en génération. C’était sans doute une sorte d’héritage familial. N’étant pas de son sang, je ne possédais pas ce pouvoir. Mais je savais tout ce qui était possible de savoir en ce qui concernait l’utilisation des plantes pour guérir les maux les plus divers. Et c’est donc naturellement que je me suis tourné vers des études de médecine, avec l’approbation de ma grand-mère. Même si cela signifiait que je serais séparé d’elle. Je venais la voir souvent malgré tout, dès que mon emploi du temps me le permettait, et elle avait toujours ce sourire unique à mon arrivée qui me faisait oublier mes soucis de la vie quotidienne.

 

J’ai vécu ainsi pendant des années, oscillant entre le village où j’avais grandi, et l’hôpital, où je devins interne, à la fin de mes études, une fois obtenu mon diplôme. Et puis, elle finit par mourir de sa belle mort. A 96 ans. Moi qui pensais qu’elle était immortelle, ce fut un grand choc. Quand je vins voir son corps, installée dans son cercueil, le jour de la cérémonie, juste avant son enterrement, il s’est passé quelque chose d’étrange. J’étais seul dans la pièce avec son corps froid, et son visage qui respirait toujours autant la sagesse, quand je ressentis une violente sensation m’emplissant tout le corps, en même temps qu’une sorte de brume semblant sortir du cadavre de ma grand-mère, envahissait tout l’espace. C’était une sensation loin d’être désagréable à dire vrai, c’était même tout le contraire. L’effet ne dura que quelques minutes, et juste après, j’eus l’impression de voir l’expression de ma grand-mère changer. C’était comme si elle souriait. Comme satisfaite de m’avoir transmis son don. Je sais, ça peut paraître un peu ridicule dit comme ça, mais je vous assure que c’est vraiment ce que j’ai ressenti à ce moment…

 

Les années passèrent, et je devins un docteur reconnu, ayant même mon propre personnel à mon service, au sein d’un hôpital réservé aux personnes âgées, où je me sentais plus à l’aise que dans un établissement médical classique. Certains lui donneront le terme d’asile psychiatrique, mais je n’aime pas ce mot. Je préfère le désigner en celui de maison des esprits. C’est un peu candide me direz-vous, le genre de terme utilisé par un enfant, mais au fond de moi, c’est exactement ce que je ressens. Un enfant enfermé dans un corps d’adulte, refusant de voir le mal, quel qu’il soit. Je pense que c’est cet état d’esprit qui m’a permis de me rapprocher d’Elizabeth, cette créature dont je découvris l’existence au sein de mon lieu de travail. Bien qu’au départ, je ne la percevais pas comme quelque chose de bienveillant. C’était même tout le contraire… Pour moi, quelque pouvait être la « chose » qui vivait au sein de cet hôpital, elle n’était qu’une meurtrière, volant la vie de mes patients, sans le moindre remords. Mais plusieurs éléments découverts au fur et à mesure des cas de morts survenant dans l’hôpital, me firent changer d’avis. Notamment, le visage radieux affiché par toutes les victimes. Mais il vaudrait mieux expliquer en premier lieu, de quelle manière les premiers cas ont débuté.

 

Ça a commencé il y a de ça maintenant 3 mois. Avec Mr. Harvey Larmin, un vieux monsieur apprécié pour sa gentillesse et ses paroles toujours réconfortantes. Il avait cette faculté à part de pouvoir rendre le sourire à n’importe quelle infirmière quand l’une d’elles montrait des signes de fatigue ou d’anxiété, après une dure journée. Et c’était la même chose pour tout le personnel médical. Bon, certaines vous diront qu’il avait la sale manie d’avoir les mains baladeuses quand les infirmières s’occupaient de changer ses draps, au moment où il revenait de sa promenade journalière. Avec un goût particulier pour les nouvelles recrues, qui « bénéficiaient » de ses caresses sur leurs fesses, au moment où elles se penchaient pour remettre les draps en place. Si certaines s’en offusquèrent au début, s’en plaignant à moi ou d’autres médecins, elles changèrent vite d’opinion, après que ce même « pervers », selon leurs dires, leur aient rendu le sourire. L’une parce qu’elle venait de rompre avec son petit ami, l’autre parce qu’elle n’arrivait pas à calmer les petites crises de son fils de 5 ans. Il avait toujours les bons conseils à leur prodiguer, pour qu’elles trouvent une solution à leur mal-être. Et du coup, elles en venaient à se contenter de faire de simples remontrances, tout en souriant, à leur pervers préféré, quand celui-ci vaquait à son occupation favorite. A savoir « tâter » la forme du postérieur de ses chères visiteuses…

 

Harvey était devenu en peu de temps la « mascotte » de l’hôpital. Certains en arrivait même à se demander pourquoi un homme tel que lui se trouvait ici, ne montrant pas les symptômes de quelqu’un atteint de problèmes psychologiques flagrant. En fait, c’est Harvey qui avait demandé à être interné, de peur d’avoir l’envie de retrouver son épouse décédée peu de temps avant son arrivée, avec l’accord de son médecin traitant. Ainsi entouré, il ne ressentait plus le sentiment d’idées noires, et il se sentait apaisé. Du moins, c’est ce qu’il tentait de faire croire. Car malgré sa bonne humeur constante, son sourire, ses petites « tapes » amicales sur le derrière des jeunes infirmières, Harvey souffrait de cauchemars persistants chaque nuit. Des cauchemars très violents qui le hantait depuis le décès de celle qui avait partagée sa vie pendant 20 ans. Personne n’a jamais su en quoi consistait ces cauchemars, Harvey se refusant à en parler. Tout au plus, disait-il qu’ils cesseraient bientôt, car l’Ange Noir viendrait l’en délivrer pour toujours. Qu’il lui avait promis. Et même qu’il avait déjà commencé à absorber certains d’entre eux. C’est le terme exact qu’il a employé.

 

Au début, personne n’a vraiment compris de quoi Harvey voulait parler, pensant qu’il était sujet à des hallucinations, suite logique du mal-être qu’il tentait de dissimuler par ses sourires et sa bonhomie. Mais il parlait de plus en plus de cet « Ange Noir » qui venait lui rendre visite chaque nuit, pour lui enlever un peu plus de ses cauchemars, même si cela signifiait qu’à chacune de ses actions, il perdait un peu de sa vie dans le même temps. Que c’était le prix à payer pour ne plus être envahi des ces images cauchemardesques qui lui pourrissaient ses nuits, avant qu’il vienne ici. Il disait qu’il était heureux de lui permettre de se nourrir grâce à ses cauchemars. Et que ça ne le dérangeait pas qu’il meure un peu plus tôt que prévu, si cela lui permettait de s’en aller avec le sourire. Sans amertume. Sans images noires dans la tête. Sans mauvais souvenirs le faisant se réveiller en sursaut, en proie à une terreur indescriptible. L’Ange Noir lui offrait ce bien-être auquel il aspirait. Il disait qu’il ne pouvait rêver meilleure fin…

 

Quelques jours plus tard, une infirmière trouva Harvey sans vie dans son lit, les deux mains croisées sur son ventre, un immense sourire parsemant son visage. Beaucoup de membres du personnel furent attristés de ce départ imprévu… En particulier les victimes favorites de ses « caresses ». L’une d’elle demanda même un congé d’une semaine, suite à ce décès, tellement elle avait du mal à se faire à l’idée de ne plus pouvoir discuter avec ce vieux pervers, mais si adorable par ses paroles. Quand le corps fut emmené vers la morgue, tout le monde se mit au garde à vous à son passage. Comme s’il s’agissait d’un président ou une star de cinéma. Un moment très émouvant, et moi-même je ne pus m’empêcher de verser ma petite larme, à l’image de nombre des membres du personnel présent. Cependant, Harvey n’était que le premier à disparaitre de cette manière, de manière incompréhensible, vu que son état de santé ne laissait en aucun cas supposer une mort aussi prématurée… Rien dans ses diagnostiques n’indiquait le moindre problème. Qu’il soit cardiaque, pulmonaire ou sanguin. Il n’y avait absolument aucune logique à son décès… Si ce n’est l’évocation de ce fameux Ange Noir dont il parlait tant lors de ses derniers jours de vie….

 

Deux jours passèrent et chacun revint à ses occupations, oubliant presque la disparition d’Harvey, quand un autre drame survint. Cette fois, il s’agissait de Mme Carves, une dame de 67 ans, sujette à des hallucinations importantes, la faisant parfois entrer dans des phases délirantes où n’importe quel objet pouvait être la « solution », selon elle, à faire fuir les fantômes qui la harcelaient. Cependant, tout comme Harvey, on la trouva dans son lit, le visage apaisé, orné d’un grand sourire, les mains posées sur sa poitrine. Je m’interrogeais sur cette étrange attitude, et plus encore en découvrant qu’elle aussi, dans les jours précédant son décès, avait évoquée cet Ange Noir dont parlait Harvey. Les infirmiers chargés de s’occuper de sa chambre, celle-ci refusant la présence d’une femme, sans qu’on en sache la raison exacte, me précisèrent que son comportement avait énormément changé ces derniers jours. Elle n’avait plus de crise, leur parlait gentiment, redoublait d’attention même à leur égard. Alors qu’une semaine auparavant, elle n’hésitait pas à les insulter de tous les noms, leur disant qu’ils étaient des incapables de ne pas savoir comment faire fuir ces fantômes qui étaient autour d’elle. Parfois, elle leur jetait même le contenu de son plateau repas, quand ce n’était pas le plateau lui-même.

 

Ils n’en avaient pas vraiment parlé, pensant que des médecins lui donnaient des calmants sans leur avoir dit, et expliquant cette modification de son attitude envers eux. Ils précisèrent aussi qu’elle affichait un grand sourire régulièrement, disant que l’Ange Noir était parvenu à faire partir les méchants fantômes qui lui faisaient peur. Et qu’elle savait qu’elle allait bientôt partir en paix, débarrassé d’eux. Que c’était un vrai plaisir pour elle de lui offrir la nourriture dont l’Ange Noir avait besoin, grâce à ses fantômes… Les mêmes propos qu’Harvey… Et la même incompréhension quant à sa mort. Totalement illogique. Pour elle aussi, rien ne pouvait expliquer sa mort soudaine. Rien de naturel en tout cas. Tout ça n’avait aucun sens… D’un point de vue médical, c’était incompréhensible que Harvey et Mme Carver soient partis ainsi, sans que rien ne puisse le faire soupçonner. Et c’était loin d’être le dernier cas qui montrerait les même symptômes…

 

Mr. Frands, 74 ans, souffrant d’une psychose de persécution, doublé d’une paranoïa, persuadé que tout le monde voulait lui nuire, voire même l’emmener pour l’utiliser pour des expériences secrètes, organisées par le gouvernement…

 

Mr. Soultik, 66 ans, atteint d’un dédoublement de la personnalité. Son « double » étant sujet à des signes de violence très prononcées, et survenant à des horaires bien précis….

 

Mme Alma, 82 ans, syndrome de Peter Pan, parlant avec une voix de petite fille pour s’exprimer, par le biais d’une poupée de chiffon que personne ne doit toucher, sous peine de crises extrêmement violentes. Un état qui est arrivé suite au décès de sa petite fille de 6 ans, à qui appartenait la poupée…

 

Mme Falknor, 89 ans, victime de TOC convulsif, et d’une psychose curieuse, refusant de s’installer ailleurs que dans un lit dépourvu du moindre drap, par peur d’être assaillie par des acariens géants voulant la dévorer. Les personnes chargées de lui apporter ses repas doivent les goûter devant elle. Sans cela, elle refuse de s’alimenter, et toute personne entrant dans la chambre doit être munie d’une combinaison…

 

Et enfin Mr. Trevor, 71 ans, vétéran de guerre, ancien sergent-chef, n’acceptant que des produits fabriqués en Amérique, du lit aux draps, meubles, nourriture, et autres ustensiles de cuisine. Demandant à ce qu’on lui apporte la preuve que ce sont bien des produits américains. Dans le cas contraire, il peut être sujet à des actes d’auto-mutilation, pour, dit-il, se débarrasser de la souillure reçus des anti-américains….

 

Autant de cas graves, donnant du fil à retordre au personnel soignant, de par leurs attitudes, leurs exigences, leurs actes de violence potentiel… Et tous ont vu leur comportement changeant radicalement les jours précédant leur décès. Tous également ont évoqué un Ange Noir mangeant leurs cauchemars, en échange d’une perte de « morceaux de vie », accélérant le temps les séparant de la mort, avec leur accord. Tous enfin affichaient ce sourire radieux sur leur lit, les mains croisées sur leur poitrine, avec un air apaisé et heureux. Et comme pour Harvey et Mme Carver, aucune logique à leur mort, survenu le temps d’une nuit, sans que personne ne comprenne cette dégradation soudaine de leur état de santé, sans qu’aucun appareil, tests ou autre ne détecte un quelconque changement… Cette hécatombe devenait alarmante, et personne n'était en mesure d’expliquer le phénomène. Des hypothèses d’une nouvelle « Mildred Ratched » furent bientôt mises en avant. Mais aucune trace d’un produit létal ne fut trouvée lors des autopsies des personnes décédées. C’était un mystère complet au-delà de toute compréhension médicale…

 

En tant que médecin principal du service, et au vu du nombre conséquent de décès, sans qu’on puisse donner d’explications rationnelles, je fus interrogé par une enquête interne de l’hôpital au départ. Puis, par les services de police, qui épluchèrent les fiches de tous les membres du personnel, afin de trouver un élément de leur passé pouvant les diriger vers un semblant d’explication. J’eus beau leur dire que je me portais garant de tout le personnel, m’étant moi-même chargé de leur intégration au sein de l’hôpital, ils n’ont rien voulu entendre, et firent des recherches poussées pour chaque personne affiliée aux patients. Que ce soit les infirmières, les personnes chargées de l’entretien, les médecins, internes, stagiaires, les commis de cuisine… Tout fut passé au peigne fin. Au bout d’un moment, ils durent s’avouer vaincu, rien ni personne ne montrant de choses suspectes, pouvant faire soupçonner des actes menant à la mort des patients, de façon prématurée. Finalement, l’enquête conclut à des morts naturelles, bien qu’il était impossible d’expliquer  par quel miracle des personnes n’ayant aucun problème majeur de santé aient pu passer de vie à trépas l’espace d’une nuit…

 

Bien qu’aberrant, je signalais l’évocation de l’Ange Noir indiqué par tous les patients décédés, avant leur mort. Ce à quoi les policiers me rétorquèrent qu’ils étaient surpris qu’un médecin tel que moi puissent croire qu’un être surnaturel soit à l’origine de morts qui, de toute évidence, devaient leur fin à quelque chose de tout à fait naturel, même si personne à ce jour ne pouvait définir clairement ce que c’était. Me conseillant même, de manière ironique, que je devrais éviter de regarder trop de films d’horreur, pour éviter de mélanger réel et folklore fantastique, indigne de l’Ordre des Médecins. Je baissais la tête, n’osant pas aller plus avant dans mes suppositions, et les laissait partir, entendant des petits rires étouffés, émanant d’eux. Les imbéciles ! Alors, pour vous, toutes ces morts sont naturelles ? C’était complètement stupide ! Il n’y avait rien de naturel là-dedans, et je le savais plus que quiconque. Une idée folle me parvint alors… Si c’était moi le responsable ? Même si je n’avais jamais testé quoi que ce soit depuis ce jour, je me rappelais la sensation de cette étrange force m’envahissant, lors de la mise en bière de ma grand-mère, qui semblait venir du cercueil, et plus précisément de ma grand-mère elle-même.

 

Je me souvenais de ce sourire que j’avais cru apercevoir à ce moment-là sur son visage. De ses bras croisés sur la poitrine… Il y avait trop d’éléments analogues pour que tout ça soit une coïncidence… Était-il possible qu’involontairement, en touchant ces personnes, cette force en moi se soit déversée en elles ? Leur dévorant leurs cauchemars, telles qu’elles l’indiquaient, et leur faisant subir une forme hallucinatoire, se présentant sous l’aspect de cet Ange Noir évoqué par tous ? Ou bien peut-être était-je doté d’un corps astral, agissant indépendamment de moi la nuit ? Je n’avais jamais véritablement cru à l’existence du Paranormal, quelque soit sa forme, même si je devais reconnaitre les côtés troublants de certaines affaires développées sur les réseaux sociaux ou les forums. Mais là, je devais bien avouer que les similitudes entre ce que j’avais vu lors de la cérémonie de l’enterrement de ma grand-mère, et la position des patients « visités » par l’Ange Noir, et surtout la manière de disposer leurs mains sur leur poitrine, tout comme le sourire affiché, étaient plus que troublantes… Je ne savais plus quoi penser… J’étais perdu… Et je redoutais que de nouveaux cas arrivent prochainement ...Ce qui fut le cas….

 

3 nouvelles morts survinrent les semaines suivantes. Avec exactement les mêmes symptômes, ou plutôt l’absence de symptômes, constatés à leur décès. Même position des mains, même sourire, même évocation de l’Ange Noir les jours d’avant leur mort… Et rien de probant concernant les caméras de surveillance présentes dans les chambres et les couloirs. En tout cas, à première vue. Un week-end, alors que le personnel était limité, du fait du nombre de patients ayant drastiquement baissé, je trouvais une excuse auprès du garde de nuit, pour visionner les enregistrements correspondants aux jours des décès de chaque patient. Le garde m’indiqua que tous les enregistrements étaient déjà aux mains de la police, afin de vérifier si quelque chose leur avait échappé. Juste au cas où, avaient précisés les agents chargés de l’enquête. Je montrais un air dépité… Moi qui pensais avoir une piste… Et au vu du manque d’objectivité des fameux agents, je doutais qu’ils puissent voir quelque chose. Puis, le garde se rappela que les enregistrements concernant les 3 derniers cas n’avaient pas encore été envoyés. Les agents avaient demandé à ce qu’on leur envoie aussi, à chaque nouveau décès constaté. Mais qu’il avait oublié de le faire pour ceux-là…

 

Une lueur d’espoir parvint alors dans mes yeux. Je demandais au garde s’ils pouvaient me faire une copie de ces enregistrements, afin que je les étudie plus en profondeur au calme dans mon bureau. Ce qu’il fit sans poser de questions. Après quelques instants, il me confia une clé USB contenant ce que je lui avais demandé. Je le remerciais, et pressais le pas vers mon bureau, afin de voir par moi-même toute étrangeté sur les vidéos. Une fois sur place, je fermais à clé la porte, afin d’être sûr de ne pas être dérangé, et m’installais sur mon fauteuil. Je plaçais la clé USB dans la fiche de mon ordinateur, et commençais à visionner les vidéos…

 

Au premier abord, je ne vis rien de suspect. Cependant, à force de visionnage, je m’aperçus de quelque chose d’étrange. Je voyais Mme Rassick, l’une des dernières victimes de ce mal funeste, debout devant son lit, semblant s’adresser à quelque chose devant elle. Mais il n’y avait rien. En tout cas, rien de visible. Interloqué par l’attitude de Mme Rassick, je passais la vidéo par plusieurs filtres et zoom, afin de « nettoyer » et surtout approfondir l’image. A force de plusieurs traitements, je finis par apercevoir une forme qui se dessinait devant le mur en face de Mme Rassick. Une silhouette semblant se fondre dans le mur. Presque imperceptible. Je fis d’autres traitements plus puissants, afin d’obtenir une netteté plus importante. Et je finis par obtenir une image plus propre, et ce que je vis me fis sursauter sur mon siège…

 

La silhouette semblait drapée d’une sorte de suaire noir, flottant au-dessus du sol. Il n’y avait pas de pieds. En tout cas, ils n’étaient pas apparents. Mais peut-être étaient-ils cachés par la longueur du suaire. Un visage se dessinait, mais il restait encore peu visible. Cependant, on voyait nettement des cheveux d’un noir opaque à l’arrière. Je zoomais encore un peu plus, me concentrant sur la tête de la silhouette, et c’est là que je vis la première fois le visage de celle qui allait changer ma perception de l’au-delà. C’était le visage d’une femme d’une grande beauté. Il émanait d’elle une sorte de fascination qu’il est difficile, même impossible à décrire avec des mots. J’étais subjugué par cette beauté, sans pouvoir l’expliquer. D’un coup, je comprenais le visage radieux arboré par les victimes de cet être. Je découvris également qu’une sorte de filet de lumière noire, très pâle et très fin, partait de la bouche de l’apparition vers Mme Rassick, celle-ci étant enveloppé d’une sorte de halo tout autour de sa tête. On distinguait des sortes de petites formes à l’intérieur du filet de lumière. Je tentais de zoomer un peu plus sur ce dernier, utilisant d’autres filtres, mais je n’obtins rien de très défini. Tout au plus des silhouettes évoquant des sortes de créatures difformes.

 

Et il y avait autre chose. Semblant sortir du dos de la silhouette de l’être, on apercevait une ébauche d’ailes. L’obscurité de la pièce ne me permettait pas d’avoir plus de détails, mais j’étais certain qu’il s’agissait d’ailes. Des ailes noires elles aussi. L’Ange Noir décrit par Harvey et les autres. J’avais devant moi la preuve de son existence. Et ce filet de lumière partant de Mme Rassick vers sa bouche, tout portait à croire qu’il s’agissait des cauchemars « absorbés » tel que l’indiquait également les victimes. Alors, tout était vrai. L’Ange Noir, les cauchemars, cette joie de vivre ressenti après cette absorption… Et donc le « vol » de morceaux de vie dans le même temps… Je m’enfonçais dans mon fauteuil, me frottant les yeux, regardant à plusieurs reprises ce qui se trouvait devant moi. Juste pour vérifier que je ne rêvais pas. C’était tellement… Fantastique ! J’avais du mal à y croire, mais j’avais bel et bien la preuve de l’existence de l’Ange Noir juste devant moi. Quelque part, j’étais rassuré… Ce n’était donc pas moi le responsable involontaire de toutes ces morts… Et en voyant le visage plein de sérénité affiché par Mme Rassick, je comprenais mieux beaucoup de choses.

 

Cet Ange Noir n’était pas mauvais en fait. J’en étais persuadé… Il ne faisait qu’apporter une fin de vie dépourvue des cauchemars hantant ceux qu’il choisissait comme cible. J’ignorais encore pas mal de choses sur sa façon d’agir… Est-ce que l’être choisissait ceux qui allait bénéficier de son pouvoir ? Et en ce cas, qu’est-ce qui motivait ce choix ? Des pleurs, des cris, une faculté à ressentir la souffrance que les humains ne perçoivent pas ? Ou bien était-ce les victimes elles- mêmes qui demandaient à ce qu’il leur rende visite ? Mais comment pouvaient-ils connaitre son existence ? Y-avait-il des signes qui s’offraient à eux, pour les persuader de ça ? Des sensations, telles que j’en ai reçues lors de l’enterrement de ma grand-mère ? Un bien-être imperceptible par sa simple présence, alors qu’il les observe, attendant qu’ils leur fassent signe de les délivrer de leur mal ? Des milliers de questions se bousculaient dans ma tête, quand on cogna à la porte. J’éteignais l’écran de l’ordinateur, et me dirigeais vers la porte d’entrée, avant de la déverrouiller. Une fois ouverte, je vis le garde devant moi, me demandant si je pouvais le suivre. Qu’il y avait quelque chose de bizarre qui se passait dans la chambre de Mr Barotnek.

 

Intrigué, je suivais le garde affolé, qui me conduisait jusqu’au poste de garde. Là, il me fit voir l’image de Mr. Barotnek semblant avoir les pieds flottant au-dessus du sol, le visage affichant un bonheur visible. Pour parer à toute éventualité, j’indiquais au garde que ce n’était vraisemblablement qu’une illusion d’optique. Qu’il ne devait pas s’alarmer. Voyant une opportunité unique, je lui signifiais que je le sentais fatigué. Qu’il devrait rentrer chez lui, exceptionnellement, un peu plus tôt aujourd’hui. Qu’il ne devait pas s’inquiéter. Que je me chargeais d’aller voir Mr. Barotnek. Le garde, encore un peu choqué par ce qu’il venait de voir, accepta aisément ma proposition, et fila sans demander son reste, en direction de la sortie. Une fois assuré de son départ, je me rendais à la chambre de Mr. Barotnek, où je le trouvais toujours avec les pieds à quelques centimètres au-dessus du sol. Puis, petit à petit, ses pieds touchèrent à nouveau ce dernier. Il resta quelques instants immobiles, avant de se diriger vers son lit, et se recoucha, avant de s’endormir presque immédiatement. Au même instant, comme pris d’un instinct indéfinissable, je me retournais. Et devant moi, par petites couches, je vis l’Ange Noir apparaître devant moi, dans toute sa splendeur. Je ne parvenais pas à bouger, tellement sa beauté me paralysait. C’était comme si j’étais attaché par des fils invisibles…

 

L’être s’approcha de moi, de plus en plus près. Je ne ressentais aucune peur, bien au contraire. Plutôt un apaisement, une sorte de sérénité intérieure. Puis, l’Ange Noir toucha ma joue droite, plongeant son regard dans le mien. Je voyais dans le sien. On aurait dit une galaxie peuplée d’étoiles aux formes inconnues, où volaient des créatures de cauchemar qu’il m’est impossible de définir. Elles semblaient comme prisonnières. Et peu à peu, j’avais l’impression de les voir fondre, et disparaitre, se transformant en poussière, celle-ci se regroupant, et devenant une de ces autres étoiles aux formes bizarres qui se trouvaient tout autour. L’Ange Noir s’écarta alors, restant immobile devant moi, continuant à m’observer. C’est là que se fit notre premier « contact » à l’intérieur de ma tête. Je la « voyais » dans mon esprit, alors que moi-même je marchais vers elle, comme attiré. Elle s’adressa alors à moi :

 

« Tu as la même odeur que Liian… Serais-tu de sa famille ? »

 

Je ne comprenais pas de qui elle parlait… Mais ce qui me surprenait en premier lieu, c’était de l’entendre me parler. Même si je savais que ce n’était pas à vrai dire de vraies paroles. Mais plutôt des pensées converties en paroles…

 

« Liian ? Je… Je ne sais pas qui c’est… Mais peut-être voulez-vous parler du don légué par ma grand-mère ? »

 

L’Ange Noir m’observa encore, semblant s’interroger…

 

« Je vois… Je comprends… Liian m’avait dit avoir donné un peu de son pouvoir à une humaine. Ce devait être ta grand-mère… En te léguant son don à son tour, cela t’a donné la possibilité de communiquer avec moi… Et de me voir… »

 

« Vous… Vous êtes… un ange ? »

 

A ces mots, l’être se mit à rire. Un rire enchanteur, empli de charme…

 

« Un ange ? »

 

Elle riait encore...

 

« Non… Je n’appartiens pas à cette espèce… Même si je reconnais avoir certaines similitudes… Je suis une Nyaal… Une mangeuse de cauchemars… Je n’appartiens pas à votre dimension… Mais moi et d’autres de mon peuple aimons traverser les dimensions pour nous nourrir… Et votre monde est un vrai paradis pour nous à ce niveau… »

 

Elle continuait à rire, pendant que je restais hypnotisé par son regard et sa beauté tellement incroyable… S’apercevant de cela, elle pointa son doigt vers moi, avant de le déposer sur mon front…

« Excuse-moi… C’est une forme de protection pour notre race… Notre regard fige nos ennemis, tout comme ceux destinés à nous nourrir de leurs peurs, engendrés par les cauchemars les envahissants… Je viens de t’en libérer… Tu peux me parler librement à présent… »

 

Effectivement, je ne ressentais plus cette sensation d’immobilité, et je pus converser plus sereinement…

 

« Vous… Vous avez un prénom ? Ce serait plus facile de vous désigner… »

 

La Nyaal sourit à nouveau, avant de répondre :

 

« Contrairement à Liian, mon prénom sera trop compliqué à prononcer pour un humain… Mais si tu le désires, je te laisse m’en choisir un… »

 

« C’est vrai ? Je… Je peux vraiment choisir votre nom ? »

 

Toujours souriante la Nyaal me rassura :

 

« Mais oui… Choisis celui que tu veux… Je l’accepterais avec grand plaisir… »

 

Je réfléchissais quelques secondes, avant que l’évidence ne me parvins :

 

« Alors, je t’appellerais Elizabeth… C’était le prénom de ma grand-mère… Une personne qui comptait beaucoup pour moi… »

 

« Elizabeth…. C’est joli… J’aime beaucoup… Qu’il en soit ainsi… Pour toi, je serais donc Elizabeth… Mais je suppose que tu as beaucoup de questions à me poser ?... N’hésite pas… Je tacherais d’y répondre du mieux possible… »

 

Et ainsi, nous conversâmes durant un temps indéfini. Je ne ressentais pas de limite de temps. C’était comme si celui-ci s’était arrêté. J’appris ainsi plus de détails sur sa race, la dimension d’où elle venait, la manière dont son espèce découvrit la nôtre, leurs facultés particulières aussi, ainsi que « l’échange », le terme qu’elle utilisa, qui se déroulait entre elle et les siens face aux personnes ressentant l’envie de partir sans pouvoir le faire, car ne voulant pas s’en aller en emportant avec eux leurs doutes et leurs peurs, à travers les cauchemars qu’ils possédaient. Elizabeth m’indiqua que les membres de son espèce ressentaient la souffrance des personnes dans cet état. Et elles se rapprochaient d’elles, les laissaient les voir, avant d’aspirer leurs cauchemars, pour les délivrer. Pour ces personnes ne désirant plus vivre au sein des hommes, c’était une bénédiction. Elles étaient libérées de leurs cauchemars les plus sombres, et pouvaient partir en toute quiétude, sans regrets, sans souffrance. L’Echange leur permettaient d’atteindre ce niveau de sérénité qui s’affichaient sur leurs visages, une fois leurs morceaux de vie aspirés en même temps que les cauchemars. Elizabeth expliquait que sa race ne pouvait faire autrement. Les cauchemars sont des parties de la vie de la personne. C’est pourquoi en les aspirant, en les absorbant, ils aspirent aussi les derniers instants de vie.

 

Mais c’est le choix de la personne. Sa race ne pratique l’Echange qu’avec les personnes acceptant de mourir, parce que c’est leur désir profond, ne supportant plus de vivre, du fait de leur état. Jamais les Nyaal ne pratiquerait l’échange sans cette condition, envers une personne qui désire continuer à vivre. Certains cauchemars sont plus profonds que d’autres, se rattachant à des morceaux de vie plus grand. Ce qui expliquait pourquoi certains, suivant la grandeur de leurs cauchemars, perdait la vie plus rapidement que d’autres plus âgés qu’eux. Je buvais ses paroles, c’était une expérience incroyable de pouvoir converser avec Elizabeth. Je découvrais une partie du surnaturel que je ne soupçonnais pas, et c’était un plaisir immense.

 

Connaissant cela, je ne pouvais évidemment pas empêcher les Nyaal de faire ce qui leur permettait de vivre. Elizabeth m’indiqua que l’échange était indispensable à leur mode de vie. Sans lui, sans se nourrir de cauchemars, les Nyaal mourraient de malnutrition. Elles ne pouvaient pas aller contre leur nature. Je comprenais ça, et l’indiquait à Elizabeth. Lui assurant qu’il ne chercherait pas à leur nuire, maintenant qu’il savait ce qu’il en était. Elle me remercia avant de mettre fin à notre « conversation », me permettant de reprendre mes esprits et utiliser à nouveau mon corps. Nous conclûmes un accord. Elle s’engageait à manger moins de cauchemars de mes patients en mal de vivre, afin que je ne me retrouve pas confronté à trop d’interrogations, que trop de morts successives risquaient de provoquer. En tout cas, de mettre une certaine distance, en terme de semaines, entre chaque échange. Ses facultés lui permettaient de se nourrir n’importe où, à des milliers de kilomètres de distance sur notre planète. Simplement, cet hôpital possédait une très grande quantité d’âmes torturées, et cela avait attisée sa faim, s’avouant très gourmande en ce sens, contrairement à d’autres de ses congénères, plus… « raisonnables ».

 

Depuis, je converse souvent avec Elizabeth, lui parlant de mon monde plus en détail, de mon lien avec ma grand-mère, mes passions… Elle me parle de Liian, celle qui est à l’origine du don de ma grand-mère, et aussi me promettant de m’indiquer comment l’utiliser, maintenant que ce pouvoir coulait en moi. Un pouvoir de guérison qui pourrait sauver de nombreuses vies désirant continuer de vivre. En y repensant, je me dis que l’univers est sans doute rempli d’autres espèces comme les Nyaal. Il n’y a pas que des créatures monstrueuses, avides de sang, vivant pour détruire. Pour ma part, je suis très heureux d’avoir découvert l’existence d’Elizabeth et son espèce. A force d’insistance, j’ai fini par lui faire dire son véritable prénom. Et elle avait raison. Je suis totalement incapable de le prononcer. Ce qui l’a fait beaucoup rire. J’adore quand elle rit… Je ne sais pas ce qu’elle pense de moi…Les Nyall peuvent-ils avoir des sentiments ? Un humain peut-il avoir une relation inter-espèces ? Je sais, c’est ridicule, mais je ne peux m’empêcher d’y penser. Je dois être trop sentimental. Mais si vous pouviez la voir vous aussi, vous comprendriez le pouvoir de sa beauté. Mais je m’égare. Il est temps pour moi de vous quitter, et de retourner à mes fonctions.

 

Maintenant, vous savez qu’il ne faut pas juger le mode de vie de certaines créatures. Sous des aspects funestes, certaines agissent pour le bien, et peuvent s’avérer nécessaires au bien-être des humains. Pensez-y la prochaine fois que vous verrez une créature inconnue en plein repas… Mais apprenez aussi à bien les observer, avant d’engager un contact physique, pour ne pas regretter votre choix. Elles ne sont pas toutes non plus comme les Nyaal. Et c’est bien dommage….

 

Publié par Fabs