On dit que la culpabilité d’un homme peut le ronger jusqu’à la fin de sa vie, lui causant tourments insolubles et cauchemars récurrents, chaque nuit qui passe. Les raisons peuvent en être multiples : mensonge ayant conduit à la destruction de l’équité familiale ; trahison envers un être cher ; meurtre passionnel ; incapacité à avoir pu sauver l’enfant d’une connaissance… Il peut exister des centaines de scénarios possibles pour transformer le mental de quelqu’un — qu’on pensait sans faille à l’état d’une loque refusant d’accepter ce qu’il considère comme une faute irréparable. Parfois, sa douleur est justifiée, parce qu’effectivement il a joué un rôle majeur dans l’accomplissement de l’acte. Dans d’autres cas, il a simplement été le jouet d’un facteur inévitable qu’est le hasard, lui étant tombé dessus comme il se serait abattu sur n’importe qui d’autre. C’est un sentiment qui peut nous assaillir quand on a causé — directement ou indirectement —, la mort d’une vie ou d’un groupe restreint.
La détresse est plus grande quand il s’agit de dizaines de personnes ou plus. Comme — par exemple —, les habitants d’un immeuble ayant péris dans les flammes, à cause de notre négligence. Une simple cigarette mal éteinte jetée négligemment sur un tapis — point de départ d’un drame ultra-médiatisé —, qui rend notre culpabilité encore plus intense, à cause des milliers de doigts portés sur soi dans la rue ou les commentaires dévastateurs récoltés sur les réseaux sociaux. Mais qu’en est-il quand on est à l’origine de millions de morts à travers le monde ? Quand on s’est porté acquéreur d’un objet dont on ne connaissait rien, et que l’appât du gain a conduit à s’en emparer illégalement, libérant un mal déferlant à travers le monde comme de la chienlit. Peut-on décemment se dire qu’on peut être pardonné un jour, après avoir écouté quelques rares bonnes âmes vous connaissant depuis des années — refusant de nous voir dépérir par la boisson et la drogue —, et nous affirmant que “ce n’était pas de notre faute” ?
Ce genre de paroles peuvent être réconfortantes et même parvenir à nous résoudre à accepter que l’on n’est pas un monstre dans certains cas. Pas dans le mien. Je suis responsable d’un génocide à part entière qui continue de se disperser à travers les continents, de manière exponentielle, rallongeant encore plus — à chaque heure qui passe —, ma culpabilité. Si mon avidité et mon désir maladif de changer le désordre de ma vie ne m’avait pas incité à voler ce qui ne m’appartenait pas, jamais le monde ne serait en proie à ce fléau moderne que je ne peux pas arrêter. Ni personne d’autre que moi d’ailleurs. Les plus grands scientifiques — à l’aube de ce qui s’annonçait comme une nouvelle pandémie, pire que celle qui a touché le monde en 2020 —, n’ont pas su trouver d’explication concrète au phénomène. Alors, comment le pourrais-je ? Le Noël de cette année a sans doute sonné le glas de notre espèce. Du fait d’un phénomène biologique qu’un excentrique passionné de l’histoire mystique à travers les âges a pris possession on ne sait comment. Un phénomène piégé à l’intérieur d’un objet anodin en apparence. Un homme qui pensait peut-être que cette menace pour l’humanité se devait de ne pas tomber dans les mains de n’importe qui. Il s’est dit que la seule manière de cacher sa découverte, c’était de le mettre en évidence à tous les regards. Au cœur de quelque chose de tellement banal que — même volé —, personne n’aurait l’idée saugrenue de libérer ce qui se cachait à l’intérieur.
J’ai été cet inconscient trop curieux ayant déjoué les pires prédictions de ce vieil homme. Un collectionneur vu comme un original, un marginal qui fuyait tout et tout le monde. Vraisemblablement pour mieux protéger le monde extérieur du secret dont il s’était auto-proclamé le gardien. Je n’ai eu la confirmation de mon erreur que lors de ma seconde visite à son domicile, alors que les morts horribles sévissant dans le monde monopolisaient les unes des journaux et autres médias, provoquant la terreur partout où on avait accès à ces images. Je suis parti d’une intuition. L’instinct que la solution se trouvait peut-être au sein de là où j’avais subtilisé le mal originel. Celui que j’avais relâché hors de sa prison. Je revois les visages de ces morts ravagés par la maladie. Les cloques couvrant tous leurs corps. Les rougeurs de leur peau, passant au violet en quelques heures. Leurs chairs se liquéfiant à vue d’œil sur la neige blanche, ternissant celle-ci en des teintes aux couleurs de mort. Je revois ces enfants criants auprès de leurs parents dans les hôpitaux, pendant que leurs cheveux tombaient l’un après l’autre. Dans le même temps, l’extrémité de leurs doigts se réduisaient à des amas d’une texture flasque, tout juste retenus par leurs phalanges. Juste avant que ces derniers fondent à leur tour sur les draps de leur lit, sous les yeux horrifiés des médecins et des membres de leur famille. Ceux-là même qui seraient infectés à leur tour — quelques heures plus tard —, une fois que l’incubation infernale de ce virus d’un nouveau genre serait arrivée à son terme.
Car, oui, la seule chose dont on est sûr, c’est que la cause de cette maladie incompréhensible est dispensée par de simples mouches. Mais pas n’importe quelles mouches en fait. Des Ostridae. Pour être plus précis, ce ne sont pas les mouches en elles-mêmes qui causent ces déflagrations. Il s’agit de leurs larves, dont la maturation provoque des lésions internes irréparables, provoquant cet effet de liquéfaction chez tout être humain infecté. Ce n’est qu’arrivé à un certain stade de la maladie — qui survient en quelques heures seulement, comme déjà évoqué —, que les larves sortent du corps. Dès cet instant, les larves gardent leur état sur une période très courte, avant de donner naissance à de nouvelles mouches. Lesquelles se montrent prêtes à disséminer leur poison dans d’autres corps. Les larves semblent pouvoir résister à toute forme d’agression. Piétinées, brûlées, acidifiées… Aucune attaque physique connue de l’homme ne s’est montrée efficace pour percer l’amure constituant l’épiderme de leurs corps. Et ce, malgré leur consistance molle — du moins en apparence —, libérant des trainées blanchâtres lorsqu’elles se meuvent sur le sol où elles sont tombées.
Si les scientifiques n’ignorent rien de ce processus, c’est tout le reste qui leur reste inconnu. Pourquoi ne peut-on détruire les larves ? Pour quelle raison leur développement provoque tant de ravages à l’intérieur du corps leur ayant servi d’hôte, juste avant qu’elles ne s’en expulsent ? Comment les mouches adultes parviennent-elles à infecter leurs proies avec une telle rapidité de propagation ? Et surtout, la question principale qui interroge tout un chacun : d’où viennent-elles ? Je ne connais pas la réponse aux interrogations principales de la communauté scientifique et des médias. Mais, en revanche, il y en a une à laquelle je peux donner une explication. Du moins je le pense. Je n’en suis pas vraiment sûr, à vrai dire. Cependant, ce qui est sorti de la bague à l’origine de tout ce chaos, je suis certain qu’il s’agissait d’une larve. La surprise de la fêlure de la pierre dans laquelle elle était enfermée — ornant le bijou responsable —, et ma fatigue ressentie à ce moment-là, ne m’ont pas permis de trouver où la larve avait roulé, au sein de la cuisine de ma maison. J'ignore sous quel meuble de mon domicile elle s’est retrouvée. Je l’ai cherché en vain. Je me souviens de son aspect à travers la pierre : elle était en tout point identique à celles filmées par les médias. Ce qui veut dire que je suis le seul responsable de cette folie destructrice.
La larve a dû évoluer pour devenir la première mouche. L’insalubrité de ma demeure n’étant plus à démontrer — en tout cas pour les rares personnes ayant eu la malchance de se rendre chez moi —, je n’ai pas pu faire de différence entre cette mouche et d’autres sortant des poubelles gardées chez moi. La faute à diverses plaintes de la part de voisins, me reprochant de mettre mes poubelles nauséabondes trop tôt à l’extérieur dans la semaine. Le service de ramassage des ordures ne passant que tous les 15 jours. Durant ce temps, forcément, les restes à l’intérieur des poubelles fermentent. Elles se retrouvent ainsi à la merci des chats et chiens du quartier qui ne se privent pas de les ouvrir, laissant les odeurs déferler joyeusement dans le quartier. Ne possédant pas de local fermé à l’extérieur de ma maison pour y déposer mes sacs d’immondices, je n’ai d’autre choix que de sacrifier une pièce dans laquelle les déposer, en attendant le jour de ramassage. Ce qui me permet de ne plus subir les vindictes de mes voisins, guère peu compréhensifs de ma condition précaire. Contrairement à eux.
Tout ça pour dire que cette mouche n’a eu aucun mal à se fondre au milieu d’autres, dès lors que je dépose une nouvelle poubelle dans la pièce destinée à cet effet. Et comme je laisse la fenêtre de cette dernière entrouverte — afin d’éviter que la puanteur résultant de l’amas consécutif aux sacs n’envahisse toute ma maison —, il lui a été encore plus aisé de se faufiler à l’extérieur. Sans que je m’en rende compte. À vrai dire, avant que ne soient diffusé les premières images des morts infectés, j’avais oublié cette histoire de larve, de bague et de pierre précieuse l’ornant. Je ne conservais qu’un maudissement intérieur pour avoir abîmé ce que je pensais être l’objet qui m’aurait permis de m’offrir une nouvelle vie. Mais peut-être devrais-je vous révéler comment tout a commencé, pendant que je le peux encore ? Avant que je subisse moi aussi l’infection ?
Je me suis cloitré chez moi une fois compris le rôle des mouches, ne sortant que muni de la même combinaison me servant dans le cadre de mon activité. Je voyais Ces Ostridae d’un genre nouveau comme des lieutenants digne de l’un des cavaliers de la mort. Celui de la pestilence. Ce n’est pas complètement dénué de sens, surtout quand je repense aux notes du vieil original à qui j’ai emprunté la bague. De manière pas très légale, certes. Il faut dire aussi qu’il n’était plus en position de s’opposer à mon acte. Il était mort depuis longtemps lors de ma première visite au sein de son domicile, en compagnie de mes collègues. Mais j’anticipe encore sur les évènements. Reprenons dans l’ordre…
Je me nomme Barney Scaltwood. J’habite dans une petite banlieue de Larnwick, au Nord-Est de Birmingham, en Angleterre. Je vis seul depuis la mort de mon épouse, il y a 14 ans de ça. Une absence que j’ai eu du mal à accepter, et qui m’a valu plusieurs séjours dans des centres de soins pour les dépressifs prononcés, à la suite de deux tentatives de suicide. Je ne peux pas dire que je suis vraiment guéri du mal-être m’envahissant régulièrement. Au moins, je me suis fait à ma solitude, sans chercher à attenter à ma vie de nouveau. J’ai longtemps vécu au gré de l’assurance-vie qu’avait contracté mon épouse à mon avantage. Sans m’en avertir. Je ne l’ai appris que quelques jours après ses funérailles, qui ont été un épouvantable crève-cœur pour moi. S’il n’y avait pas eu les agents funéraires pour m’en empêcher, je me serais sans doute fracassé le crâne en voulant me jeter dans la fosse où venait d’être descendu le cercueil de ma regrettée Ruby. Le souffle au cœur dont elle était atteinte depuis sa naissance, elle ne m’en a jamais fait état. Sans doute de peur que je la fuis, en apprenant ses problèmes de santé.
Elle était issue d’un milieu très pauvre, et je représentais une échappatoire à la souffrance qui l’a suivie une grande partie de sa vie. En dehors de ça, elle était douée d’une intelligence rare, me surprenant chaque jour par son érudition. Malgré les conditions précaires dans lesquelles elle avait vécu durant son enfance, elle avait trouvé un refuge dans la lecture. Et pas seulement des romances, comme nombre de jeunes filles de son âge. Elle s’intéressait à tout et Mme Cherstworth, la bibliothécaire, était une amie de sa mère. Ce qui fait que cette dernière fermait les yeux quand elle voyait la jeune fille d’alors venir s’alimenter de nouvelles lectures. Ceci alors qu’elle n’avait pas de quoi payer l’abonnement nécessaire pour profiter des services de l’établissement culturel. Cette érudition hors du commun lui a valu plus tard de prendre la suite de celle qui lui avait permis de se cultiver quotidiennement au poste de bibliothécaire.
Ruby était très appréciée par les habitués des lieux, et c’est d’ailleurs au sein de ce temple de la littérature que je suis tombé sous son charme. Elle avait 19 ans et moi 17. J’étais très maladroit dans mes tentatives de séduction, en plus de ma maladresse presque légendaire. Je crois que c’est cet aspect de moi qui m’a fait remarquer auprès d'elle. Mes nombreuses chutes dans la grande salle, dus en grande partie à cause de mes tentatives de l’observer de loin — car n’osant pas lui proposer de l’inviter à prendre un verre à une terrasse de café —, étant loin d’être discrètes, je dois bien l’avouer. C’est finalement elle qui a fait le premier pas. Comme pour se justifier de sa hardiesse à mon encontre, elle disait que c’était pour me remercier de la faire tellement rire à chacune de mes visites « bruyantes ». Ce fut notre premier sujet de conversation. Le premier d’une longue série. J’admirais sa spontanéité, son sourire, ainsi que l’assurance qui la caractérisait dans tout ce qu’elle entreprenait. Si, au départ — et de son propre aveu —, elle avait entrepris de me connaître mieux dans le seul but de lui faire oublier sa condition — le métier de bibliothécaire suffisant tout juste à payer son loyer et le peu d’alimentation dont elle se contentait —, car je représentais pour elle une source de distraction, nos discussions fréquentes ont fini par se transformer en un amour non feint.
De mon côté, j’étais notaire, avec un mode de vie plus fructueux en termes de salaire et de logement. Venant — au contraire d’elle —, d’un milieu bien plus aisé, j’ai été confronté à la jalousie de mes pairs, et surtout leur incompréhension que je fréquente une “personne du petit peuple”. Ils ne cessaient de m’affirmer que je me faisais manipuler par une profiteuse, ne voyant en moi qu’un homme capable de subvenir à ses besoins financiers en échange d’une prétendue romance qui n’aboutirait jamais. Je n’ai jamais fait attention à leurs médisances sur Ruby. Je la connaissais mieux qu’eux, et je savais qu’elle n’était pas comme ça. Notre mariage —quelques mois plus tard —, a achevé de me faire briser les ponts avec ceux qui se prétendaient appartenir au cercle de mes amis. Un cercle qui s’est amoindri de jour en jour, mais je n’en avais cure. Seul comptait mon amour pour Ruby. Pour mieux m’éloigner des jaloux qui faisaient jadis partie de mes fréquentations principales, nous avons choisi de nous installer dans un quartier alors en plein développement.
J’ai insisté pour que Ruby vive au sein de ma demeure luxueuse, le temps que les travaux de notre futur nouveau foyer soient achevés. Elle n’a jamais été très à l’aise durant cette période, n’étant pas habituée au faste formant mon quotidien. Même si elle n’en faisait rien paraître. Cela me peinait de la voir ainsi, masquant sa gêne de vivre dans ce luxe. C’est pourquoi je me suis senti soulagé quand nous avons emménagés dans notre nouvelle maison. Une habitation sobre, débarrassée de toutes formes de richesses apparentes, selon sa volonté. J’ai offert nombre de mes anciennes possessions aux bonnes œuvres, au grand dam des gens de la haut. Ceux qui constituaient autrefois des confidents appréciés, avant qu’ils ne me montrent la noirceur de leur cœur, car ne comprenant pas le bonheur que je ressentais auprès de Ruby. Pour mieux m’écarter de cette ivraie néfaste, j’ai également cédé mon cabinet de notaire. Je me suis contenté d’un poste de négociant auprès d’une entreprise de commerce, située non loin de chez nous. Une manière de dire définitivement adieu à mon ancien statut de nanti.
J’ignore comment elle a réussi à me tromper toutes ces années sur l’état de sa santé dégradante. Cela faisait aussi partie des secrets dont elle était détentrice, avec la complicité de son médecin. Ce dernier ayant toujours juré de ne pas révéler le mal qui la rongeait, s’étant accentué peu de temps avant notre mariage. Je n’avais pratiquement rien gardé de mes anciennes richesses, n’ayant conservé que quelques économies sur un compte destiné à un voyage qui aurait dû fêter nos 15 ans de couple heureux. Un voyage qui n’a jamais pu avoir lieu, du fait de l’extinction de son étincelle de vie. De manière abrupte. Elle terminait son travail plus tôt que moi. Ce qui lui permettait de s’occuper du repas et de menus tâches avant que je revienne. Elle refusait toujours que je l’aide, mis à part le week-end. Seul moment où elle acceptait mon concours pour l’entretien de la maison. Ce jour-là, je l’ai retrouvé allongée dans la cuisine. Un plat gisait renversé à ses côtés, ainsi que divers pots d’épices et autres condiments. Sa vie avait dû s’enfuir soudainement, ne lui laissant pas le temps de contacter le moindre secours, ni même de m’appeler au bureau.
Les longues années après sa mort ont été les plus dures qui soient. Je ne ressentais plus l’envie de continuer de vivre. Nos rares amis — issus de nos nouvelles fréquentations à tous les deux —, tentaient bien de prendre régulièrement de mes nouvelles. Mais je faisais la sourde oreille. Je ne répondais pas à leurs appels, ignorant les sonneries à la porte d’entrée quand ils venaient directement à la maison. Je m’enfermais sur moi-même, ayant été jusqu’à quitter mon emploi. Là où je devenais irascible sur à peu près tous les sujets, me rendant mon travail insupportable. Mon premier séjour en centre de soins a duré 3 ans. Après une accalmie — pendant laquelle je paraissais reprendre un peu du poil de la bête —, j’ai rechuté en tombant par hasard sur la robe de mariée de Ruby. Nous l’avions entreposée au grenier, bien protégée dans une enveloppe plastique et soigneusement rangée dans une malle. Je ne sais plus très bien pourquoi je me suis rendu là-haut. Toujours est-il que cela m’a valu une nouvelle dépression, complétée par un second séjour au sein du lieu qui fut le mien durant 10 années supplémentaires.
Durant cette période, je n’ai pas voulu que quelqu’un s’occupe de l’entretien de ma maison. Ce qui fait que, quand je suis ressorti, elle avait perdu l’essentiel de ses atours. Un jardin en friche ; des murs lézardés par la pluie et la chaleur ; un intérieur dans lequel le mobilier s’était fortement dégradé, ainsi que les murs et le grand escalier. On se serait cru dans une de ces demeures qu’on voit dans les films d’horreur. Pendant six mois, j’ai subsisté grâce au restant de l’argent venant de l’assurance-vie mis en place par Ruby. Je me suis contenté du minimal, parvenant malgré tout à faire l’effort de nettoyer ce qui — à mon sens —, méritait un tant soit peu un effort de ma part. Cela se limitait à la chambre d’amis située en bas — étant incapable de dormir dans ce qui avait été notre chambre, à l’étage —, au grand salon du rez-de-chaussée et à la salle de bains. La cuisine, quant à elle, cela dépendait de ma capacité à me motiver pour laver la vaisselle. Ce qui n’était pas courant, générant des odeurs émanant du lavabo où s’entassaient des assiettes, des plats et des couverts emplis de restes de nourriture. Quand ce n’était pas de la moisissure, après avoir fermenté durant plusieurs jours. Une puanteur m’obligeant à laisser ouverte la fenêtre de la pièce de manière quasi-permanente pour ne pas m’intoxiquer en y pénétrant.
Si je me suis habitué au bout d’un moment à cette pestilence, c’est à cause du nouveau métier que j’ai dégotté par la suite, à la faveur d’une petite annonce singulière, publiée dans un journal local. Un métier où le nauséabond auquel je suis confronté est devenu un tel quotidien que, en comparaison, ma cuisine et ses effluves — qui auraient pu faire s’évanouir le plus résistant des putois —, se révélait n’être qu’un moindre mal. Ce qui explique aussi ma tolérance aux senteurs peu parfumées des poubelles enfermées dans la petite pièce attenante à la cuisine — dès lors que j’y pénétrais —, suite aux doléances exprimées par mes voisins. Tel que je l’ai précisé plus tôt dans mon récit. L’instinct qui m’a décidé à me déplacer pour ce poste, je ne sais pas trop ce qui l’a motivé. Peut-être que j’étais lassé de vivre en ermite au sein de cette demeure, me rappelant trop de souvenirs emplis de tristesse. J’avais besoin de renouer avec une activité qui m’éloignerait des fantômes de mon passé. Une nécessité si je ne voulais pas replonger une nouvelle fois dans une déchéance dont je doutais de pouvoir me relever.
Je me suis donc rendu à l’adresse indiquée. Au 1415, Downer Street. Un vieil entrepôt aux allures pas vraiment engageantes. Et c’était peu dire. Le bâtiment voyait son emplacement disposé à l’écart de la ville — non loin de la route menant à Birmingham , sur un terrain jouxtant la forêt. Un choix non négligeable pour les activités de l’entreprise qui allait devenir un semblant de résurrection me concernant, après tant d’années à me morfondre de l’absence de Ruby. Je ne m’attarderai pas trop à vous présenter en détail les membres de l’équipe. Je me contenterais de vous indiquer leurs prénoms, ainsi que quelques attraits de leurs personnalités. Tout d’abord, il y avait Norman. Un barbu trapu, grommelant plus qu’il ne parlait réellement. Une force de la nature, capable d’arracher un cadenas à une porte sans efforts. Ce qui s’avérerait très utile dans le cadre de nos activités, comme vous vous en rendrez compte dès que je serais parvenu à l’explication de ce qui constitue mon emploi. Ensuite, Peter. Tout le contraire de Norman. Un véritable fil de fer vivant, et bavard comme ce n’est pas permis. Lui aussi montrait une utilité bien précise. Il était capable de s’immiscer dans des espaces tellement étroits qu’on se posait des questions sur sa nature humaine. Tout le monde le surnommait “Snake”. Un patronyme plus dû à sa passion de la franchise de jeux vidéo “Metal Gear Solid” — à laquelle il vouait un véritable culte —, qu’à l’animal faisant partie de ceux terrorisant le plus l’être humain depuis des temps immémoriaux.
Au sein des membres, on comptait aussi Conway. Ce n’était pas son vrai prénom. Personne ne l’a jamais su d’ailleurs. Le plus jeune de notre petite bande. Il n’avait pas son pareil pour venir à bout des combinaisons de coffres les plus sécurisés. De même que les systèmes d’alarme les mieux cachés et sophistiqués. Il était le seul parmi nous dont je me devinais aisément son ancienne activité avant de venir ici. Et pour finir, il restait Sonya. La seule fille de la bande. Une beauté inapprochable, experte du couteau et conductrice hors pair. Autant vous dire qu’elle savait y faire pour semer n’importe quel véhicule ayant décidé de nous prendre en filature. Quand je dis inapprochable, ça ne concernait que nous. Parce que dans les faits, elle représentait un élément essentiel pour détourner l’attention des témoins trop curieux présents autour de nos lieux d’actions. Elle savait jouer de ses charmes quand il le fallait. Si une situation exigeait d’éliminer un élément perturbateur, je peux vous dire que rien ne pouvait l’arrêter. Pour vous donner une idée, disons que les deux couteaux qu’elle portait toujours sur elle avaient l’avantage de se révéler déterminants en cas d'imprévus.
Je pense qu’au vu du descriptif que je vous ai fourni de cette fine équipe dont je faisais partie, vous avez compris que notre activité n’était pas très légale. Je reviendrai plus tard sur ce point. Chacun d’eux a été minutieusement choisi par le grand patron, Jonah. Un parfait clone de l’imagerie qu’on se fait d’un gangster de la vieille école. Vous savez, du style Al Capone ou le parrain. Suivant vos goûts en matière de banditisme au look stylé. Jonah alliait charisme et terreur, rien que quand il parlait et se déplaçait. Ce qu’il effectuait rarement, préférant déléguer les taches mineures — comme donner les adresses de nos expéditions et fournir les recommandations nécessaires pour s’y introduire —, au dernier membre du « gang », que j’ai failli oublier de mentionner. Nigel, l’archiviste. Il était chargé — en plus de ce que j’ai évoqué précédemment —, de classifier et ranger à sa place tout ce que l’on ramenait de nos petites excursions. Et gare à celui qui endommageait un objet durant le parcours : il n’excusait rien et n’hésitait pas à prévenir Jonah de retenir le manque à gagner sur la paie du fautif.
Bon, en général, vous vous doutez bien qu’on faisait extrêmement gaffe à ne pas se retrouver dans ce type de scénario. D’ailleurs, on s’arrangeait pour ramener uniquement des objets en parfait état. S’il y en avait un présentant le plus petit défaut flagrant — pouvant faire baisser sa valeur et le rendant quasiment invendable —, on le laissait sur place. Hors de question qu’on prenne le risque de subir une retenue générale sur nos salaires. Oui, parce que — petit détail qui a son importance —, on avait beau être tous des marginaux aux passés troubles pour certains, l’honneur et la solidarité, c’était une qualité qui nous soudait tous. Après vous avoir énuméré les « qualités » de mes collègues, vous devez vous demander ce qui a persuadé Jonah de me prendre dans l’équipe, vu que mon passé à moi n’était pas tout à fait en adéquation avec les autres. Pour ne pas dire que je faisais un peu tache dans le lot. Pourtant, Jonah n’a pas hésité après notre petit entretien d’embauche quelque peu particulier. à ses yeux, je serais très utile à son équipe. Ma vie au sein des quartiers chics de la ville, mes contacts avec les gens de la haute, c’étaient des éléments qui l’intéressait au plus haut point. Je connaissais nombre de rupins faisant partie des « clients » de son activité. Et, surtout, pour avoir rendu visite à nombre d’entre eux, je n’ignorais rien de leurs possessions, et la valeur de ces dernières.
En résumé, ce que je savais sur l’ancien monde auquel j’avais fait partie — avant que Ruby ne me transforme —, cela serait indispensable pour déterminer ce qui méritait le plus d’être embarqué dans un endroit donné. Mes renseignements à ce titre permettraient de gagner un temps précieux pour les « visites », en se focalisant sur le plus primordial. L’équipe n’aurait plus à se fier au hasard en se rendant dans certains lieux désignés. Ainsi, si l’un d’eux se révélait pas vraiment valable pour occasionner une expédition — suite aux informations que je dispenserais — il serait décidé d’attendre qu’une autre occasion se montre plus propice à ramener de quoi faire fructifier plus efficacement les affaires de la boite.
Bon, je vous ai mentionné pas mal d’éléments qui doivent vous interroger sur le but exact de mon emploi passé. Lequel a pris fin avec le fléau ayant ravagé la ville, avant de s’étendre dans le monde entier à l’heure qu’il est. Un fléau qui a sûrement touché mes anciens collègues. Ces marginaux dont les spécialités ont dû vous faire penser à une association de malfaiteurs. Ce qui n’est sans doute pas loin de la vérité pour quelques-uns d’entre eux. Jonah en tête. Je m’en vais éclairer vos lanternes — comme dirait Nigel —, en précisant le cœur de l’activité qui a été la mienne. Avant que je commette cette gaffe, à l’origine de l’émergence de ce qui peut être considéré comme la 11ème plaie. Si vous êtes familier des récits bibliques.
En premier lieu, l’entreprise se présentait officiellement comme un prestataire de services, spécialisé dans les déménagements de grandes bâtisses. Ce qui n’était pas totalement faux sur son véritable objectif. À la différence que nous pratiquions cette activité au sein de domiciles dont les propriétaires venaient de mourir. Ne me demandez pas comment — et personne dans l’équipe ne le savait, y compris Nigel —, mais Jonah avait connaissance de ces morts. Une fois au courant de ces informations capitales, nous ne disposions que de 24 heures pour nous rendre au logis de la personne décédée. 24 heures avant que tous les services propres à gérer un décès débarquent. Je soupçonnais que notre cher patron disposait de contacts au sein des services de santé, funéraires et de la police, et qu’il leur offrait de quoi ralentir le processus d’intervention pour nous laisser le temps d’agir.
Concrètement, un gars devait vraisemblablement contacter Jonah pour le prévenir d’un décès. Après quoi, celui-ci prévenait les ripoux et assimilés de retarder leur venue, moyennant un pot-de-vin. C’est là que notre équipe entrait en scène. On utilisait deux grands vans de grande contenance. Je ne saurais pas vous dire le nombre de mètres cube des véhicules, mais on y emmagasinait un sacré contenu, meubles anciens compris. Tout ce qui avait de la valeur — se montrant revendable sur divers marchés, que je devinais être forcément illégaux —, méritait sa place avec les autres trésors récoltés. Les opérations se déroulaient toujours de la même manière. Conway, spécialiste des serrures de toutes sortes, ouvrait la porte principale, ainsi que celles à l’intérieur. Sans oublier les coffres dénichés principalement par Peter. Norman brisait les cadenas récalcitrants protégeant coffres et meubles divers. En plus de déplacer ou soulever de fortes charges. Lesquels pouvant dissimuler des cachettes derrière ou sous eux.
Sonya restait dans le camion et veillait à ce que des curieux ne s’approchent pas trop près. Le cas échéant, elle utilisait ses talents de séduction pour leur promettre un rendez-vous ou une autre promesse du même genre. Promesses qui — bien évidemment —, ne viendrait jamais. De quoi dissuader les gêneurs de chercher à savoir ce que notre équipe fabriquait ici. Si le gars présentait un trop gros problème, les couteaux de notre déesse du silence — le petit surnom qu’on lui attribuait dans ces moments-là —, parlaient à sa place. Ce qui impliquait de devoir trimballer le cadavre jusqu'à l’entrepôt. Là où on se débarrassait du corps dans les bois avoisinants, propriété de l’entreprise de Jonah. Juste après un petit « nettoyage » en profondeur sur le corps, dans le but qu’il soit impossible de l’identifier. Juste au cas où quelqu’un — par l’intermédiaire d’un chien ou autre, voire un animal sauvage vivant dans les bois —, déterre les restes. Sonya réagissait au quart de tour si on devait prendre la poudre d’escampette en urgence, en réponse à un appel de Jonah. Pour les rares cas où ses probables taupes au sein des services funéraires et de police n’aient pas réussi à retarder suffisamment le processus d’enlèvement des corps, après le signalement du décès.
Concernant les morts, il s’agissait toujours de personnes connues pour vivre seules, et ne recevant que la visite de livreurs pour leurs repas. Disons qu’il y avait de fortes chances que c’étaient ces derniers qui renseignaient Jonah. Notamment quand l’un de leurs clients présentait une absence de présence pour récupérer leurs colis et signer le bon de livraison. Condition obligatoire pour fournir les commandes. Je dois aussi préciser que ces personnes — mais ça je pense que vous l’aviez déjà plus ou moins compris —, se révélaient être des individus aux fortes richesses. Pas forcément monétaires, mais principalement sous forme de tableaux de maîtres, de meubles antiques, de collections diverses aux valeurs parfois immenses, de bijoux... Tout ce qui pouvait enrichir le compte en banque de Jonah par leur revente, au sein de réseaux spécialisés.
Pour reprendre là où je m’étais arrêté — avant ce petit aparté —, Peter se chargeait ensuite de se faufiler dans des espaces pouvant garantir d’autres trésors, dont l’accès se montrait impossible pour la plupart d’entre nous. Ce pouvait être des passages situés dans des caves ou des pièces exiguës — non présentes sur les plans de la demeure, dont on recevait chacun un exemplaire avant chaque expédition. Notre fil de fer humain était également un as pour détecter la présence de cavités cachées dans les murs, grâce à une faculté qui m’échappe encore. Il affirmait qu’il « devinait » les cachettes, fort de son expérience dans les jeux vidéo. Je vous l’ai dit : ce gars n’avait rien d’un type normal. Sa maigreur famélique déjà… Conway disait de lui qu’il devait être le résultat d’une expérience militaire. Bien qu’il l’ait indiqué en plaisantant, il n’était peut-être pas si loin de la vérité, vu les prouesses dont était capable ce phénomène ambulant.
Quant à moi — au préalable —, Jonah me questionnait sur les possessions des futurs visités. Si tant est qu’ils appartenaient à mon cercle de connaissance. Ou du moins que j’étais en mesure de récolter des infos, par le biais de mes anciens amis. Oui, mon nouvel emploi m’a obligé à reprendre contact avec certains membres de mon ancien « monde », suivant les renseignements utiles à obtenir d’un « client ». Des renseignements que je savais être à disposition de rares personnes ayant côtoyés nos futures cibles, que je devais pouvoir fournir dans un temps très restreint, suivant les délais à disposition précisés par Jonah et Nigel. Une organisation qui n’a jamais failli. Il n’y a eu que deux fois où Sonya a dû faire chanter la lame de ses couteau. Ceci pour des promeneurs un peu trop téméraires, qui connaissait — de près ou de loin —, le propriétaire de la maison que l’on visitait, et savait donc que l’on ne faisait pas partie des connaissances de son ami. Ce qui voulait dire qu’on n’avait rien à faire là. Des déclarations qui le destinait invariablement à passer de vie à trépas...
Je peux vous assurer que la présence du cadavre dans le van était loin d’être agréable, mais on s’y faisait à la longue. Les autres membres du groupe n’y prêtaient même plus attention, tellement ils étaient habitués aux « prouesses » de Sonya. Ces mêmes prouesses qui assuraient à cette dernière de ne pas être emmerdée par les techniques de drague de l’un d’entre nous. Pour autant, elle savait jouer de tact pour ne pas zigouiller d’emblée celui qui s’y risquerait, sachant l’utilité primordiale de chacun d’entre nous et source de son gagne-pain. Il n’y avait guère que Peter qui tentait encore et toujours d’obtenir un rendez-vous avec “Killer Lady”. Un autre surnom qu’on donnait parfois à Sonya. Et voir Peter se faire rembarrer par notre tueuse de charme était un plaisir de tous les instants. Avec — au passage —, un petit souvenir sur une partie du corps du séducteur trop impétueux et sûr de lui, après un contact « subtil » d’un des couteaux de son égérie.
Comme vous le voyez, notre équipe — malgré l’impression qu’elle peut donner de prime abord —, restait soudé. Chaque visite étant chronométrée et parfaitement orchestrée. Chacun sachant ce qu’il lui convenait de faire. Le transport des marchandises se pratiquait à plusieurs, suivant l’importance du lot à ramener dans l’un des vans prévus à cet effet. C’est lors de l’une de ces excursions que j’ai découvert un endroit secret du manoir de Lord Valkirk, notre « client » de ce jour-là. À dire vrai, je suis tombé dessus un peu par hasard, en sortant un livre de l’étagère d’une bibliothèque. Un vieux truc que je pensais n’être l’apanage que de romans policiers ou d’aventures, style “Arsène lupin” ou “Les 5 compagnons”. Oui, mes lectures sont très variées, et j’ai gardé le plaisir de lire des œuvres découvertes lorsque j'étais enfant. Quoi qu'il en soit — les autres étant occupés dans d’autres pièces et ailes du manoir —, une fois le panneau déclenché par le mécanisme que j’avais provoqué de manière tout à fait inattendue — à cause de ma curiosité d’un livre ancien —, j’ai pénétré dans la pièce secrète.
On se serait cru dans l’antre d’un alchimiste. Il y avait une profusion de fioles aux couleurs multiples, de formules griffonnées sur les murs et des parchemins fixés sur des meubles un peu partout. Il s’y trouvait même un antique athanor. L’objet de référence pour tout alchimiste. Je savais — par mes connaissances —, que Lord Valkirk était issu d’une famille française, et je me demandais s’il avait eu un lien avec Nicolas Flamel. Celui dont on dit qu’il fut l’un des alchimistes les plus fameux. Ce n’est en fait qu’une légende, qui s’est forgée à cause du statut d’écrivain, de copiste et libraire du personnage. Plusieurs livres lui ont été attribués, alors que ce n’était — en tout cas pour le plus grand nombre —, que des traductions de livres plus anciens. Des ouvrages entré en possession du libraire-écrivain on ne savait de quelle manière. Comme il s’agissait de livres uniques — qui ont fini par se perdre, ne laissant que la copie de Flamel au sein de sa librairie —, et que Flamel avait apposé dessus des sceaux caractéristiques — comme tout ouvrage dont il était l’auteur —, il est aisé de comprendre pour quelles raisons ces livres ont été reconnus comme étant l’œuvre exclusive de Flamel. Alors qu’il ne s’agissait que de transcriptions d’œuvres rares — dont les auteurs d’origine étaient inconnus.
Il en est de même pour le fameux ouvrage contenant la prétendue formule de la Pierre Philosophale. Un essai théorique alchimique certes, mais qui n’a jamais été signé par Flamel lui-même. Ce que les recherches des historiens n’ont pu établir que tardivement, en se fondant sur le style d’écriture des livres attestés ayant été écrits par l’érudit. Pour autant, il est vrai que sa position de libraire lui a fait acquérir de nombreuses dispositions à la compréhension de formules compliquées — traitant de l’alchimie, sans toutefois ne les avoir jamais appliquées. Il faut savoir qu’à son époque, il était courant d’attribuer des connaissances alchimiques à tout érudit un tant soit peu calé dans les sciences et l’analyse de textes anciens. Nombre de bourgeois et nobles furent taxés d’alchimistes en ce sens, alors qu’ils n’avaient que le tort de pouvoir décrypter toutes sortes de documents antiques, échappant à la compréhension de l’Église en matière de sciences.
Dans les faits, ces ouvrages utilisaient divers « codes », à travers l’utilisation de diverses langues mélangées entre elles, et venant probablement d’auteurs grecs ou arabes. Ce sont ces suppositions qui ont d’ailleurs donné naissance au Necronomicon au sein des récits de H.P. Lovecraft. En tout cas, la pièce comprenait nombre d’objets, parchemins et livres en lien avec l’alchimie. Une passion — visiblement —, pour Lord Valkirk. Ce qui pouvait expliquer son désir de solitude, juste après le décès de son épouse. Un sentiment que je pouvais comprendre, ayant subi le même choc. Au milieu de tout ce fatras, figurait une bague singulière. Je ne saurais dire pourquoi, mais elle paraissait m’attirer. Le métal du bijou en lui-même se montrait assez quelconque —fait d’un mélange de laiton et d’un simulacre d’argent. Mon ancien métier de notaire m’avait fait doter de quelques acquis en termes d’orfèvrerie et de joaillerie, à force de discuter avec des spécialistes pour estimer des biens à destination de vente — faute d’héritiers de la personne décédée.
C’est pourquoi je me montrais capable de reconnaître le métal d’un bijou rien qu’à son apparence. En revanche, la pierre dont était sertie la bague était plus particulière. Elle ressemblait à une émeraude par sa texture et sa forme, mais sa couleur était inhabituelle. Elle oscillait entre le mauve et le vert, avec des relents de noir en son sein. Je prenais ça pour un éventuel défaut de la pierre d’origine, ayant servi à la confection de l’objet. Néanmoins, cette espèce de tache au cœur de la pierre eut pour effet de me fasciner. J’ai eu envie de l’étudier plus longuement. Cependant, je ne pouvais pas m’affairer à cette tâche ici — au sein de ce manoir —, en présence de mes collègues s’affairant non loin. C’était plus par curiosité que par appât d’un potentiel gain au départ. Cet instinct pécuniaire n’est apparu que bien plus tard — une fois le bijou en ma possession —, au sein de ma demeure.
J’ai donc pris la bague et son étrange pierre, puis l’ai fourrée dans un coin de ma bouche. Nous étions fouillés après chaque retour d’expédition par Jonah. Une précaution de sa part pour s’assurer qu’on n'essayait pas de le doubler. Si un objet précieux — quel qu'il, soit —, venait à être découvert sur l’un de nous, nous risquions gros. Pas de licenciement : c’était quelque chose qui n’existait pas au sein de cette entreprise. Une fois certain de notre confiance en nous — après un premier entretien, et non sans nous avoir informé du véritable but de la société —, il y avait une règle d’or. On ne pouvait plus partir. Le risque de parler des activités de la boite était trop grand. C’était un élément qui devait être clair, une fois engagé et dépositaire des secrets de l’entrepôt : le seul moyen de partir, c’était de disparaître. Soit par les soins d’un autre agent — extérieur aux activités de la boite, et recruté par Jonah ; Soit en fuyant. Toutefois, dans ce dernier cas, il fallait être certain de disposer de moyens et de contacts à même d’assurer de nous cacher de manière sûre et indéfinie. Sachant que Jonah lancerait inévitablement des agents traquer le fugitif.
Personne n’était assez fou pour s’employer à ça. Non, si l’un de nous avait commis l’erreur de voler un objet de valeur que Jonah estimait lui appartenir de plein droit — étant le chef de toute cette organisation —, il appliquait une punition générale. Un fautif, tous coupables. Un peu comme ce qui est le mot d’ordre dans certaines écoles, dans le but d’apprendre les bases du civisme aux élèves. Jonah privait toute l’équipe de salaire pendant un mois, au maximum. Suivant la valeur du bien subtilisé à son insu. La motivation de ne pas avoir la stupidité de s’abaisser à commettre un larcin — pénalisant tout le monde, avec les conséquences que cela entrainerait en termes de cohésion et de haine des autres —, faisait que personne ne s'emploierait à voler Jonah au cours d’une visite. Il ne fallait pas qu’on puisse trouver quoi que ce soit sur moi lors de la fouille habituelle de retour. Cacher un objet aussi petit dans la bouche me semblait le plus adéquat, répondant à cet instinct imbécile de curiosité.
Je venais tout juste de m’employer à mon acte pas vraiment réfléchi, quand Norman et Peter sont arrivés derrière moi. À première vue, ils ne semblaient pas avoir aperçu ma traîtrise. Sinon, ils se seraient appliqués à me faire comprendre de cracher mon butin sur le champ, et je me serais pris une sacrée leçon de camaraderie dans la foulée par l’ensemble de l’équipe. D’autant que j’étais le petit dernier à être arrivé. Ils m’avaient accepté en leur sein : c’était quelque chose d’acquis. Pour autant je n’étais pas encore certain d’une confiance totale de leur part envers moi. Fort heureusement, ils n’avaient rien vu. Je m’en suis senti soulagé. Un temps, j’ai pensé à avaler la bague, espérant qu’elle ressorte plus tard à travers mes excréments. C’était un truc que j’avais souvent vu à l’œuvre dans des films. Était-ce vraiment entouré de réussite ? Je n’en savais rien. Il ne faut pas toujours croire ce qu’on voit dans les films, et je préférais me conforter dans mes connaissances plutôt que dans des suppositions non avérées.
J’ai continué à débarrasser les objets de valeur avec mes collègues dans les heures qui ont suivies. On ne disposait que d’une journée. Ce qui imposait de faire le tri entre ce qui rapporterait le plus et les futilités à dédaigner. J’ai parlé de l’importance de l’athanor et de la richesse historique de certains parchemins présents dans la pièce secrète. Là où Norman et Peter m’avaient retrouvé. Mais je n’ai convaincu personne de l'intérêt de quelques papiers. Ce n’est pas qu’ils doutaient de leur valeur : Conway a même appelé Jonah pour savoir quoi faire de cette découverte. Néanmoins, il voulait s’assurer de ne pas transporter des babioles pour rien. La réponse fut claire : trop difficile à refourguer et à revendre. On devait laisser ces bouts de papier là où ils étaient. Ils ne présentaient pas un intérêt suffisant.
Plus tard, on est tombé sur la chambre de Lord Valkirk. Enfin, son cadavre. Je vous ai dit plus tôt dans mon récit que je m’étais habitué aux pires odeurs à cause de ce métier particulier. C’est dû à certaines demeures. En général, l’info du décès du propriétaire d’une demeure — dont les richesses intéressaient le commerce de Jonah —, c’était un élément qui était assez aléatoire. Il pouvait arriver plusieurs jours, ou plusieurs semaines avant d’avoir la confirmation d’une mort. Une partie de nos futures cibles se faisaient parfois livrer de grosses commandes en une fois. De quoi leur permettre de tenir jusqu’à un mois ou plus. Par conséquent, les livreurs ne pouvaient donner les renseignements pouvant amener à suspecter un décès qu’au bout d’une longue période. Il est même arrivé qu’un « client » se soit fait livrer l’équivalent de six mois de ravitaillement en une seule commande, donnant du fil à retordre en déchargement au livreur concerné.
Je vous laisse imaginer l’état des cadavres qu’on peut être amené à découvrir dans ces cas-là, si la mort est survenue un ou deux jours seulement après le dernier passage du livreur. L’odeur se fait ressentir dès le moment où on ouvre la porte. Une odeur pestilentielle, à la limite du supportable. Raison pour laquelle on entre toujours muni d’une combinaison intégrale, munie d’un masque. La combinaison sert aussi à ne pas laisser d’empreintes sur place. Toutefois, même avec le masque, l’odeur se dégageant de l’intérieur est tellement forte qu’on ne peut s’empêcher d’avoir des hauts le cœur. Et la vision de certains cadavres, c’est encore pire. Sans parler de la présence d’insectes nécrophages de toutes sortes. Dont des mouches. Plusieurs types de mouches. Ne vous moquez pas, mais à force d’être en contact avec ces bestioles aussi différentes que ne le sont leurs champs d’action, je me suis pris d’intérêt pour cette communauté à part. J’ai étudié leurs formes, leurs préférences, le moment où ils interviennent dans le processus de décomposition du cadavre... Une vraie mine d’or de renseignements, et qui en disent long sur le temps passé par le mort avant d’avoir atteint son stade de pourriture.
Les restes de Lord Valkirk, c’était le pire qu’on ait pu trouver. Même Norman n’a pas pu s’empêcher de dégueuler par la fenêtre proche. On ouvrait systématiquement, dans chaque pièce. Ce qui permettait de faire partir la majorité de ces bestioles, volant parfois partout dans la demeure. Une opération qui rendait notre tâche plus aisée, plus respirable. Sauf que la chambre, c’était à un niveau rarement vu. Le corps avait quasiment fondu et s’était presque soudé dans les draps du lit. Le tout formait une vision d’horreur difficilement descriptible. Quant aux mouches se trouvant dans la pièce, je n’en avais jamais vu autant dans un périmètre aussi restreint. Et pourtant, j’en avais vu des cadavres en six mois de travail au sein de cette équipe de durs à cuire : je peux vous l’assurer. Le cadavre de Lord Valkirk, c’était tellement insupportable en termes d’odeur qu’on a décidé de laisser tomber. D’un commun accord on a préféré ne pas chercher s’il pouvait y avoir des objets de valeur à l’intérieur. De toute façon, les deux Vans étaient quasiment pleins. Qui plus est, on arrivait à la fin de notre journée de labeur. Il était 22 heures, et on était tous crevés. On a encore fouiné une demi-heure, pour remplir les quelques espaces encore présent dans les vans. Puis, Jonah a appelé pour nous dire de rentrer.
Les services funéraires devaient arriver le lendemain matin, à 6 heures. Peut-être même avant. Le temps de revenir au bercail, de tout décharger, d’opérer à la fouille réglementaire et de se désinfecter, la nuit serait déjà bien avancée avant que chacun rentre chez lui. On n’était pas mécontent de nous : la récolte avait été bonne. Sonya nous a aidé sur la fin pour le chargement. Dès le soir tombé, les chances de voir débarquer un importun — si l’on peut dire ainsi —, étaient quasi-nulles. Alors, elle s’employait à fournir son aide pour les dernières heures de boulot. Vous pourriez vous dire qu’elle avait le rôle le plus aisé. Détrompez-vous. D’abord, son aide était primordiale pour le chargement, dès lors qu’on sort tout le fatras utile des maisons. Elle est loin d’être inactive lors des expéditions. Sans compter que la surveillance des alentours, c’était déterminant à la discrétion de notre entreprise. Sans Sonya pour veiller au grain au cas où, il suffirait d’un appel d’un joggeur — s’étonnant du déménagement entrepris par nos soins —, pour tout faire capoter. Ce qui nous obligerait à ne pas bosser durant plusieurs semaines, le temps de que les choses se tassent et laisser un délai raisonnable aux complices de Jonah pour faire classer l’affaire.
Un manque à gagner pour Jonah, mais surtout pour nous qui ne recevrions pas notre argent, vu qu’il n’y aurait pas eu d’activités. On avait beau recevoir un salaire plus que conséquent, il n’en restait pas moins qu’on avait tous des situations plus ou moins précaires. Ça faisait partie des rares confidences qu’on s’accordait sur nos vies respectives. Mis à part Norman, qui ne parlait pratiquement jamais. Il n’était pas muet, mais il n’y avait guère que quand il avait au moins un pack de bières dans le corps qu’il daignait nous faire don de sa voix. Et c’était souvent pour dire à Peter de fermer sa gueule et de lui demander d’arrêter de faire chier Sonya. D’ailleurs, Norman, c’était peut-être le seul que Sonya respectait. J’ignorais pourquoi. Comme si elle savait un truc sur lui qu’on ignorait. Il était le seul à qui elle offrait de temps en temps un sourire discret, jamais réciproque. C’était un peu curieux, mais on ne cherchait pas à en savoir plus.
La fouille s’était bien passée : Jonah n’a pas eu l’idée de me demander d’ouvrir la bouche. À mon grand soulagement. Je n’osais imaginer les conséquences s’il s’était montré aussi consciencieux. J’ai profité d’une envie pressante après cette opération obligatoire pour me rendre aux toilettes. À l’abri des regards, j'ai alors transvidé la bague de ma bouche vers la poche intérieure de mon blouson. Vu le froid qu’on ressentait en permanence dans l’entrepôt, on s’habillait tous en conséquence — une fois la désinfection et la fouille passées. Ainsi, personne ne s’est étonné de me voir revêtir mon blouson. C’était ce que je faisais après chaque fin de mission de toute façon. Seul Peter restait quasiment tout le temps en tee-shirt. Mais bon, de sa part, on ne s’étonnait plus de rien à cette aberration de la nature. Plus tard, je suis rentré chez moi. Une fois arrivé à destination, j’ai sorti la bague, l’observant sous toutes les coutures, puis je l’ai placé sur ma table de nuit, dans ma chambre. Ce n’est que le lendemain que j’ai pu mieux voir la « tache » dans la pierre.
On aurait dit un cocon de prime abord. La fenêtre de ma chambre étant exposé plein sud — occasionnant peu de clarté car le soleil peinait à l’atteindre, à cause d’un petit bosquet présent non loin de là —, je me suis rendu dans la cuisine. Ce qui m’a permis de mieux voir ce que j'ai d’abord pris pour un défaut, lorsque que je l’ai rapidement observé dans le manoir de Lord Valkirk. Ce n’était pas un cocon. La lumière naturelle me fit comprendre qu’il s’agissait d’une larve de mouche. J’étais sûr de moi. Pourquoi avoir placé une larve — visiblement fossilisée —, au cœur d'une pierre ? C'était étrange. Une curiosité qui me faisait rappeler certains écrits survolés lors de leur lecture dans la pièce secrète. Des sortes d’invocations ou de prières destinées à Belzébuth. Celui qu’on surnommait le Seigneur des Mouches. D’où le rapport avec le cavalier de la Pestilence évoqué au début de mon récit. Les deux étaient souvent liés dans nombre de récits. Je me souvenais avoir également vu plusieurs traités de démonologies et de sorcellerie présents dans la pièce, en plus de tout ce qui avait trait à l'alchimie. Ce n’était sans doute que des coïncidentes, me disais-je. Rien de véritablement insolite à voir un original comme Lord Valkirk — dont je ne me doutais cependant pas de sa passion pour les sciences occultes, s’intéresser à divers arts liés à la magie, et tout ce qui en était plus ou moins proche.
Cette singularité de la bague m’a fait penser alors à la possibilité de l’extrême valeur pouvant la caractériser. Une valeur qui pourrait me valoir de faire remonter mes finances de manière importante. Elles qui avaient mises à mal, après mes années passées au centre de soins. Mon séjour prolongé là-bas avait nettement fait fondre mes ressources, car devant assumer seul les frais propres à l’établissement. Je m’étais porté volontaire pour intégrer le programme du centre, sur le conseil de mes rares amis, qui s’inquiétaient de ma déchéance. À ce titre, tout était à ma charge. 13 ans au total — en deux phases —, qui m’ont fait revenir à la vie « normale » presque ruiné. Et il était hors de question de faire appel aux fortunés ayant fait partie de mon ancienne vie. Avant que je rencontre Ruby, qu’ils avaient tant vilipendé. Ce que je ne pouvais pas leur pardonner. D’où mon refus de m’abaisser à leur quémander une aide. C’est ce qui m'a décidé à contacter Jonah, après que le peu me restant de l’assurance-vie de Ruby se réduise à peau de chagrin et menace de me faire expulser de ma maison, faute de pouvoir assurer le paiement des traites. Celles-ci ayant continué à se prélever sur mon compte, en plus des frais du centre de soins.
Cette bague, si je pouvais la vendre — sans que ça attire l’attention de Jonah ou des autres, qui connaissaient tous mes conditions de vie précaires —, elle pourrait contribuer à m’offrir une vie plus décente. Je me surprenais à penser cette utopie, alors que, pendant plusieurs mois — après être revenu au sein de mon foyer —, je n’avais jamais exprimé un besoin d’améliorer mes conditions de vie. Le boulot offert par Jonah, c’était juste pour avoir de quoi continuer à payer les traites de la maison et acheter de quoi manger. Je n’aspirais à rien de plus. Tandis que la présence de cette bague, les reflets du soleil à travers elle inondant mes yeux, cela m’incitait à garantir un meilleur avenir à mon quotidien. Sous réserve que je fasse preuve de discrétion pour la revente de ce bijou, en ne montrant pas trop l’augmentation de mon statut financier autour de moi. Je n’étais pas ce qu’on peut qualifier de paranoïaque. Cependant, au vu de la particularité de l’entreprise de Jonah, il n’était pas impossible qu’il fasse surveiller ses employés au dehors de l’entrepôt. Je devais me montrer prudent pour ne pas attirer l’attention. Ni à mes voisins, ni à d’éventuels espions à la solde de Jonah, observant peut-être mes moindres faits et gestes.
En ayant cette pensée, ma main a tremblé, pensant au fait que l’on m’avait vu exposer la bague à la lumière de la fenêtre, et je l'ai fait tomber à terre. Je tirais les rideaux et me penchais pour ramasser le bijou. J’ai alors vu que la pierre s’était fendue. Ce n’était pas perceptible de manière flagrante, mais cette fêlure pouvait suffire à rendre invendable le bijou. J’ignorais la valeur réelle que pouvait avoir celui-ci, surtout dû à la présence de cette pierre. Mais cette déflagration venait clairement de réduire à néant toute chance de retirer une somme providentielle de sa revente. Me maudissant de ma maladresse, j’ai posé la bague sur le rebord du meuble de cuisine. J’ai quitté la pièce, et vaqué à mes occupations journalières pour tenter de mettre de côté dans mon esprit ce coup du sort. Je me disais que ce devait être ma punition pour avoir voulu berner Jonah, en volant cette bague. Ou que c’était dû au fait que j’avais découvert cette pièce secrète, contenant un artefact qui n'aurait jamais dû quitter l’endroit où il avait été caché. Trop de questions m’envahissaient. Je devais me changer les idées, ne plus repenser à ma bêtise et à cette bague…
Le jour suivant, j’étais passé à autre chose, ayant quasiment oublié l’histoire de mon larcin discret. Jonah ne m'avait pas appelé pour me prévenir de me préparer à lui fournir des infos, dans l’objectif d’une future nouvelle expédition. Ce qui voulait dire que je pouvais espérer avoir les prochaines heures à profiter d’un semblant de tranquillité. Après avoir pris un petit déjeuner frugal, en déversant la vaisselle de la matinée — s’ajoutant à celle déjà présente et datant de plusieurs jours, je fis tomber un couvert au sol. L’accumulation d'assiettes et de plats sales dans l’évier avaient fait ricocher cet élément de la nouvelle fournée. Bien que je ne me préoccupais du ménage qu’une fois dans la semaine, je préférais ramasser le couvert fugitif — une fourchette en inox —, pour éviter de marcher dessus plus tard, car ayant oublié qu’elle se trouvait là. Mon habitude de marcher pieds nus ou affublé de simples chaussettes fines — lesquelles n’avaient pas connu de passage en machine à laver depuis un moment —, risquait de pâtir d’une marche sur les dents de cet orphelin de métal au sol.
C’est en ramassant la fourchette que je remarquais la présence de la bague contre un pied du meuble. Le souvenir de la désillusion causée par une première chute — ayant détruit mes perspectives d’améliorer ma vie misérable, me revint alors immédiatement en mémoire. Voulant éloigner cet objet me rappelant ma triste condition, je me préparais à jeter la bague dans la petite poubelle de la cuisine — après avoir remis en place la fourchette au sein du dépotoir constitué par l’amas de vaisselle du lavabo —, quand j’ai remarqué que la pierre n’était plus seulement fêlée, mais était creusée d’un trou conséquent. Je n’apercevais cependant aucun éclat autour du lieu où j’avais retrouvé l’objet. En observant plus attentivement la bague, je découvris que les morceaux étaient disposés à l'intérieur de la pierre. Comme si quelque chose avait délicatement caché les éclats, pour je ne savais quelle raison. Peut-être avec l’espoir que je ne me rendrais pas compte tout de suite du trou béant dans le bijou.
Quelles qu’aient pu être les intentions du fautif, son stratagème avait échoué et me questionnait. Comment une pierre précieuse — ou en tout cas supposée l’être —, pouvait se révéler aussi fragile ? Une simple chute aurait-elle accentué la fêlure à ce point ? Pourtant, j’avais examiné la pierre. J’étais certain que ce n’était pas du simple verre ou une texture friable du même ordre, tel que les bijoux de pacotille qu’on récupère dans les tireuses de fêtes foraines. Je n’avais pas pu déterminer avec précision la nature de la pierre, mais sa texture m’assurait qu’elle appartenait à la famille des émeraudes, malgré ses couleurs étranges. Je me souvenais de la « tache » aperçue en son sein. Une forme apparaissant explicitement comme une larve d’un noir intense. D’un autre côté, cette couleur était peut-être causée par l'opacité dégagée par les teintes singulières de l’extérieur de la pierre.
Toujours était-il que cette supposée larve n’était plus là. L'idée que c’était elle qui avait subtilement déposé les éclats du bijou me vint immédiatement en tête, malgré l’absurdité de cette pensée. Comment une simple larve — qui plus est fossilisée je ne savais comment, et enfermée depuis une durée indéterminée dans une pierre précieuse —, pouvait avoir pu se montrer capable d’un tel prodige ? La larve se serait-elle muée en sa forme adulte ? À savoir une mouche ? Cela semblait invraisemblable. Pourtant, je devais me rendre à l’évidence. Nul autre que ce passager incongru d’un bijou tout aussi étonnant avait été la cause de ce phénomène dépassant tout ce que je pouvais concevoir en termes de joaillerie, et même de zoologie. Aucune larve de quelque animal que ce soit — quelle que soit l’espèce —, n’était capable d’un tel prodige de résurrection et d’intelligence. C’était inconcevable et je me moquais de moi-même d’avoir pu concevoir une idée aussi farfelue.
J’ai tenté de chercher sous le meuble, histoire de voir si cette larve fantastique s’y trouvait, tentant d’échapper à ma vue. Bien que cette réflexion intérieure parût tout aussi stupide que ce qui m’avait traversé l’esprit auparavant, je m’interrogeais sur la possibilité qu’elle ait pu craindre de tomber entre mes mains. Avec donc le risque de se voir détruire — même accidentellement —, avant qu’elle n’ait eu le temps de revêtir sa forme terminale. C’était stupide. Vraiment. Cela supposait un niveau d’intellect au moins égal à l’homme. Certes, les études des scientifiques ont déjà prouvé maintes et maintes fois que nombre d’insectes pouvaient révéler des intelligences hors normes. Des insectes aux capacités souvent surprenantes, qui ont d’ailleurs inspiré l’homme plusieurs fois à travers l’histoire et source de nombre d’inventions. Mais de là à imaginer qu’une larve fossile — endormie depuis peut-être des siècles ou plus —, ait pu développer des capacités surpassant un être humain, c’était proprement ridicule. N’empêche que les faits étaient là : cette larve s’était réveillée de manière incompréhensible — à la suite de la chute de son contenant sur le sol —, avant de s’empresser de se cacher pour poursuivre une éventuelle évolution. C’était dingue, mais il n’y avait pas d’autres explications. Aussi fantastique que cela paraissait.
De toute façon, si cette larve était devenue mouche — ou attendant de le devenir, quelque part dans cette pièce, les cachettes ne manquaient pas pour une créature aussi petite. Je n’avais nullement l’envie de me mettre à la poursuite d’une bestiole aux compétences supposées incroyables, juste pour éteindre le flux des questions me venant en tête la concernant. J’ai jeté ce qui restait de la bague dans la poubelle de la cuisine. Celle-ci étant pleine, j’ai fermé les liens, puis l’ait placé avec les autres sacs dans la pièce d’à côté. Ceux attendant le jour de ramassage des ordures pour être sortis au dehors. En milieu d’après-midi, Jonah m'appelait pour me questionner sur un prochain « client » dont il avait appris le décès par ses contacts secrets. Les affaires reprenaient, et mes interrogations concernant la bague, la pierre et son contenu passèrent aux oubliettes.
Trois jours plus tard, on était la veille de Noël. Jonah nous avait donné congé pour qu’il puisse profiter des fêtes avec sa famille. Que nous, nous fassions de même, c’était le cadet de ses soucis. Je suis persuadé que s’il avait eu l’occasion de nous faire bosser pendant cette période, ça ne l’aurait aucunement gêné. Mais que ça empiète sur son propre plaisir de profiter de Noël, ça c’était un sacrifice qu’il n’envisageait même pas. Une attitude qui vous donne une idée de la piètre importance qu’on représentait à ses yeux. On n’était que des outils qui lui permettaient de s’enrichir, et rien d’autre. Des outils jetables et remplaçables. Vu les difficultés à s’en sortir de nombre de personnes de nos jours, il savait qu’il n’aurait aucun mal à trouver d’autres marginaux comme moi et les autres. Des désœuvrés prêts à tout accepter — pourvu que cela leur rapportait un salaire décent.
Bien sûr, la perte de l’un de nous serait regrettable pour ses affaires, mais à ses yeux, nous étions comme des briques de Lego. Si l’une se montrait défectueuse, se cassait, il suffisait d’en commander une neuve pour remplacer la brique inutilisable, afin de remettre l’édifice construit en état. L’image peut sembler cruelle, et je ne suis sûr de rien au sujet de la personnalité réelle de Jonah — ce dernier ne laissant que rarement transparaître de ses intentions et de sa personnalité intime, mais c’était vraiment mon sentiment. Quoi qu'il en soit, on s’est tous souhaités de joyeuses fêtes tour à tour, avant de partir chacun de notre côté. Même Norman nous a gratifié d’un “Joyeux Noël” en affichant un sourire inédit. À se demander si c’était bien le même Norman qui se trouvait devant nous. La veille, il avait reçu une lettre, fournie par Nigel. Depuis, il était différent. J'ignore ce que cette lettre contenait, mais le Norman taciturne s’est soudainement métamorphosé en quelqu’un de presque sociable, tapant même la discute plus qu’à son habitude.
Peter, de son côté, a encore une fois tenté l’incruste auprès de Sonya, et s’est gentiment fait envoyer aux fraises. Mais plus gentiment que d’habitude. L’esprit de Noël, parfois, ça change les gens de manière inattendue. J’ai profité d'une petite prime supplémentaire — offerte à tous par Jonah —, pour me permettre de m’acheter de quoi passer un semblant de repas de Noël. Un Noël solitaire, comme j’en avais déjà eu l’expérience de nombreuses fois — mis à part au centre de soins, où le personnel refusait qu’on reste dans son coin ce jour-là. Néanmoins, la petite prime, le sourire de Norman et des autres, ça m’avait fait chaud au cœur. En un sens, on était comme une famille, obligée de se séparer momentanément. On se disputait pour des broutilles, on se félicitait, on se prêtait à des confidences de temps à autre... On avait fini par tous s’apprécier au fil des mois. Ça peut paraître ne pas être grand-chose pour un regard extérieur à notre petite communauté, mais pour moi, c’était déjà beaucoup. Je n’oubliais pas pour autant l’absence de Ruby. Pour autant, cette famille spéciale, ça me redonnait un brin de joie de vivre, agrémentant mon quotidien de souvenirs tenaces à leurs côtés.
C’est à partir de là que le cauchemar a commencé. Je m’étais rendu dans le centre-ville. La foule dans les magasins était intense, chacun se pressant pour acheter — comme moi —, de quoi alimenter son caddie ou son panier de courses à la dernière minute. Pour d’autres, leurs préoccupations se présentaient davantage autour de la quête de cadeaux. Avec un stress évident, que même les chants de Noël sortant des hauts parleurs disséminés un peu partout — aussi bien dans les magasins que dans les rues, ne parvenaient pas à dissiper. À côté de ça, il y avait les mines enjouées de gamins émerveillés à l’idée de prendre une photo avec le Père Noël, sous les yeux ravis de leurs parents. Les animations à base d’animatroniques disposées à des coins de rue — ou en devanture de commerces illuminés de guirlandes et décorations brillant de mille feux, participaient à l’euphorie ambiante. Une joyeuseté communicative qui m’envahissait moi aussi, à mon niveau. Et puis, il y a eu l’incident…
Un homme chancelait sur le bitume d’un trottoir, non loin du traditionnel marché de Noël, installé — comme tous les ans, près de l’hôtel de ville. Il était rempli de sueur sur le visage et gémissait en se grattant le corps à plusieurs endroits. On voyait qu’il souffrait, mais il était difficile de comprendre l’origine de ce qui l’assaillait. Jusqu’à ce qu’il arrache nombre de ses vêtements et qu’on comprenne. Ses bras désormais exposés, nus, affichaient des dizaines de cloques, montrant des zones de peaux envahies d’un noir violacé qui faisait hausser le cœur, tellement le spectacle était digne d'un film de Body Horror du plus mauvais goût. L’homme s’affala à terre, se tordant dans tous les sens, criant de douleur, pendant que des mouvements se faisaient voir sous sa peau. Quelque chose grouillait sous cette dernière, accentuant la torture physique de l’homme.
L’horreur atteint son comble quand — soudainement —, des parties entières de son corps semblèrent comme exploser, laissant sortir des dizaines de larves vivantes et bougeant dans tous les sens autour de la victime. Chacun s’écartait à la vue de cette version de rue du théâtre burlesque horrifique. Je me suis même surpris à regarder autour de moi, dans le but de vérifier s’il n’y avait pas une caméra autour, expliquant la scène. Une preuve qui aurait pu indiquer que tout cet étalage de sang dégoulinant sur les bras de l’homme jusqu’au sol, rougissant la neige autour — tout comme ces morceaux de chair expulsés et atterrissant sur des quidams n’ayant rien demandé —, ce n’était pas le fait du tournage non déclaré d’un “splatter”. Vous savez, ces films centrés sur les déflagrations physiques, à grands coups d’effets sanguinolents très démonstratifs. Il n’y avait rien. Rien d’autre que cet homme gisant sur le bitume et hurlant de toute son âme, pendant que d’autres larves sortaient de son corps, dont une grande partie semblait viser les bouches d’égout situées entre la rue et le trottoir.
Plusieurs s’y engouffrèrent, disparaissant à la vue de tous, comme si ces destinations représentaient un repaire providentiel, en attendant qu’arrive leur prochain stade d’évolution. Bientôt les sirènes de la police et d’une ambulance se firent entendre, se rapprochant du lieu du drame sanglant s’y déroulant, sous les yeux horrifiés de parents cherchant à cacher ce spectacle horrible à des enfants tout aussi terrorisés. Une fois sur place, les policiers ont fait évacuer les contours proches, pendant que des ambulanciers hissaient — non sans mal —, le malheureux sur un brancard. À ce stade, son corps n’était plus qu’un magma de chair et de sang, laissant apercevoir ses os par endroits. On aurait dit qu’il se liquéfiait. Il fut le premier dont je serais le spectateur, mais loin d’être le dernier. Alors que j’étais rentré chez moi — essayant d’oublier la vision auquel j’avais assisté, impuissant —, j’allumais instinctivement la télévision. Sans doute dans un esprit de curiosité morbide, espérant savoir si on parlait du cas. Ce fut bien pire que ce à quoi je m’attendais.
Des dizaines de cas du même ordre avaient été recensés, envahissant les hôpitaux dont le personnel se retrouvait en effervescence, ne sachant plus où donner de la tête. Les arrivées s’intensifiaient, venant de divers coins de la ville. Les journalistes relayant l’info diffusaient des messages de la police, appelant à informer de tout nouveau cas, insistant sur le fait de ne surtout pas toucher les larves sortant des corps des victimes et de ne pas chercher à agir directement. Un numéro d’urgence apparaissait sur différents programmes, interrompant ceux-ci régulièrement toute la soirée. Toutes les chaînes diffusaient — chaque heure qui passait —, des flashs infos pour donner des indications supplémentaires concernant ce nouveau type de virus dont la communauté scientifique ne parvenait pas à comprendre les origines. La panique se généralisait au fur et à mesure des heures passant. Mon quartier ne fut pas épargné. Il y a eu d’autres cas d’hommes, de femmes et d’enfants hurlants dans la rue ou à l’intérieur des maisons.
Toute la nuit fut perturbée par les sirènes des secours, à cause de nouvelles infections. Très vite, un autre phénomène se fit connaître : de véritables essaims de mouches sortaient des égouts, s’agglutinant autour des passants pour leur asséner des piqûres brèves, mais hautement douloureuses. Il fut vite établi un lien entre ces mouches de type Ostridae — tel que le confirmèrent les spécialistes en entomologie —, et les larves causant ces ravages dans la population. Les établissements de santé ne pouvant plus suivre et manquant de place pour accueillir les nouveaux cas, des camps d’urgence furent installés un peu partout. Des stades, des salles des fêtes, et même des magasins furent réquisitionnés pour y placer d’autres victimes. Des appels adressés à tous les médecins disponibles furent diffusés sur les réseaux et chaînes de télévision, appelant au civisme de chacun, tout en faisant preuve de prudence. La mairie et les forces de l’ordre instituèrent un couvre-feu généralisé, suivi d’un confinement, afin de limiter les risques de contamination de ces attaques animales incompréhensible et d’un nouveau genre. Parmi d’autres recommandations il était demandé à la population de la ville de fermer toutes issues pouvant laisser entrer les mouches incriminées, cherchant à infecter d’autres corps.
Très vite, les réseaux furent envahis d’images volées dans des hôpitaux et autres lieux où les victimes tentaient d’être traitées. Des images terribles où l’on voyait des mères tomber en larmes devant la vision de leurs fils mourants. Des enfants dont chaque partie du corps se voyait envahir par le grouillement de dizaines de larves sous la peau. Quand ce n’étaient pas des centaines pour les cas les plus graves, accélérant la déflagration de leur état. La plupart des larves étaient détruites à peine sorties des corps, mais nombre d’entre elles parvenaient à se frayer un chemin à travers tout ce qui pouvait représenter une sortie. Se faufilant le long des tuyaux des perfusions, des systèmes d’oxygénation, des bouches d’aération… Même de simples fissures dans les murs leur suffisaient à s’échapper, menaçant de donner naissance à des mouches supplémentaires, capables d’augmenter encore plus la teneur de cette menace grandissante. La faute à la vitesse de déplacement anormale de ces larves, dépassant tout ce qui était connu.
À la lumière de cette dernière info, j’émettais la supposition que c’était peut-être ce qui s’était passé concernant la larve fossile de la bague… ça semblait impossible, mais plus je voyais des images de corps ravagés se transformant en des amas de chair dégoulinante, de visages déformés par la liquéfaction ou de la sortie intempestive d’organes — éjectés des corps comme on lance une balle dans un match de base-ball, et garnissant les murs et les personnes avoisinantes de leur texture flasques, agissant comme de l’acide sur la matière où ils atterrissaient —, plus je voyais ces atrocités, disais-je, plus je me disais que l’origine de tout ça, c’était peut-être moi le responsable. Cette silhouette de larve dans la pierre à qui j’avais donné l’occasion de s’enfuir et de revivre, à cause de ma maladresse ayant fait tomber la bague sur le sol, fêlant la prison de cette chose... Si je n’avais pas retrouvé la larve sortie de la pierre durant mon sommeil, ce devait être à cause de la rapidité à laquelle ces créatures se déplaçaient.
Elle fut sûrement celle qui donna naissance à la première mouche, celle-ci n’ayant pas eu de peine à trouver comment sortir de chez moi, tel que je vous l’ai décrit en début de ce récit. À partir de là, l’Ostridae fugitive a infecté un premier corps. Sans doute d’autres. Ce qui a libéré les premières larves et occasionnant cette catastrophe. Notre cité n’a jamais pu fêter Noël de manière sereine, et elle n’en aurait plus jamais l’occasion. Le Jour-J, les cas d’infection se comptaient déjà par dizaines, comme déjà évoqué. Le phénomène s’amplifia de plus en plus, dépassant les limites de la ville, jusqu’à atteindre les villages en périphéries, créant d’autres colonies de larves et de mouches et se dirigeant vers d’autres régions. Le phénomène s’étendait de manière exponentielle à chaque heure qui passait. Au bout d’une semaine, d’autres pays furent touchés. Il était peu probable que ces mouches aient pu parvenir à les atteindre par le vol : la traversée semblait bien trop longue pour ça. Les scientifiques s’accordaient sur le fait que les mouches devaient se servir des avions et des bateaux. Il était plus que probable qu’elles se dissimulant dans des cales, des soutes, des caisses, ou tout autre endroit leur assurant une cachette provisoire.
Durant les traversées, elles devaient sortir de leurs planques improvisées, et contaminaient tout ce qui se trouvait à leur portée, disséminant le mal sur les territoires représentant la destination des véhicules. Un tel scénario supposait évidemment une intelligence complètement délirante pour des insectes. Pourtant, au vu de ce que larves et mouches avaient déjà montrées en termes de capacité, plus personne ne doutait qu’on avait affaire à des créatures n’ayant rien à voir avec les connaissances humaines. Beaucoup comparait cette invasion en cours à une punition divine, créant son lot de groupes sectaires profitant du fléau pour dispenser ses idées d’apocalypse, afin de réunir de nouveaux disciples. Les pillages commencèrent à devenir une norme, causés par des non-infectés au départ, avant qu’eux-mêmes ne soient touchés. Leurs dégâts occasionnaient d’ouvrir des brèches immenses sur les lieux de leurs cibles. Ceci en brisant des vitrines de commerces, ou enfonçant des portes d’appartements de personnes sans défense face à ces groupes armés, pour la plupart d’entre eux. Ils s’emparaient de leurs biens, laissant derrière eux des gens se retrouvant sans possibilité d’empêcher les mouches de les infecter à leur tour. L’anarchie régnait, obligeant le recours aux forces militaires, intervenant en masse pour contrer à la fois les pillages — de plus en plus nombreux —, et les attaques des mouches. Bien que celles-ci se montraient tout aussi résistantes que les simples larves face aux armes humaines. Un combat proprement inégal, renforçant les suspicions de la nature surnaturelle de ces créatures, tel qu’évoqué par les groupes religieux s’intensifiant sur divers territoires.
Les simples combinaisons des équipes d’intervention — ainsi que les habits trop fins —, se révélaient être des moyens de défense inutile. Le dard dont disposaient ces mouches inédites se montrant capables de percer ces faibles remparts. Seuls certaines matières — plus épaisses —, ou des couches d’habits suffisamment importantes pouvaient parer aux attaques. Ce qui impliquait de couvrir toute surface de peau. Visage, mains, jambes, cou… La moindre zone non-protégée était suffisante pour qu’une mouche dépose son venin organique, en piquant l’épiderme à sa merci. Sur les toits de certains immeubles, on hissait des drapeaux représentant le cavalier de la Pestilence, l’un des 4 de l’Apocalypse. Pour celles et ceux qui les disposaient, c’était comme un acte de soumission, appelant le cavalier à les épargner, en tant que fidèles à son futur règne. Et quand ce n’était pas le cavalier de la Pestilence, on dressait des représentations de Belzébuth. Le Seigneur des Mouches. Des gens tuaient pour déloger des familles de maisons dotés de protections suffisantes pour espérer bloquer les assauts des mouches. Au morts par les larves s’ajoutaient donc celles issues d’affrontements entre forces armées et illuminés considérant la police et l’armée responsable de la recrudescence de la colère du démon.
J'ai alors repensé à la pièce secrète de Lord Valkirk. Les parchemins et documents évoquaient Belzébuth. Et mon esprit avait auparavant émis l’idée que ce n’était pas anodin. D’autant que certains dessins de la bague figuraient sur ces mêmes documents anciens. La solution à ce fléau se trouvait peut-être au sein de cette pièce secrète. Chez Lord Valkirk. Seulement, pour m’y rendre, il fallait que je m’entoure de précautions. Je suivais les recommandations données par les bulletins d’infos, parmi les chaînes n'ayant pas encore vu leurs locaux infectés par l’arrivée massive d’essaims de ces mouches apocalyptiques. En plus de ma combinaison, je me recouvrais de vêtements épais, synthétiques, et n’offrant aucun espace pouvant être utilisé contre moi par les mouches. Ce qui excluait les habits en laine, dont les interstices seraient une aubaine pour une attaque caractérisée de ces bestioles de l’enfer. Je ne croyais pas si bien dire, au vu de ce que j’allais découvrir chez Lord Valkirk, détruisant tout espoir d’une possible solution pour mettre un terme à ce que j’avais involontairement déclenché. Mon parcours au dehors m’a fait traverser des rues et des chemins parsemés de bouillies de chair ; de squelettes réduits à des fragments d’os épars, presque à l’état de poussière, soulevée parfois par les vents ; de silhouettes composées d’habits déchirés, souillés par des liquides indéfinissables. Les restes de victimes n'ayant pas pu être secourus. Quoique, vu l’impuissance de la médecine à trouver une parade pour déloger les larves des corps — sans causer la destruction des corps, ça n’aurait pas changé grand-chose. Qu’ils meurent dans la rue, dans leur maison ou dans un hôpital, la finalité demeurait la même…
À chaque pas que je faisais, ne pouvant plus utiliser ma voiture — dont le démarreur avait décidé de mourir lui aussi, c’était pour découvrir encore plus d’horreurs. Je croisais des corps décharnés à outrance, parfois encore entourés de larves, montrant la fraicheur — si l’on puis dire —, de la mort des pauvres hères touchées. Dans des jardins, j’apercevais des restes constitués d’os calcinés, un jerrican à côté. La preuve que des infectés ont préférés s’immoler pour ne pas finir à l’état de liquide, suite à leur contamination. Une sorte d’envie de désir d’achever leur vie dignement, tel qu’ils l’ont choisi. Bien que je ne sois pas sûr que ce type de fin puisse être désigné comme tel. Au bout de trois quarts d’heure, je parvenais au castel de Lord Valkirk. Entretemps, j’ai fait un léger détour vers le dépôt. Il n’y avait personne à l’intérieur, mis à part deux corps aussi liquéfiés que ceux que j’avais vus sur ma route. Les habits de l’un ne faisaient aucun doute sur la victime : Nigel. Toujours à faire des heures supplémentaires celui-là. À se demander s’il avait eu un jour un foyer, vu le nombre de jours et de nuits passés dans l’entrepôt.
L’autre je ne savais pas qui c’était. Aucun du groupe en tout cas. Ni même Jonah. Ce dernier n’a plus donné signe de vie après les évènements de Noël. Idem pour les autres, que j’ai essayé d’appeler plusieurs fois, étant donné qu’on s’était tous échangés nos téléphones. Ce qui montrait bien la solidité de notre groupe d’amis, la famille que nous formions. J’avais cherché à savoir s’ils étaient tous encore en vie, s’ils avaient trouvé un moyen de se protéger de ce fléau volant. Aucun n’a jamais répondu. Je ne me suis pas attardé au dépôt, et j’ai vite bifurqué pour me rendre chez Lord Valkirk. Je n’ai pas trainassé dans la bicoque, qui avait au moins l’avantage de posséder un air plus respirable. Sans doute le fait d’un nettoyage approfondi, effectué par une équipe spécialisée dans ce genre de tâche ingrate. Le contenu de la pièce secrète, j’espérais que ça n’avait pas disparu. Je n’étais sûr de rien en venant ici. J’avais refermé le passage après notre départ, après que Jonah a signifié son désintérêt pour tout ce qui se trouvait à l’intérieur de la pièce. Il y avait le risque que les services funéraires — ou une autre équipe ayant eu la charge d’inspecter la demeure —, aient découvert le mécanisme permettant d’y avoir accès. Auquel cas ma venue n’aurait servi à rien. Mais, pour une fois, la chance a été de mon côté.
La bibliothèque cachant le moyen d’ouvrir la pièce était toujours en place. Les livres sur les étagères ne semblaient même pas avoir été déplacés, ni même touchés. Confirmation fut faite en entrant dans l’antre du féru d’alchimie. Je me suis alors employé à parcourir les parchemins survolés une première fois, lors de ma première visite dans les lieux. Ceux qui parlaient de Belzébuth. Je n’ai pas pu tout traduire, mes souvenirs en latin et en grec — les langues principales des textes, n’étant pas fameux. Qui plus est, certaines parties usaient d’un langage inconnu à ma connaissance. On aurait dit des runes ou un truc du genre. Pas les nordiques : plutôt celles utilisées dans les traités de sorcellerie, dont il figurait d’ailleurs divers ouvrages au sein de la pièce. Sans doute un code pour que le décryptage ne puisse pas être effectué par une personne n’appartenant pas à un cercle d’adeptes défini. Malgré tout, j’ai pu décoder le principal, et je ne m’étais pas trompé. Malheureusement, ça s’est accompagné d’une cruelle défaite quant à mes espoirs d’effacer ma faute.
De ce que j’ai compris, il était dit que la grande vague de la peste noire ayant ravagé l’Europe — entre 1347 et 1350 —, était dû à une sombre histoire de vengeance. Une vengeance voulue par l’apprenti d’un herboriste de Crimée, qui désirait se marier avec la fille dudit herboriste. Ce que ce dernier refusa, arguant qu’il ne donnerait la main de sa fille qu’à une personne de haut rang. Le commerçant — et guérisseur à ses heures —, faisant peu de cas de l’amour des deux jeunes gens. Il désirait se servir du mariage de sa fille avec un notable pour étendre sa renommée et son commerce.
Le souci, c’est que le jeune apprenti était connu pour être le fils d’un sorcier qui lui avait transmis ses connaissances. Utilisant son savoir, il a invoqué un démon pour se venger de la ville, qu’il jugeait complice de son maître. Pour sceller le pacte entre les deux parties — démon et humain, chacun a offert à l’autre une partie de son corps. L’apprenti a donné son bras droit et le démon un ongle. Cela peut sembler inégal, mais dans les faits, le service rendu et la puissance émanant d’un morceau — même infime — d’un démon dépasse largement la valeur de n’importe quelle partie du corps d’un humain. En ce sens, l’échange était équitable, si l’on se réfère à cette différence. Malheureusement, l’apprenti — en se servant de l’ongle, suivant les consignes du démon —, s’est montré incapable d’arrêter le flux de maladie émanant de l’artefact, qu’il avait planté dans un sol non fertilisé. Le fléau a échappé à tout contrôle, et lui-même a péri. On dit que l’ongle a été récupéré par un voyageur, ignorant la nature exacte de sa trouvaille, pensant qu’elle appartenait à quelque animal fabuleux, faisant le bonheur d’un sorcier à qui il proposerait sa découverte.
L’homme, sans doute habitué à monnayer ce type de produits sortant de l’ordinaire, a placé l’ongle au sein d’une petite amphore contenant une substance particulière. Il n’est précisé nulle part dans les textes réunis par Lord Valkirk quelle était la nature du liquide. Toujours est-il que l’ongle — au contact de la substance — s’est cristallisé, et a pris l’apparence d’une larve. On ignore comment, mais l’amphore contenant la larve a traversé le temps, changeant de contenant au fur et à mesure qu’il était transmis à un nouveau propriétaire. Jusqu’à parvenir dans les mains d’un alchimiste allemand, Konrad Spitzkrieger, qui a enfermé la larve au cœur d’une pierre créée artificiellement.
Spitzkrieger connaissait l’origine de la larve, ainsi que ses capacités destructrices si elle était de nouveau relâchée dans le monde des hommes. Il a donc imaginé cette prison pour que personne ne s’en serve plus, ayant établi que le démon avec qui le jeune apprenti avait conclu un pacte était Belzébuth, le Seigneur des Mouches. Le temps a passé, et l’artefact a disparu. La pierre s’est retrouvée assemblée dans divers bijoux. Diadèmes, Tiares, colliers… Même en décoration de calices religieux. Ce qui est paradoxal, quand on sait l’origine de l’artefact. Chaque propriétaire voyait son comportement se modifier en présence de son bien, d’origine surnaturelle, devenant arrogant, violent... Avec une propension à ne voir personne l’approcher de trop près, sous peine de subir des actes irréfléchis de sa part. Devenu finalement un ornement de bague, le bijou est parvenu jusqu’à Lord Valkirk par le biais d’une transaction illégale, issu d'un vol auprès du précédent propriétaire, dont on ignore l’identité.
Au contact de la bague, Lord Valkirk a changé de comportement, comme tous les précédents possesseurs avant lui. D’où son statut d’ermite qu’il s’est forgé au fil des ans, sans que personne comprenne la raison exacte de cette modification de son attitude, déconcertant nombre de ses proches et amis. Obsédé par la bague et surtout le contenu de la pierre — conscient du danger qu’elle représentait, malgré l’influence de celle-ci sur son esprit, Lord Valkirk a effectué de longues recherches en profitant de sa solitude. Celle forgée après plusieurs années de luttes intérieures, pour ne pas succomber totalement au pouvoir de la bague. Afin d’éviter qu’elle ne lui fasse commettre des actes irréparables — notamment à cause des voix assaillant régulièrement son esprit, et lui demandant de briser la pierre enfermant la larve en son sein —, Lord Valkirk a construit de ses mains cette pièce secrète, dans le but d’y cacher la bague et échapper ainsi à son influence. Il ne s’y rendait qu’à l’occasion de recherches supplémentaires, espérant trouver dans les manuscrits et ouvrages qu’il obtenait — ceci auprès de vendeurs peu regardants sur l’usage qu’en aurait leur acheteur —, un moyen de renvoyer la bague là d’où elle venait : l’Enfer. Mais pour cela, il lui fallait trouver le lieu d’un passage vers la géhenne. Ce qu’il n’a jamais réussi à trouver, malgré ses années à dénicher un texte capable de lui désigner l’endroit capable d’éviter au monde une catastrophe.
Tous les propriétaires de l’artefact ont été soumis à la tentation de libérer la larve. Tous sont parvenus à résister. Au prix de mille souffrances et devant accepter la solitude nécessaire pour que leurs proches ne subissent pas le contrecoup de dommages collatéraux. Lord Valkirk était malade et sentait sa santé décliner, ce qui l’épouvantait. Il craignait que l’artefact soit découvert par quelqu’un qui ne se montrerait pas aussi précautionneux que lui et tous ceux l’ayant précédé, menaçant de libérer un mal terrible sur le monde. La suite, vous la connaissez. Je me suis présenté comme ce nouveau propriétaire, n’ayant pas pris soin de me renseigner sur ce qu’était cette bague avant de m’en emparer. Jouant de malchance, j’avais libéré le pire des fléaux pouvant exister. Le pire étant que, dorénavant, ça ne servait plus à rien de trouver où se trouvait l’une des portes de la Géhenne, évoquée dans nombre d’ouvrages. Le mal s’étendait jour après jour, envahissant la terre entière.
Selon Lord Valkirk, il n’existait aucun autre moyen pour mettre fin au danger de l’artefact que de le renvoyer en enfer. Afin de rapatrier le corps d’où il venait : celui de Belzébuth. Par ma faute, la prison qui avait permis de minimiser l’impact dont était capable la larve et ses pouvoirs avait été brisée. La pierre la composant avait sans doute vus ses capacités à renfermer la menace s’éroder au fil du temps. Ou peut-être que le phénomène chimique causant la félure était dû à sa sortie de la pièce secrète de Lord Valkirk. Ce dernier semblait avoir concentré ses recherches sur l’alchimie, dans le but de constituer une sorte de barrière invisible autour de l’artefact, que j’ai abattu sans le savoir la première fois. Mettant à néant une première protection, car Lord Valkirk s’était peut-être déjà rendu compte que la prison que constituait la bague n’était plus assez efficace pour rendre prisonnier son maléfique locataire. Le secret de la pièce était une protection de plus pour contenir le danger, que lui seul parvenait à contrer par la force de sa volonté. Il y avait aussi la possibilité que le séjour prolongé dans ma bouche, avec ma salive, ait été en cause dans la fragilisation de la prison. Il y avait tant d’explications possibles, et j’ignorais quelle était la plus probable et crédible.
Une chose était certaine : la plongée de l’ongle d’origine dans cette substance indéterminée — l’ayant cristallisée et fait devenir une larve —, a transformé cette partie du démon en arme organique bien plus destructrice que le bacille de la peste qu’elle a fait naître au début de sa création, suite à l’échange avec le jeune apprenti, responsable de toute l’histoire. Je ne pouvais plus rien faire, sinon me lamenter sur ma bêtise, découvrant chaque jour l’étendue des dégâts déferlants sur chaque partie du monde. Se protéger à coups de vêtements épais — en prêtant attention à ne pas découvrir le moindre centimètre de peau susceptible d’être touché par l’une de ces mouches —, est-ce que ce serait suffisant pour éviter durablement à l’humanité de s’éteindre ? Rien n’était moins sûr. Se calfeutrer dans des maisons, pour éviter d’offrir le moyen à ces bestioles d’entrer et d'infecter tout ce qui composait son intérieur — et surtout ses habitants, ça aussi, à la longue, il n’était pas sûr que ça reste efficace. Qui plus est, cela supposait de pouvoir survivre avec des provisions conséquentes. Ce qui impliquait de sortir pour récupérer des vivres, avec le risque qu’une partie de ses protections vestimentaires comporte une faille et que l’on se fasse finalement infecter. Comme d’autres en avaient fait la douloureuse expérience.
Non, à terme, il était évident que l’humanité ne tiendrait pas un grand nombre d’années avec de telles restrictions de vie, face à un danger mortel pouvant surgir de partout. Combien de temps faudrait-il avant que le dernier homme sur Terre tombe ? Cela pour avoir décidé d’en finir, car n’en pouvant plus d’un quotidien ancré dans la peur de mourir pour la moindre erreur. Au moins, il resterait les autres animaux pour conserver de la vie sur notre planète. Les mouches et leurs larves ne semblent viser que les humains, rien d’autre. En tout cas, pour l’instant. Nous ne représentons peut-être qu’une étape dans les desseins de ces mouches, représentants de Belzébuth, dont l’objectif final peut se révéler être la fin de toute vie sur Terre. Me concernant, j’ignore si je parviendrai à supporter ce type de vie, attendant d’apprendre que le nombre d’humains dans le monde se réduit à peau de chagrin. Si tant est que les supports d’information subsistent eux aussi. Que ce soit internet, la radio ou la télévision. Autant de moyens qui dépendent de la longévité de ceux les faisant fonctionner à se protéger de ces monstres ailés. De se protéger du plan de Belzébuth.
Ce dernier doit bien rire aujourd’hui. Il ne pouvait ignorer que le jeune apprenti se montrerait incapable de contrôler l’ongle qu’il lui avait fourni, déclenchant la vague de peste noire qui a déclenché pertes et fracas dans toute l’Europe. Un fléau qui existe encore aujourd’hui d’ailleurs, même si on sait comment le maîtriser. En revanche, la mutation générée ensuite à partir de ce même ongle, c’est une tout autre histoire. Un tout autre niveau. Et je doute qu’il y ait un remède, vu que l’autre solution qui aurait pu éviter tout ça n’est plus envisageable. Je n’ai plus qu’à attendre ma fin. Je ne sortirai plus : trop risqué. Certains des corps liquéfiés dehors se voient régulièrement entourés d’autres mouches. Je ne sais pas si ce sont les mouches de Belzébuth, ou des plus classiques, attirées par la putréfaction se dégageant des restes des cadavres. Mais je ne tenterais pas le diable comme on dit.
Même cette phrase a un sens tellement différent aujourd’hui. Non, sortir est inenvisageable. Du moins un temps. Quand je serai lassé de mon enfermement, que mes réserves de nourriture ne seront plus, peut-être déciderais-je d’abréger mes souffrances ? Ceci en offrant mon corps aux troupes de Belzébuth, à ces mouches venus de la Géhenne. Ce sera probablement mieux ainsi. Je ne verrai plus la souffrance au-dehors. Je ne verrai plus le résultat de ma curiosité, de mon avidité, de ma faute qui a fait basculer le monde dans les ténèbres. J’aurais rejoint les victimes mortes par ma faute. J’espère que je rejoindrai Ruby, où qu’elle soit. Ce sera ma seule consolation…
Publié par Fabs

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