On ne sait jamais ce qui se cache réellement dans l’esprit de
quelqu’un. Et surtout, ce qui a permis l’implantation de ses désirs, ses
pulsions, ses goûts, ses passions… Aussi répréhensibles soit ces éléments qui
font la personnalité d’un homme ou d’une femme, quand on aime, on a souvent
tendance à faire comme si on n’avait rien vu, rien entendu concernant les
secrets inavouables de l’être aimé. Une politique de l’autruche qui peut amener
à se rendre complice de situations allant à l’encontre de nos propres
convictions sur la valeur de la vie humaine. On sait au fond de soi qu’on ne
devrait pas continuer cette relation, que les actes commis par son conjoint, sa
conjointe, n’est pas normal. Ils n’appartiennent pas à l’éducation qui est la
sienne, soumise à des règles parfois strictes, et où compassion, respect et
honnêteté sont les bases mêmes de ce qui fait de nous un être humain.
L’amour rend aveugle, dit le dicton. Et ce que j’ai vécu avec
Izumi en est la parfaite représentation. Vous connaissez le terme japonais de
Yandere ? Ces personnes, souvent des femmes, dont la conception de l’amour
se repose sur ses tendances psychopathes ? N’hésitant pas à tuer pour obtenir
l’amour désiré, ou pour protéger celui ou celle qu’elle aime, sans se
préoccuper le moins du monde des ressentis de la personne qu’elle a choisie
comme âme sœur. Seul compte pour elle le bonheur de leur couple, et ce, quel
que soit les conséquences. Quitte à éliminer toute personne pouvant menacer cet
équilibre amoureux qu’elle juge idéal et sain, selon ses propres dogmes
familiaux. Eh bien, Izumi était une Yandere. De la forme la plus dangereuse qui
puisse exister.
Et quand je l’ai découvert, au lieu de la dénoncer, comme
n’importe qui l’aurait fait, j’ai voulu me persuader que ce n’était pas sa
faute, qu’elle n’était pas responsable de ses actes, qui n’était destiné qu’à
préserver notre relation. Et je l’ai protégée à mon tour. L’aidant à dissimuler
les preuves de ses actes sanglants et meurtriers. Mais ce n’était pas le pire.
Car j’ai découvert plus tard que ses pulsions de meurtres, usant du prétexte de
l’amour pour les relativiser, n'étaient pas véritablement de son fait, d’un
désordre psychologique en elle étant né en même temps qu’elle sortait du ventre
de sa mère. Quelque part, c’était bien de cela qu’il s’agissait. Mais ces
tendances meurtrières ont été élevées avec soin, développées, forgées d’une
manière minutieuse. Il y a déjà eu des cas de relation particulière entre une
future tueuse et son psychanalyste, dès lors que ses pulsions étaient détectées
suffisamment tôt pour espérer être traitées, sans pour autant finir sa vie
derrière les murs d’un centre spécialisé.
On voit ça souvent dans les mangas. Ou alors, il s’agit d’une
rencontre fortuite avec une autre personne ayant les mêmes disponibilités, les
mêmes envies de meurtres impossible à contrôler. Une sorte de relation
Professeur/élève, pouvant évoluer en couple, et défrayant les chroniques de
faits divers des médias de toutes sortes, papier comme numérique. Ce genre de
duo à l’épopée sanglante parsèment l’histoire. Tout le monde connait Bonnie et
Clyde bien sûr, l’exemple typique de la relation amoureuse ayant conduit au
meurtres à grande échelle. Même si, dans leur cas, l’appât du gain et de la
liberté était le moteur des morts qu’ils ont accumulés tout le long de leur
histoire. Dans le domaine fictif, on pourrait citer aussi le film
« Tueurs-Nés » d’Oliver Stone, ou encore « Perdita
Durango » d’Alex de la Iglésia. Mais là encore, ce sont des relations
ponctués par une forme de rébellion de la société les entourant, et pas d’une
envie incontrôlable de tuer par pur plaisir, venant de leurs gênes. Dans le cas
des Yandere et d’Izumi, c’est complètement différent. Ses pulsions à elle sont
ancrées au plus profond de son être, et elle n’a jamais cherché à les refouler,
ou se sentir coupable de les avoir.
Bien au contraire. Izumi aimait ce qu’elle était. Elle disait
d’elle-même avoir plus de sensation de se sentir vivant que les gens
« normaux ». Ça aussi, c’était particulier. Elle savait qu’elle était
différente, elle en était consciente, ce qui allait à l’encontre d’une Yandere
classique, qui, pour la plupart, ne se rendent pas compte de leur folie. Je me
souviens de ses paroles, après que j’ai découvert sa particularité, et que je
lui ai demandé s’il y avait une chance qu’elle devienne un jour
« normale ». Qu’est-ce que je pouvais faire pour qu’elle se sente
mieux en elle ? Sa réponse fut sans appel :
- Pourquoi voudrais-tu que je change ? Je
me sens bien telle que je suis… Je suis née ainsi… Je suis vivante… Tellement
vivante, tu ne peux pas imaginer… Je sais que tu es capable de me comprendre.
Comprendre cette lueur de vie qui m’habite. Mon vrai moi. Pas le masque que
j’arborais avant devant les autres
- Je… Je ne sais pas si j’arriverais un jour à vraiment
m’habituer à ça… Tous ces meurtres que tu as commis… Le sourire que tu m’as
montré en les évoquant, après notre départ de cette ville où j’ai vécu tant
d’années… En parlant de leurs corps mutilés, démembrés parfois… C’est ta
conception du bonheur… Mais je ne suis pas encore sûr que je pourrais y adhérer
complètement un jour…
- Tu le deviendras, j’en suis sûre. Je ne t’en
laisserais pas le choix. Nous sommes faits pour être ensemble. Je le sens en
moi. Tu es celui que j’ai choisi parmi des dizaines d’autres, car j’ai senti
que tu étais le seul qui pouvait accepter ce que je suis
Je suis resté silencieux à cette annonce. Un mélange de peur
de ce qu’elle était, de culpabilité pour n’avoir pas su déceler le mal en elle
plus tôt. J’ai essayé de la comprendre, d’adhérer à son mode de vie. Je me
disais qu’après tout, c’était sa vision de l’amour, et que je ne pouvais pas
aller contre ça. Je ne pouvais pas lui demander d’aller à l’encontre de sa
nature. Tout comme je savais que notre relation serait envahie par le sang, à
chacune des contrariétés d’Izumi. La moindre personne m’approchant de trop
près, conversant avec moi, et qui, à ses yeux, pouvait comploter contre elle et
le couple que nous formions, devenait un ennemi à faire disparaitre. Et j’ai fini par devenir complice de ça… Parce qu’au fond de
moi, je l’aimais malgré tout, et je ne voulais pas la perdre. Ce qui arriverait
fatalement si je la trahissais, et la dénonçait aux autorités compétentes… A
bien y réfléchir, dès le début, notre relation n’avait aucun point commun avec
les belles histoires de mes amis, sur fond de dîner aux chandelles, de soirées,
ou de rencontres près d’un cadre idyllique, comme un lac, ou une partie de
campagne. La nôtre a débuté de manière différente.
Vous vous souvenez que je vous ai dit qu’Izumi était une
Yandere ? En fait, elle appartenait au départ à une autre catégorie. Une Hikikomori.
Une personne s’enfermant chez elle, se cloitrant pendant des jours, des
semaines, des mois entiers, pour ne pas à avoir à côtoyer le monde extérieur.
Ne sortant que pour des besoins alimentaires ou corporels, afin de ne pas
s’ankyloser. Je l’apprendrais plus tard de sa bouche, mais dans le cas d’Izumi,
quand elle sortait, c’était uniquement pour assouvir ses besoins de tuer, et
calmer ainsi ses pulsions régulières. Avant que je la rencontre, les médias parlaient souvent d’une
vague de meurtres dont on recherchait toujours le coupable. Les victimes
avaient été trouvées dans des conditions abominables. Chaque corps semblait
avoir subi les assauts de quelqu’un qui n’avait plus de traces d’humanité,
tellement les lacérations qui les composaient dépassaient l’entendement.
Eventrements, énucléations, organes sortis de leur corps, cordes vocales
arrachées. Du jamais vu en matière de meurtres dans notre petite ville d’Okayama,
à 15 minutes de trajet d’Osaka. Tout le monde se demandait quel monstre pouvait
opérer à de tels horreurs. Et, au vu de la force nécessaire pour mettre les
corps dans cet état, chacun pensait que seul un homme pouvait être le coupable.
Ils étaient tellement loin de la vérité…
Ces meurtres étaient au centre de la plupart des
conversations, y compris au sein du centre social où je travaillais. L’habitude
que j’avais de parvenir à sortir de leur cocon les personnes que l’on me
confiait a été déterminant dans le choix de mon patron de m’envoyer là où
habitait Izumi. Une demande faite par la mère de la jeune fille, s’inquiétant que celle-ci ne
sortait plus depuis plusieurs mois, et espérait que l’on puisse l’aider à
retrouver un semblant de vie. Et surtout vaincre sa peur de sortir. Ce n’était pas la première fois que je me retrouvais à
traiter un tel cas. Les Hikikomori étaient courant dans le secteur dont je
dépendais. Ce qui était plus inhabituel, c’était qu’il s’agissait d’une fille.
En général, cette catégorie de personnes refusant de sortir de chez eux, était
plutôt l’apanage des hommes. Du coup, le contact serait sans doute plus
complexe qu’à mon habitude. Néanmoins, j’acceptais de m’occuper d’Izumi
Naoshita. Le nom de la personne que je devais parvenir à rendre à la vie, selon
les termes que nous employions entre collègues. Après avoir pris connaissance
de son adresse, je me rendais donc chez elle, où je fus accueilli par sa mère,
attendant ma venue. Elle me fit part de ses recommandations concernant sa
fille :
- Je tiens à vous prévenir qu’Izumi a du
mal à parler à des étrangers. Elle ne fait confiance qu’aux membres de sa
famille. J’ai fait appel à votre centre en désespoir de cause. Ni moi, ni son
frère ne parvenons à lui faire entendre raison. Izumi persiste à ne pas vouloir
sortir
- Elle s’alimente bien au moins ? Je sais que
certains Hikikomori dédaignent parfois la nourriture, contribuant à leur
mal-être, et les affaiblissant
Minao, la mère d’Izumi me rassurait :
- Non, sur ce point-là, Izumi se nourrit
parfaitement. J’ai fait appel à une société de livraison de plats. Pour éviter
tout contact qui pourrait nuire au mental d’Izumi, les livreurs ont pour
consigne de déposer les plats devant la porte, et de signaler leur présence par
mail à ma fille. Elle prend grand soin de sa toilette également, et se
passionne pour divers arts. Je peux vous dire lequels, si cela peut vous
permettre un meilleur contact
- Ce serait très utile en effet. Merci de cette
initiative, madame Naoshita
- Oh je vous en prie : appelez-moi
Minao. Nous sommes appelés à nous voir souvent désormais. Pour ma part, vous
faites déjà partie de la famille, et je ne vous remercierais jamais assez de
vous occuper d’Izumi. Elle est si fragile…
- Je ferais de mon mieux, Mad… je veux dire Minao. Soyez
en certaine
Me souriant, Minao reprenait :
- Je vais vous laisser entre vous. Izumi
connait déjà votre visage : je lui ai montré sur son ordinateur, en
consultant les membres de votre centre, par le biais de votre site web
Souriant à cela, Minao précisait un détail :
- D’ailleurs, c’est elle qui vous a
choisie. Rien qu’en voyant votre visage, elle savait que vous pourriez l’aider…
Je me sentais un peu gêné de cette information. Ça me
reléguait quasiment à un match d’un site de rencontres, orchestrée par Minao.
Mais je gardais pour moi cette impression, sans savoir que c’était exactement
le cas. Une rencontre préparée, dont j’étais le centre, à la demande de celle
qui allait bouleverser ma vie à tous les niveaux.
- Je vais vous laisser discuter entre
vous. Si vous avez le moindre souci, n’hésitez pas à m’appeler. Je vous laisse
mon numéro. Mais je suis persuadée que vous saurez faire des miracles avec
Izumi…
Je remerciais Minao de sa confiance, ne pouvant m’empêcher de
rougir un peu à cela, et je prenais en main le petit bout de papier qu’elle me
tendait, comportant son numéro de téléphone. L’instant d’après, Minao partait
de l’appartement, me laissant seul avec Izumi. Je m’approchais alors d’elle,
prudemment, afin de ne pas la brusquer. Elle semblait plongée sur l’écran de
l’ordinateur situé devant elle, qui diffusait un documentaire sur des cas de
meurtriers célèbres du Japon. Sur le coup, j’étais un peu surpris de ce choix
de la part d’Izumi. Etait-ce cela les « arts » qui passionnait Izumi
dont m’avait parlé Minao ? C’était un peu troublant, pour ne pas dire
dérangeant. Je ne m’attendais pas à ce qu’une jeune fille comme elle puisse
s’intéresser à des sujets aussi morbides. Mais je ne disais rien, et faisait mine
de m’intéresser à la vidéo, afin de nouer un premier contact.
- C’est impressionnant. Un peu macabre, mais vraiment
intriguant. Il y a longtemps que tu t’intéresses à cela, Izumi. Si tu permets
que je te tutoie…
Montrant un air surpris, délaissant la vidéo, Izumi levait la
tête vers moi. Elle restait de longues minutes à me dévisager, semblant
observer chaque parcelle de mon visage. Une situation curieuse et gênante, mais
mon métier m’avait appris à me conforter aux habitudes des personnes que je
devais aider. Puis, Izumi se mit à poser sa main sur ma joue droite, ses yeux
plongés dans les miens. Elle semblait subjuguée par ce qu’elle voyait, me
mettant dans une position encore plus inconfortable, car je ne m’attendais pas
vraiment à ce type de réaction. Ayant plus l’habitude du mutisme de mes
« patients ».
- Vous êtes tellement beau… Exactement comme
sur le site… Maman avait raison : vous serez parfait
Puis, semblant sortir de l’espèce de transe dans laquelle
elle semblait se trouver, Izumi s’excusait :
- Oh…Je… Excusez-moi… Je ne voulais pas vous dire ça… C’est
tellement gênant… Je vous prie de m’excuser. Mon attitude est indigne d’une
jeune fille…
Ces simples paroles montraient une éducation très prononcée
de la part d’Izumi. Je supposais qu’elle venait d’une famille attachée aux
règles de bienséance, et je ne pouvais que lui pardonner son petit écart
tactile.
- Ce n’est rien, je t’assure… Disons que c’est une prise
de contact plus direct que je pensais. Ne t’alarme pas pour ça. Tiens, tu sais
quoi ? Si ça peut t’aider à te sentir en confiance avec moi, tu peux me
toucher d’autres parties de mon corps. Mais attention : en se limitant aux
parties hautes uniquement
De par cette autorisation, j’avais déclenché l’étincelle qui
entrainait toute la suite de notre relation. Ma naïveté, et la candeur du geste
premier d’Izumi sur mon visage, avait eu raison de la prudence et du
professionnalisme que j’avais habituellement.
- C’est… C’est vrai ? J’ai le droit… de
toucher vos mains aussi alors ?
- Tout à fait : les mains sont autorisées
lui dis-je le sourire aux lèvres.
Elle bifurquait alors son regard vers mes mains, les fixant
comme s’il s’agissait d’un trésor, avant de mettre ses deux mains dessus. Je
l’entendais murmurer :
- Elle sont si douces… Si chaudes… J’aime vos
mains… J’aime les toucher
Tout en continuant de les palper, elle relevait la tête,
dirigeant à nouveau son regard vers moi
- J’ai bien fait de vous choisir… Vous êtes
vraiment celui que je recherchais depuis si longtemps… Maman a eu raison de me
pousser à vous rencontrer, vous en particulier… Je sais maintenant que nous
sommes destinés à un grand avenir vous et moi… Enfin… Toi et moi…
Je sais que j’aurais dû user de plus de sévérité à ce moment,
la repousser, lui dire que je n’étais pas ce qu’elle pensait pour elle, que
j’étais là pour l’aider à aller mieux, mais pas de cette manière. Mais son
regard était si intense que j’étais comme hypnotisé. Je ne parvenais pas à lui
dire non, à lui dire d’arrêter ça. D’un coup, j’avais cessé d’être un
travailleur social, mais un simple homme, ne pouvant résister au désir qui
émanait d’Izumi. Sans presque m’en rendre compte, elle posait déjà ses lèvres
sur les miennes, caressant mes bras de ses mains. Lentement, elle me faisait
basculer en arrière, me mettant à sa merci, sans que je parvienne encore à dire
non. Je ne saurais pas l’expliquer, mais c’était comme si quelque chose
refusait de me rendre à la raison, en repoussant ses avances. Bien au
contraire, je me laissais aller au plaisir des sens, la laissant me déshabiller
et fusionner avec moi, en l’homme faible que j’étais, répondant à l’appel de la
chair, comme tout célibataire qui se trouverait dans une telle situation…
C’est ainsi que commençait notre relation. Belle, troublante,
envoûtante. Les mots me manquent pour décrire notre histoire d’amour naissante.
A ce moment, bien que sachant que je risquais de perdre mon emploi si cela se
savait, j’étais le plus heureux des hommes. Izumi était plus jeune que moi de
près de 10 ans, mais elle avait une maturité bien plus importante que ne le
supposait son âge. Cependant, je savais que je risquais gros avec cette
relation. Izumi n’avait que 17 ans, moi 27. Ce qui me mettait dans la position
inconfortable d’un pervers incapable de contrôler son propre corps, et ses
pulsions. Malgré tout, cette relation contre nature, allant à l’encontre des
règles de mon métier de travailleur social, eut un effet bénéfique sur le
comportement d’Izumi, à la grande joie de sa mère, à qui je cachais, bien
évidemment le lien entre sa fille et moi.
Les progrès d’Izumi pour sortir au-dehors étaient fulgurants.
Bientôt, je l’emmenais à des vernissages dans des expositions de peinture, lui
faisait découvrir le cinéma, et d’autres activités ponctuelles. Afin de ne pas faire
soupçonner que ses sorties étaient loin d’être entièrement professionnelles. J’avais précisé à Izumi de ne surtout pas
parler de ce qu’il y avait entre nous à quiconque, y compris sa mère. Elle
acceptait sans problème, trop heureuse de me voir de plus en plus
régulièrement, et même en dehors des heures où nos sorties étaient vues comme
étant des éléments de la thérapie miraculeuse dont profitait Izumi. Le jour de ses 18 ans fut un soulagement pour moi, car étant
majeure, je ne risquais plus de me retrouver dans une cellule pour notre
relation interdite. Certains de mes collègues n’étaient cependant pas dupes, et
s’étaient rendu compte que mon « travail » avec Izumi était plus
intime que je ne voulais l’avouer. J’en ai parlé avec Izumi, indiquant que je
craignais que mes collègues ne me dénoncent. Même si elle était majeure
maintenant, je risquais de gros ennuis avec la justice s’ils demandaient une
enquête sur notre relation avant ça.
C’est là que tout a basculé. Bien que ne voyant pas les actes
d’Izumi quand je n’étais pas là, l’obligeant à suivre ses instincts de
meurtres, au gré de prétextes familiaux pour ne pas que je vienne certains
jours ou nuits, je m’étais rendu compte de certains faits curieux. Pas
seulement d’Izumi, mais aussi de la constitution particulière de l’appartement
où elle vivait. Le salon, la salle de bains, la chambre étaient toutes dotées
de revêtement d’insonorisation, comme on en voit dans les studios
d’enregistrement pour les idoles japonaises faisant partie de mon quotidien, en
tant que grand passionné d’artistes de J-Pop. A plusieurs reprises également, j’avais retrouvé de
minuscules traces de sang sur le sol, un meuble, ou le rebord du lavabo. Ou
encore des cheveux qui n’appartenaient ni à moi, à elle, ou bien sa mère. La
seule personne, en dehors de nous deux, que je pensais avoir ses entrées et
sorties au sein de cet appartement. J’ai bien tenté de lui demander
discrètement si ces cheveux, ce sang appartenait à des amis qu’elle aurait
invités sans m’en faire part, mais la réponse était toujours la même :
- Tu sais bien que seul toi et ma mère ont
accès ici. Jamais je ne permettrais la venue de quelqu’un d’autre ici. Quand au
sang, il m’arrive parfois de me couper en m’épilant les jambes. Je n’aime pas
utiliser la cire ou d’autres méthodes « douces ». Je préfère le
contact de la lame sur ma peau. J’aime sa froideur, la sensation que cela
procure. Mais parfois, j’ai tendance à appuyer trop fortement, emportée par mon
excitation. D’où quelques « accidents » …
Elle semblait me parler de ça avec une telle innocence que
jamais il ne me serait venu à l’esprit de penser que ce sang avait une autre
provenance. Et puis, il y eut ce jour où Mikumi s’ajoutait à la liste des
victimes du tueur insaisissable qui faisait la une des médias depuis plusieurs
mois. Le centre fut en deuil. Personne n’imaginait qu’on ne la verrait plus
parmi nous. Quelque chose me troublait cependant. Mikumi faisait partie des 3
collègues ayant des doutes sur ma relation avec Izumi. C’était peut-être juste
une coïncidence. Je me rattachais à cet espoir. Mais un soir, je trouvais par
hasard, une barrette que je savais ne pas appartenir à Izumi, dans la poubelle
de la salle de bains. Une barrette comportant du sang. Et surtout le même modèle
qu’utilisait Mikumi quand elle venait prendre son service au centre.
Deux jours plus tard, ce fut au tour de Satoshi de trouver la
mort de la même manière que les autres victimes du tueur. Quelques jours après,
Nao se rajoutait au nombre. Piqué par la curiosité et le doute, je parcourais discrètement,
en « crackant » les dispositifs de sécurité de leurs ordinateurs,
leurs agendas personnels. Et découvrait que le soir de leurs meurtres, ils
avaient rendez-vous avec un mystérieux interlocuteur. Il n’y avait pas de nom
ou de prénom, pas même un pseudo, sur l’agenda. Ce qui faisait que je n’étais
sûr de rien. Mais en me rappelant la barrette tachée de sang, il devenait clair
qu’il n’y avait plus de place pour les coïncidences. Mikumi, Satoshi et Nao
menaçait la relation que j’entretenais avec Izumi, et pouvaient révéler qu’elle
avait commencé avant l’annonce officielle que j’avais indiqué de celle-ci,
après qu’Izumi ait atteint l’âge de 18 ans, et prononçant la guérison de
celle-ci de son état. Et ne justifiant donc plus qu’elle fasse partie de notre
suivi. Ce qui donnait une légitimité à notre couple. Là encore, j’ai tenté de
parler de ça à Izumi, mais elle l’a très mal pris :
- Comment tu peux oser me poser une telle
question ? Tu ne me fais plus confiance ? Oui, j’étais au courant de
leurs doutes nous concernant, mais ça s’arrête là.
Confiant dans ses paroles qui semblaient sincères, je ne
pouvais m’empêcher de penser qu’elle me mentait, pour que je ne découvre pas
qu’elle était la tueuse monstrueuse que la police recherchait. Je ne voulais
pas y croire, mais il y avait trop d’éléments allant dans ce sens pour ne pas
tenir compte de la possibilité qu’Izumi soit une meurtrière. J’ai découvert
autre chose. Avant que je rencontre Izumi, les meurtres étaient espacés entre
eux. Des industriels, des musiciens, des artistes pour un grand nombre d’entre
eux. On les soupçonnait d’avoir une relation avec une mystérieuse inconnue,
malgré leur statut d’hommes mariés pour la plupart. Ou ayant une petite amie officielle.
Et un grand nombre d’entre eux avaient été aperçus, à un moment ou un autre,
dans le quartier où vivait Izumi. Durant la période où j’étais en pleine phase
d’amour naissant avec elle, aucun meurtre n’a été signalé. Comme si le tueur
avait pris une « pause ».
Pause qui a repris dernièrement avec les crimes de Mikumi, Satoshi et
Nao.
Des personnes en lien avec moi et Izumi. Mais dans le lot des
victimes, il y avait aussi d’autres cas de figures. Toutes ayant un lien avec
l’une des autres morts. Sœurs, mères, prostituées, collègues, amis
d’enfance : que des personnes ayant pu découvrir l’identité de la fameuse
inconnue de personnes qu’elles connaissaient. Ce qui avait pu signer leur arrêt
de mort. Ce n’était pas un meurtrier classique. Les morts visaient des gens
pouvant nuire à la relation que l’inconnue entretenait avec les futures
victimes. Quand à la mort de celles-ci, on pouvait facilement envisager qu’elle
avait découvert ces faits, et avaient voulu la dénoncer, provoquant leur ajout
dans la liste de ce meurtrier, qui s’affichait de plus en plus clairement pour
moi comme une meurtrière. Une amoureuse n’acceptant pas qu’on perturbe la
relation qu’elle avait avec l’homme qu’elle avait choisie. Une forme
particulière de Yandere, à mi-chemin avec un Serial Killer.
A la suite de ça, ma relation avec Izumi changeait, montrant
une jalousie extrême, et me faisant de plus en plus la soupçonner d’être le
meurtrier recherché. Enfin, une meurtrière à la force phénoménale, ce qui
pouvait expliquer, la police cherchant un homme, qu’Izumi ait échappée jusqu’à
présent à la traque. Seulement Izumi ne montrait pas les signes d’une
quelconque faculté indiquant une telle force. Semant mon doute sur son lien
véritable avec les meurtres. Je n’arrivais pas à imaginer Izumi user d’une
telle sauvagerie sur des êtres humains. Mais la suite allait me montrer que je ne m’étais pas trompé
sur son implication. Après que j’ai évoqué qu’elle ait pu jouer un rôle dans le meurtre de mes
collègues, parce qu’ils menaçaient notre couple, elle est devenue plus méfiante
me concernant. Je sentais être suivi en permanence, l’impression d’avoir des
yeux braqués sur moi dans mon dos, surveillant les contacts que j’avais avec
d’autres. Plusieurs fois, je me suis disputé avec Izumi, celle-ci m’ayant vu
avec une femme, me demandant qui elle était. Ce n’était que des amies, ou des
membres de ma famille. Et j’avais beau lui répéter qu’elle seule comptait à mes
yeux, elle refusait de m’écouter, persuadée que je la trompais, que je ne
l’aimais plus.
- Je t’ai vu avec cette femme ! Tu
prenais un café avec elle, tu riais quand elle parlait !
- Mais enfin, Izumi, tu parles de ma sœur ? Elle
vient d’arriver à Okayama, pour quelques jours. Elle est de passage dans la
région, et comme ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu, on s’est donné
rendez-vous à ce bar ! Qu’est-ce que tu vas chercher ?
- Et cette autre avec qui tu parlais à l’arrêt
de bus ? C’était ta sœur aussi peut-être ?
- Mais enfin, Izumi. Elle ne faisait que me demander le
trajet à prendre pour rejoindre le quartier commerçant !
Et ces disputes devenaient de plus en plus fréquentes. Mais
le pire arrivait par la suite. La jeune femme qui m’avait demandé un
renseignement fut retrouvée dans une ruelle quelques jours plus tard, l’état de
son corps identique aux précédentes victimes. Et je restais sans nouvelles de
ma sœur. Celle-ci ne répondait pas à mes appels. Jusqu’à ce que je voie son
corps faire la une des médias, une
semaine après notre dernier contact. En voyant ça, le doute n’était plus
permis. Trop de coïncidences. Je décidais de demander de manière plus directe à
Izumi si elle était responsable de toutes ces morts le soir-même. Mais cette
fois-là, elle n’était pas seule à l’appartement. Sa mère était également
présente. Ce qui fait que je n’osais pas parler de mes soupçons à Izumi. Mais
je ne m’attendais pas à ce que ce soit Minao qui me donne une réponse à mes
doutes…
- Cher Hideki, j’ai comme l’impression que,
toi aussi, tu as fortement déçu ma petite Izumi. J’étais pourtant persuadée que
tu étais différent des autres. Que tu comprendrais les actes d’amour qu’elle te
vouait
- Actes d’amour ? C’est une meurtrière ! Tous
ces gens tués… Ma sœur…
- Ils étaient toutes et tous un obstacle à
notre amour. Je ne pouvais pas les laisser gâcher notre belle histoire. Ils
devaient mourir pour que nous puissions vivre heureux.
- Maintenant, Hideki, je dois te poser une
question : aimes-tu vraiment Izumi ? Es-tu prêt à accepter son amour
sans conditions, à te fermer aux autres pour vivre pleinement ta relation avec
elle, jusqu’à couper les ponts avec ta famille ? De ta réponse dépendra le
choix de te réduire toi aussi à un corps sans vie, ou célébrer des noces dans
la plus stricte intimité, et faire partie de notre clan… particulier
- Je t’en prie, Hideki, dis-moi que tu n’es
pas comme les autres. Montre-moi que tu m’aimes vraiment. Je n’ai pas envie de
te tuer, de te faire la même chose qu’à ceux qui t’ont précédé, parce qu’ils ne
voulaient pas me comprendre. Je t’aime Hideki. J’ai su dès que j’ai vu ton visage
sur mon écran d’ordinateur que tu serais enfin celui qui pourrait partager ma
vie. Je comptais te dire ce que j’ai fait, mais je voulais être sûre de ton
amour. Maintenant, j’ai des doutes. Je crains que tu aies la même réponse que
les autres. Tu sais ce qui leur est arrivé. Ecoute ton cœur, et prends la bonne
décision.
- Ecoute-la Hideki. Tu te demandes sans
doute comment une jeune fille frêle comme elle peut avoir une telle
force ? C’est en elle depuis toute petite, comme tous ceux de notre clan. Nos
ancêtres sont liés au dieu Hachima. Le dieu de la guerre et de la culture. Un
lien qui a permis à tous leurs descendants de naitre avec cette force
particulière, qui se déclenche face à des contrariétés puissantes. Nous sommes
fiers de cela, et nous protégeons les actes de nos enfants. Même quand, comme
pour Izumi, ils peuvent avoir des accès de fureur reliés à leur jalousie
importante, je le reconnais. Mais Izumi est ma seule fille, et je ne
permettrais pas qu’on lui fasse du mal. Alors, dis-moi : quel est ta
réponse Hideki ?
J’avais l’impression de voir le monde s’écrouler autour de
moi. Avais-je vraiment le choix ? Si je refusais, je rejoindrais la liste
des victimes d’Izumi, parce que j’aurais refusé son amour, parce que je
n’aurais pas accepté sa jalousie maladive et meurtrière. D’un autre côté, je me
disais qu’en devenant son époux, en rejoignant son clan, je mettrais fin à la
vague de meurtres. Plus personne ne serait en danger d’être massacré pour avoir
eu le malheur de dire non à Izumi et sa mère. Alors, la mort dans l’âme, j’ai
dit oui, déclenchant la joie de celle qui allait devenir mon épouse.
- Tu as fait un bon choix Hideki.
Désormais, tu fais partie officiellement de notre clan. Nous allons quitter
cette ville maintenant. Tu n’auras pas la possibilité de dire adieu à tes
proches et tes amis. Ton départ soudain poserait trop de questions à ton
entourage. Une fois sur nos terres, tu prêteras allégeance à Hachima, juste
après tes noces avec Izumi. Afin d’offrir la même force qui caractérise les
nôtres à vos futurs enfants.
- Merci Hideki ! On va être tellement
heureux toi et moi ! Je savais que j’avais bien choisi cette fois !
Ainsi, j’ai quitté la ville avec Izumi et Minao, vers ce qui
allait constituer ma nouvelle vie, faite d’apprentissage. J’ai écrit ce journal
lors d’une étape culturelle d’Izumi, après nos noces, et l’ai caché dans le
meuble où, vous qui lisez ces lignes, l’avez trouvé en ce moment. Là où je suis
désormais, je n’ai pas d’autre choix que d’adhérer au mode de vie d’Izumi et
son clan. De l’amour que je lui montre, dépend ma propre vie, et celle
d’autres, au gré de voyages dans d’autres villes, pour satisfaire sa soif de
culture. Lors de ces escapades, il me faudra espérer de ne pas attirer l’œil
d’autres filles, ou de personnes tentant un contact avec moi, qui lui
déplairait. Cela a déjà été le cas, la jalousie et la surprotection d’Izumi
n’ayant pas d’équivalent. Il y aura sans doute d’autres morts, c’est
inévitable. C’est dans la nature de celle qui va partager ma triste vie de
résigné. Minao sera là pour veiller à ce que sa fille échappe à toute forme de
justice. Elle me protégera aussi, tant que je montre le même amour qu’Izumi
m’offre. Je n’ai pas droit à l’erreur. Prenez ce journal comme une façon de prévenir d’autres que
moi. Si vous aussi, vous êtes choisi par une fille du clan Naoshita, ne
résistez pas. Il en va de votre vie et de ceux et celles que vous chérissez.
Famille comme amis. Acceptez cet amour tel qu’il est. Sanglant et immodéré. De
toute façon, on ne vous en laissera pas le choix…
Publié par Fabs