CHAPITRE 1 : CIARAN
J’ai toujours connu l’excentricité latente qui caractérisait la personnalité de Ciaran, mon ami de longue date. Je dirais même que ça faisait partie de son charme discret, celui qui faisait se pâmer nombre de jeunes demoiselles croisant son chemin qu’il faisait mine d’ignorer délicatement. Non sans arborer un petit sourire en coin à mon intention à chacune de ces manifestations d’admiration de sa personne. Pas qu’il se moquait de l’aura perceptible qu’il pouvait dégager auprès de ces cœurs esseulés, bien au contraire. Il en ressentait une certaine fierté, même s’il lui était impossible de pouvoir offrir une once d’espoir d’une relation future à toutes ces beautés, au gré de nos balades dans le parc où nous avions l’habitude de discuter de nos journées. Entendez par là qu’il n’était pas attiré par l’élégance et la grâce féminine, mais lui préférait celle plus virile d’une certaine forme de masculinité.
Je n’entrais pas en compte dans ses préférences sentimentales. De son propre aveu, il me respectait trop pour me réduire à m’ajouter à l’une de ses conquêtes cachées. Il arrivait bien qu’il se fasse voir en compagnie d’une jouvencelle richement parée, ce qui ajoutait à sa réputation de séducteur au goût certain. Mais ce n’était qu’apparat savamment étudié, car jamais au grand jamais, il ne lui serait venu à l’idée de partager la couche de ce qu’il ne considérait qu’un subterfuge pour masquer ce qui faisait vraiment frétiller son corps en privé. Et bien qu’il n’ait jamais donné suite à ces fausses aventures avec la gent féminine, cela n’a en rien entaché la ferveur dans les yeux des femmes qui le dévorait des yeux. L’honneur des éconduites étant en jeu, il ne serait jamais venu à l’idée de celles-ci d’indiquer que leur relation avec Ciaran n’avait pas été plus loin qu’un baiser chaste sur le coin des lèvres au détour d’un chemin, à l’abri des regards indiscrets. Ou bien sur le parvis du domicile de ladite jeune fille ayant eu l’honneur de faire partie des choix de compagnie de celui qui était la coqueluche d’une grande partie de la bourgeoisie de Providence.
Quand il ne jouait pas les jolis cœur, Ciaran avait une passion : il aimait étudier les légendes et mythes parsemant le quotidien de petites villes et de petits villages, alimentant les récits d’écrivains chevronnés ou de parfaits inconnus. Il possédait dans sa bibliothèque des ouvrages dont je serais incapable de vous révéler le nombre, tellement sa collection est impressionnante. Bien qu’il se targuât de lire aussi des classiques de la littérature, propre à lui assurer une richesse de culture dont il était très fier, la majeure partie de ses possessions littéraires se composait de titres plus…. Disons… étonnant. Si l’on s’en tenait aux habitudes des personnes de son rang concernant ce type de loisirs. Là où nombre de ses pairs aimaient s’abreuver des vers de poètes tels qu'Emily Dickinson ou Walt Whitman, Ciaran avait une prédilection pour des romans au contenu plus “fantaisiste”. Que ce soit le “Frankenstein” de Mary Shelley, le “Dracula” de Bram Stoker ou les nouvelles d’Edgar Allan Poe à connotation fantastique. Il vouait notamment un quasi-culte à “La chute de la maison Usher”, et pouvait passer des heures à m’en parler, en disséquant chaque séquence de cette histoire.
À force de lire tout ce qui avait trait au surnaturel, ce qui incluait également des essais sur ce domaine, qu’ils soient d’ordre scientifique ou bien issu de noms plus sujets à controverse, il a fini par développer l’idée d’écrire son propre livre. Mais il ne voulait pas traiter d’histoires trop connues du grand public, préférant s’attarder sur des cas à même de rassasier sa faim culturelle dans le domaine ésotérique et paranormal. Etant aussi féru de voyages, il lui arrivait fréquemment de quitter notre bonne ville de Providence pour explorer des communes proches ou lointaines du pays. Ceci afin de se renseigner sur les mythes locaux propres à alimenter son futur ouvrage. À chacun de ses retours, il faisait de moi le confident privilégié de ce qu’il avait découvert, en me relatant le moindre détail des secrets appris de la bouche des habitants des lieux où il s’était rendu.
Il avait toujours un enthousiasme contagieux lors de ces moments, me partageant ses impressions autour d’une tasse de Ceylan et de quelques biscuits lui ayant été offert par une de ses admiratrices. Celles-ci espérant, par ces présents, être l’une des prochaines à bénéficier de la fierté de se promener à ses côtés en place publique. Jamais il n’a montré une quelconque réticence à me confier le contenu de ces déplacements au sein de localités où était censé sévir diverses créatures, sorcières ou lieux maudits. Pourtant, ce soir du 21 septembre 1935, alors que j’eus l’outrecuidance de ne pas attendre son invitation pour me rendre à sa demeure, trop impatient d’entendre ce qu’il avait appris comme nouvelle légende insoupçonnée, mais aussi inquiet de son silence depuis deux jours car ne m’ayant pas appelé pour me signifier quand je pourrais venir écouter son récit, c’est un Ciaran renfermé sur lui-même que j’ai retrouvé au sein de son salon.
Il était affalé dans son fauteuil préféré, le regard vide et fuyant, le teint blafard, fixant le dehors par la fenêtre grande ouverte. Le vent cinglant envoyait à l’intérieur des monceaux de feuilles desséchées, sans que cela soulève la moindre réaction du maître des lieux. Même un cadavre aurait eu meilleure allure que le spectacle qui s’offrait à moi. J’avais beau l’apostropher, osant secouer son corps presque immobile, si ce n’était l’émission d’un soupir de temps à autre, suivi de gémissements, il agissait comme s’il ne se rendait même pas compte de ma présence. J’étais décontenancé par son attitude inhabituelle. Il n’existait plus en lui de traces de sa jovialité habituelle. Ni même de sa capacité à faire se déclencher chez moi une forme aiguë d’allégresse par la fraicheur de son sourire ô combien communicatif. C’était une loque, une coquille vide, sans la moindre expression.
Il donnait l’impression de ne plus prendre goût à la vie, semblant attendre que la mort veuille bien lui rendre visite afin de mettre fin aux tourments l’assaillant, sans que je sache la raison de cet état. Je remarquais son journal de voyage posé sur la petite commode près de la fenêtre qui continuait de laisser se déverser feuilles et branchages sur le sol de la pièce. Prestement, je m’approchais de cette dernière et la fermais vivement, mettant fin à ce flot de déchets végétaux. Posant un dernier regard vers Ciaran, espérant y déceler le signe d’un changement notoire sur son visage, je me dirigeais vers l’endroit où se trouvait le journal. Il en possédait plusieurs, ayant l’habitude de réserver un exemplaire pour chacune de ses excursions hors de la ville. Il y consignait toutes les informations recueillies sur les lieux de ses pérégrinations, le détail des paroles échangées avec les autochtones, les constatations effectuées sur des objets, des reliques, des lieux... Tout ce qui pouvait lui être utile pour retranscrire avec exactitude ce qui se rapportait à la légende découverte pour son futur ouvrage. Une fois revenu chez lui, il stockait ces journaux dans un tiroir de cette même commode où figurait le document ayant attiré mon attention. C’était la première fois que je voyais un de ces journaux exposé aux yeux de tous. Je lui avais demandé à maintes reprises s’il pouvait me laisser lire l’un d’eux, mais sa réponse avait toujours été la même :
– Ne m’en veux pas, mais je tiens à conserver quelques passages inédits pour le jour où je publierais l’ensemble de mes notes. Même à toi, je ne révèle jamais tout de ce que j’ai pu trouver au sein des villes où je me suis rendu…
Je comprenais cette volonté de garder une part de mystère, bien que la frustration de ne pas tout savoir m’envahissait à chaque fois qu’il m’assénait cette phrase devenue presque un rituel entre nous. Une sorte de petit jeu amical, pendant lequel j’espérais obtenir satisfaction un jour à force d’insistance, bien que connaissant à l’avance la réponse immuable. Cela faisait partie de ces petits moments qui renforçait notre amitié. Ciaran m’avait confié que j’étais le seul bénéficiaire de l’exclusivité de ce qu’il appelait ses “rapports de voyage”. Ses compagnons éphémères, partageant son lit de temps à autre, étaient exclus de cette récompense. Nous nous considérions bien plus que de simples amis. Plus comme des frères, même si nous ne partagions pas le même sang. J’avais toujours respecté ce désir de ne pas communiquer l’intégralité de ses récits jusqu’à présent. Mais là, c’était différent.
Je voulais savoir ce qui avait pu mettre mon ami de toujours dans un état proche de la catatonie. La seule manière d’avoir des réponses était de transgresser les règles dont nous avions convenu, consistant à limiter ma soif de connaissance aux seuls récits verbaux dont Ciaran me faisait part à chacun de ses retours d’expédition. La raison ayant transformé mon presque frère à un être végétatif, sans la moindre réaction sur ce qui se passait autour de lui, était annoté à l’intérieur de ces lignes. C’était une évidence. Si je voulais comprendre ce qui avait pu lui arriver, je n’avais d’autre choix que de trahir sa confiance, et lire ce journal. Je me suis alors avancé, me retrouvant devant l’objet de ma convoitise, restant prostré plusieurs minutes avant de le prendre en main. Une fois obtenu ce que je convoitais en consultant ce journal, je serais plus à même de trouver une solution adéquate pour sortir mon camarade de la catalepsie dans laquelle il se trouvait. Il me pardonnerait d’avoir dérogé à ce que nous avions convenu, concernant le droit de lecture de ces notes. J’en étais certain.
Je m’installais dans le fauteuil qui m’était assigné toutes les fois où je me rendais ici, non sans avoir bourré et allumé une pipe au préalable dans le but de faciliter ma concentration. C’était quelque chose qui amusait beaucoup mon ami. Il me comparait à Sherlock Holmes dans ces moments, me demandant si je voulais me faire une petite injection de cocaïne à 7 %, comme le pratiquait le héros de Sir Arthur Conan Doyle, pour accentuer mon attention à ses récits. C’était une petite blague sans en être une. Je n’ignorais pas que Ciaran était adepte de la prise de stupéfiant, et la cocaïne faisait partie de ses péchés mignons. Il en usait lorsque ses amants venaient en secret chez lui. C’était un petit secret dont j’étais un des rares à être dépositaire. Il me disait qu’il ne pouvait pas être au top de sa forme sans ce petit “complément” indispensable pour donner du plaisir à ses compagnons d’un soir. Je ne cautionnais pas cette mauvaise habitude, l’ayant mis en garde contre le risque de dépendance de ce psychotrope. Il me rassurait, voyant mon inquiétude sur ce fait, en m’indiquant n’en prendre que de petites doses et uniquement lors de moments charnels.
Je dois vous avouer que j’ai d’abord cru, en le voyant engoncé dans son fauteuil, le regard absent, qu’il avait voulu forcer la dose pour augmenter le degré de plaisir avec l’un de ses partenaires sexuels. Mais je n’avais trouvé nulle trace de sa seringue au sol, ni son flacon. S’il s’était agi d’une surdose de cocaïne, il n’aurait jamais eu le temps de ranger son matériel avant de se repositionner dans le fauteuil. Il se serait écroulé sur le sol en tentant de cacher sa faute, sans pouvoir se relever. De plus, les yeux qu’il affichait n’étaient pas ceux de quelqu’un ayant subi ce type de désagrément dû une drogue. C’étaient ceux d’une personne ayant été en proie à une terreur extrême. Je n’avais aucun doute là-dessus. Je ne vous l’ai pas dit jusqu’à présent, mais je travaille au sein d’un institut hospitalier chargé, entre autres cas, de traiter les cas de démence à divers stades d’évolution.
C’est d’ailleurs de cette manière que j’ai rencontré Ciaran. Son oncle était soigné au sein de l’établissement dans lequel j’officie de manière quotidienne. Il tenait beaucoup à lui, et sa peine, sa peur de perdre un être qui lui était cher, c’était quelque chose qui m’avait fortement touché. À chacune de ses visites, je discutais avec lui, le rassurant sur l’état de son cher oncle, lui disant de garder espoir sur une éventuelle évolution de son mal. Ciaran n’était pas dupe : il savait bien que son parent était condamné et qu’il ne serait pas en mesure de revenir dans son foyer. Celui dont il hériterait par la suite, après que son oncle passerait finalement de vie à trépas. Néanmoins, il appréciait que je fasse l’effort de le maintenir dans la perspective d’un rétablissement salutaire. J’étais présent lors des funérailles de son oncle, et c’est à partir de là que notre amitié s’est développée, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année.
De sorties en discussion autour d’une terrasse de café, nous avons fini par nous confier mutuellement nos secrets les plus intimes. Il m’a avoué son homosexualité lors d’une de mes visites impromptues à son domicile. Il était 20 heures : l’un de ses amants, peu vêtu, avait ouvert la porte, alors que Ciaran prenait une douche. J’ai discuté un moment avec le jeune éphèbe. Me voyant étonné de sa présence et sa tenue quelque peu inconvenante, ce à quoi il s’était empressé de se revêtir d’un peignoir, il m’a alors expliqué qu’il avait l’habitude de se rendre chez notre connaissance commune, en ayant vérifié que personne ne l’avait vu pénétrer dans la demeure. Après cette révélation, Ciaran est arrivé dans la pièce, et s’est confondu en excuse de ne pas avoir été franc avec moi sur ce sujet. S’il s’était tu, c’était surtout par crainte que cela provoque un frein à notre amitié, et que je prenne peur de ce qu’il était. Voire qu’il cherche à me faire rejoindre sa liste de conquête, alors qu’il ne voyait en moi qu’un ami sincère avec qui il aimait se trouver. Jamais il ne tenterait de me débaucher en m’invitant plus ou moins à rejoindre sa chambre. Cela n’avait jamais été son intention.
Nous avons longuement discuté ce soir-là. Lui, moi et Thomas, le jeune homme m’ayant appris les habitudes sentimentales de Ciaran. Nous nous sommes jurés de ne plus avoir le moindre secret l’un pour l’autre, tout comme je l’assurais de ne pas le voir comme une aberration à cause de ses préférences sexuelles. Il était soulagé que je prenne bien le fait d’être au courant de ce qu’il pratiquait certaines nuits, et n’appartenant pas à la bienséance en vigueur chez les bourgeois. Il connaissait mes origines modestes, très éloigné de sa caste sociale, mais ça n’avait jamais été un problème pour lui. Au contraire, il préférait nettement ma compagnie à ses pairs, qui l’ennuyaient profondément. A l’exception de l’un d’entre eux : Ethan. Le fils d’un haut dignitaire de la ville. Notre amitié s’est construite de cette manière. Intense, véritable et durable. Ce petit aparté sur ce qui nous liait, Ciaran et moi, c’était pour mieux vous faire comprendre à quel point j’ai été marqué en découvrant celui que je considérais comme mon frère, réduit à un état presque cadavérique sur ce fauteuil. Cet élément de son décor intérieur d’où il m’adressait ses sourires et son bonheur de parler avec moi lorsque je me rendais au sein de sa luxueuse demeure, se transformant parfois en temple de la débauche.
Nous avions pris pour habitude de nous informer quand il avait des invités “spéciaux” certains soirs. Le sachant, je m’abstenais de venir ces jours-là. Si j’avais fait exception en ce jour, c’était parce que l’absence de tout appel de sa part m’avait paru anormal. Il n’était pas dans ses habitudes de ne pas me tenir informé d’un quelconque changement dans son emploi du temps. Je prenais le risque de débarquer au beau milieu d’une cession de plaisir charnel en compagnie d’un de ses amants, quitte à soulever un moment de gêne du participant choisi, mais c’était une nécessité pour moi de m’assurer qu’il n’était pas arrivé malheur à Ciaran. Je l’avais vu un jour avec des blessures sur le visage. Le résultat d’une altercation avec le frère d’un de ses “invités” particuliers. Ce dernier était très protecteur envers son parent et avait suivi le jeunot jusqu’au domicile de mon ami, après avoir vu les deux se tenir discrètement la main dans un parc public. Ce qui lui avait soulevé des doutes sur la relation entretenue entre les deux compagnons.
Il avait déboulé au moment même où les deux amants en étaient venu à la phase déshabillage, enfonçant la porte d’entrée et surprenant les attouchements de l’un et l’autre. Après avoir poussé au sol le parent fautif, il s’était acharné sur Ciaran de longues minutes, avant d’exiger à son frère de se rhabiller et de le suivre. Pour autant, le scandale auprès de la bourgeoisie qui aurait pu découler de cet affrontement n’a pas eu lieu. Le protecteur excessif avait sans doute jugé prudent de ne pas étaler que sa famille abritait un dépravé en son sein, pouvant ternir leur nom, et avait préféré ne rien dire sur ce dont il était au courant. Quand je n’ai pas eu de nouvelles de mon ami, je craignais qu’il ait eu affaire à un autre membre de famille d’un de ses amants, appréciant peu de voir un frère ou autre s’adonner à une nuit de perversion à ses yeux. Raison pour laquelle j’avais pris le risque de venir, sans avoir prévenu au préalable Ciaran de ma venue, pensant devoir jouer les négociateurs pour éviter qu’il ne se retrouve à nouveau avec le visage tuméfié, et à moitié mort sur le sol.
C’est en se remémorant tous ces moments de mon passé avec celui qui était devenu mon meilleur ami, alternant bons et mauvais côtés, que je m’apprêtais à lire le journal pouvant m’apprendre la raison de son état. Alors que celui-ci était toujours plongé dans le silence, en dehors de quelques menus plaintes par moments, m’obligeant à me lever pour vérifier s’il ne succombait pas au mal l’ayant envahi et dont j’ignorais toujours ce qui en était la cause. M’étant assuré de la stabilité de sa respiration, tentant à nouveau de le faire réagir, en vain, je revenais à mon fauteuil respectif, rallumais ma pipe s’étant éteinte suite à mon déplacement intempestif, et ouvrais le fameux journal…
CHAPITRE 2 : RIDGWELL
Connaissant ma passion pour les faits étranges, mon cousin Ethan est venu me voir pour me conter le récit d’un homme qui avait sollicité l’aide de son père. L’inconnu a débarqué un soir au beau milieu d’une réunion familiale, arguant du fait que personne ne voulait chercher ne serait-ce qu’écouter plus avant ses propos parmi les personnalités de la ville, dès lors qu’il évoquait les faits étranges se déroulant à Burdlow, la petite ville d’où il venait. Lewis Thornton, le père d’Ethan, a d’abord très mal pris qu’un étranger à la ville vienne interrompre de manière indélicate une soirée fort appréciée. D’autant que Mr. Thornton écoutait avec fierté la prestation de sa fille Ilona au piano. Elle venait d’être acceptée au sein d’une prestigieuse école de musique, et ses professeurs ne tarissaient pas d’éloges sur elle et son avenir. Cette interruption avait eu le don de l’irriter profondément. Malgré tout, fidèle au flegme qui avait fait sa renommée dans les milieux bourgeois, il accepta de recevoir l’être hirsute qui se trouvait sur le parvis de la maisonnée.
Il s’excusa durant un court instant auprès de sa fille et son épouse, indiquant qu’il allait s’entretenir un bref moment avec leur visiteur au tempérament rustre. Ce à quoi les deux femmes lui pardonnèrent, sans toutefois pouvoir cacher leur inquiétude de savoir Lewis seul avec un homme montrant une tenue négligée, dont l’attitude et la présence effrayait un brin les autres membres présents. L’inconnu, qui se présentait sous le nom de Ridgwell, remercia humblement Mr. Thornton, tout en montrant son embarras d’avoir brusqué leurs festivités de façon aussi désinvolte. Chacun hocha la tête en signe de pardon, laissant l’homme prendre le pas de son hôte. Ce dernier lui ayant convié de le suivre jusque dans son bureau. Dans un souci de sécurité compréhensible, il demanda également à Ethan de les accompagner. Mr. Thornton n’ignorait pas le talent de son fils dans les sports nobles de combat, tel que le pugilat. Il savait qu’il serait d’un grand secours dans le cas où le dénommé Ridgwell en viendrait à s’emporter, s’il n’obtenait pas l’écoute désirée de son histoire de la part de son hôte d’un soir.
Ethan s’exécuta et les trois hommes s’engouffrèrent dans le bureau, pendant que la petite fête reprenait sur les recommandations de la maîtresse de maison, enjoignant chaque convive à oublier ce regrettable incident imprévu, et enjoignant Ilona à continuer de charmer l’assistance de sa musique. Une fois installé sur le fauteuil de son bureau et invitant Ridgwell à s’asseoir sur une chaise amenée par Ethan, celui-ci restant debout à proximité et prêt à intervenir si la situation s’envenimait, Mr. Thornton demanda à l’homme de dévoiler ce qui l’amenait.
– Encore une fois, je vous demande pardon d’avoir gâché votre petite fête. Mais je ne savais plus à qui m’adresser. J’ai essuyé refus sur refus à mes demandes de m’écouter. Dès que j’employais le mot “monstre”, tous ceux à qui j’ai rendu visite dans le but de m’aider m’ont courtoisement invité à repartir d’où je venais. Ceci sans prendre la peine d’en savoir davantage. J’ai ouï dire de votre gentillesse et votre facilité de compréhension auprès des pauvres gens comme moi. Une réputation qui n’est plus à faire, tellement elle fait la fierté de la ville, de ce que j’ai pu comprendre. Je ne voyais plus que vous pour m’entendre jusqu’au bout.
Impassible, Ethan a voulu intervenir. Mais son père a fait un geste de la main, anticipant ses paroles, avant de s’adresser au pauvre bougre devant lui. L’homme arborait une barbe mal taillée, parsemé de boue. Ce qui pouvait être le fait d’un jet de flaques au passage d’une calèche avant sa venue ici, ou quelque chose de similaire. Sa tenue froissée, montrant des auréoles d’un liquide résultant sans doute d’une absorption d’un quelconque alcool, ses mains calleuses, sa chevelure négligée… Tout indiquait l’appartenance de Ridgwell à une caste sociale moindre et un voyage dépourvu de tout confort, pouvant faire supposer que l’homme avait fait son trajet jusqu’à Providence en usant seulement de ses chaussurres. Ne pouvant probablement pas s’acquitter de l’argent nécessaire pour se servir de moyens de transport plus adéquat à un tel voyage.
Mr. Thornton connaissait la distance séparant Burdlow, forte de plusieurs dizaines de kilomètres de distance, pour s’y être rendu par le passé. C’était sans doute la raison pour laquelle il ne s’est pas offusqué de l’apparence peu ragoûtante de son interlocuteur. Il rassurait son invité :
– Trève de bavardages, Mr. Ridgwell, si tel est bien le nom que vous m’avez précisé tantôt. Qu’importe. Je ne suis pas là pour vous juger. Comme vous l’avez si bien dit, j’ai en effet cette faculté de ne pas rabaisser les petites gens. Vous et moi sommes des êtres humains après tout. Contrairement à mes semblables, je ne vois pas l’intérêt de négliger la parole d’un homme, sous le prétexte qu’il n’appartient pas au même monde que le mien. Vous pouvez me relater votre récit sans crainte de moqueries ou de signes de dédain de ma part. J’espère seulement que cela vaudra la peine d’avoir dérangé une fête familiale qui m’est chère.
Ethan, suivant les propos de son père, bien qu’étant encore quelque peu circonspect, confirmait :
– Mon père est un homme de parole. Cela fait partie également de sa popularité auprès de la populace de cette ville. Que ce soit de la part des hauts dignitaires, des commerçants ou bien des gens issus des bas-fonds. Tous lui accordent le même crédit de confiance. Quel que puisse être le contenu de votre histoire, il ne se permettra pas de vous juger. Si tant est que cela reste dans une certaine forme de réalisme, et n’appartenant pas à une fable sortie d’une bouteille.
Ridgwell se tourna alors vers Ethan :
– Je vous assure monseigneur, que tout ce que je vais dire n’a rien d’une pochade de comptoir. J’ai vu de mes yeux les évènements que je m’apprête à vous révéler.
Mr. Thornton s’interposait :
– Le monseignneur est de trop. Je ne suis pas d’un niveau assez élevé pour mériter un tel titre. Soit. Je suis tout disposé à vous croire, Mr. Ridgwell. Mais cessons ces préambules de courtoisie et venez-en au fait. Mon temps est précieux, et à l’heure qu’il est, je ne vous cache pas que je préfèrerai me trouver dans l’autre pièce. Ceci afin de ravir mes oreilles de la musique produite par ma chère fille. Et je pense que mon fils ici présent sera du même avis.
Ethan approuva les propos de son père :
– Tout à fait. D’autant que l’entrée à l’académie musicale qui sera désormais le foyer de ma soeur dans les mois à venir nous privera de sa présence et de son talent durant un long moment. Aussi bien mon père que moi avons déjà été assez indulgent d’accepter de nous priver du plaisir de son art pour vous entendre. Faites en sorte que nous n’ayons pas à regretter d’avoir concédé ce sacrifice.
Baissant les yeux un instant, Ridgwell se confondait en excuses, tout en réitérant l’exactitude de ses propos :
– Croyez bien que je suis désolé de vous priver de la prestation de votre fille, Mr. Thornton, à vous et votre fils. Si j’avais pu éviter de venir vous déranger à cette heure et vous enlever à votre soirée, je n’aurais pas hésité une seconde à le faire. Mais comme déjà dit précédemment, je ne voyais que vous pour me croire et faire en sorte que quelqu’un sauve les gens de Burdlow de la créature qui y vit…
Interrogatifs à cette dernière phrase, Lewis et Ethan ne dirent mot, montrant du regard une certaine impatience. Ce que Ridgwell perçut immédiatement et il s’engagea alors à détailler son aventure.
CHAPITRE 3 : L'ECOLE MAUDITE
“ Comme je vous l’ai déjà précisé, je me nomme Ridgwell. Ridgwell Furlord. J’officie en tant que modeste employé affecté au ménage et d’autres tâches au sein de l’Église de Burdlow. Le père Thorin a eu l’amabilité extrême de m’offrir le gîte et le couvert au sein de son lieu de vie, accolé à la Nef. Je venais de perdre mon commerce, par suite d’un incendie qui m’a réduit à une vie misérable. Je n’avais pas les moyens de faire reconstruire, et mes créanciers, peu soucieux de mon malheur, n’ont fait que me précipiter vers le fond d’un abîme social dont je ne voyais pas l’issue. Le père Thorin, qui me connaissait depuis mon arrivée au sein de la bourgade, a eu pitié de ma condition. Il s’est affairé à négocier avec ceux qui me réclamaient de leur rembourser les sommes avancées pour des produits que je n’avais pu leur fournir, et pour cause.
Il s’est engagé à ce que je les dédommage, par le biais du salaire qu’il me fournirait pour un travail en tant qu’homme à tout faire. Ce qu’ils acceptèrent. Le travail était dur et peu glorieux, mais n’ayant pas d’épouse ni d’enfants à charge, je me félicitais déjà d’être le seul à pâtir de ma condition de vie guère avenante. Je sentais bien le regard médisant des ouailles venant à la messe le dimanche, ou encore celle des enfants passant à proximité de l’Église, en me voyant affairé à mes pénibles travaux. Ils me surnommaient “le crasseux” à cause de ça, n’ayant pas toujours le luxe de me laver aussi souvent que je le désirais. Le père Thorin restreignant l’usage de sa salle de bains à certains jours. Je n’étais pas dupe : malgré sa relative gentillesse, j’étais conscient que s’il m’avait proposé ce travail pour éponger mes dettes, c’était parce qu’il y voyait son avantage.
J’étais un domestique servile, dont le salaire était entièrement reversé à mes débiteurs. Pour la plupart d’entre eux, c’étaient des clients lésés par la destruction de mon magasin, ce qui leur avait occasionné des pertes considérables de leur côté. Car ayant dû avoir recours à des rabais pour ne pas perdre leur propre clientèle, mécontente du retard des marchandises commandées, du fait de ma mésaventure. Le Père Thorin m’avait fait don de son hospitalité par intérêt, et je voyais bien le dégoût que je lui inspirais parfois. Pendant que lui mangeait de la viande saignante et juteuse à souhait, moi je devais me contenter de plats bien plus modestes. Je n’avais pas droit aux fruits et autres desserts, qu’il se réservait. Même quand des ferventes paroissiennes apportaient des tartes ou des pâtisseries pour lui et moi, car ayant pitié de ce que je devais endurer comme labeur chaque jour, ma bouche n’en goûtais jamais un gramme.
Je ne me plaignais pas pour autant, car je restais reconnaissant de la piété du Père Thorin. Bien que celle-ci ne soit pas totalement emplie d’une franchise certaine. L’Église se trouvait non loin de l’ancienne école de Burdlow, fermée depuis près de 20 ans. Je n’étais pas au fait de toutes les raisons ayant conduit à l’abandon de celle-ci. Tout juste avais-je entendu des racontars parlant du lynchage des enseignants en poste à l’époque de son activité par les habitants de la ville. Une action qui fit suite à la colère des parents dont les enfants suivaient les cours à ladite école. Les bambins revenaient exténués de leurs journées, leurs visages blêmes, perdant l’appétit. Le médecin officiant à cette période ne comprenait pas l’origine de ces déflagrations de l’état du corps des jeunes enfants. Mis à part une singulière marque à la base de leur cou.
Cependant, les parents avaient leur idée sur la question. Ils étaient persuadés que les enseignants recouraient à des expériences sur eux, et s’en servaient comme cobayes pour des objectifs allant à l’encontre de l’Église. Burdlow ayant toujours eu une population très croyante depuis sa fondation, on pointait du doigt les professeurs jugés coupables de s’adonner à des processions d’ordre satanique. Ce qui pouvait expliquer l’état dans lequel les enfants étaient réduits. Pour les parents comme le reste des habitants, ces derniers étant solidaires du désespoir affiché par leurs voisins et amis, il devenait évident que quelque chose se déroulait au sein de l’école. Quand plusieurs décès d’enfants endeuillèrent des familles, la coupe fut pleine.
Un cortège se rendit à l’école. Les enseignants furent pris à partie par la population, entraînés au dehors par une population en furie. Pour sauver leurs enfants, il était impératif pour ces hommes et ces femmes de mettre un terme de manière définitive aux agissements de ceux qu’ils désignaient comme des adorateurs de Satan, se servant de leur progéniture à des desseins monstrueux. Bien que la mairie et le prêtre en place cette année-là tentèrent de modérer la colère légitime des habitants, rien n’y fit. Plusieurs cordes furent installées aux arbres jouxtant l’école, et les quatre enseignants furent pendus. Cependant, l’un d’entre eux manquait à l’appel : le directeur de l’établissement. Toute l’école fut fouillée, vandalisée, à la recherche de celui qu’on soupçonnait avoir fui, car ayant eu vent de la révolte de la population de Burdlow les visant, lui et les professeurs sous ses ordres. Il ne fut pas retrouvé. Ni dans l’école, ni ailleurs dans les alentours. Et ce, malgré une traque de plusieurs jours opérée dans les jours suivant le lynchage collectif.
Par la suite, pensant l’endroit maudit par les actes des supposés adeptes d’un culte voué à l’adoration de Satan, pour lequel on offrait l’énergie vitale des enfants présents, il fut décidé qu’il ne servirait plus jamais à une quelconque fonction. L’absence d’appareillages scientifiques ou similaires n’ayant pu être découverts au sein de l’école, cela avait dû accentuer encore plus la conviction de tous que seules des pratiques sataniques, perpétués par les dirigeants de l’établissement, pouvait expliquer ce qui était arrivé aux enfants. Étant souillé, les lieux ne pouvaient plus servir à enseigner, ou quoi que ce soit d’autre comme activité. Les portes furent barricadées, afin que plus personne ne puisse accéder à l’intérieur de la bâtisse.
Je n’ai jamais véritablement cru à la véracité de cette histoire. Étant arrivé à Burdlow 5 ans après les faits supposés pour y établir mon commerce, j’ai pensé à une sorte de légende locale pour justifier l’abandon de l’école. Celui-ci était plus vraisemblablement dû à des difficultés financières devenues compliquées à mon sens, entraînant la fermeture. Quant aux maladies dont les enfants étaient atteintes, si tant est que cet épisode avait véritablement eu lieu, il était possible qu’il fût causé par l’absorption de plantes toxiques par les élèves, sans que ces derniers n’en ait fait mention à leurs parents. Sans doute par peur de se faire réprimander s’ils avaient avoué leur faute. Concernant le lynchage, difficile de connaître la vérité à ce sujet. Vu que les arbres qui jalonnaient autrefois le périmètre de l’école ont tous été coupés et les troncs et racines enduits de substances à base de chaux, dans le but manifeste d’empêcher toute repousse.
Toutefois, j’ai entendu certains racontars de la part de mes clients, parmi ceux vivant à Burdlow et ne constituant qu’un faible ratio de mon commerce, parlant d’une silhouette aperçue parfois la nuit, tout près de l’école abandonnée. Une ombre furtive qui profitait du brouillard enveloppant la plaine pour dissimuler ses sorties. Je mettais ça au même niveau que l’histoire de l’établissement lui-même. Un désir de forger des histoires effrayantes pour dissuader quiconque de s’approcher du lieu maudit. J’ai changé d’avis quand j’ai moi-même été témoin des pérégrinations de cette silhouette, une nuit où le sommeil refusait de m’envahir. Le Père Thorin dormait dans sa chambre, et je préférais ne pas prendre le risque de le réveiller. J’avais commis cette erreur une fois, et j’ai encore les traces de ses foudres sur le dos.
Car oui, entre autres exactions de mon bailleur et employeur, il m’arrivait fréquemment d’être soumis à des punitions d’ordre physique lorsque je commettais des erreurs. Un retard dans l’exécution d’une tâche imposée ; la chute d’un panier de courses dans la cuisine, ayant rendu impropre à la consommation les fruits appréciés par mon geôlier ; ou encore le fait de m’accorder une pause à l'ombre par temps de grosse chaleur. Chacun de ces faits conduisait à des coups de cravache sur mon dos, à l’abri des regards bien évidemment. Le Père Thorin ne voulant pas que l’on puisse s’interroger sur sa prétendue bonté. Bonté qu’il réservait plus particulièrement à toute femme célibataire désireuse de s’imprégner de "l’esprit de Dieu” par le biais de son corps. Je pense que vous avez compris de quoi je parle, sans que j’aie la nécessité de vous détailler ces moments couverts par l’excuse d’aller confesser des pécheresses à leur domicile.
Bon, je ne vais pas vous indiquer plus en profondeur tous les travers cachés de ce “bon” Père Thorin. Ce n’est pas important, et je les ai déjà suffisamment décrits. Quoi qu’il en soit, le réveiller en pleine nuit, pendant qu’il cuvait le vin de messe abondamment ingurgité lors du repas du soir de la veille, ça faisait partie des erreurs à ne pas commettre, si je ne voulais pas recevoir à nouveau l’obligation de me faire “pardonner” à coups de cravache de sa part. C’est donc en prenant moult précautions, pour ne pas perturber le sommeil du Père Thorin, que je me suis rendu dehors. Après avoir revêtu des habits décents, je comptais sur la fraîcheur de la nuit pour me revigorer l’esprit, en effectuant quelques pas. Après une longue balade, j’espérais que la fatigue encourue me permettrait de retomber dans les bras de Morphée. Pour ne pas prendre le risque d’être dénoncé par un éventuel passant de mon échappée nocturne auprès du Père Thorin, je suis sorti par la petite porte arrière. Celle donnant sur l’horizon dans lequel était plongée la fameuse école que je vous ai évoquée auparavant.
Cette nuit-là, il y avait une mince couche de brouillard, comme cela arrivait souvent à cette période de l’année. En cause : les vastes étendues d’eau du lac situé à proximité de l’école, près du petit bois. Ce qui fait que la silhouette était facilement visible. De là où j’étais, il m’était difficile de percevoir les détails de la personne. Tout ce que je voyais, c’était sa grande taille apparente. Mais ce pouvait être dû à la capuche qui semblait orner sa tête. J’étais sûr de ça, car il y avait aussi une petite brise ayant fait basculer celle-ci à plusieurs reprises, et la silhouette a dû la remettre en place à chaque fois. J’ai nettement vu le mouvement de ses mains se diriger vers le sommet du crâne pour effectuer ce geste. Elle paraissait se déplacer en direction de la ville. Par mesure de précaution, j’ai préféré rester immobile. Ceci en restant caché derrière un pilier du bâtiment de l’Eglise, pour ne pas me faire remarquer.
Le brouillard s’est peu à peu épaissi, et j’ai perdu sa trace. Mais plus encore que sa direction et son allure mystérieuse, ce qui m’a étonné fut de constater qu’elle semblait être sortie de l’intérieur de l’école abandonnée. C’était très surprenant, sachant que de mémoire, personne ne s’approchait de cet endroit, pour les raisons dont je vous ai déjà parlé. Pris de curiosité, je m’interrogeais sur l’identité de la figure vue dans le brouillard, et son apparente indifférence au statut maudit de l’établissement scolaire d’où elle paraissait venir. J’aurais dû m’envelopper de plus de prudence et m’abstenir de la moindre investigation plus avant. Mais c’était plus fort que moi. Cette silhouette et son éventuel lieu de vie m’intriguait au plus haut point. Je désirais ardemment découvrir ce qui pouvait se cacher au sein de cette école, objet de toutes les craintes de la plupart des habitants de Burdlow de ce que j’en savais depuis plusieurs années où je m’y étais établi. Je voulais comprendre pourquoi ce lieu suscitait autant de peur dès lors qu’on l’évoquait.
Les rares personnes parmi mes connaissances ayant pris le risque de m’en parler, dont mes clients, s’étaient entourés d’une discrétion inhabituelle pour me divulguer avec menus détails l’aura de mystère tournant autour de ce lieu au passé sinistre. Prenant soin de vérifier que personne d’autre que la silhouette perdue de vue pouvait se trouver dans les alentours, je me remplissais de hardiesse et de témérité pour me diriger vers l’école, espérant y trouver de quoi répondre à mes interrogations. À la fois sur la véracité des rumeurs entourant les lieux, mais aussi pour comprendre la raison de la présence de ce promeneur nocturne, dont la mission qu’il semblait s’être adjugée, si je prenais en compte son pas alerte en direction de la ville, restait obscure et hautement étrange. Pourquoi s’auréoler d’autant de précautions pour ne pas être vu, en profitant du brouillard inhérent à cette région ? Est-ce que cela pouvait être si préjudiciable que quelqu’un de la ville sache qu’une personne puisse vivre au sein de cet endroit maudit ?
En cours de chemin, je repensais à un détail : le directeur de l’école, faisant partie intégrante de ce que je considérais autrefois comme une fable, celui ayant échappé à la pendaison et la vindicte populaire, n’avait jamais été retrouvé par personne. Et pourtant, de ce que j’avais pu comprendre, toute l’école avait été fouille de fond en comble. En ce cas, par quel miracle avait-il pu échapper aux groupes de recherches le traquant sans relâche ? Se pouvait-il que le bâtiment puisse jouir d’une ouverture dérobée, connue de lui seul, et qui lui avait sauvé la mise ? Autre chose était troublant : Les faits ayant conduit à l’exécution sauvage des 4 enseignants dataient de 20 ans déjà. Et lors des révélations confiées par des confidents discrets, il m’a été indiqué que le directeur accusait le vénérable âge de 57 ans à l’époque. Ce qui voulait dire qu’il aurait aujourd’hui 77 ans.
De ce que j’avais pu me rendre compte tout à l’heure, la vitesse de déplacement de la silhouette ne correspondait pas vraiment à quelqu’un ayant un âge si avancé. Je ne me prétendais pas expert en la matière bien sûr, n’ayant pas fait de hautes études sur le sujet. Mais de ma propre expérience, me basant sur des personnes que je connaissais, dépositaires de la même ancienneté d’existence, je n’ai jamais été témoin d’un vieillard capable d’une telle dextérité dans ses mouvements, aussi leste soit-il. C’était un mystère supplémentaire. Ce qui commençait à faire beaucoup et m’enjoignait à m’enhardir encore plus à me glisser au cœur du bâtiment du lieu frappé de malédiction que représentait cette école. Ni une, ni deux, je continuais de m’enfoncer dans les épaisses volutes de vapeur émanant du sol, et parvenais devant l’objet de ma quête.
Bien qu’en partie masqué par une forte bruine, je devinais la vétusté des pierres constituant la bâtisse. Je manquais de m’étaler au sol à plusieurs reprises, après avoir buté contre des pierres ou des morceaux de toiture. Je ne devais qu’à mes réflexes, aussi vif que l’éclair, de ne pas rencontrer de trop près le plancher des vaches, où se trouvait peut-être d’autres vestiges enfuis de leur emplacement originel, et pouvant me blesser gravement si mon visage s’y était cogné prestement. De nombreuses fenêtres étaient parées de longues planches de bois sommairement positionnés en travers des vitres, empêchant tout accès. Néanmoins, malgré le peu de visibilité, je pouvais facilement deviner que le temps ayant fait son ouvrage, leur fragilité ne devait pas se montrer être un réel obstacle à quiconque voudrait pénétrer en ces lieux. Les portes qui se montraient à moi étaient également surmontées des mêmes structures boisées, cloutés dans l’encadrure les composant.
À première vue, je ne constatais pas d’ouverture pouvant permettre l’accès à l’intérieur. Mais je ne me laissais pas abattre par la déception et inspectait le reste du bâtiment. Je trouvais ainsi ce que je recherchais : une ouverture suffisamment large pour permettre le passage du corps d’un homme. C’était très peu perceptible, et la personne l’ayant pratiqué avait pris grand soin à ce qu’elle ne soit pas visible de manière trop évidente. Je profitais de cette brèche pour m’engouffrer dans ce qui allait se révéler le théâtre d’un cauchemar sans nom, et raison de ma présence auprès de vous, Mr. Thornton…
La pénombre qui régnait à l’intérieur était tellement dense que j’avais bien du mal à me diriger. Étrangement, il y avait pourtant quelques endroits pourvus d’une légère clarté venant du sol, filtrant à travers les lames du plancher craquant sous mes pas. Ce qui n’était d’ailleurs pas pour me rassurer, car ne m’entourant pas de l’effacement relatif dont j’aurais voulu faire preuve pour explorer cet environnement loin d’être rassurant, aussi loin que mon regard pouvait porter. Ces filets de lumière venaient du sous-sol. Peut-être que c’était l’antre servant de résidence au mystérieux inconnu encapuchonné. Il avait apparemment une telle assurance de ne pouvoir être surpris ici, qu’il n’avait pas pris la peine d’éteindre après son passage. Ou probablement était-ce volontaire pour justement se mouvoir plus facilement. Ceci en suivant les traits lumineux du plancher comme je le fis à ce moment de mon excursion teinté d’angoisse.
Sans doute n’avait-il pas prévu de rester au-dehors pour une longue période. J’ignorais le pourquoi de son escapade hors d’ici, mais sans cela et mon insomnie imprévue, je n’aurais jamais pu avoir la confirmation de son existence, et encore moins que cet endroit était son refuge. Continuant à suivre le chemin tracé par les rais de lumière du sol, tout en observant le décor lugubre se présentant autour de moi, dont le délabrement faisait froid dans le dos, j’apercevais ce qui ressemblait à une vieille lampe à huile, posée sur un petit meuble baigné dans les toiles d’araignées qui en avait fait leur territoire. J’avais toujours sur moi un briquet que j’utilisais habituellement pour allumer le bougeoir me servant de système d’éclairage au sein de ma chambre. Le Père Thorin ne jugeant pas indispensable de me faire bénéficier d’une source de lumière décente, comme il y en avait dans le reste des modestes appartements nous servant d’habitation commune. Ceci dans un souci d’économie, tel qu’il le concevait.
Si cette lampe possédait encore un volume de liquide suffisant pour encore fonctionner, je me retrouverais ainsi avec un élément propre à mieux dissiper les ténèbres dans lesquelles j’étais plongé depuis mon entrée en ces lieux. Je prenais la lampe en main, soulevait le globe de verre, tournait la petite mollette servant à réguler le flux du réservoir d’huile, et approchais mon briquet préalablement allumé. Je fus soulagé en constatant que la lampe, malgré son grand âge, était toujours en état de marche. Ce qui m’apporterait une aide substantielle dans mon parcours et hautement appréciée. Je déambulais avec plus de sérénité, maintenant que j’avais en ma possession de quoi calmer quelque peu ma peur consécutive à cet endroit, dont chaque partie semblait plus effrayante que la précédente.
Le papier peint décrépi ; le plancher vermoulu qui me faisait craindre de me retrouver en bas plus vite que je ne l’aurais souhaité ; les ombres projetées par l’effet de la lumière de ma lampe sur des objets ou des meubles pourtant anodins, les transformant en source d’effroi ; tout ceci contribuait à augmenter ma terreur au fur et à mesure de mon chemin. Je trouvais des portes ouvertes, où je jetais parfois un œil furtif. Il y avait des classes parsemées de fournitures scolaires et autres documents étalés au sol, signe sans doute de la lutte ayant opposé les habitants de Burdlow aux professeurs qui enseignaient ici. J’en avais la confirmation en apercevant ici et là des taches brunes sur le sol ou les pupitres destinés aux élèves ayant étudié ici. Je reconnaissais en elles le résultat de projections de sang. La lutte entre les parents et les enseignants avait dû être musclée et sans retenue. D’autres pièces se révélaient être des remises où s’entreposait pêle-mêle du matériel de nettoyage, dont j’étais familier pour en utiliser moi-même fréquemment, des boites à archive que je devinais contenir des documents administratifs propres au fonctionnement de l’établissement, ou d’autres objets plus incongrus.
Parmi eux des chapelets bien différents par leur aspect de ceux qu’on a l’habitude de voir au sein d’églises, ou encore des boites en bois sculptées, et contenant diverses lames. Comme des dagues ou des couteaux de la même teneur. Le dessus et les contours de ces boites étaient parsemés d’une étrange écriture que je n’avais jamais vue. Cela ressemblait à un langage très ancien. Ce n’était pas du latin, ayant l’habitude de lire ce dernier. Ni du grec, bien qu’il comportât des similitudes. N’étant pas familier des langues anciennes, je serais bien incapable de préciser l’origine de ces signes. D’autres objets étaient plus inquiétants encore et semblaient promptes à confirmer la thèse de pratiques occultes au sein de cette école : des étoles noires où étaient dessinées des pentagrammes autour desquels se trouvait cette même écriture mystérieuse ; des calices gravés de ce qui ressemblait à des représentations de démons ailés ou diverses autres créatures monstrueuses, aux aspects défiant l’imagination ; et plusieurs bougies de couleur noires, elles aussi disposées dans des écrins là encore munis de ces curieux signes. C’était très perturbant, et je n’étais pas au bout de mes surprises.
CHAPITRE 4 : YORLOTH
Suivant toujours la lumière émanant du plancher, et cherchant une issue pouvant me mener au sous-sol, je parvins finalement à découvrir une porte. Je tournais le loquet, et l’ouvrais. Je percevais nettement une lumière plus diffuse provenant du bas de l’escalier situé derrière la porte. Dire que je ne ressentais pas une certaine appréhension de ce qui pouvait se trouver en bas serait mentir, au vu des bizarreries trouvées précédemment. Malgré cela, je prenais mon courage à deux mains, et descendais l’escalier. Il y avait une odeur indéfinissable qui emplissait l’atmosphère, très désagréable, qui agressait mes narines. Cela ressemblait à de l’encens, mais en bien plus fort. Ce n’était pas de la sauge non plus. Je pouvais identifier cette plante sans hésiter, et ce que je sentais était tout autre. Plus je descendais, plus l’odeur était forte, et je dus apposer une des manches de ma tenue pour ne pas suffoquer.
Curieusement, à force de la respirer, et bien que mes yeux eussent également souffert des teneurs toxiques propres à cette odeur tout juste supportable, je m’habituais peu à peu. Sans pour autant ne plus ressentir de gêne, je n’avais plus cette envie de vomir qui avait envahi ma gorge auparavant, lorsque j’avais poussé la porte menant à cet escalier. Après plusieurs mètres me faisant penser à une véritable descente aux enfers, je parvenais à une grande salle où figuraient plusieurs bibliothèques. La clarté ambiante étant abondante, j’éteignais ma lampe qui ne m’était plus d’utilité pour l’instant. Les livres figurant sur les étagères ne manquaient pas de me surprendre. Si, au départ, leur présence au sein d’un établissement scolaire me parut plutôt naturel, en voyant les titres des ouvrages, je comprenais que ce qui se passait autrefois au sein de cette école n’avait véritablement que peu de rapport avec tout ce qui se rapportait avec l’éducation de jeunes enfants.
“Traité de la sorcellerie à travers les âges”, “Les astres lointains et leurs occupants”, “La dimension d’Holvarth”, “Les mondes oubliés”, “Invocations et sortilèges”, “Comment nourrir un dieu du cosmos”, “Envoûtements”… Des d’œuvres venant d’auteurs inconnus aux sujets qui me firent frissonner. Quelle pouvait bien être l’utilité de telles lectures pour des enseignants ? Sur les murs figurait à nouveau cette écriture qui m’avait tant interrogé. Des textes entiers recouvrant la quasi-totalité de la surface des parois. Ainsi que des dessins de bêtes horribles, positionnées sur des astres au sein d’un ciel étoilé qui n’était pas le nôtre. Je suis féru d’astronomie depuis mon plus jeune âge, et je peux affirmer que rien de ce qui se trouvait présent sur ces murs ne ressemblait à notre ciel et l’univers connu.
Parmi les nombreuses écritures, il y avait aussi des passages comportant un système d’écriture plus habituel, mais non moins incompréhensible. Aucun humain n’était capable de prononcer un tel langage. En tout cas, de ce que j’en savais. Cela ressemblait plus à une suite de lettres placées au hasard, sans sens logique, séparées parfois de traits et d’apostrophes semblant marquer une forme de ponctuation. Du moins, c’était ce qui me venait à l’esprit. Néanmoins, certains mots sortaient du lot. Si on peut appeler ainsi cet ensemble qui paraissait être une retranscription de babillages exprimés par un bébé. “Yorloth” ; “Nyargh” ; “Tyaverth”, “Gilth” “Tyrauth” étaient ceux qui apparaissaient le plus souvent. Sur un autre mur, au milieu d’autres inscriptions adoptant le même principe d’écriture, je pouvais lire d’autres noms à la phonétique proche et plus conforme à une certaine compréhension de langage de ma part : “Cthulhu”, “Azathot”, “Yog-Sothot”, “Cthugha”, “Shub-Niggurath”.
De par leur mode, et au vu des livres positionnés sur les étagères des bibliothèques présentes dans cette salle aux titres évocateurs, je supposais qu’il devait s'agir de sortes de divinités cosmiques, des entités vivant au-delà de notre univers, faisant vraisemblablement l’objet d’un culte. Je me posais la question si les enseignants ayant officiés ici s’étaient trouvé être les membres d’une congrégation sectaire, vouée à adorer ces créatures aux noms étranges. Je remarquais que plusieurs livres gisaient au sol. Certains comportaient des pages déchirées, et des couvertures montraient des signes de brûlures ou de piétinements. Les habitants de Burdlow en colère ayant investi les lieux avaient dû découvrir cette salle, les livres, ainsi que les inscriptions sur les murs. Ils en ont vraisemblablement déduit que leurs soupçons de satanisme étaient fondés. Mais ils se trompaient.
De ce que je voyais et comprenais, ça ne ressemblait pas à une secte ordinaire dédiée à des démons classiques, telle que ceux listés par Collin de Clancy en 1818. Bien qu’il y ait plusieurs ouvrages dédiés à la sorcellerie, dont une édition originale du Pseudomonarchia Daemonum, il m’apparaissait que ce n’était qu’une forme d’outil pour satisfaire aux besoins des divinités évoqués à travers le langage des écrits figurant sur les parois de la pièce. Tout à ma surprise de ce qui se trouvait ici, et répondant à certaines de mes questions, ma gorge se serra quand j’entendis le son de pas descendant l’escalier qui m’avait permis d’atterri ici… Le personnage mystérieux semblait avoir fini sa quête et revenait à la maison. J’étais en proie à la panique la plus totale : j’avais perdu la notion du temps et je me retrouvais coincé. Si le maître des lieux me trouvait au sein de son refuge, je ne donnais pas cher de ma peau. Je ne pouvais pas jurer qu’il puisse être à même de commettre un meurtre pour faire perdurer le secret de son existence, mais je pouvais être assuré qu’il ne me laisserait pas repartir, au vu du risque que je représenterais pour lui si je ressortais de cette école.
J’avais beau observer tout autour, je ne voyais rien qui pouvait prétendre à me cacher, et le son des pas se faisaient plus perceptibles. Ce qui était le signe que l’homme régissant les lieux, quel qu’il soit, se rapprochait. Je remarquais alors que les espaces entre les bibliothèques pouvaient permettre de m’y glisser. La profondeur étant assez vaste, il me serait aisé de s’y cacher, sans que je puisse être vu au passage de l’inconnu s’apprêtant à revenir ici. Je ne voyais aucun lit ou nécessaire à vivre décemment. Ni cuisine, ni mobilier ou quoi que ce soit d’autre pouvant apporter le confort d’une vie de reclus. Il était plus que probable qu’il dormait ailleurs et se servait des pièces inhérentes aux repas, lorsque l’école était active, pour faire cuire sa nourriture. Du moins, c’était ce que je supposais. Je me trompais.
Me plaquant dans ma cachette inconfortable mais salutaire, je vis passer l’homme mystérieux. Son visage étant enfoncé profondément dans les replis de la capuche qu’il arborait et faisant partie d’une tenue en tout point conforme à celle d’un moine des temps anciens. Ce qui ne me permit pas de voir ses traits. J’ignorais donc toujours de quoi pouvait bien avoir l’air l’occupant des lieux. Je n’y avais pas prêté attention, mais tout au fond de la salle, accolé sur les parois de pierre taillées, figuraient des statues sur lesquelles trônaient des lampes. L’homme fit basculer la tête de l’une d’elles sur le côté gauche et une paroi coulissa, donnant l’accès à ce que je percevais comme une autre salle. Une fois qu’il eut franchi l’ouverture, je m’attendais à ce que le passage soit refermé par ses soins, mais il n’en fut rien. Ce qui faisait que je ne pouvais pas fuir sans risquer d’être vu par l’inconnu. Je n’avais d’autre choix que d’attendre qu’il daigne bien remettre le pan de mur en place, ou repartir je ne savais où.
De là où j’étais, je ne voyais pas grand-chose, mais j’entendais des incantations proférées par l’homme. Sa manière de parler me faisait penser à ce qui composait cet étrange langage vu à de nombreuses reprises. Que ce soit dans cette salle ou à l’étage composant l’essentiel de l’école. Cela donnait l’impression de déglutissements et de suffocations. J’étais impressionné par sa facilité de s’accommoder à reproduire vocalement ces écrits mystérieux, mais l’heure n’était pas à admirer celui qui pouvait vite devenir un ennemi capable d’attenter à ma vie, s’il découvrait ma présence. Cependant, tant que l’ouverture du mur n’était pas refermée, j’étais piégé dans ma cachette. Lors de son passage, il avait le regard fixé devant lui. Ce qui fait qu’il n’avait pas pu se rendre compte où j’étais. Un élément sur quoi je comptais en adoptant cette cachette spartiate. Mais quand il reprendrait le chemin inverse, il n’était pas certain que je puisse obtenir la même chance, et je serais à sa merci.
Il faut croire que j’étais béni, car quand l’homme ressortit de l’autre pièce, semblant avoir fini ce qu’il était venu y accomplir, il se contenta de refermer le passage, puis, de la même manière qu’il était venu, avança droit devant lui, sans même se tourner vers les bibliothèques dans lesquelles je me dissimulais. J’attendais de ne plus entendre le son de ses pas montant l’escalier avant de daigner souffler et sortir de mon repaire provisoire. Dès que ce fut le cas, je retrouvais le plein usage de mes mouvements et me préparais à remonter en haut à mon tour. C’est là que je commis une énorme bourde. Poussé par ma curiosité maladive, j’exprimais alors le désir de savoir ce qui pouvait bien se cacher au sein de cette pièce secrète. Il m’apparaissait évident que c’était à cet endroit qu’il s’était dissimulé lors des recherches effectuées par les habitants le traquant dans l’enceinte de l’école. Ce qui expliquait pourquoi ils ne l’avaient pas retrouvé, n’ayant pas eu l’idée de manipuler les statues cachant le mécanisme d’ouverture du passage. Ils avaient dû être bien trop occupés à déverser leur rage sur une partie des livres se trouvant dans la salle, avant de se remettre à continuer leur poursuite dans le reste de l’établissement et au-dehors.
J’ai tenté de résister à l’envie d’ouvrir ce passage et savoir ce qui s’y tramait, ainsi que la raison pour laquelle l’inconnu s’était mis à psalmodier ces cantiques étranges. Cependant, c’était plus fort que moi. Ignorant toute prudence, je me suis rapproché de l’endroit où figuraient les statues et j’ai procédé au même rituel observé depuis ma cachette, inclinant la tête de la statue de droite. Celle ouvrant le passage. Une fois ouvert, je pénétrais dans l’autre salle. Devant moi se trouvait une immense fosse recouvrant la quasi-totalité de la pièce. Là non plus, je ne voyais aucun lit, ni d’installations propres à assurer un mode de survie. Tout au plus se trouvait sur le côté droit une autre bibliothèque, plus réduite celle-ci. Accolé à elle une petite table où figurait une bassine, des bougies noires et un pentagramme dessiné sur le mur surplombant le tout. À proximité de la fosse, se trouvait un lutrin sur lequel figurait un livre ouvert. Ce devait être celui comportant les étranges invocations proférées par l’inconnu l’instant d’avant. Voulant assouvir ma curiosité pleinement, je me suis dirigé vers l’endroit où se trouvait l’ensemble.
L’intérieur du livre était composé de la même écriture vue auparavant, écrite avec une encre rouge. Les textes entouraient d’autres dessins de ces créatures figurant sur les murs de l’autre salle. Sur chacun d’entre eux, je retrouvais les noms lus au travers des passages des paragraphes inscrits sur les parois de la pièce adjacente. “Azathoth”, “Shub-Niggurath”, “Nyargh”, “Gilth”… Ainsi que d’autres : “Dagon”, “Nyarlathotep”, “Lasgurth”, “Pilthoth”. Je m’attardais sur l’un d’entre eux. Je ne savais pas pourquoi, mais ce nom m’attirait plus que les autres. Je comprendrais plus tard que j’avais sans doute ressenti les pensées psychiques de ce qui se trouvait dans la fosse. Une forme de transmission de pensée m’incitant à réciter une des incantations présentes dans le livre, prévue pour éveiller la chose dans la fosse. Celle-ci était endormie, c’est ce que j’ai compris par la suite, mais son esprit traversant le temps et l’espace parvenait à se défaire de son état léthargique, pour s’immiscer dans mon cerveau, conscient que je pouvais être celui qui la sortirait de son sommeil.
J’étais pris dans une sorte de transe sans m’en rendre compte, et je me suis mis à lire ce qui se trouvait sur le page dédiée à Yorloth. Le nom de la chose présente dans la fosse. Je ne sais pas comment, mais j’ai soudainement eu la faculté de lire parfaitement ce curieux langage.
“Ly’Hk-Tyth Rogh’Na R’lykh Yorloth Dugt’Kla !
Im’Nar Vlakh Tnar-Slok Fragh’ Krol’Ta Nriy !
Sdi’Gh Kyui-Lakh Vrut’Rtlu Krigh’Orth Zufr !
O’Lgy N’yalh A’Ptag F’Ngyah Lok’Fag Yorloth !
À peine avais-je fini de réciter l’invocation ou quoi que ce soit que ce puisse être, un grondement sourd ébranla l’intérieur de la fosse. J’étais incapable de bouger, figé comme un bloc de pierre qu’on aurait fixé au sol. J’ai alors vu une masse informe émerger, munie de deux yeux immenses sur le dessus de ce qui semblait être son crâne, d’où sortait de gigantesques tentacules. Des dizaines de gueules béantes recouvraient le reste de son corps s’élevant vers le plafond, côtoyant d’autres paires d'yeux. Plusieurs tentacules sortaient de son dos et ses flancs, et remuant dans tous les sens. Nombre d’entre eux se dirigèrent vers moi, palpant mon cou, enserrant mes bras et mes jambes. J’aurais sans doute fini dans le même état que les enfants de ce que je pensais être des rumeurs auparavant, si l’homme mystérieux n’était pas revenu à ce moment, découvrant la faute que je venais de commettre.
– Pauvre fou ! Qu’as-tu fait, malheureux ! Yorloth ! Tu as réveillé Yorloth !
Je l’ai alors entendu réciter à son tour des phrases de la même teneur que celle que je venais de proférer, sans savoir comment j’avais fait pour les prononcer :
“Ly’kth Fr’Ak Ia Yorloth ! Ign’Im Yol-Nrukh Om’Na !
It’Ngh Im-Tuk Fryk’Nya ! Or’Dret’Zo Yorloth !
La créature répondant au nom de Yorloth sembla alors réagir avec colère aux paroles, montrant sa fureur. Elle libéra mon corps, mais c’était pour mieux projeter ses tentacules sur les murs et le sol, avant de briser la petite bibliothèque en hurlant. Comme s’il s’agissait d’un enfant à qui on vient d’ordonner de lâcher son jouet. C’est vraiment l’impression que j’ai eue. L’homme me prit alors par le bras, me sortant de ma torpeur.
– Sors d’ici ! Vite ! Je vais tenter de calmer Yorloth. Je vais essayer de le ramener à la raison pendant que tu fuiras. Il n’aurait jamais dû être réveillé ! Toutes ces années de labeur anéanties par ta faute… Le cauchemar va recommencer et c’est toute la ville qui va en pâtir. Yorloth voudra encore plus de nourriture désormais…
Je me remettais à peine de la transe subie, et j’eus du mal à croire ce que je voyais devant moi. Le Père Thorin ! Le mystérieux personnage dans la brume, c’était lui ! Je… Je croyais qu’il dormait dans sa chambre… Qu’est-ce que ça voulait dire ? Je n’eus pas le temps de lui demander. Pendant que le monstre semblait montrer moins de vigueur à abattre ses tentacules dans la pièce, le Père Thorin me cria presque dessus :
– Vas t’en ! Fuis la ville le plus vite possible ! S’il sait que tu es dans les parages, il voudra te retrouver ! Faire de toi son esclave ! Ou te vider de ton énergie vitale comme il l’a fait autrefois avec les enfants qui étaient ici… Je sais comment le satisfaire, mais toi, tu dois partir… Pars ! Tout de suite !
Je ne comprenais pas tout, mais ce qui fut certain, c'était que cette monstruosité semblait s’intéresser fortement à moi. J’avais l’impression soudaine d’être considéré comme un casse-croûte savoureux aux yeux de cette créature infernale. Sans chercher à en savoir plus sur ce qui en était, j’ai couru droit devant moi pendant que j’entendais le Père Thorin réciter à nouveau d’autres phrases. Ceci dans le but de calmer le fameux Yorloth. Je me souvenais avoir vu son nom sur les parois de la grande salle aux côtés d’autres. Exactement comme dans le livre. Je me souvenais des ouvrages aux titres étranges. Yorloth devait être une de ces divinités venant d’un autre univers que le nôtre. J’ignorais ce qui l’avait amené ici, dans quelles circonstances, mais sur l’instant présent, c’était le cadet de mes soucis. Seul m’importait de m’éloigner le plus possible de cette fosse, de cette école, de cette ville. Conformément aux ordres lancés par le Père Thorin.
Alors, j’ai fui. J’ai couru à perdre haleine, remontant les escaliers sans même prendre le temps de m’emparer de ma lampe. J’ai dû trébucher et me cogner mille fois durant ma course à travers les couloirs de l’école, avant de retrouver la pièce qui m’avait permis de pénétrer dans ces lieux où régnait cette bête immonde. Une fois dehors, j’ai couru de plus belle sans regarder derrière moi, sans même prendre le temps de m’arrêter à l’Église pour y récupérer des affaires. Dans la panique, je suis tombé à nouveau de nombreuses fois. Sans doute à cause de la peur, de l’adrénaline qui me submergeait, je ne ressentais même pas la douleur. Je me relevais, traversait la ville endormie, sans trop savoir où j’allais. Une seule fois, j’ai regardé en arrière, en direction de l’école se trouvant au loin. Je me suis senti rassuré en constatant qu’elle n’avait pas été ravagée par la sortie de cet être de cauchemar venue du cosmos. Le Père Thorin devait être parvenu à la contrôler, ne serait-ce que momentanément.
Je repensais aux paroles de ce dernier. Il avait dit que le cauchemar allait recommencer, que c’était ma faute, que je n’aurais pas dû le réveiller. Je supposais que les incantations qu’il avait récitées lorsque j’étais dans ma cachette avait pour but de veiller à ce que Yorloth reste endormi. J’avais tout gâché à cause de ma foutue curiosité. Fuyant la ville, j’ai pu me trouver un abri sur le chemin au sein d’une vieille grange abandonnée depuis des lustres, faisant partie d’une ancienne ferme. Le lendemain matin, j’ai continué à marcher. J’ai bien tenté de trouver quelqu’un de suffisamment serviable et épris de compassion pour m’emmener vers la ville la plus proche. Mais vu mon aspect, mes habits déchirés et remplis de boue à cause de mes innombrables chutes, je n’inspirais que le dégoût et la crainte de la part de celles et ceux croisant ma route. Lorsque j’ai fini par atteindre une première ville, j’ai voulu m’adresser à des notables pour leur expliquer ma mésaventure. Je leur ai dit que Burdlow risquait de subir ce qu’elle avait déjà vécue par le passé. A cause de moi. J’expliquais qu’il fallait venir en aide au Père Thorin s’il en avait la nécessité.
Je pensais que si des personnes avec de hautes relations savaient ce qui en était, elles seraient à même de rencontrer le Père Thorin et s’entretenir avec lui pour savoir comment contrer Yorloth. L’aider à le rendormir ou faire cesser sa menace à jamais. Si tant est qu’il soit possible d’anéantir ce monstre, ce dont je doute fortement. Quelle arme actuelle serait capable de mettre fin aux agissements d’une telle créature ? D’autant que j’ignore de quoi le Père Thorin est le détenteur. Je sais maintenant qu’il est le directeur qui était en place il y avait 20 ans de ça. J’ignore comment, mais son visage a changé, il a été modifié. Raison pour laquelle personne n’a fait de lien entre lui et l’affaire de l’école. Je suppose que c’est Yorloth qui est la cause de son changement d’apparence. Personne ne m’a cru. On me prenait pour un fou échappé de l’asile. Certains ont même tenté de faire appel à la police pour qu’elle m’enferme. Ils pensaient que j’étais un danger pour la population et pour moi-même à divulguer de telles histoires sans queue ni tête.
J’ai continué à voyager de ville en ville, jusqu’à arriver à Providence, où je n’ai pas eu un meilleur accueil de la part de la haute bourgeoisie et des personnes influentes. C’est alors qu’on m’a parlé de vous, Mr. Thornton. Des personnes des bas-fonds de la ville m’ont vanté vos actions. Des personnes qui, elles, croient aux monstres, mais sans pouvoir m’aider. Cela à cause de leur position sociale et leur réputation déplorable. En désespoir de cause, je suis donc venu à vous ce soir, en espérant que vous, vous serez plus à même de me croire.”
CHAPITRE 5 : RENCONTRE
Ethan et son père se sont murés dans un long mutisme, ne sachant que penser de cette histoire abracadabrante, s’interrogeant du regard l’un et l’autre. Ridgwell s’en aperçut.
– Vous ne me croyez pas vous non plus, n’est-ce-pas ? Alors personne ne me croira. Je ne peux pas vous blâmer remarquez. Moi-même, je me demande parfois si je n’ai pas rêvé. Mais mes cauchemars, les blessures sur mon corps me rappellent que ce n’est pas le cas.
Mr. Thornton brisa alors le silence dans lequel il s’était installé.
– Mr. Fuldorn. Ridgwell. Croyez bien que j’aimerais vous croire, sincèrement. J’ai été témoin jadis de certains faits incroyables et dépassants l’entendement humain. Soyez en certain. Cependant, mettez-vous à ma place : si je racontais mot pour mot ce dont vous venez de me faire part, je serais perçu comme un illuminé, au même titre que vous l’avez été. Je ne dis pas que tout ce que vous avez vécu n’a pas une part de réalité, mais pour faire intervenir des hautes instances capables d’agir à Burdlow, j’ai besoin de preuves concrètes. Êtes-vous en mesure de me fournir de telles preuves ? Vous avez indiqué avoir vu certains objets avec des inscriptions étranges. Cela pourrait apporter de l’eau au moulin, si je puis dire.
Ridgwell baissait la tête.
– Malheureusement, j’étais tellement en panique à ce moment, je craignais tellement pour ma vie, que je n’ai pas pensé à ramener quoi que ce soit qui puisse confirmer un tant soit peu ce que j’ai vu là-bas…
Ethan intervint à son tour.
– C’est bien tout le problème. Pour que mon père puisse obtenir l’appui de ses relations, elles-mêmes ayant des contacts avec des personnes compétentes en la matière, ce qui n’est pas simple au vu du sujet, vous en conviendrez, il faut des preuves. Sans cela, nous ne pourrons rien faire. Parler de votre aventure en l’état ne ferait que porter le discrédit sur le nom de notre famille. On nous pointerait du doigt en indiquant que nous croyons aux fables d’alcooliques ou de déments.
– Je n’ai jamais bu de ma vie, Mr. Thornton. Pas une seule goutte.
– C’est tout à votre honneur. Mais votre tenue, l’odeur qui émane de vous indique tout le contraire.
– C’est à cause des gens chez qui j’ai été hébergé. A l’inverse de moi, ils tentent d’oublier leur condition dans le vin et d’autres substances. Et il est arrivé que l’un d’eux renverse le contenu de son verre sur mes vêtements. Mais je vous assure que je ne je n'aiai jamais touché à la moindre bouteille d’alcool.
Le père d’Ethan reprit :
– Mr. Fuldorn. Je pourrais vous attribuer des circonstances atténuantes sur ce fait. Mais les personnes que je connais ne seront pas aussi magnanimes que moi. Comme l’a si bien dit mon fils, je ne peux pas prendre le risque de voir ma réputation entachée par une histoire de monstre sévissant à Burdlow. Le scandale et les moqueries seraient un désastre pour ma position. Sans compter que la carrière future de ma fille, promise à un grand avenir musical, j’en suis certain, serait compromise.
Comprenant qu’il avait échoué à se faire entendre une nouvelle fois, Ridgwell se préparait à se relever et à repartir, la tête basse, quand Ethan fit une proposition.
– Attendez, Mr. Fuldorn. J’ai peut-être une solution à vous proposer, qui ne sera pas préjudiciable au nom de notre famille, et qui devrait vous satisfaire.
Se rasseyant, le regard fixé sur Ethan, Ridgwell écouta avec attention ce qu’Ethan avait à lui dire.
– Voyez-vous, j’ai parmi mes amis quelqu’un qui pourrait se révéler très intéressé par votre cas. Je sais qu’il parcourt le pays à la recherche de divers témoignages comme le vôtre. Il a une passion pour les enquêtes, disons… un peu spéciales. Tout ce qui a trait aux légendes, aux fables et aux monstres, ça fait partie intégrante de ses sujets de prédilection. J’ai cru comprendre qu’il consigne tout ce qu’il a vu et entendu lors de ses voyages dans des carnets. Cela dans le but de rédiger un livre qui relatera l’ensemble des cas sur lesquels il s’est attardé. Je suis persuadé qu’il serait ravi de s’occuper du vôtre.
Mr. Thornton, voyant à quoi son fils voulait en venir, renchérit :
– Je connais bien ton ami, Ethan. C’est une personne censée qui est souvent venu dîner chez nous. J’ai toujours eu grand plaisir à entendre ses récits. Je dirais même que c’est lui qui est parvenu à me démontrer l’existence de phénomènes fabuleux. J’ai toute confiance en lui. S’il enquête à Burdlow et qu’il en ramène des éléments indiscutables révélant la véracité de vos propos, Mr. Fuldorn, je suis prêt à reconsidérer la question et demander à mes relations d’approfondir les investigations de cette personne, que je sais hautement qualifiée dans le domaine.
– Je me porte également complètement garant de lui. Il a une très bonne réputation dans la bourgeoisie, et même si les cas sur lesquels il a enquêté prêtait à suspicion, il a toujours su démontrer leur crédibilité. Il y a même certaines instances scientifiques qui l’ont maintes fois désigné comme un homme de parole sur lequel on peut compter et qui ne raconte pas de fariboles dignes des tripots les plus mal famés.
Ridgwell voyait son sourire revenir.
– Si vraiment votre ami peut m’écouter comme il se doit et révéler la menace se trouvant à Burdlow, je suis prêt à le rencontrer toute séance tenante !
Mr. Thornton, ravi de la tournure des choses, rajouta :
– J’en suis fort aise, Mr. Fulborn. Bien. Je pense que mon fils ne verra pas d’opposition à ce que je le désigne comme parlementaire auprès de son ami afin de lui exposer cette affaire. Nous lui transmettrons votre adresse, ou du moins un lieu où vous pourrez vous rencontrer. Ce qui permettra de parler de tout ceci en détail, y compris certains que vous auriez omis de nous évoquer, et il vous indiquera de quelle manière il compte prendre en charge votre affaire. Cela vous convient-il Mr. Fulborn ?
Ridgwell affichait un grand sourire.
– Tout à fait, Mr. Thornton. Vous n’imaginez pas à quel point je suis rassuré. La menace vivant à Burdlow est réelle. Et si votre ami peut contribuer à ce que de hauts dignitaires autres que vous puissent parvenir à éteindre le danger dans l’œuf, ce sera avec joie que je m’entretiendrai avec lui.
Ethan souriait à son tour, tout en s’adressant à nouveau à Ridgwell.
– Parfait. Cirian, c’est le prénom de mon ami, peut parfois se montrer un peu exubérant, et être souvent un peu trop familier avec les hommes. Ce qui lui a, de temps à autre, causé quelques légers soucis avec certaines familles. Toutefois, c’est un homme sérieux et très professionnel dans tout ce qu’il entreprend. En particulier quand cela concerne tout ce qui touche au surnaturel. Vous devriez bien vous entendre. Je me charge de lui faire part de votre requête dans les prochains jours, et il vous recontactera par mon intermédiaire dans un premier temps.
– Très bien. Merci beaucoup, Mr. Thornton. Dieu puisse vous bénir de votre bonté !
Le père d’Ethan ricana légèrement.
– Je crains bien que le seigneur ne m’ait pas vraiment en odeur de sainteté, ni mon fils. La religion ne fait pas tout à fait partie de nos priorités. Sans vouloir vous offusquer le moins du monde, Mr. Fulborn…
– Non, je vous en prie. Je respecte votre position, ne vous en faites pas.
Voyant que l’affaire était conclue, Mr. Thornton se leva de son fauteuil, et s’approcha de son invité.
– Bien. Ceci étant dit, que diriez-vous de passer la nuit dans notre demeure ? J’insiste : cela vous permettra de vous débarrasser de vos haillons, de retrouver une odeur faisant de vous un homme plus digne, et même de profiter du talent de pianiste de ma fille. Ethan : dis au majordome de préparer une chambre pour Mr. Fulborn et de lui fournir des habits neufs, ainsi qu’une tenue de nuit.
Ridgwell montrait un air gêné.
– C’est trop d’honneur, Mr. Thornton. Je ne sais pas si je peux accepter…
Ethan l’interrompit.
– Mr. Fulborn, quand mon père a une idée en tête, je peux vous assurer que rien ne le fera changer d’avis. Contentez-vous d’accepter d’être notre hôte privilégié pour cette nuit, et ne vous inquiétez de rien d’autre.
Ainsi, Ridgwell accèda à la demande de Mr. Thornton et son fils. Quelques jours plus tard, j’eus la bonne surprise de voir Ethan me rendre visite en ce jour du 10 juillet pour m’exposer ce dont je viens de retranscrire fidèlement.
22 juillet.
J’ai pu enfin rencontrer Mr. Fulborn. Nous avons eu une discussion passionnante. Il m’a appris que le père d’Ethan venait de l’engager en qualité de jardinier, le poste étant vacant depuis quelques jours, suite au départ de ce bon vieux Mr. Tilton. Avec ses 75 printemps, il avait bien du mal à poursuivre ses activités. L’arrivée de Ridgwell et ses connaissances appréciées en botanique, ce dont ce dernier s’est confié lors de conversations avec Mr. Thornton, est tombé à point nommé. Ridgwell m’a rapporté quelques détails supplémentaires sur le Père Thorin, les habitants les plus emblématiques de Burdlow, ainsi que les meilleures adresses où il me sera aisé de louer une chambre afin de séjourner sur place. Après avoir pris congé de mon invité, je me suis empressé de réserver un billet de train pour me rendre à Burdlow la semaine suivante. N’ayant pas entendu parler de fin du monde ayant débuté au sein de cette ville, et que donc la menace avait peut-être été freinée par le Père Thorin dont Ridgwell m’a détaillé les travers et habitudes, j’en ai conclu qu’il me restait du temps. J’en ai profité pour décommander certains rendez-vous galants, et rassembler de quoi contribuer à enquêter en toute quiétude à Burdlow. J’ai fait part de mon départ prochain, sans préciser quoi que ce soit sur le but de mon voyage, à ce cher Milton. Je sais qu’il piaffe d’impatience d’entendre le récit qui découlera de cette aventure, et je dois avouer que, moi-même, j'ai grande hâte de percer les secrets de Burdlow et le monstre qui y sévit…
À suivre...
Publié par Fabs
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