Cette histoire a été conçue à l'occasion d'une série en cours de mon ami et talentueux collègue LE DIABLE DES ABYSSES, sur sa chaine YouTube, mettant en valeur son personnage-avatar, à travers différentes vidéos, et présentant diverses périodes de ce même personnage. J'ai modestement contribué aux 2 premiers volets de cette saga, "La Mine Abandonnée" et "L'Epave", et j'ai eu l'idée de rajouter une pierre à l'édifice à travers ce récit.
N'hésitez pas à vous rendre sur sa chaine, à découvrir son univers, et, le cas échéant, à vous y abonner ^^
Je vous mets ci-dessous le lien de sa chaine YouTube :
https://www.youtube.com/@Le-Diable-Des-Abysses
L’histoire de Christos Kanakis est singulière : nombre de personnes encore aujourd’hui se posent la question sur la part du vrai et du faux concernant ce qui lui est réellement arrivé. Comment un érudit de son statut a pu sombrer dans une démence à même de le discréditer totalement aux yeux de ses pairs et de tous ceux qui admiraient ses recherches sur la civilisation des Cyclades ? L’une des plus complètes et renommée qu’il ait été recensé dans le monde moderne. Son jeune frère, Vassilis, a été témoin de la lente chute mentale de celui qu’il considérait comme un modèle, sans pouvoir enrayer le processus. Plusieurs fois, il a reçu des appels téléphoniques de la part de son ainé, lui demandant de l’aider à faire fuir “l’Ombre qui marche”. Ce qui força Vassilis à venir en urgence au domicile de Christos, car s’inquiétant de la peur présente dans les paroles venant de l’autre bout du fil. Une fois sur place, il a retrouvé celui qui lui inspirait tant de respect, depuis son plus jeune âge, en proie à des démons intérieurs intenses.
Ce terme reflète on ne peut mieux ce qui finirait par ronger Christos, psychologiquement parlant. Si, dans les heures suivant son arrivée, Vassilis fut rassuré par l’accueil offert par son frère, lui demandant de rester auprès de lui ne serait-ce que sur une courte durée, cela ne dura pas. Au fil des jours, il le retrouvait régulièrement assis près de la cheminée. Tellement près qu’il était couvert des cendres voletant dans l’air, résultant de la combustion de dizaines de bûches placées dans l’âtre, dans le but d’entretenir le feu de manière continue. Il disait que c’était nécessaire pour empêcher “Celui qui hante les océans”, l’autre désignation qu’il donnait à son prétendu visiteur nocturne, de faire de lui son esclave. Christos affirmait que la chaleur des flammes, bien que ne semblant pas véritablement crainte par l’être mystérieux hantant ses nuits, paraissait néanmoins avoir un effet de refoulement. À travers les délires en masse proférés par son archéologue de frère, Vassilis a cru comprendre que si “L’Ombre” ne s’approchait pas lors de ces moments, c’était plus par appréhension que cela ne déclenche en lui des instincts réveillant ses plus noirs penchants. L’être avait avoué craindre, si cela arrivait, de réduire celui qu’il envisageait de promouvoir au rôle de futur serviteur soumis et dévoué en un tas de chairs fumantes ne lui servant plus à rien dans un proche avenir.
Du moins, c’est ce que Vassilis a réussi à décrypter des paroles de Christos. Celui-ci ayant expliqué avoir entendu ces révélations dans sa tête, dictées télépathiquement par son intrus récurent. Christos finit actuellement ses jours cloitré dans une maison bâtie de ses mains. Ceci en se servant d’une technique indiquée sur l’une des trois tablettes d’argile ayant instauré son prestige au sein de la communauté archéologique du monde entier. Une maison faite de torchis et agrémentée de signes étranges sur ses murs. Aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Personne n’a pu comprendre quel pouvait bien être le langage utilisé pour ces inscriptions. Cela ne figurait même pas sur les fameuses tablettes découvertes. Ces dernières étant écrites sous forme de signes cunéiformes araméens. Un système linguistique notoire, quant à lui. L’étrange écriture utilisée parsemant les parois de la maison érigée par Christos ne semble appartenir à aucune forme de langage connu. Vassilis a confessé à qui voulait l’entendre que son frère lui avait précisé que seule cette protection se révélait capable d’empêcher “l’Ombre” d’entrer au sein de son nouveau chez-lui. Le torchis, lui, est nécessaire également pour lui assurer de tenir “Celui qui hante les Océans” loin de lui, afin de le contraindre à ne pas pouvoir parachever son objectif d’asservissement de sa personne.
Pour comprendre la dégradation psychologique de celui qui fut une sommité de l’archéologie, il faut remonter quatre mois en arrière. Au moment où Christos, expert de la civilisation des Cyclades, comme déjà précisé auparavant dans ce récit, fut amené à se rendre sur le site de fouilles d’Akrotiri, situé au sud de l’île de Santorin, au cœur de la mer Égée. L’un de ses collègues et ami, officiant sur place, avait demandé expressément la venue de la “star” de l'Antiquitéantiquité grecque. Ceci afin de confirmer le lien entre la ville découverte sous les cendres au début du XXème siècle et la civilisation des Cyclades chère à son cœur. Plus précisément pour étudier une idole de pierre figurant au sein d’une sorte de Cénotaphe aux allures de temple, dénichée sur la grande place de la cité. La statue était différente des autres se trouvant également à l’intérieur. L’ensemble des idoles, ne mesurant guère plus que quelques centimètres, se constituaient de marbre. Ce qui se montrait conforme à la tradition cycladique. La figure sculptée au centre des préoccupations de l’ami de Christos était de plus grande taille, de l’ordre de près de 2 mètres de haut, et taillée dans de l’obsidienne.
C’était très étrange. D’autres vestiges et artefacts confirmèrent un lien avec la civilisation Cyclade. Au même titre que ce qui fut découvert dans d’autres îles de l’archipel. Seule cette statue détonnait avec le reste, car ne correspondant pas à ce qu’on savait des cultes de cette civilisation. À dire vrai, la datation de la statue laissa perplexe. Elle paraissait plus ancienne que le temple lui-même. Comme si ce dernier avait été construit autour. Pourtant, rien ne montrait de quelconques traces d’érosion de la pierre utilisée ou toute forme de vétusté. Ce n’était que de l’obsidienne et, qui plus est vraisemblablement taillée à une époque très lointaine. Comment se faisait-il qu’elle paraissait façonnée il y avait seulement quelques jours ? Markos Navrailitis, celui qui avait demandé la venue de Christos, pensait que seul son collègue pourrait comprendre ce mystère, du fait de sa longue expérience concernant la civilisation des Cyclades.
À son arrivée, Christos fut aussi surpris que les autres archéologues présents sur les fouilles. Il n’avait jamais vu une figure sculptée de ce style appartenant à cette civilisation. En plus de ça, alors que les idoles habituelles de la civilisation des Cyclades représentaient habituellement une déesse de la Fertilité, en tout cas en règle générale, Christos se retrouvait face à une divinité inconnue dont la tête et le corps étaient parsemées de tentacules. Ainsi que de ce qui avait l’apparence manifeste de coquillages et d’algues. Plus étonnant encore, alors qu’il inspectait la statue et la pureté de l’obsidienne utilisée pour sa confection, il s’aperçut de la présence d’une protubérance allongeant le talon d’un des pieds palmés représentant la curieuse idole. Cela ressemblait à une variété d’oursin sculpté avec une extrême minutie. Instinctivement, alors qu'il étudiait les contours de l’appendice, Christos appuya dessus presque sans s’en rendre compte.
Immédiatement, un panneau au dos de la statue s’ouvrit. Ce qui laissa voir une niche creuse au sein de la structure, et abritant trois tablettes d’argile. Des tablettes comportant une écriture cunéiforme. Son collègue, Markos, l’identifia comme étant de l’araméen. Cette découverte fit la une des diverses revues scientifiques de la planète, dès lors que fut révélé l’existence de cette relique modelée dans une pierre inédite. Du moins de ce que l’on savait de cette civilisation qu’étaient les Cyclades. Les artefacts trouvés au sein de la statue intriguèrent tout autant la communauté archéologique du monde entier. Que ce soient les simples passionnés, ou bien les experts chevronnés. Ce qui propulsa Christos au firmament de la gloire. Ce n’est pas tant le fait qu’une idole totalement inconnue du culte des Cyclades qui fascina, ni ce qu’elle représentait. Mais, plus encore, le contenu énigmatique que représentaient les signes des tablettes d’argile découvertes à l’intérieur. L’archéologue-historien obtint d’avoir l’exclusivité de la traduction de ces dernières, avec pour promesse de fournir le résultat de ses recherches à qui de droit, au fur et à mesure de l’étude qui en résulterait. Pour cela, il s’est adjoint les services de son collègue Markos, qui lui permit d’approfondir son propre savoir en matière de langage cunéiforme de la période araméenne.
Les lignes des tablettes se constituaient de ce qui se montrait être des suites de recommandations ou d’un processus d’invocation. Les deux amis supposèrent que ces tablettes avaient sans doute été conçues à l’usage de prêtres à même de comprendre la subtilité de ce texte. Markos dut rapidement laisser son confrère finir seul la traduction des tablettes, car devant continuer à superviser les fouilles sur le site d’Akrotini. Pour être plus à l’aise dans le décryptage, Christos put obtenir l’autorisation de son ami, en accord avec les commanditaires des fouilles, d’emporter les tablettes avec lui, sur Tinos. L’île où il réside de manière continuelle, quand il ne parcourt pas la planète pour des conférences ou pour apporter de l’aide à d’autres collègues. Est-ce le fait de se retrouver seul avec les artefacts d’argile, ou bien d’avoir délocalisé ceux-ci en les emportant en dehors de l’ile de Santorin ? Toujours est-il que c’est à partir de là que Christos commença à être victime de visites nocturnes au sein de son domicile, par ce qu’il crut d’abord être un “chasseur de trésor” quelconque, mandaté par un collectionneur peu scrupuleux voulant s’emparer des tablettes dans un but mystérieux.
Avant ça, il avait reçu, à sa demande, des photos de la statue sous divers angles de la part de son ami Markos. Christos pensait avoir vu quelque chose de ressemblant au travers des pages des revues consacrées à l’archéologie. Sans pour autant se rappeler quelles personnes étaient signataires des articles, ni les lieux susmentionnés dans lesdits magazines, évoquant des idoles ressemblant à celle d’Akrotini. À partir des photos, dont il avait établi des copies avant de les envoyer à divers instituts d’archéologie avec qui il était en lien de manière très rapprochée, Christos a pu remonter la piste et trouver où des représentations de divinités similaires avaient été découvertes. Il a recensé 8 autres lieux où ces idoles furent recensées. Exclusivement dans des temples, mais pas seulement. L’une d’elles a été découverte dans un tombeau de la vallée des rois en Égypte dans les années 40. Une seconde au Machu Pichu en 1957, dans un temple mineur. Les autres dans un sanctuaire en Afrique, en 1964 ; une grotte en Turquie, au cours de l’année 1968 ; une caverne préhistorique en France, durant l’année 1971 ; dans les ruines d’un village englouti en Espagne, en 1974 ; au sein de la chapelle d’un manoir écossais à l’abandon, en 1977 ; et la dernière au Népal, au cœur de la Cité Interdite, en 1982, par une équipe d’archéologues chinois. Soit 4 ans avant aujourd’hui.
Toutes les statues mesuraient la même hauteur, étaient taillés dans la même matière, l’obsidienne, avaient la même apparence. Autre point commun : toutes, également, ne semblaient pas avoir été touchées par les affres du temps. Aucun signe notable de vieillissement. En revanche, rien ne paraissait avoir été trouvé à l’intérieur des statues. Seul celle du site d’Akrotini recelait cette particularité. Rien n’était d’ailleurs mentionné concernant une protubérance se trouvant sur le talon, et ayant une forme d’oursin, dans les articles traitant de ces idoles. Qu’est-ce que celle de l’ile de Santorin pouvait avoir de particulier pour être l’unique idole disposant de ce trésor en son sein ? Christos a supposé que cela pouvait révéler une indication essentielle : ce culte particulier avait sans doute débuté au cœur de cette ville ravagée par l’éruption volcanique s’étant déroulé en 1610. Éruption qui a donné lieu à diverses divagations au sujet de la fin de la civilisation Minoenne. Tout comme la prétendue existence de l’Atlantide. Hypothèses qui furent remises en question par la suite, Platon n’ayant jamais évoqué d’éruption concernant ce mythe. Qui plus est, la forme même du continent décrit par le philosophe ne correspondait en rien à l’ile de Santorin. Néanmoins, la probabilité d’un culte né au sein de cette ville était plus que pertinent, si Christos s’en référait à la particularité de l’idole trouvée sur le site d’Akrotini. Il s’expliquait, en revanche, beaucoup moins comment ce culte avait bien pu s’étendre sur autant de continents et de civilisations différentes à travers le monde. Cela restait une énigme.
Deux jours après cette découverte intrigante à plus d’un titre, Christos est parvenu à déchiffrer intégralement la seule des 3 tablettes ayant résisté au savoir de son ami Markos. Le fait est que cette troisième tablette se démarquait des autres en mélangeant l’araméen à de l’akkadien et du sumérien. D’où la difficulté de traduction. Si les deux premières tablettes contenaient des phrases obscures, dont le sens n’était pas clair, il en était tout autre de la dernière. Markos avait déjà évoqué la possibilité que l’ensemble des textes des artefacts étaient des invocations dédiées à la divinité représentée par la statue en obsidienne. La dernière tablette fournissait une sorte de “code de lecture” des deux autres. Une manière de traduire les invocations. Une fois parvenu à déchiffrer la clé pour décrypter celle-ci, le sens des phrases des deux autres devenaient limpide. C’était un mode de chiffrage surprenant pour l’époque, venant d’une civilisation n’étant pas connue pour user de tels stratagèmes. En tant qu’expert des us et coutumes des Cyclades, Christos en fut encore plus étonné. Jamais il n’avait eu connaissance de cela depuis les années qu’il étudiait tout ce qui tournait autour de cette civilisation. Tout heureux d’avoir “cassé” le mode de cryptage des 3 tablettes, il se mit à lire à voix haute le résultat de la traduction :
“ô Toi qui vis au cœur de toutes les profondeurs abyssales,
Toi qui veilles sur celui qui dort depuis des millénaires
Au sein de R’lyeh, la mythique cité des Grands Anciens,
Toi qui offres aux hommes le devoir de te servir où qu’ils soient,
Accorde-moi ta bénédiction à travers le temps et l’espace.
Fais de moi ton serviteur fidèle par-delà l’éternité.
Je jure de ne jamais trahir la confiance que tu me porteras.
Et si je commets la faute de faillir à ma parole sacrée,
J’accepte le châtiment que tu évalueras le plus adapté à mon
parjure… »
À peine ces mots furent-ils achevés de prononcer que Christos crut entendre une forme de râle sortir de l’extérieur. Plus précisément de l’horizon. Sa maison était située un peu en périphérie de la capitale de Tinos. Au même titre que les autres habitations, elle surplombait la caldeira océanique proche de l’île. Le son ou la voix entendue paraissait provenir de l’océan. Aussi improbable que ça puisse être. Par pure curiosité, Christos ouvrit la fenêtre du bureau où il étudiait, là où il venait de prononcer cette invocation : il n’a pu que constater le calme plat des flots, tout juste perturbé par une légère brise. Une brise qui amena une odeur forte de poisson à ses narines, doublé d’une désagréable sensation qui lui prit la gorge, manquant de l’étouffer. Ce n’est qu’à la fermeture de la fenêtre, obéissant à un instinct de survie, qu’il put reprendre une respiration normale, se remettant progressivement de la surprise subie. Christos mit ça sur le compte d’un éventuel dépôt de marchandise avariée, sans doute jetée par un résident indélicat de la ville proche, que la marée avait ramené aux abords de la zone en dessous de sa demeure. Plus loin en contrebas de la falaise.
Le lendemain matin, il avait même oublié cette mésaventure olfactive. Ce n’est que le soir suivant que son cauchemar commença. Il était 23 heures quand Christos entendit un violent bruit de verre cassé venant du seuil de sa maison. Surpris, il se rendit alors en direction de l’incident, pour y découvrir qu’un vase avait été renversé. S’apercevant que la porte d’entrée était grande ouverte, il se dit que c’était probablement l’action du vent qui était en cause, ce qui avait provoqué la chute de l’objet s’étant brisé au sol. Il était pourtant certain d’avoir fermé à double tour, comme à son habitude. Pensant que la fatigue accumulée de ces derniers jours était en cause, sans doute à l’origine de cette négligence inhabituelle de sa part, il ne s’alarma pas outre mesure. Il referma à clé, puis entreprit de ramasser les morceaux du vase cassé, avant de jeter le tout à la poubelle. Au même moment, alors qu’il avait encore la pelle contenant les débris en main, il vit une silhouette dans la pénombre. Celle-ci était accolée au mur proche de son bureau. Effrayé par cette présence, son premier réflexe fut de demander à l’intrus de déclamer la raison de son intrusion, ainsi que son identité.
Contre toute attente, ce qui ne formait qu’une ombre aux contours disgracieux, ne semblant pas être ceux d’un être humain normalement constitué, ne dit mot. Ce qui provoquât un malaise naissant de Christos, qui reposa sa question à l’ombre immobile. Il se rappela disposer d’une arme à feu au creux du tiroir du salon proche. Espérant prendre de vitesse le mystérieux intrus, Christos se précipita à toute allure vers la pièce détentrice de l’objet, à même de le sauver du danger. Il parvint à ses fins et entra en possession du pistolet constituant son moyen de défense. Quand il revint vers le bureau dans lequel se trouvait auparavant l’ombre du visiteur indésirable, il n’y avait plus rien. Il inspecta illico l’ensemble de la demeure, pensant que l’importun s’était dissimulé quelque part, en vain. Par ailleurs, il eut beau fouiller chaque recoin, il ne trouva aucune trace de ce qui était entré chez lui, quel qu’il puisse être. Christos se persuada que cette présence était un malandrin suffisamment agile pour être parvenu à s’enfuir sans un bruit. Le lendemain matin, il appela la police pour qu’elle dépêche des agents chez lui, afin de vérifier si un indice quelconque lui avait échappé. Ce qui pouvait mettre les policiers sur une piste éventuelle les menant à l’intrus de la nuit. Quand ceux-ci se rendirent sur place, ils ne trouvèrent pas plus de traces que lui n’en avait décelé, et prirent congé après l’avoir assuré de surveiller les alentours dès le soir suivant.
Christos était très connu et apprécié de la population de l’ile : c’était leur star locale. Pour ces policiers, c’était presque un devoir que de veiller à ce que la tranquillité de l’archéologue-historien ne soit pas perturbé par qui que ce soit. Le reste de la journée, Christos mit de côté ce désagrément et fit part à son ami Markos de sa découverte par téléphone. Il lui énuméra le texte de la traduction qu’il avait effectuée. Il évoqua également le fait que d’autres idoles existaient à travers le monde, au sein de sites tous aussi différents les uns que les autres. Que ce soit de leur nature religieuse, historique ou d’autre nature. Markos fut tout aussi étonné de ce lien entre les statues, se demandant ce qui pouvait relier ces différents cultes disséminés dans divers pays et cultures. Le soir venu, l’intrus de la veille revint, de manière tout aussi incompréhensible. L’ombre montrait cette fois des traits plus distincts, plus prononcés, malgré la pénombre. Comme si elle jouait avec l’obscurité et lui dictait ce qu’elle était autorisée à faire en sa présence. Ce qui augmenta de manière considérable l’angoisse et la peur de Christos. À nouveau, il s’adressa à celui qu’il pensait toujours être un malfaiteur venu lui voler l’objet de ses recherches, pour le compte d’un commanditaire guère épris d’éthique et de morale.
Il n’eut pour réponse que la même tonalité de râle perçu lors de la nuit où il avait prononcé le texte de l’invocation traduite. Il put se rendre compte des mouvements de plusieurs excroissances sortant des flancs de l’ombre menaçante. Ainsi que de la lueur irréelle émanant des yeux de l’importun. Il paraissait évident, à ce moment-là, que l’être devant lui n’avait sans doute pas une appartenance humaine. Bien qu’il rejetât cette idée allant à l’encontre de son cartésianisme. Bientôt, il fut pris d’une violente migraine. Tellement forte que cela le fit tomber à genoux sur le sol. Quand celle-ci finit par s’apaiser, la “chose” avait disparu. Se remettant de sa stupeur, et se souvenant que les policiers avaient affirmé surveiller les alentours, il sortit de chez lui. Ceci après s’être muni de son arme et d’une torche électrique. Il trouva effectivement deux policiers effectuant une ronde dans les environs proche de sa maison. Cependant, ceux-ci avouèrent n’avoir vu personne sortir de chez lui. Que ce soit en courant ou d'autres manières. Pourtant, ils se trouvaient à proximité depuis une bonne demi-heure déjà. Si quelqu’un avait été repérée dans les environs, ils l’auraient forcément vu.
Complètement déstabilisé par ces paroles, Christos remercia les policiers et revint vers sa demeure. Par la suite, il fit appel à une société pour faire installer des caméras. Il espérait ainsi découvrir, image à l’appui, de quelle manière l’étrange visiteur parvenait à entrer chez lui sans se montrer de quiconque, avant de disparaitre aussi rapidement qu’il était venu. Mais, que ce soit ça ou d’autres stratagèmes à même d’empêcher l’intrus d’entrer, tout fut inefficace. Pire : à chaque venue, la “chose” révélait un peu plus son aspect, et des “voix” résonnaient à l’intérieur du crâne du pauvre Christos, qui voyait sa raison vaciller un peu plus à chaque fois. Au début, les paroles transmises par pensée par la créature étaient incompréhensibles. Cependant, au fur et à mesure des visites, celles-ci paraissaient se “traduire” automatiquement dans sa tête. Comme si la chose lui transmettait simultanément le moyen de comprendre son langage. La technologie et la présence policière au-dehors n’étant d’aucune utilité, Christos se résigna à devoir supporter les allées et venues de la créature qui se désignait sous le patronyme de “Daemon”, Seigneur des Abysses, entre autres titres honorifiques.
En dernier recours, il fit état de son angoisse plusieurs fois par téléphone à son jeune frère Vassilis. Malgré les paroles rassurantes de ce dernier, parvenant à le convaincre que ce qu’il vivait n’était sans doute que des hallucinations causées par la fatigue et un stress résultant de son travail trop intense de ces derniers jours, Christos n’était pas rassuré pour autant. Au bout de quelques jours de cette peur latente, durant lesquels il reçut de nouvelles visites de celui se faisant appeler “Daemon”, il persuada Vassilis de venir loger chez lui quelque temps, après lui avoir brièvement exposé plus en détail son problème. Notamment, l’invocation déclamée à haute voix. Ce qui avait occasionné les visites d’une chose cherchant à faire de lui son esclave, car il l’avait “appelé”, selon les dires de l’être mystérieux. Des éléments qu’il avait jugés préférable de ne pas évoquer jusqu’à présent, de peur d’être pris pour un dément par son cadet.
Christos en avait déduit que c’était la lecture de cette invocation présente sur les tablettes qui était la cause de son malheur. Vassilis, bien qu’étant étonné de la demande ponctuée d’anxiété de son frère, ce qui allait à l’encontre de son calme habituel et presque légendaire à ses yeux, accepta néanmoins sa requête. Ce qui n’arrangea pas les choses, bien au contraire. Chaque fois que Daemon rendait visite à son futur esclave, le contraignant à accepter son futur devoir, ce qui faisait l’objet d’une terreur grandissante pour Christos, Vassilis, n’était, lui, témoin que des attitudes étranges et inquiétantes de son frère. Tout ce qu’il voyait, c’était ce dernier en proie à une peur intense, faisant face à un ennemi invisible, se tenant le crâne et s’adressant à un certain “Daemon”, qu’il semblait être le seul à voir, hurlant à ce dernier de ne plus lui parler dans sa tête. Vassilis, s’inquiétant de la santé mentale de son frère, obtint que ce dernier suive une thérapie, malgré les réticences premières de celui-ci. Ce qui ne fit qu’aggraver les choses, car étant la proie de reproches de la part de “Daemon” les nuits suivant chaque séance auprès du psychanalyste choisi par Vassilis. Ce dernier voyait son frère sombrer de plus en plus dans la folie et négliger ses recherches. Il rejetait en bloc toute demande d’interview, d’analyses sur des sites de fouilles, de conférence ou de passage télé dans des émissions scientifiques dédiées à l’archéologie.
Il se coupait peu à peu du monde. Ses seules activités se résumaient à chercher parmi les nombreux livres de sa bibliothèque un moyen de mettre fin à ce qu’il nommait sa “malédiction”. Il disait qu’il cherchait un moyen de se désengager de ce qu’il avait promis à cette divinité par contrainte. Du moins, c’était ce que Vassilis comprenait à travers les délires constants de son frère. Celui-ci affirmant, la voix tremblante, qu’il ne trouverait de repos tant qu’il n’aurait pas obtenu une solution à son problème. C’est ainsi, après plusieurs semaines de recherches, que Christos pensa trouver une parade par la chaleur de la cheminée. Juste avant que “Daemon” lui apprenne qu’il ne faisait qu’attiser sa colère croissante en opérant à cette technique indigne d’un fidèle lui devant obéissance, sans concession aucune. Vassilis assistait chaque jour un peu plus à ces crises de démence, et pas seulement la nuit. Christos pensait voir “Daemon” à toute heure du jour et de la nuit, hurlant parfois sans raison. Il refusa de continuer ses séances de thérapie, car elles n'avaient aucun effet selon lui… C’était un calvaire pour lui d'observer son frère s’approcher toujours plus du mental d’un fou aussi dangereux pour lui-même que pour ses proches, dont il faisait partie. Vint le jour où l’égarement de Christos, aux yeux de Vassilis, devint total.
L’ancien archéologue renommé entreprit de construire une maison selon un mode de construction particulier, comme évoqué en début de récit. La nouvelle des actions exubérantes et dénuées de bon sens de Christos fit bientôt le tour des médias, que ce soient les journaux, la radio et même la télévision, annihilant toute crédibilité de la part de celui qui fut un modèle pour nombre de férus d’archéologie. Très vite, la carrière que l’archéologue-historien avait mis tant de temps à se construire fut anéantie : plus personne ne voulait avoir à faire avec le “Dément de Tinos”. Le sobriquet dont fut affublé l’ancienne star du monde scientifique. De toute façon, il avait déjà explicitement exprimé par le biais d’une interview, profitant du passage d’une équipe de télévision, qu’il ne désirait plus être associé à aucune recherche autre que ce qui concernait un certain “Daemon”, Seigneur des Abysses. Expliquant qu’il était celui représenté par les idoles découvertes au sein de plusieurs sites du monde entier, dans nombre de pays.
Bien évidemment, ces déclarations, cette élocution télévisée, cela ne fit qu’accentuer le sentiment que Christos était atteint d’un mal incurable lui ayant fait perdre toute raison. En dehors de Vassilis, il ne voulait voir personne. Ce dernier se désespérait de ne pouvoir faire revenir son frère à la raison. Chaque tentative de sa part de tenter de convaincre son frère que le fameux “Daemon”, dont il parlait constamment, n’existait pas, sinon, lui-même l’aurait vu, se concluait systématiquement par un échec cuisant. Christos lui a alors expliqué que seul ceux ayant récité la formule “bénéficient” de la vision de la divinité. Raison pour laquelle il a détruit toutes ses notes, toutes ses recherches concernant les tablettes. Tablettes qu’il a d’ailleurs détruites en direct à l’occasion d’une nouvelle interview accordée à une équipe d’un journal télé local, au sein de sa demeure, afin que d’autres que lui ne subissent pas le même cauchemar. Une action qui a déclenché un tollé de la part des archéologues du monde entier, n’acceptant pas ce vandalisme pur et simple d’artefacts inestimables et uniques. Un fait qui a provoqué encore plus la séparation entre Christos et ses anciens collègues.
Depuis quelques jours, Vassilis a renoncé à pouvoir guérir son frère de sa folie. Il sait qu’elle est désormais tellement ancrée dans son être que rien ni personne ne pourra l’en défaire. Il ne peut même pas se résoudre à le faire suivre dans un établissement spécialisé. La seule fois où il a fait appel à des médecins et des infirmiers pour qu’ils viennent récupérer son ainé, dans le but de l’interner, Christos a menacé de se tuer sous ses yeux. Depuis, il préfère ne pas réitérer l’expérience. Même si cela lui coûte de voir celui qui avait toujours été un modèle d’intelligence et de maitrise de soi ne plus être que l’ombre de lui-même, il préfère ne plus agir de manière inconsidérée. Il espère ainsi éviter une réaction violente de la part de son frère. La mort dans l’âme, il l’a abandonné à son triste sort, se contentant de lui faire livrer des repas déposés par un livreur devant la porte de sa maison sommaire, dite “de protection”.
Malheureusement, depuis quelques jours, les cartons de plats s’empilent devant l’entrée. Christos semble être parvenu à un tel niveau de folie qu’il considère que les repas commandés par son cadet ont pu être contaminés par “Daemon”, afin de conditionner de manière plus sûre son statut d’esclave en devenir. À ce rythme, d’ici quelque temps, Christos a de grandes chances de mourir de malnutrition. Comme il ne boit pas non plus d’eau, les bouteilles s’accumulant, comme le reste, devant la maison de torchis, Vassilis suppose que son frère évite la déshydratation en buvant sa propre urine. Il ne se rend même plus sur l’île, attendant avec anxiété la nouvelle du décès de son frère. Si tant est que quelqu’un s’en aperçoive, vu que personne sur Tinos n’est autorisé à entrer à l’intérieur du nouvel habitat de Christos. Et peu prendront le risque de s’aventurer à l’intérieur de celle-ci. Le dernier ayant voulu voir s’il était encore en vie a failli être égorgé par son désormais tristement célèbre occupant. Ce dernier l’avait pris pour un disciple de “Daemon”... Alors, Vassilis attend que l’odeur de la chair putréfiée, constatée par un habitant de l’ile, et indiquant de manière indéniable la mort de Christos, déclenche l’intervention des services de Pompes Funèbres. Cela dans le but d’enlever le corps ayant de grandes chances de s’y trouver, gisant au sol.
Personne n’a jamais pu corroborer la réalité de l’existence de “Daemon”. Ce que l’on en sait vient des élucubrations de Christos révélées à son frère Vassilis, ou à travers ses interviews télévisées. Avant qu’il s’enferme dans son antre fait de torchis. Les tablettes ayant été détruites et toutes les recherches occasionnées par l’archéologue aussi, il n’y a aucun moyen de vérifier les dires du “Dément de Tinos”. “Daemon” existe-t-il, ou bien n’est-il que le fruit de la folie d’un homme ayant trop accordé d’importance aux mythes qu’il étudiait ? On ne le saura sans doute jamais. Seul subsiste ces étranges idoles à travers le monde. Peut-être qu’un jour, on en saura plus sur le culte y étant lié. Ainsi que le pourquoi de leur présence au sein de cultures et civilisations aussi différentes les unes des autres. Seul l’avenir nous le dira…
Publié par Fabs