17 juil. 2023

LA COLERE DE LA VOUIVRE

 


 

Je ne voulais pas ça… Je ne voulais pas que notre village soit réduit à néant par ma faute, simplement parce que j’ai commis l’erreur de dérober l’escarboucle et le diadème de cette créature démoniaque et destructrice qu’est la Vouivre. La première fois que je l’ai vue, je n’ai fait qu’apercevoir la silhouette de son dos, au milieu de la vapeur d’eau l’entourant, dû à la cascade où elle se baignait. Je n’y voyait que la forme d’une jeune fille aux longs cheveux caressés par l’écume. C’est tout juste si j’ai pu voir la couleur de sa peau, que les rayons du soleil offrait à ma vue. Une peau étrange, à mi-chemin entre le vert de l’herbe, et celle rose nacrée propre à tout humain, semblant montrer ce qui ressemblait à des écailles argentées par endroits. Très loin des légendes parlant d’une créature plus proche du serpent ou du dragon, munie d’ailes de chauve-souris, au cri pouvant percer les tympans d’une seule note, et faire couler du sang des oreilles, des yeux et du nez, signe distinctif d’une hémorragie interne de grande ampleur.

 

A dire vrai, je ne croyais pas vraiment à l’existence de ce monstre capable de mimétisme, et détenteur d’un joyau pouvant offrir la richesse à qui le détiendrait. Ce n’était pour moi qu’une fable destiné aux enfants, un conte de plus dans le folklore fantastique riche de ma région, la Bourgogne-Franche-Comté, dont les sources sont nées dans la célèbre « Chanson de Roland », aux environs de l’an 1100, dans les vers « Serpenz E Guivres, Dragun E Averser ». Avec les siècles, le mot « Guivre », signifiant « Vipère, Serpent », a évolué, jusqu’à devenir le mot que l’on connait de « Vouivre » au XIXème siècle, et désignant ce monstre mythique du patrimoine culturel local, dont il existe des variantes dans divers pays, comme la Suisse, l’Angleterre et l’Italie. Comme beaucoup dans mon village, j’ai été élevé dans ces traditions de la menace de monstres qu’il est bon de ne pas défier, ni provoquer la colère, relayé de génération en génération, jusqu’à constituer la base des légendes du département du Jura où se trouve mon village, et où je suis né, Drasnes.

 

Ma famille a toujours été de nature modeste, à l’image de nos voisins et amis. Drasnes ne comporte qu’une soixantaine d’habitants, tous vivants de l’élevage de moutons ou de chèvres, et de la fabrication de fromages, dont le Morbier. Sources principales de revenus pour le fonctionnement de notre village. Mais la grande sécheresse qui a frappé de plein fouet notre département du Jura en Juillet 2022, a causé la mort de nombre de bêtes, du fait de la chaleur, réduisant drastiquement nos ressources, et menaçant la survie financière de la plupart d’entre nous. Mes parents faisaient ce qu’ils pouvaient pour nous permettre de tenir le coup, en attendant la fin de cette calamité météorologique, et les conséquences économiques que cette situation engendrait. Mon père dut même se résoudre à partir travailler dans une grande ville, s’éloignant de notre famille, afin de trouver de quoi nous permettre de résister à cette mauvais passe, et avoir de quoi manger suffisamment. C’est du fait de tout ça qu’au fil de discussions avec mes amis du village, j’ai entendu en détail la légende de la Vouivre.

 

Cette créature à l’allure reptilienne, marchant sur deux pattes, et en possédant deux autres, faisant penser à des bras humains garnis d’écailles, sans oublier d’immenses ailes dans le dos. Contrairement à ce qu’on dit parfois sur elle, la Vouivre n’appartient pas vraiment à la catégorie des dragons, bien qu’elle en ait plusieurs attributs, mais est plus proche d’un serpent ailé. Les mythes l’évoquant parle d’une créature gardant un trésor d’une grande richesse, enfouie sous terre, et dont l’accès est inconnu, car uniquement accessible par la créature, invisible pour tout être humain. On relate également que des nids de vipères, connus comme étant des sortes de compagnons naturels des Vouivres, l’accompagnant lors de sa seule sortie de l’année à la surface, et sont considérés comme des endroits potentiels où figure l’entrée du domaine de la Vouivre. Mais personne n’est assez fou pour déranger ces nids hautement dangereux afin de vérifier s’il cache l’accès au royaume d’une Vouivre. D’autant que, de toute façon, un être humain serait incapable de creuser suffisamment en profondeur pour dégager l’entrée, et ainsi entrer sur le lieu de vie souterrain de ce monstre.

 

Sans compter qu’espérer sortir vivant d’une telle expédition, où on pouvait se retrouver face à cette créature, avait plus de chance d’amener à une mort certaine qu’à un succès garanti pour en ramener les richesses gardées. Quoi qu’il en soit, comme dit plus tôt, je ne croyais pas en ces légendes, que je considérais amusantes, mais dénué de tout sens logique ou ancré dans le réel. J’étais bien cartésien pour ça. Jusqu’à ce qu’un soir, je fus mis en présence de cette silhouette évoquée au début de mon récit, dans l’eau d’une rivière, alimentée par une cascade. Je pensais qu’il s’agissait d’une fille de notre village, et la nature masculine étant ce qu’elle est, mon côté curieux et voyeur se mit en fonction presque immédiatement. J’avais envie de savoir qui, des filles que je connaissais, dont certaines étaient de vraies beautés inaccessibles, car leur virginité était jalousement protégée par leurs parents, pouvait avoir eu l’idée saugrenue de se baigner à cet endroit, alors qu’une douche à son domicile aurait été bien plus discret.

 

Avant de tomber sur ce spectacle d’ombres, de là où j’étais de prime abord, j’étais à la recherche de fruits et de champignons, afin d’agrémenter le repas du soir à venir. L’obsession de savoir qui était cette fille peu prude m’envahissait, et je m’approchais discrètement, me faufilant dans les bosquets jouxtant la rivière, où je pouvais avoir un meilleur lieu d’observation. Je ne suis pas vraiment fier de ce qui m’a poussé à vouloir voler la vision du corps nu d’une des filles du village, je dois bien l’avouer. Mais quand on vit dans un lieu reculé comme celui où se trouve notre petite communauté, le désir s’avère parfois plus fort que la raison. D’autant qu’assister à un spectacle live, changeant des images dénudés de mannequins ou de starlettes sur le web était bien plus attirant que la chasse aux champignons. Etant plus près, c’est là que je compris qu’il s’agissait de bien autre chose qu’une nymphette ayant échappé à la vigilance de ses parents, s’exhibant à la vue de tout promeneur passant dans les environs.

 

Bien que la vapeur d’eau cachait une grande partie de son corps vue de dos, j’ai pu voir les détails que je vous ai énoncé plus tôt. Je pensais que cette couleur de peau particulière, les écailles, venaient d’une mauvaise interprétation de ma part, dû au reflets du soleil, ou autre phénomène météo particulier me faisant voir des éléments fantastique à la place d’un corps nu tout à fait normal. Mais la présence de ce qui s’apparentait manifestement à une queue virevoltant dans l’air, et partant de la base de son dos me convainquit définitivement que j’avais en face de moi la vouivre des mythes de la région. Il était dit dans ces contes que cette créature sortait une fois par an pour se baigner et boire. Et pour profiter pleinement de ce moment de détente pour elle, elle posait son diadème et son escarboucle sur les berges de l’endroit qu’elle avait choisi pour ses ablutions. Le nom d’escarboucle vous est peut-être inconnu ou vague. C’est en fait le nom désignant une pierre précieuse figurant sur le front de la créature, et reliée au diadème. Les deux ne formant qu’une seule pièce. C’est comme un médaillon rattaché au diadème par un fil d’argent ou d’or, ou bien une série d’autres bijoux de moindre valeur.

 

La culture populaire indique que cette escarboucle procure richesse à son détenteur, pouvant changer le fer en or à son contact. Un peu comme la mythique pierre philosophale des alchimistes. Mais ce joyau est protégé par de nombreuses vipères, lorsque la Vouivre la dépose sur la berge. Celles-ci ayant pour mission de la protéger lorsque leur maitresse se baigne et se désaltère, afin d’empêcher quiconque de s’en emparer. Cette pierre, cette escarboucle, c’est une sorte de clé magique qui permet à la Vouivre de rejoindre son royaume souterrain où se trouve ses trésors. Sans elle, la créature est condamnée à rester en surface, tant qu’elle n’a pas récupéré son bien. Les récits n’indiquent pas ce qui se passe si elle n’y parvient pas. Est-ce qu’elle meurt ? Ou bien est-elle obligée de quitter la région où elle vit, par honte de s’être fait dérober ainsi cette pierre ? Je n’ai pas réfléchi à ce qui pouvait découler de ce vol, de la réaction de la Vouivre, une fois découvert qu’on lui avait dérobé ce qui lui appartenait. Seul comptait pour moi le fait que ce joyau pouvait tout changer, non seulement pour ma famille, mais aussi pour mon village, qui pourrait sortir de la crise dans lequel il se trouvait.

 

Mais pour ça, je devais d’abord trouver où la Vouivre avait posé son diadème et l’escarboucle y étant attachée. Je ne sais pas si c’était un signe du destin, ou autre, mais le soleil me montrait l’emplacement du bijou, en provoquant un reflet éloquent en ce sens, près des roseaux sur ma droite. Tout en faisant attention de ne pas alerter la créature qui continuait de se baigner, sans se douter de ma présence, je m’approchais lentement, jusqu’à l’apercevoir. Le diadème et son joyau, au milieu d’une dizaine de vipères glissant en permanence dessus, traçant des courbes continuelles sur sa surface, en digne gardiens de leur maitresse. Je réfléchissais à un moyen de faire fuir ces bestioles, et je trouvais. J’avais dans ma poche une feuille de papier, une liste écrite par ma mère, où figurait les produits à demander au boucher de notre village. J’avais en ma possession dans mon autre poche un briquet qui ne me quittait jamais. Je prenais un bâton parmi ceux figurant au sol autour de moi, y enroulait le papier, et l’enflammais, avant de me diriger vers les vipères, et m’en servir pour les faire fuir.

 

Je devais faire vite, car le son des sifflements des serpents pouvaient alerter la Vouivre, malgré le bruit de la cascade, si je n’y prenais par garde. Finalement, la chance fut de mon côté, et je parvins à éloigner à bonne distance ces petites gardiennes, et m’emparer de mon objectif, avant de détaler. Je ne me retournais pas, mais j’entendis alors un cri strident venant de la cascade, suivi d’un immense déferlement d’eau, dont je recevais des filets sur le dos et mes cheveux. Le cri semblait s’amplifier, et je crus percevoir aussi un bruit de craquement d’os et un bruissement faisant penser à des battements d’ailes d’une très grande ampleur. Je ne me désarmais pas, et fonçais droit devant moi, sans chercher à savoir si la distance me séparant de la cascade et de la Vouivre était suffisante. Après plusieurs minutes de cette course folle, je parvenais au village, prenant enfin le temps de vérifier si la créature m’avait suivie. Mais je ne voyais aucune trace d’elle. Ni dans les airs, ni sur la terre ferme, sortant des bois que je venais de traverser, à l’opposé de la rivière et la cascade où j’avais dérobé le fruit de mon larcin.

 

Je ne me suis pas servi immédiatement de l’escarboucle, voulant être sûr que la Vouivre n’avait pas trouvé le chemin du village, ou avait renoncé à me suivre tout simplement, trop honteuse de s’être fait voler. A moins, comme je le pensais un premier temps, que la perte de son joyau, la clé pour rejoindre son domaine souterrain, lui avait fait perdre ses forces, voire la vie. Un peu comme on retire le fluide vital, l’élément indispensable à la vie d’une créature mythologique dans les films. Au bout de deux jours, il devenait évident que la potentielle menace de la Vouivre avait disparu. Dès cet instant, j’ai commencé à me servir des pouvoirs de l’escarboucle, qui était tout aussi réel que ne l’était l’existence de cette créature légendaire qu’était la Vouivre. J’indiquais alors aux habitants du village que je possédais ce joyau pouvant faire revivre notre village. Dans un premier temps, beaucoup redoutaient la colère de la créature, qui allait forcément chercher à récupérer son bien, et abattre son courroux sur nous tous. Et je voyais de nombreux regards de désapprobation me fixer, inquiets de la suite.

 

Mais je les rassurais, en leur disant, même si je ne l’avais pas vu de mes yeux, que la Vouivre avait péri dès lors que je lui avais dérobé le bijou. Affirmant que j’avais vu son corps se décomposer sur place. Comme il n’existait aucun récit décrivant ce qui arrivait en cas de perte de l’escarboucle par une Vouivre, et me faisant confiance, les sourires firent place aux mines blafardes, et une ère d’abondance pleuvait sur notre village. De nombreux objets furent transformés en or grâce au joyau, qui furent vendus à des marchands spécialisés dans l’achat de produits précieux. Notre village retrouvait la vie grâce à moi, et j’étais traité comme un héros. Même les parents protecteurs voyaient d’un bon œil que leur fille me fréquente, me laissant l’embarras du choix. Choix qui se porta très rapidement sur Emma. Cela faisait déjà longtemps que j’avais remarqué cette belle brune, et je savais que c’était réciproque. Mais comme je vous l’ai déjà dit, notre village est ancré dans des traditions qui peuvent sans doute paraitre vieillotte, au vu des mœurs d’aujourd’hui. Et fréquenter une fille du village ne peut se faire sans l’accord des parents, et sous certaines conditions.

 

Espérer une nuit avec elle, sans une relation durable n’était même pas envisageable, mais peu m’importait. Je savais au fond de moi qu’elle serait l’élue de mon cœur depuis des années, sans pouvoir le dire ouvertement, en dehors d’aveu secret à certains de mes amis, qui savaient que je lorgnais sur elle sans pouvoir l’approcher. Au risque de me faire écharper par son père, un homme bourru aux mains capables de broyer un crâne avec une facilité déconcertante. Hors de question que je tente le diable auparavant, au vu de ce risque. Alors que maintenant, mon statut de sauveur me donnait l’approbation, dont je profitais sans la moindre hésitation. Les mois passaient, le village resplendissait de bonheur, tout comme moi. Le père d’Emma avait consenti à ce qu’elle et moi nous puissions nous fiancer, selon les coutumes du village. Le soir même de cet accord, j’entraînais Emma à part, hors de notre lieu de vie commun, et, pour sceller notre union, je décidais de lui offrir le joyau. Un cadeau de futur mariage en quelque sorte. J’ai vu son sourire quand elle a pris la pierre en main, tout heureuse de ce geste, semblant la toucher au plus haut point. Et c’est là que tout bascula…

 

Sous mes yeux, le corps d’Emma se tordait de toute parts, changeant de couleur, faisant apparaître des tons verdâtres, se remplissant d’écailles, d’immenses ailes sortaient de son dos, toute sa silhouette grandissait à vue d’œil, montrant une allure reptilienne. La… La Vouivre… Impossible… Je voyais Emma depuis des années. Et cette créature ne sortait de son royaume qu’une seule fois par an, et ne se mêlait jamais aux humains. Il était impossible que je n’ai pu déceler qu’elle et la Vouivre soit une seule et même personne. Ou alors… Ou alors, tout ce qu’on disait sur cette créature était faux… Le monstre me fixait, sans dire un mot, se contentant de me montrer la direction d’un arbre. A bien y réfléchir, en sortant du village, c’est elle qui m’avait entraîné vers ce coin, me disant qu’on y serait plus tranquille pour discuter de ce que je voulais lui dire, tel que je lui avais confiée. Comme si elle s’attendait à ce que je lui fasse cette demande. Et ce présent.

 

Je transpirais à grosses gouttes, terrifié de la présence de la créature, qui continuait de me montrer cet arbre en particulier. La peur au ventre, craignant que la Vouivre ne me tue une fois le dos tourné, je m’avançais lentement vers l’endroit désigné. Je constatais que la terre avait été remuée au pied de l’arbre. Craignant de comprendre, je m’agenouillais, creusant à mains nues pendant plusieurs minutes, avant de m’arrêter, épouvanté… Devant moi se trouvait le visage d’Emma, les yeux fermés, le teint blafard, la vie absente de son corps… Emma… Quand ? Quand la Vouivre avait-elle pris sa place ? J’avais cru comprendre qu’elle était douée de mimétisme. Certains récits disaient qu’elle pouvait prendre l’apparence d’une jeune fille. D’ailleurs, c’est sous cette forme que je l’avais vu de dos, au pied de cette cascade. Elle avait dû parfaire l’illusion en cachant les attraits qui m’avait fait comprendre sa nature dans la rivière, masquant ses écailles, sa teinte verte de certains endroits de son corps, sa queue…  Je savais cette faculté, mais au vu de ce que j’avais vu d’elle il y avait des mois de ça, je ne la pensais pas capable d’une telle perfection d’imitation d’un être humain. Et pas seulement ça…

 

Elle avait pu jusqu’à copier les attitudes d’Emma, sa voix, et tout ce qui faisait d’elle la fille dont j’étais éperdument amoureux depuis si longtemps. Comme si elle avait « absorbé » tout ce qui faisait Emma, y compris ses souvenirs et ses ressentiments. Une illusion parfaite. Je ne savais pas comment, mais elle avait dû profiter d’une sortie de l’élue de mon cœur hors du village pour prendre sa place. Ou bien elle s’était introduite chez elle une nuit, sans indiquer sa présence à ses parents, qui ne se sont rendu compte de rien. Et alors que je me lamentais en voyant le corps d’Emma, j’entendais des dizaines de cris venant du village. Je me retournais. La Vouivre n’était plus là. Les larmes coulant sur mon visage s’intensifiaient en voyant mes amis courir partout, pourchassé par cette créature ayant atteint une taille considérable, à hauteur de maison, ravageant tout sur son passage, laissant libre cours à sa colère. Je voyais mes amis tenter de s’enfuir, mais étant bloqué dès qu’ils cherchaient à franchir les limites du village, comme s’il était entouré d’une barrière invisible. Un autre pouvoir de ce monstre qui n’était pas précisé dans les livres.

 

C’était horrible. J’apercevais des corps voler dans les airs, propulsé au sol avec une force défiant l’imagination, ou s’encastrant dans les murs de maisons, sans que je puisse savoir quoi faire. Mais que pouvais-je faire face à une telle créature, dont j’avais provoqué la colère, en lui volant ce qui lui appartenait. J’avais cru lui échapper, mais elle avait été bien plus intelligente que moi. Bien plus machiavélique. Je m’attendais presque à voir des flammes surgir des habitations, mais j’oubliais que la Vouivre, malgré toutes ses facultés, n’appartenait pas à la race des dragons. Il lui était impossible de cracher du feu. En revanche, elle pouvait émettre des sons inaudibles pour un être humain en apparence, mais pouvant écraser tout l’appareil auditif, compresser des organes, écraser les yeux de l’intérieur, broyer les gorges. Vous voyez les pouvoirs de Black Canary ? Les cris de la Vouivre sont encore plus ravageurs et capables de réduire un corps humain à l’état de viande sortant de l’abattoir. Pendant plus d’une heure, j’ai entendu les cris de souffrance et de douleur de mes amis, de mes voisins, de tout ceux que j’aimais. Morts par ma faute, se faisant massacrer sans ménagement à cause de mon choix de voler une créature sans pitié.

 

Plus tard, je voyais la forme de la Vouivre sortir du village d’où ne sortait plus aucun son. Elle reprenait peu à peu une forme humaine, celle d’Emma, puis celle d’une autre jeune fille, dont la silhouette me rappelait celle que j’avais vu ce jour maudit où j’avais décidé de la voler. Elle se dirigeait vers moi, son diadème sur la tête, l’escarboucle postée sur son front. Elle souriait, me fixant du regard, me défiant, passant à côté de moi, et me laissant en vie. Elle avait décidé de me donner la pire des punitions. Me laissant seul avec la culpabilité de vivre en me sachant responsable de la mort de l’intégralité des habitants de mon village. Ce jour-là, Drasnes fut rayé de la carte par une créature que je pensais n’appartenir qu’aux contes de ma région. Je n’ai jamais revu la Vouivre après ça. Je n’ai jamais cherché à la retrouver, tentant de deviner à quelle rivière elle avait décider de s’adjuger sa pause annuelle, hors de son royaume souterrain. Je ne me sentais pas la force de lui demander pourquoi avoir tué tout mon village au lieu de moi seul…

 

Quelque part, je connaissais la réponse. Elle savait qu’il ne pouvait pas y avoir punition plus monstrueuse pour me faire comprendre qu’on ne vole pas impunément une Vouivre, sans en subir les terribles conséquences. C’est un être machiavélique, diabolique, démoniaque, sous ses airs de jeune fille pure sous sa forme humaine, conforme à ce qui est dit dans les livres, et même plus encore. J’enregistre ce jour mon témoignage pour laisser une trace de mon histoire, de ma faute, de l’horreur que fut ma vie après ça. Je n’osais plus m’approcher d’autres villes, de peur que la Vouivre veuille parfaire sa vengeance, en retrouvant ma trace, lors de sa sortie annuelle. Juste pour me rappeler que je ne serais jamais en paix tant qu’elle serait en vie. Peut-être même que de là où elle est, dans son royaume situés sous terre, elle m’observe jour après jour. Attendant que je me rapproche des hommes, se délectant de me faire subir à nouveau la culpabilité du massacre de ceux m’entourant. Je le vis désormais comme un mal éternel et insidieux, prêt à frapper si j’ai le malheur de me rapprocher des hommes.

 

Alors, toutes les années qui ont suivies, j’ai vécu dans cette forêt, au sein de cette cabane que j’ai construite, loin des hommes, ayant parfois l’impression d’entendre le rire de la Vouivre, s’amusant de ma condition d’homme détruit, même si je sais que c’est peu probable. Mais avec tout ce que j’ai découvert sur elle, je ne sais plus ce qui est vrai ou faux la concernant. Aujourd’hui, j’ai décidé de vous envoyer cet enregistrement, à vous, qui êtes un spécialiste des mythes et légendes. Je ne sais pas si vous me croirez. Si ce n’est pas le cas, je vous demande de vous rendre sur les ruines de Drasnes, et de procéder à des analyses poussées des habitations et du sol. Peut-être y trouverez-vous des preuves de l’existence d’un monstre capable d’anéantir tout un village. Je sais que la version officielle parle d’un mini-séisme ayant causé le massacre de ses habitants. Il n’en est rien. Je ne sais pas ce qui a pu pousser les légistes à avancer une telle thèse, au vu de l’état des corps, qui n’ont rien à voir avec ceux des victimes d’une catastrophe naturelle.

 

Sans doute que certains se doutent de ce qui s’est passé réellement, et qu’ils préfèrent cacher la vérité aux yeux du grand public. Ce ne serait pas la première fois que des dirigeants tentent de masquer la vérité. Je vous laisse maintenant juge de mes dires, tout en renouvelant ma demande d’inspecter ce qui reste de Drasnes, si tant est qu’on vous autorise à le faire. Voire de demander à analyser à nouveau les corps. Bien que ceux-ci doivent être réduits à des tas de poussière en terre aujourd’hui. Mais les progrès scientifiques de notre époque peuvent faire des miracles dit-on. A vous de voir ce que vous jugerez nécessaire de faire, et de croire ou non en l’existence de ce monstre implacable qu’est la Vouivre…

 

Publié par Fabs

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