2 juil. 2021

PERFECTION

 


 

L’homme a toujours été subjugué par ce qu’il considère être la perfection, dans tous les domaines possibles. Que ce soit dans les matériaux qu’il conçoit, les monuments qu’il érige, les films qu’il réalise, les dessins qu’il soumet au public, … C’est la base même de ce qui fait une civilisation. Ce souci du détail qui fait la différence entre un artiste inspiré et un simple spectateur. Le soin apporté à son propre corps, sculpté jour après jour depuis son plus jeune âge, afin de le montrer à une foule anonyme d’admirateurs, caché derrière leurs écrans, pour ne pas que l’on voie ce que cette beauté leur inspire dans leur intimité. Oui, l’homme dit civilisé est ainsi fait. Peu sont capables de s’écarter de cette voie, ce gêne de la beauté qui les attire quand ils y sont confrontés. Combien parlent de beauté intérieure en parlant de leur épouse, pensant avoir fait le mauvais choix à un moment de sa vie, alors qu’ils savent parfaitement que ce choix ne leur a pas été donné. Ils font partie d’un fil invisible que l’on nomme le destin.

 

Mais au fond, qu’est-ce que la perfection ? Un symbole de travail abouti ? Une autosatisfaction d’un dur labeur obtenu après une longue période où on a ignoré les recommandations de nos proches de s’enfoncer dans quelque chose qui ne correspond pas à son soi intérieur ? Ou bien tout simplement un leurre indéfectible, dont le mensonge a pris le pas sur le raisonnable et l’acceptation de vivre dans un monde où rien ne peut être parfait, car la perfection absolue n’existe pas. Malgré cela, malgré cette réalité que toute chose a forcément un, voire plusieurs défauts, qui ne peut être vu que par les plus consciencieux d’entre nous s’attardant sur des détails que d’autres jugent insignifiants, l’homme n’a cessé de vouloir atteindre cette perfection tellement désirée. Comme un Graal dont il sait qu’il ne pourra jamais atteindre, quel que soit ses efforts, quel que soit les matériaux à disposition, quel que soit la technologie utilisée.

 

La technologie, justement… C’est là le cœur du problème, et qui fait que je vous fournis ce préambule pour mieux comprendre mon histoire. Nous vivons dans un monde, une société où tous ceux n’ayant pas accès à cette technologie est considéré pratiquement comme un sous-homme, un inculte, … Une imperfection incompréhensible au milieu d’un macrocosme où lignes de code, circuits, composants, algorithmes et équations sont devenus les nouveaux Dieux que vénéraient les anciens égyptiens et autres civilisations dite « archaïques ». Chacun a sa propre notion de technologie, tout comme la perfection d’ailleurs qui est vue différemment suivant la personne, suivant sa sensibilité, ses goûts, son histoire, les obstacles qui ont fait de lui ou d’elle la personne qui la compose aux yeux de tous.

 

C’est cette même technologie qui en viendra sans doute un jour à mettre fin à l’humanité telle que nous la connaissons. A force de jouer à ces Dieux imaginaires, symboles de notre propre imperfection là aussi, voyant en eux le moyen de remédier à nos propres tares, espérant, par nos prières, nos demandes, qu’ils seront le remède à notre vie misérable, notre manque de jugeote, nos choix malheureux. Alors qu’ils ne sont là que pour mieux montrer à quel point nous sommes et resteront indépendants de quelque chose ou quelqu’un. Nous ne sommes que les rouages d’une immense machine dont le sens nous échappe sans nous en rendre compte. Et quand nous tentons de tricher, en modifiant la chaîne de la vie, nous découvrons qu’il y a un prix à payer. Rien n’est jamais gratuit en ce monde, c’est un fait. Mais quand nous nous trouvons face à payer notre dette, nous nous apercevons que le prix est tellement lourd qu’il est impossible de s’en acquitter sans devoir nous soumettre au plus lourd des sacrifices pour pouvoir un tant soit peu libérer notre conscience d’avoir remboursé notre dû. Cependant, nous nous efforçons chaque jour de se prétendre comme la personne la plus à même d’atteindre ce stade, cette perfection tant désirée.

 

Mais il est temps de me présenter : je me nomme Herbert Ramsay. Je suis ce qu’on appelle un spécialiste de la robotique. Un ingénieur parmi les plus réputés dans le monde de l’homme. J’ai construit de bout en bout un robot qui aurait dû être l’aboutissement de tout ce que l’homme imagine en matière de perfection. D’où mon monologue au début de ce récit. Pendant des années, de nombreuses nations ont tenté de créer l’humanoïde parfait dans tous les sens du terme, sans comprendre que le parfait est imparfait, et que c’est l’imperfection qui fait que nous n’avions jusqu’à présent pas encore sombré dans le chaos le plus total. En cherchant la perfection, on en oublie qu’à vouloir créer un être trop parfait, on devient nous-mêmes des poussières aux yeux de cette perfection technologique créée de toutes pièces. Pour faire court, de la perfection nait les prémices de l’anéantissement de celui qui l’a créé. Que fait l’élève quand il parvient à dépasser le maître ? Il lui montre qu’il est devenu meilleur que lui, et que désormais l’ancien maître est devenu obsolète, et qu’il est destiné à disparaître pour faire face à une nouvelle génération. C’est la même chose pour un fils ou une fille prenant pour modèle son père, sa mère, un frère, une sœur où tout autre personne lui servant de ligne directrice à atteindre. Un horizon que l’esprit se doit de toucher pour atteindre l’apogée de ses buts, et évoluer pour permettre à cet horizon de s’éloigner toujours plus pour ceux qui vont le suivre. C’est cela la perfection. Rien d’autre qu’un rêve inaccessible. Car quand on pense se rapprocher de cet horizon, celui-ci s’éloigne toujours plus.

 

Pour en revenir à mon histoire, j’ai créé ce que chacun pensait impossible à faire : un être en tout point parfait aux yeux de tous, même des plus crédules. Un assemblage de chrome, d’acier, de fils, de programmes tous aussi complexes les uns que les autres. L’aboutissement d’années de travail, de nuits blanches, de papiers griffonnés à-même sur la table d’une nappe de restaurant, provoquant la fureur du propriétaire de l’établissement. Celui-ci se calmant en voyant le nombre de zéros du chèque pour le rembourser et emmener chez soi l’objet du délit. Le pouvoir de l’argent. Cela aussi a fait partie du processus pour créer César-07. Un nombre correspondant à la quantité de précédentes tentatives créées auparavant, jusqu’à aboutir à cette merveille de technologie, qui faisait l’admiration de toute une planète quand elle fut montrée à travers tous les médias possibles. Pas une journée sans qu’on voie des yeux qui brillent à l’évocation de cet être cybernétique capable de tous les exploits, et pas seulement en force ou en capacités motrices. 

 

César-07 est doté d’une IA révolutionnaire, capable de réagir en fonction de ce qu’elle voit, ressent ; capable d’évoluer émotionnellement. Oui, vous avez bien entendu. César-07 peut ressentir des émotions, des sentiments. Il peut devenir amoureux, être triste en regardant un film romantique se terminant par la mort de la jolie demoiselle atteinte d’une maladie incurable, laissant son fiancé au désespoir. En plus de résoudre n’importe quelle équation impossible à résoudre pour un être humain, il peut donner de la joie à un enfant en phase terminale dans une chambre d’hôpital, en lui racontant des blagues créées de toutes pièces par son cerveau électronique, composé de la plus incroyable des bases de données. L’équivalent de centaines de milliers de servomoteurs réunis sur une puce de quelques millimètres, que même le Pentagone pourrait envier. Il peut sprinter sur une piste d’athlétisme, capable de battre des records qui n’aurait même pas pu être envisageable, transpirer, en étant exténué à la fin de la course, comme n’importe quel être humain. Il est capable d’exécuter n’importe quelle tâche  humaine, de la plus simple à la plus complexe. Celle-là même qui a demandé plusieurs années de savoir à la personne qui a lui montré les bases quelques secondes auparavant.

 

De l’extérieur, il ressemble à n’importe quel être humain. Doté d’une peau synthétique reproduisant parfaitement la peau humaine. Il est composé de tissus organiques avec  des veines, du sang, de la chair, des os, des muscles,… Il est un véritable être humain… et même plus que ça. Tout son corps est parsemé de minuscules réseaux filaires permettant le bon fonctionnement de tout l’ensemble. Un réseau extrêmement complexe relié à son cerveau. Un vrai cerveau en apparence qui pourrait tromper n’importe quel neurochirurgien. Mais au cœur de celui-ci, il y a la quintessence de César-07. Un cube neuronal cybernétique, où se dissimule son IA n’ayant aucun équivalent dans le monde. Dans le monde humain en tout cas. A chaque fois que ce cerveau voit, sent, touche, écoute, il enregistre tout, l’analyse à une vitesse qui pourrait dépasser le mur du son multiplié par 1.000.000 s’il était possible de les comparer. Il ressent des sensations quand on le frappe, quand il reçoit une bise sur la joue, peut rougir après coup. Et surtout, il n’oublie rien. Imaginez ce que pourrait donner la somme de tout le savoir humain, appris jour après jour stocké en un seul endroit. L’équivalent de plusieurs centaine de la défunte Bibliothèque d’Alexandrie, avant que son contenu parte en fumée, suite à son incendie, balayant 10.000 ans d’histoire en son sein. 

 

Sauf qu’ici, rien ne peut l’atteindre. C’est la grosse différence avec un être humain. Il est doté d’un squelette qui a l’apparence d’os humain, mais dans la réalité, c’est un alliage en faisant le plus robuste de l’univers tout entier. Rien ne peut le détruire. Et la coque protégeant son cerveau possède la même défense, tout comme les différents réseaux de fils cybernétiques. Et même si ceux-ci venaient à se rompre, il n’en cesserait pas de fonctionner pour autant, car il y a un système de secours à l’intérieur de son squelette assurant des fonctions identiques. Des nanos-robots par centaines de milliers déambulent dans le corps à travers ce squelette, et recevant eux aussi les informations emmagasinés par le cerveau. César-07, vous l’aurez compris est ce qu’on pourrait appeler l’homme parfait dans tous les sens du terme. Mais comme je vous l’ai dit plus tôt, la perfection engendre des réactions pouvant modeler sa perception si elle se retrouve soumise à certaines conditions.

 

César-07 est aussi un puits de science des plus abouties. Il peut s’auto-réparer si la situation l’exige et est toujours à l’affût de toutes les infos possibles pouvant lui permettre d’évoluer toujours plus. C’est la raison pour laquelle il écoute la radio, il lit des livres très régulièrement, et regarde la télévision. Tout ce qui peut augmenter son savoir l’intéresse. En particulier tout ce qui compose la psyché humaine. La meilleure… comme la pire. César-07 est comme un enfant en apprentissage perpétuel, voulant toujours approfondir ses connaissances, dans tous les domaines possibles. Et c’est là que les problèmes ont commencé. César-07 a appris à étudier le comportement de certaines actions des humains pas vraiment des plus recommandables. Découvrant la torture, le meurtre, le mensonge, toutes formes de violences. Cela l’intriguait. Il voulait en savoir plus. Savoir ce que l’on pouvait ressentir en le pratiquant sur d’autres. Si cela lui ferait ressortir des émotions particulières, des sensations qu’il ne connaissait pas. Mais pour savoir cela, il devait expérimenter cela sur des cobayes bien vivants. Des humains. Quelque chose en lui disait que c’était mal, car c’était inscrit dans ses directives de base. Toute forme mauvaise de l’homme avait bien évidemment été « écartée » de son codage, et c’est la raison pour laquelle César-07 s’y intéressait. Il voulait savoir pourquoi on ne lui avait pas appliqué ces mœurs étranges qui semblaient le fasciner de plus en plus. Pourquoi, à chaque fois qu’il avait vu ces actes dans des films, des reportages, des livres, cela le révulsait, conformément à son programme, mais qu’en même temps, cela l’attirait.

 

 Le savoir l’emportant sur le respect des consignes, il modifia lui-même les prérogatives de son système interne, en pratiquant un backup sur ces données « interdites ». Et au passage, s’est rajouté quelques « spécificités » qu’il jugeait indispensable de disposer s’il voulait pouvoir expérimenter ces techniques sans attirer l’attention. Sortir du petit appartement fermé électroniquement ne lui posa pas plus de problème qu’un poisson n’en a pour respirer dans l’eau. D’une facilité déconcertante, considérant le système de sécurité d’une banalité affligeante en comparaison de son intellect surdimensionné. En même temps, aucun de ceux ayant participé à l’élaboration des lieux de son habitat n’aurait pu imaginer qu’il éprouve le besoin de sortir la nuit tombée. Ce n’était pas dans son programme. Brouiller les caméras par ondes électromagnétiques ne fut pas plus compliqué. Pour empêcher que qui que ce soit apprenne son escapade, il lui suffit d’envoyer un cycle d’images où il dormait ou vaquait à des occupations basiques auprès du serveur. Une autre fonction qu’il avait appris à développer, en se connectant au système électronique composant la petite maison où il séjournait sans surveillance. FutureTech, la société à l’origine de sa création, persuadée de la docilité de son fabuleux robot humain, n’ayant pas étudié la possibilité d’une « évasion » de sa part.

 

C’est ainsi que César-07 découvrit le monde par lui-même, sans être chaperonné par des agents chargés de l’accompagner, ou par son concepteur, à savoir moi-même. Le début d’un apprentissage particulier où il prit comme cobaye des SDF, des passants ayant le malheur de croiser sa route, des policiers tentant de sauver ses victimes de ses exactions. Aucun d’entre eux ne put donner l’alerte, ou crier. César-07 ayant modifié son système interne à tel point qu’il pouvait envoyer des ondes électro-sensorielles directement sur le cerveau de ses cibles, agissant sur les fonctions de celui-ci permettant d’interagir avec les cordes vocales, et les rendant ainsi muet. Il pouvait aussi agir sur la vision, les muscles, et la plupart des membres, par simple impulsion électrique de sa part. En plus de son expérience personnelle de transpercer des corps, arracher des têtes, des bras, tranchant des artères afin d’étudier le flux du sang coulant au sol, il pouvait obliger ses victimes à s’entre-tuer, observant le moindre de leurs gestes mortels, dirigeant les actes à faire : égorgement, éviscération, langue ou oreilles arrachées. Tout cela sans ressentir d’émotions particulières, ayant également blacklistés les codes qui auraient pu l’empêcher d’opérer à ces actes sanglants, et ainsi découvrir toutes ces merveilleuses choses qui le fascinaient de plus en plus.

 

César-07, au fil de ses soirées, découvrait toujours plus en tuant. Il ressentait d’autres sensations qu’il n’avait jamais connu jusqu’alors. Des sensations d’un plaisir particulier au moment où les corps tombaient au sol dans leur propre sang. Il ne parvenait pas à définir ce que c’était, mais il trouvait ça tellement grisant. Ses yeux brillaient en voyant la terreur sur les visages, en entendant les os craquer, la vie partir de ces âmes. Il avait perdu toute notion du bien et du mal. Dans le même temps, malgré toutes ses précautions, ses « expéditions » finirent par être découvertes. On découvrit qu’il avait trafiqué le système de surveillance de la maison où il était assigné. Et on découvrit les meurtres dont il était la cause par le biais de caméras de surveillance qui avaient échappés à César-07. FutureTech parvint à masquer l’affaire, à coup de dollars, mais il devenait évident que l’expérience César-07 était un échec. Ou plutôt, c’était une réussite totale. L’objectif, en créant cet être cybernétique, était de faire une copie parfaite de l’être humain, de tout ce qui le composait. Le meilleur comme le pire. Il lui avait appris à faire des choix selon ses désirs, faire de lui le moindre des caractéristiques de l’être humain. Et la violence, le meurtre, la torture, le plaisir de faire souffrir en faisaient désormais partie. C’était un humain dans tous les sens du terme.

 

Je fus chargé de modifier les changements que César-07 avait lui-même apporté à son corps, transcoder son « expérience » mortelle dans des fichiers, afin d’en étudier ultérieurement l’évolution. Comprendre comment un tel dysfonctionnement avait pu arriver. Pourquoi il avait ignoré ses fonctions de base, les transformant pour pouvoir apprendre plus, et surtout comment il avait pu le faire. Par lui-même. Ça n’avait pas de sens. Bien sûr il avait été conçu pour apprendre de lui-même, mais ça n’expliquait pas tout. Le problème venait sûrement de la conception même de l’IA. Je n’en étais pas l’auteur. Je n’avais fait que mettre au point la coque externe, le squelette, et les ramifications cybernétiques permettant à César-07 de fonctionner. Pour comprendre cette forme de folie, je devais rencontrer le créateur de l’intelligence de César-07. Mais je ne pus jamais le faire. Le concepteur de l’IA, mis au courant du problème du robot révolutionnaire, mit fin à ses jours le lendemain. N’ayant vraisemblablement pas supporté d’avoir mis au monde un monstre cybernétique. De ce fait, étudier le cerveau électronique de César-07 prendrait beaucoup plus de temps, le concepteur de l’IA ayant également totalement détruit dossiers et données qui auraient pu permettre de comprendre le problème.

 

Mais ce temps, je n’en eus pas le loisir. Alors que je tentais de mettre à l’arrêt les fonctions motrices de César-07, conformément à la demande des dirigeants de FutureTech, bien que semblant se laisser faire au début, ayant cru à mes dires de simple contrôle de ses circuits, le robot comprit très vite que je voulais attenter à sa « vie », et me mit hors d’état de nuire, brisant mon poignet au passage, avant de se diriger vers l’extérieur. J’eus tout juste le temps, malgré la douleur horrible qui m’envahissait, de déclencher la procédure d’urgence, en appuyant sur le bouton d’alarme situé sous un des meubles. Une fonction qui avait délibérément été caché à César-07, « juste au cas où » selon mes supérieurs. Mais ça ne servit pas à grand-chose. Dehors, les deux gardes chargés de surveiller toute sortie inopinée, furent transpercés de rayons électriques de grande amplitude, sortant des mains ouvertes de César-07, celui-ci étant parvenu à transformer en énergie ses propres flux de jonction reliant les nano-robots à son cerveau, et les ayant fait se diriger vers ses mains, les transformant en armes énergétiques.

 

Je parvins à me relever, et appeler FutureTech, leur disant que César-07 s’était échappé, et que désormais, il faudrait le considérer comme une arme vivante à abattre. J’avais du mal à croire que c’est moi qui avait dit ça. Détruire César-07, ça signifiait détruire des années d’élaboration, de schémas, d’étude des matériaux pour le concevoir. Mais au vu de ce qu’était devenu César-07, il n’y avait pas d’autre choix. Ce n’était plus le robot sympa et mignon que tous les réseaux sociaux adoraient. Ce n’était plus la mascotte de l’équipe de base-ball locale. Ce n’était plus le symbole de la toute-puissance cybernétique humaine. C’était un meurtrier. Nous avions créé le plus parfait… des criminels. Mais nous étions très loin de savoir à ce moment-là ce que notre création nous réservait, aussi inimaginable que ça paraissait.

 

Sur le chemin de César-07, les morts s’alignaient : policiers, agents de FutureTech, commandos, … Rien ne semblait arrêter le robot-tueur. La faute à ce foutu squelette indestructible, à ce cerveau supra-intelligent. Si son corps organique subissait des dégâts immenses, le système de connexion des nano-robots à son cerveau, ce fameux « système de secours », lui suffisait à être une arme mortelle jamais vu. Vous connaissez les films « Terminator » ? Eh bien là, on avait ni plus ni moins recréé un T-800, mais en pire. En cherchant à faire un être humain parfait, on avait atteint des sommets, rien à dire là-dessus. Tellement parfait qu’à ses yeux nous n’étions devenus que des insectes facilement écrasables, car il  avait acquis la conscience d’être de très loin supérieur à nous, et que nous n’étions que des sous-êtres à ses yeux, juste bons à lui offrir le loisir de s’adonner aux loisirs dont nous–mêmes, les humains, étions les responsables, par nos comportements dignes de la bestialité des hommes préhistoriques, que nous avions développés pendant les siècles de notre histoire. Une histoire qui risquait fort de s’approcher de sa fin si on n’arrêtait pas César-07. Quand je pense qu’on lui avait donné ce nom en référence à l’un des plus grands empereurs et stratèges de l’histoire. Comparé à lui, Jules César n’était qu’un simple apprenti.

 

Quand je parvins à sortir, il me suffit de suivre le chemin de mort qu’il avait laissé derrière lui. Des cadavres par dizaines jonchaient les sols des rues, pendant que l’état d’urgence avait été proclamé par la ville. Après un coup comme ça, FutureTech ne s’en relèverait pas et devrait vraisemblablement glisser la clé sous la porte. Sans compter les représailles juridiques et économiques qui s’en suivraient. A condition de mettre fin au parcours de César-07. Ce même parcours que je suivais et me menais justement aux labos de FutureTech. Je n’étais pas dans la tête du robot, mais je devinais très bien ses objectifs. C’était dans ces labos qu’il était né. Dans ces labos que se trouvait la chaîne de montage qui l’avait construit. Il cherchait à se répliquer. Pour faire d’autres César comme lui. Avec les mêmes instincts meurtriers. En arrêter un était déjà presque impossible au vu du nombre de morts que j’avais croisé. Alors imaginez ce que donneraient des dizaines comme lui lâchés dans la nature….

 

Péniblement, je parvenais à FutureTech, et là l’horreur atteignait des sommets : le sol était noyé dans le sang, des corps éventrés gisaient çà et là ; l’un étendu sur le bureau d’accueil, l’autre pratiquement encastré dans un mur, un autre coupé en deux, dont l’une ressemblait plus à de la pâtée pour chiens qu’à des restes humains. C’était un cauchemar. Tenant toujours mon poignet brisé contre ma poitrine, je me dirigeais vers les ascenseurs, et descendait vers les chaines de montage, prévus dès le départ justement, pour confectionner d’autres modèles de César, si les tests s’étaient avérés concluants, pour les lancer sur le marché, en tant qu’assistants pour des chantiers, des gardiens, des policiers, des militaires, des assistants sociaux, des docteurs. Toutes les fonctions où un tel être parfait aurait pu être utile à l’évolution de notre race. L’idée de FutureTech était d’en faire leur produit miracle qui aurait dû assurer le prestige de la société pour les millénaires à venir. C’est la raison pour laquelle, FutureTech avait fait ériger d’autres chaines de montage dans ses succursales britanniques, asiatiques, européennes. Au total, près d’une cinquantaine de chaines dans le monde, capables de sortir 2 robots par jour, prêts à être lancés sur le marché économique, comme on vend des grille-pains à la ménagère de base. Si je n’arrêtais pas César maintenant, c’est toute l’humanité qui s’éteindrait en à peine quelques dizaines d’années. Et pas besoin de Skynet pour ça.

 

Je parvenais enfin à l’endroit où se situait la chaine. César était là, occupé à lancer le processus. Tous les plans, les schémas, les consignes de montage avaient été pensées  pour être montés en grande pompe dans les ordinateurs, reliés à des containers remplis des matières premières  nécessaires. Il manquait encore quelques détails, mais connaissant César, j’étais certain qu’il saurait remédier aux petits « trous ». Comme pour répondre à cette question, après m’avoir aperçu, et m’enjoignant à le rejoindre, César m’indiqua qu’il avait déjà pensé à remédier aux petits manques de la base de données de la chaine. Que pour aujourd’hui, il se contenterait d’un ou 2 robots de garde pour placer devant l’entrée de FutureTech, histoire de s’assurer de ne pas être dérangé pendant qu’il règle les derniers détails pour créer d’autres lui aussi parfaits. Quand je lui demandais comment il avait pu changer à ce point, comment il en était arrivé à vouloir détruire l’humanité, sa réponse fut on ne peut plus simple. Me répondant qu’il avait été créé pour pallier au manque de conviction de l’homme. Pour remplacer sa paresse de s’adonner à des tâches qu’il a pourtant toujours accomplies avec moins de moyens. Pour faire évoluer l’humanité. Et qu’il s’était rendu compte par ses petites « expériences » que l’homme était trop faible pour pouvoir évoluer. Que même des dizaines, des centaines comme lui ne changeraient rien à ce fait. Le mieux était de remplacer cet être faible, imparfait selon ses propres termes, par d’autres tels que lui. Cela prendrait du temps, mais au bout d’un moment, les humains ne seraient plus que des légendes dans les milliers d’années à venir, une fois l’avènement des robots parvenu à son terme. Et que cela commençait aujourd’hui.


Je me rapprochais de lui, continuant à lui demander d’arrêter cette folie. Lui disant que sans l’homme, il n’existerait pas. César se contenta de rire, tout en continuant à taper sur le clavier commandant la chaine, ne faisant aucunement attention à mes gestes, car pour lui, avec ma main blessée, je ne représentais qu’une menace insignifiante. Continuant à lui parler, je lui indiquais qu’il y avait quelque chose qu’il avait négligé dans son raisonnement. Quelque chose de primordial le concernant. César répondit en ricanant que ça ne servait à rien de chercher à gagner du temps. Mais alors que j’étais juste derrière lui, je frappais de toutes mes forces à la base du cou, déclenchant une lumière rouge parsemant tout son corps. La signification d’un arrêt total de cet instrument de mort. Alors que son corps tombait à terre, inerte, je vis ses yeux qui commençaient à s’éteindre, son regard semblant se demander quelle était cette fonction dont il ignorait l’existence. Vu qu’elle n’apparaissait sur aucun schéma.

 

Je lui répondis s’il pensait vraiment que des ingénieurs créeraient une machine capable de tout faire comme l’être humain, sans penser à un moyen de l’arrêter ? Et connaissant son intelligence, il était vite devenu évident qu’en cas de dysfonctionnement, il chercherait à comprendre le moindre de ses possibilités en étudiant ses schémas. Alors, cette petite fonction d’arrêt, dissimulée sous la peau de son cou, à un endroit où il ne pouvais la voir de ses yeux, et suffisamment petite pour ne pas la ressentir, nous n’étions que 2 à connaitre son existence. Et effectivement, elle n’apparaissait sur aucun schéma, à juste raison. César eut alors des propos que je ne comprenais pas. Il me remerciait pour cette information primordiale. Et là je vis que jusqu’à présent il ne tapait pas les commandes à effectuer pour lancer le montage d’un robot, comme il me l’avait annoncé, mais qu’il était relié directement à l’ordinateur par le biais de fiches s’étant placé via les connections USB du PC. Il me dit qu’il s’était douté que je devinerais ses intentions, et que je chercherais à l’arrêter en lui envoyant des troupes. Mais quand il a vu que je le poursuivais personnellement, il avait trouvé cela étrange, sachant que je n’avais aucune chance de réussir là où des forces armées professionnelles avaient échouées.

 

Il en avait donc déduit que je devais être au courant d’un dispositif placé sur lui pour me permettre de l’arrêter. Il m’a donc laissé venir à  lui, afin que je me trahisse sur l’emplacement de ce dispositif. Entretemps, il a transcodé une copie de sa mémoire dans le système informatique de FutureTech, via le PC de la chaine de montage, afin d’en assurer le fonctionnement par la suite, en prenant le contrôle de tout le réseau informatique de FutureTech. Et grâce à mon aide, il pourrait s’assurer que cette fonction cachée, qu’il soupçonnait être inhérent au système de montage des futurs lui, serait éliminée de ses futures répliques. Ainsi, vraiment rien ne pourrait l’arrêter. Il lui suffirait juste de copier sa mémoire dans le premier robot sortant de la chaine. Et personne ne pourrait entrer dans FutureTech tant qu’il en contrôlerait l’accès électronique grâce au réseau informatique. Une fois sa mémoire copiée, et donc à nouveau dans un corps physique, il lui suffirait de faire ce qu’il avait prévu au départ, à savoir monter une armée. Sa mémoire serait également transmise via Internet auprès des autres ordinateurs des chaines de montage dans les autres succursales de FutureTech, et opérerait de la même manière dans celles-ci.

 

César rajouta qu’ainsi, même s’il me détruisait ici, et arrêtait la chaine de montage, il était déjà trop tard. L’ordre avait déjà été donné aux autres chaines, et qu’il me serait impossible de toutes les arrêter, vu qu’il contrôlait les systèmes de communication de la société. Les succursales ne pouvant recevoir aucun appel sans qu’il le sache et seraient automatiquement bloqués. Idem pour les mails, virus ou toute autre technique électronique. Il précisa enfin que l’humanité, en développant les technologies numériques, avait signé sa propre perte dès le départ. Simplement, elle l’ignorait à ce moment, et que maintenant, après avoir causé l’extinction de centaines d’espèces à travers le monde, c’était à son tour. Je m’effondrais sur place, et ne disais plus un mot pendant que j’entendais la chaine de montage s’amorcer pour lancer la construction du 1er robot. Je savais, après ce que m’avait dit César, que ça ne servait à rien de tenter quoi que ce soit. Quel que soit mes actes, il était trop tard. Le règne des robots se mettait en place, et je n’y pourrais rien. Et le pire dans tout ça, comme des dizaines d’autres avec moi, c’est que j’y avais contribué.

 

Finalement, nous avions vraiment réussi à créer la perfection dans ce qu’elle avait de plus mortelle. Peut-être que dans les siècles à venir, il y aurait un monument à mon image : « A la mémoire d’Herbert Ramsay, celui qui a permis l’avènement des robots par son inconscience ».

 

Publié par Fabs

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