Comment j’ai pu ne pas voir ce qu’elle était, comprendre son manège dès le départ, le jour où elle est apparue devant ma porte ? J’avais pourtant ressenti des frissons sur ma peau en la voyant se présenter, il y avait un je ne sais quoi de malicieux dans son regard, dans sa façon de parler, ses gestes faussement innocent. C’était comme si elle n’était qu’un mauvais rêve, sorti tout droit de l’imagination d’un mangaka un peu tordu, voulant pervertir l’image même de la lycéenne typique japonaise, l’associant à un haut degré de perversité se cachant derrière un masque d’un être candide et pur. Mais ce jour-là, j’ai rejeté cette première pensée, persuadé que mon expérience passée, la raison pour laquelle j’avais été amené à habiter dans cet appartement, du fait d’une horde de fans assaillant pratiquement la maison où j’étais né, en était la cause indirecte. A l’instant où Saeko s’est montrée à moi, en partie enveloppée dans une obscurité à cause d’un éclairage défaillant dans le couloir, mon esprit l’a immédiatement rattaché à l’image de ces jeunes filles, ces femmes, ces mères au foyer pour certaines, scrutant mes déplacements au sein du lieu où j’habitais avec ma famille.
Aujourd’hui, je me rends compte de l’erreur que j’ai commise en acceptant sa demande de signer ce simple autographe, en la faisant entrer dans mon appartement, dans ma vie, transformant cette dernière en un cauchemar dont je n’imaginais pas la teneur à venir par ce simple geste. Ai-je manqué de discernement ? Non, je ne pense pas. Pas sur le moment en tout cas. Je n’ai fait que répondre au refus d’un instinct guidé par l’image de mes parents effrayés de la situation dans laquelle je les avais imbriqués malgré eux. J’ai voulu croire que toutes mes fans n’étaient pas forcément des hystériques aux yeux hagards dès qu’elles me voyaient boire un bol de céréales, à travers leurs jumelles dont je percevais l’éclat traverser les vitres de notre demeure, ma famille et moi. Des écolières pour un grand nombre d’entre elles, des abonnées de mon compte Instagram qui m’avait valu la renommée, avec qui il m’était arrivé de discuter en conversation privée, sans mesurer leur nature à la limite de la schizophrénie.
J’ai fait l’erreur d’oublier que derrière leurs profils de personnes que je pensais être des femmes d’âge mûres, avec qui j’avais de nombreux points communs, à la photo de profil attirante, se dissimulait en fait des jeunes filles bien plus jeunes que je pensais, usant de photos récupérées sur le net ou crées spécialement à l’aide d’une IA, pour me tromper. Des fans ayant écoutés à outrance des interviews presque oubliées, datant de mes débuts, de reportages, d’articles relatant des informations sur ma vie privée, en fouinant dans mes poubelles, au titre réel du terme. Tout cela pour avoir de quoi alimenter des discussions, et me faire penser que nous avions de nombreuses affinités, dans le seul but de m’attirer à elles. La célébrité n’a pas que des avantages, j’en ai fait l’amère expérience, croyez-moi. Et au moment où je pensais avoir échappé à tout ça, libérant de la peur les membres de ma famille en partant loin d’eux, je suis tombé sur bien pire. Une incarnation de ce qu’on peut trouver de pire chez un fan, pratiquement l’image même que l’on peut se faire du mal à l’état pur : Saeko.
Mais vous devez vous interroger sur mes propos dispersés depuis tout à l’heure, mélangeant passé et présent, sans que vous en compreniez le sens. Vous devez vous demander qui est Saeko, celle qui a fait de ma vie un enfer, m’isolant de tous, par crainte de ses représailles si je déclenchais sa jalousie, tel qu’en a fait les frais Miri, une des habitantes de l’immeuble. Je me dois de vous dire comment j’ai pu en arriver à craindre ses rires en plein milieu de la nuit, faisant écho sur les murs de mon appartement, devenu ma prison. Vous expliquer comment j’en suis venu à avoir peur de ma propre ombre, de crainte d’en voir ressortir celle qui a fait de moi la représentation de l’otage traumatisé par tout ce qui l’entoure, jusqu’à sombrer dans la paranoïa la plus totale au moindre son, au moindre mouvement de lumière, à la moindre respiration ne venant pas de ma propre bouche. Alors, voici mon histoire. Elle vous semblera sans doute folle, dénué de rationalité, issu d’un esprit aux portes de la folie, dont la célébrité a fini par perturber le cerveau. Pourtant, elle est loin d’être une histoire d’horreur comme on pourrait en trouver dans les mangas de Junji Ito. Je n’ai rien inventé. Je ne suis qu’un messager pouvant témoigner que la terreur peut venir d’une écolière de 16 ans, crainte par toutes et tous dans un immeuble où j’ai eu la stupidité de venir me loger…
Je me nomme Ryoji Nishiri. Je suis influenceur sur Instagram. Oui, je sais ce que beaucoup d’entre vous doivent penser : encore un petit prétentieux, favorisé par la vie, et jouant de son physique pour arnaquer des filles en leur vendant des produits inutiles à des prix exorbitant. Je peux comprendre vos a priori, c’est légitime. Les réseaux sont remplis de personnes ayant ce statut, je ne le nie pas. Tout comme je ne peux pas désavouer que mon physique a certainement joué sur la montée de ma popularité. Mais, pour ma part, je ne vends pas l’eau de mon bain ou des remèdes vaudou pour séduire votre amie d’enfance à qui vous n’osez pas avouer vos sentiments. Non, moi, je vante les mérites d’une marque lié à un domaine qui a longtemps fait le désespoir de mes parents, n’y voyant qu’un passe-temps malsain, m’écartant du vrai monde. Celui des jeux vidéo. Ah, je sens que ça parle à nombre d’entre vous, pour avoir entendu les mêmes phrases de la part de leur père ou leur mère. Vous savez ces mots du style « tu ferais mieux de jouer avec tes amis à un sport où il y a un vrai ballon », « C’est pas avec ça que tu réussiras dans la vie » ou encore le fameux « comment tu veux rencontrer des filles et te marier en restant collé des heures à ta console ? ».
Tous les gamers ont connu ça, ces moments d’incompréhension avec les autres membres de sa famille, mis à part le petit frère, la petite sœur, passionné par vos actions sur des FPS, des RPG, des MMO de guerre, devenant leur héros. Je passais des heures soit sur mon PC, soit dans les salles d’arcades rétro, faisant souvent l’école buissonnière pour avoir plus de temps immergé dans des univers devenu comme une sorte de drogue dont je ne pouvais pas me passer. Une passion qui m’a fait repérer par une société de vente d’articles d’E-Sports, me proposant de me sponsoriser en tant que gamer Pro. Seule contrainte : n’utiliser que les produits de leur société, et vanter leurs mérites sur les réseaux en parallèle des tournois pros d’E-Sports auxquels je serais convié de participer. C’est ainsi que j’ai débuté une double « carrière », m’entrainant sur des compétitions en ligne, telles Toornament, Battlefly ou Glory4Gamers, qui m’ont permis de me faire un nom très rapidement, à la grande joie de mon sponsor.
Et dans le même temps, je présentais sur Instagram les produits que j’utilisais, « secret » de ma réussite, pendant les compétitions. Grâce à ma notoriété grandissante, je suis passé au grade supérieur en participant à des compétitions physiques, comme l’Esports Wolrd Convention, Intel Extreme Experts, ou la League of Legends World Championships. Bien que réticent au départ, mes parents, voyant le montant des virements arrivant sur mon compte bancaire, ont vite accepté que j’en fasse mon métier, bien qu’à leurs yeux, c’était plus une passion qu’un véritable travail. Mais il me permettait de vivre, et je leur faisait largement profiter de mes revenus, et gâtant régulièrement mon frère et ma sœur, qui rêvaient de devenir comme moi. Je devins rapidement une figure incontournable des réseaux sociaux, et un influenceur très côté. J’ai vécu plusieurs années de cette manière, avant de me limiter à mon statut d’influenceur sur Instagram. Les compétitions physiques d’E-Sport étant devenu de plus en plus intrusive dans mon quotidien, je voyais moins ma famille, devant aller souvent à l’étranger pour des tournois.
Et surtout, l’émergence de nouveaux gamers très doués faisaient que je commençais à avoir du mal à suivre le rythme. Il faut savoir accepter de ne plus avoir le niveau face à la nouvelle génération à un moment. Et mes revenus en tant qu’influenceur, agrémentés de vidéos où je commentais des tournois en ligne sur YouTube, d’autres constituées d’interviews de nouvelles stars du E-Sport, toujours sponsorisées par la société ayant fait de moi une star, étaient suffisantes pour me faire vivre, moi et ma famille. D’autant que les longues années où j’avais été gameur Pro m’avaient fait constituer une réserve d’argent immense sur mon compte bancaire, qui me rapportaient chaque année des sommes considérables en intérêts. Sans compter les NFT à mon image ou les invitations rémunérées à des conventions dédiées au gaming.
Mais cette popularité avait un revers. Tant que je faisais des voyages pour participer à des compétitions, j’étais rarement à la maison, ne communiquant avec ma famille que par visio ou téléphone. A partir du moment où j’ai arrêté les tournois physiques, j’étais plus présent dans la demeure familiale, ce qui satisfaisaient pleinement mes parents, ainsi que mon frère et ma sœur. Mais cela a entrainé les premières « invasions ». Me sachant plus présent chez moi, il y avait régulièrement des fans se postant autour de la maison, leurs téléphones à la main, quand ce n’étaient pas des caméras numériques. Et certains avaient tendance à être très téméraires. Plusieurs fois, l’alarme que j’avais fait installer plusieurs années auparavant, s’est déclenchée en pleine nuit, du fait de personnes ayant tenté de s’introduire, dans le but de voir de plus près leur idole, à savoir moi. Chaque fois que mon père voulait sortir pour acheter de quoi manger, il était assailli par les fans demandant qu’il leur fournisse des autographes de ma part, voulant savoir ce que j’avais mangé à midi ou la veille, si j’avais une petite amie…
Mon jeune frère et ma petite sœur subissait aussi ce genre de désagréments. Bien que les professeurs de leur école savaient comment tenir à distance les fans cherchant à s’introduire dans l’enceinte de leur établissement, les fans attendaient patiemment leur sortie des cours pour leur poser mille questions. Au bout de deux mois, mes parents ont dû se résoudre à leur faire prendre des cours à distance, pour éviter qu’ils soient en contact avec ces véritables harpies. Certains fans harcelaient de messages les portables de mes parents, ou les forums où ils avaient l’habitude de discuter avec leurs amis. Ils ne me reprochaient pas cet enfer, conscients que ce n’était pas ma faute, je ressentais une lourde culpabilité que ma famille, à cause de ma popularité, subisse un tel enfer, leur enlevant toute intimité, car scrutés à chacun de leur mouvement. Rien qu’arroser les fleurs dans le jardin était devenu une corvée pour ma mère qui adorait ça auparavant. Idem pour mon frère et ma sœur n’osant plus jouer au ballon ou d’autres jeux d’extérieur, de peur de voir crépiter les flashs d’appareils, de téléphone, et se voir assaillis de questions de plus en plus personnelles et intimes me concernant.
Une situation invivable qui m’a poussé à louer un appartement au centre de Tokyo, loin de ma ville natale, loin de cette folie médiatique causée par mes fans, dont certaines très jeunes, entre 13 et 14 ans, ce qui rajoutait au malaise. Il y avait même des mères d’amis, veuves ou séparées, des voisins cherchant à « collecter » des infos pour le compte de leur épouse, de leur belle-sœur célibataire. Je pensais échapper à tout ça, et offrir la paix à ma famille, en venant dans cet immeuble, situé à plusieurs centaines de kilomètres de l’épicentre des hordes de mes fans. J’ai dû user d’un subterfuge, me cachant dans le creux de la banquette arrière de la voiture de mon père, pour échapper à la vigilance des fans se trouvant tout autour de la maison. Au bout de quelques jours, ma mère m’a appelée, pour m’indiquer que les fans s’étaient rendu compte que je n’étais plus là, et avaient cessés leurs « siège » quotidien. Seuls mes parents, et mon agent de liaison auprès de mes sponsors, connaissaient ma nouvelle adresse et mon numéro de téléphone, lui aussi changé, par mesure de précaution, ayant déjà eu la désagréable surprise de recevoir des messages de la part de groupies ayant hacké ce dernier à distance, par l’intermédiaire de petits génies de l’informatique.
C’est ainsi que j’ai atterri ici, dans cet immeuble. Le gérant, que j’avais mis au courant de la situation qu’avait subi ma famille, promettant de garder le secret de ma présence. N’étant pas familier des réseaux sociaux, il ne me connaissait pas, ce qui m’arrangeait. Mais il comprenait tout à fait ma position et mon désir de tranquillité, donc je lui faisait confiance. Malgré tout, le soir-même de mon emménagement, j’entendais cogner à la porte de mon appartement. Intrigué, car en dehors du gérant, je n’avais encore rencontré personne de l’immeuble, je m’avançais vers la porte, afin de savoir qui se trouvait là. En ouvrant, j’ai un moment tressailli, en voyant devant moi une jeune lycéenne, semblable à celles qui avaient rendus impossible la vie de ma famille. J’ai pensé un moment que le gérant n’avait pas su tenir sa langue, malgré sa promesse, mais la jeune fille, le sourire aux lèvres, et émettant un petit rire discret, me fit comprendre qu’il n’en était rien. Précisant qu’elle m’avait aperçu par la fenêtre de son appartement à mon arrivée, et qu’il lui semblait m’avoir vu quelque part. Alors, elle avait voulu vérifier par elle-même si j’étais bien celui qu’elle pensait que j’étais.
En lui demandant si elle savait donc qui j’étais, elle affichait un grand sourire, tout juste éclairé par la faible lumière du couloir, lui donnant une sorte d’aura curieuse, son corps étant baigné à moitié dans la pénombre, tandis que l’autre était envahi de luminosité. Puis, elle répondait à ma question, précisant qu’elle n’était pas vraiment passionnée par le gaming, mais qu’elle aimait beaucoup mes vidéos et mes posts sur Instagram. Rajoutant que j’avais une telle prestance, un tel charisme, qu’elle était très vite devenue fan… Un peu gêné par ces indications, essayant de minimiser mes « qualités » à ses yeux, elle m’indiquait alors son prénom, Saeko, me demandant de la tutoyer dans un esprit plus convivial, et voulant me rassurer quand au fait que j’habitais ici désormais. Elle ne dirait rien. Ce serait notre petit secret.
Je l’entendais rire à nouveau. Ce même rire qui serait synonyme de terreur quelques temps plus tard, me paraissait tellement plein de fraicheur et d’innocence à ce moment… Je lui indiquais qu’elle pouvait me tutoyer aussi, si elle le désirait. En demandant le motif exact de sa visite, car je supposais qu’elle n’était pas venue uniquement pour se présenter à moi. Ce à quoi elle répondait par l’affirmative, s’excusant, car je devais être fatigué de mon voyage, avant de me demander si je pouvais lui signer un autographe. Je voyais un peu plus son regard, et j’avoue qu’un moment, il me laissa sans voix. On avait l’impression qu’il ne montrait pas d’expression, comme vidé de toute essence. C’est difficile à décrire précisément, mais c’est l’impression que j’ai eu à ce moment. Voyant mon désarroi, Naoko demandait si elle avait quelque chose sur le visage. Ou bien… Si elle me faisait peur… Me sentant un peu stupide de l’avoir dévisagé ainsi, et conscient de ma maladresse à son égard, je tentais de rattraper le coup, lui affirmant que non, et l’invitant à entrer, car j’avais un stock de photos à dédicacer sur la petite table du salon.
A ce moment, je scellais mon destin en la faisant entrer dans mon lieu de vie. J’ignorais encore de quoi elle était capable, et donc très loin de penser qu’en lui accordant cette invitation à entrer, je venais de lui permettre d’avoir l’emprise sur moi. Mais sur le moment, je ne voyais qu’une jeune fille comme tant d’autre, ne voulant de moi qu’une simple signature. C’était bref, mais j’ai cru apercevoir, l’espace d’un instant, une sorte de rictus apparaitre sur ses lèvres. Comme si elle était satisfaite d’un plan mis en place. Mais je pensais avoir mal vu ou interprété, et me maudissait intérieurement de voir du mal partout. Ce n’était qu’une fan, après tout. Et elle avait promis de garder le silence sur ma nouvelle adresse.
Pourquoi m’en ferais-je ? Une fois qu’elle aurait son autographe, il y avait de grande chances que je n’en entendrait plus parler, vu qu’elle aurait eu ce qu’elle était venue chercher. J’avais tort à un point que je ne pouvais imaginer. Je la fis pénétrer dans l’appartement, et une fois complètement baignée dans la lumière, mes doutes sur elle semblaient se dissiper, me sentant ridicule d’avoir pensé un seul instant qu’elle pouvait être comme les autres fans ayant terrorisé, des semaines durant, les membres de ma famille. Cependant, elle donnait l’impression d’avoir désormais un certain pouvoir une fois entrée, s’asseyant sur le sofa sans demander la permission, et, voyant la pile de photos, s’empressa de les prendre en main. J’hésitais à lui dire que son attitude n’était pas très polie, quand je la vis chercher dans les photos. Pourtant, c’était des photos standard, identiques. Je ne voyais pas ce qu’elle pouvait chercher. Intrigué, je m’approchais, m’asseyant à mon tour, quand elle me tendit une des photos, en me disant que celle-ci, elle ne l’avait jamais vue sur Instagram.
En voyant plus en détail la photographie, je me rendais compte que j’avais mélangé des photos personnelles avec celles promotionnelles, destinées à la dédicace pour les fans. Je me sentais mal à l’aise, mais pas seulement du fait du mélange de ma part, mais des frissons qui parcouraient mon corps à cet instant, et je préférais ne pas lui dire que cette photo ne pouvait pas être donnée, car ressentant l’envie qu’elle sorte, sans trop savoir pourquoi. Une sorte de 6ème sens m’indiquant qu’il serait risquée qu’elle reste plus avant dans mon appartement. Je bafouillais un semblant d’explications, disant que c’était une nouvelle série qui n’avait pas encore été présentée. Qu’elle serait la première à l’avoir. Elle montrait un nouveau sourire, semblant satisfaite de ma réponse, et me demandant à ce moment si elle pouvait m’appeler par mon prénom, vu qu’elle m’avait donné le sien.
Il y avait une assurance dans chacun de ses gestes, de ses actions, qui me mettaient dans une sensation, que j’espérais imperceptible, d’inquiétude. Il fallait qu’elle s’en aille, si je ne voulais pas qu’elle s’aperçoive du début de peur qu’elle m’inspirait à cet instant. Et je préférais ne pas lui donner des signes de réticence de ma part à ses demandes, en acceptant. Elle souriait à nouveau, avec toujours ce regard que je n’arrivais pas à identifier comme de la vraie gentillesse, une forme de défi, ou quelque chose de plus subtil, presque un sarcasme gestuel à mon encontre. Voulant couper court à la conversation et sa présence, je prenais la photo, la signait, et lui remettait, en essayant le plus possible de ne pas montrer mon angoisse. Elle regardait la photo un moment, comme s’il s’agissait d’un trésor unique, puis, me regardant, toujours souriante, m’avouant sa joie pour ce présent, ainsi que le fait que j’habitais le même immeuble qu’elle, tout en rajoutant qu’elle allait me laisser me reposer maintenant. Il m’était très difficile de masquer mon soulagement de son départ, pendant qu’elle se levait, et se dirigeait vers la porte d’entrée, sans un regard en arrière. Elle ouvrait la porte, et elle me lançait une phrase glaçante, où elle me disait espérer que je me sentirais bien ici. Mieux que ceux qui m’avaient précédé, et qui l’avaient déçue…
Je n’eus pas le temps de lui demander ce qu’elle voulait dire par cette phrase, que déjà elle avait franchi la porte, refermant derrière elle. J’entendais le bruit de ses pas s’éloignant dans le couloir. J’avais l’impression qu’ils résonnaient dans ma tête, comme si j’étais connecté à eux, me clouant sur le sofa, sans oser me lever tant que j’entendais ce son à l’intérieur de mon crâne. Ce n’est que quand il se tut que je pus reprendre le contrôle de mes membres, soulagé. Je ne comprenais pas comment une simple gamine à mes yeux avait pu me transmettre un tel malaise. J’avais eu l’impression d’une terreur ayant envahi mon corps, la sensation qu’elle m’avait dicté mes gestes, m’empêchant de m’opposer à sa volonté. En un sens, elle me donnait la conviction qu’elle n’était pas qu’une simple lycéenne. Il y avait autre chose qui émanait d’elle, je le sentais en moi, sans pouvoir définir ce que c’était exactement.
Cette nuit-là, j’ai eu beaucoup de mal à dormir, repensant en continu à cette visite étrange, à Saeko et cette sensation de malaise qu’elle m’avait procurée. Mais ce ne serait pas la seule fois où je ressentirais ça. Saeko vint me rendre visite d’autres fois, toujours le soir, comme si c’était un rituel pour elle. Et à chaque fois, je n’osais pas lui dire non. Il y avait quelque chose en moi qui me disait de ne pas la contrarier. Et ainsi, petit à petit, Saeko s’est emparée de ma vie, me prodiguant des conseils sur la nourriture que je devais acheter, sur mes tenues pour mettre en valeur les produits de mon sponsor, sur les produits d’entretien à utiliser, d’hygiène, m’encourageant à user de tel shampoing, de teindre des parties de mes cheveux. Je ne comprenais pas pourquoi je me laissais dominer ainsi par une lycéenne. Qu’est-ce qu’il y avait en elle qui me poussait à répondre à chacune de ses attentes sans oser émettre un refus, ou même une opposition ?
Saeko me faisait peur, à moi, un adulte, sans pouvoir l’expliquer. Il y avait quelque chose que je ne m’expliquais pas venant d’elle. Comme surnaturel. Pourtant, je pouvais la toucher, sentir son parfum, je la voyais respirer. Elle n’était pas un fantôme comme je l’ai cru un moment. Elle était réelle. De plus en plus, elle se considérait bien plus que comme l’amie qu’elle se disait être, bien plus qu’une fan. Se permettant de me toucher les mains, me caresser les cheveux, ou déposer un baiser chaste sur la joue. Parfois, elle usait d’allusions comme si nous étions un couple, me montrant une maison, indiquant qu’on y serait bien plus tard, une fois que nous nous connaitrions mieux. La situation m’échappait, et je ne comprenais pas que quand Saeko était là, ma raison, mon libre-arbitre, s’évanouissait automatiquement, me réduisant quasiment à une marionnette entre ses mains. Quand mes parents m’appelaient au téléphone, je préférais ne pas parler de cette situation, de peur de passer pour un immature incapable de ramener à la raison une gosse de 16 ans qui s’était clairement entiché de moi, et voyait déjà un avenir nous liant tous les deux.
Idem pour l’agent de liaison de mon sponsor. Comment pourrais-je leur dire que les choix étranges que je faisais pour promouvoir leurs produits sur Instagram me venait des choix imposés mentalement par une lycéenne ? Elle s’imposait sur ma vie à plusieurs niveaux. Plusieurs fois, j’ai pu lire des commentaires assassins de sa part à des fans me faisant des compliments, quand ce n’étaient pas des déclarations pures et directes. Des fans dont je ne percevais plus la trace après ces altercations écrites. Il est même arrivé que les comptes de certaines disparaissaient d’Instagram. Comme si elles avaient décidés de quitter le réseau. Ou sommés de le faire. Je voyais le nombre de mes abonnés se réduire drastiquement, ce qui inquiétait mon sponsor, ne comprenant pas ces désabonnements en masse. Qui était-elle ? Pourquoi m’avoir choisi moi plutôt qu’un autre ? Était-je le seul à avoir subi ce que je supposais être une sorte de contrôle mental, ou quelque chose du même style ?
Le pire arriva avec Miri. C’était une habitante de l’immeuble elle aussi. Je la croisais souvent dans l’ascenseur, et, de fil en aiguille, nous en sommes venus à sympathiser, et même un peu plus. Elle détestait les réseaux sociaux, considérant ceux-ci comme des nids à problèmes. Donc, elle ignorait ma notoriété, et je savais qu’elle n’avait pas jeté son dévolu sur moi dans un but vénal ou par simple plaisir d’avoir « accroché » un star des réseaux, un influenceur prisé par nombre d’admiratrices. Nous nous donnions rendez-vous souvent en dehors du tournage de mes vidéos à l’extérieur, ou pour des shooting dans le but de présenter un nouveau produit sur Instagram. Et un soir, une invitation à prendre un café s’est transformé en un séjour plus poussé dans ma chambre. J’ai réussi à cacher ma relation avec Miri à Saeko, lors de ses visites. Je savais quand cette dernière venait, étant réglé comme une horloge, en termes de jour et d’heure, et donc comment éviter que Miri et Saeko se croisent.
Néanmoins, malgré mes efforts, je sentais que Saeko se doutait de quelque chose. Plusieurs fois, elle me posait la question si elle était la seule qui compte à mes yeux. J’avais pris l’habitude de ce genre de questions, me mettant chaque fois dans une gêne extrême, un sentiment de malaise constant. Mais depuis que Miri et moi avions une relation plus qu’intime, les questions de Saeko devenaient plus fréquentes, et surtout plus directes. Comme le fait une épouse se sachant trompée. J’avais parlé de Saeko à Miri. Mais comme elle n’était pas depuis longtemps dans l’immeuble, elle ne la connaissait pas. Je voyais dans le regard de Saeko chaque fois que je lui mentais, qu’elle semblait savoir ce qui en était. Mais qu’elle voulait me l’entendre dire. Et un soir, j’ai craqué. Un soir, j’ai eu l’impression d’être redevenu moi, pouvant m’opposer à la pression mentale, au pouvoir, je ne sais pas comment l’appeler, de Saeko. Mais je sais aujourd’hui que c’est elle qui m’a forcé à dire la vérité. Et je lui ai parlé de ma relation avec Miri.
Elle semblait très contrariée, même si elle ne le montrait pas ouvertement. Ce soir-là, elle est partie plus tôt que d’habitude. J’ai eu un sentiment de forte peur, et j’ai appelé Miri au téléphone. Miri sentait mon angoisse au téléphone, et me rassurait, me disant que personne n’était venu chez elle, et qu’elle ne courait aucun danger. Mais au moment de raccrocher, j’ai entendu derrière elle le son de quelqu’un cognant à la porte. Je n’ai pas eu le temps de dire à Miri de ne surtout pas l’inviter à entrer, celle-ci ayant déjà mis fin à la communication. Pris d’une panique intense, je me suis alors rué chez Miri, dévalant les escaliers quand l’ascenseur ne daignait pas aller assez vite pour remonter à mon étage. Et… Et j’ai trouvé la porte de l’appartement de Miri ouverte… A l’intérieur, j’ai trouvé Miri… Le visage arraché… La langue coupée, posée sur son téléphone, ses mains semblant avoir fondue, comme soumises à une température énorme. J’étais en larmes. Je pleurais tellement que des voisins sont venus pour savoir ce qui se passait. Ils n’avaient rien entendu, mis à part quelqu’un cognant à une porte.
Mais je voyais que certains semblaient en savoir plus qu’ils ne voulaient le dire. Leurs visage respiraient la terreur, mais ils ne voulaient pas parler. Même quand la police est venue, ils n’ont rien dit de plus que ce qu’ils m’avaient déjà dit. Lors de ma déposition au commissariat, j’ai parlé de ma relation avec Miri. Et j’ai parlé de Saeko. Les policiers semblaient étonnés quand j’ai évoqué son prénom. Ils m’ont expliqué que la seule Saeko qu’ils connaissaient dans cet immeuble, et correspondant à l’âge que j’indiquais, était portée disparue depuis 7 ans. Juste après que son père ait été retrouvé pendu dans son appartement. Saeko a été longtemps soupçonnée d’avoir maquillée ce suicide en meurtre, mais comme personne ne savait où elle était, les recherches pour la retrouver ont été abandonnées au bout de 8 mois.
Les policiers m’indiquèrent qu’avant ça, le comportement de Saeko à l’école était curieux. Son père l’élevait seule, après que son épouse l’ait quitté, car il avait été renvoyé de son travail pour avoir eu une aventure avec une stagiaire. La mère de Saeko avait toujours indiqué qu’elle n’avait jamais voulu un enfant, que son mari lui avait imposé. Plusieurs fois, les services sociaux sont venus dans l’immeuble, après que des traces de coups aient été constatés sur le dos de Saeko. Mais aucune charge n’a jamais pu être retenu contre la mère. Celle-ci parvenant à convaincre les inspecteurs que sa fille se faisait ça en se cognant la nuit contre le mur. Deux mois après le départ de son épouse, Saeko est tombée malade, du fait de malnutrition et de graves problèmes d’hygiène dans l’appartement, déclenchant des plaintes régulières de la part des voisins. Ne pouvant payer un médecin, beaucoup craignaient pour la vie de la fillette, s’attendant à apprendre son décès.
Et puis, un jour, comme par miracle, Saeko était complètement guérie, mais son comportement avait nettement changé. A l’école, elle devenait distante, se mettant à l’écart des autres, ne parlant plus à quiconque, y compris ses professeurs. Elle faisait peur à ces derniers, ceux-ci parlant d’un regard sombre, et d’une impression de frissons quand ils s’approchaient d’elle. Malgré tout, le directeur de l’école ne voulait pas répondre aux angoisses des professeurs désirant son renvoi, du fait de son attitude néfaste. Car Saeko avait d’excellents résultats scolaires, bien que refusant de communiquer. Y compris en sport, alors qu’avant sa maladie, elle était médiocre dans ce domaine. Après que son père soit mort et les recherches pour la retrouver abandonnées, il y a eu d’étranges rumeurs dans l’immeuble. Des rumeurs qui disaient que Saeko vivait toujours dans ce dernier, sans que personne ne sache où exactement.
Et puis, il y a eu plusieurs morts. Toutes des célébrités dans leur domaine. Un joueur de baseball d’abord, récemment divorcé. Il fut retrouvé noyé dans sa baignoire. Puis, ce fut le tour d’un mangaka. On l’a retrouvé mort intoxiqué, la tête dans son four. Il y eut le bassiste d’un groupe de J-Rock, des YouTubeur, et un mannequin. Tous avaient en commun un lien avec un domaine artistique ou médiatisé par les réseaux sociaux, et des histoires compliquées liées à leur vie de famille. Et tous ont indiqués, avant qu’on les retrouve mort chez eux, qu’ils recevaient souvent la visite de Saeko chez eux, et qu’ils ne parvenaient pas à l’empêcher de contrôler leurs faits et gestes, que ça les rendaient fous.
Plusieurs perquisitions ont eu lieu dans l’immeuble, espérant retrouver Saeko, et comprendre comment une gamine pouvait pousser des gens à la folie, puis la mort. Mais ça n’a rien donné. Cependant, la mort de Miri était très différente des autres. Jusqu’à présent, toutes les victimes s’étaient elles-mêmes données la mort, pour échapper au contrôle de Saeko. Le visage arraché, les mains semblant brûlées à l’acide, ça ne correspondait pas aux autres drames. Après m’avoir fait ces révélations, les policiers, une fois terminé d’enregistrer ma déposition, me laissèrent repartir, la tête remplie de doute. Je n’étais donc pas le premier. D’autres que moi avaient subi le contrôle de Saeko. Je comprenais mieux le regard terrorisé des habitants. Ils savaient qu’elle était quelque part dans l’immeuble, et qu’il ne valait mieux pas attirer sa colère, en se mêlant de ses affaires, en tentant de protéger les cibles qu’elle avait choisie. Des idoles à ses yeux, qu’elle aimait plus que de raison, se moquant de l’incompatibilité que représentait son âge par rapport à ceux qu’elle désirait.
A force d’insistance, j’ai pu obtenir des infos complémentaires par le gérant de l’immeuble. Il m’avoua que le père de Saeko, la veille où sa fille avait changée de comportement, s’était mis à psalmodier des paroles étranges, pendant de longues heures, juste entrecoupées de courtes pauses. Des paroles qui ressemblaient à des incantations. Le gérant, comme d’autres habitants, ont supposé que le père de Saeko a fait appel à une entité guérisseuse pour sauver sa fille mourante, et que l’opération a réussie. Mais cela s’est accompagné de faire de Saeko autre chose qu’une humaine, expliquant son attitude envers les autres, son savoir, et sa faculté à se cacher au sein de l’immeuble, lui assurant une complète impunité, car personne n’ose s’en prendre à elle, sachant ce qu’il est advenu des célébrités qui ont tenté d’échapper à son contrôle…
Ne sachant pas quelle entité ou force l’avait guérie, et changée, je n’avais pas de solution pour me libérer de l’emprise de Saeko. Je ne savais même pas si elle était toujours humaine. Ce qui était sûr, c’est qu’elle avait recours au surnaturel. Sans doute avait-elle utilisé un sort, une invocation, une formule, que sais-je, lui ayant donné ce pouvoir mental lui assurant d’imposer sa volonté aux autres, à tous ceux sur qui elle avait décidé de devenir sa marionnette. Car je n’étais rien d’autres à ses yeux : un pantin devant obéir à ses caprices. Le meurtre de Miri montrait qu’elle ne reculerait devant rien pour empêcher quiconque d’avoir des sentiments envers moi, voire m’approcher tout simplement. Car il était évident que désormais elle aurait une emprise plus forte sur moi, une surveillance plus assidue, de manière à ce qu’une autre Miri ne me séduise pas. A ses yeux, elle étais la seule à qui je devais penser, la seule que je devais aimer, et peut-être plus.
J’étais devenu son obsession. Une obsession à laquelle je n’avais aucune échappatoire, et très bientôt la situation m’échappa totalement. De peur que je m’approche d’autres femmes sans qu’elle s’en aperçoive immédiatement, elle fit de moi un oiseau dans une cage. La porte ne pouvait plus être ouverte sans son consentement. Quand je désirais me rendre quelque part, pour un tournage, une séance photo, elle voulait savoir les détails de mes journées, en précisant, avec ce même sourire aux lèvres, qu’elle serait toujours là, quelque part, sans que je puisse la voir, afin de vérifier que je me conforme à n’être que sa chose, son jouet, sa possession. J’ai tenté de parler de ma situation à mes proches, par des messages codés, pensant que Saeko ne soupçonnerait pas la teneur de ces appels à l’aide. Mais c’était sous-estimer cette dernière. Chacune de mes tentatives se vouait à devenir un échec. Bien que mes messages étaient envoyés, ils ne parvenaient jamais à leur destinataire.
Au bout d’un moment, vraisemblablement ulcéré de mes tentatives, je n’avais plus la possibilité d’avoir un portable ou quelque moyen de communication sur moi. Elle me menaçait de s’en prendre à ceux ou celles à qui je tenterais de dire quoi que ce soit. Elle savait qu’il y avait peu de chance qu’on me croit ne pouvant apporter de preuves à ce que je vivais, mais pour elle, c’était comme une sorte de principe. Elle ne supportait pas que je tente de la défier en permanence. Les nuits étaient pires que les jours, ses rires remplissant mes nuits, usant de gestes de plus en plus tactiles à mon encontre, me rappelant régulièrement que j’étais à elle, et à personne d’autre, et qu’il me serait très déconseillé de la décevoir en se refusant à elle le jour où elle l’aurait décidée. Elle jouait avec mes nerfs en crescendo, et vint un jour où je n’avais même plus l’autorisation de sortir, car elle en avait assez que je cherche toujours plus de moyens de prévenir les gens de ce que j’endurais, ou demandant des informations sur le moyen de se débarrasser d’une humaine guérie par une entité que je supposais démoniaque.
A mes yeux, c’est ce qu’elle était. Un démon. Elle avait beau me dire que même si elle avait bénéficiée de pouvoirs venant d’un autre monde, n’ayant jamais désigné l’enfer, elle restait humaine. Une humaine améliorée, débarrassée de ses peurs, de ses émotions, qui l’avait réduite à un punching-ball de la part de sa mère. Plus jamais elle ne se laisserait dominer par quelqu’un. Désormais, c’est elle qui dominerait les autres, ceux qu’elle avait choisi, ceux à qui elle offrait de partager sa vie en échange d’un amour total. Mais pour autant, elle restait une romantique, telle qu’elle se désignait, et elle ne voulait pas forcer les choses, attendant que mon esprit soit résigné à accepter son amour, et qu’elle ferait tout pour me forcer à accepter qu’elle était la seule femme que j’aurais jamais désormais. Je devenais prisonnier de mon propre appartement, je ne pouvais plus communiquer à l’extérieur, appeler à l’aide. Par les pouvoirs dont elle disposait, les murs ne diffusaient aucun son à l’extérieur, les fenêtres ne pouvaient pas s’ouvrir. Régulièrement, à mon réveil, je trouvais des caisses remplies de nourriture variée, afin que je ne dépérisse pas, et chaque fois que je désirais quelque chose pour agrémenter mon quotidien de reclus, en dehors de toute forme d’objet pouvant me faire obtenir une communication, elle me l’accordait, et je le retrouvais dans l’appartement le lendemain matin.
J’ai quand même réussi à obtenir d’elle d’avoir du papier et un stylo, afin d’écrire mon histoire. Même si je trouvais le moyen de cacher ce journal sans qu’elle s’en aperçoive, une fois terminé d’écrire, elle savait que la personne qui viendrait à me succéder ne croirait pas un mot de mes délires. Quand aux habitants de l’immeuble, jamais ils ne tenteraient quoi que ce soit à son encontre : ils avaient bien trop peur. Je sens qu’elle commence à se lasser de moi, de mon obstination à refuser son amour, et j’ignore combien de temps elle me laissera vivre dans ces conditions, car je ne veux pas succomber à l’obsession que je suis pour elle. Une obsession qui se réduit de jour en jour. Je sais que le jour où une des personnes qu’elle suit en tant que follower, parmi les milliers qui figurent dans ses listes, viendra s’installer au sein de cet immeuble, si je refuse toujours de me soumettre totalement à elle, sans me résoudre à faire tomber mes barrières pour laisser son amour me consumer, mes jours seront comptés. Je grossirais la listes des faux-suicidés morts dans cet immeuble, et elle se mettra en quête de séduction de sa nouvelle cible.
Peut-être que personne ne croira ces lignes, tout le monde me croit déjà fou. Mon sponsor a rompu mon contrat, la plupart de mes amis me croient morts, tout comme ma famille, je n’ai déjà plus d’existence. Qui croirait les mots inscrits dans le journal d’un dingue aux yeux du pays ? Mais je me raccroche néanmoins à l’espoir que quelqu’un saura comprendre la détresse de mon écriture, et saura faire les recherches nécessaires pour trouver le moyen de mettre fin à la folie de Saeko, ce maitre des marionnettes que nous sommes tous à ses yeux…
Publié par Fabs