Jusqu’où peut-on aller par amour ? C’est une question que beaucoup se sont sans doute posé en découvrant les faits divers parfois horribles s’affichant sur l’écran de télévision, par le biais des journaux télévisés, ou bien à travers les articles en découlant sur Internet. On y apprend les histoires terribles découlant de passions amoureuses ayant tourné au drame, à cause d’un choix que toute personne n’ayant pas été amoureuse jusqu’à l’excès ne peut comprendre. Un choix qui décide la future victime à renoncer à la vie, car submergée par le chagrin et le désespoir. Ça peut aussi se transformer en ce qu’on appelle un crime passionnel. L’amoureux transi ne supporte pas de voir son ancien amour goûter à un nouveau bonheur, alors que lui-même n’est plus que l’ombre de lui-même suite à la séparation avec l’être aimé autrefois. Il en résulte une décision de briser le nouveau couple en usant de stratagèmes de désinformation sur les réseaux ou de diffusion de photos intimes parfois dégradantes, dans le seul but de faire se séparer le couple qui, selon l’auteur des faits, ne mérite pas d’avoir le bonheur auquel il n’a plus droit. Ce qui provoque irrémédiablement une peur constante de voir se dévoiler au grand public des secrets qui n’auraient dû rester que dans la plus stricte intimité, et provocant tension, séparation avec le nouveau compagnon ou compagne, et même meurtre sur le coup d’une colère non maitrisée.
Dans d’autre cas, cette douleur ressentie par le futur fautif conduit à un crime direct. Il se transforme en un tueur implacable, envoyant messages et appels téléphoniques à profusion, dans le but de convaincre son ancien amour qu’elle n’a pas le droit à une vie autre que celle qui a mené à leur séparation. Et quand cette campagne de harcèlement ne fonctionne pas, obligeant les autorités à agir du fait de la plainte de la cible, celui ou celle se sentant victime, alors qu’il est coupable d’actions à la limite du supportable pour la personne visée par ses exactions, décide de passer à l’étape supérieure. Il agit en véritable stratège, élabore un plan pour mettre fin à la cause de son malheur et de son désespoir, en tuant, parfois sauvagement, celui ou celle qui fut la personne la plus aimée au monde à une époque passée.
Il y a bien sûr d’autres cas, mais je ne peux pas tous les énumérer, car ce n’est pas l’objectif que je vise en parlant de ce dont j’ai été témoin, au sein de mon lycée. Un cas unique de ce qu’on pourrait supposer être une forme de schizophrénie, sans l’être tout à fait, bien plus qu’une passion véritable, émanant d’une jeune fille qui a terrorisé un lycée entier. Celui où j’étudie. Un lieu qui a été marqué par les évènements dont elle a été à l’origine. Sans pour autant avoir commis le moindre geste direct et physique de malveillance à l’encontre des personnes qu’elle visait. C’était bien plus subtil et plutôt d’ordre psychologique, ayant conduit à faire commettre l’irréparable à ses victimes. Ce qui fait que cette jeune fille dont je vous parle n’a pas pu être accusée officiellement des faits reprochés. Il n’y a eu aucune tentative d’approche volontaire de sa part. Aucune humiliation voulue à cause d’un rejet par celles dont elle s’était entichée de manière très démonstrative, comme vous allez le comprendre une fois que je vous aurais exposé l’histoire. Elle n’a jamais cherché à nuire de quelques manières que ce soit. Et pourtant, à cause de son amour immodéré, elle a provoqué mort et larmes au sein du lycée Noizawa. Là où je continue d’étudier aujourd’hui encore. Là où le souvenir d’un corps s’étant jeté du toit de l’établissement, pour atterrir sur le bitume de la cour dans un fracas d’os brisés et de projection de sang tout autour, et d’autres morts tout aussi horribles, sont encore dans toutes les mémoires.
On pourrait croire que ces décès à répétition auraient pu causer préjudice à Noizawa. Mais ce n’est pas le cas. Le directeur du lycée, Mr. Nobutaka, s’est employé, avec force conviction, à mettre au second, voire au troisième plan, l’évocation des destins tragiques des élèves ayant décidé de choisir de partir de manière définitive du quotidien de ce lieu d’études. Ayant des contacts importants au sein de plusieurs institutions et de groupes de presse, il a toujours pu obtenir que les morts par suicides de son établissement ne fassent pas les premières pages des journaux locaux. Il n’y a jamais eu la moindre photo montrant les corps sanguinolents des victimes diffusés nulle part. Ceci à sa demande. Il y avait bien des articles relatant les faits, car Mr. Nobutaka, malgré son énorme influence, ne pouvait pas empêcher qu’on en parle. Mais il s’est toujours arrangé pour que cela ne soit présent qu’à travers un encart minuscule, au milieu de nouvelles plus importantes, et ceci au centre du journal. À l’endroit qui ne fait pas toujours l’objet de la même attention que les faits figurant en première page. Du fait de ce peu d’informations traité dans les quotidiens, la télévision n’en parlait pas. Du coup, très peu de personnes, en dehors des habitués du lycée et des familles touchées par le deuil, n’étaient au courant de ce qui se passait à Noizawa.
Même les élèves évitaient d’en parler ouvertement dans les couloirs, entre deux cours ou bien dans la cour lors des pauses de mi-journée. Chacun savait que toute infraction à ce qui était considéré comme une forme de loi du silence au sein du lycée, serait l’objet d’une convocation dans le bureau du directeur, avec une forte réprimande à la clé. Quand ce n’était pas une sanction plus lourde, comme un renvoi temporaire de l’établissement, avec un rappel à l’ordre envers les parents des fautives sur la discrétion à apporter à la situation. Aucune possibilité de rattraper les cours n’étant mis en place lors du retour à l’établissement, personne ne voulait prendre le risque d’être désavantagé en fin d’année scolaire. Simplement pour avoir commis l’erreur de parler de ce qui était considéré comme tabou à Noizawa. Cela peut choquer la plupart d’entre vous qui entendez mon récit. Surtout si vous ne vivez pas au Japon, là où toute cette histoire s’est déroulée. Mais il faut savoir que, dans mon pays, le sujet du suicide est devenu, au fil des ans, quelque chose de mal vu. Quelque chose pouvant entraîner une position de paria pour quiconque s’est rendu coupable de diffuser des informations sur un drame de ce type, au même titre que les prises d’otage. Des us et coutumes fort peu comprises à l’occident, mais qui font partie de notre culture.
Le Japon a le triste record du plus grand nombre de suicides par an. Ce qui est déjà peu prestigieux. Quand il s’agit en plus de drames liés à des relations amoureuses, il est encore plus primordial de ne pas ébruiter les circonstances de la mort. En particulier si cela menace d’être relayé à l’étranger. Ce qui peut entraîner des conséquences politiques et économiques désastreuses. Un pays ne parvenant pas à maitriser le taux de suicide est sujet à caution pour de nombreux pays où les cas sont nettement moins nombreux. Ça ne concerne pas seulement les histoires amoureuses. Celles et ceux ayant pris la décision d’attenter à leur vie du fait du stress généré par leur emploi sont tout aussi nombreuses. Et, là encore, les entreprises s’emploient majoritairement à ce que ces morts ne soient pas étalés dans les journaux ou sur internet, en usant de pots-de-vin parfois, pour décider les organes de presse à réfléchir à la meilleure manière de traiter l’information au sein de leurs groupes. Ce qui fait que les chiffres avancés par diverses sociétés spécialisées dans l’étude de ce genre de cas sont bien loin de la réalité. Des statistiques ne prenant pas en compte, car l’ignorant, de drames survenus au sein de petites villes où les dirigeants font preuve d’un contrôle très poussé pour que l’évocation de morts par suicides soit le moins visible possible au sein de toute forme de média.
Si j’ai pris le temps de vous parler de cet aspect bien peu prestigieux de mon pays, le Japon, c’est parce qu’il était important que vous sachiez la raison qui a fait que Noizawa jouit toujours d’une solide réputation en termes de réussite scolaire. Et ce, malgré le nombre de suicides s’y étant déroulé. Tous causés par une seule personne, sans exception aucune : Noriko Sakachi. Elle est venue à Noizawa en cours d’année scolaire, lors de l’année 2021. En juin pour être précis. Personne n’a jamais trop su qui elle était véritablement. Ses parents ne venaient jamais lors des journées parent-professeurs, elle ne montrait pas vraiment d’intérêt pour la vie scolaire ou pour une matière en particulier, et ne faisait partie d’aucun groupe culturel ou sportif présent au sein du lycée. Elle ne parlait quasiment jamais, et quand elle le faisait, c’était pour parler de sujets bizarres. Comme l’obsession qu’elle avait pour l’ésotérisme, les morts particulièrement affreuses survenues à des célébrités, ou encore le mariage. Sur ce dernier point, vous allez me dire : qu’est-ce qu’il peut bien avoir de bizarre à être passionnée par le mariage, surtout pour une jeune fille de 16 ans ?
Je vous répondrais qu’il ne s’agissait pas du mariage en lui-même. Nous étions plusieurs au sein du lycée à rêver aussi de rencontrer le garçon de nos rêves. D’autant plus que Noizawa était un lycée composé uniquement de filles. Autant vous dire que les garçons était le sujet principal des discussions. Cependant, Noriko avait une obsession maladive du mariage. Si, pour la plupart d’entre nous, c’était un sujet comme un autre, se mélangeant à d’autres préoccupations, comme les conflits avec les petits frères, la mode, la dernière Idol populaire ou bien d’autres choses, pour Noriko, ça poussait au paroxysme. On la voyait souvent feuilleter des magazines dédiés, faisant mine de choisir sa future robe, le chapeau qu’elle porterait le jour-J, le style de chaussures qui s’accorderait le mieux avec le reste de la tenue. Ces magazines, c’était presque sa bible à elle. Avec ses nombreux livres traitant d’occultisme. Les rares fois où elle parlait, c’était pour nous demander ce qu’on porterait comme robe le jour de notre mariage. Comme si, pour elle, elle considérait cet évènement propre à susciter l’émerveillement pour tout jeune fille qui soit, comme une procession qu’il fallait préparer de longues années à l'avance, en n’omettant aucun détail, afin de ne surtout pas gâcher ce qui représentait à ses yeux l’étape ultime d’une vie.
C’était très déstabilisant de l’entendre parler constamment de ça, avec pour conséquence de se voir évitée par la plupart des élèves. Ce qui fut encore plus le cas quand les premiers cas de suicides ont installé un environnement de peur au cœur de Noizawa, car sachant que Noriko en était le vecteur principal. Comme déjà dit, elle avait une obsession pour le mariage. Et qui dit mariage dit forcément relation amoureuse pour y parvenir. Sauf que Noriko n’était pas intéressée par les garçons, comme la grande majorité des élèves de Noizawa. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas de filles gays, mais, là aussi, c’était un sujet assez tabou. Contrairement à d’autres pays du monde, le Japon, officiellement, n’autorise pas les mariages entre personnes du même sexe. Il y a bien des certificats de partenariat délivrés par certaines municipalités, dans un but de reconduction et de suffrage pour les élections pour les maires en place. Un peu l’équivalent du Pacs dans divers pays. Mais il n’a qu’une valeur très minime pour la communauté LGBT, n’offrant pas la même reconnaissance juridique qu’un couple hétéro aux yeux de la loi japonaise. Les rares avantages procurés par ces certificats ne suffisent pas à donner une vraie légitimité aux gays. Qu’ils soient couples d’hommes ou de femmes. Donc, autant vous dire que l’obsession de Noriko pour le mariage et la relation amoureuse avec une fille qu’elle affichait ouvertement, comme vous allez le comprendre par la suite, eh bien ça ne passait pas très bien et provoquait des gênes visibles auprès des autres élèves. Et même des professeurs.
Certains se sont même plaints de la propension de Noriko à évoquer ouvertement son attirance pour les filles. Ce qui faisait qu’aucune élève ne voulait s’asseoir à côté d’elle lors des cours. De peur d’être abordé par elle. Et les exactions dont elle allait se montrer coupable par la suite les conforterait encore plus dans ce choix. Le directeur l’avait convoquée plusieurs fois dans son bureau à ce sujet, lui demandant une certaine retenue. Il ne condamnait pas son orientation sexuelle. Là-dessus, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’ambiance générale au sein de Noizawa, Mr. Nobutaka était très large d’esprit. Ce qu’il reprochait à Noriko, c’était de mettre dans l’embarras les professeurs et élèves du lycée. Plusieurs fois, il a cherché à contacter les parents de Noriko, sans jamais obtenir de réponse. Beaucoup d’entre nous nous demandions même si elle en avait vraiment et qu’elle n’avait pas menti à leur sujet. Ceci en trafiquant les papiers officiels en s’inscrivant à Noizawa. Néanmoins, l’une des élèves assistait régulièrement la responsable administrative du lycée, Mlle Maohito, et était donc au courant de la plupart des décisions du directeur, dans plusieurs domaines. Comme elle avait bien du mal à garder pour elle certains secrets, ce que sa position exigeait en temps normal, plusieurs d’entre nous étions au courant de tout ce qui avait été décidé sur certains élèves.
C’était un peu notre “taupe”. Elle s’était fait taper sur les doigts à plusieurs reprises par Mlle Maohito pour ses nombreuses incartades au secret, mais était toujours pardonnée par l’intervention de Mr. Nobutaka. Au grand désespoir de Mlle Maohito, qui aurait préféré avoir une assistante moins bavarde sur ce qui se passait au sein du cadre administratif. Il faut dire aussi que Mariko, notre taupe, était la petite fille de Mr. Suzuchi. Un magnat de la presse et grand ami de Mr. Nobutaka. Ce qui pouvait expliquer la tolérance de ce dernier aux indiscrétions de Mariko. Quoi qu’il en soit, grâce à cette dernière, on savait pas mal de choses sur Noriko. Comme l’existence bien réelle des parents de celle qui allait provoquer terreur et larmes au sein de Noizawa. Leur désintérêt sur le comportement de leur fille prêtait encore plus à confusion, et soulevait à la fois indignation et incompréhension pour les familles ayant vu leur enfant leur être ôté, après le suicide de ces derniers. Personne n’osait en parler, mais il semblait évident que ces mêmes familles avaient dû percevoir des sommes d’argent conséquentes pour ne pas intenter d’actions judiciaires envers les parents de Noriko. Vraisemblablement dans un souci de ne pas apporter de préjudice à Noizawa, et donc à Mr. Nobutaka, qu’on soupçonnait avoir une fortune conséquente. Dont une grande partie servait à calmer les ardeurs de parents susceptibles de causer du tort à l’établissement.
Je vous l’ai déjà dit : la loi du silence fait partie intégrante de Noizawa. C’est ce qui a fait partie de la résignation de chaque élève à ne pas faire de vagues après chaque suicide. À ce sujet, maintenant que je vous ai évoqué ce que je savais de la personnalité de Noriko, il est temps d’entrer dans le vif du sujet, et de vous dire pourquoi elle a provoqué cette vague de morts au sein de Noizawa. Par son comportement, ses obsessions et son goût pour les filles du lycée. On apprendrait par la suite qu’elle avait été changée de lycée plusieurs fois à cause de ses exactions peu appréciées par d’autres lycées. En tout cas, c’était la version officielle. Noizawa était le 4ème de son parcours scolaire. La première victime se nommait Yumi Tanekoshi. Elle était considérée comme la plus belle fille du lycée, et de très loin. Toutes les élèves étaient en admiration devant elle. Non seulement elle était jolie, mais en plus, elle excellait en tout : aussi bien dans toutes les matières qu’en sport. C’était la cheffe de l’équipe de volley-ball. Une équipe qui enchaînait les succès depuis que Yumi en avait pris la direction. Ce qui participait grandement à son immense popularité. Aussi bien de la part des élèves que des professeurs et de Mr. Nobutaka.
Vous vous doutez bien qu’au vu de son extrême beauté, Yumi n’a pas laissé indifférente Toriko. Mais elle a montré une manière très perturbante d’afficher son intérêt envers la star du lycée. Elle s’est mise à arborer les mêmes robes qu’elle, les mêmes coiffures, les mêmes bijoux, les mêmes chaussures. Personne ne comprenait comment elle pouvait obtenir ces tenues. Certaines étaient très coûteuses. Et, de ce qu’on savait grâce aux confidences de Mariko, ses parents n’avaient pas des fonctions à même d’acheter des toilettes aussi onéreuses. Noriko n’a jamais voulu expliquer comment elle parvenait toujours à avoir les mêmes habits que Yumi. C’était d’autant plus étonnant que certains d’entre eux se trouvaient être des modèles censés être uniques et venant de grands couturiers. Des modèles commandés à l’étranger par les parents de celle qui fut ma camarade, dont de grandes maisons de mode situées en France. Un pays qui était particulièrement apprécié par Yumi d’ailleurs. D’où le choix de ses parents de lui acheter des confections venant de là-bas. Que Noriko ait pu acquérir ces modèles étaient du domaine de l’impensable, au vu de leur rareté et leur prix.
Yumi a même demandé à ses parents, après avoir constaté que Noriko la copiait constamment, s’il s’agissait bien de modèles uniques et qu’ils n’avaient pas été trompés par les maisons de couture sur l’exclusivité de ces robes. À ce stade du récit, je dois préciser que Noizawa fait partie des rares lycées japonais à autoriser à certaines élèves le port de tenues personnelles, et non pas l’uniforme réglementaire. La popularité de Yumi et le prestige qu’elle apportait à Noizawa en tant que cheffe de l’équipe victorieuse de volley-ball faisait que Mr. Nobutaka lui permettait ce petit écart. Ce qui n’était pas le cas de Noriko, censé se conformer à l’étiquette imposée par la direction du lycée. À ce titre, cette dernière semblait ne pas prêter d’importance au règlement intérieur. Mr. Nobutaka a bien tenté de lui faire comprendre ce point, tout en insistant d’arrêter de copier Yumi, celle-ci s’étant plainte du comportement de Noriko. Mais cette dernière avait fait preuve d’une maîtrise totale des lois en vigueur dans les lycées japonais. Elle refusait de renoncer à porter ce qu’elle voulait comme habits, tant que Yumi serait également autorisée à le faire.
Mr. Nobutaka se voyait mal demander à Yumi de revenir au respect du port de l’uniforme de Noizawa. De peur de la réaction de ses parents et de l’importance de ceux-ci dans le cadre de sa loi du silence appliquée au sein de l’établissement. Ce qui fait qu’il se trouvait dans une impasse. Noriko n’avait pas expressément menacé de dévoiler ce petit écart aux règles à qui de droit. Mais le sous-entendu était suffisamment explicite pour que Mr. Nobutaka ne prenne pas le risque d’un scandale qui entacherait non seulement son établissement, mais aussi le nom des Tanekoshi. Ceux-ci étaient très connus dans le domaine de l’industrie, et se les mettre à dos, simplement parce qu’il aurait exigé de leur part que leur fille se conforme au règlement, n’ignorant pas que les Tanekoshi vouait un quasi-culte à leur enfant unique et lui cédant le moindre caprice, c’était un risque que Mr. Nobutaka ne pouvait se permettre. Jamais il n’aurait mis en péril le prestige de Noizawa, simplement pour une histoire de tenue non conforme arborée par l’élève la plus populaire de l’établissement. Alors, il a laissé couler et n’a pu qu’accepter que Noriko fasse comme elle l’entendait en termes de tenue. Même si cela était un signe de provocation ouverte envers Yumi.
Excédée de se voir copiée, Yumi a fini par aller voir l’objet de son agacement. J’étais présente ce jour-là, et je peux vous dire que la conversation a vite failli tourner au pugilat, tellement mon amie était furieuse. Elle a demandé à Noriko pourquoi elle s’amusait à la copier, et comment elle parvenait à obtenir des modèles issus de grands couturiers français, pour la plupart d’entre eux. La réponse de l’intéressée a été déstabilisante. Si Noriko a refusée d’indiquer comment elle parvenait à acquérir des tenues identiques, en revanche, elle a avoué être amoureuse de Yumi. Pour celle-ci, ce fut un choc. Bien sûr, elle n’ignorait pas l’admiration que lui vouaient plusieurs filles du lycée, tout comme elle n’était pas stupide au point de ne pas être au courant des orientations sexuelles de certaines de ses admiratrices. Mais jamais aucune d’entre elle n’aurait eu l’affront de lui dire ouvertement leurs sentiments face à face. Elles auraient eu bien trop peur de se voir exclues du cercle de privilégiées de Yumi, pouvant l’accompagner où qu’elle aille, et profitant de ses largesses.
Cette révélation fut la goutte d’eau pour Yumi. Non seulement Noriko se moquait d’elle en portant les mêmes tenues qu’elle, ce qui avait parfois comme conséquence certains rires de la part d’élèves peu discrètes envers la star de Noizawa ; mais, en plus de ça, elle venait de lui avouer de plein fouet qu’elle l’aimait. Yumi n’avait pas de grief contre les LGBT, tant que celles-ci n’affichaient pas leurs préférences en public et n’en parlait pas devant elle. Elle acceptait leur “existence” tant que cela servait ses propres intérêts au sein du lycée. L’outrage que venait de lui adresser Noriko, par cette simple déclaration, et devant d’autres élèves en plus, c’était plus que Yumi pouvait en supporter. Elle s’est mise à gifler la fautive, de plus en plus violemment. Sans que cette dernière ne montre l’intention de se défendre, supportant les coups avec un calme olympien. Ce qui avait pour effet de redoubler la colère de Yumi qui intensifiait ses attaques, se transformant en coups de poings et de pieds sur le corps de l’effrontée Noriko. Celle-ci se retrouva à terre, subissant les coups de Yumi sans réagir. Tout juste se contentait-elle de dire de temps à autre qu’elle était fière de recevoir des blessures de sa part, d’être touchée par elle, de sentir sa peau contre la sienne.
Noriko semblait prendre plaisir à être malmenée par celle qu’elle aimait. Ce qui fit reculer Yumi, ne voyant plus sa copieuse autrement que comme une aberration de la nature. J’étais tout aussi déstabilisée, et c’était le cas aussi des autres élèves présentes lors de l’altercation, sur l’attitude contre-nature de Noriko. Celle-ci montrant ainsi une autre facette hautement malaisante de sa personnalité aux yeux d’un grand nombre. Yumi a fini par s’arrêter en insultant Noriko de tous les noms, lui sommant d’arrêter de la copier et de l’approcher. Auquel cas, elle s’exposait à d’autres violences bien plus conséquentes, y compris en dehors du lycée. Pour toute réponse, Noriko exprimait son envie d’attendre ça avec impatience. Ce qui fit pâlir Yumi. Les jours d’après, le comportement de Noriko ne changeait pas, s’évertuant à ressembler le plus possible à son amour qu’elle n’avait pas hésité à afficher en public. Il arrivait parfois que Noriko adresse des baisers à distance envers Yumi. Aussi bien en classe que dans la cour. Plusieurs fois, elle a tenté de s’installer à ses côtés, en lieu et place de la camarade habituelle de Yumi en cours. Ce qui entraînait des réactions violentes de la part de cette dernière, tout juste stoppée par le professeur venant d’entrer dans la pièce, et assistant à la scène.
En résultait la sortie de Yumi, au bord des larmes, montrant son exaspération d’une situation qui échappait à son contrôle. Au fil des semaines suivantes, les notes de Yumi, habitué à être celle qui ne pouvait être dépassée, se mirent à baisser drastiquement. Ce qui ne manqua pas d’inquiéter les professeurs, en référant à Mr. Nobutaka. Yumi fut invitée à se rendre dans le bureau du directeur pour tenter d’apporter un semblant d’explication à cette chute de niveau. Ce n’était un secret pour personne : tous comprenaient que le comportement de Noriko à son encontre était la cause évidente de la descente anormale des notes de l’élève la plus cotée de Noizawa. Yumi refusait d’en parler à quiconque, mais avait cependant exposé les faits à ses parents. Ceux-ci avaient exigé le renvoi de Toriko pour protéger leur fille. Dans le cas contraire, ils envisageraient de retirer leur fille de l’établissement. Cependant, c’était Yumi qui s’était rendue coupable de violences. Et, bien que l’attitude de Noriko fût hautement discutable, dans les faits, elle n’avait rien fait qui justifie son renvoi. Copier les tenues vestimentaires d’une élève n’était pas préjudiciable au regard des règles de l’établissement, et Mr. Nobutaka eut bien du mal à le faire admettre aux Tanekoshi. Ceux-ci finirent par avouer leur impuissance à la situation, au même titre que Mr. Nobutaka, qui leur assura de chercher toute solution pour mettre fin au calvaire subi par Yumi.
Il n’eut pas le temps de trouver quoi faire : deux jours plus tard, tout le lycée entendit Yumi s’adresser à Noriko du toit de l’établissement. Elle expliquait qu’elle lui concédait la victoire : comme elle ne pouvait pas l’empêcher de lui rendre la vie impossible, elle n’avait d’autre solution que d’y mettre fin. Des paroles proférées à haute voix, avec pour effet de faire sortir l’ensemble du lycée. Tout le monde fut épouvanté en voyant Yumi s’être postée sur le bord du toit, prête à se lancer dans le vide pour être “libérée”, tel qu’elle l’annonçait. Des professeurs tentèrent de monter en haut de l’édifice pour ramener Yumi à la raison. Mais celle-ci avait pris soin de bloquer la porte en bouchant la serrure et placé une barre de fer en travers de l’accès. Ce qui n’offrait pas de solution pour éviter le drame. Après que Mr. Nobutaka eut été prévenu de la situation, celui-ci n’eut d’autre possibilité que d’avertir une unité policière spécialisée dans ce type d’intervention. En attendant sa venue, il tenta de discuter avec Yumi du bas du lycée. En vain. Yumi restait sourde à quiconque essayait de la dissuader. Et bientôt, le pire arriva. Elle ferma les yeux et se laissa tomber, atterrissant avec fracas quelques secondes plus tard sur le sol, dans une gerbe de sang aspergeant les élèves les plus proches de la zone d’impact. Le son des os brisés suivant cette chute n’a jamais pu être oublié. Il fut l’évènement le plus spectaculaire des victimes de Noriko. Les autres se montreraient plus discrètes quant à leur choix de fin de vie pour échapper à leur “stalker” d’un nouveau genre.
Pour chacune d’entre elles, Noriko adopteraient ses “preuves d’amour” de manière similaire. Bien que ses autres égéries se conformaient à porter l’uniforme réglementaire, Noriko n’en montrait pas moins la volonté de ressembler aux élues de son cœur, en remplacement de Yumi. Le jour de la mort de celle-ci, Noriko avait encore plus occasionné un sentiment de rejet de la part des élèves, du fait de sa réaction. Elle s’était approchée du corps sans vie de son amour perdu, lui caressant la joue en lui adressant des mots tendres, avant de poser ses lèvres sur celles du cadavre. Je vous laisse imaginer le dégoût général occasionné à la vue de ce spectacle écœurant. Quand l’équipe d’intervention est arrivée quelques minutes plus tard, Noriko était couchée sur le corps inanimé de Yumi, pleurant sa perte. Les officiers ont eu toutes les peines du monde à l’arracher au cadavre. Si ce n’était la situation hautement malaisante causée par son baiser morbide, et l’impossibilité pour nous d’oublier que Noriko était la cause directe de la décision de Yumi, on aurait presque eu de la peine pour celle qui se présentait soudainement comme une amoureuse classique, anéantie par la mort de son amour. Mais dans le cas présent, les circonstances faisaient qu’il était impossible de compatir à son improbable tristesse.
Chiyo, Tani, Saya, Minori, Ran… Toutes celles qui ont suivi ce premier drame, objet de la passion effrayante de Noriko ont vu leur prétendante copier nombre d’éléments qu’elles arboraient. Que ce soient les boucles d’oreilles, les coiffures, le maquillage, utilisant les mêmes teintes de gloss sur les lèvres… à se demander comment elle parvenait à déterminer la marque et le modèle utilisé : rien n’était laissé au hasard. Jusqu’aux chaussures et aux motifs présents sur les bas, parfois même des bracelets ou des tatouages. Pour un grand nombre d’entre nous, il semblait évident, sachant le goût de Noriko pour l’ésotérisme, que cette faculté à pouvoir tout copier était du fait d’une pratique de la sorcellerie. Ça ne pouvait pas en être autrement. Mariko a appris de la bouche de Mlle Maohito que les parents de Yumi ont interrogé les couturiers français : ceux-ci ont certifié que leurs modèles étaient uniques et que seule Yumi possédait les tenues vendues. Il était impossible qu’un autre couturier, aussi talentueux soit-il, ait pu reproduire à l’identique ce qu’ils avaient confectionnés. Ces créations étaient composées de matières très difficiles à obtenir, et donc extrêmement coûteuses, venant de boutiques spécialisées. Boutiques ayant certifiées ne les avoir vendues qu’aux couturiers ayant créé les robes de Yumi, et à personne d’autre. Seule l’emploi de la sorcellerie par Noriko pouvait expliquer la perfection des copies.
Est-ce qu’il vous est possible d’imaginer la frayeur que nombre d’entre nous avons ressentie en découvrant le cadavre pendu de Chiyo, en entrant dans la salle de cours après la pause déjeuner ? Pouvez-vous ressentir l’horreur nous submergeant en voyant le corps de Saya s’étant égorgée dans les toilettes ? Ou encore le désespoir d’une de nous en trouvant sa sœur Minori à l’arrière du lycée, près du gymnase où elles avaient l’habitude de se retrouver, allongée sur l’herbe avec de la bave aux lèvres ? Signe évident d’un empoisonnement volontaire. D’autant que le flacon ayant servi à l’acte se trouvait non loin du corps sans vie de la malheureuse victime de Noriko. Je ne pense pas que vous puissiez être à même de comprendre sans l’avoir vécu vous-même. Personne ne le peut en dehors de toutes celles qui ont été les témoins de ces morts. À la différence de Yumi, toutes les victimes avaient choisi la discrétion pour mettre fin à leur vie, dans le but de ne plus subir la pression exercée par le comportement de Noriko vis-à-vis d’elles. Ce qui n’en était pas moins terrible à vivre à la vue de leurs cadavres se montrant à notre regard terrorisé.
À chaque découverte, Noriko a effectué le même rituel d’adieu. Elle se positionnait sur le corps de son amour perdu, et l’embrassait tendrement avant de se coucher sur elle. Comme un dernier geste d’adieu. à défaut d’être celui d’un pardon pour ce qu’elle avait causé. Mr. Nobutaka se montrait encore plus impuissant que nous toutes. Il ne pouvait pas accuser Noriko de quoi que ce soit, en dehors d’une éthique malaisante de cette fille de la mort, la faisant copier les tenues ou objets détenus par ses victimes. Aux yeux de la justice, Noriko n’avait pas commis d’actes répréhensibles et ne pouvait donc être mise en cause dans les morts par suicides. Elle n’a jamais été inquiétée et n’a jamais fait l’objet d’aucune poursuite. Plus les morts s’accumulaient, plus la peur s’installait à Noizawa. Chacune d’entre nous craignant de devenir celle dont Noriko tomberait amoureuse. Avec les conséquences que cela entraînait. Nous ne nous sentions pas en sécurité du fait de l’incapacité de Mr. Nobutaka à empêcher Noriko d’agir comme elle l’entendait. Nous supposions, mais nous n’en avons jamais eu la confirmation, même avec l’aide de notre taupe Mariko, que Noriko exerçait un probable moyen de pression sur le directeur. Elle était peut-être au courant de certains secrets pouvant porter atteinte au prestige de Noizawa, menaçant de les révéler si elle était l’objet d’une enquête ou d’un renvoi de l’établissement. Se servant à son avantage de la loi du silence chère au directeur. Ça pouvait expliquer le pourquoi de la désinvolture de Mr. Nobutaka envers Noriko. Tout comme son refus de mener plus avant des investigations ou des preuves concrètes attestant du rôle de celle-ci dans la vague de suicides ayant frappé Noizawa.
Finalement, c’est Noriko elle-même qui mit fin au cauchemar. Elle est partie de son propre chef du lycée, après avoir fait une demande de transfert auprès de Mr. Nobutaka. Ce dernier, trop heureux de cette opportunité de mettre fin à son propre calvaire, pour ne pouvoir agir efficacement et éviter d’autres drames au sein de son établissement, s’est empressé d’accepter. Sans poser de questions sur la motivation de partir de Noriko. Depuis ce jour, Noizawa a repris son quotidien d’avant l’arrivée de celle qu’on surnommait Chi O Motarasu Mono. Autrement dit “La porteuse de mort”. Un terme adéquat au vu de sa propension à délivrer la mort autour d’elle. J’ignore si elle a eu un tant soit peu conscience du mal qu’elle provoquait. Si elle était à même de comprendre que ses coups de foudre détruisaient celles dont elle vouait un culte amoureux sans borgne. Je ne pense pas. Je reste persuadée que dans son esprit, elle se convainquait de n’obéir qu’à ses sentiments. Sans remords sur ce qu’elle provoquait par ses attitudes toxiques, proche du harcèlement, sans l’être tout à fait. Mis à part Yumi, dont la mort spectaculaire avait ouvert le bal et sans doute décidé les autres victimes à agir d’une manière moins démonstrative, pensant échapper au “baiser posthume” de Noriko une fois décédées, les “choix” de fin de vie étaient des formes de Kodokushi. Un terme fréquemment utilisé au Japon pour désigner les suicides solitaires, dont les corps ne sont découverts que quelques jours après l’acte.
Noriko est un mélange de Yandere obsessionnelle, de Kuudere et de Kamidere. Si on devait l’associer à un personnage de manga. Mais elle est bien réelle. J’en ai été témoin. Et je ne peux que remercier les cieux de ne pas avoir attiré son regard et faire de moi une de ses proies involontaires. J’ignore dans quel établissement elle agit désormais, et je préfère ne pas le savoir. Il semble acquis qu’elle n’a jamais été renvoyée des lycées où elle se trouvait auparavant. Elle a toujours choisi elle-même l’endroit où elle devait aller, ainsi que le temps qu’elle y resterait. Ceci en se renseignant au préalable sur les propensions de la direction des établissements à appliquer une discrétion et une loi du silence semblable à celle pratiquée par Mr. Nobutaka. C’est une stratège hors pair, dotée d’une intelligence difficile à définir. Le calme et la maîtrise dont elle a fait preuve face au directeur, la manière dont elle a réussi à déjouer ses tentatives de lui faire cesser ses actes, ça montre bien qu’elle n’a rien d’ordinaire. Par amour, elle n’hésite pas à user de moyens peu orthodoxes et défiants toute logique. L’usage plus que probable de la sorcellerie pour copier les tenues vestimentaires et autres objets de ses cibles, afin d’attirer leur attention en espérant déclencher un sentiment amoureux comme celui qu’elle ressentait, en est la preuve ultime.
Je ne sais pas pourquoi elle agit ainsi. Est-ce vraiment de l’amour dont elle se sent dépendante, prisonnière peut-être un peu malgré elle ? Ou bien un simple jeu morbide, ne s’arrêtant qu’à la mort de son “jouet”, auquel elle rend hommage par ce baiser posthume ? Véritable rituel auquel elle s’adonne sans retenue. Son attitude lors de cela montre pourtant une part de sa personnalité qui semble sincère. Je ne pense pas qu’on puisse créer des larmes comme celles que nous avons toutes vues. Ce sont les seuls moments où nous avons vu de la faiblesse dans son attitude. Comme si elle se disait en elle-même, à cet instant précis : “j’ai encore échoué : je n’ai pas su me faire aimer d’elle, comme toutes les autres avant elle... ” C’est réellement le sentiment que j’ai la concernant. Elle est à la fois un prédateur et une proie de ce sentiment de solitude qui caractérise son éventuel soi profond. Je ne le saurai sans doute jamais. Et, à dire la vérité, c’est mieux comme ça. C’est mieux de la savoir loin de mon lycée. Elle a beau avoir un fond touchant, car cherchant l’amour capable de lui faire cesser ses actions, elle n’en reste pas moins dangereuse et hautement toxique par ses attitudes.
Si vous entendez ceci, si vous pensez reconnaître une élève arrivée depuis peu dans votre lycée, se comportant bizarrement et montrant des vues envers une autre fille en adoptant une technique de séduction causant le trouble, je ne peux que vous conseiller de faire en sorte de ne surtout pas vous faire remarquer par elle. Si c’est le cas, fuyez. Ne cherchez pas à l’affronter, par quelques manières que ce soit. Ne cherchez pas à la faire partir. N’essayez même pas de lui faire comprendre que ce qu’elle fait n’est pas bien : vous vous en mordrez les doigts et vous ne ferez qu’attiser encore plus son attirance envers vous. Dès lors, vous deviendrez sa cible. L’objet de sa passion particulière à plus d’un titre. Et vous n’aurez aucune chance de vous en sortir, à moins de vous éloigner le plus possible d’elle. Elle est la mort. Elle est la peur. Elle est Noriko Sakachi. Celle qui apporte le désespoir au fond des cœurs les plus solides, jusqu’à les envoyer dans le néant le plus absolu...
Publié par Fabs
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