19 janv. 2021

LE DEVOREUR DE COEUR (Partie 1)


 

Il y a plusieurs sortes de morts : celle qui sont attendues, à cause de maladies, de vieillesse ou de coma prolongé. Il y a celle qui nous prennent de plein fouet, tel des accidents de la route, des attentats où des proches se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, ou encore des erreurs médicales impardonnables. Et puis, il y a celles qu’on espère, mais qui ne viennent jamais, qui concerne des ordures, des salauds de la pire espèce, à qui la mort semble avoir oublié de noter leur nom sur sa liste. Ces mêmes personnes au cœur noir comme la nuit qui parviennent à échapper, on ne sait comment, à la punition qu’ils méritent. La faute à une justice à 2 vitesses, ou tellement procédurière qu’elle se remplit de failles dans lesquelles s’engouffrent des avocats pas très regardants sur la véritable justice, du moment que leur client meurtrier les paie. Parfois, cette justice se crée elle-même par des circonstances qui défient l’entendement, la normalité de la vie telle que chacun la conçoit. Une justice qui est du fait de créatures ne connaissant pas la pitié ni le remords de leurs actes, ne voyant que le fait de débarrasser la Terre de leurs habitants les plus sombres, ayant réussi à tromper les lois des hommes, par des manipulations, des mensonges ou encore bien pire. C’est l’une de ces créatures qui agit sur la route du Pêché, un nom loin d’être anodin, puisque ceux qui y passent et n’ont pas la conscience tranquille, ceux qui ont tués sans vergogne des innocents, ou provoqué le malheur par leurs actes, détruits des familles par leur manigances, ou tout autre délit méritant mille fois la mort, se retrouvent être la cible d’un destin leur étant réservé en priorité. Une petite route qui n’a l’air de rien, car ressemblant à des milliers d’autres à travers tout le territoire américain, avec son asphalte à perte de vue, ses gravats mélangés aux hautes herbes sauvages parsemant ses abords, ses buttes surélevées observant tout véhicule qui l’emprunte sans se douter du sort qui peut les attendre.

 

Mais cette petite route est loin d’être de tout repos. Régulièrement, de nombreux cas de morts violents y sont recensées, avec toutes un dénominateur commun : leur cœur a été arraché, laissant leur corps sans vie sur le sol, ou à l’intérieur de leur véhicule abandonné, les yeux hagards, vide de vie, et en proie à une terreur indescriptible, comme s’ils avaient vu la pire chose qu’ils aient vu de leur vie. Ce qui n’est pas faux. Cette route est aujourd’hui redoutée par un nombre incalculable de personnes, et est évitée comme la Peste à son apogée. Mais les victimes de cette route sont loin d’être innocentes de tout vice ou reproches. Tous les corps retrouvés avaient un passé rempli de haine, de morts insoupçonnées, de secrets inavouables, ou bien pire encore. Avocats véreux, gangsters, escrocs, maris ou femmes infidèles, junkies notoires, fauteurs de troubles, pyromanes, bagarreurs invétérés, … autant d’esprits tourmentés par leur violence, leur manque d’empathie, leur refus de respecter la vie d’autrui, n’ayant aucune notion du bien et du mal, leur vie n’ayant été que placée sous le signe de la noirceur la plus totale.

 

Cette route, c’est un peu le pendant de la justice humaine, celle qui n’a pas su comment punir les pires représentants de la race des hommes, arrêtant le parcours de ces âmes nauséabondes de la même façon qu’elles ont provoqué le chaos sur leur passage : en leur montrant le vrai visage de la terreur, en leur donnant accès à une vision de l’Enfer sur Terre, en accélérant le trépas qu’ils auraient dû subir depuis longtemps. Si toutes les victimes de cette route ont vu leur cœur arraché, ça non plus ce n’est pas anodin. Toute leur vie, ces personnes ont donné l’impression d’être dépourvue du moindre cœur. C’était comme si l’organe leur permettant de tenir debout ne leur servait, au final, à rien d’autre qu’un simple gadget dont ils n’avaient que faire. Passer sur cette route, et trouver la mort qui leur est due est en fait un juste retour des choses. Ce cœur dont ils ne sont jamais servis, il leur est repris, pour satisfaire l’appétit d’une créature millénaire qui, au cours des siècles, a revêtu plusieurs visages, plusieurs aspects, plusieurs continents. Elle est la représentante d’une race chargée involontairement de rétablir l’équilibre, entre la justice et son exact opposé. Traquant sans relâche ceux qui ont eu le malheur de croiser sa route, et d’avoir attiré son attention par l’odeur caractéristique qui émane de leur cœur noir. 

 

Une odeur de pourriture infecte qu’elle seule est capable de discerner, à peine ses possesseurs se sont-ils placés sur les grains du bitume qui compose cette route de mort et de terreur. Peut-être certains d’entre vous, ou bien vos ancêtres, ont croisés l’un de ces créatures, dans une autre époque ou en d’autres lieux. Comme je vous l’ai dit, elle a eu plusieurs aspects au cours de son existence, que ce soit elle, la dernière représentante de sa race, ou bien ses prédécesseurs, ses aïeuls. Elle fut tour à tour connue comme le Yéti Népalais, le Bigfoot américain, le Wendigo Canadien, le Chupacabra Mexicain, le Démon Européen ou encore le Diable du New Jersey, la Bête du Gevaudan et aussi le Viy Russe. Pour chaque époque, chaque continent, chaque région, elle a rêvêtu une autre peau, une autre nature, une autre méthode d’extraction des cœurs. Mais elle a toujours obéi au même instinct : débarrasser le monde des personnes ne méritant pas de vivre, en se montrant à eux, de jour comme de nuit, avec cependant une préférence pour cette dernière, afin d’assurer sa propre sécurité, et surtout surprendre ses proies plus aisément. Et surtout s’emparer de ce qui la nourrit : les cœurs noircis par la haine et le désir de détruire. Elle ne peut arracher un cœur innocent sans en subir le prix de sa vie. C’est pour cela qu’elle est aujourd’hui la dernière de sa race. Nombre de ses ancêtres, par manque de nourriture, ou, au contraire, par gourmandise, ont croqué des cœurs qui ne méritaient pas de disparaitre, provoquant leur mort immédiate. Un cœur pur bloque leur respiration, bouche leurs artères monstrueuses, de par ce qui le compose, cette lumière capable d’annihiler leur nature et leur texture de monstre de justice. En tuant un être innocent, elles font tomber l’équilibre naturel des choses, et pour que cet équilibre soit à nouveau remis en place, elles doivent le payer de leur vie.

 

Leur évolution naturelle a fait que certains ont dû fuir des pays, des continents, à cause des traques les menaçants, eux et la subsistance de leur espèce. C’est ainsi qu’elles ont revêtu différentes formes à travers l’histoire humaine, différents modes de vie, différents lieux de prédilection, jusqu’à parvenir à cette route particulière, cette route du pêché, il y a maintenant près de 100 ans.  Si, au départ, elle se contentait d’attendre l’arrêt des véhicules repérés contenant une proie, que ce soit par une panne ou autre chose, ces dernières années, elle a dû opérer autrement, pour répondre à sa faim dévorante, et parsemant à des endroits stratégiques des pierres tranchantes, en fait des améthystes, très nombreuses dans la grotte où elle vit. Doté de pouvoirs sensoriels très puissants, elle est capable de repérer les cœurs noirs dont elle a besoin pour se sustenter, plusieurs kilomètres à l’avance, ce qui lui donne le temps de « préparer le terrain » pour son intervention. Ce qui explique que le nombre de morts a décuplé depuis plusieurs années. Et ce qui fait que j’interviens dans cette histoire. Vous vous demandez sûrement comment je peux en savoir autant sur cette créature ? Sur son histoire, ses origines ? Je vous le dirais en temps voulu, mais vous risquez d’être surpris de mes révélations, et de la façon dont j’ai obtenu tous ces renseignements de cette créature que les habitants de la région, principalement d’ethnie hispanique, ont fini par appeler « El devorador de Corazon », autrement dit « Le Dévoreur de Cœur ». Et croyez-moi, les autochtones du coin ne vont jamais sur cette route, car ils savent très bien le danger qu’elle représente pour nombre d’entre eux. Ne pas utiliser cette route les oblige à faire un détour de plusieurs kilomètres pour pouvoir rejoindre les villes avoisinantes, mais c’est le prix de leur survie.

 

D’ailleurs, les seuls à avoir l’imprudence d’emprunter cette route, sont des inconscients idiots voire suicidaires, car il y a 10 ans de cela, suite à la recrudescence de morts, et à la demande des habitants proches, une route secondaire à été érigée en amont du début de la route, avec un panneau indiquant clairement que ceux qui s’engagent sur cette route le font à leurs risque et périls,  et que les autorités ne pourront être tenus pour responsables de ceux qui décideront de l’emprunter malgré les avertissements. De ce fait, ce sont souvent des personnes qui ont quelque chose à se reprocher, cherchant à échapper aux autorités, qui l’emprunte. Des proies idéales pour le Dévoreur. Malgré tout, toutes ces morts ont bien été découvertes par des gens les ayant découvertes me direz-vous ? Et qui ont pris le risque de l’emprunter, sans être attaquées. La raison est simple. Les autorités avoisinantes se sont aperçues au fil des années que les morts surviennent surtout à la tombée de la nuit ou le matin de très bonne heure . Rarement l’après-midi, et jamais quand le soleil est au plus haut. La créature semblant craindre la chaleur à forte intensité. Du coup, une fois par semaine, une patrouille dont les membres sont recrutés suivant leurs états de service, c’est-à-dire en s’assurant qu’ils ne sont pas coupables du moindre délit ou violences, même minimes, est chargée d’inspecter la route, et vérifier s’il y a d’éventuelles nouvelles victimes qui s’y trouvent. Et croyez-moi, ils ont du boulot chaque semaine, bien plus qu’ils ne le voudraient.

 

C’est ce nombre de morts de plus en plus important depuis plusieurs années, qui a fini par faire déplacer 2 agents du FBI pour enquêter sur leurs causes réelles. Vous vous doutez bien que les instances gouvernementales ne croient pas à l’existence du Dévoreur de Cœur, et veulent prouver qu’il ne s’agit que d’un meurtrier bien humain et pas issu du folklore local. C’est ainsi que je me suis retrouvé avec ma coéquipière pas ravie de cette mission, en direction de cette fameuse route, afin de démêler le vrai du faux, et prouver que le Dévoreur de Cœur, tel que décrit par les rares personnes l’ayant vu et toujours en vie (et aujourd’hui internées en asile psychiatrique pour les raisons que je vous ai évoqués précédemment) n’existe pas. Une vraie enquête à la « X-Files », sauf que là, on est 2 à être aussi sceptique l’un que l’autre sur le besoin de cette enquête, qui semblait clairement être l’œuvre d’un serial Killer, agissant par pulsion, et n’étant donc pas de notre ressort à tous les deux, étant chacun affilié habituellement à la paperasse du bureau.

 

Mais l’enquête avait été demandé par le Gouverneur de la région, et le FBI avait tous ses agents actifs en mission ailleurs. Alors, pour ne pas faire d’esclandre, le Grand Boss nous avait mis d’office sur l’enquête, jugeant que des bleus sur le terrain comme nous seraient bien suffisants, et que de toute façon, il fallait bien qu’on fasse nos preuves, vu qu’on avait demandé une affectation en tant qu’agent de terrain. Si j’avais su que ma première mission allait changer ma vie de cette manière, j’aurais immédiatement annulé ma demande pour passer à un niveau supérieur. Quant à ma collègue… mais j’anticipe sur les évènements. Enfin, bref, comme je vous le disais, on a donc pris contact avec les autorités du patelin le plus proche de l’embranchement permettant l’accès à la route maudite. Et on est tombé le bon jour, sans vouloir jouer au mec sarcastique. Deux nouveaux cadavres venaient d’être récupérés il y avait moins de 2 heures sur la fameuse « route du Pêché ». Le premier truc qu’on a fait, ma comparse et moi, a été d’aller voir les cadavres pour juger de visu. Et on n’a pas été déçu. Un vrai film d’horreur. C’était 2 filles d’une vingtaine d’années. Recherchées depuis 3 mois pour braquage dans une station-service. Le propriétaire avait été défiguré par une balle, mais s’en était miraculeusement sorti.

 

Du coup, il avait pu donner l’alerte et surtout donner un signalement de ses agresseurs. Elles n’étaient pas allées loin, mais en voyant l’état dans lesquelles elles se trouvaient, j’avais de la peine pour elles. C’était horrible de finir de cette façon. Les deux avaient un énorme trou dans la poitrine, et le moins qu’on puisse dire, c’est que celui qui avait fait ça était loin d’être un tendre. Le cœur avait été arraché, tel qu’il était indiqué dans les différents rapports lus concernant l’affaire, mais ce n’était pas tout. L’extraction s’était accompagnée de multiples côtes brisées net, les poumons perforés par ce qui s’apparentait à des traces de griffes, comme celles d’un animal. Traces de griffes qu’on retrouvait d’ailleurs sur d’autres parties du corps, comme les bras et les jambes. On avait l’impression qu’elles avaient tenté de s’enfuir de leur agresseur, mais que celui-ci les avait rattrapées, retournées comme des crêpes, et éviscérées pour arracher leur cœur. La version officielle était l’attaque d’un puma, nombreux dans le coin, même si personne n’y croyait. Mais si quelqu’un avait indiqué dans son rapport que c’était le Dévoreur, vous imaginez bien qu’on l’aurait incendié.

 

Mais ça n’était pas tout : le plus intriguant, c’était leur regard. On aurait dit des yeux d’aveugle. Blancs, vidés de toute vie. Les cheveux étaient blancs aussi, alors que leur fiche d’identification indiquait des racines brunes pour l’une, rousse pour l’autre. Alors, comment leurs cheveux avaient pu virer au blanc albinos ? En plus de ça, le visage était aussi blême qu’un des morts-vivants d’un épisode de « Walking Dead », mais sans maquillage. Et parsemé de rides, comme si elles avaient vieillie de 30 ans d’un coup. Leurs veines étaient apparentes sur tout leur corps également. Le légiste m’indiqua que c’était comme si elles avaient été empoisonnées par une plante ou un aliment avarié. J’avais déjà vu les effets d’empoisonnement, et je n’avais jamais vu de tels effets secondaires. Bon, je n’étais pas légiste non plus, et je ne connaissais pas tout, mais quand même. Je sortais de là avec des milliers de question en tête. Plus que ma partenaire, qui semblait plus intéressée par l’adjoint du légiste que par l’enquête. Mais on n’était pas au bout de nos surprises. Par la suite, on a demandé à voir leur véhicule, histoire de voir si un truc avait échappé aux enquêteurs du coin. Quand on a vu l’état de la voiture, sur le coup, on avait l’impression qu’elle sortait d’un stock-car. Le capot était défoncé sur toute sa longueur, l’une des portières avait été arrachée, et il y avait encore ces traces de griffes sur la peinture. Des traces très profondes qui avaient presque traversées la carrosserie. 

 

Je n’étais pas expert en puma, mais aucun animal de cette espèce était capable de faire ça. L’intérieur était pire. La bourre des sièges sortait de toute part, tellement les lacérations qu’il y avait dessus étaient nombreuses. Il y avait du sang partout : sur les sièges, sur le pare-brise intérieur, sur les tapis de sol. Les experts en logistique m’ont dit qu’ils avaient retrouvés des morceaux de cœur sur le tableau de bord. Comme s’il avait été dévoré sur place, croqué comme on bouffe une pomme. Des fragments d’os avaient également été découverts dans le siège du passager, là où la portière avait été arrachée. Apparemment, la rousse avait été attaquée et s'était vu extraire son coeur sur place. L’autre fille avait été trouvée sur la route. Il semblait logique qu’elle avait tenté de s’enfuir en voyant sa copine se faire bouffer, avant d’être rattrapée et de subir le même sort. Du sang et d’autres fragments d’os, de cœur et de chair avait été trouvé aussi sur la route, à quelques mètres seulement de l’arrière de la voiture. Je n’avais jamais vu une attaque comme celle-là.

 

Et dire qu’à Washington, il soutenait dur comme fer qu’il s’agissait d’un Serial Killer. Ici, c’était un puma. Mais aucune des versions ne concordait avec ce que je voyais. J’en étais encore à mes interrogations quand Elaine, ma co-équipière, m’appela. Visiblement, elle avait trouvé quelque chose qui avait échappé aux enquêteurs. Enfoncée dans le métal de la rainure de là où il y avait auparavant la portière, il y avait une protubérance qui ne semblait pas provenir d’un élément de la voiture, et encore moins du corps d’une des 2 victimes. D’origine organique à première vue. Tellement enfoncée que je dus emprunter une pince pour pouvoir l’extraire de la carlingue. Une fois enlevée, et vue de plus près, ça ressemblait assez nettement à un bout de griffe. Est-ce que c’était la même trace de griffe qu’on trouvait partout sur le corps des deux filles ? Pour en avoir la certitude, je demandais qu’on analyse l’objet, après l’avoir placé dans un sachet en plastique, histoire de ne pas perdre d’éventuels traces d’empreinte digitale. Heureusement, le service scientifique de la ville était doté d’un labo suffisamment performant pour faire l’analyse sur place. Ça nous ferait gagner au moins 5 jours sur un envoi à un autre labo.

 

Elaine et moi, on a continué à inspecter la voiture bousillée, espérant trouver autre chose de plus concret, mais rien de plus n’atterrit entre nos mains. Du coup, le mieux qu’il nous restait à faire, c’était d’aller voir sur le terrain, là où l’attaque avait eu lieu. Je partis devant en demandant à Elaine de me rejoindre, attendant qu’elle se refasse une beauté aux toilettes. Comme si se remettre du mascara allait nous permettre d’avancer dans l’enquête. Le mystère féminin. Une fois dans la voiture, je me remis à penser à tout ça. Les corps des gamines, la voiture déchiquetée, l’objet trouvé, et sans oublier la légende propre à la région. Celle du Dévoreur de Cœur. Je repensais aux morceaux de cœur trouvés dans la voiture, et le trou béant des corps. Un instant, je m’étais dit que ça pouvait être un petit malin qui voulait faire croire à la légende, mais les traces de griffes, le cœur, la portière arrachée, les côtes brisées, ça faisait beaucoup pour faire croire à un mythe. Et surtout, il aurait fallu que le tueur soit d’une force herculéenne. Soit c’était un coup monté par plusieurs personnes, suffisamment intelligent pour masquer toute trace de subterfuge, soit…

 

Non, c’était idiot. Une telle créature ne pouvait pas exister. Je devais rester rationnel. J’étais un agent du FBI normal. Pas Fox Mulder. Elaine revenait, le sourire aux lèvres, me faisant disparaitre mes pensées. A peine installée, je la vis inscrire un numéro de téléphone sur son portable. Partie se faire une beauté aux toilettes, hein ? Plutôt une victime de plus à son actif de croqueuse d’hommes. En tout cas, je savais qu’elle avait cette réputation au Bureau, vu le nombre d’inspecteurs la connaissant, disons, très intimement. Mais bon, je m’en foutais. Ce qui importait, c’était d’essayer d’en savoir plus en allant inspecter le terrain de l’attaque. Alors, je démarrais, et on se rendait sur place. L’objectif était de faire assez vite, car il était déjà 16 heures, et le légiste, tout comme le shérif m’avait demandé de revenir avant la nuit, sous peine de grossir la liste des victimes du dévoreur. Au début, je pensais que ça faisait partie d’un bizutage de leur part, et qu’il me faisait marcher, mais tout dans leur attitude m’avait fait nettement comprendre qu’ils étaient très sérieux en me disant ça.

 

Alors, je leur avais promis qu’on partirait avant que le soleil se couche, et qu’on se rendrait directement à l’hôtel de la ville que le shérif m’avait indiqué. Deux chambres nous avaient déjà été réservées. Plutôt sympa au final ce shérif. Ça ne devait pas être évident pour lui d’accepter que des agents du FBI viennent fouiner sur ses plates-bandes, et il prenait ça bien. J’avais même eu la nette sensation qu’il était soulagé de notre présence. Que peut-être notre enquête permettrait aux instances de Washington de prouver l’existence du Dévoreur de Cœur, et qu’il ne passerait plus pour un fou ou un garant des légendes locales. Pour la petite histoire, le shérif, Gary, était un pur descendant de Gauchos, ces gardiens de troupeaux en Argentine, d’où venait sa famille. Une famille très ancrée dans le surnaturel, et croyant aux monstres. Croyance qu’il lui avait transmise. Sans le dire directement, il m’avait fait entendre qu’il avait cru voir la silhouette du Dévoreur, un soir où il avait eu l’imprudence de s’attarder sur la Route du Pêché. Et que depuis, cette vision le hantait chaque soir, comme une obsession. Parfois, ça le rendait même dingue, et qu’il avait peur de finir comme d’autres qui l’avaient vu de plus près, et qui était aujourd’hui enfermés dans un asile, ayant perdu la raison. Je n’y avais pas prêté plus attention que ça. Mais c’était avant qu’on trouve ce drôle d’objet de nature organique dans la voiture. J’étais curieux de savoir ce qu’allait donner le résultat des analyses. Mais on s’approchait du lieu où les gamines s’étaient fait tuer.

 

Il y avait encore les bannières de police qui parsemaient les contours, afin que le sang au sol ne soit pas souillé par d’éventuels passages de voitures d’autres inconscients qui passeraient sur cette route. Un plastique avait été apposé sur le sol, en attendant que le sang soit analysé à son tour. Au cas où des traces d’ADN du tueur seraient trouvées, mélangés à celle des gamines. J’arrêtais la voiture à une centaine de mètres des bannières, et Elaine et moi, on se dirigea vers le lieu de l’attaque. On passa sous les bannières, tout en faisant attention de pas mettre les pieds sous la bâche, histoire de ne pas mettre nos traces là où il ne fallait pas. Vu que les traces au sol n’avaient pas encore été analysées, ça aurait vraiment été con de gâcher une éventuelle piste. Elaine m’indiqua qu’elle allait voir sur la butte en surplomb, au cas où des traces de l’agresseur, non détectées par les enquêteurs du comté s’y trouverait. Je lui faisais signe de la tête pour donner mon accord, pendant que j’inspectais le côté opposé de la route, là où se trouvait les bois que le shérif m’avait signalé.

 

 Il m’avait dit qu’ils avaient déjà été fouillés de fond en comble, mais qui sait ? Peut-être que comme Elaine dans la voiture, je trouverais un petit truc qu’il n’avait pas vu. Je passais le petit fossé au bord de la route et je commençais à me diriger vers les bois, ignorant totalement ce que je comptais trouver. Mais je comptais sur la chance et un brin d’instinct pour dégotter un indice, aussi petit soit-il, qui puisse me donner une idée sur la nature de l’agresseur, qu’il soit humain, animal… ou autre chose. Décidément, Gary m’avait contaminé avec cette histoire. Voilà que je commençais à donner vie à ses allégations de créature surnaturelle et meurtrière. Ça c’est que je pensais à ce moment précis. Que tout ceci n’était qu’un mythe. Le Dévoreur de Cœur n’existait pas. Mais j’étais curieux de savoir qui était cette force de la nature capable d’arracher une portière, de mettre des traces de griffes sur du métal au point de presque le traverser, et de déchiqueter deux pauvres voleuses amateures.

 

Je regardais méticuleusement les alentours, et obsédé par l’idée de trouver quelque chose, je ne fis pas attention au temps passé, et encore moins à la promesse faite à Gary de revenir avant la tombée de la nuit. Ce fut une erreur monumentale, que j’allais regretter amèrement. Alors que le soir commençait déjà à s’installer, j’entendis Elaine crier à gorge déployée, m’appelant à l’aide, disant qu’elle était là. Que la créature était là. Que ce n’était pas une légende. Sans même chercher à comprendre, je revenais sur mes pas à toute allure, me dirigeant vers le fossé que je franchissais d’un bond. Et là, j’avais du mal à croire ce que je voyais en face de moi, tout près de l’endroit où les gamines s’étaient fait massacrer. Elaine était en bas de la butte, allongée au sol, semblant inerte. Et elle n’était pas seule. Une silhouette était au-dessus d’elle. Avec la pénombre, je ne percevais pas bien qui ce pouvait être. Dans mon esprit du moment, j’étais encore persuadé qu’il s’agissait d’un homme. Mais plus je m’approchais, plus je voyais très distinctement que ce qu’il y avait en face de moi n’avait rien d’humain. Elaine était toujours au sol. Elle ne bougeait plus. Un énorme trou remplaçait sa poitrine. Elle avait la bouche ouverte, les yeux dans le vide. On sentait la terreur qu’elle venait de subir. Et la « chose » avait son cœur dans les mains, dégoulinant de sang tombant sur le corps de celle qui était encore ma coéquipière il y avait encore seulement quelques heures. Et qui maintenant venait de rejoindre le nombre des victimes de cette créature qui me faisait face. 

 

Je n’osais y croire. Elle devait bien faire dans les 2 mètres de haut à vue de nez, dépourvue d’appareil reproducteur, ses mains étaient composées de doigts faisant penser à celle de longues tiges parées d’énormes griffes à leur extrémité. Mais c’était pire que des griffes. On aurait dit des rasoirs géants. Même Freddy Krueger aurait été jaloux d’elle. Ses pieds étaient du même niveau, mais avec des argots à la place des griffes, comme celles d’un chien. Mais un chien d’une masse énorme. Tout son corps était d’un gris flamboyant, parsemé de veines apparentes, reflétant des lumières irisées, mélange de bleu et de noir, donnant l’impression d’un mouvement perpétuel, montant et descendant, suivant les veines jusqu’à la tête, avant de revenir d’où elles venaient. Comme un liquide doté d’un courant. Son cou faisait 2 fois la taille d’un être humain, et son visage contenait encore plus de ces veines étranges. Sa tête était pourvue d’une sorte de capuche. Du moins, au début, je crus que c’était une capuche. Mais en y regardant de plus près, en m’approchant, en fou que j’étais, poussé par ma curiosité, je vis qu’il s’agissait d’os, de vertèbres, comme les bois d’un cerf, sortant de sa tête, et recouverts d’une matière ressemblant à de la peau, mais d’un noir profond.

 

Et ses yeux. Jamais je n’oublierais ses yeux. On aurait dit des gouffres sans fond, dans lequel luisait une sorte de tourbillon aux couleurs bleutées et noires, comme les veines parcourant son corps. Un regard irréel et hypnotique. J’avais l’impression qu’ils sondaient mon âme, mon esprit au plus profond de moi. Je n’arrivais pas à me défaire de son regard, c’était comme s’il m’attirait, me forçant à me rapprocher de cet être de cauchemar. Je ne pus obtenir mon salut que par l’appel inespéré de Gary me demandant si j’étais sur le chemin du retour, qu’il s’inquiétait pour nous deux, Elaine et moi. Les sons proférés par la radio semblèrent agacer la créature qui lança un cri déchirant l’air. Je crus que mes tympans allaient exploser. La créature lâcha le cœur d’Elaine qu’elle était en train de dévorer et se rua à une vitesse inimaginable vers la voiture, s’abattant sur le capot, qui plia sous son poids qu’on imaginait immense et d’une masse incroyable. Elle brisa le pare-brise à la recherche du son qui l’énervait, tout en continuant à pousser ces cris horribles.

 

C’est là, libéré de son regard hypnotique, que je parvins à trouver le courage de m’enfuir, et courir comme jamais je n’avais couru auparavant. Je n’osais même pas regarder en arrière pour voir si le Dévoreur me suivait, de peur de le voir surgir devant moi, et s’abattre sur moi avec la même force que sur la voiture l’instant d’avant. Je courais, je courais, sans m’arrêter, avec toujours cette peur que la créature, lassé de trouver la radio et son son qui m’avait libéré de son emprise, parvienne à me rattraper. Mais elle ne me rattrapa pas. Je parvins à parcourir plusieurs kilomètres, avant de prendre le risque de regarder en arrière. Mais je ne vis rien s’approcher. J’avais réussi à lui échapper. J’étais épuisé, mais j’avais réussi à atteindre l’embranchement de la route secondaire, signe de la fin de son « territoire ». Je me posais sur la route, terrorisé de ce que je venais de voir. Il me fallut plusieurs minutes pour arriver à trouver l’instinct d’appeler Gary avec mon portable. Au même moment, je me demandais ce qui serait arrivé si Gary m’avait appelé sur le même portable au lieu de nous joindre sur la radio de la voiture. Je ne préférais pas imaginer ce qu’il serait advenu de moi.

 

J’aurais subi le même sort que cette pauvre Elaine. En attendant que Gary vienne me chercher, je me persuadais que je devais ma survie au fait de ma vie irréprochable, sans méchanceté aucune, sans violence, sans rien qui aurait pu noircir mon cœur et faire de moi une cible au Dévoreur. Mais en était-je bien sûr ? Je l’ignorais, mais dans l’instant présent, je m’inquiétais surtout de mon état mental. Je me souvenais des mots de Gary qui l’avait vue de loin. De ses cauchemars. Moi, qui l’avait vu d’aussi près, qu’allait-il m’arriver ? Cela me terrorisait encore plus. Mais le pire dans tout ça, c’était que cette nuit d’angoisse ne serait pas la dernière fois où j’aurais affaire au Dévoreur. Et j’étais très loin d’imaginer ce que cette nouvelle rencontre allait occasionner pour moi, et pour mon avenir. 

 

à suivre...

 

Publié par Fabs

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