Cette histoire débute il y a 388 ans, en 1635, en plein cœur de Rome. J’étais féru de voyage à l’époque. Il n’y avait pas la technologie dont je dispose de nos jours, et si je voulais trouver des âmes à corrompre, il me fallait me déplacer. Je dois aussi dire que j’étais particulièrement admiratif de l’art italien. Je ne sais plus trop ce qui m’a amené à me rendre à Rome à vrai dire. J’ai un vague souvenir d’un désir de courroucer un peu plus mon paternel en détournant de sa voie un cardinal ou un proche du Pape. Contrairement à ce que les idées reçues vous font croire depuis des siècles, il m’est aisé d’entrer dans une église ou un lieu saint, et je n’ai aucun problème avec les croix ou toutes ces babioles utilisées lors d’exorcisme qui n’ont d’effet que sur mes démons les plus faibles. Enfin, bref, passons : là n’est pas le propos du récit. Je déambulais donc entre la Via Condotti et la Campo’ De Fiori quand j’ai entendu une voix proche de la perfection. Un diamant brut vocal enchantant mes oreilles.
J’ai beau être le Diable, et symboliser le mal sous toutes ses formes, le vice, la violence et d’autres formes « d’expression » humaine, je n’en dédaigne pas les belles choses, bien au contraire. Je vous ai déjà dit que j’aimais l’art italien, et j’étais fana de l’opéra de l’époque. Ce qu’on appelait « L’opéra Seria », apanage des Castrats. Vous savez, cette catégorie de chanteurs créée par l’Église de Rome pour contourner l’interdiction qui était faite aux femmes de chanter dans les lieux consacrés. Leur voix aiguë était souvent apparentée à celle d’un ange. Ce qui est ridicule. Je suis bien placé pour savoir qu’aucun ange ne peut avoir la perfection d’un castrat.
Je dirais même que nombre de ceux que j’ai côtoyé avaient vraiment une voix merdique quand ils s’employaient à chanter des cantiques. Ce dont j’avais horreur. Rien de plus détestable que ces lignes que mon Père osait appeler des chants divins. Une de ses nombreuses pires créations. Pour revenir à cette voix majestueuse qui charmait mes circuits auditifs diaboliques, je devais savoir à qui elle appartenait. C’était impératif pour moi de connaître qui avait la faculté de faire concurrence à des castrats prestigieux. Farinelli et Caffarelli n’étaient pas encore nés à ce moment, et n’avaient pas encore marqué l’art lyrique de leur empreinte indélébile, tel qu’ils le feraient des années plus tard. Au fond de moi, je sentais que cette voix, quelle que soit la personne en étant dotée, pouvait écraser la concurrence du 17ème siècle, y compris les plus grandes Divas.
J’étais certain que cette voix appartenait à une femme d’exception. Ce n’était pas celle d’un jeune castrat s’étant échappé on ne sait comment de l’emprise de son « maitre », ces bourreaux légaux qui avaient l’outrecuidance de se désigner en tant que prêtres protecteurs de l’enfance. Quelle sinistre blague ! Ce n’étaient que de vils usurpateurs de l’imagerie ecclésiastique qu’ils étaient censés représenter. Ne voyant qu’en ces jeunes enfants, à qui ils volaient l’innocence et l’enfance par ces opérations destinés à les transformer en virtuose lyrique, ni plus ni moins qu’une source future de revenus au service du Vatican, tout comme leur propre diocèse. Et on osait désigner moi et mes chers démons adorés comme des monstres. Bref…
J’ai suivi à l’oreille cette suave musique orale jusqu’à parvenir au cœur du territoire d’un groupe de démunis, des rejetés de la société réunis au sein d’un microcosme composé d’hommes et de femmes, tous vêtus de haillons n’ayant pas été lavés depuis des semaines, des mois, ou peut-être même plus. Leurs habitats se résumaient à des couvertures étalées sur des pilons de bois, sans doute volés dans un jardin, profitant de l’absence de propriétaires en déplacement. Ou peut-être avaient-ils déjoués la vigilance d’ouvriers, occupés sur le chantier de construction d’une maison dans un quartier proche d’ici. Pour se réchauffer, ils avaient établi un feu de camp érigé à partir de branchages, et alimenté par des affiches et des édits publics arrachés sur des murs. Parmi la population de cette petite communauté figuraient des enfants emmitouflés dans les vêtements de leurs mères.
Mais à vrai dire, je ne m’intéressais pas à cet ensemble représentatif des actions des riches castes de la ville sur une partie de la population. Si je devais m’apitoyer sur toutes les figures de la misère parsemant le monde, je ne mériterais pas le titre de Diable. Non, toute cette accumulation de larmoiements ne m’occasionnait aucune pitié ou autre manifestation de cet ordre. En revanche, j’identifiais très vite l’origine de ce pourquoi je m’étais rendu ici, au centre de cette concentration de pauvreté. C’était bien une femme, et son apparence ne se démarquait pas vraiment des autres hères présentes. Elle portait une robe rapiécée à outrance, couvrant tout juste son corps, et un châle autour du cou. Des petits gants de laine décousus, dont les extrémités étaient ouvertes, car dépourvus de tout textile, formaient la maigre protection de ses doigts face au froid environnant. Ah oui, j’ai oublié de vous préciser que cette rencontre s’est déroulée en plein mois de décembre, à une période où les températures étaient les plus basses enregistrées depuis des années au sein de la ville italienne.
Malgré la misère ambiante, je voyais nettement des sourires radieux s’afficher sur les visages des personnes entourant cette jeune femme, qui ne devait pas dépasser la vingtaine d’années. Elle était debout, positionnée à côté du foyer, formant le centre d’un cercle constitué du reste de cette petite communauté assise autour. Elle était comme une source de chaleur supplémentaire pour ces gens, dont les yeux s’illuminaient au fur et à mesure que les chants enveloppaient l’assistance. Et cette voix… Elle m’a tellement troublé que j’ai bien failli jurer le nom de mon père en l’entendant. Suave, enchanteresse, capable de vous transporter dans une sorte de monde intérieur où plus rien d’autre que ce son ne pourrait exister.
J’avais déjà entendu quelques-unes des plus belles voix du monde depuis que j’étais obligé de vivre sur le sol terrestre, à cause de mon père. Et je peux vous assurer que nombre d’entre elles m’ont marqué durablement. Mais aucune ne pouvait rivaliser avec celle de Mélinda. Le prénom de cette jeune virtuose comme j’allais l’apprendre peu de temps après. Très vite, la petite communauté s’est aperçue de ma présence, et a braqué ses yeux sur moi. Il faut dire que mon costume chic n’était pas vraiment discret, tout comme mes cheveux bien coiffés et mes chaussures cirées visibles, bien qu’en partie couverte par la neige alentour. La jeune femme s’est alors arrêtée de chanter, suivant le regard de ceux qui partageaient son quotidien. Voyant son trouble, et ne voulant pas qu’elle me prive du délice de sa voix, je m’adressais à elle :
- Je vous en prie : ne vous arrêtez pas pour moi. Continuez comme si je n’étais pas là.
Bien qu’interrogative à ma demande, se questionnant sans doute sur mes intentions, elle accéda à ma demande, et reprit son récital privé. Mes pouvoirs me permirent de sentir sa gêne à ma présence, en regard de ce qu’éprouvaient ses compagnons. Mais elle continua malgré cela. Je ne pouvais détacher mes yeux de sa faculté à bercer quasiment toutes les personnes autour d’elle. Aussi bien physiquement que spirituellement. C’était un spectacle tout aussi fascinant que sa voix elle-même. Après plus d’une demi-heure supplémentaire de son petit concert privé, je voyais chaque personne se rendre vers ce qui constituait leur foyer, sans doute dans le but de tenter de goûter à un sommeil attendu. Seule la jeune cantatrice improvisée se dirigea dans ma direction, dans le but évident de savoir ce qui m’amenait ici. Je pense, avec le recul, qu’elle devait craindre que je dénonce leur présence en ces lieux, et qu’elle cherchait, en s’avançant dans le but de discuter, à me persuader de renoncer à mes intentions imaginées par son esprit inquiet. Les paroles qu’elle m’adressait alors confirmèrent mes soupçons.
- Monsieur… Je… Je ne sais pas quelles sont vos intentions à notre encontre. Mais je vous en prie : ne dites rien aux autorités. Je vous en conjure : je ferais tout ce que vous voudrez, si cela doit permettre à mes amis de rester vivre ici.
Ces derniers mots, je crois que ce sont eux qui m’ont fait envisager la suite. Sa volonté de sacrifice, son côté candide, ses yeux pleins de demande de pitié… Tout ceci a fait ressurgir la part diabolique en moi qui s’était éteinte le temps qu’elle chantait l’instant d’avant. Au début, je n’avais pas vraiment l’intention de faire d’elle une de mes victimes complaisantes, dans l’unique but de provoquer l’ire de mon père, caché avec mes frères au-delà du monde terrestre. Mais cette piété dont elle faisait preuve m’a fait oublier la séduction première que j’avais ressenti en l’entendant la première fois, alors que je passais dans la rue avoisinante, encore inconscient du destin qui allait suivre, une fois que mes pas m’emmèneraient vers elle. J’ai alors retrouvé la lucidité faisant partie de ma nature à cet instant, oubliant le charme qui s’était opéré à mon encontre rien qu’en l’écoutant et me faisant oublier ce que j’étais, ainsi que la raison de ma présence dans cette ville. J’ai alors souri, ayant retrouvé toute ma mesquinerie native, sachant déjà qu’elle serait mon nouveau jouet, et je lui répondis :
- Ne vous inquiétez pas : je n’ai nulle l’intention de vous dénoncer en quoi que ce soit, soyez en certaine, mademoiselle. J’ai simplement été subjugué par votre voix. Elle m’a attiré dans cette petite rue, attiré vers votre communauté, vers vous. Et je ne regrette vraiment pas avoir suivi mon instinct, tellement votre récital m’a charmé en tout point.
Elle rougissait, semblant sensible à mes mots, avant de reprendre :
- Vous m’en voyez ravie. Je suis fort aise que vous ayez pris plaisir à ce petit intermède musical bien simple en regard des grandes cantatrices qui font la joie de gens de votre condition.
- Je n’accepte pas que vous vous rabaissiez ainsi. Votre voix surpasse aisément tout ce que j’ai pu entendre jusqu’ici. Je suis prêt à faire de vous la nouvelle étoile des opéras de cette ville, si vous daigniez bien me suivre, et vous libérer de cet endroit indigne de vous.
Elle se forçait à sourire. Je sentais un mélange de colère et de satisfaction à mes paroles.
- Ces gens, ils sont ma famille. Ce lieu, c’est ma maison. Depuis que mes propres parents m’ont renié, c’est tout ce qui me reste. Ils sont ceux et celles à n’avoir pas hésité à m’accueillir, me donner un semblant de toit, et le peu de nourriture dont ils disposaient. Je ne les considère pas comme « indignes » comme vous dites. Sans eux, dieu sait ce que je serais devenue.
- Mmmh… Je suis désolé : je ne voulais pas vous froisser, ni manquer de respect à ces gens. Reste que je suis sincère : vous êtes née pour offrir votre voix divine au grand public. Je peux être votre Pygmalion, vous guider vers la lumière, et faire de vous la célébrité que vous méritez d’être.
Elle ne disait mot, fixant le sol, comme ne sachant pas quoi dire. Puis, elle sortait de son silence :
- C’est très gentil, monsieur. Vraiment. Mais je suis loin d’être ce que vous pensez de moi. Je ne suis qu’une simple fille ayant été jetée à la rue par ses parents, car leur coûtant trop cher. Ne m’en voulez pas de vous dire ça, mais ce ne sont pas les personnes riches et bien élevées qui m’ont permis de survivre jusqu’à présent. Ce sont ces pauvres gens que vous voyez derrière moi, sacrifiant le peu qu’ils avaient pour que je ne figure pas au centre des conversations, pour avoir été retrouvée sans vie au détour d’une rue, ou à l’arrière d’une boutique.
Je voyais alors l’ouverture recherchée pour asseoir mon emprise sur elle.
- Vos parents mériteraient les pires supplices pour n’avoir pas su déceler le trésor dans leur foyer à plusieurs niveaux. Et quant à ces gens qui vous ont sauvée, ne serait-il pas justifié de leur prouver votre reconnaissance en les gratifiant des revenus qu’une carrière à l’opéra pourrait vous apporter ? Ce serait une manière pour vous de les remercier de ce qu’ils ont fait pour vous. D’un autre côté, vous pourriez amener du bonheur à d’autres par votre voix, en plus de la joie pour moi de vous servir de bienfaiteur.
- Vous parlez bien monsieur, c’est indéniable. Et j’avoue être tentée par votre proposition, même si je ne considère n’être qu’une piètre chanteuse. Et encore moins en tant que diva d’opéra. Mais si je vous suis, ils ne pourront plus profiter des récitals que je leur donne chaque soir, leur faisant oublier la misère qui s’est emparée de leur quotidien. Ce serait cruel pour eux…
Je souriais à nouveau. Le poisson venait de mordre à l’appât : il ne me restait plus qu’à le ferrer.
- Je me fais un devoir de faire en sorte que ces gens puissent entendre votre voix à chacune de vos prestations. A l’opéra. Et en bonne place. Ils ne manqueront de rien. Ils auront droit à un logement décent, de la nourriture à profusion. Je m’y engage solennellement. Leur vie entière changera. A condition que vous me permettiez de faire de vous la prochaine Diva de Rome.
Elle regardait derrière elle, semblant hésitante au choix qu’elle devait faire. Puis, elle se retournait à nouveau vers moi :
- Vous le promettez ? Vous ferez vraiment tout ce que vous avez dit si je vous suis ?
- Je n’ai qu’une parole, mademoiselle… Je m’excuse de mon indiscrétion, mais si nous sommes amenés à travailler ensemble, je me dois de vous demander votre prénom. Ce sera plus convivial. En dehors de ça, puis-je considérer que nous avons un accord ?
- Si vous sortez ces gens, ceux et celles qui ont été ma vraie famille, bien plus que mes parents ne l’ont été, je suis prête à vous suivre au bout du monde. Je ne suis pas sûre de prétendre à remplir toutes vos attentes, malgré votre conviction évidente, mais je ferais tout mon possible pour que ça soit le cas. Et en ce qui concerne mon prénom, je me nomme Mélinda…
- Très bien… Mélinda… Un prénom ravissant au passage… En ce jour, je scelle notre accord, et je m’engage à ce que votre « famille » ne manque de rien désormais. Il faudra un peu de temps avant de trouver de quoi les loger : vous n’ignorez pas la difficulté à ce sujet à Rome. Mais cela sera fait dans les meilleurs délais, et je me ferais un plaisir de vous informer de l’avancée de cela. Soyez-en certaine.
Cette fois, Melinda affichait un vrai sourire. Sans crainte aucune, entouré d’une joie non-dissimulée. Elle regardait encore les abris de fortune des gens qui lui avaient permis de survivre au froid, à la misère et à la tristesse. Puis, elle s’approchait de moi, tendant sa main, telle la nouvelle princesse des théâtres qu’elle allait devenir par mes soins.
- Je vous suis en ce cas, cher bienfaiteur. Mais dites-moi, je vous ai donné mon prénom, et je ne connais pas le vôtre. Quel est-il ?
Je souriais, lui baisant prestement la main tendue, puis répondais d’une voix assurée :
- J’ai bien des noms en ce monde. Le Diable, Satan, Le Malin, et des dizaines d’autres moins « prestigieux. Mais pour éviter de vous perturber, pour vous, ce sera Gabriele Lozzianno. C’est sous cette appellation que je suis connu dans cette ville…
Je voyais alors son visage se blanchir à l’évocation de ma nature…
- Vous… Vous êtes vraiment… le Diable ? Si c’est une blague, ce n’est vraiment pas drôle…
- Je peux comprendre votre scepticisme. Alors, je vais vous prouver ce que je suis… Enfin, juste une partie. Voir l’intégralité de mon corps démoniaque vous ferait plonger dans la folie. Et ce n’est pas ce que je veux…
A cet instant, je montrais, comme promis, une infime partie de ce qui me constituait. Mon visage arborait une couleur vermillon, se parant d’aspérités similaires aux écailles d’un dragon, mes yeux montraient des pupilles noires comme les ténèbres, pendant que des cornes enroulées sur elles-mêmes poussaient sur ma tête. Des griffes noires et allongées paraient mes mains ayant pris la même teinte que mon visage. Je percevais l’air épouvanté de Mélinda, qui voyait ses jambes se dérober sous elle, la faisant choir au sol. Pour autant, elle ne cherchait pas à fuir, m’observant en détail, se pinçant pour être sûre qu’elle ne rêvait pas.
- Je pense qu’il n’est pas nécessaire que je vous en montre plus. Avez-vous changé d’avis sachant ce que je suis, ou bien êtes-vous toujours prête à me suivre ?
Mélinda se relevait péniblement, se remettant de sa surprise. Je voyais bien une forme de terreur dans ses yeux, mais bien moindre en comparaison d’autres qu’elles ayant vu ma véritable apparence. Sa vie auprès de ses parents indignes était sans doute l’explication de son attitude à mon égard. Elle avait déjà vécu la terreur à l’état brut. De ce fait, ma présence, sachant que je ne lui montrais pas d’intention mauvaise à son égard, n’était pas synonyme d’une peur extrême. Mélinda était plus interrogative que véritablement terrorisée.
- Vous… Vous allez me faire signer un pacte ? Pour que mon âme aille en enfer ?
Je riais de bon cœur à cette demande.
- Ça c’est ce que font les démons sous mes ordres. Je ne pratique pas cela. Ceux et celles à qui je fais honneur de proposer mes services, ils le font en toute connaissance de cause, et je ne leur impose rien. C’est comme une sorte de passe-temps pour moi. J’aime offrir des opportunités et voir l’évolution mentale des personnes en profitant, sans que j’intervienne dans leurs décisions. Je ne fais qu’apporter l’aide dont ils ont besoin pour parvenir à réaliser leurs rêves, leurs envies, leurs passions. Rien de plus.
- Je… Je ne suis plus si sûre maintenant… Vous êtes le Diable… Je ne sais pas si j’ai le droit de…
Je ne la laissais pas finir :
- Est-ce vraiment si important ce que je suis ? N’est-il pas plus primordial d’offrir une nouvelle vie à ces pauvres bougres qui vous ont servi de famille pendant des années ? La vraie question que vous devez vous poser, Mélinda, c’est : voulez-vous devenir autre chose que ce que vous êtes actuellement ?
- Voulez-vous être celle qui sortira de la rue vos amis derrière vous ? Qu’importe ce que je suis si je puis vous apporter ce à quoi vous êtes destinée, grâce à votre voix qui enchantera les foules, j’en suis persuadé…
Mélinda fermait les yeux, respirant une grande bouffée d’air, puis expirait d’un coup. Comme si elle extériorisait sa peur de ce que j’étais. Elle rouvrait ses paupières, et reprenait :
- Vous avez raison… Ce qui compte le plus, c’est que ma famille puisse avoir la vie qu’ils méritent. Je leur dois bien ça. Que vous soyez le Diable ou quelque chose d’autre, si vous pouvez changer les choses pour eux, et ceci grâce à moi, cela me convient…
- Bien : à la bonne heure ! Vous faites le bon choix. Je possède deux petits théâtres à Rome. Ils seront la base de votre future gloire. Et je compte bien faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous mener à vous produire au prestigieux Teatro Dell’Opera Di Roma. Prête à vous hisser aux sommets, Mélinda ?
- Prête… Monsieur le Diable… Enfin, Monsieur Lozzianno. Et advienne que pourra…
- Ah, non. Nous sommes désormais partenaires : plus de titre pour vous me concernant. Appelez-moi par mon prénom.
Elle montrait un sourire discret, légèrement rougissant, pendant que je reprenais ma forme humaine telle qu’elle l’avait vue lors de notre premier contact visuel.
- Très bien… Gabriele. Il en sera donc ainsi désormais…
Ce fut le début d’un périple qui allait la mener à découvrir toutes les facettes de la célébrité, se faisant aspirer par ses méandres les plus sombres, et changeant la petite pauvrette qu’elle était en une figure incontournable de l’Opéra à Rome. Le début aussi d’une modification de personnalité chez elle, la transformant psychologiquement, au point de faire disparaître totalement ce qui formait ses traits de caractère d’origine. Gentillesse, compassion, sacrifice de soi, empathie : tout allait fondre comme une Gelato en plein soleil, ne laissant que le pire de l’âme humaine en elle, annihilant tous ses principes, et lui offrant une place de choix en Enfer…
La première étape fut de lui offrir une apparence décente et propre à faire d’elle la Diva que je lui offrais de devenir. J’ai donc joué de mes relations importantes dans la ville. J’ai ainsi loué les services de Mme Riccatello, LA spécialiste en la matière, capable de faire de Mélinda une véritable dame des hautes sphères en apparence. Ce n’était pas la première fois que j’avais recours à elle, et si je l’avais choisie, c’est aussi parce qu’elle n’ignorait pas ce que j’étais. Nous avions même eu une relation très intime à une époque plus ancienne, quand elle n’était encore qu’une jeune héritière venant tout juste d’être mise à la tête de l’empire financier de feu ses parents, tragiquement décédés dans un incendie. Je vous vois venir. Vous pensez sans doute que j’y suis pour quelque chose ? Eh bien, pas totalement. Ce genre de basse besogne, c’est plus du domaine de démons inférieurs, pas pour quelqu’un de mon rang.
Moi, je n’ai fait qu’apporter les outils et les solutions propres à la jeune Cinzia Riccatello pour obtenir la notoriété qu’elle désirait. Ses parents étant un obstacle à ses aspirations, je suis tombé à point nommé. Et je dois dire qu’elle a montré une certaine dextérité à s’en servir, malgré sa méconnaissance du crime dissimulé, ainsi qu’une faculté certaine dans la comédie, face aux autorités la questionnant sur le drame qu’elle venait de subir. Je pense que c’est en partie à cause de cette aide que Cinzia m’a choisi comme compagnon exclusif une fois obtenu son rang. C’est une des rares femmes humaines pour laquelle j’ai éprouvé un réel plaisir de partager la couche et le quotidien. Et croyez-moi, cela ne m’est pas arrivé souvent. La grande majorité des autres femmes avec qui j’ai eu une aventure n’était rien de plus que des amusements passagers.
Mais pas Cinzia. Avant même que je la modèle pour en faire une future VIP de mon royaume, elle avait déjà une noirceur profonde en elle. C’est d’ailleurs ça qui m’a attiré. Je n’avais jamais rencontré un être ayant l’âme aussi noire qu’elle. Du coup, je n’ai pas fait grand-chose qui ai réellement modifié ce qu’elle était déjà. Je l’ai juste légèrement accentué. Avec le temps, elle a acquis une solide réputation de ce qu’aujourd’hui vous appelleriez une spécialiste du « relooking ». Transformer Mélinda fut un jeu d’enfant pour elle. Une fois cette dernière débarrassée de sa crasse et ses haillons, elle s’est révélée avoir un physique très attirant, idéal pour la faire élever dans le firmament de la popularité. Cinzia fut en son temps une excellente cantatrice également, avec son heure de gloire.
En fait, quand j’ai dit à Mélinda que j’avais 2 théâtres, c’était un petit mensonge. Ils ne m’appartenaient pas vraiment. D’un point de vue administratif en tout cas. Je n’en étais, en quelque sorte, que le gérant. C’était Cinzia la vraie propriétaire. Mais elle a toujours tenu à ce que tout qui était à elle soit aussi ma possession. Une forme de preuve d’amour. Nous partagions beaucoup de choses. Et même si je voyageais beaucoup, je dois avouer que je revenais souvent à Rome pour elle. Vous connaissez le vieil adage « tous les chemins mènent à Rome » ? Eh bien dans mon cas, c’était on ne peut plus vrai, tellement toutes mes actions me ramenaient systématiquement, à un moment ou un autre, vers cette ville. Passons. Cinzia s’est occupée personnellement de faire de Mélinda une véritable princesse de conte de fées, doublée d’une Diva de haut niveau. Elle s’est également chargée d’inscrire cette dernière à son 1er Opéra en tête d’affiche. Une fois que la voix de cette dernière eut atteint une quasi-perfection. Ce qui ne fut pas très difficile à obtenir, vue que Mélinda avait déjà ce statut, de mon point de vue.
Ce fut un triomphe. Tout le monde était sous le charme de la jeune étoile. Autant de sa voix que de l’apparence de reine de l’opéra que Cinzia lui avait donnée. Les représentations affichaient complet chaque soir, du fait d’un bouche à oreille faramineux, et extrêmement flatteur, parcourant toute la ville. Très vite, la réputation de cette nouvelle égérie de l’opéra était de toutes les conversations, et il ne fallut pas longtemps avant que Mélinda soit propulsée en vedette du Teatro Dell’Opera Di Roma, conformément à mes prédictions, où elle a acquis son titre de Reine de l’Opéra, lui ouvrant les portes des plus grandes salles d’Italie.
C’est à partir de là que le masque de la petite fille candide, toujours prête à offrir son temps et sa gentillesse aux autres, a commencé à se fissurer pour mon plus grand plaisir. Il faut dire que j’ai tout fait pour que cela arrive. Vous vous souvenez de la promesse que je lui avais faite sur sa famille de la rue ? Eh bien, en fait, cette dernière n’a jamais vu ses conditions de vie changer. Je parvenais toujours à faire croire à Mélinda de l’amélioration de leur quotidien. Lui montrant des portraits censés être faits par des artistes peintres connus, où ses anciens amis posait dans l’intérieur de leurs appartements luxueux. L’emploi du temps de ma petite protégée lui interdisait de pouvoir les voir, Cinzia s’employant à retenir sa « création » pour diverses raisons.
Elle avait obtenu de celle-ci qu’elle la considère bien plus qu’une confidente ou une amie. Ce que toutes les deux étaient au départ, Cinzia suivant mes directives très précises. Mais pratiquement une sœur. Tout ce que disait ma complice humaine valait comme de l’or aux yeux de Mélinda, et à aucun moment elle ne se doutait que les excuses de leçons supplémentaires, pour garder sa voix intacte en la travaillant régulièrement, les petites collations, les soirées pour les admirateurs de la nouvelle Diva, n’étaient que des subterfuges pour l’empêcher qu’elle en vienne à voir de plus près sa famille sur leur prétendu lieu de vie paradisiaque.
Je me servais de mes pouvoirs pour lui faire croire que cette dernière assistait à chacune de ses représentations. Mélinda croyait les voir dans les premiers rangs, habillés richement, comme je lui avais promis. Mais bien sûr, ce n’était qu’une illusion qu’elle seule pouvait voir. Ce qu’elle pensait être ses amis de la rue étaient en fait des spectateurs que mon pouvoir revêtait de l’apparence physique voulue, uniquement visible de ses yeux, et par personne d’autre. Et quand cette dernière s’étonnait qu’ils ne cherchent pas à la voir après les représentations, je lui expliquais qu’ils m’avaient fait part d’autres obligations que de rester auprès d’elle. Les premières fois, elle ne s’est pas offusquée de cette attitude étrange de la part de sa famille d’infortune. Mais au bout d’un certain temps, j’ai senti qu’elle éprouvait une certaine colère à leur égard, trouvant irrespectueux le fait qu’ils évitaient toujours sa compagnie, elle qui avait contribuée, avec mon aide, à améliorer leur quotidien, telle qu’elle le pensait.
Son succès aidant, sa colère s’est transformée en haine, ne cherchant même plus à savoir où ils habitaient, et déclarant ne plus avoir besoin d’obtenir des informations de leur nouvelle vie. Elle était très remontée contre eux, faisant ressortir cette haine envers ses proches directs. Les costumières, qui, à ses débuts, étaient toujours l’objet de multiples attentions, notamment sous la forme de petits cadeaux offerts généreusement par mon intermédiaire, devenaient peu à peu de simples laquais à son service, qui se devaient de faire attention à ses tenues, sans tenir compte de leur fatigue. Elle devenait irascible pour la moindre contrariété.
Un thé trop chaud pouvait devenir prétexte à des remontrances à la limite de l’insulte ; un accroc à une robe entraînait des coups. Parfois anodins, juste pour souligner que ses « servantes », comme elles les appelaient désormais, devaient être plus consciencieuses sur leur travail. Et ça causait systématiquement des retenues sur leur salaire, suivies d’une obligation de réparer leur faute dans la soirée, sans que ces heures leur soient payées en conséquence. Je me souviens d’une rixe particulièrement violente qui avait vu Cinzia devoir intervenir pour éviter que la costumière en charge des tenues de Mélinda ne subisse de lourdes séquelles. Et cela simplement parce qu’elle l’avait piquée avec une aiguille pour réajuster la manche d’une robe.
- ESPECE DE PETITE SOTTE !! Ne vois-tu donc pas clair ?!! A moins que tu l’aie fait exprès pour te venger d’avoir réduit ton salaire ce mois-ci ?!!
- Non… Non, madame… Bien sûr que non… Jamais je n’oserais faire une telle chose…
- Tu mens comme tu respires ! Tu crois que je ne sais pas que tu complotes dès que j’ai le dos tourné ? Disant des méchancetés sur mon compte envers tes amies ?!! Ne mens pas !! J’ai mes sources !!
- Quoi ? Mais… Mais pas du tout… Je n’ai aucunement dit de telles choses sur vous madame…
- Il suffit !! Tu me traites de menteuse en plus ? Cela mérite réparation !!
Et là, elle s’est mise à la rouer de coups, la griffant au visage, lui tirant les cheveux. Elvina, la costumière, n’osait même pas se défendre, de peur sans doute de voir redoubler les attaques de sa patronne. Pour éviter que cela tourne au drame, Cinzia s’est immédiatement interposée, pendant que je me retenais de rire aux éclats devant ce savoureux spectacle.
- Calme-toi Mélinda. Cette petite ne mérite pas un tel traitement. Tu exagères !
- Elle a failli me défigurer avec son aiguille ! Ce n’est que justice que je fasse de même avec elle !
- Elle n’a fait que te piquer le bras. Regarde : je ne vois même pas une seule goutte de sang…
- Tu te mets de son côté ? Comment ose-tu ? Elle t’a promis quoi pour que tu la défendes honteusement ?
- Tu deviens pénible Mélinda. Elvina n’a rien fait de mal. C’est toi qui est agressive pour tout et n’importe quoi.
Cinzia prit Elvina par la main, et l’emmena en direction de la porte.
- Viens Elvina, allons soigner tes blessures. Je suis désolé pour ça…
- C’est ça ! Emmène-la loin de moi ! Je ne veux plus la voir ici ! Les remplaçantes ne manquent pas ! Et des bien plus professionnelles que cette petite gourde !
Cinzia et Elvina parties, je ne pus me retenir, et laissait mon rire envahir la pièce…
- Toi aussi, tu t’y mets ? Tu te moques de mon malheur ? Vous êtes tous contre moi ces temps-ci…
- Mélinda… Désolé… Ce n’était pas contre toi… C’est juste que le spectacle était fort burlesque. Tu as bien agi, ne t’en fais pas. Jamais je ne critiquerais tes actes…
Là-dessus, elle se calmait, là où même Cinzia avait échouée. Après la représentation, une fois qu’une autre costumière fut dépêchée prestement pour remplacer Elvina afin d’ajuster la robe, j’emmenais Mélinda se détendre sur les collines proches. Elle passa une bonne partie de la soirée à maudire Elvina, Cinzia et même les autres interprètes de l’opéra. Leur reprochant de ne pas avoir d’intonation en adéquation avec sa voix, et gâchant la pièce selon elle. Ce qui pouvait lui valoir de mauvais retours auprès de la population locale, et même engranger des pertes financières conséquentes. D’autant que, ce soir-là, des hauts magistrats avaient été présents parmi le public : elle craignait que cela lui nuise. Je la rassurais, tout en cachant mon bonheur intérieur de voir à quel point, et quelle vitesse, elle était devenue une personne exécrable dont j’étais désormais quasiment le seul à accepter les frasques.
Les rumeurs sur ses accès de colère dépassèrent bientôt l’enceinte des grandes salles. Certains grands noms de la scène refusant même de jouer à ses côtés, arguant du fait qu’elle ne respectait pas les conventions et frappait ses costumières. Ce qui ne faisait qu’attiser sa haine sur tous ceux qu’elle jugeait ne pas la comprendre, ou considérés comme jaloux de son succès, selon ses propres conclusions de ces attaques gratuites à son encontre. Dans ces moments-là, Mélinda avait pour habitude de se rendre à sa propriété située à l’extérieur de Rome, pour monter à cheval et faire de longues balades. Cela la calmait. Elle disait que le vent sur son visage, la sensation de vitesse, le toucher du cuir de la selle de son cheval, se montraient être les seules choses qui pouvaient lui redonner la sérénité perdue, du fait des médisances colportées sur elle de la part de frustrés qui n’avaient pas son talent, tel qu’elle les désignaient. Cependant, ce jour-là, sa colère était telle qu’elle a négligée de vérifier que sa selle était bien fixée avant sa balade : elle fit une chute violente lors de son périple.
Une chute qui entraîna des conséquences désastreuses par la suite : sa gorge fut touchée, et elle perdit toute la beauté de sa voix. Elle pouvait toujours parler, mais ce qui faisait la magie de son chant avait perdu son éclat. Ce fut le début de sa chute, rapide et inexorable. Si, dans un premier temps, elle parvint à repousser certaines dates de prestations, dans l’attente d’aller mieux, et espérant que sa voix guérisse, le manque d’amélioration de son état obligea plusieurs directeurs de théâtre à la remplacer par d’autres divas. Ce qui mit Mélinda dans une rage folle, n’acceptant pas de voir des interprètes médiocres à ses yeux être choisies à sa place. Ce n’était que le début. Le couperet des médecins fut bientôt unanime : elle ne pourrait jamais retrouver sa voix d’avant. Ses cordes vocales étaient irrémédiablement abîmées, et aucun remède, aussi miraculeux soit-il, ne pouvait changer ce qu’elle estimait être le fait d’une manœuvre de ses détracteurs.
Elle était persuadée que sa chute n’était pas le fruit du hasard, et encore moins de son manque de vigilance envers son matériel équestre. Mélinda se rendit dans diverses villes, allant même dans d’autres pays pour trouver des médecins à même de contredire les affirmations des docteurs de Rome, mais ce fut vain. Elle obtenait la même réponse partout, et bientôt, elle fut proprement évincée de toute représentation, oubliée du grand public qui l’avait érigée tout au sommet des plus grandes divas italiennes. Ne recevant plus d’argent, ses finances baissèrent drastiquement. Mélinda était habituée à un train de vie hautement dépensier, et malgré le manque de ressources, elle ne voulait pas changer ses habitudes. Ses rares fidèles, par compassion, venaient aux fêtes somptueuses qu’elle organisait pour compenser la perte de sa carrière, ce qui était devenu une évidence, aussi bien des professionnels de l’opéra, que des simples admirateurs.
Mais Mélinda n’en démordait pas : elle restait persuadé qu’un médecin miracle saurait trouver la solution pour lui rendre sa voix. Elle était dans un déni total, et ces fêtes formaient un non-sens aux yeux de tous. Évidemment, à force de ces fastes, elle finit par tomber dans la déchéance, devant vendre ses biens les uns après les autres pour continuer à vivre décemment. Jusqu’au moment où toute sa fortune accumulée durant des années fut dilapidée. C’est à ce moment qu’elle se décida à se tourner vers moi. La seule personne à ne pas l’avoir laissée tomber malgré l’effondrement de son aura et de sa carrière. Autant vous dire que mes mots sonnèrent comme un Hallali quand elle les entendit :
- T’aider ? Tu ne te souviens pas de ce que je t’ai dit après notre accord, la nuit où je t’ai rencontrée, et que tu as acceptée de me suivre ? Et ce, bien que connaissant ma nature véritable.
- Je ne comprends pas. Tu m’as dit que tu serais toujours là pour m’apporter de l’aide, pour que je puisse progresser toujours plus et atteindre les sommets…
- C’est tout à fait ça. Je t’ai dit que je t’aiderais pour monter, car le don de ta voix pouvait te faire obtenir ça. Mais tu n’as plus cette voix. Je peux faire beaucoup de choses, même forcer quelqu’un à tomber amoureux, ou encore ramener un cadavre à la vie. Mais il y a un élément que je ne peux pas faire : c’est aller à l’encontre de ce que j’ai prévu. Et t’aider à retrouver ta voix, même si potentiellement je pourrais le faire, ça ne fait pas partie de notre accord.
- Mais enfin, Gabriele, pourquoi ? Tu disais que tu croyais en moi, que tu voyais dans ma voix un potentiel unique dans le monde de la musique, que je marquerais l’histoire…
- Tu n’as toujours pas compris ? C’était un jeu. C’est la raison pour laquelle je ne t’ai pas fait signer de contrat, comme le font mes sbires dans plusieurs pays. Moi, ce qui m’intéresse c’est le plaisir de voir sombrer quelqu’un par ses propres choix. Et c’est d’autant plus délectable quand il s’agit d’une personne destinée à rejoindre le Paradis. Mais je n’ai aucune intention, maintenant que tu es arrivée au bout de ta « période d’essai », de t’aider à une seconde chance. L’accord que nous avions était à sens unique, et portait sur ta faculté à faire des choix judicieux qui auraient pu t’apporter ta place au Paradis, si tu n’avais pas été obnubilé par tes désirs de gloire et de richesse.
Je m’approchais d’elle, plongeant mon regard dans le sien, afin de lui montrer de manière plus significative encore qu’elle ne pourrait plus rien espérer de moi désormais, avant de lui tenir des propos montrant qu’elle devait accepter ce qu’elle-même avait construit, laissant son véritable soi prendre le dessus sur le masque de douceur qu’elle pensait être sa personnalité profonde, mais qui n’était qu’un énorme mensonge, tissé depuis sa naissance, pour ne pas être seule, et obtenir l’attention dont elle avait besoin pour se persuader d’exister.
- Tu es seule responsable de ta déchéance. C’est toi qui a choisie de mépriser ceux qui t’étaient proches. Toi qui as décidé de dilapider ta fortune dans ces soirées à la limite de l’orgiaque. Toi encore qui a voulu faire cette balade à cheval qui t’a coûté ta voix de Diva. Estime-toi heureuse de pouvoir encore parler. Tu n’as perdu que ta faculté à chanter. Pour ma part, tu ne m’intéresses plus. Je te laisse réfléchir à ce que tu as fait de ta chance, de ce que tu as fait de tes choix. Ta place est désormais en Enfer, quand ta vie sera arrivée à son terme sur Terre, et je t’y réserve une place privilégiée : tu l’as bien méritée après tout ce que tu as fait subir à ceux et celles autour de toi.
Voyant les larmes naitre dans ses yeux, et estimant que je n’avais plus ma place à ses côtés, et surtout jugeant inutile de lui rappeler ce qu’elle était réellement, et qu’elle avait sans doute toujours su au fond d’elle, je détournais mon regard, tournait les talons, et commençais à m’éloigner, tout en continuant de m’adresser à elle :
- Je te laisse maintenant. J’ai d’autres personnes dans le monde qui ne demande qu’à avoir ma visite, et obtenir les mêmes chances que toi. L’être humain est ainsi fait. Vous avez tous cette noirceur en vous à la naissance. Pour un grand nombre, elle reste tapie à l’intérieur de votre âme, endormie. Mon but, mon objectif, c’est de réveiller cette partie sombre et la ramener à la surface. Une fois que c’est fait, le jeu est terminé, et je passe à une autre proie.
Je me retournais une dernière fois, afin de lui signifier mon départ définitif. Dans un dernier souci d’honnêteté envers elle, même si ce mot peut vous sembler anachronique me concernant, je me faisais un devoir de lui annoncer qu’elle ne devait plus entrevoir l’espoir d’un retour en arrière :
- Adieu, Mélinda : médite bien sur tes actes. Ah, autre chose : tu peux aller retrouver ta famille de la rue. Elle n’a jamais vu sa vie changer. Oui, j’ai menti sur ça, et sur beaucoup d’autre choses, car c’est ainsi que fonctionne mon jeu. Reste à savoir s’ils t’accepteront à nouveau maintenant que tu n’as plus cette voix qui leur plaisait tant, et sachant ce qu’il y a réellement au fond de ton cœur…
Mélinda n’avait rien dit. Elle pleurait, effondrée sur l’herbe. On a beau dire : il n’y a rien de plus faible qu’un être humain. Il suffit juste de lui faire croire à l’impensable, de lui faire miroiter une vie idéale, et il tombe irrémédiablement dans le panneau. J’aime ça. J’aime voir leurs mines déconfites une fois qu’ils ont compris qu’ils ont eux-mêmes détruits leurs vies, sans que j’aie eu à agir directement. Je ne fais que leur apporter les germes, les outils à utiliser pour les mener vers le bord du précipice. Rien d’autre que ça. Oui, j’use parfois de petits mensonges, de subterfuges discrets pour m’assurer du bon fonctionnement de mon jeu. Mais c’est à vous de déceler ce que je fais, de comprendre mes pièges disséminés çà et là, de les soustraire de la balance. Si vous êtes suffisamment stupide pour croire tout ce que je dis, ce n’est pas ma faute. Vous êtes seuls fautifs. Pendant que Mélinda se lamentait sur le reste de sa vie, sur ses espoirs perdus, gâchés par elle, je suis reparti vers la ville. En quête de ma prochaine destination, et ma prochaine âme à pervertir…
Publié par Fabs
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire