10 ans ! 10 ans que je traîne ce secret dans le plus profond de mon être, enfoui dans cette petite boite mentale que je me suis construit, bien cachée sous la tonne de souvenirs s'étant formés depuis. Mais aujourd'hui, je n'en peux plus... Les tourments que je ressens chaque nuit depuis ce jour, ceux-là même que je pensais avoir masqués derrière ce masque que j'arbore chaque jour devant mes parents... Ils me hantent.... Insidieux, insistants, destructeurs, ... Façonnant mes remords en un couperet, une épée de Damoclès à laquelle je sais que je ne pourrais pas toujours suivre le mouvement pour ne pas voir mon esprit coupé net. Cette vie forgée en l'espace d'un instant, faisant un choix que je pensais juste, n'a été au final que les prémices d'un cauchemar perpétuel dont je suis la cible. Je suis prisonnier de mes propres ressentiments pour avoir effacé une vie qui ne méritait pas de l'être. Une vie que j'aimais. Que j'adorais. Et que je porte aujourd'hui dans mes entrailles, pour avoir voulu un avenir me garantissant gloire et respect des autres. Mais à quel prix ?
J'ai été faible. Faible d'avoir écouté mes désirs d'évolution dans une société où le besoin d'être reconnu est devenu une maladie dont il n'existe que peu de remèdes, et qui parfois, voire souvent, mène à la folie, faisant des autres des proies idéales. Faible d’avoir considéré que je pourrais parvenir à oublier mon acte irrémédiable envers celui qui voyait en moi un modèle, qui avait toute confiance en moi. Je me suis servi de cette admiration pour mieux servir mes intentions, et je l’ai sacrifié. Sans la moindre hésitation. Pensant que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire.
Au départ, ça ne devait pas se passer comme ça. Je cherchais un remède pour le libérer de sa souffrance, sa douleur qui parcourait chaque seconde son échine. Visions insupportables pour moi. Il fallait que je trouve quelque chose pour ne plus qu’il ait à subir ces aiguilles le transperçant de toute parts, réduisant son envie de vivre à néant, chaque jour un peu plus. Je pourrais dire qu’à ce moment, j’avais de la peine pour lui, de la pitié. Et c’était vrai. Mais en faisant mes recherches pour alléger le mal qui l’envahissait, j’ai mis à jour un mal encore plus grand. Celui de l’ambition. Découvrant un rituel qui, bien que pouvant parvenir à enfin le libérer, allait surtout faire de moi un meurtrier. Un immonde tueur. Par un pacte interdit me procurant la vie dont je n’aurais jamais pu espérer, me donnant cette chance qui m’avait toujours fait défaut, faisant de moi un paria, un être à éviter par peur d’être contaminé. Ce rituel impliquait un effet à double tranchant. Un sacrifice. Mais j’ignorais à ce moment de quel sacrifice il était question. Mais ce n’était pas une excuse pour autant. J’ai délibérément accepté d’invoquer un démon au sein même de notre maison.
J’aurais dû savoir que le mensonge fait partie intégrante de ces êtres sournois, ne voyant dans les humains que des âmes à dévorer, à plonger dans les flammes de la Géhenne. Puis-je vraiment trouver le pardon en indiquant que j’étais jeune et insouciant ? Non. Sans être un expert, ne serait-ce que par les films et les séries dont je me régalais, je savais qu’un accord avec un démon impliquait que ce dernier cachait volontairement les petits paragraphes de son contrat. C’est dans leur nature après tout. Leur manière de faire. Ils ne peuvent et surtout ne veulent pas déroger à cette règle faisant d’eux des créatures horribles, aussi bien physiquement que mentalement.
Malgré tout, j’ai dessiné le pentagramme nécessaire à l’invocation. Avec mon sang. Et celui de mon frère tant aimé. J’ai lu le rituel pour faire venir ce démon censé donner un espoir à la maladie de mon frère. La faire disparaitre. Lui donner un horizon palpable où il pourrait à nouveau parler, marcher, courir. Vivre. Le démon est arrivé, son corps se dessinant petit à petit, semblant monter des enfers d’où il venait à travers le pentagramme. Je lui ait fait part de la raison de sa venue. Libérer mon frère du mal qui le rongeait depuis sa naissance, et qui me rendait si triste au gré de nos conversations, par le biais de la langue des signes. Cet envoyé des enfers m’a fait caresser la vision d’une vie différente, où je ne le verrais plus souffrir. Et où je pourrais goûter moi aussi à un avenir correspondant au sacrifice que je m’apprêtais à offrir. Je n’ai pas bien compris cette allusion à ce moment-là. D’un côté, le démon n’avait pas menti. Je ne verrais plus souffrir mon frère. Plus jamais. Car il fut précipité dans les abîmes de l’enfer.
Je criais, je pleurais en voyant son visage incapable de crier, mais dont la terreur était tellement visible. Quand il disparut, je demandais pourquoi au démon. Il me répondit qu’il n’avait fait que respecter le contrat. Enlever de ma vue la souffrance de mon frère. Pour l’éternité. En remerciement de cette âme offerte, le démon m’offrit ce don particulier de réussir tout ce que j’entreprendrais. Devenant un ténor de la finance. Le meilleur. Celui que tout le monde admirerait. Attirant les plus belles femmes. Un être supérieur doté de la chance qui avait fait défaut à ma famille depuis si longtemps. Grâce au sacrifice de mon frère, je pourrais enfin offrir une vie meilleure à mes parents. Et c’est ce que j’ai fait. Bien sûr, ils ont pleuré la disparition de mon frère. Ils ont souffert de ne pas savoir. Comment aurais-je pu leur dire que j’étais le principal responsable de ce drame ? Que j’avais pu croire qu’un démon respecterait un contrat qu’il avait parsemé de perfidie ? Durant ces 10 années, j’ai tenté d’oublier l’horreur dont j’avais été la cause. J’ai tenté d’oublier que j’avais tué mon frère en invoquant ce démon. J’y suis parvenu. Au début. Mais les remords ont fini par prendre le dessus, et s’échapper de la petite boite où je pensais les avoir enfermés pour toujours.
Et aujourd’hui, j’ai cessé de croire que je pourrais continuer à vivre de cette manière. En ayant une existence que beaucoup rêverait d’avoir en ayant sacrifié inexorablement celui que je voulais aider à sortir de sa souffrance. Dans les faits, je n’ai fait qu’augmenter cette dernière. Je n’osais imaginer ce qu’il était advenu de lui au cœur de l’enfer où il avait été précipité. Des tortures qu’il devait subir chaque jour. Sans pouvoir crier. Je voyais presque ses larmes me suppliant de venir le chercher. Ou de partager son tourment éternel. Ce secret a fini par détruire tout ce que je suis, et il est temps de réparer mes fautes. En sautant de cette falaise, dirigeant mon corps inexcusable vers le seul endroit que je méritais. De toute façon, je savais que le jour-même où j’avais commencé à dessiner ce pentagramme sur le sol, je n’aurais plus droit au pardon du ciel. J’étais déjà damné avant même d’appeler le démon qui allait faire de moi son jouet. Je fermais les yeux un instant, revoyant les yeux empli de peur de mon cher frère. Mon cœur battait plus fort. Pas parce que j’avais peur. Mais parce que j’étais heureux. J’allais enfin le rejoindre, et partager avec lui cette souffrance que j’avais accentué durant tout ce temps.
Je jetais un dernier coup d’œil en arrière, regardant ce monde que j’allais laisser, en me disant qu’il serait libéré de ne plus avoir un idiot tel que moi. Mes parents étaient morts depuis maintenant 4 ans. Je ne leur apporterait donc pas de larmes supplémentaires. Ils ont dû souffrir à nouveau en ne trouvant pas leur autre fils au Paradis. Mais avec le temps, ils ont dû apprendre à oublier. Tout comme ils m’oublieraient aussi. Je remettais mon regard vers l’avant, respirait une dernière fois, et me jetais dans le vide. Me dirigeant vers le seul destin que je méritais. Et je souriais. J’allais retrouver mon frère après tout. Il n’y avait plus que ça qui avait de l’importance…
Publié par Fabs
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