23 janv. 2023

LA PERLE DE POSEIDON

 


 

Ça a commencé comme un rêve de gosse. Une découverte que tout pêcheur de ma tribu ambitionne au moins une fois dans sa vie. Une beauté nacrée cachée au creux d’un coquillage qui n’aurait pas dû se trouver là. C’est d’ailleurs ce qui m’a intrigué en premier lieu. Là où je vis, je n’avais jamais vu ce type de mollusque marin auparavant. Et même après l’avoir remonté, j’ai demandé aux anciens, qui, eux aussi, ont été incapables de me dire comment ce coquillage avait fini par atterrir dans notre lagon. Mais il n’y avait pas que le mystère de sa présence qui surprenait, et qui allait interroger les spécialistes à qui j’allais montrer mon trésor par la suite, afin de connaitre sa valeur. L’endroit où je l’ai trouvé était étrange. Il était à moitié enfoncé dans le sable. Un sable noir, opaque, entourant ce curieux coquillage comme un voile sinistre. La végétation autour était inexistante sur plusieurs mètres. Ce n’était pas comme si elle avait subi une quelconque maladie inconnue, ou quelque chose de similaire. C’était comme s’il n’y en avait jamais eu. Les quelques roches autour étaient noires également.

 

J’ai fait part également de cette curiosité à ceux à qui j’ai finalement vendu ce qui se trouvait à l’intérieur du coquillage, mais ils n’ont pas su me donner de réponse. Avec le recul, je me dis que ces ténèbres accompagnant ma découverte auraient dû me donner un indice, un signe qu’il valait mieux ne pas m’emparer de ce qui allait causer tant de morts autour de lui, une fois sorti de son enveloppe. Mais j’étais tellement admiratif, tellement en extase devant ce qui se trouvait en face de moi, que je n’ai pas prêté attention à ce que la prudence me dictait silencieusement de faire. Laisser ce coquillage là où il était. Mais à dire vrai, ce n’est pas tant ce dernier qui posa un problème par la suite. Mais plutôt ce qu’il y avait à l’intérieur. Une perle d’une grosseur jamais vu dans l’histoire des pêcheurs de perle, quel que soit la région du monde. Contrairement à ce qui la protégeait, ce coquillage dont les seuls spécimens connus ne vivaient qu’aux abords des côtes grecques, la perle était d’une blancheur absolue. Elle était magnifique. Troublante, mais magnifique.

 

Conscients de sa valeur unique, les anciens m’ont demandé de la montrer pour expertise non pas à un seul spécialiste, mais à plusieurs. Et de la vendre au plus offrant. Pour notre tribu, cette perle était une aubaine qui pouvait nous permettre de vivre décemment pendant des mois, des années peut-être. Ils ne se trompaient pas. Le prix de sa valeur dépassait nos rêves les plus fous. Du jamais vu pour tous mes compatriotes. L’aube d’une ère de bombance pour notre peuple, qui ne souffrirait plus jamais de la misère dans laquelle nous nous trouvions. Les faibles revenus de nos pêches au continent voisin, et aux grandes iles où la civilisation était présente depuis bien des années, ne suffisaient pas toujours pour nous assurer le confort auquel nous aspirions. 

 

Ce qui ne nous empêchait pas d’avoir tout de même des maisons solides, et plusieurs éléments de la technologie moderne, même s’ils peuvent paraitre désuets pour d’autres. Nous n’avons pas d’internet, nos loisirs se limitant aux émissions radiophoniques, et à des télévisions datant de nombreuses années. Les seuls véhicules dont nous sommes propriétaires sont une vieille voiture qui ne marche plus depuis bien longtemps, et une fourgonnette qui sert à entreposer le fruit de nos pêches à un entrepôt mis à notre disposition par les sociétés nous achetant nos produits. Y compris, quand la chance nous sourit, quelques perles, trouvées dans des huitres. Mais de faible valeur. Rien de comparable avec celle que j’avais trouvée.

 

Pendant plusieurs semaines, grâce à la vente de la perle, mon peuple a enfin pu accéder à des plaisirs qui nous étaient inaccessibles jusqu’alors. Des télévisions neuves, des véhicules motorisées à deux roues pour tous, des matériaux pour consolider nos maisons, des filets de pêche pouvant résister aux mâchoires d’un requin, et autres produits de luxe à nos yeux. Nous étions inconscients de ce qui arrivait aux différents propriétaires de la perle ayant assuré notre bonheur. C’est par hasard que j’ai entendu parler du malheur qu’elle procurait, lors d’un journal télévisé. Il était indiqué que l’objet, désignée comme la fameuse perle de Poseidon, appartenant à un mythe peu connu, était à l’origine supposée de plusieurs morts. Pas seulement de ses propriétaires successifs. Mais aussi de plusieurs proches et membres de leur famille, ayant approchés et surtout touché la perle.

 

En ce qui me concernait, je n’avais jamais touché la perle directement. Nous avons l’habitude d’utiliser des gants spéciaux pour la pêche, afin de nous protéger de toute blessure qui pourrait nous être fatale, car le moindre sang versé pouvait attirer des requins. Et il en était de même de la part des experts, qui utilisait eux aussi des gants pour manipuler les perles que nous leur soumettions à expertise. Les morts indiqués étaient tous décédés de la même manière, très étrange elle aussi. Aucune lésion, aucune insuffisance cardiaque, aucun mal pouvant expliquer leur décès en apparence. C’était comme si la vie s’était tout simplement retirée de leur corps. Et il y avait autre chose. La perle n’était plus blanche. A force d’accumuler les morts autour d’elle, celle-ci était devenue noire. Un noir aussi opaque que le sable et les roches qui entouraient le coquillage où je l’avais trouvée sous l’eau…

 

C’était comme si la perle absorbait les vies de ses possesseurs. Mais pas seulement. Tout ceux qui avaient été en contact direct avec les personnes ayant touchés la perle, trouvaient la mort également. Les scientifiques n’ont pas fait tout de suite ce rapprochement, pensant qu’il ne s’agissait que d’une simple coïncidence. Mais il devenait vite évident qu’une sorte de malédiction atteignait tous ceux qui touchait la perle, et qu’elle était transmissible. La perle avait finalement été enfermée dans un coffre, afin que plus personne ne puisse la toucher, et contracter cette étrange maladie. Les scientifiques refusant de parler de malédiction. Mais le mal était fait. 

 

La mort survenait une semaine après avoir touché la perle. Et certains ayant été en contact avec ceux ou celles ayant succombé à sa malédiction, craignaient de passer pour des parias, en indiquant être porteurs, eux aussi, de ce mal insidieux, et, manquant de prudence, transmettait la maladie à leur tour, avant les 7 jours qui les emmenait irrémédiablement vers la mort. Chaque semaine, de nouveaux décès étaient recensées partout dans le monde. Les atteints voyageant parfois vers d’autres pays, dans le cadre de leurs affaires, refusant de croire à la stupidité et la paranoïa entourant la malédiction de la perle. C’était comme une immense pandémie d’un genre nouveau qui se répandait partout, et personne n’était en mesure de comprendre comment endiguer un tel phénomène.

 

La seule chose qui était connue était le mythe de la Perle. Celui-ci précisait qu’en des temps anciens, Zeus avait enfermé dans le Tartare les Titans. Mais l’un d’entre eux avait réussi à s’enfuir, sans que les dieux ne comprennent de quelle manière. Bien que stoppé facilement, redoutant qu’il puisse de nouveau sortir du tartare, Zeus demanda à Poséidon de l’enfermer dans une perle particulière, créée à partir des éclairs forgés par Héphaïstos. Une perle immense, à la taille du Titan. Puis, Hécate, la protectrice des magiciens, réduisit la perle, lui donnant la taille que l’on lui connaissait actuellement. Par mesure de protection, la perle fut enfermée dans un coquillage, une conque, issu du collier garnissant le cou d’Aphrodite, avant d’être cachée par Poséidon au fond de l’océan, là où personne ne la trouverait, et pourrait subir l’influence néfaste du Titan enfermé. Car celui-ci, ne pouvant sortir à cause de la magie des Dieux, pouvait néanmoins transmettre le mal lui ayant permis de sortir du Tartare, à travers les parois de la Perle. Un mal qui absorbait matière et vie, pour les transformer en ténèbres.

 

Avant que tout cette folie arrive, à cause de cette perle que j’avais sortie de l’eau, j’aurais certainement pensé que ce mythe n’était qu’une belle histoire de plus de la mythologie grecque, dont je découvrais seulement une partie par les reportages portant sur les morts se comptant désormais par centaines à travers la planète. Mais en voyant ce qui se passait, je ne savais plus quoi croire. Et c’était à cause de moi. C’était moi qui avais fait remonter à la surface ce terrible mal qui s’étendait de plus en plus, menaçant toute vie. Car oui, les animaux étaient concernés aussi, comme allait le montrer d’autres reportages. Ce qui expliquait plus facilement comment ce mal se répandait aussi vite dans le monde. J’étais anéanti. Pour protéger notre peuple, les anciens ont arrêté tout contact avec l’extérieur de l’ile. Nous retombons peu à peu dans la misère que nous avions connue, devant nous contenter comme nourriture des fruits de la forêt, de notre propre pêche, et de cultures que nous avions mises en place, grâce aux revenus obtenus par la vente de la perle.

 

Je ne sais pas si nous deviendrons les seuls êtres humains à rester sur la planète, du fait de l’expansion toujours plus grande du mal libéré par la perle, isolés sur notre île. Nous tiendrons tant que les ressources naturelles de notre habitat nous le permettront. Mais nous sommes condamnés à vivre ici, attendant le pire. Quand les émissions de télévision et de radio cesseront d’émettre, nous saurons que nous sommes les derniers survivants de l’humanité. Et au train où vont les choses, le temps nous séparant de cette échéance pourrait bien arriver très vite. Tout ça à cause de moi. Je ne pourrais jamais me pardonner d’être la cause de cette éradication quasi-complète de l’être humain. Les anciens tentent de me rassurer, en disant que ce qui arrive n’est que le fruit du hasard, je ne peux m’empêcher de me morfondre jour après jour.

 

A l’heure où je vous parle, ce que nous pensions avoir évité vient de nous frapper. Deux morts. Sans raison apparente. Survenues toutes deux durant la nuit, et ayant touché deux de nos jeunes en pleine santé auparavant. Un fait étant survenu après qu’un naufragé qui avait tenté de fouler le sol de notre ile, ait été rejeté à la mer. Je l’ai vu se noyer, comme d’autres habitants. C’est l’un des deux jeunes retrouvé mort dans sa maison qui avait donné l’alerte, après avoir été agressé par l’inconnu. Nous espérions qu’il n’était pas un infecté. Nous nous sommes trompés. Et la malédiction de la perle de Poséidon est sans doute sur le point de faire ses dernières victimes…

 

Publié par Fabs

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