Rapport de Titan I concernant la mission d’exploration avortée de la station Titan V - Année stellaire 149.5, Jour 59, 21 h 12
Avant que vous puissiez écouter le journal de bord émanant de l’expédition partie explorer le Kraken Mare, je tiens à préciser que c’est moi, Stephen Hörst, qui ait en possession ledit rapport, et vous le fournit donc ce jour, après l’avoir récupéré au sein de la capsule immergeable de communication, à environ 3 miles marins du lieu où se situait le bathyscaphe du groupe de recherches, comme nous l'avons constaté plus tard. N’ayant plus eu de nouvelles de l’équipage depuis 2 jours, moi et mes collègues avons eu l’idée de nous rendre en direction de la masse rocheuse susceptible d’être le point de sortie du submersible, espérant comprendre la raison de ce silence radio. En chemin, nous avons détecté le signal de la balise contenu au sein de la capsule, et avons donc effectué le rapatriement de cette dernière au sein de notre propre appareil sous-marin.
Une fois à notre bord, et après avoir écouté le contenu du message, nous avons décidé, d’un commun accord, de nous rendre là où Travis Langford, le chef de la section scientifique de Titan 5, ai indiqué s’être rendu avec son équipage avant que cessent toute communication de sa part. Malheureusement, nous n’avons pu nous approcher suffisamment près pour opérer à une mission de sauvetage de l’équipage. La zone était peuplée de créatures de Catégorie DP6 en grande majorité, ainsi que deux spécimens de Catégorie DP 9 et un de Catégorie DP 8. À savoir un groupe de plusieurs Saurienopodes de diverses espèces, et 3 autres troupes composées de Banshianorpes, de Rinocarpiens et de Mélanocétacés moyens. Le DP 8, un Selas, tournait en rond autour d’une zone que nous supposions, à ce moment, être celle où avait vraisemblablement échoué le Demeter, le bathyscaphe prêté à la station Titan V. Les deux DP9, appartenant à l’espèce des MyoNarvals, eux, se contentaient d’observer. Il est probable qu’ils attendaient que le Selas revienne avec sa proie en gueule, pour le déposséder ensuite de sa pitance. Ce qui serait conforme à ce que nous avons déjà pu étudier lors de précédentes observations de cette espèce hautement dangereuse, et nous ayant déjà donné du fil à retordre à Titan I. Ceci à cause de leur propension à s’intéresser de très près à la partie immergée de notre station. Là où se situe les laboratoires et les salles d’études des fonds marins de la mer intérieure de Titan.
À ce titre, sachant qu’il est risqué d’attirer l’attention des MyoNarvals, nous avons jugé préférable de nous mettre en retrait, et attendre que, aussi bien les DP8 et les DP9, se lassent et repartent d’eux-mêmes hors de la zone. Notre appareil n’ayant qu’une autonomie de 3 heures, et n’ignorant pas la patience des Selas et des MyoNarvals quand il s’agit d’obtenir une proie potentielle, nous avons dû, à notre grand regret, nous résigner à laisser sur place une sonde de surveillance et revenir vers Titan I. Là-bas, nous avons scrupuleusement observé les images transmises par la sonde. Ce n’est qu’après 8 heures que nous avons pu confirmer le départ du Selas, et par là même celles des MyoNarvals, nous laissant ainsi tout champ libre pour inspecter le fond de la zone. Je pense que le Selas pensait bénéficier d’une sortie opportune d’un des membres d’équipage du Demeter pour attaquer. Cela en profitant de la brèche de l’ouverture du sas de l’engin sous-marin pour effectuer une ouverture susceptible de lui permettre un large accès au reste de l’équipage, qu’il soit toujours en vie ou non.
Les Selas ne sont pas réputés pour leur prise de risques, et nous savons aussi que les MyoNarvals, qui ne sont jamais très loin de leurs zones de chasses, ne sont pas plus téméraires. Ils n’attaquent que s’ils sont sûrs du succès de leur entreprise, et sont constamment à l’affût des actes des catégories leur étant inférieures. Quoi qu’il en soit, une fois ce danger écarté, nous avons pu nous rendre sur les lieux et plonger plus profondément avec notre propre bathyscaphe, une fois constaté le départ des DP8 et DP9. Les DP6 ne présentant pas de menaces, au vu de nos observations ultérieures, ils n’ont pas été une gêne pour nos recherches. Nous avons pu repérer l’épave gisant au fond, et actionné les pinces d’amarrage pour remorquer le Demeter jusqu’à Titan I. Là-bas, nous avons pu le positionner au cœur du quai 4 de la station, situé en surface, et ouvrir le sas de l’extérieur à l’aide de chalumeaux de découpe plasma. Lors de la récupération du submersible, nous nous étions déjà rendu compte que le véhicule sous-marin avait été comme broyé sur plusieurs parties, ce qui correspondait aux indications laissées sur le message de Travis.
Je ne cache pas que nous avons été déçus de notre inutilité sur ce coup, n’ayant pu venir en aide à temps à l’équipage du Demeter. En grande partie à cause de la présence sur la zone d’échouage des DP8 et DP9, compliquant notre intervention. Nous ignorons quelles seraient les conséquences d’une tentative forcée de faire fuir ces espèces, au vu de leur masse corporelle dépassant celle d’un cachalot de la Terre. Recourir à cette méthode aurait été suicidaire. D’un autre côté, si nous avions pu remarquer l’émission du signal de la capsule de communication plus tôt, sans doute aurions-nous pu arriver avant que ces mastodontes ne soient présents. Est-ce que cela aurait permis de sauver une partie de l’équipage ? A l’heure actuelle, je ne peux pas émettre une hypothèse valable dans ce cas précis. Le rapport de Travis spécifiait bien le décès potentiel de ses compagnons, et son propre sort était déjà joué, au vu de la décision dont il a fait part à la fin de son rapport. Les corps ont été rapatriés à l’intérieur de Titan I pour être étudiés et autopsiés en profondeur. Mes collègues ont constaté la présence massive de radiations émanant de la surface des corps, alors qu’il n’y avait aucune trace à l’intérieur du Demeter. Exactement comme cela était spécifié sur le message posthume de Travis.
Ce qui implique que la créature évoquée dans ce même rapport est capable d’émettre des ondes irradiantes en ciblant une masse organique, sans que cela atteigne son environnement. Ce qui va à l’encontre des lois physiques connues sur Terre. Deux corps, sur les 6 que comptait l’équipage, sont actuellement placés en caisson d’isolation bactérienne de norme Nucleo-Vcare, de manière à prévenir toute contamination. Que ce soit par irradiation ou par n’importe quel parasite résultant de l’exposition de l’onde envoyée par la créature détaillée dans le rapport de Travis.Un dépistage renforcé a été effectuée à tous ceux ayant été en contact, de près ou de loin, des corps lors de leur transport, dès lors que nous avons confirmé la présence de radioactivité sur les cadavres. Le transport de ces derniers a été effectué par une équipe munie de tenues CHEM 3, afin de prévenir toute éventualité. Les 4 autres corps ont été cryogénisés par l’injection préalable de cryoconservateurs à base de glycérol de type CI-VM-15, la génération de produits cryoniques en vigueur depuis les 20 dernières années, garantissant une conservation du corps sans émission de cristaux de glace dans le corps. Ce qui aurait pu gêner les études ultérieures de ces derniers par la suite, dans le but d’approfondir celles des deux corps en caisson d’isolation. Je vous tiendrais informé ultérieurement des données récoltées par cette opération.
Pour l’heure, je vous laisse écouter maintenant le rapport de Travis Langford sur les détails de l’exploration du Kraken Mare et ayant fait apparaître plusieurs faits étonnants sur les lacs de Titan. Comme la “connexion” entre certains d'entre eux par le biais de canaux souterrains, et plus encore l’existence d’un véritable tunnel aquatique raccordant le Kraken Mare à la mer Intérieur de Titan...
Journal de bord du Demeter - Année Stellaire 149.5, Jour 55, 19 h 34
Depuis vos dernières instructions, le mois dernier, où vous nous exposiez vos attentes concernant la découverte de nouvelles créatures aquatiques au sein de la zone des lacs de Titan, dont nous avons la charge, la situation a nettement évoluée. Ceci depuis les premières périodes d’observations, en nous basant sur les relevés de nos confrères de Titan II concernant les espèces vivant aux abords des rares étendues d’eau de la zone des Dunes. Notamment les CADES et leurs aptitudes de mimétisme, ayant causé la mort de deux des membres de l’expédition avant même d’atteindre la région des sables qu’ils devaient explorer. Les drones d’exploration d’appellation UEAV envoyés entretemps nous ont permis de constater la présence effective de créatures appartenant à une espèce proche des CADES. Cependant, ces spécimens semblaient un peu différents de ceux rencontrés par l’équipe de Titan II. Contrairement à ceux vivant près de la zone jouxtant la région des sables, ces CADES là étaient dans la capacité de se dresser debout, mais ne recourait à cette méthode de déplacement qu’à de rares occasions. L’évidente atrophie de leurs membres inférieurs leur empêchant de se mouvoir de manière récurrente hors de l’élément liquide. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas moins dangereux pour autant.
Grâce aux drones, nous avons été témoins de leur férocité sans commune mesure avec la race des sauriens à laquelle ils doivent leurs noms, et du spectacle terrible de cannibalisme dont ils semblent avoir recours. Une nécessité due sans doute à la grande profusion de leur population, comme nous le démontrerait plus tard les sondes à basse fréquence envoyées au sein de plusieurs lacs de la zone. Si les CADES de la zone proche des sables de Titan, du fait de leur mode de déplacement à quatre pattes, leur assuraient une vitesse d’attaque rapide et puissante, ceux observés dans notre région de recherche se montraient plus lents en termes d’attaque. Mais cela concernait une observation de leur comportement vis-à-vis de leurs semblables, les créatures s’adonnant à une sorte de rituel de préparation avant l’attaque proprement dite, quand il s’agissait d’affrontements internes à leur race. Du fait de leur différence anatomique assez flagrante avec ceux croisés par l’équipe d’exploration de Titan II, nous avons nommés cette espèce Bisarcosuchus, ou BIRCO pour simplifier sa prononciation. Les BIRCO ont une apparence plus proche du plus grand crocodile qu’ai connu l’histoire de la terre : le Sarcosuchus Imperator, véritable terreur des côtes du Brésil et du Niger à l’ère du Crétacé. Du fait de la largeur des pattes arrière, leur procurant donc la capacité de se dresser debout sur de courtes périodes, leur stature se montre plus imposante.
Et je peux vous dire que dès qu’ils sont en position debout, la peur émanant de leur existence s’en voit décuplée. La férocité de leurs attaques surpasse celle des CADES. La longueur de leur gueule leur procure également un avantage non négligeable au combat rapproché. Nous avons toutefois remarqué qu’un BIRCO ne s’attaque volontairement qu’à un de ses congénères que si ce dernier s’avère être plus faible que lui. Jamais nous n’avons constaté un jeune s’en prendre à un spécimen plus âgé, si ce n’est pour se défendre de l’assaut de celui-ci. En revanche, à l’opposé de ce que sa dangerosité pourrait faire supposer, et nous l’avons constaté lors de nos préparatifs de plongée aux abords du Kraken Mare, les BIRCO semblent se méfier des simples humains que nous sommes, et plus particulièrement des armes que nous possédons.Moi et mes collègues en sommes même venus à penser que cette crainte pourrait être dû à un phénomène de communication groupée, au même titre que les Speeders de la zone des plaines qui ont causé la quasi-extermination de l’équipe d’exploration de Titan IV. Si cela se confirmait lors d’autre études par nos collègues de Titan V, cela signifierait à terme que les CADES et les BIRCO sont capables d’assimiler un mode de communication dépassant tout ce qui existe sur Terre, à titre de comparaison. La distance énorme séparant les CADES de la zone des sables et les BIRCO présents au sein de notre région fait supposer une capacité télépathique hors normes. De l’ordre de celle générée par les sonars des chauve-souris terrestres.
Il semble évident que les BIRCO craignent l’usage des AED en notre possession. Un autre fait troublant que nous avons constaté : les créatures ont montré également une méfiance des HOPE, tout comme l’ont fait les Speeders de la zone des plaines. Ça semble aberrant dit comme ça, mais cela pourrait supposer une communication inter-espèces pour prévenir d’un danger commun aux monstres de Titan. L’observation via les drones nous a aussi montré la présence d’autres espèces, mais de moindre danger, appartenant aux catégories DP 2 à 3. A ce jour, nous avons répertoriés une hiérarchie décomposée en 8 classes, allant de DP1 à DP9. La catégorie incluant les MyoNarvals de la zone océanique de Titan I et sujette à plusieurs inquiétudes de la part de nos collègues officiant là-bas, du fait de leur masse dépassant tout ce qui a été observé jusqu’alors sur Titan. Vous n’êtes pas sans ignorer que cette classification prend en compte le degré de dangerosité de chaque espèce. Ce qui inclut la masse et les capacités des défenses naturelles de l’animal sous la forme d’appendices visibles ou rétractables. Voire éjectables dans certains cas, comme les EchinoScolopendre de la zone des Labyrinthes qui peuvent envoyer des épines au poison mortel à plusieurs mètres de distance. Sont également pris en compte la vitesse de déplacement, la dentition, la vue, les facultés de communication intra-espèce, et d’autres dispositions pouvant assurer une domination en termes d’affrontements, tel le mimétisme des CADES et des BIRCO.
A ce titre, ces derniers appartiennent tous les deux à la catégorie DP5. Les speeders font partie de la classe des DP6. Les vers de la zone des sables sont des DP7. Et je n’oublie pas les animaux marins tels les Selas, qui sont des DP8, et les MyoNarvals qui représentent le haut de la chaine en tant que DP9. Les DP 1 à 4 incluent les Smilotalpides et les lycocides de la zone des Montagnes, tout comme d’autres créatures qui peuvent être maitrisés à l’aide d’armes appropriées. La capacité de résistance à ces mêmes armes est également déterminante à l’appartenance à une catégorie pour tous ces monstres abominables peuplant Titan, cet enfer spatial, et me faisant me demander si l’on pourra un jour développer des armements et des structures à même de contrer efficacement l’ensemble des menaces vivant sur la surface de cette lune de Saturne. Je n’ose imaginer ce qu’il peut y avoir au sein d’Encelade, qui sera le prochain objectif de Genetech et du Consortium Terrestre, si cet astre réunit les mêmes conditions vitales pour d’autres créatures, et pouvant donc mettre à mal la colonisation de cette autre lune.
Je sais que nous ne sommes que des scientifiques, et que notre rôle doit se limiter à observer, analyser et étudier en profondeur la géologie de Titan, sa faune et sa flore. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de penser aux conséquences à long terme de notre invasion vaine, face aux multiples dangers de Titan. Et je ne parle pas uniquement des espèces animales. De ce que j’ai pu comprendre de la part de nouvelles expéditions de la nouvelle structure de la station Titan III, remplaçant l’ancienne ravagée par l’attaque conjointe des Lycocides et des Smilotalpides, il existe des plantes n’ayant rien à envier aux créatures titanesques responsables de la mort de dizaines de nos collègues. Des plantes émanant des gaz toxiques pouvant ronger les chairs, provoquer des hallucinations à même de faire perdre le sens des réalités à ceux y étant exposés, et ce, même avec le port de tenues de type NRBC CPS nouvelle génération. Les pores de ces plantes sont capables de pénétrer à travers les fibres de nos tenues, en se faufilant le long des 5 couches de tissu en nanocarbone, jusqu’à parvenir à s’introduire dans les canaux sanguins, après s’être déposés sur la peau.
D’autres plantes, proches des Dionées terrestres, mais de taille plus gigantesques et semblant sortis tout droit d’un remake de “La petite boutique des horreurs”, ont été la cause d’autres morts effroyables dans cette région de Titan. La zone des labyrinthes n’est pas exempte d’une flore tout aussi dangereuse et mortelle, comme les Rafflebum. Ces fleurs au parfum enivrant ayant les mêmes capacités pénétrantes se jouant de la complexité de défense de nos tenues, possèdent en elle des propriétés hallucinogènes terribles, en plus de provoquer des irradiations d'une teneur en millisievert hautement dangereuse. Plusieurs membres d’expéditions de Titan VI en ont fait les frais. Ils étaient dans un tel état de délire qu’ils ont ôté leurs tenues, les exposant encore plus aux capacités des Rafflebum, et causant des brûlures cutanées effroyables, réduisant les corps touchés à l’état de torches vivantes. D’autres plantes se sont révélées être de véritables bombes s’amorçant au toucher. Et ce qui allait se révéler au sein du Kraken Mare ne serait pas mieux, révélant une menace tout aussi importante, et se cachant au cœur du tunnel reliant le plus grand lac de Titan à la Mer Intérieure.
Mais j’anticipe. Après avoir observé les agissements des BIRCO et des créatures moindres venant à l’occasion près des lacs éphémères de la zone, comme les inoffensifs Alliovarecs, les Neurolopes ou les Vissoserpidés de diverses variétés, nous avons décidé qu’il était temps d’organiser une expédition afin d’approfondir les données relevées grâce aux drones envoyés sur place. C’est d’ailleurs grâce à ces merveilleux engins high tech que nous avons confirmé l’existence d’un phénomène d’oscillation de circulation de Brewer-Dobson entre la zone équatoriale de Titan et la zone des lacs. Deux zones pourtant diamétralement opposées, mais liées intrinsèquement. Des images, au fil des semaines et des mois précédant notre sortie, nous ont montré, en regroupant les informations avec celles récoltées par nos collègues de Titan II et III, que les lacs de l’astre étaient alimentés par des pluies de méthane et d’éthane. La conséquence d’une circulation atmosphérique globale de l’air troposphérique de la zone équatoriale de Titan, montant dans la stratosphère gazeuse de la lune, gorgée déjà de ces substances en quantité. Concrètement, cette oscillation “aspire” la condensation des lacs éphémères de l’équateur de l’astre et les transporte jusque dans le Pôle Nord du satellite de Saturne. Ceci par le biais des vents puissants balayant l’ensemble de la surface de Titan. Le surplus de cette teneur en Méthane et d’éthane se déverse alors sur la zone des lacs, où ils renouvellent le contenu de ces derniers de la forme liquide de ces gaz contenus dans l’atmosphère. Un phénomène qui explique que l’équateur de Titan, bien que des observations ultérieures y ont détecté également la présence de traces d’eau, soit aussi sec.
Cette alimentation en gaz ne concerne pas uniquement les lacs connus, mais en forment également d’autres, à l’existence plus réduite. Pour la plupart, il s’agit de Maars, des cratères résultant de la vaporisation d’azote liquide en sub-surface par des canaux reliant certains lacs. Ceci à cause de la chaleur inhérente au déplacement liquide souterrain dans certaines zones soumises à des pressions atmosphériques plus denses de l’air de Titan. Le fond de ces Maars se bouche par la suite, par le même phénomène de chaleur et de pression atmosphérique, mais pouvant se remplir d’eau, par le biais des pluies causées par l’oscillation saisonnière de circulation de Brewer-Dobson. Avec le temps, ces lacs éphémères s’assèchent par un phénomène de condensation à son tour, et relayant un cycle alimentant par la suite les rares lacs de l’équateur. Il a été également constaté que plusieurs lacs de la zone étaient d’un niveau équivalent en quantité d’hydrocarbures composant leur contenu. Concernant cette dernière information, nous étions déjà au courant., grâce aux missions Huygens-Cassini et Titan Mare Explorer. Cette dernière étant aussi connu sous l’appellation de TIME. Des misions s’étant déroulées respectivement en 2005 et 2016. C’est là que furent établies les premières constatations de la présence de lacs sur la surface de Titan. Plus précisément à partir de 2007. Les données recueillies à l’époque faisaient apparaître des surfaces noires qui se sont révélées être des étendues d’eau de diverses profondeurs, pouvant dépasser les 100 mètres. Le Kraken Mare étant une exception avec ses plus de 300 mètres. Les sondes de la mission Titan Mare Explorer ont fait supposer que les lacs possédant un contenu liquide équivalent pouvaient résulter d’un phénomène dit de vases communicants. Mais ce n’était qu’une hypothèse faisant débat au sein de la communauté scientifique de l’époque.
Cependant, nous avons pu confirmer cet état de fait par l’envoi d’un Hope téléguidé faisant s’immerger une sonde dans plusieurs lacs soupçonnés d’être reliés les uns aux autres, et montrant la présence de canaux souterrains reliant bel et bien les lacs de même teneur. C’est le cas de l’Ontario Lacus (235 km de diamètre) relié de cette manière au Jingpo Lacus (240 km de diamètre). La même particularité a été établi avec le Bolsena Lacus (101 km de diamètre) et le McKay Lacus (180 km de diamètre). Ou encore le Neagh Lacus (98 km de diamètre) et le Sparrow Lacus (81 km de diamètre). L’étude des lacs les plus importants, quasiment considéré comme des mers à part entière du fait de leur diamètre imposant, n’a pas réussi à établir de liens entre eux. Aucun canal n’a été détecté par les sondes pour le Ligeia Mare (500 km de diamètre) et le Punga Mare (380 km de diamètre). En revanche, le Kraken Mare et ses 1170 km de diamètre a bel et bien montré en son sein un tunnel semblable à ceux constatés au cœur des autres lacs. Cependant, la sonde n’a pas été capable de déterminer avec quel lac le Kraken Mare était relié, car elle a soudainement cessé d’émettre des informations. Comme si elle avait d’un coup été soumise à quelque chose ayant grillé ses circuits.
Plusieurs théories ont été établies : un choc avec une surface rocheuse mobile, tel qu’il en avait été constaté dans la Mer Intérieure par les équipes de la Station Titan I, sa destruction par un animal marin… tout était possible. C’est pour en avoir le cœur net que nous avons mis en place une expédition à même de découvrir, de manière plus approfondie, si le Kraken Mare pouvait être relié à quelque chose de plus grand qu’un autre lac. L’hypothèse d’un rattachement à la Mer Intérieure était plus que fortement envisagé. Les informations des sondes, rattachées à celles fournies par nos collègues de Titan I, montraient la présence d’espèces communes aux deux étendues aquatiques. Ce qui supposait que ces créatures passaient de l’un à l’autre des environnements via un tunnel. Mais nous voulions en avoir la preuve, et pour cela il n’y avait qu’un moyen : explorer le Kraken Mare à l’aide d’un bathyscaphe de dernière génération, fonctionnant sans navire accompagnateur, comme il était d’usage à une époque sur Terre.
À dire la vérité, le terme de bathyscaphe pour cet appareil n’est sans doute pas le plus adéquat, au vu de ses performances particulières. Contrairement aux anciens engins de ce type, il est moins lourd, et peut se mouvoir de manière plus fluide une fois immergé. Qui plus est, il est doté de divers appareillages permettant la récolte d’échantillons de grandes variétés. Notamment le carottage de sols, ce qui s’avérait totalement impossible avec les bathyscaphes comme il en existait jusque dans les années 2000 à 2050. Autre élément non négligeable : sa capacité intérieure, pouvant accueillir jusqu’à 6 passagers. Soit le double des engins peu maniables utilisés par les explorations sous-marines des débuts de l’aventure maritime. Les ballasts sont plus importants et, du fait de son faible poids par rapport à ses ancêtres, il ne ne nécessite pas non plus de grues sophistiquées pour le transport. Ses fonctions téléguidées permettent de le faire se mouvoir par lui-même sur un chariot adapté, à l’aide de roues motrices disposées aux points cardinaux de l’appareil. En soi, je pense que le terme de mini sous-marin serait plus approprié, mais comme il s’agit de sa désignation officielle, dans un souci sans doute d’hommage historique aux pionniers constituant ces engins précurseurs dans l’exploration des fonds maritimes, on ne peut que se conformer à l’usage de ce nom.
Comme il n’était pas prévu que nous disposions d’un tel appareil, au vu de la zone d’études dont nous avions la charge, nous avons dû demander l’aide des équipes de Titan I. Nous leur avons exposé notre projet d'exploration et un convoi fut acheminé à notre station pour nous fournir un bathyscaphe, le Demeter. Ce dernier fut soumis à quelques améliorations, dans l’objectif de supporter la teneur en méthane, éthane, mais aussi d’azote, du Kraken Mare. Il fallait une structure renforcée de la coque du bathyscaphe, à même de contenir l’acidité du lac, sans que cela nous fasse prendre le risque de voir la structure du submersible céder et nous envoyer à une mort certaine. Au sein de la mer Intérieure, du fait de sa surface immense, la composition de l’eau n’avait qu’une teneur assez faible en liquides comme ceux formant le Kraken Mare. Ce dernier était constitué de 68 % de méthane, 12 % d’azote, 6 % de sulfure d’hydrogène, et 14 % de dioxyde de carbone. Ce dernier résultant de l’oxydation du méthane en CO2, par l’action de bactéries méthanothropes anaérobies, présentes dans des plantes macrophytes. Autrement dit des plantes produisant du méthane au sein même du Kraken Mare, et à l’origine de sa composition de base. Il fallut deux semaines pour que les améliorations du bathyscaphe prêté par la station Titan I soient conformes à l’exploration future du lac suscitant notre curiosité. Une fois acheminé à notre propre station, nous avons procédé à la constitution de notre équipe, au nombre de 6 personnes, dont moi-même. Le bathyscaphe fut placé sur un chariot du même type ayant servi aux expéditions lunaires et martiennes par le passé, et tiré par le Hope où nous avions pris place, moi et mes camarades.
Le voyage fut assez long. L’occasion pour nous d’observer les aléas de créatures coutumières de migrations saisonnières dans la zone des lacs. Des créatures aussi fabuleuses qu’elles pouvaient être potentiellement dangereuses si nous nous en approchions trop près. En général, il s’agissait de DP 2 à 3, mais les appendices naturels de défenses de certaines d’entre elles, comme le Pachilédia et ses nombreuses cornes disséminées sur tout le corps, ou encore l’Ocelianotrope à la peau aussi solide qu’un mur en béton armé, pouvaient causer de gros dégâts à notre véhicule et au bathyscaphe en cas de charge inopinée. Nous nous sommes arrêtés un instant pour les observer, tout en prenant garde de respecter une distance convenable. Certes, les drones nous avaient déjà donné l’occasion de voir ces bêtes fabuleuses en action, ce qui nous avait offert les bases de leur anatomie et leur mode de vie. Mais en comparaison, les voir de visu, sans l’intermédiaire d’écrans, était incomparable. De plus, nous avons pu assister à un spectacle que les drones avaient été incapables de saisir. Les créatures ont déployé des sortes de trompes figurant à la base du cou pour le Pachilédia, et sortant des flancs pour l’Océlianotrope, qu’ils ont trempé dans l’eau du lac.
Déjà, le fait que ces excroissances supportent le méthane composant en partie le contenu du lac était déjà étonnant, mais qu’en plus il servent de moyen d’hydratation évident, c’était encore plus extraordinaire. Dans le même temps, nous avons observé à un moment le rejet dans l’atmosphère de milliers de particules liquides, semblant sortir directement des pores des peaux et carapaces de ces animaux incroyables. Nous supposions qu'ils ne buvaient pas à proprement parler. En tout cas, pas uniquement. Ils devaient aspirer les bactéries méthanogènes anaérobies, qui étaient à l’origine même de la constitution du méthane, et s’en nourrir. Le méthane, l’éthane, l’azote et d’autres éléments présents dans le lac devaient être filtrés à l’intérieur du corps. L’excédent inutile, voire tout simplement nocif à ces bêtes, étaient donc expulsé à l’extérieur, sans doute par le biais d’un système élaboré d’anticorps acheminant ce surplus vers les conduits servant à cette opération de rejet. Décidément, la faune de Titan ne cessait de susciter autant d’admiration que de crainte. N’importe quel animal de l’astre ne supportant pas de manière intensive les fonctions corrosives du méthane et des autres hydrocarbures présents dans les lacs, et se trouvant à proximité, serait immédiatement rongé littéralement. Nous avions pu constater que certaines espèces ne supportaient pas toutes à la même proportion la forme liquide des gaz constituant l’atmosphère de Titan. C’était assez paradoxal d’ailleurs. Penser que ces êtres monstrueux, défiant tout logique anatomique terrestre, qui étaient capables de vivre au sein d’un environnement aussi néfaste pour l’homme que l’atmosphère de Titan pouvaient, dans le même temps, souffrir de leur exposition prolongée à son état liquide, ça n’avait pas vraiment de sens pour un scientifique habitué à une cohérence dans le monde animal, telle que nous le connaissions sur Terre.
Après le départ de cette troupe nous ayant montré un pan inédit de la faune de Titan, nous continuions notre voyage et parvenions au Kraken Mare. Avant de faire basculer le bathyscaphe sur les bords du lac, nous procédions à l’envoi d’une sonde un peu plus élaborée que celle ayant mystérieusement disparue au sein du tunnel situé au fond de l’étendue d’hydrocarbures. Nous avions opté, dans le cas présent, pour une sonde de technologie CHIRP, car offrant un meilleur rendu visuel et extrêmement net. Ceci dans le but de prévenir de la présence de tout animal susceptible de posséder un mode de défense à même d’entamer la coque de notre submersible, et augmenter le capital risque de notre entreprise. Nous avons été témoin des déplacements de BIRCOS, mais également d’autres espèces plus petites, non encore répertoriées dans nos fichiers, pourtant déjà vastes de centaines de créatures. L’une d’entre elles ressemblait au mythique Kappa du folklore japonais, mais dépourvu de pattes. Celles-ci étant remplacées par des nageoires en grande quantité, dont nous nous interrogions sur l’utilité. Ce n’est qu’une fois que le bathyscaphe serait au centre du lac que nous pensions mieux comprendre cette particularité de cette espèce nouvelle pour nous. Une autre présentait des similitudes avec une baudroie abyssale, mais 3 fois plus énorme, munie du même principe de bioluminescence que ses homologues des océans terrestres.
Le lac mesurait 300 mètres de profondeur. La présence d’une telle catégorie de poisson dans aussi peu de fond aquatique était aberrant, si on se conformait à la logique de la vie animale aquatique terrestre, bien évidemment. Mais sur Titan, rien n’avait de sens véritable, et nous en étions témoins chaque jour un peu plus, au gré de nos observations à travers les différentes stations implantées sur la lune de Saturne. Deux autres espèces nageaient également dans ces eaux, mais aucune ne présentait de réel danger pour notre engin maritime. Une fois récupéré la sonde, que nous replacions dans le Hope, nous nous sommes employés à décrocher le chariot contenant le bathyscaphe, puis le placer tout au bord des rives du lac. A un moment, nous avons aperçu un BIRCO non loin de là où nous étions. Celui-ci s’est montré un temps intrigué de notre présence, semblant hésiter à nous attaquer ou non. Le déplacement du Hope, pour éloigner l’appareil des bords du lac, et surtout permettre de le raccorder au chariot contenant auparavant le Bathyscaphe, sembla effrayer l’animal qui usa immédiatement de son mode furtif mimétique, disparaissant à notre vue. Nous gardions nos AED en main, tout en surveillant les alentours, au fur et à mesure que chacun d’entre nous pénétrait l’un après l’autre dans l’engin, par pure mesure de précaution. Finalement, le BIRCO semblait avoir renoncé à nous assaillir, ce qui nous soulagea. Une fois tous à l’intérieur de l’appareil, nous enclenchions le dispositif d’allumage, vérifions la stabilité et le fonctionnement de tous les appareils de mesure à l’intérieur, et actionnâmes le déplacement du bathyscaphe. Il était muni d’un système de roues escamotables. Ce qui lui permettait de parcourir de courtes distances sur sol, avant de plonger dans l’élément liquide propre à sa fonction principale. Cela faisait partie des petits rajouts de l’équipe de Titan I.
Cette fois, ça y était : nous étions au sein du Kraken Mare, prêt à nous lancer dans son exploration, et nous rendant vers l’endroit où se situait le tunnel qui constituait notre objectif principal. La sonde précédemment envoyée en éclaireur nous avait indiqué sa position exacte. Après avoir enregistré ses coordonnées au cœur de l’ordinateur central régissant le bathyscaphe, nous plongions plus profondément et nous dirigions vers ce qui constituerait le pire voyage de notre vie, ainsi que le glas de plusieurs d’entre nous. Mais à ce moment, nous ignorions que nous tomberions sur une créature bien pire qu’un simple BIRCO ou les créatures somme toutes insignifiantes entrevues par l’intermédiaire du hublot de notre submersible. Une créature aux propriétés encore plus extraordinaires que tout ce que nous avions vu jusqu’alors, par sa capacité à se jouer de la physique des fluides, des ondes, de la gravité et tout ce qui était lié à ce que nous pensions nous garantir une sécurité optimale de navigation…
Lors de la plongée, suivant le tracé des coordonnées enregistrées par la sonde, quel ne fut pas notre étonnement d’observer la présence de nombreuses formations de sédiments ressemblant à des plaines subaquatiques qui, normalement, ne sont présentes que dans les fonds marins. En tout cas, sur la Terre. À l’aide des caméras placées sur l’avant et les côtés du Demeter, nous avons pu saisir des images époustouflantes de la flore aquatique de ces plaines intrigantes à plus d’un titre. On y voyait d’autres espèces assimilées à des hybrides de crustacés de taille imposantes, possédant des caractéristiques propres aux oursins ou des catégories de poissons récurrents des abysses terrestres. Comme le long appendice filiforme servant d’appât lumineux des poissons-fouets, ou des gueules ressemblant à s’y méprendre aux Grandgousiers. Autour d’eux, on apercevait ce qui s’apparentait à un simulacre de fourmilières. De hauts cônes formés de sable et d’autres éléments que nous avons identifiés comme des terres rares, très prisés sur Terre, une fois prélevés et acheminés à bord. Ceci après un lavement préalable au sein d’un compartiment propre à éliminer toute trace de méthane et autres hydrocarbures de la surface des échantillons. Sélénium, Yttrium, Europium, lanthane, antimoine… De nombreux industriels sur notre planète seraient prêts à tuer père et mère pour s’emparer d’une telle richesse présente en très faibles quantités au sein des mers de la Terre. Ce sont des terres qu’on trouve là-bas plus facilement en surface, mais principalement en Chine. Celle-ci possède le monopole de ce marché lucratif, avec près de 44 millions de tonnes métriques présentes sur son territoire.
Les fonds du lac recelaient d’autres richesses naturelles : des sortes de coraux, dont l’existence au sein d’un tel environnement était hautement anachronique, et des algues de diverses variétés. Principalement des brunes et des rouges. Nous avons également pratiqué plusieurs prélèvements de ces plantes. Parmi elles, nous avons reconnus des variations de Wakamé, de Kombu, de Nori, et même des cyanobactéries. Ces algues aux pigments bleu-vert très toxiques, capables de provoquer des troubles cutanés par des émanations toxiques. Raison pour laquelle nous les avons manipulés au sein de mini-caissons servant de serres portatives au sein de notre véhicule aquatique.Parmi les autres plantes visibles, il y avait aussi de grandes masses d’Alexandrium. En tout cas, ça y ressemblait beaucoup. Par mesure de prudence, nous avons préféré ne pas prendre d’échantillons de cette algue, au cas où elle aurait les mêmes propriétés que sa jumelle de la Terre, hautement toxique, étant capable, entre autres désagréments, de paralyser le muscle cardiaque si elle est mise en contact avec la peau. Laissant de côté le plateau aux milles merveilles, notre périple s’est accompagné d’autres découvertes tout aussi étonnantes, et donnant l’occasion d’autres prélèvements d’échantillons.
Nous avions également procédé à un carottage du sol du plateau, dans le but de l’examiner plus en profondeur une fois revenus à Titan V. Au total, nous avons recensé 12 nouvelles espèces, en plus du BIRCO. Ce qui a été l’origine de blagues sur le chiffre 13, faisant entrevoir d’hypothétiques “malheurs”. Mais nos plaisanteries ont tourné court peu de temps après, nous faisant nous demander si nous n’aurions pas mieux fait de nous abstenir sur ces “présages” humoristiques. Nous étions tout près du tunnel que nous avions enfin repéré, malgré l’accumulation de ce qui semblait être de la neige marine. Encore une aberration dû à l’écosystème de Titan. Ce qu’on appelle neige marine, c’est en fait un amas de particules de matière organique colloïdale en suspension, formée par réaction d’une agglomération chimique, physique ou biologique, de composés organiques dissous dans l’eau. En l’occurrence, ce devait être le résultat de l’oxydation des plantes macrophytes à la forte teneur en méthane, avant la transformation de ces résidus en ce qui constituait le contenu du lac, et se dissolvant peu à peu. Un phénomène que l’on ne voit que dans les couches épipélagique des zones photiques des océans terrestres. Pas dans un lac de 300 mètres de profondeur, aussi étrange soit-il en matière de composition. L'eau était plus trouble qu’auparavant à cause de ça, et l'émergence hors du tunnel d'un énorme groupement de méduses d’un type inconnu nous a échappé. La nuée est venue se coller sur les parois du bathyscaphe, notamment le hublot, nous bouchant ainsi la vue.
A peine subissions nous cet imprévu que nous avons ressenti une forte chaleur à l’intérieur de l’appareil, de nature à nous provoquer migraines et sensations de vomissements de très forte intensité. Il était évident que les créatures collées aux parois du bathyscaphe n’étaient pas étrangères à cette situation. Sans le réflexe de Neal, celui qui faisait office de co-pilote avec moi, qui a actionné un des systèmes de défense du Demeter avant de se retrouver trop mal pour continuer, nous n’aurions sans doute même pas franchi l’entrée du tunnel promis à de nouvelles découvertes. Une sécurité mise en place par les ingénieurs de Titan I. Lors d’explorations au sein de la Mer Intérieure, leurs équipes avaient été confrontées à des attaques similaires et n’avaient dû leur survie qu’à l’intervention d’une autre équipe, agissant non loin de la zone de l’incident. C’est à partir de là que fut installé ce système propre à dégager les parois de ces intrus hautement indésirables pouvant mener à l’asphyxie des équipages, du fait de la chaleur. Un système qui envoyait de fortes décharges électriques par le biais de petites capsules électromagnétiques disposées à des endroits stratégiques du submersible. L’effet fut immédiat. Les méduses du lac n’ont pas appréciées du tout cet afflux électrique leur parcourant le corps, et ont lâché prises l’une après l’autre la structure métallique du Demeter.
Il nous fallut quelques minutes de repos pour nous remettre de ces émotions. Le temps pour nous de nous réhydrater copieusement. Au fur et à mesure que nous approchions du tunnel, la neige marine semblait s’amenuiser, ce qui nous offrait une vue plus claire. L’espace dans le tunnel étant un peu plus sombre que le lac, nous augmentions l’intensité des phares du bathyscaphe nous ayant permis de progresser dans ces eaux jusqu’à présent. À l’intérieur du tunnel, nous fûmes surpris de constater que sa largeur semblait s’accroître de mètres en mètres, plongeant plus profondément dans les strates du manteau de l’astre. L’altimètre nous montrait une descente d’environ 10 mètres toutes les demi-heures. Un phénomène progressant de manière exponentielle, la profondeur parcourue semblant augmenter considérablement à mesure de notre avancée plus avant dans le tunnel. À un moment donné, la largeur du tunnel était telle que nous ne percevions même plus les parois. À tel point que nous en étions à nous demander si nous étions encore dans celui-ci, ou si nous avions, à un moment ou un autre, bifurqué sans le savoir dans un affluent de ce dernier, caché par la pénombre tout autour.
Nous avons parcouru ainsi plusieurs centaines de mètres durant environ 2 heures, ignorant véritablement à quelle distance de la Mer Intérieure nous nous trouvions, cette dernière devant être la sortie potentielle, quand un immense choc secoua tout le bâtiment et le fit stopper net. La violence du choc fit tomber au sol la majorité de notre équipe, surprise par cet arrêt intempestif. C’est alors que nous avons aperçu, glissant sur le hublot, les tentacules de ce qui semblait être manifestement une créature de type céphalopode. Un équivalent à un grand calamar ou un poulpe d’une envergure immense. Nous avons immédiatement pensé au nom qu’on donnait au lac que nous venions de quitter : le Kraken Mare. Une appellation venant d’un des monstres maritimes les plus connu des légendes nordiques, popularisé par nombre de films. Sans le savoir, ceux ayant nommé ce lac avaient tapé juste en l’appelant ainsi. Les tentacules se promenaient sur le hublot, comme tâtant ce que la créature avait accroché, peut-être par pur instinct de chasse, nous prenant pour un animal à même de satisfaire son appétit. Puis, nous avons vu leur nombre s’intensifier. On en dénombrait plus de 16. Et ce n’était sans doute qu’une partie de la totalité composant l’assaillant. La créature devait être d’une taille inimaginable, de l’ordre d’un DP8, voire DP9.
Mais ce n’était pas le plus inquiétant : la pression exercée par les tentacules, qui se resserraient de manière manifeste sur l’ensemble du Demeter, causait des craquements inquiétants, nous faisant craindre le pire. À long terme, si le monstre nous ayant pris au piège continuait ainsi, nous risquions d’être écrasés et réduits à l’état de bouillie. On avait l’impression de se retrouver dans la peau de sardines enfermées dans une boîte, et prêtes à être commercialisés, au sein d’une usine de fabrication de conserves de poissons. Le système de défense électrique ayant fait ses preuves auparavant, j’ai pris les devants et actionné ce dernier, espérant faire lâcher prise au monstre, comme l’avaient fait les méduses quelques heures plus tôt. L’opération s’avéra fructueuse : les craquements cessèrent, les tentacules disparurent du hublot d’un coup, et nous profitions de l’effet de surprise pour nous enfuir vers l'avant, sans trop savoir où cela nous conduirait, car ne voyant toujours pas une lumière à même de nous indiquer que nous étions arrivés au bout du tunnel. Après plus d’une heure, nous pensions vraiment nous être tirés d’affaire, et nous avons été récompensé de nos efforts. Une clarté se montrait à plusieurs centaines de mètres de là. Confiants, nous accélérions la vitesse pour franchir ce qui nous apparaissait déjà comme la ligne d’arrivée d’une grande course automobile. De type maritime s’entend. Nous arrivions à la lisière de la sortie, et le Demeter avait déjà passé la frontière de ce qui nous séparait de la Mer Intérieure. Le paysage devant nous ne nous laissait aucun doute là-dessus, au vu des espèces que l’on apercevait à travers le hublot. Ces dernières semblaient circonspectes sur l’attitude à adopter, ce qui pouvait se comprendre. Les équipe d’exploration de Titan I n’avaient, de toute évidence, pas encore navigué dans cette zone de la Mer Intérieure, et notre présence était une énigme à leurs yeux.
Mais alors que nous nous apprêtions à prendre contact avec Titan I pour leur signifier le succès de notre entreprise, tout comme nous leur avions indiqué notre progression lorsque nous nous trouvions au sein du Kraken Mare, et demander un lieu de rendez-vous avec l’une de leur équipe pour échanger nos impressions sur cette confirmation de ce lien entre le Kraken Mare et la Mer Intérieure, un nouveau choc brutal, semblable à ce que nous avions subi précédemment, envahit tout le Demeter. À nouveau, nous nous somme retrouvés à terre suite à cette secousse. En nous relevant l’un après l’autre, nous avons aperçu les mêmes tentacules. La créature nous ayant happés auparavant n’avait pas abandonné la poursuite et semblait bien décidée à renouveler son assaut. Cette fois, elle semblait plus déterminée que jamais. La pression exercée sur le Demeter se montrait plus vive et rapide que lors de la précédente attaque, augmentant les craquements de la structure du vaisseau de manière alarmante. L’un de nous a actionné le système de défense utilisé avec succès à deux reprises avant ça, espérant que cela nous sortirait d’affaire une fois de plus, et nous préparant à intensifier la cadence du submersible une fois que les tentacules auraient relâchées leur emprise. Mais cette fois, ce ne fut pas le cas. Pire : on avait l’impression que les impulsions électriques envoyées vers le monstre semblaient obtenir l’effet inverse, celui-ci faisant plier encore plus les tôles du Demeter vers son intérieur. C’était comme si la créature au-dehors s'abreuvait de ce que nous lui envoyions.
Nous avons augmenté la puissance électrique et la réaction du monstre croissait de même. Nous avons alors ressenti de fortes sensations de maux de tête, accompagnées de la formation de cloques disséminées sur certaines parties de notre corps. Une impression d’étouffer se fit sentir dans la foulée. Plusieurs d'entre nous se mirent à vomir du sang. Ils étaient pris de convulsions horribles, criant de douleur. Certains cherchaient à creuser leur peau, comme pour se soulager de leur souffrance accrue. Je reconnaissais les symptômes d’irradiations. Curieusement, je n’étais pas atteint avec la même intensité. Je pense que cela devait être dû à ma position dans le Demeter. Là où j’étais, je ne recevais pas de plein fouet les radiations émises par la créature à travers la coque métallique du bathyscaphe. Mais ce n’était pas logique. On était dans un lieu clos. Les radiations auraient déjà dû m’atteindre avec la même force, car renvoyés par les parois du Demeter à l’intérieur. Pris d’un doute, je m’emparais d’un des compteurs Geiger disposés sous le tableau de commandes, et mesurais l’amplitude, pendant que la pression exercée par notre assaillant causait l’explosion de cadrans et de multiples dégâts.
En supposant qu’on parvienne à trouver de quoi faire fuir à nouveau le danger, il n’était pas sûr qu’on puisse avoir la capacité de mouvoir le Demeter. Il était même possible qu’une fois relâché par la créature, le vaisseau tombe comme une pierre vers le fond, sans espoir de repartir. Je ne pouvais même pas appeler à l’aide en contactant Titan I : la radio avait souffert de l’attaque et était hors d’usage. Je regardais les mesures du compteur Geiger : c’était inconcevable. Là où j’étais, le niveau de radiations était inexistant. Pris d’un doute, je dirigeais le compteur sur mon corps, et là il montait à près de 0,5 Sieverts. Le même phénomène agissait pour les autres. Alors que leur entourage ne montrait pas de radiations, dès que j’approchais le compteur Geiger de leurs corps gisant au sol, car ils étaient tombés dans l’inconscience ou avaient déjà succombé, il grimpait en flèche. Les deux corps les plus proches, ne répondant pas à mes tentatives de réveil, affichaient des radiations d’une teneur de 5 Sieverts et plus. Fort de cette constatation, je reculais vers l’avant du Demeter, résigné à mourir, au même titre que mes camarades. J’ignorais comment cela était possible, mais cette créature pouvait cibler ses proies en leur envoyant des radiations d’une telle intensité que cela les brûlait de l’intérieur, avant qu’ils tombent au sol, submergé par la douleur, et succombant peu à peu. Et ce, sans que les radiations ne s’installent ailleurs que dans un corps organique. Nulle part dans l’habitacle il n’y avait la présence de radiations. Ça dépassait toute logique scientifique. Jamais je n’aurais imaginé que de telles capacités étaient possibles. Comment les ondes radioactives de cette créature étaient-elles capables de viser uniquement des êtres vivants, et pas leur environnement proche ? Il aurait dû y avoir au moins des traces dans l’air ou sur le sol autour des corps. Et pourtant… Seuls les corps étaient touchés, aussi aberrant que ça pouvait l’être.
Le fait d’avoir été éloigné de la zone d’attaque lors du choc nous ayant fait chuter, m’étant retrouvé coincé entre le siège de pilotage et la console de commande, cela m’avait permis de minimiser les impacts. J’avais bien reçu aussi des radiations, mais parce que je m’étais trouvé un court moment dans la même zone où mes compagnons étaient. Juste avant que je me retrouve propulsé vers la console de commande, où le siège m’a empêché de glisser à nouveau sur le sol, sans me diriger vers la zone à risques. Celle où la créature actionnait son rayon mortel à distance, traversant la coque du Demeter, sans déposer la moindre radiation dessus, se limitant à la chair sur son chemin. Ma position dans le bathyscaphe a dû être l’élément ayant fait conclure à la créature au-dehors qu’il n’y avait plus rien qui vaille la peine d’attaquer, puisque quelques minutes plus tard, je voyais les tentacules sur le hublot se retirer l’un après l’autre. J’ignore si la motivation de l’attaque était la conséquence d’une forme de vengeance pour avoir subi les décharges électriques que nous lui avions envoyés auparavant, ou si c’était dans la perspective d’un jeu ou quelque chose de similaire. Vu la force de la créature, elle aurait parfaitement eu la possibilité de briser le hublot, ou plusieurs parties de la coque, pour faire pénétrer à l’intérieur du Demeter ses tentacules, afin de s’emparer de ses proies toutes désignées. Elle ne l’avait pas fait. Ce qui signifiait que la faim n’était pas en cause. Je supposais que la première attaque était du même ordre. Elle avait dû considérer notre submersible comme une sorte de jouet à ses yeux, et avait sans doute été attirée par notre présence et la possibilité pour elle de tester la résistance d’êtres vivants à l’intérieur. C’était l’explication la plus plausible.
Comme je le redoutais, dès lors que le monstre a relâché l’appareil, ce dernier s’est enfoncé dans les eaux, jusqu’à toucher le fond. Les dégâts étaient bien trop importants pour que je puisse espérer réparer quoi que ce soit avec les moyens du bord. Pour la radio, c’était la même chose. La seule alternative qui me restait était d’enregistrer ce journal de bord à l’aide d’un des modules individuels que chacun d’entre nous possédait. Celui du poste de contrôle de l’appareil étant inutilisable, comme le reste. Une fois relaté les faits qui sont arrivés, je compte envoyer le disque d’enregistrement à la surface. Ceci en le plaçant à l’intérieur d’une des capsules de communication et le propulsant à l’aide de la chambre des ballasts, après quelques manipulations mineures. Ce sera comme un conduit à torpilles en quelque sorte, à courte portée. Je compte sur les courants de la Mer Intérieure et les flotteurs de la capsule pour faire remonter celle-ci à la surface. Une fois en haut, le contact de l’air devrait mettre en marche automatiquement la balise de repérage. Je ne fais pas ça pour être sauvé, mais pour qu’il y ait une trace tangible des évènements. Ce qui servira à offrir des données supplémentaires dans le cadre de la mission. Je ne veux pas souffrir inutilement de faim et de soif. Les rations de survie ont été irradiées également, et sont donc inconsommables en l’état. Comme elles sont composées d’aliments organiques, c’est assez logique. J’ai donc deux choix : soit manger malgré tout cette nourriture, avec les conséquences que cela entraînera ; soit m’allonger près d’un des corps, le toucher et me contaminer à mon tour. Dans les deux cas, la mort devrait être rapide. J’espère que cet enregistrement servira à donner plus d’informations sur ce qui constitue la faune et la flore des lacs. J’ai rajouté dans la capsule le relevé de la sonde CHIRP, afin de donner encore plus de substance aux données à récolter. Aussi bien pour Titan I que pour Genetech. Mon sacrifice servira au moins à quelque chose…
Fin du journal de bord du Demeter. par Travis Langford. Année Stellaire 149.5, Jour 57, 17 h 27
Voilà : c’est tout ce que je peux fournir pour l’instant concernant l’incident survenu au Demeter. Les autres membres de la station Titan V ont été mis au courant de la situation, et vous fourniront dans les meilleurs délais les autres informations qu’ils ont à disposition concernant les données recueillies par leurs équipes ces derniers jours. Ça implique celles obtenues par les drones UEAV. À ce propos, je profite de ce message pour vous tenir au courant du suivi de l’opération “Hybrio”, dont vous m’avez confié la tâche le mois dernier. Comme convenu, et sans en avertir les équipes des autres stations, toujours selon vos recommandations, j’ai procédé à l’envoi des drones de type UCAV dans les diverses zones de Titan, à l’exception évidemment de Titan I, puisque je possède déjà tout ce qu’il faut dans le cadre de cette mission spéciale, sans que ça attire de soupçons. Seuls deux de mes collègues agissent de concert avec moi, et j’ai toute confiance en eux. Ils ne parleront pas de la procédure à quiconque : soyez-en assuré. Je me porte garant de leur silence à 200 %.
4 drones ont été envoyés dans la zone des Montagnes. 5 dans la zone des sables. 3 dans la zone des Labyrinthes. 6 dans la zone des Plaines. Et 3 seront envoyés prochainement dans la zone des lacs, maintenant que nous en savons plus sur les caractéristiques de la faune de cette région. A ce jour, j’ai déjà récupéré plusieurs échantillons d’ADN des différentes créatures de ces zones, grâce à l’emploi des seringues hypodermiques renforcées et adaptées à chacun des spécimens visés. Les données dont je dispose sur les défenses et mode de vie des cibles ont été déterminantes pour permettre aux UCAV de s’approcher suffisamment, en toute discrétion, de l’habitat de ces dernières, afin de procéder à leur endormissement. Suivant en cela un programme conforme au plan reçu lors de mon précédent rapport sur ce sujet. Les UEAV de type R-7 ont ensuite procédé à l’extraction des échantillons. Que ce soit l’ADN, comme déjà dit, mais aussi de chairs, d’écailles, de poils, ou d’autres appendices utiles au futur projet.
Je serais en mesure de fournir ces échantillons aux équipes prévues pour la prochaine colonisation d’Encelade pour l’année stellaire 150.2, comme convenu par le Consortium Terrestre, et suivant en cela vos directives. Bien évidemment, le Major Tilder ne sera en aucun cas au courant de tout ce qui concerne les préparatifs du projet Hybrio, toujours selon vos ordres. Seuls vous, mes deux collègues complices et Mr. Aldigionni, chef de Genetech, seront au courant des futures opérations qui suivront dans le cadre du projet. Si tout se déroule parfaitement, à l’issue de la fin de la construction du vaisseau-monde Cronos, vous disposerez d’un service d’ordre unique en son genre, ainsi que de soldats à même de contrôler efficacement la mise en place de la colonisation d’Encelade et la poursuite du terrain d’expérimentation que représente Titan. La dissolution du Consortium Terrestre qui en résultera ne sera désormais qu’une question de temps, et vous pourrez enfin mettre un terme à l’incompétence et l’inutilité des membres de ce dernier.
Je vous dis donc à bientôt pour mon prochain rapport…
Docteur Stephen Hörst
Station Titan I – Année stellaire 149.5, jour 59, 21 h 48
Bilan pertes de la mission d’exploration du Kraken Mare : 6
Découverte de nouvelles espèces de Titan : 15
Temps d’élaboration estimée du renforcement des coques des Bathyscaphes 1 à 5 et 7 à 9 : 2 mois, 1 semaine, 3 jours, 4 heures, 12 minutes, 45 secondes.
Temps potentiel de mise au point du vaccin anti-radiations contre les effets du spécimen Unknow-003 du Kraken Mare : 1 an stellaire, 4 mois, 2 semaines, 6 jours, 34 minutes, 7 secondes.
Fin de rapport - enregistré par l’IA N° 3765-24-C
Publié par Fabs
Très bon et fascinant !
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