Je me nomme Charles Dexter Ward. Et ceci est le récit de ce
qui est arrivé le 31 octobre 2021… J’ai tout tenté pour parvenir à empêcher que
la prophétie décrite par mon ancêtre devienne une réalité, et au vu de ce qui
se dresse devant moi, j’ai conscience que j’ai sans doute échoué… A moins de
parvenir à déchiffrer les pages du Necronomicon… Et clamer la bonne formule
pour faire repartir les Grands Anciens vers leur dimension. Même si nous y
parvenons, moi, le Dr. West et le Professeur Pretorius, nous savons que ce ne
sera que provisoire… On ne peut pas détruire ce qui est indestructible et qui a
permis à l’humanité d’exister. Quelque part, nous leur sommes redevable. Mais
notre existence n’était qu’un sursis, nous l’avons compris en lisant les notes
du journal de mon aïeul. Nous n’étions en fait que des poupées, des
marionnettes sans fil lancées sur un plateau fait de terres, de mers et de
forêts, sans connaitre les règles nous permettant de survivre.
Nous avons cru avoir compris ce qui pouvait faire durer la
partie engagée il y a des milliers d’années de cela, mais tout n’était que
leurre, duperie, et faux-semblants mis en place par ces maitres des dimensions.
Ils nous ont laissé nous perdre dans les méandres de ce qui constitue la Terre,
nous faisant croire que nous avions gagné le droit de continuer à vivre. Mais
au final, la partie était joué d’avance, quel que soient nos choix… Et
maintenant que je voie devant moi ces créatures gigantesques sortant de ce lac
immense dont les eaux tournoient, et se parant de couleurs opaques faisant
ressortir nos terreurs les plus anciennes du fond de notre être, je peux dire
ce qu’est la vraie peur. Cthulhu, Dagon, Nyarlathotep… Je vois leurs visages se
dessiner déjà à la surface des eaux, venant du véritable R'lyeh. Tout ce qui
était décrit dans les livres des érudits situant la position de ce royaume étaient
faux. J’en ai la preuve devant moi, en apercevant les contours de cette cité
mythique au fond des eaux, alors que l’opacité qui les caractérisaient
s’atténue au fur et à mesure que ses maîtres commencent à émerger devant nous…
Nous ne pouvons fuir sans tenter d’achever le rituel. Seule
solution pour empêcher que l’Halloween de cette année ne devienne le dernier… Comment
avons-nous pu en arriver à cette situation vous demandez-vous sûrement ?
Je ne sais pas si j’aurais le temps de vous la conter avant que ces fléaux
vivants ne soient complètement sortis, tout en espérant que West et Prétorius
parviendront à occuper suffisamment les maitres de R’lyeh, mais je vais essayer
quand même, afin que vous sachiez pourquoi la Terre se retrouve en proie au
désespoir qui sera engendré par la marque des Grands Anciens, avant de
disparaitre et retourner au néant d’où elle vient…
Mon périple a commencé il y a bien longtemps, alors que je
venais d’avoir mes 35 ans. J’ai hérité de la maison de mes parents à leur mort,
une disparition dont j’eus beaucoup de mal à me remettre. En voulant remettre
un peu d’ordre dans le grenier, à la recherche d’objets de valeurs pouvant être
revendus, et me permettre de subvenir à des besoins financiers devenus
importants, je suis tombé sur un arbre généalogique, au milieu d’autres
documents, à l’intérieur d’une malle, mise à l’écart des autres, dans un recoin
sombre. Comme si mes parents avaient voulu qu’on n’en ait pas connaissance. Je
découvris ainsi l’existence d’un aïeul, Joseph Curwen, ainsi que des coupures
de journaux de l’époque, indiquant un massacre perpétré au sein de sa demeure,
par une populace menée par l’ancien amant éconduit de l’épouse de Corwen.
Un mariage quelque peu arrangé, comme cela se faisait beaucoup
à l’époque. Le père de la future épouse de Curwen, une certaine Eliza
Tillinghast, ayant contracté de fortes dettes envers mon aïeul, le mariage de
sa fille avec ce dernier lui permettait d’éponger celles-ci. Et surtout, il donnait
l’occasion à Curwen de faire taire les rumeurs le traitant de sorcier, du fait d’étranges
lueurs venant de sa demeure, des cris en plein cœur de la nuit, et des
cargaison étranges par des hommes louches, bien connus des forces de police,
pour tremper dans des affaires morbides. Ce mariage lui assura une vie à priori
normale auprès des autres habitants de la ville de Providence où il demeurait. Cependant
l’ancien amant d’Eliza, Ezra Weeden, qui avait été forcé de rompre ses fiançailles
au profit de Curwen, n’acceptait de s’être fait ainsi voler la femme qu’il
aimait de tout son être.
Il s’introduisit dans la maison de son rival, et découvrit
que celui-ci s’adonnait à des rites sataniques, par des incantations, et la
maison tout entière était parsemée d’objets ésotériques étranges, ainsi qu’un
tableau à l’effigie du propriétaire des lieux. Un portrait d’où émanait une
aura sombre et malfaisante. Il n’en fallut pas plus pour relancer les rumeurs
de sorcellerie à l’encontre de Curwen, et Ezra forma une milice auprès de la
population, afin de mettre fin aux méfaits du sorcier de Providence. Une
expédition qui se finit en carnage, causant 8 morts, en plus de Curwen, de
manière horrible, les cœurs arrachés, et donnés aux chiens vivant au sein de la
demeure, les têtes tranchées, vidées de leur contenu, remplies de paille, avant
d’être brûlées à l’extérieur, formant un immense brasier.
Depuis, la demeure est restée à l’abandon, et personne n’ose
s’en approcher, considérée comme maudite. Apprenant cela, je voulus en savoir
plus sur l’histoire de Joseph Curwen, et je réunis un grand nombre de
documents, farfouillant dans les bibliothèques de la ville où je demeurais,
demandant conseil aux rares personnes encore en vie ayant connu mon aïeul, et,
poussé par une curiosité qui aurait pu être considéré comme malsaine, au vu du
passé rempli de diableries de mon ancêtre, je me rendis donc à Providence, afin
d’en savoir plus, acquis pour presque rien l’ancienne propriété abandonnée, et
continua mes recherches en son sein. C’est ainsi que je découvris le fameux portrait
évoqué dans les documents que j’avais trouvé dans le grenier de ma maison. Je remarquais
une boursouflure à son arrière, et découvris un journal, ainsi qu’un livre à la
couverture curieuse. Je me glaçais d’horreur en découvrant que celle-ci était
faite de peau humaine, et ses pages écrites avec du sang.
En parcourant le
journal, j’en appris plus sur Curwen. Celui-ci vouait un culte à des créatures
qu’il nommait les Grands Anciens, qui étaient, selon ses dires, celles qui
avaient permis à l’humain d’exister. Des noms atypiques garnissaient les pages.
Des noms tels Cthulhu, Dagon, Yog-Sothot, Nyarlathothep… Et surtout, il était
question d’une prophétie dont l’achèvement se déroulerait le 31 Octobre 2021,
mettant fin à l’humanité telle que nous la concevons, car ce jour signifierait
l’avènement des créatures mentionnées précédemment, afin de réduire les hommes
à l’état d’esclaves pour les plus chanceux, ou servant d’expériences toutes
aussi horribles les unes que les autres, et qu’il m’est impossible de décrire ici,
tellement elle me révulsent d’horreur, et emmenés dans d’autres mondes. Dans ce
journal, il est indiqué enfin que le livre trouvé également joint au journal, n’était
qu’une copie d’un véritable livre. Le sang utilisé n’était que du sang de
cochon, et la couverture fabriquée artisanalement par un maroquinier de la
ville, à la demande de Curwen, comportant des formules factices. En tout cas,
pour sa majorité…
La folie de Curwen s’étant accumulée au fil des ans, l’ayant
fait imaginer des formules aussi aberrantes les unes que les autres, à partir
de textes d’origine sumérienne ou mésopotamienne. En fin de compte, ce livre n’était
que le symbole de la déchéance mentale dans laquelle était tombé mon aïeul.
Mais il était dit que le livre original, créé par un certain Abdul Al-Hazred,
un poète arabe connu pour avoir prétendu être en contact avec des êtres d’une
autre dimension, qui créèrent le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui,
s’est vu dicté des formules incompréhensibles par la plupart des êtres humains.
Ces formules ayant pour fonction de faire de ceux les comprenant, de fidèles
vassaux aux Grand Anciens, le nom utilisé par Abdul Al-Hazred, leur évitant de
devenir des morceaux de chair ou des esclaves, une fois la prophétie du Jour de
la Libération accomplie. Il relaya ces formules au sein d’un livre maudit, dont
la couverture est faite de véritable peau humaine, et ses pages écrites avec du
sang de sacrifiés à cet avènement à venir. Il était enfin indiqué que si un fou,
pensant pouvoir comprendre le langage impossible, trouvait la bonne formule, il
serait à même d’empêcher que la prophétie s’accomplisse. Mais que pour cela, il
fallait qu’elle soit récitée au sein même des montagnes où se situait R’lyleh,
en plein cœur de l’antarctique, au sein d’une cité souterraine.
Avant d’y parvenir, il leur faudrait affronter les gardiens
de la cité, les Shoggoths, et d’autres créatures inférieures, animaux de
compagnie des seigneurs de R’lyeh. Tout ceci me semblait d’une telle absurdité
que j’avais du mal à croire que quelqu’un puisse y croire. Cependant, les
évènements suivants cette découverte allait me faire changer d’avis… Après
avoir passé la nuit dans la demeure, où je fus envahi de cauchemars abominables
où m’apparaissait des ombres gigantesques semblant me dévisager, d’où sortaient
des sortes de tentacules immenses, touchant mon corps et mon visage, et me
faisant me réveiller à plusieurs reprises, trempé de sueur, je fus pris par une
idée folle… Était-ce par amusement, ou bien simplement pour tester la véracité
des informations grand-guignolesques que j’avais trouvé ? Toujours est-il
que je récitais une des formules présentes dans la copie du livre maudit que
mon ancêtre nommait le Necronomicon. Il y en avait une qui était écrite de façon particulière, et
qui attira mon attention, rédigée en partie en latin, et l’autre en hébraïque.
C’était la seule qui était ainsi. Toutes les autres étaient dans un anglais
quelque peu rudimentaire. Je me risquais donc à réciter cette formule, sans
conviction aucune. Plus par amusement que par réelle assurance d’avoir un
résultat. Mal m’en a pris.
Car c’est à partir de ce moment que je compris que toutes les
notes du journal étaient la pure vérité… A peine l'incantation terminée de clamer,
qu’un froid intense parsema toute la maisonnée, me faisant frissonner l’échine
de mon corps. Des formes fantomatiques sortaient du livre où se situait la formule
maudite, se propulsant à l’intérieur de ma gorge, ayant eu l’imprudence de garder
la bouche ouverte, surpris par leur apparition, et me faisant lâcher le livre
au sol. Je restais plusieurs heures l’air hagard, ne sachant plus trop où j’étais,
la tête me tournant. Je ne voyais plus devant moi, et je titubais… Tellement que
je ne vis pas que je me dirigeais vers une fenêtre, ouverte par un vent
puissant, l’instant d’avant, comme pour guider mes pas, et me faire découvrir l’impensable.
Je tombais dans le vide, m’écrasant tête la première sur le sol carrelé en bas.
N’importe qui serait mort sur le coup…
Mais pas moi… Quand je découvris ce fait, j’eus l’instinct de
faire d’autres « essais ». Tous concluants… Je ne pouvais plus mourir…
J’étais devenu immortel… Cette révélation me plongea dans l’angoisse, et par la
suite, mes cauchemars me faisant entrevoir les silhouettes de ces figures titanesques
et monstrueuses s’amplifièrent. Comme un appel à me montrer ma destinée. Dès
lors, je réunis d’autres informations à travers le monde, parcourant les
continents, grâce à l’argent obtenu de la vente de certains objets, dont je n’indiquais
bien évidemment pas la provenance. Je parcourus des centaines de pays durant toute
mon existence, espérant parvenir à trouver les éléments susceptibles de contrer
la prophétie.
Ma pugnacité me permit
de trouver au cours de ces années de périple la Cité Sans Nom évoquée par Abdul
Al-Hazred, au cœur du désert arabe, près de Sana’a. Elle est aussi connue en temps
que la légendaire Iram, la ville détruite par Allah, car ses habitants,
descendants de Noé, et faisant partie de la tribu d’Ad, pratiquaient les
sciences occultes, vivant en décadence, ce qui irrita les cieux. La ville fut
ensevelie sous les sables pour que plus personne ne puisse ressentir les effets de
celle-ci. On dit que celui qui parviendrait à la découvrir deviendrait fou en voyant
la nature de ses gardiens, des créatures à l’allure reptilienne, qu’on dit issu
d’un autre monde.
En fait, il n’y avait rien de tout ça au sein de la cité
mythique, surnommée aussi l’Atlantide des sables. Aucune créature reptilienne,
aucune momie sortant de leurs sarcophages, comme indiqué dans d’autres récits. Mais
j’y trouvais quelque chose de primordial pour ma quête. Le Necronomicon. Le
seul et unique. Celui dont le langage incompréhensible pourrait permettre d’éviter
l’asservissement de l’humanité par les seigneurs de R’lyeh… Dès lors, une autre
quête s’imposa à moi. Trouver quelqu’un à même de comprendre ce langage, le
traduire et lui demander de trouver LA formule permettant de fermer le passage
qui s’ouvrira le 31 octobre 2021, et faisant sortir de leur dimension les
Grands Anciens et leurs créatures abominables.
Une quête qui me mena
au sein de la ville d’Arkham, et plus précisément à son université où je
rencontrais le Professeur Pretorius, le recteur de celle-ci. En premier lieu, quand
j’évoquais la prophétie, R’lyeh, les Grands Anciens et le reste, il me prit
pour un fou prêt à enfermer, et il me demanda de partir. Et c’est un hasard bienvenu
qui le fit changer d’avis. Par le biais du chef de la section Science de l’université,
Herbert West. En rassemblant mes affaires sorties de ma serviette, ma maladresse,
ou peut-être était-ce mon angoisse, me fit tomber au sol le Necronomicon. Dès
qu’il le vit, les yeux de West s’écarquillèrent, reconnaissant en lui le sujet
d’une thèse sur le domaine occulte qu’il avait tenté de proposer au recteur,
quelques années auparavant. Une thèse qui lui avait valu une note
catastrophique, et qui l’avait décidé à bifurquer vers un autre domaine
scientifique. Celui de la chimie et l’étude de l’anatomie humaine.
Cependant, ces recherches n’étaient que la surface de ses
véritables passions, qui était de vaincre la mort par la science. Au cours des
années, il avait accumulé les expériences de tout type pour parvenir à trouver
le moyen de faire revivre les morts, et battre Dieu sur son propre terrain. Il
y avait 36 ans de cela, alors qu’il n’était encore qu’un jeune étudiant de 20
ans, en 1985, il avait mis au point par hasard un sérum révolutionnaire allant
dans ce sens. Seulement, son utilisation avait causé des conséquences
catastrophiques au sein de l’université, dont les remous s’étendirent au-delà
du campus. Bien que Pretorius parvienne à masquer les faits,
cachant les preuves, il restait quelques vestiges de ce qui s’était passé ce
jour-là. Le sérum mis au point par West avait certes vaincu la mort, mais de
façon incontrôlable. Transformant les quelques étudiants à qui il l’administra,
leur cachant sa véritable nature, en zombies créant le chaos. Les créatures
créées par le sérum de West furent finalement maitrisées, mais plusieurs morts
furent à déplorer, dont le supérieur de l’époque de West, ainsi que sa petite
amie.
L’université comporte encore quelques stigmates de cet
évènement malheureux. Mais la vue du Necronomicon fit briller les yeux de West,
qui voyait en ce livre mythique l’occasion de renouer avec le rêve de sa vie :
vaincre la mort. Ce livre était connu pour renfermer des formules permettant de
ressusciter les morts. Pretorius voulut réfréner les ardeurs de West, lui
rappelant ce que ses frasques avaient provoqués en 1985, et qu’il n’avait pas
envie de revivre ça… Mais après plusieurs heures de discussions intensive, West
et moi parvinrent à convaincre Pretorius de nous prêter assistance, et de
tenter de déchiffrer le langage du Necronomicon… Cela prit plusieurs années
avant que Pretorius parvienne à « casser », si l’on peut en parler
ainsi, la clé pour parvenir à déchiffrer, du moins en partie, les formules du
livre. En prenant la même méthode qui avait permis de traduire la Pierre de
Rosette.
Certains signes du livre étant proches du mésopotamien et d’une
forme très ancienne de grec, celle qu’on suppose être les prémices du langage
de la mythique cité de Mû. Il réussit à décoder plusieurs formules, grâce à
cette méthode. Mais beaucoup d’entre elles restaient incomprises en grande
partie, car il manquait encore quelques éléments intraduisibles. Néanmoins, nos efforts conjugués nous firent obtenir la
traduction de près de 75 % de la traduction du Necronomicon et ses formules.
Nous étions alors en 2019, et la date fatidique approchait à grand pas. Bien qu’incomplètes, et les formules traduites ne nous ayant pas permises de trouver celle
nécessaire pour « fermer » la porte de R’lyeh, il fut pris la
décision d’organiser une expédition pour nous rendre en Antarctique. Là où,
selon le journal de Joseph Curwen, mon ancêtre, se trouvait peut-être la
dernière « clé » pour traduire le reste du Necronomicon, et empêcher
l’avènement des Grands Anciens sur notre planète, le jour d’Halloween. C’est
assez ironique en y pensant cette date. Le jour de la fête des esprits, des morts
et autres créatures issus des folklores celtes, serait le même jour où l’humanité
serait à la merci des seigneurs de cette dimension cauchemardesque où se
trouvait R’lyeh…
« Il faut sauver Halloween »… Cette idée germa dans
mon esprit, me faisant penser au titre d’un mauvais film SF des années 50… Quoi
qu’il en soit, Pretorius fit appel à un collègue retraité pour s’occuper de
gérer l’Université en son absence. Il lui expliqua la
raison de son départ, en lui disant qu’il participait à une expédition
scientifique de grande ampleur, mais sans donner plus de précision. Et que le
Dr. West l’accompagnait, ainsi qu’un érudit bien connu du monde littéraire. Je
dois avouer que j’étais impressionné par la faculté de Pretorius à manipuler
les gens, leur mentir de façon éhontée, surtout me concernant, et masquer les
secrets les plus inavouables. Mais je me gardais bien de lui dire, pour éviter toute
controverse de sa part. Ainsi, nous parvînmes non sans mal à notre objectif, après
plusieurs mois pour réunir le matériel et les autorisations nécessaires, ainsi
que les différents modes de transports utiles à notre voyage, aidés par
plusieurs subventions obtenues par le professeur Pretorius. L’antarctique…
Là encore, nous dûmes faire face à de nombreuses désillusions
et faux espoirs, entamant régulièrement notre moral quant à découvrir enfin les
montagnes où se situait notre but. Des mois passés à parcourir ces étendues
glacées, à lutter contre les froids polaires et la fatigue, à nous rationner et
élaborer des stratégies quant aux lieux où pouvait se trouver R’lyeh… Plusieurs
fois nous faillîmes perdre courage et abandonner tout espoir d’arriver à nos
fins, découragés de ne pas trouver la moindre piste… Et finalement, fin
Septembre 2021, nos efforts furent récompensés… au hasard d’une halte dans une
grotte, nous perçûmes des bruits étranges venant de plus bas. La grotte en
elle-même était d’une splendeur incroyable. La lumière du soleil filtrait par
de petits interstices de la montagne, terminant sa course sur des stalactites
et des stalagmites aux formes bizarres, très différentes de ce que nous
connaissions. D’étranges volatiles furent également aperçus. Des créatures inconnues
jusqu’alors, voletant au-dessus de nous, comme si elles nous surveillaient. Aux
allures de chauve-souris, mais dotées d’ailes bien plus grandes que la normale.
Et elles comportaient des sortes de ramures sur la tête, semblables à celles
des cerfs élaphes, mais en plus petites, et s’allongeant vers l’arrière, jusqu’à
suivre l’étendue de leurs corps. Le cri qu’elles poussaient parfois nous
brisaient les tympans de manière très douloureuse.
Au départ, nous pensions que ces bruits curieux venaient d’elles.
Mais c’était bien plus rauque. Ça ressemblait à un cri poussé par un animal
bien plus gros, c’était une évidence… Nous nous concertâmes, et prirent la
décision de nous diriger vers l’origine des cris, nous enfonçant toujours plus
dans la grotte. Je ne saurais dire combien de kilomètres nous parcourûmes
ainsi, des dizaines sans doute. Et plus nous nous enfoncions à l’intérieur de
la grotte, plus nous avions l’impression de nous diriger vers le centre de la Terre.
L’air devenait moins froid, plus respirable, ce qui, au vu du continent où nous
nous trouvions en surface quelques heures auparavant, était totalement
illogique. Nous vîmes d’autres créatures toutes aussi bizarres les unes que les
autres, semblant sorties tout droit de récits de science-fiction ou de livres
de fantasy. Des sortes de phacochères dotés de 2 queues, et d’écailles sur leur
dos, des petits lézards se déplaçant sur les parois, de couleurs variées,
allant du bleu turquoise au rouge vif, et émettant une lumière fluorescente.
Mais ce que nous trouvâmes ensuite devant nous fut bien plus dangereux. Et nous
démontra que nous étions assurément sur la bonne voie…
Comment décrire cette bête ? Une « chose »
dépourvue de toute logique anatomique, comportant huit pattes, dont les poils sur
le corps semblaient être proche d’une forme de gélatine, suintant, et dont des
morceaux tombaient au sol, au fur et à mesure qu’elles s’avançaient. Elles avaient
de multiples yeux, au nombre différent suivant les spécimens rencontrés.
Certains en avaient 8, d’autres 12. Leurs pattes étaient munies de sortes de
sabots, comme les chevaux, mais dessinant un triangle, avec deux rainures en leur
extrémité. Et trois rangées de dents acérées, d’où une bave sortait en alternance
avec une sorte de mucus, tel qu’on en voit parfois au pied des arbres. Mais ici
de nature bien plus liquide, avec des sortes de points noirs en leur milieu. Comment
était-il possible qu’une telle monstruosité puisse exister ? Et ici, dans
les tréfonds d’une grotte de l’Antarctique… C’était totalement inconcevable. Je
me rappelais le terme de Shoggoth dans le journal de Curwen. En y repensant, la
description qu’en donnait celui-ci était assez proche de ce qui se trouvait
devant nous. Au départ, ces bêtes à la taille disproportionnée, semblaient se
contenter de nous observer… Sans doute se demandaient-elles ce que nous étions,
n’ayant vraisemblablement jamais vues d’humains sur leur territoire. Mais ce
sursis fut de courte durée…
L’une d’entre elles se rua sur nous, et était-ce moi qui
avait la berlue ? Mais elle semblait grossir au fur et à mesure qu’elle courait
vers nous. Pretorius brisa une stalactite avec son piolet, se positionnant
devant la bête devenue titanesque. West et moi nous demandions ce qu’une arme
aussi ridicule face à un tel monstre pouvait bien faire… Mais nous eûmes notre
réponse presque immédiatement. Pretorius lançant avec force la stalactite vers l’un
des yeux du shoggoth, au moment où celui-ci tombait vers lui, fendant l’air juste
au-dessus de son corps, tel un chien tentant d’attraper son os. Le piquet de glace
se ficha en plein milieu, provoquant ce qui se fit ressentir comme une douleur
atroce au monstre. Celui-ci, tombant sur le sol glacé, et tentant de se défaire
de l’objet provoquant son mal.
Pendant ce temps, le deuxième shoggoth présent eut l’air de
se mettre en position de défense, tout comme les autres à ses côtés, en voyant leur congénère se tordre de douleur,
et dont les cris résonnaient dans toute la grotte. Ils reculaient, nous regardant
passer en courant, alors que nous profitions de leur désarroi. Plus tard, après
une course effrénée de plusieurs minutes, nous nous trouvâmes dans un endroit
qui n’avait aucun sens, auquel se rajoutait une beauté incomparable. Sous nos
pieds se trouvait, fichée dans la paroi, une sculpturale cité, dont les structures
luisaient de toute leur splendeur. Illuminée par un filet de lumière qui
semblait émaner d’un immense lac, dont il était difficile de déterminer la
grandeur. Tout autour de nous, les parois de la grotte diffusaient également une
lumière intense, et donnait l’impression d’être en plein jour. C’était juste…Irréel…
Mais nous n’eûmes pas beaucoup de temps pour admirer
davantage le magnifique paysage devant nous, car déjà nous entendions le bruit
des pattes des shoggoths, qui s’étaient apparemment remis de leur surprise,
nous foncer droit dessus, à toute allure. Pris de panique, nous écartions toute
prudence pour leur échapper, et entreprîmes de descendre la paroi abrupte, en
suivant une sorte de rigole, vestige sans doute d’un ancien ruisseau, et devenu
un véritable toboggan naturel. Il ne nous fallut que quelques minutes pour
arriver en bas, pendant que les shoggoths, passant par un autre versant, continuaient
de se diriger vers nous. Nous nous dirigeâmes vers ce qui semblait être le bâtiment
principal de cette incroyable cité. Une sorte de temple, comportant des piliers
avec d’étranges dessins, semblables à ceux que l’on trouvait au sein du
Necronomicon, mais aussi sur le journal de Curwen.
Nous pressions le pas, afin de faire en sorte de pénétrer
dans le temple avant que les Shoggoths ne nous rejoignent, pensant y trouver la
porte de notre salut. L’entrée de ce dernier étant de nature très étroite, les
monstres à notre poursuite ne pourraient jamais s'y glisser… Après plusieurs
mètres de course, ce que nous pensions se confirma : les shoggoths n'avançaient pas. Ou plutôt ils donnaient l’impression de ne pas essayer. Au
vu de leur masse, il leur aurait été aisé de forcer le passage des pierres
formant l’entrée. Pourtant, ils s’arrêtèrent net devant celle-ci. Comme si ce
temple était tabou pour eux, et qu’ils n’avaient pas le droit d’aller plus
avant. Une chance pour nous. L’intérieur du temple était tout aussi
extraordinaire que l’extérieur. D’immenses piliers sculptés aux effigies de
ceux du livre figuraient aussi dans les lieux. Ainsi que des statues
colossales, portant des noms sur leur piédestal. Pretorius traduisit ces
derniers. C’étaient les mêmes que ceux évoqués dans le journal de Curwen.
Cthulhu, Dagon, Nyarlathothep, Yog-Sothot… Mais aussi d’autres qui n’y étaient
pas indiqués : Azathoth, Hastur, Shub-Niggurath… Bientôt, Pretorius nous appela,
West et moi. Il avait trouvé une grande salle où figuraient des fresques
immenses…
Nous le rejoignîmes et ne purent qu’être estomaqués par ce
qui se trouvait sur les parois de la salle. Des fresques sculptées à même la
roche, semblant représenter une guerre ayant eu lieu il y avait des milliers d’années
sur Terre. Bien avant l’ère des dinosaures. Y étaient représentées des
créatures que Pretorius traduisit du nom d’Ythien. Une race extraterrestre qui
fut la première à élire domicile sur notre planète. Ses représentants se
formait d’une sorte de corps longiligne, comportant des stries un peu partout,
surmonté d’une tête aux allures de coléoptère, et de dizaines d’appendices de
diverses formes tout autour du corps : torse, dos, et cou. Ils furent bientôt
rejoints par une autre race d’un autre monde, désireuse de prendre leur place
sur Terre. Ils s’appelaient les Polypes Volants. Puis vinrent les Très Anciens,
des créatures à mi-chemin entre l’animal et le végétal de plus de deux mètres
de hauteur, comportant des ailes membraneuses, et divers appendices eux aussi
disposés sur tout le corps. Ces 3 races se livrèrent une guerre sans merci, qui
conduisit à la fin des Polypes Volants et des Ythiens. Bien que ceux-ci ne
soient pas vraiment morts, car leurs esprits demeurent toujours sur Terre, dans
des endroits reculés, et sont capables de prendre possession de corps humains,
leur donnant leur savoir le temps où ils investissent leurs hôtes.
A en croire ces récits, les Ythiens pourraient être les
premiers cas de possession que la Terre ait portés, quand l’homme est apparu. Quant
à la race des Très Anciens, ce sont eux qui ont érigé cette cité, ainsi que d’autres
qui parsèment les sous-sols de la Terre. Ce sont également eux qui ont créés les
Shoggoths, ces créatures monstrueuses que nous avons croisées. Ces derniers
étaient des sortes d’esclaves des Très Anciens, avant qu’ils se rebellent contre
leurs maitres, et provoquant leur extinction. Ce n’est qu’après leur
disparition que sont apparus les Grands Anciens, qui ont investis les vestiges
des cités des Très Anciens, dont la mythique R’lyeh évoquée dans le journal de
Curwen, à une époque où aucune forme de vie n’existait sur Terre. Ces sont eux
qui sont à l’origine de la naissance de l’homme et des autres espèces peuplant
la Terre. A en lire ce qui était écrit, les premiers cultes de l’Homme sur
Terre sont dû aux Grands Anciens, et se perpétuent encore aujourd’hui.
Cependant, ces derniers sont soumis à des phases de sommeil plus ou moins
longues, et leur réveil est la cause des multiples catastrophes naturelles qui
ont parsemé la Terre lors de son histoire. Éruptions volcaniques, tremblement
de terre, tsunami… ne sont que la conséquence de ces réveils. Durant ces phases
de réveil, les Grands Anciens recrutent des esclaves, et s’assurent de la
continuité de leurs cultes.
Plus loin, Pretorius découvrit un texte où était évoqué la
Prophétie du Dernier Mouvement, telle qu’elle était indiquée à travers les
fresques. Selon celui-ci, la création de l’homme n’était au départ qu’une sorte
de passe-temps pour ces créatures antédiluviennes venus d’autres mondes. Un jeu,
où le but était de nous voir évoluer, découvrir des connaissances, observer comment
nous utilisions les ressources de la planète… Avec un temps limité, ponctué de phases
de « contrôle », afin de voir nos progrès. C’est ce qui ponctue les « réveils ».
Si à l’issue de la fin de ce « test », car c’est bien ainsi qu’il est
évoqué, l’homme n’a pas prouvé qu’il mérite de continuer seul, en montrant son
entente entre ses différentes espèces, il sera purement et simplement éliminé
sans concession. Et les Grands Anciens détruiront la Terre, afin de reconstruire
un autre « jeu », ailleurs dans l’univers… Et la « date limite »
se situe donc le 31 Octobre 2021.
Si à cette date, l’Homme n’a pas prouvé qu’il peut faire
autre chose que se battre et détruire les ressources naturelles mises à sa
disposition pour le jeu, il sera annihilé. Seule solution pour échapper à ce génocide
mondial et irrévocable : obtenir un sursis en récitant « L’Invocation
du Pardon », présente dans le Necronomicon. Le livre dicté à Abdul
Al-Hazred, pour inciter les hommes à changer, en implorant les Grands Anciens
de leur laisser une chance supplémentaire… Un sursis dont la durée
sera proportionnelle à leur existence sur Terre jusqu’à maintenant… Si l’invocation
n’est pas faite le jour dit, il n’y aura plus d’humanité… Ces paroles étaient
terribles, et il devenait d’une nécessité absolue pour nous de trouver la bonne
formule. Durant notre voyage, Pretorius était parvenu à traduire d’autres
pages. Et aujourd’hui, 95 % de ce dernier était compréhensible. Mais aucune
trace de « l’Invocation du Pardon », permettant d’obtenir ce sursis pour
que l’Humanité obtienne de survivre pendant encore quelques milliers d’années… Il
ne restait alors que quelques jours avant de traduire le reste du livre, et
Pretorius espérait se servir des écritures des fresques pour y parvenir à
temps. Ce même temps qui nous était compté…
Et voilà que je reviens au temps présent… Car nous sommes le
31 Octobre 2021, et nous voyons déjà les seigneurs de R’lyeh, les futurs
destructeurs de l’humanité, commencer à émerger de la surface de l’eau,
étendant leurs tentacules à des dizaines de mètres à la ronde autour d’eux, commençant
à montrer leurs têtes monstrueuses et titanesques, alors que les Shoggoths ont
quitté le devant du temple où ils s’étaient fixés depuis tout ce temps,
épouvantés par l’arrivée prochaine des Grands Anciens, dont la venue était imminente,
et avec eux, peut-être, la fin de notre existence. Pretorius n’a toujours pas
trouvé la bonne formule… Et je vois déjà le premier des Grands Anciens qui est
sorti totalement du lac… A en croire les descriptions du Necronomicon et du
journal de mon aïeul, il s’agit de Cthulhu… Il regarde dans la direction du
Temple… Avant de s’avancer… Le sort en est jeté, pendant que le 2ème
des Grands Anciens vient de sortir à son tour, suivi des autres…. Nous n’avons
pas trouvé la formule pour obtenir le sursis…
Alors, vous qui lisez ceci, et qui avez eu la chance d’avoir
réussi à trouver un endroit où échapper à l’anéantissement, bien que je doute
que cela soit possible, j’espère que vous parviendrez, vous et d’autres, à
reconstruire l’espèce humaine, un jour ou l’autre… Si vous y parvenez, si vous réussissez
à prouver aux Grands Anciens que vous pouvez vous entendre entre vous, quel que
soit votre ethnie, votre classe sociale, vos différences… alors peut-être que
les Grands Anciens ne reviendront pas pour finir le travail… Je l’espère
sincèrement… En attendant, je vous dis adieu, car moi, je ne serais plus là
pour voir si cela arrivera, ou si l’Homme cessera définitivement d’exister en
ce jour d’Halloween…
Publié par Fabs