Quand je pense à toute cette histoire, à la manière dont elle
a débuté, et me faisant sombrer dans ce cauchemar dont je ne vois pas d’issue,
je me dis que ma soif de savoir a été le déclencheur de ce qui a suivi. La
faute à une éducation forgée dans la culture de notre pays, sur ses traditions,
son folklore, ses croyances, que mon père m’a inculqué. Je revois ses yeux
brillants en découvrant que j’avais les mêmes passions que lui sur l’histoire
de l’angleterre et ses mythes, ses légendes, dont un grand nombre ont dépassé
les frontières de notre beau pays. Mon père était un érudit très connu, faisant
régulièrement la une des journaux, participant à des conférences
internationales, où il exposait ses découvertes fondamentales sur l’explication
scientifique et historique des plus grandes croyances à caractère fantastique
de la patrie de Sainte Hilda. La patronne de l’éducation, de la culture et de
la poésie.
Il était mon modèle. Je dévorais ses traités sur les mythes
anglais, qu’il décortiquait sous tous les angles sans relâche à chaque heure,
chaque minute de sa vie. Avec le recul, je pense que la mort prématurée de ma
mère a été le déclic de sa dévotion à la culture et la démystification des
légendes britanniques. Lynna, ma mère, était très croyante, et surtout très
attachée aux différents signes, telle qu’elle le désignait, montrant
l’existence de forces occultes, de créatures nous entourant, voué à faire le
mal, de par la faute d’hommes faisant partie de cultes dédiés à des idoles
paiennes, appartenant à une époque sombre de l’histoire de notre pays. C’était
presque une obsession pour elle, depuis la mort de sa sœur, dont le corps avait
été retrouvée près de la gorge de Troller’s Gill. Une mort qu’elle associait au
Barghest, le fameux chien noir fantôme du folklore anglais, l’un des mythes les
plus connus du territoire.
Elle avait été retrouvée déchiquetée, de nombreuses traces de
morsures et de griffes parsemant son corps broyé par un animal à la force
prodigieuse. L’enquête officielle avait conclu à l’attaque d’une bête
vraisemblablement échappée d’un cirque itinérant, ou d’un particulier n’ayant
pas déclaré la possession d’un fauve, et ayant trompé la vigilance de son
maitre. Ce qui pouvait expliquer la brutalité et la sauvagerie constaté sur le
corps d’Emily, la sœur de ma mère. Mais ma mère, elle, restait persuadée que
seul un Barghest était en cause. Ce
drame a renforcé sa position sur l’existence de créatures dépassant
l’entendement, vivant parmi les hommes. Son état mental sombrait chaque jour un
peu plus, cherchant la preuve de l’existence de cet animal légendaire, malgré
les tentatives de mon père de la dissuader de persévérer dans la voie de la folie.
Rajoutant que ses investigations démesurées ne ramèneraient pas sa sœur. Des
déclarations qui causaient le contraire de l’effet escompté, renforçant le
désir de ma mère de prouver ses dires.
Finalement, sa folie l’amena à découvrir son corps, tout près
de l’endroit où sa sœur avait été tuée, près de Troller’s Gill. C’est un
peintre s’étant rendu à proximité pour son art, qui avait découvert le corps
ensanglanté de ma mère, avec des blessures ayant été faite avec des roches
tranchantes. Les policiers chargés de comprendre ce qui s’était passé
conclurent que ma mère s’était elle-même mutilée, sans doute en proie à des
hallucinations, qui avait du lui faire croire à l’attaque d’une des créatures
dont elle voulait prouver l’existence. Mon père fut très marqué par cette mort.
Moi, j’étais trop jeune pour comprendre ce qui en était, ayant du mal à
accepter l’absence de celle que j’adorais, malgré ses délires persistants au
sein de notre foyer. C’est à la suite de ça qu’il s’est plongé dans sa quête de
démystification des légendes. Comme une forme de mission qu’il s’était donné,
pour éviter que d’autres familles voient leur vie brisée par des croyances
stupides et sans fondement, selon la formule qu’il adoptait pour justifier ses
recherches.
Pendant longtemps, j’ai surtout connu ma nourrice, Bessie,
qui était comme une deuxième mère pour moi, et les regards qu’elle portaient
sur mon père ne laissait aucun doute sur l’amour secret qu’elle lui portait, et
qu’elle avait bien du mal à cacher à mes yeux d’enfant. A dire la vérité,
j’aurais tellement aimé qu’elle puisse un jour trouver le courage d’avouer ses
sentiments, mais mon père consacrait toute son énergie à ses recherches, à sa
vocation, enchainant les déplacements dans divers comtés du pays, hors de notre
Yorkshire tant aimé, et ne gardait plus de place dans son cœur pour l’amour,
brisé par la perte de ma mère. Je ne le voyais que très peu, et j’ai grandi en
faisant des domestiques de notre demeure et Bessie, ma véritable famille, qui
me choyaient comme si j’étais leur fils à toutes et tous. Cela me consolait, et
me permettait d’oublier l’absence répété de mon père.
Je ne saurais pas vous dire si c’était dans un but de me
rapprocher de celui-ci, ou une forme inconsciente de lui rappeler qu’il avait
un fils, mais je me suis intéressé aux mêmes passions de mon père. Lisant,
étudiant tout ce qui avait un rapport avec les légendes, les mythes de notre
chère Angleterre. Apprenant le vrai du faux, en regroupant diverses
informations, et me passionnant dans les artefacts liés à ces histoires.
Encouragé par mon père, qui s’apercevait ainsi que j’étais là, j’ai persévéré
dans cette tâche. Incorporant des écoles de prestige liée à l’histoire et la
culture britannique, obtenant de nombreux diplômes, et faisant la fierté de mon
père, devenu enfin, grâce à cela, une figure paternelle aimante et s’excusant
de son absence auprès de moi pendant tant d’années. Je ne lui en voulais pas.
Je comprenais le pourquoi de sa quête folle, la raison qui l’avait poussé à
casser les mythes ayant causé la folie et la mort de ma mère.
Quand il est parti à son tour, j’ai hérité de la maison
familiale, ainsi que toutes les bizarres collections qu’il avait accumulées au
fil des ans. Des outils rituels, des statuettes, des objets réputés maudits,
allant de peintures au goût douteux, créé par des peintres au moins aussi
possédés artistiquement que mentalement, jusqu’à des flûtes en os, rappelant
les civilisations précolombiennes, mais appartenant à la culture celte, très
présente dans notre pays. Moi aussi, comme mon père avant moi, je suis devenu
une figure incontournable des mythes. Pas seulement britannique, mais d’autres
continents. Même si je privilégiais les légendes appartenant à notre pays.
A cause de ça, il m’arrivait fréquemment de recevoir des
appels d’illuminés notoires, persuadés d’avoir en leur possession des objets
magiques, ou des preuves de l’existence de créatures diaboliques ou appartenant
aux forces du mal. Dans le seul but de me prouver que je me trompais en
affirmant que tout ceci n’était que des balivernes, créés par des cerveaux très
imaginatifs, mais reposant néanmoins sur des bases bien réelles, qui, elles,
étaient loin d’être fantastiques, mais enracinées dans des cultures et des
croyances, parfois extrêmes, vouées au paranormal et la religion. C’est ainsi
que j’ai été contacté par l’homme qui allait changer de manière radicale ma
perception du surnaturel. Colby Southden. Celui qui allait être la cause du
cauchemar qui envelopperait ma vie, par le biais d’un objet à priori anodin, et
même classique, mais aux propriétés mystiques faisant remonter en moi des
fantômes de mon passé, de mon enfance marquée par la mort de ma mère, de sa
folie, et de la quête de mon père, m’ayant poussé à suivre la même voie de
combat contre la vérité et les superstitions. Un objet qui allait me remettre
en contact avec le mythe du Barghest, des années après le double drame ayant
endeuillé notre famille, et entrainé ma mère et sa sœur avant elle dans son
sillage…
Ce jour-là, j’étais occupé, comme à mon habitude, à explorer
le net pour acquérir ou consulter des documents anciens et des livres traitant
de mythes britanniques locaux, dans le but de trouver de nouveaux sujets à
explorer pour mes futurs livres. Ayant déjà 3 œuvres ayant obtenu parmi les ventes
les plus importantes dans le domaine de l’analyse historique et culturel des
légendes et objets mystiques. Puis, un appel rompit le silence. A l’autre bout
du fil, un homme prétendait avoir quelque chose qui pourrait m’intéresser,
qu’il désirait vendre à bon prix.
- Mr. Elliott Loventon ? Je me permets de vous contacter,
car j’ai en ma possession un objet qui, je pense, serait susceptible de vous
plaire…
- Un objet ? Quel objet ?
- C’est un médaillon, un porteur de chance pour être plus
précis. Je sais que vous êtes friand d’objets aux propriétés mystiques. Et
celui-ci pourrait changer votre point de vue sur la magie…
J’étais intrigué, à la fois par l’assurance de mon
interlocuteur, mais aussi par sa faculté à m’interroger sur la nature du fameux
objet…
- Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai la réputation de
démystifier les soi-disant propriétés magiques de tels objets. En quoi celui-ci
pourrait m’intéresser plus que d’autres ? Il faudrait vraiment
qu’il…
- C’est un médaillon comportant un os de Barghest… Oui, vous
avez bien entendu : le même animal ayant causé le malheur de votre
famille… Grâce à ce médaillon, peut-être pourriez-vous être en mesure de
modifier votre propre destin, et ne pas finir comme votre mère et sa
sœur…
Je restais un instant sans voix. Bien sûr, le passé de ma
famille était loin d’être secret, pour avoir été étalé par mon père, afin de
répondre aux journalistes lui demandant la raison de sa « quête ».
Mais la manière dont cet homme avait d’avoir mis ça dans le fil de la conversation
était plutôt inattendu, et assez malaisant…
- Je suis désolé… Je ne voulais pas vous blesser en vous
rappelant des souvenirs douloureux. Mais c’était le seul moyen d’obtenir à coup
sûr votre attention…
Satisfait des explications de l’homme, après avoir été sur le
point de presque l’insulter sur ses propos, je demandais :
- C’est un peu… brutal comme entrée en matière, en effet.
Cependant, vous avez raison sur un point : vous avez éveillé mon intérêt
sur cet objet. Mais une question : comment savez-vous qu’il s’agit bien
d’un véritable os de Barghest ?
J’entendais l’homme ricaner légèrement :
- Je savais que vous me poseriez cette question. Si je le sais,
c’est parce que c’est moi qui ai fabriqué ce médaillon. Et l’os, je l’ai
moi-même déterré dans une tombe. Celle du mage Noir de l’abbaye de Whitby. La
même tombe que nombre d’historiens recherche, et qui contient non seulement les
restes du mage, mais aussi ceux de l’un des Barghest qu’il contrôlait et était
à ses côtés le jour où il fut tué, et abattu avec son maitre…
- Le mage noir… Je connais bien cette légende liée au Barghest.
Personne n’a jamais pu prouver son existence, ni même la réalité de sa
prétendue tombe. Quant à ceux qui servaient de garde du corps au Mage Noir…
D’ailleurs, si j’en crois les racontars, on dit que le 2ème Barghest
surveillerait la tombe de son maitre, tuant sans vergogne quiconque s’en
approcherait. Comment auriez-vous pu obtenir cet os sans subir
d’attaque ?
- Je vois que vous n’ignorez rien de cette légende qui n’en est
pas une. Elle est tout ce qu’il y a de plus réel. Je n’en attendais pas moins
d’un spécialiste du Barghest. Mais si vous voulez en savoir plus, il vous
faudra me rencontrer, et me certifier que vous vous porterez acquéreur du
médaillon… Dans le cas contraire, je m’adresserais à un autre…
Piqué au vif, et curieux de voir cet artefact qui pourrait
m’ouvrir les voies d’une explication de l’un des mythes les plus connus de
Whitby, j’assurais de mon intérêt pour le médaillon proposé, en acceptant de
lui acheter, après qu’il m’ai fourni l’adresse où le rencontrer pour la
transaction :
- Je ne suis pas encore sûr de la véracité du médaillon, mais
j’accepte de vous rencontrer. Je jugerais sur place si son achat est justifié.
Si tant es qu’il soit digne d’intérêt, et que le fameux os de Barghest ne vient
pas de la dépouille de votre propre chien décédé…
L’homme ricanait à nouveau :
- Je n’ai jamais eu de chien. Vous pourrez demander à mes
voisins… Et l’os est authentique. Je vous envoie mes coordonnées sur votre
boite mail officielle. Cher futur acquéreur de chance…
- A ce propos, pourquoi vouloir vous débarrasser d’un tel
objet, s’il vous apporte la chance ? N’importe qui pourrait tuer père et
mère pour bénéficier d’un tel pouvoir…
- Cela me regarde. J’ai mes raisons. Si vous m’achetez le
médaillon, vous saurez bien assez tôt que toute chance à son revers. Bien, je
vous attends pour mercredi de cette semaine. Je vous donnerais tous les détails
concernant le médaillon et son pouvoir une fois que vous serez en face de moi.
A bientôt, Mr. Loventon…
Je n’eus pas le temps de rajouter autre chose, que déjà
l’homme raccrochait. Quelques minutes plus tard, je recevais un mail comportant
le nom et l’adresse de l’inconnu… Il résidait à Whitby… Le même endroit d’où
venait la légende du Mage Noir. Je me rappelais avoir évoqué celle-ci lors de
mon premier ouvrage, dans le chapitre consacré aux différentes histoires liées
au Barghest. A dire vrai, il n’y a pas grand-chose de connu sur lui, mis à part
quelques couplets dans des vers de poètes de l’époque. Sur la partie réelle le
concernant, il s’agissait d’un moine celte qui avait refusé la légitimité du
Concile de Whitby, en 664. Concile établi par le roi Oswiu de Northumbrie, dans
le but de réunifier les églises celtes et l’Eglise de Rome.
Avant le Concile, il existait des confits mineurs en
apparence, comme le statut de la date de Pâques, ou le style des tonsures des
moines. Du moins, de manière officielle. En fait, on reprochait aux églises
Celtes d’autoriser la continuité de certaines pratiques considérées comme païennes
au catholicisme, comme le sacrifice d’animaux pour obtenir de meilleures
récoltes, ou la guérison des malades. Ainsi que l’existence de cultes voués aux
anciens dieux celtes, plus ou moins tolérés. Ce qui allait à l’encontre même du
christianisme de l’Eglise de Rome. Le Concile balaya tout ça, rayant
définitivement cette tolérance de ces cultes interdits, et provoquant la colère
du plus éminent des moines celtes, officiant à l’Abbaye de Whitby, et n’acceptant
pas ce qu’il indiquait être un blasphème vis-à-vis des ancêtres celtes.
Après que le Concile officialisa l’accord de réunification
des Eglises britanniques, avec l’accord de l’abbesse Hilda, dirigeante de
l’Abbaye de Whitby, qui serait canonisée Sainte par la suite, on dit que le
fameux Moine, surnommé le Mage Noir, et officiant au sein de la même Abbaye, suspecté
d’appartenir à un ordre ancien composé de druides en secret, aurait lancé des
attaques envers les églises, pour les punir d’avoir procédé à la réunification.
Des attaques proférées par un couple de Barghest, des chiens noirs fantômes, et
occasionnant des blessures graves sur des prêtres. Finalement, le Pape St
Vitalien ordonna l’excommunication du moine, et demanda son arrestation pour
actes de violence à l’encontre des édifices ecclésiastiques. On dit que le moine
fut pourchassé et tué, sur l’ordre d’un des notables de Whitby, très influent,
et fervent défenseur de l’Eglise de Rome, voulant mettre un terme au règne du
Mage Noir. Parmi les membres de la milice formée pour éliminer ce dernier,
figurait un chasseur de monstres, chargé d’éliminer les Barghest protégeant Alistair
Drogby, le nom du moine.
Seul l’un des deux fut tué, à l’aide de flèches spéciales. Alors
qu’il était blessé à mort, Alistair ordonna au Barghest survivant de s’enfuir,
et de veiller sur sa tombe, où que son corps soit enterré. Par la suite, le
moine et le Barghest tués furent mis en terre au sein du cimetière Ste Mary de
Whitby, de manière anonyme. Aucune plaque, aucun monument funéraire ne fut
érigé. Et pour être sûr que personne ne tenterait d’accéder au cadavre du Mage
Noir, un mausolée fut érigé au-dessus, contenant une dalle de ciment au-dessus
de la tombe du moine. Mausolée appartenant au notable ayant demandé la mise à
mort d’Alistair, pour accueillir, officiellement, les membres de sa famille. On
dit qu’un chien noir était vu régulièrement au sein du cimetière, comme
surveillant la sépulture de son maitre défunt, fidèle à la demande de ce
dernier. Et plusieurs faits divers relatent des attaques régulières du Barghest
survivant envers tous ceux tentant de s’approcher du mausolée la nuit. Et le
jour, des grognements se font entendre près du même mausolée.
S’il est difficile de définir la réalité de la partie
concernant les Barghest, en revanche, Alistair a bien existé, et c’était un
farouche opposant au projet du Concile, appelant les moines des églises celtes
à la révolte. De là à dire qu’il était un druide et chef d’un culte
« sombre », il n’existe aucune preuve établissant cela. Dans les
faits, il fut accusé de trouble de l’ordre public, à cause de nombreux actes de
vandalisme sur les églises, réclamant à être entendu par le Pape pour qu’il
reconsidère cette « union non-désirée » par les Celtes. Par la suite,
les actes ont cessés du jour au lendemain, et plus personne ne sut ce qu’était
devenu Alistair. Les historiens supposent qu’il s’est exilé loin de Whitby, et
est mort dans l’anonymat le plus complet, à cause d’une maladie quelconque. Expliquant
le pourquoi de l’arrêt de ses opérations anti-Concile. Les croyances étant ce
qu’elles sont, vu que son corps n’a jamais été officiellement reconnu et
retrouvé, la part surnaturelle et sa supposée alliance avec les Barghest ont
contribué à la légende.
Je me demandais ce que Colby savait à propos de tout ça dans
les détails. Si je me basais sur ce qu’il m’avait affirmé au téléphone, la
possibilité que le Mage Noir, enfin, Alistair ait été tué par une milice créée
par le fameux notable de Whitby, puis enterré en secret, n’était pas
complètement absurde, et même très probable, expliquant sa disparition
soudaine. Avant de m’engager dans ce voyage, je décidais d’aller voir mon ami Dariel
pour lui demander conseil. En plus d’être un ami d’enfance, il était aussi le
médecin de famille, et était au courant de mon histoire compliquée. Son père s’était
rendu souvent auprès de ma mère, quand mon père ne parvenait pas à calmer ses
crises d’hystérie, conséquentes à des disputes au sujet de l’existence du
Barghest. Dariel accompagnait toujours son père, qui voulait faire de lui son
successeur, et c’est ainsi que notre amitié s’est enclenchée, au gré de ses
visites avec son médecin de père.
Il a été témoin de mon malheur pendant toutes les années où
j’ai subi la disparition de ma mère, et l’éloignement de mon père. Et c’est lui
qui, finalement, a su apporter l’amour que recherchait ma nourrice, ayant
accepté qu’elle n’obtiendrait jamais l’amour de celui qu’elle désirait. Une
forme de dépit qui l’a fait épouser Dariel. Mais si ce n’était pas vraiment un
amour réciproque au départ entre eux deux, à cause de la différence d’âge
principalement, Bessie a appris à aimer Dariel, voyant en lui un moyen de
s’éloigner de la maison où elle souffrait intérieurement de l’aveuglement de
mon père envers elle. C’est une situation qui peut paraître un peu particulière
pour beaucoup d’entre vous, qui lisez ces lignes aujourd’hui, comme témoignage
de ce qui s’est passé, mais pour Dariel, comme pour moi, ce n’était rien de
plus qu’un concours de circonstances, qui a contribué à renforcer notre amitié.
J’arrivais à la maison de mon complice d’enfance, le terme qu’on employait
souvent entre nous, et sonnait.
Je savais que Bessie était à son club ce jour-là, et cela me
facilitait les choses. Je serais plus à même de parler ouvertement à Dariel,
qui était aussi un passionné des légendes, même s’il n’était pas aussi intoxiqué
que moi, tel qu’il me désignait. Bessie ne partageait pas vraiment cette même
passion. En tout cas, pas de manière aussi importante. Disons que cela avait
tendance à lui rappeler mon père, l’amour qu’elle n’avait jamais eu, à cause de
cette même passion des mythes. La porte s’ouvrait sur un Dariel tout
sourire :
- Elliott ! Le chercheur de vérité daigne me voir
aujourd’hui ? Attends, faut que je note ça sur un calendrier…
- T’exagères… On s’est vu la semaine dernière je te
rappelle…
- C’est bien ce que je disais : ça fait déjà une éternité
pour moi… Bon, blague à part, que me vaut l’honneur de la visite de Mr.
Légende, l’homme qui se passionne plus sur les objets inanimés que les beautés
de l’amour…
- Tu vas pas remettre ça sur le tapis ? Si je ne suis pas
marié, c’est juste que j’ai pas trouvé celle qui était la bonne…
- Ben, en même temps, tu la cherches pas beaucoup non
plus…
- Dit celui qui s’est marié à ma nounou…
- Je vois… C’est une déclaration de guerre… Bon, attends :
je connais une tripotée de grandes moches qui vont te harceler chez toi pour que
tu leur offres le chemin de ton lit… Tu m’en diras des nouvelles…
- Bon, ok, j’ai rien dit… On peut discuter maintenant, monsieur
le coach en amour ?
- ça peut se faire… Ah ah, je rigole hein… Allez
viens, entre, et raconte-moi tout…
C’est ainsi que je lui exposais l’étrange coup de fil venant
de Whitby, le médaillon, l’os de Barghest, le Mage Noir, et le reste… Dariel
écoutait attentivement tout mon récit, puis, avec son flegme habituel,
m’incitait à faire le voyage, m’indiquant qu’au pire, ça me ferait voyager un
peu. Rajoutant qu’une babiole de plus ou de moins dans ma collection, ça ne changerait
pas grand-chose. Il finissait par me convaincre complètement, et je décidais
donc de me rendre à Whitby le jour donné par ce Colby Southden. Le jour dit, je
me retrouvais devant la maison de Colby, après avoir parcouru les 76 Km m’ayant
fait venir de York jusqu’à Whitby. Une maison très chic, dans le pur esprit
britannique des riches familles. Je me surprenais à me demander si c’était le
résultat de la fameuse chance offerte par le médaillon. Quelque peu subjugué
par tant de luxe extérieur, je ne remarquais pas la porte s’étant ouverte
pendant que j’étais absorbé dans mes pensées.
-Vous vous demandez si c’est grâce au médaillon si j’ai tout
ça, pas vrai Mr. Loventon ?
Revenant à mes esprits, et me détournant du spectacle du
jardin, tout aussi flamboyant que les murs de la maison, je répondais, un peu
gêné :
- Oh…Je… Non… Enfin, oui… Excusez-moi… J’étais un peu distrait…
Vous avez une maison tellement magnifique…
- Ce ne sont que des apparences… Le sacrifice et les tourments
pour obtenir ce havre sont bien plus sombres que vous pensez…
Je ne savais que répondre à ça… Il y avait un je ne sais quoi
de tristesse dans sa voix, moins dans l’assurance qu’il m’avait adressé au
téléphone…
- On sera mieux à l’intérieur, vous ne croyez pas ? A
moins que vous n’ayez changé d’avis concernant le médaillon ?
- Oh, non… Je suis toujours intéressé… Mais on n’a pas discuté
du prix au téléphone, et il n’y avait rien dans le mail non plus…
- J’attendais de voir si vous alliez bien venir. Mais
maintenant, on va pouvoir discuter de tout ça tranquillement. Suivez-moi…
Je rentrais dans la maison de Colby, fermant la porte
derrière moi, et où que se porte mon regard, je ne voyais que du luxe à tous
les niveaux. Je me demandais quel métier pouvait exercer Colby pour avoir les
moyens de se payer tout ça. Moi qui pensais que la maison héritée de mon père
était déjà un brin de paradis, en comparaison de celle-ci, elle faisait pâle
figure… S’étant aperçu de mon émerveillement, tout en continuant de marcher
dans le couloir devant nous, Colby s’adressait à moi :
- Une fois devenu propriétaire du médaillon, tout ce
que vous voyez ici, vous serez en mesure d’avoir la même chose dans votre vie.
Et ça arrivera très rapidement. Les pouvoirs du Barghest sont très puissants,
vous vous en rendrez vite compte. Profitez-en avant que le contrecoup
arrive…
- Le contrecoup ? C’est-à-dire ? Y’aurait-il une
« malédiction » à la suite de la chance offerte ?
Semblant conscient d’avoir sans doute parlé plus qu’il ne
devait, et craignant que cela influe sur mon envie d’acquérir le médaillon,
Colby se rattrapait :
- Non… Je ne parlais pas de ce contrecoup là… N’ayez
aucune crainte. C’était juste une remarque personnelle. Le luxe, les belles
choses, vous savez, on s’en lasse vite. Il y a plus important que ça dans la vie.
En tout cas, de mon point de vue… Mais chacun a ses propres opinions. Ce sera
peut-être différent pour vous…
Je m’interrogeais à nouveau. Il était tellement différent de
ce que je pensais avoir cru percevoir de sa personnalité. J’avais ressenti une
certaine arrogance au téléphone de sa part. Et là, c’était tout le contraire.
J’avais la bizarre impression qu’il avait de la peine que je sois venu, comme
une forme de culpabilité cachée, sur le fait de me transmettre le médaillon. Mais
je gardais ça pour moi, et entrais avec Colby dans une pièce située sur la
droite. Il me faisait installer sur une chaise, devant un bureau rempli de
documents et de divers papiers, qu’il se hâtait de ranger, comme s’il s’était
aperçu d’un oubli de sa part.
- Excusez-moi pour le désordre. Je suis un peu
distrait ces derniers temps…
- Vous êtes tout excusé, ne vous inquiétez pas. Je sais ce que
c’est de ne pas penser à tout en temps et en heure…
Il ne disait rien, et achevait de regrouper les papiers, les
plaçant dans un tiroir. J’avais eu le temps de remarquer des dessins de
Barghest. Enfin, sa représentation la plus connue. Telle qu’elle est établie
dans le folklore britannique, et visible dans certains métrages ou séries,
comme « Le Chien des Baskerville », la plus connue de toutes.
Puis, sorti d’un autre tiroir, il sortait un objet que je supposais être le
fameux médaillon.
- Voilà ce que vous êtes venu chercher. Comme je vous l’ai dit
au téléphone, c’est moi qui l’ai conçu, à partir des os du Barghest trouvé dans
la tombe du Mage Noir. Un travail fastidieux, qui m’a demandé pas mal de
recherches et d’études de divers ouvrages mystiques pour le mettre au
point.
Colby me laissait prendre le médaillon en main. Il était
constitué d’un contour de ce qui semblait être de l’argent pur, comportant des
signes tel que j’en avais vu sur des livres de démonologie, ou d’autres
ouvrages ésotériques constituant les bases de mes recherches sur l’origine des
artefacts liés à l’histoire britannique, et remontant, bien souvent, au peuple
Celte. Le centre se composait d’une pierre, une opale à première vue, avec à
l’intérieur ce qui ressemblait fortement à des éclats d’os broyés.
- Ce n’est pas une opale, si vous vous posez la question, même
si ça y ressemble. C’est le résultat d’une composition chimique, qui serait
trop compliqué à vous détailler. Nécessaire pour diffuser le pouvoir extrait de
l’os de Barghest. S’il est broyé, c’est pour mieux permettre la quintessence de
ce qui le constitue. L’alliance des deux, combinés aux formules gravées sur le
contour, font de ce médaillon un objet mystique unique au monde, et n’étant
présent dans aucun livre connu…
A partir de là, il m’expliquait comment il était tombé sur un
manuscrit au sein d’une vieille maison lors d’une de ses « chasses »,
avouant qu’il était, il y avait encore quelques mois, un simple chasseur de
trésors, explorant des lieux historiques en toute illégalité. Le manuscrit
était caché dans une niche de pierre, dont l’ouverture s’était actionnée au
hasard de la manipulation d’une statue. L’ouvrage indiquait comment
confectionner un artefact pouvant apporter la chance, à partir d’os de Barghest.
Connaissant la légende du Mage Noir, il s’est mis à la recherche d’indices
pouvant lui permettre de trouver la tombe d’Alistair et le Barghest censé avoir
été enterré à ses côtés. Il est tombé sur une lettre d’un notable officiant à
l’époque où le moine a « disparu » sans raison. Une lettre où le
notable expliquait qu’il regrettait de n’avoir pas détruit le corps du Mage
Noir et son « horrible bête », car il était sans cesse hanté par des
cauchemars depuis ce jour. Comme si le moine le harcelait depuis sa tombe
cachée. Suivait des détails sur l’endroit où était situé la sépulture du Mage
Noir, et le fait que des morts étaient survenus au sein du cimetière près de
celle-ci, et devant être la cause de l’autre Barghest, le mâle.
Car, oui, les 2 chiens fantômes du Mage Noir était un couple.
Et c’était la femelle qui avait été tuée par les flèches du chasseur de
monstres. Le mâle ne faisait pas que protéger son ancien maitre, mais aussi sa
femelle. Colby expliquait qu’il y avait un seul jour où la créature ne pouvait
pas pénétrer dans le cimetière pour assurer la protection des corps, c’était le
jour de Pâques. Il y voyait sans doute un rapport avec l’accord du Concile de
Whitby. La date de Pâques faisant partie des désaccords entre les églises
Celtes et l’Eglise de Rome, et celle finalement choisie après le Concile, et
toujours effective aujourd’hui, fut celle du calendrier romain. L’Impossibilité
du Barghest de se rendre ce jour précis près de la tombe, le Mage Noir ayant
été enterré dans un cimetière catholique non celte, pouvant être expliqué par
ce fait. Comme une forme d’opposition des terres consacrées par l’Eglise de
Rome aux créatures celtes de ce jour marquant la séparation du Mage Noir par
rapport au Concile.
C’est ainsi qu’une nuit Colby s’est rendu au cimetière,
suivant les indications présentes sur la lettre, précisant que la sépulture se
trouvait sous le mausolée de la famille du notable. Il creusa le sol, après
avoir perforé la dalle de ciment. Une opération longue, et, pour éviter de croiser
qui que ce soit le matin de Pâques, il devait finir son ouvrage avant 8 heures,
l’horaire d’ouverture du cimetière. Ce qui fait qu’il a tout juste eu le temps
de prendre un seul os du Barghest, qui fut très compliqué à extraire de la
terre, sans doute à cause de sa nature démoniaque, avant que les premiers
habitués du cimetière ne viennent. Après cette nuit mouvementée et exténuante,
il a commencé à mettre au point l’artefact, ce qui lui prit 3 jours de labeur.
Mais la récompense fut à la hauteur. Dès lors, la chance lui offrit le respect
des autres, richesse et aventures amoureuses à profusion, faisant de lui un
homme heureux. Il suffisait juste d’être en possession de l’artefact, sans
forcément le porter sur soi en permanence.
Mais, comme il l’avait expliqué auparavant, il indiquait
qu’il s’était lassé de cette vie facile. Désormais, il avait tout ce qu’il
avait espéré obtenir, et ne trouvait plus d’attrait à claquer des doigts pour
avoir tout et n’importe quoi. Il désirait que quelqu’un d’autre profite de ce
cadeau que représentait le médaillon, mais il voulait que ce soit quelqu’un qui
avait la passion des mythes. C’est pourquoi il avait pensé à moi. Le prix qu’il
demandait n’était pas très grand, car la valeur obtenu pour faire changer le
médaillon de propriétaire importait peu. Le plus important était le fait de le
transmettre, avec la chance qu’il offrait. Bien que sentant qu’il ne disait pas
tout, je ressentais à nouveau cette tristesse en Colby, et l’attendrissement
ressenti à cet instant fit que j’accordais ma confiance à cet homme semblant
blasé de son statut d’homme comblé. Alors je lui donnais la somme qu’il
demandait, lui signant un chèque, et signant un document où je reconnaissais
être le nouveau propriétaire du médaillon. Un passage obligé, selon ses dires,
pour conclure définitivement la passation de l’artefact, avec tout ce que cela
impliquait.
Encore des paroles énigmatiques, mais sur le coup, je mettais
ça sur le compte de son désir d’officialiser la transaction. Je revenais chez moi
et installais le médaillon en place d’honneur de la pièce où se trouvait les
autres artefacts constituant mes possessions. Bien que ne persuadé de l’inexistence
du pouvoir du médaillon, qui m’intéressait plus en tant qu’objet mystique à part,
je dus très vite me rendre à l’évidence : son pouvoir était réel, et
j’allais bientôt en ressentir tous les effets, aussi incroyable que cela puisse
paraitre. J’ai mis du temps à accepter que le médaillon fût la cause de la
chance qui me tombait dessus les jours, les semaines, les mois suivants. Mais
arriva un moment où je ne pouvais nier ses propriétés. Je fis la connaissance
d’une jeune femme lors d’une conférence, se disant grande fan de mes ouvrages.
Au début, nous conversions par le biais d’internet, et de fil en aiguille, nous
nous échangions nos numéros de téléphone, rajoutant une proximité plus intime
dans notre relation. Puis elle vint s’installer à York, afin de se trouver plus
près de moi. Nous nous rencontrions souvent, lors de balades dans les parcs, ou
pour prendre le thé chez elle ou chez moi, assistant ensemble à des spectacles,
des conférences de collègues.
Nous devenions de plus en plus proche, à la grande joie de
Dariel, qui ne cessait de me charrier sur cet amour naissant :
- Moi qui pensait que je serais à la retraite avant de
te voir avec une femme, il semblerait que j’avais tout faux. Félicitation à
toi, casanova ! Jamais j’aurais pensé que tu trouverais une future épouse
aussi ravissante… Je suis presque jaloux…
- Fais attention : je pourrais bien redire à
Bessie tes mots…
- Si tu fais ça, je dis à ta chère Carlyn où tu planques tes
revues de chèvres sans poils…
- N’importe quoi… Et pourquoi pas des lamas pendant que tu y es ?
- Ah, c’est pas bête ça… Attends, je note : vidéos de
lamas lécheurs à indiquer à Carlyn…
- Comme si elle allait croire ce genre de trucs…
- Ne sous-estime pas mon pouvoir de persuasion… Et puis,
n’oublie pas : toi tu sais que c’est faux… Mais elle… Ce serait drôle de
la voir retourner toute ta maison pour chercher revues et vidéos zoophiles,
rien que pour savoir si j’ai dit vrai…
Je ne pouvais m’empêcher de rire à un tel monument de
stupidité, qui me faisait revenir à notre période où n’importe quoi nous
offrait le sourire, me faisant oublier le malheur m’entourant. Dariel avait
toujours été comme ça : une sorte de médicament vivant à la morosité. Deux
semaines plus tard, je demandais Carlyn en mariage. La consécration d’un
bonheur qui illuminait ma vie quand elle acceptait sans même une
hésitation :
- Tu n’imagines pas le temps que j’ai attendu pour que tu te
décides enfin à me faire cette demande… J’ai même interrogé ton ami Dariel, et
Bessie aussi, pour savoir ce qu’il fallait que je fasse pour te pousser dans
cette voie…
- Tu me fais peur là. Demander conseil à Dariel, c’est
jouer avec le diable. Je veux même pas savoir ce que cet idiot a pu te donner
comme directive…
Carlyn riait à ces mots, se rappelant les mots de Dariel, et
préférant garder ces « infos » pour elle :
- Je crois, en effet, qu’il vaut mieux que tu restes dans
l’ignorance sur ce point… ça sera mieux pour votre amitié…
- ça j’en doute pas. En comparaison, Bessie a dû être plus sage
niveau conseils…
Carlyn rougissait :
- Eh bien, en fait… Je vais garder ça aussi pour moi… Tu serais
surpris de ce qu’elle m’a conseillé… Que je n’ai jamais appliqué d’ailleurs… Je
dirais même que ses idées étaient encore pire que Dariel…
Ne pouvant m’empêcher d’éclater de rire, en indiquant que
c’était le résultat d’une longue période à vivre auprès de quelqu’un comme
Dariel qui avait dû contaminer Bessie à ce point, Carlyn m’accompagnait dans la
bonne humeur, avant de s’approcher de moi, et m’embrasser tendrement. Ce
n’était pas la première fois, mais cette fois-là, le goût de ses lèvres avait
une toute autre saveur, et cela se rajoutait à mon train de vie m’ayant
propulsé dans les hautes sphères de la gloire, la reconnaissance scientifique
s’étendant toujours plus, accompagné de multiples autres plaisirs.
Mon mariage avec Carlyn avait été sans doute l’un des
évènements le plus important de l’histoire de notre ville de York. Mais ce
n’était que la partie de l’iceberg la plus plaisante qui était sur le point de
laisser place à sa partie sombre. Une phase où j’allais comprendre un peu mieux
les mots proférés par Colby lors de ma rencontre chez lui, et la raison pour
laquelle il semblait si pressé de se défaire du médaillon. J’allais découvrir
que le Barghest n’était pas une légende, mais était bien une réalité. Me
faisant me replonger dans un passé que je pensais avoir enfoui en moi. Un passé
où se mélangeait les images de ma mère, et de la sœur de celle-ci, de Troller’s
Gill, et l’absence de mon père. Le début d’un cauchemar dont je ne ressortirais
pas indemne, semant l’incompréhension de Carlyn, de Dariel et de bien d’autres,
me faisant passer pour un névrosé dans le meilleur des cas, ou d’un fou bon à
enfermer. Si Colby s’était débarrassé du médaillon, c’était parce qu’il n’avait
plus la force de résister à la menace qui allait s’inviter à ma porte. Pour
survivre, il lui fallait transmettre ce mal, et j’avais été le pigeon idéal à
son stratagème, comme allait me le montrer les semaines suivantes…
C’était 3 semaines après le mariage. Ce soir-là, Carlyn
s’était rendu à une soirée où nous étions tous les deux invités, dans le cadre
de l’inauguration d’un musée consacré au folklore fantastique britannique,
composé d’une collection dont un grand nombre venait d’un prêt de ma part.
J’étais ravi de pouvoir exposer ainsi ce que j’avais récolté au cours des
années, ainsi que ceux de mon père. Il aurait été tellement fier de ça. C’est
aussi à sa mémoire que j’avais accepté que ces divers artefacts soient les
pièces maitresses de ce musée.
Mais j’étais trop fatigué pour me rendre à la soirée après
l’inauguration, se rajoutant à une nuit blanche où je faisais des recherches
dans le cadre de découvertes archéologiques au sud de l’Irlande, afin de faire
un parallèle entre les artefacts misa à jour et l’histoire du pays. Cela me
gênait de ne pouvoir être présent, mais Carlyn insista pour je reste à me
reposer, plutôt que d’avoir un zombie à ses côtés, menaçant de s’écrouler de
fatigue à tout instant. Précisant que Dariel et Bessie seraient là pour veiller
sur elle, et que je ne devais pas m’en faire.
Je me retrouvais donc seul dans ma grande maison, ce qui ne
m’étais pas arrivé depuis bien longtemps. Mais je n’arrivais pas à dormir pour
autant, malgré mon envie de fermer les yeux. C’était rageant, et même
l’absorption de somnifère n’y faisait rien. Je me disais que prendre un bol
d’air pur au-dehors m’aiderait peut-être à me détendre, mettant mon
impossibilité de me rendre au pays de Morphée sur le stress engrangé de ces
derniers jours. Entre le voyage en Irlande où j’avais été convié pour étudier
sur place les artefacts trouvés, les analyses en résultant, les recherches une
fois revenu à York, mon corps avait été très sollicité, créant une nervosité
tellement grande qu’il ne pouvait se résoudre à se laisser aller au sommeil.
Alors, je me rhabillais, enfilais une veste, et je me dirigeais vers la porte
me séparant de la chaleur de mon foyer à la froideur de la nuit. Cependant, en
passant devant le médaillon acquis auprès de Colby, et mis en place d’honneur
dans le salon, je ressentais une impression étrange. C’était difficile à
définir, mais c’était comme des ondes néfastes émanant de l’objet, semblant
envelopper toute la pièce, jusqu’à la porte d’entrée. Une sorte d’oppression
omniprésente.
Je mettais ça sur le compte du stress et de la fatigue, me
faisant entrevoir des sensations n’appartenant qu’aux superstitions entourant
le médaillon, évoquées par Colby. Je ne croyais pas au fait que l’os composant
cet objet soit celui d’un Barghest. C’était stupide. Néanmoins, le médaillon en
lui-même, le travail d’orfèvre opéré par Colby dessus en faisait quelque chose
d’unique en termes de confection, que même un joailler hautement réputé ne
parviendrait sans doute pas à créer. Cet os, enfin ce fragment d’os, ne devait
être que celui d’un quelconque animal, c’était une évidence à mes yeux, et
certainement pas le vestige d’un animal aussi connu du folklore britannique,
popularisé par « Le chien des Baskerville ». Je repensais
aussi à l’aura de la ville de Whitby. Dans le roman de Bram Stoker, « Dracula »,
Whitby était l’endroit où avait débarqué le Demeter, le bateau ayant ramené le
comte vampire de ses terres natales, pour se rendre en Angleterre. Dracula
s’étant transformé en gros chien noir dans le roman, il était évident que
Stoker s’était inspiré de la légende du Barghest, chère à Whitby, pour cette
séquence.
Ça faisait beaucoup de coïncidences, mais ça restait de
simples croyances. Des croyances qui avaient coûté la vie à ma tante et ma
mère, les ayant poussées dans la folie, ou victimes de celle d’autres voulant
faire croire à l’existence de cette bête démoniaque. Mais j’allais très vite
repousser mes convictions dès l’instant où j’ouvrais la porte de l’entrée, refoulant
de mon esprit mes pensées concernant le médaillon, Whitby, Colby et le reste. Au
début, je pensais qu’il ne s’agissait que d’un animal égaré, s’étant enfui de
la maison d’un voisin, et cherchant de la nourriture, pensant obtenir la pitié d’un
résident, et sans doute attiré par les lumières aux fenêtres de ma demeure.
Mais son air menaçant était en opposition avec cette supposition. Et surtout
son allure était conforme à ce que je savais, de ce que j’avais lu concernant la
créature liée au médaillon en ma possession, et l’obsession de mon père en
rapport avec les mythes, comme un remède pour effacer le souvenir de la mort de
ma mère.
Sa couleur noire, ses yeux rouges, son allure décharnée,
comme semblant sortir des enfers, ses dents découvertes, prononçant très
clairement son hostilité, ses argots aux pattes aussi sombres que les ténèbres,
plantées dans le sol, formant de minuscules fissures tout autour de la zone où
il était positionné. Il était en tout point conforme au Barghest des légendes,
tel que décrit dans les livres que j’avais étudié. Et surtout, il y avait une
aura d’une noirceur totale tout autour du corps de cette bête, qui faisait
frissonner l’ensemble de ma peau, de mes muscles, à ma grande honte. C’était
ridicule. Ce n’était qu’un chien égaré. Certes menaçant, et me faisant reculer,
mais ça restait un animal tout ce qu’il y avait de plus normal. Pour moi,
ç’était une évidence. La suite me convainquit qu’il n’en était rien. J’appelais
les passants déambulant dans la rue, leur demandant d’appeler un agent pour me
débarrasser de cette bête qui me menaçait, mais je n’avais comme retour que des
yeux remplis d’incompréhension à ma demande. La plupart détournait les yeux,
m’ignorant, comme si j’étais un fou divaguant qu’il fallait éviter. Mais les
paroles d’un homme me firent raidir sur place
- Quel chien, milord ? Il n’y a aucun chien ici. Ni devant
vous, ni nulle part… Vous devriez rentrer chez vous pour vous allonger. Vous
semblez avoir une telle fatigue qu’elle provoque en vous des
hallucinations…
Je restais sur place à ces mots, pendant que l’homme s’éloignait,
après avoir détourné le regard. Pourquoi ne le voyait-il pas ? C’était
inconcevable. Je n’étais pas fou : le chien se trouvait bien devant moi.
Voulant défier le diable, je tentais de m’approcher, pensant que l’apparition
née de mon imagination à force d’avoir trop étudié ces derniers temps finirait
par s’effacer. Mais au lieu de cela, le chien se mit à grogner fortement,
encore plus menaçant, laissant couler de la bave sur le sol, et laissant
s’échapper à ce contact une légère fumée. Comme si de l’acide s’était déversé
de la gueule de cet animal dont l’existence ne semblait se révéler qu’à moi. Envahi
par la peur, je reculais immédiatement, terrorisé par ce chien qui ne pouvait
pas être là. C’était impossible. Je fermais les yeux, espérant faire
disparaitre cette monstruosité. Mais ça ne changeait rien. Pire : le chien
s’avançait d’un pas dans ma direction, comme pour me signifier de rentrer chez
moi, et qu’il ne me laisserait pas aller plus avant dans la rue. En proie à la
panique, je rentrais alors. Voulant me persuader que la présence de ce chien
n’était que le résultat d’un rêve éveillé, j’ai alors tenté à plusieurs
reprises de ressortir, espaçant le temps de chacune de mes tentatives…
Mais à chaque fois, il était là, menaçant, grognant, réduisant
la distance le séparant de ma porte en s’avançant. Avec toujours cette aura
sombre autour de lui, et cette impression meurtrière à mon encontre se
dégageant de son corps. Un Barghest. Je savais que ça paraissait complètement
fou, mais c’était bel et bien cet animal mythique qui se trouvait devant chez
moi, m’empêchant de sortir, me faisant prisonnier de ma propre maison. Ça ne
pouvait pas être réel. Non. Le… Le barghest n’était qu’une invention de
conteurs voulant donner une incarnation à la peur suscitée par le monde animal.
Une représentation des enfers telle qu’elle était imaginé par des esprits trop
ancrés dans leurs délires paranoïaques. Comment pouvait-il avoir revêtu une
forme physique ? Et pourquoi était-je le seul à le voir ? Qu’avais-je
fait pour mériter d’être harcelé par lui ?
Voulant malgré tout me persuader que l’homme dans la rue, à
cause de la pénombre et le faible éclairage, avait peut-être mal discerné le
Barghest, j’attendais le retour de Carlyn. Quand j’entendais les voix de Dariel
et Bessie, je me sentais soulagé. Je pensais que la fin de ce cauchemar allait
s’amorcer. Mais par mesure de précaution, j’attendais que Carlyn les remercie
de l’avoir raccompagné, montant les marches menant à notre porte, pendant que
le bruit du moteur de la voiture de Dariel s’éloignait, pour sortir sur le
perron, voulant en avoir le cœur net.
- Elliott ? Tu es encore debout à cette
heure ? Rassure-moi… Tu ne m’attendais pas quand même ? Tu sais bien
que je ne craignais rien avec Dariel et Bessie à mes côtés
- Non… Je le sais bien… C’est juste que… Je… Je ne me sens pas
très bien… Je crois que je vois des choses bizarres…
- Des choses bizarres ? C’est-à-dire ? Tu
m’inquiètes… Tu n’as pas dormi ?
- A vrai dire, je ne parvenais pas à fermer l’œil. J’ai voulu
sortir pour m’y aider. Mais je ne pouvais pas… Cet animal m’en empêchait… S’il
te plait, dis-moi que tu le vois toi aussi… Dis-moi que je ne suis pas en train
de devenir fou…
Carlyn se retournait, regardant dans tout le périmètre autour
d’elle, afin de répondre à mes interrogations. Mais elle se rapprochait
ensuite, l’air peinée, confirmant ainsi les affirmations de l’homme dans la rue
précédemment…
- Il n’y a aucun animal dans les alentours… Je ne sais pas ce
que tu penses avoir vu, mais c’est sûrement le fait de ta fatigue. Rien
d’autre. Viens, rentrons. Je vais m’occuper de toi. Ça t’aidera sans doute à te
détendre. A défaut de trouver le sommeil, je saurais te faire penser à autre
chose que des idées saugrenues…
Elle me prenait par le bras, un sourire mutin parsemant son
visage, montrant son intention effectivement de me « détendre » à sa
façon. En d’autres moments, je n’aurais pas hésité à me dire que tout ça
n’était que le fruit de mon imagination. Mais pourtant, alors que Carlyn me faisait
avancer plus avant au sein de notre demeure, je regardais un instant en
arrière. Il était toujours là. Menaçant, grognant, irréel. Et rien dans l’attitude
de Carlyn ne laissait penser qu’elle l’entendait, tout comme elle ne l’avait
vu. Malgré tout, je décidais de mettre ça de côté, et me laissais emmener par
ma chère épouse vers notre chambre, où elle prit soin de m’offrir une nuit agitée
pour mettre mes hallucinations de côté. Prétextant qu’elle serait bien plus
efficace que n’importe quel médicament pour me faire effacer toute trace de
stress en moi. C’est dans ces moments-là que je me rendais compte de la chance
que j’avais de l’avoir à mes côtés. Sa tendresse, sa compassion, son écoute,
ses conseils très souvent. Tout en elle avait fait de moi un autre homme, se
rajoutant à tout le reste. J’avais du mal à accepter ce fait, mais depuis
l’acquisition de ce médaillon, la chance m’avait accompagné chaque jour.
Gloire, richesse et amour, tout m’avait souri. Tout comme me l’avait dit Colby…
Le lendemain matin, je pensais que ce cauchemar avait
disparu. J’étais serein, convaincu que j’avais rêvé la présence du Barghest,
persuadé que ce n’était dû qu’à une forme extrême de fatigue et de nervosité.
Mais je me trompais. Alors que Carlyn s’apprêtait à sortir pour ses activités
habituelles, comme son club de bridge dont elle était très friande, je le vis à
nouveau. Toujours posté au même endroit que la veille. Le Barghest. La même
noirceur, le même air menaçant, la même intention de m’empêcher de sortir.
J’étais tétanisé. Ce… Ce n’étais donc pas un rêve. Le Barghest était toujours
là, et j’étais sa cible.
- Carlyn… Tu…Tu ne le vois vraiment pas ?
S’interrogeant de ma question, au moment où elle descendait
les marches de l’escalier, Carlyn montrait un air inquiet :
- C’est encore ton animal fictif ? Je ne comprends pas… Qu’est-ce
qui t’arrive ? Je ne t’ai jamais vu comme ça… Tu as l’air… terrorisé.
Elle s’approchait de moi, caressant ma joue droite, les yeux
pleins de tristesse de me voir ainsi.
- Qu’est-ce qui peut bien te préoccuper autant pour te mettre
dans cet état ? Tu sais que tu peux tout me dire… Il n’y a pas que le
stress, je le vois bien… C’est… autre chose… Dis-moi ce qui te tracasse. Je
pourrais peut-être t’aider. Ou bien en parler à Dariel.
- Non… Non, je… Ce n’est rien… Je t’assure… Trop de tension en
ce moment vis-à-vis de mes recherches, c’est tout… Mais tu as raison : je vais
en parler à Dariel. Il saura me prescrire ce qu’il faut pour remédier à
ça…
Souriant à ces paroles, Carlyn semblait rassurée, et
m’embrassait avant de repartir, satisfaite de ma réponse. Je la voyais
s’éloigner, tentant de dissimuler mon angoisse sur le fait que le Barghest
était toujours là, me donnant l’impression de bondir sur moi à tout moment. Dès
que Carlyn fut hors de vue, je refermais la porte brusquement, me laissant face
à une terreur sans nom. Pourquoi ? Pourquoi le Barghest m’en voulait-il à
ce point ? Que pouvais-je bien avoir… Un éclair de réflexion m’envahit
alors… Le médaillon… Cette chance acquise, c’est à lui que je la devais… Et
l’élément central de ce médaillon, c’était ce fameux fragment d’os de Barghest.
Je n’y croyais pas au départ, mais maintenant, il n’y avait plus aucun doute
sur l’existence réelle de cette créature. J’ai tenté d’appeler Colby, afin
d’avoir des détails, voulant savoir si lui aussi avait été menacé par le
Barghest. Mais je n’avais pas de réponse. La ligne indiquait que le numéro
n’était plus attribué. Ce qui me confortait que Colby s’était bien foutu de moi
en me faisant acheter ce médaillon.
C’était cet objet qui était la raison de la présence du
Barghest, et Colby avait du forcément subir ce que je vivais. Je ne pouvais pas
sortir, donc impossible de me rendre à Whitby. J’eus donc l’idée de solliciter
Dariel pour le faire à ma place. Je devais savoir si Colby avait une solution
pour me débarrasser du Barghest. Je supposais que le fait de le faire changer
de propriétaire était la clé, mais je devais être sûr de ça. Pouvait -on
détruire le médaillon ? Devait-on le remettre dans la tombe du mage noir
pour échapper à la colère du Barghest ? L’os dans l’artefact était celui
de sa femelle. Ça devait être la cause principale de sa colère envers les
possesseurs du médaillon. Mais j’avais besoin de confirmations, et seul Colby
était en mesure de me les donner. Dariel était le seul à pouvoir m’aider dans
cette tâche.
- Dariel ? Je… Excuse-moi de te demander ça… Mais,
j’aurais besoin que tu puisses te rendre à Whitby, voir la personne qui m’a
vendu le médaillon dont je t’ai parlé il y a quelques mois. Je ne peux pas m’y
rendre moi-même, n’étant pas en état de voyager…
- Carlyn m’a appelé. Elle s’inquiète pour toi.
Qu’est-ce qui se passe ? Tu veux que je vienne te voir ? En tant que
médecin…
- Non… Non, ça… ça ira, je t’assure… C’est juste de la
fatigue, beaucoup de fatigue. Ça passera. Mais j’ai vraiment besoin de toi. Je
vais t’expliquer .
- Ok. Tu sais que je ne peux rien refuser à un ami
comme toi. Mais je persiste sur le fait que je devrais venir te voir. Carlyn a
insisté sur ce point. Et c’est pas à toi que je vais apprendre que c’est
dangereux de refuser quelque chose à ta chère épouse. Je tiens à ma vie
moi…
Je riais nerveusement. Dariel savait comment me détendre par
de simples phrases. Mais cette fois, ça ne changerait pas grand-chose à ma
situation. Je lui indiquais où habitait Colby, les questions qu’il devait lui
poser, concernant le médaillon. Je lui indiquais que c’était dans le but de
parfaire mes recherches sur un futur bouquin qui serait intégralement consacré
au Barghest. Bien qu’interrogatif au début, Dariel acceptait par amitié pour
moi, de faire le voyage à Whitby et rencontrer le fameux Colby.
- J’ai peu de clientèle en ce moment. Je vais décaler mes
rendez-vous, de façon à partir dans les prochains jours pour Whitby. Je te
cache pas que, même si je sais que c’est pour ton bouquin, les questions que je
dois poser à ce Colby sont vraiment étranges. Même de la part d’un curieux comme
toi. Mais je te fais confiance, tu sais ce que tu fais. Mais à mon retour, je
veux des détails sur ton état…
- Promis… Je tâcherais de te dire tout ce qu’il faut… ça te
semblera sans doute dingue, mais je sais que toi, tu ne me prendras pas pour un
fou.
- Mais tu es fou ! Fou de m’avoir comme ami… C’est déjà
beaucoup…
Riant à nouveau, je donnais plus de détails à Dariel, et je
raccrochais, attendant qu’il me donne les réponses concernant le médaillon. Je
passais mes journées à observer par la fenêtre, de peur d’ouvrir la porte et
découvrir que le Barghest se jetait sur moi au même instant. Il était là, sans
que personne dans la rue ne se soucie de sa présence. Aucun passant ne le
voyait. Il n’y avait que moi. J’étais piégé chez moi par un animal que j’étais
le seul à voir. Était-ce moi qui sombrait dans la folie ? Le Barghest
était-il réel ? Ou bien mon imagination était telle que je le croyais
vivant, au point de ressentir l’aura démoniaque autour de lui, le son de ses
grognements. C’était comme les symptômes de la paralysie du sommeil, mais en
mode éveillé. Je savais que je ne dormais pas. Dariel m’avait répondu. Carlyn
pouvait me toucher, et la sensation de sa peau, il était impossible que ça soit
du domaine d’un rêve intense.
Si c’était le cas, ça voudrait dire que toute ma vie se
résumait à un songe. Mon père, ma mère, et tout le reste ne seraient que des
chimères créées par mon cerveau ? Non, ça ne pouvait pas être. Je savais
que j’étais dans le réel. Aucun songe ne pouvait donner de telles sensations
aussi précises. Mais à dire la vérité, j’aurais préféré que ça soit le cas.
J’avais de plus en plus de mal à pouvoir expliquer mon état permanent de stress
à Carlyn chaque jour. Elle ne comprenait pas que je me refusais à sortir,
voyant mon air en proie à la terreur dès qu’elle ouvrait la porte.
- J’ai vraiment peur pour toi… Tu refuses de sortir,
prétextant de voir un… comment tu l’appelles… un Barghest qui menace de te
tuer… C’est… je n’ai pas les mots… Je sais que ta mère s’est tuée à cause de
cette croyance… Je ne suis pas psychiatre, mais peut-être que le traumatisme de
ce jour s’est installé plus profondément que tu pensais dans ton esprit. Et
aujourd’hui, il a atteint un niveau tel que tu penses voir cette
créature…
- JE NE SUIS PAS FOU !! LE BARGHEST EST LA !
DEVANT LA PORTE !
Voyant la tristesse dans ses yeux, et conscient que j’avais
été trop loin dans mon intonation à son encontre, je tentais de
m’excuser :
- Je… Excuse-moi… Je ne voulais pas crier… mais je sais ce que
je vois. Je ne m’explique pas sa présence, ni pourquoi je suis le seul à le
voir, mais je ne délire pas… Et maintenant, je me dis que ma tante et ma mère
ne l’étaient pas elles non plus…
- Je ne peux plus… Je ne peux plus vivre comme ça… Tu as besoin
d’être soigné… Je t’aime… A un point que tu n’imagines même pas… Mais je refuse
de te voir sombrer de plus en plus chaque jour, sans que tu veuilles recevoir
de l’aide de ma part, de Dariel ou d’autres qui s’inquiètent tout autant que
moi…Je… j’ai parlé à Bessie. Je lui ai fait part de ma peur. Car, oui, tu me
fais peur… J’ai peur de ce que tu es devenu. Tu n’es plus l’homme que j’ai
aimé… Tu as atteint un point de non-retour, et je ne veux pas sombrer avec toi.
Je vais m’installer chez Bessie et Dariel quelque temps. Je compte sur toi pour
te ressaisir, et accepter de te faire soigner. Je reviendrais quand tu pourras
me certifier que tu ne vois plus tes… fantômes…
J’aurais voulu la retenir quand elle a appelé Bessie pour
venir la chercher, mais je ne le pouvais pas. Je savais qu’elle avait raison.
Je sombrais. Petit à petit, je n’arrivais plus à discerner ce qui était réel de
ce qui était du domaine du fictif. Il n’y avait pas que le Barghest. Je voyais
ma mère, avec son corps en lambeaux, le visage ensanglanté. Je voyais ma tante
aussi, dans un état qui n’était guère mieux. Je savais que Carlyn m’avait
entendu parler seul, à quelqu’un d’invisible. Je parlais à ma mère, lui
demandant comment faire fuir le Barghest. Elle m’indiquait comment elle avait
été tuée par lui, tout comme ma tante, qui confirmait les dires du fantôme de
ma mère. Mais elles n’avaient pas de solution à m’apporter, me disant qu’on
n’échappe pas au Barghest une fois qu’on l’a contrarié et qu’il a pris
quelqu’un pour cible. Alors, j’ai laissé partir Carlyn. Pour la protéger. La
protéger de moi, de la folie qui me submergeait chaque jour un peu plus. Et
puis un soir, Dariel vint me voir, et les nouvelles qu’ils m’apportaient ne
firent que me plonger encore plus dans le désespoir sur ma situation.
- Ecoute, je sais que Carlyn est à la maison. Bessie m’a appelé
pour me le dire. On l’a installé dans la chambre d’amis. Je sais pas ce qui
t’arrive en ce moment, et j’aimerais vraiment que tu te confies à moi. Carlyn
m’a parlé du Barghest. C’est lié à ma « mission » à Whitby pas
vrai ?
- Je te remercie pour Carlyn, toi et Bessie. Je sais
que vous prendrez bien soin d’elle. Et oui, le médaillon, le Barghest, tout est
lié. Mais dis-moi : as-tu des réponses à m’apporter ?
Dariel prenait un air grave à cette question :
- Ecoute, je me suis rendu à Whitby, à l’adresse que tu m’as indiquée.
Pour apprendre que Colby était mort depuis une semaine. On l’a retrouvé égorgé
dans son salon, des traces de griffures partout sur son corps. Ce sont les
voisins qui m’ont précisé ça. Du coup, j’ai pas de réponses à t’apporter sur ce
que tu m’as demandé. La police suppose qu’il a été attaqué par un chien errant
ou un truc du genre…
- C’est pas un chien. Pas un chien classique en tout
cas. C’est le Barghest qui l’a tué, c’est certain…
- Encore avec ça… Elliott, le Barghest n’existe pas…
C’est juste un mythe. Toi, plus que n’importe qui, tu sais ça… Je sais pas ce
que tu vois. C’est sûrement dû à plusieurs choses, et y’a pas que le stress des
recherches pour ton supposé bouquin. Je sais que c’est du flan ça aussi. Tu
cherches à savoir comment te débarrasser du Barghest pas vrai ? Mais tout
est dans ta tête. Laisse-moi te présenter à un collègue. Il saura t’aider. Tu es
mon meilleur ami, et je supporte pas de te voir comme ça…
- JE… NE SUIS… PAS FOU, BORDEL ! LE BARGHEST EST DEVANT
CHEZ MOI CHAQUE HEURE, CHAQUE SECONDE DE TOUTES MES FOUTUES JOURNEES !
Me calmant, je m’excusais auprès de Dariel :
- Excuse-moi… Je voulais pas m’emporter… Mais le barghest
existe, je t’assure. Je peux pas sortir à cause de lui, et je deviens dingue,
car je sais pas comment le faire partir. Tu vois, même toi tu me crois pas.
Parce que je suis le seul à le voir. C’est comme une malédiction. Parce que
j’ai été trompé par cet enfoiré de Colby…
- Ok, écoute : je vais te laisser. Je vois que
j’arriverais pas à te faire changer d’avis. Mais si t’as besoin de parler, tu
sais où appeler. Et repense à ce que je t’ai dit concernant mon collègue. Que
ça soit moi ou Carlyn on veut juste t’aider, car on t’aime. Ça nous fait du mal
de te voir plonger dans la folie…
Je voulais rajouter quelque chose, mais Dariel, d’un geste de
la main me fit signe que c’était mieux de rien dire de plus. Il avait les yeux
les plus tristes que j’ai vu sur son visage depuis qu’on se connaissait. Alors,
je me suis tu, et l’ai regardé franchir le seuil de la porte. Quand il a
ouvert, , j’ai eu une lueur d’espoir… J’aurais voulu rappeler Dariel, lui dire
ce que je voyais, ou plutôt ce que je ne voyais plus, mais il était déjà parti.
Le Barghest… Il n’était plus sur le perron. Il avait disparu. Est-ce… Est-ce
que ça voulait dire que j’étais guéri ? La malédiction du médaillon s’était
achevée avec la mort de Colby. Mais ça ne collait pas. Ce dernier était mort
depuis une semaine. Ça correspondait à peu près au moment où j’avais vu le
Barghest la première fois devant ma porte. Et en entendant les grognements de
celui-ci derrière moi, j’ai su pourquoi il n’était plus devant chez moi. Il
était passé au stade final. Comme il l’avait fait pour Colby.
Je me retournais progressivement, évitant les gestes brusques,
afin d’éviter de le provoquer trop ouvertement. Et il était bien là, tout crocs
dehors, avec toujours son aura noire encore plus sombre, ses yeux encore plus
rouges, prêt à bondir, et me faire rejoindre Colby. Je ne sais pas pourquoi
j’ai eu ce réflexe à ce moment. Appelez-ça une intuition. Mais je me suis rué à
l’endroit où était placé le médaillon, laissant le Barghest sur place, qui ne
montrait pas son intention de me courser. Sans doute pour accentuer encore plus
ma terreur, pour me montrer qu’où que j’aille, que je coures, sautes ou vole,
il m’aurait. Il savait que je ne pouvais rien contre lui. Cependant, ce que je prenais
pour un coup de folie de ma part sur l’instant s’est révélé payant, pour un
court moment. J’ai décroché le médaillon, et l’ai lancé en direction du
Barghest. Celui-ci l’a reniflé, avant de le prendre dans sa gueule, puis de
disparaitre sous mes yeux.
A ce moment, je pensais vraiment être sauvé. Je n’ai pas revu
la créature de la journée, et j’ai commencé à écrire mon expérience, relatant
tout ce qui s’était passé jusqu’à présent. Afin de laisser une trace de tout
ça. J’étais dans mon bureau à ce moment, et je finalisais les dernières pages,
quand les fantômes de ma mère et de ma tante me sont apparus soudainement,
l’air encore plus triste que les autres fois où j’avais conversé avec elles, et
dirigeant leur regard vers la porte de la pièce. J’entendais gratter.
J’entendais des grognements. Quand je me suis rendu compte qu’il était dans ma
maison la première fois, j’ai supposé qu’il avait profité de la visite de
Dariel pour s’introduire chez moi. Quand il a disparu, après que je lui ai
fourni le médaillon, ce n’était qu’un répit. Il a dû déposer le médaillon, et
donc le fragment d’os de sa défunte compagne, auprès du reste du corps de
celle-ci, et du corps du mage noir. Mais comme il était entré une première fois
dans le salon, passant par la porte d’entrée, il devait pouvoir y accéder
librement désormais. Ce qui n’était pas le cas du bureau. Mais au vu de la brutalité
des coups que j’entendais, creusant le bois, je savais que c’était une question
de minutes avant qu’il pénètre ici, et me fasse subir le même sort que Colby.
Je sais que mon temps est compté, et quand vous lirez ces
lignes, j’aurais sans doute rejoint le rang des victimes de cette bête
infernale. Mais au moins, il restera ce journal montrant que je n’étais pas
fou. Les traces sur mon corps sans vie sauront indiquer que le Barghest est une
réalité, et qu’il ne fait pas bon déclencher sa colère et devenir sa cible. Pour
ma tante et ma mère, c’était sûrement dû au fait qu’elles avaient eu l’audace
de se rendre sur le territoire du Barghest vivant à Troller’s Gill. Un affront
qui s’était soldé par la mort des impudentes. Colby parce qu’il avait défié une
autre de ces créatures, sans doute plus répandues qu’on le pense sur le
territoire britannique. Pour ma part, parce que j’ai été trompé, et que je me
suis rendu complice involontaire de la profanation de la tombe de la femelle de
ce Barghest. Simplement en achetant ce foutu médaillon. Les lacérations sur mon corps, l’état de la
porte du bureau, si tant est qu’elles seront visibles autant que celles de mon
corps, devraient au moins pouvoir permettre d’établir la vérité sur l’existence
du Barghest.
Alors, si vous aussi, vous avez du mal à croire aux légendes,
souvenez-vous de mon histoire. Le Barghest n’est sans doute pas le seul monstre
à parsemer les routes et les paysages de l’Angleterre. D’autres créatures
toutes aussi dangereuses pour l’homme sont sans doute quelque part, guettant le
moindre faux pas de l’un de vous pour vous faire passer de l’état de vie
trépidante à celui de cadavre se décomposant au gré des vents. Il ne tient qu’à
vous d’être méfiant, et de vous renseigner sur l’historique des artefacts qui
entreront en votre possession. Si certains sont inoffensifs, d’autres
renferment des malédictions pouvant libérer sur vous la colère du monde de
l’ombre…
Publié par Fabs