21 mars 2023

FAUSSES APPARENCES

 


On a souvent tendance à dire que tout le monde porte un masque, afin de cacher sa vraie nature, ses véritables penchants. Et quoi de mieux que le jour du Mardi Gras, dont le défilé de char de notre ville constitue le clou du spectacle, pour se dissimuler encore plus aux yeux de tous, utilisant d’autres masques, afin d’assouvir des plaisirs qu’on n’ose pas montrer au grand jour habituellement, et faisant suite à un mois de Carnaval. Ce jour, encore plus que les jours précédents, où les excentricités de tout ordre sont autorisées, nous fait devenir quelqu’un d’autre, et fait partie des priorités de la fête. On se glisse dans le costume de personnages divers et colorés, de figures célèbres de l’histoire, de BD, de contes, arborant des maquillages représentant des icônes du folklore fantastique, jusque tard dans la nuit. Ce jour où chacun montre un autre visage de soi, nimbés dans les lumières parsemant les rues et les chars, au rythme de la musique festive s’invitant même dans les maisons, et faisant danser toutes les classes d’âge aux fenêtres.

 

Un jour où la joie se lit sur les lèvres pour des dizaines, des centaines d’enfants et d’adultes à travers la ville, mais aussi dans des dizaines d’autres, le Mardi Gras occasionnant de multiples fêtes sur tout le territoire américain, au rythme des groupes musicaux, des artistes et stars de la TV, du cinéma et autres. Mais il existe aussi des situations où certaines personnes se cachent derrière d’autres façades, et craignent le faste du Mardi Gras, sa chaleur, sa frénésie. Car cette journée de fête pour nombre d’entre nous qui aimons ce qu’elle représente, peut-être synonyme de crainte pour d’autres. Pouvant divulguer une vérité que tout un chacun n’est pas forcément prêt à voir et entendre. C’est ce type de situation que j’ai vécu. Je vous rassure : je ne suis pas ce type de personne que j’ai évoqué jusqu’à maintenant. Mais j’ai découvert le vrai visage de l’un d’entre eux. Après que celui-ci a réussi à nous tromper tous, nous les habitants de ce petit quartier tranquille de notre ville de La Nouvelle Orléans. Ou plutôt celle-ci, car il s’agit d’une femme. La plus insoupçonnable de notre quartier…

 

Pour que vous compreniez la situation, il faut savoir que notre quartier est régi par une association, qui assure des fonctions diverses pour le bien-être de tous. Cela va de l’organisation de fêtes conviviales, où tout un chacun est convié, à celui d’entraide entre voisins pour des tâches de tout ordre. Que ce soit pour des procédures administratives, judiciaires, des conseils dans des domaines aussi variés que le jardinage, la mécanique, l’entretien des boiseries, la manière de colmater une fuite d’eau au sein de sa cave. Ainsi qu’un système de surveillance, envers qui n’importe quel habitant du quartier peut faire appel, en cas de soupçons d’actions malveillantes sur une personne en particulier, et pouvant nuire à la tranquillité et la sécurité de tous. Au sommet de cette association, que l’on désigne plus familièrement sous la désignation de Comité de Lower Garden District, le nom de notre quartier, il y a Candy Nox.

 

Une femme extraordinaire, le cœur sur la main, toujours prête à sacrifier ses propres plaisirs, ses moments de détente, pour venir en aide à tout ceux ayant besoin de ses paroles rassurantes, de ses conseils avisés, de son accompagnement dans des moments difficiles, tels qu’un enterrement, ou une visite à l’hôpital pour un proche. Depuis 12 ans qu’elle officie au sein de ce comité, je l’ai toujours vue comme une présidente aimée et appréciée de tout un quartier, pratiquement l’équivalent d’une sainte. Toujours souriante, arborant des tenues impeccables, et, j’ai honte de le dire, car étant marié à une femme fabuleuse, terriblement sexy. Mais je ne suis pas le seul à avoir de telles pensées pour elle. C’est un peu le cas de tous les hommes du quartier. Surtout qu’elle est une éternelle célibataire. Et pour autant, ça n’a jamais été un sujet de conflit pour les épouses des maris, se mettant presque au garde à vous à chaque apparition de Candy. Car elles aussi étaient sous le charme de cette presque déesse de notre quartier. La sécurité de tous a toujours été sa priorité absolue, comme une mission. Et si je vous disais le nombre de fois que nous l’avons vu faire tomber le masque de personnes que l’on n’aurait jamais soupçonnées de rien, vous seriez surpris.

 

Un peu comme Mme Solbestein. En apparence, cette dernière se présentait sous la forme d’une dame âgée, bien sous tous rapports, mais dont les habitudes étaient surprenantes. Comment vous dire ? Il y avait comme un mystère qui était autour de cette vieille femme, qui sortait rarement de chez elle, mis à part pour s’occuper de son jardin. Nombre de fois, Candy lui a proposé de participer à des petites sessions d’activités, au sein de la maison de membres du Comité, comme elle en organisait une fois par semaine. Des activités pouvant aller de réunions pour présenter des cosmétiques, des boites tupperware, des jeux de société, ou simplement pour papoter entre femmes. Mais Mme Solbestein n’a jamais voulu participer à cela. Indiquant que ça ne l’intéressait pas. Elle préférait ses propres activités, qui ne pouvaient être comprises.

 

Des propos qui furent relayés par Candy à nombre d’entre nous, et qui furent le déclencheur de la méfiance portée sur cette vieille dame. Des lumières étranges étaient parfois vues, sortant de son grenier, ou de son salon, filtrant à travers les volets épais de ses fenêtres, en pleine nuit. L’épaisseur de ces volets, au contraire de ceux de toutes les autres maisons du quartier, faisaient se poser des milliers de questions sur ce que cette vieille femme pouvait bien faire au sein de sa maison. Des rumeurs de sorcellerie firent vite le tour du quartier. D’autant que ses activités nocturnes augmentaient à l’approche de Mardi-Gras. Et c’est durant cette période qu’étaient constatées des morts très étranges. Cependant, il n’y avait pas que pendant Mardi Gras que des corps étaient trouvés dans les alentours. C’étaient toujours des enfants, et les morts s’accentuaient dès que l’on s’approchait de ce jour. Candy trouvant l’attitude de Mme Solbestein suspecte, et pensant qu’il y avait une relation entre elle, ses activités de nuit et la vague de morts se trouvant dans un périmètre proche de sa maison, elle fit son enquête.

 

 Et un soir, elle demandait à une petite équipe « spéciale » qu’elle avait formée, dont je faisais partie, de découvrir une fois pour toutes ce que tramait cette vieille femme, qui était peut-être une meurtrière. C’était la veille de Mardi Gras. Nous étions 4, en plus de Candy, et nous nous sommes introduits discrètement dans son jardin, passant par la porte arrière de sa maison, que Candy savait ne pas être fermée la nuit. Un élément qu’elle avait constaté au cours de sa petite enquête personnelle, pour anticiper l’action de notre équipée, et découvrir le secret de Mme Solbestein. Après être entrés au sein de sa demeure, nous avons surpris cette dernière en pleine séance de sorcellerie. Un pentagramme était dessiné au sol, à l’endroit où habituellement un tapis se trouvait. Toujours selon les propos indiqués par Candy, la seule à avoir eu l’occasion de parler de près avec la vieille femme.

 

Des bougies étaient disposées à chaque branche. Ainsi que le corps ensanglanté d’un poulet. Mme Solbestein portait dans ses mains une sorte de dague. Vous savez, un peu comme celles qu’on utilise dans les films d’horreur traitant de sacrifice. Candy fut la première à s’avancer en courant, nous demandant d’encercler la femme, afin qu’elle ne s’échappe pas. Il ne fut pas difficile de la maitriser. Sur le pentagramme, nous découvrions également des objets divers. Des bracelets, des colliers en plastique, des chaussettes, des gants... Pendant que deux d’entre nous appelaient la police, après avoir attaché celle qui s’était avéré être une vraie sorcière, Candy et moi nous découvrîmes dans d’autres pièces des choses plus… macabres. Des doigts ensanglantés, coupés depuis peu, figuraient dans une petite boite, dans un tiroir de la commode de sa chambre. Il y avait aussi une fiole contenant du sang. Plus tard, nous trouvions, dans le congélateur, des organes cachés dans des sacs alimentaires, au milieu d’autres, et contenant des cœurs, des poumons, des foies… C’était un spectacle horrible. Et je dois avouer que tout le monde fut soulagé quand la police est venue peu après, emmenant avec eux la vieille femme, qui se laissait faire, sans rien dire, résignée. Cette nuit-là, j’ai très mal dormi, repensant sans cesse à ce que nous avions découverts.

 

Le lendemain, jour du Mardi Gras, Candy m’avertissait que la police l’avait appelée. Lui disant que les organes trouvés chez Mme Solbestein, correspondaient à ceux manquant sur les corps d’enfants qui avaient été découverts aux alentours depuis plusieurs mois. Elle me disait aussi que cela l’avait fatigué, et qu’elle avait laissé le soin de demander à d’autres membres du Comité de s’occuper de l’organisation du Mardi Gras cette année. Qu’elle ne se sentait pas la force de faire la fête après ce qu’on avait découvert. Ce que je pouvais comprendre. Néanmoins, cela me peinait de savoir Candy rester seule, à l’écart de la fête. Je décidais de me rendre chez elle, afin de lui apporter un peu de compagnie, et aussi la réconforter, après notre découverte éprouvante de la veille. J’en avais parlé à mon épouse, et elle m’avait donné son consentement. Pendant que tout le monde fêtait Mardi Gras dans les rues, je me dirigeais donc vers la maison de Candy, et entrait. Celle-ci n’ayant pas répondu après que j’ai sonné plusieurs fois à la porte d’entrée.

 

C’était la première fois que j’entrais chez Candy à dire vrai. Je me sentais un peu gêné de cet acte. Mais elle faisait tellement pour nous tous, que je trouvais normal que pour une fois, ce soit elle qui soit le centre d’attention de l’un d’entre nous. Il y avait une impression bizarre pendant que je marchais au sein de la demeure. Une oppression semblant venir de l’atmosphère. J’appelais Candy, mais celle-ci ne répondait pas. Je doutais qu’elle se fut endormie, vu que je venais de l’appeler il y avait à peine un quart d’heure. Je continuais mon avancée, sentant s’accentuer, au fur et à mesure que je m’avançais dans le salon, cette impression étrange qui se dégageait tout autour de moi. Je voyais de la lumière venant de la salle de bains. Je l’appelais encore, afin de ne pas la trouver dans une tenue qui ne pourrait que m’embarrasser, plus que je ne l’étais déjà. Mais je ne recevais toujours aucune réponse. Alors je continuais, et pénétrais dans la pièce où je pensais que Candy se trouvait. Et… Comment dire ? Je… Je ne m’attendais vraiment pas au spectacle qui s’offrait à moi… En face de moi, me fixant comme si j’étais de la viande à découper, je voyais Candy. Enfin, une partie d’elle seulement. Elle s’était en partie transformée en une sorte de créature à la peau écailleuse, la moitié de son visage comportait la même texture. Son œil droit ressemblait à ceux d’un crocodile, ou d’un serpent. De la peau humaine gisait au sol. Comme s’il s’agissait d’un costume dont elle s’était dévêtue. Je la vis arracher le reste de peau de son visage, finissant de montrer sa véritable apparence.

 

 Elle s’approchait de moi, le pas lourd, me fixant toujours. Malgré la peur, mon instinct me fit prendre en main un canif que je portais toujours à ma ceinture. L’une des mesures sécuritaires imposées par Candy elle-même, lors de nos rondes du quartier. Elle se jetait alors sur moi, et je brandissais la lame juste devant, fermant les yeux. J’entendais alors un bruit sourd. Celui d’un corps tombant au sol. Je rouvrais les yeux, et voyais le monstre qui avait été Candy agoniser, la gorge transpercée, son sang, d’un vert presque fluorescent, coulant sur le carrelage. Profitant de mon aubaine, je courais à vive allure dans la maison, sortant au-dehors.

 

Le lendemain, après que, remis de cette expérience, j’eusse appelé la police, exposant mon incroyable découverte, des agents du FBI vinrent à la maison. Ils me firent signer un document où j’acceptais de ne rien dire de ce que j’avais vu concernant Candy. Ils m’apprirent que celle-ci n’était pas la Candy que tout le quartier connaissait. La vraie Candy, enfin son corps, avait été retrouvée dans le jardin, enterré très profondément, au pied d’un pommier. Le FBI supposait que cette créature avait pris sa place il y avait déjà un an de ça. Cela correspondait au moment où ils avaient perdu la trace de ce qu’ils appelaient un reptilien. Des créatures pouvant prendre une apparence humaine, mais dont la véritable forme, sans qu’ils sachent pourquoi, se révélait le soir de Mardi Gras. L’excuse de la fatigue venait du fait qu’elle savait que sa nature allait être révélée, si elle se montrait aux festivités.

 

La fausse Candy était au courant que Mme Solbestein avait découvert sa vraie identité. Cette dernière était vraiment une sorcière, et si elle possédait des objets des enfants, qu’elle connaissait tous, c’était pour trouver des preuves, par l’occultisme et le vaudou, que Candy n’était pas ce qu’elle semblait être. En revanche, les organes dans le congélateur et ailleurs avaient dû être déposées par la créature, afin de la faire accuser des meurtres, et ainsi l’empêcher de révéler la vérité. Cette même vérité que j’avais apprise, parce que j’avais voulu donner du réconfort à celle que je pensais être notre Candy qu’on aimait tant. Et qu’on ne verrait plus jamais.

 

Après ça, mon épouse et moi avons déménagés, loin d’ici, selon les conseils des hommes du FBI, qui se chargeraient de nous donner une autre identité, et une nouvelle vie. Je ne verrais plus jamais Mardi Gras de la même façon après cette expérience, revoyant sans cesse le visage de la créature qui avait pris la place de Candy. J’espère qu’un jour, je parviendrais à mettre ça derrière moi, et retrouver goût à Mardi Gras…

 

Publié par Fabs

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