Qu’est-ce qui détermine la puissance d’une passion ? Attention : je ne parle pas de la passion amoureuse, qui, elle, se détermine au fil du temps passé avec l’être aimé, et découle d’autres passions. À savoir des aspirations communes à apprécier quelque chose de beau aux yeux de l’un et l’autre. Non, moi je parle d’une autre forme de passion : Celle que la vue de matières ou d’objets exercent sur nous. Jusqu’à nous fasciner au point d’atteindre un paroxysme d’envie et de plaisir visuel. Parfois même nous dévore de l’intérieur. Comme un feu brûlant embrasant le moindre de nos organes, nous mettant dans un état second au point de ne plus voir rien d’autre autour de nous que l’objet de notre obsession intense. Car, oui, c’est exactement ça que l’on ressent dès lors qu’on se retrouve en présence de ce que l’on considère comme l’essentiel d’une vie passée à rassembler les différents éléments constituant cette passion insatiable. Comment ne pas sentir de la frustration alors, quand ce que l’on convoite est hors de notre portée ? Que ce soit pour des raisons financières, éthiques ou émotionnelles. Le feu en nous passe du statut de braises incandescentes à un brasier de colère. On a envie d’écarter sauvagement celui ou celle qui nous prive du bonheur se trouvant à portée de main, mais pourtant inaccessible. On pense à la manière la plus adéquate pour s’emparer de ce qui nous obsède, même si cela signifie recourir à une violence aussi sauvage et extrême qu’un fauve visant sa proie pour nourrir les siens.
Une forme de folie telle qu’on ne peut résister à commettre l’irréparable qu’au prix d’une force de volonté allant au-delà de ce que l’on considère comme un être humain. Si vous avez connu un tel moment à la fois d’extase et de haine de son prochain, à la simple vue d’un objet échappant à votre envie de le serrer fort contre soi, vous devez nécessairement comprendre ce à quoi je fais allusion. Sans pouvoir ajouter votre objectif sur les territoires de ce qui est pour vous votre jardin secret, souvent incompris par vos proches, vos sens perdent tout sens de la réalité. S’engage alors un combat intérieur entre votre envie de s'approprier votre cible, sans prendre en compte les dommages collatéraux si vous vous laissez envahir par vos instincts primaires de possession, et la voie de la raison. Celle qui vous intime l’ordre d’obéir à la loi de l’auto-contrôle de soi, en renonçant à toute action inappropriée en présence d’une foule pouvant vous priver de toute suite à vos projets. C’est là que la démesure de votre dessein premier vous apparaît, et que le raisonnable l’emporte sur l’inconscience. Un sentiment qui, cependant, peut disparaître si vous vous trouvez seul et sans témoin aucun, au sein d’un lieu dénué de toute surveillance. Et donc à même de trahir vos actes, sans risque d’être conduit devant une justice qui ne parviendra jamais à se mettre en accord avec vos pulsions. Celles-là mêmes qui sont commanditées par votre envie de prendre et de posséder ce que vous convoitez avec un entrain démesuré. Sans même vous en rendre compte, vous ignorez toute retenue et vous lancez à corps perdu dans un combat dont vous vous persuadez que vous en ressortirez vainqueur.
Tout ce que je viens de vous décrire n’est pas le récit de simples malfrats voulant s’accaparer les richesses d’autrui. Non. Ceux-là n’ont aucune idée de ce qu’est la véritable passion : ils n’agissent que par pure nécessité, dans le but de satisfaire des besoins de changer de vie. Ça n’a rien à voir avec la passion que l’on ressent en présence d’une pièce rare, d’un timbre n’existant qu’en quelques exemplaires, d’un modèle unique de voiture. Et ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres de ce qui constitue l’apogée du quotidien de ce que l’on appelle familièrement un collectionneur. Je fais partie de cette catégorie. Même si, dans mon cas, je me considère bien plus que ça. Selon moi, mon activité, ma manière d’agir, cela appartient à une catégorie très différente des banals chercheurs d’objets rares. Ceux qui parcourent sites internet, salons et expositions à travers la planète, dans le seul but d’assouvir la flamme de leur passion. La mienne est tout autre. J’y vois plus un moyen d’offrir la possibilité à l’humanité de garder des traces de ce qu’elle a de plus magnifique en elle. Une quête destinée à réunir les meilleurs spécimens existants se trouvant en chaque être, et les réunir au sein de ce que j’appelle ma salle aux trésors.
Aujourd’hui, je sais que peu comprendraient mon intention de vouloir donner au monde, dans un avenir lointain, l’exaltation que représente l’alignement de tous mes trophées. C’est pourquoi je n’ai d’autre choix que d’agir dans l’ombre, à l’insu de ceux qui voudraient faire en sorte de mettre un terme à mon projet de préservation d’un patrimoine universel à mes yeux. Mes trésors sont tous différents, mais uniques en leur genre. Je les ai tous choisis consciencieusement, en observant les radios de mes patients. Je pense qu’avec cette phrase, vous avez déjà une idée du métier que je pratique, et qui m’est bien utile pour que ma passion dédiée à une partie bien précise de l’être humain s’enrichisse chaque semaine d’un nouveau souvenir impérissable. Cela grâce au soin tout particulier de conservation dont je fais preuve pour chacun d’entre eux et qui fait ma fierté. En résulte une série de ce que je considère comme des artefacts à part entière, de par leurs aspérités admirables, leur texture, leur éclat. Le résultat d’un polissage minutieux pour que chacun d’entre eux resplendisse de mille feux.
Mais sans doute vous demandez-vous quelle est la nature de ces œuvres d’art que je vous évoque depuis le début de mon témoignage ? Quels sont donc ces splendeurs extraordinaires, de mon point de vue, présents à l’intérieur de contenants me permettant de les admirer jour après jour ? Et ce, avec la même ferveur depuis la toute première fois où j’ai découvert ma passion m’ayant poussé à créer ce mausolée, au sein même de ma demeure... Je pense qu’il est en effet temps de tout vous relater en détail de ce qui fait le sel de ma vie, comblé par un métier m’offrant le tremplin idéal pour qu’existe ma collection unique au monde, j’en suis certain. Quand je vous aurai révélé quelle est cette passion qui m’enivre régulièrement, rien qu’en m’installant sur le fauteuil que j’ai installé au centre de ma salle au trésor, ceci afin de profiter de l’ensemble de ma collection pendant des heures, je subodore que vous m’associerez à Ed Gein. Et vous n’aurez pas totalement tort, puisqu’il a conduit à être l’un des facteurs justifiants, à forte raison, ma fascination pour ces artefacts que je chéris tant. Mais pas uniquement. Attention : je tiens à préciser que je refuse d’être considéré comme un serial killer, au même titre que lui. Je ne suis pas un dépravé mentalement instable comme il l’a été. Même s’il a contribué, en quelque sorte, à alimenter l’étincelle conduisant à faire de moi l’homme que je suis aujourd’hui, je suis complètement différent.
Ed Gein ne savait sans doute même pas pourquoi il opérait à l’élaboration de ces objets ayant fait de lui une “star” des médias, en se servant des corps de ses victimes. Qui plus est, il n’y a qu’une partie bien précise de son travail qui se rapproche de cette passion en moi : celle comportant l’utilisation des vertèbres. Car c’est bien de cela dont je vous fais l’éloge depuis tout à l’heure : les vertèbres. Mais uniquement les vertèbres humaines. Les seules étant capable d’exacerber mes sens. Les seules pouvant m’exciter à un niveau qu’il ne vous sera jamais possible d’évaluer. Car vous n’êtes pas comme moi, je le devine aisément. Je sais que je suis ce qu’on appelle un “cas à part”. Ed Gein, contrairement à moi, ne voyait dans les vertèbres humaines qu’un accessoire de décoration dont il n’était même pas conscient de leur beauté profonde. Elles n’étaient que des éléments d’une large panoplie artistique, où peau, organes et l’ensemble de l’anatomie humaine constituait l’ensemble de son activité d’artiste à part entière. Je vous choque en disant ça ? En évoquant le passe-temps morbide d’un être que vous, comme nombre de personnes ayant appris ce qu’il avait commis, considérez comme des actes innommables ? Pourtant, vous devez bien reconnaître que la manière qu’il a eu de mixer os, épiderme et divers composants du corps humain pour en faire des objets de tous les jours, que ce soient des abat-jours de lampes, des costumes ou les bases lui ayant permis de fabriquer des meubles comme des sièges ou des chaises, appartient bien à une forme d’art. Même si cela ne vous inspire que du dégoût, ses œuvres, je ne peux pas les qualifier autrement, ont marqué l’histoire.
J’en ai pour preuve la réutilisation de son art par d’autres artistes, plus “normaux” à vos yeux. À la différence que ces artistes-là n’ont pas utilisés de vrais morceaux de corps humains pour la conception des objets qu’ils vendent, avec un succès indéniable, vous ne pourrez par dire le contraire, sur leurs sites internet ou lors d’expositions attirant les foules. Donc, vous voyez, ce que vous trouvez choquant ne l’est pas pour tout le monde. C’est juste une question de point de vue. Certains s’offusqueront que ces mêmes artistes offrent une estime posthume à l’art d’un des plus connus serial killer de l’histoire, tandis que d’autres se feront une joie d’annoncer s’être porté acquéreur de ces imitations. Toutefois, comme déjà indiqué auparavant, je ne suis pas un émule d’Ed Gein. Au sens où je ne fabrique pas d’objets issus du corps humain. Seules les vertèbres m’intéressent et ont valeur d’œuvres à elles seules. Qui plus est, je n’ai découvert l’histoire de ce tueur que bien après avoir trouvé ma propre vocation. La courbure des os, les lignes des jointures reliant chacune d’entre elles, le réfléchissement de la lumière sur leur surface… Les vertèbres humaines n’ont pas d’équivalent de beauté en ce monde pour moi. Je tiens à préciser que, au même titre qu’Ed Gein, encore une fois, je me considère comme un artiste à part entière. Je ne fais pas que collecter les pièces de ma collection : je les peaufine, je les polis, je les sublime pour qu’elles expriment toute leur splendeur et obtiennent une magnificence au sein de ma salle aux trésors. C’est pourquoi je ne suis pas un simple collectionneur avide, se contentant de mettre ses acquisitions sous cadre ou derrière une vitrine. Les contenants mêmes de ce qui compose ma collection sont eux-mêmes le fruit d’une savante élaboration, conçus pour offrir le meilleur de mes pièces en leur sein, et que je peux aussi palper selon mon désir, grâce à un procédé ingénieux.
L’extraction des vertèbres fait aussi appel à une minutie toute particulière : il m’est interdit de commettre la moindre erreur pour les sortir du corps d’où elles sont issues. À ce moment du récit, je dois préciser que je suis Serbe. J’ai été élevé au sein d’une famille aimante et très à cheval sur les croyances et la préservation des traditions de notre peuple d’origine. Des croyances qui peuvent être considérées comme des superstitions pour nombre de personnes n’étant pas ressortissantes d’Europe de l’Est. Mais là d’où je viens et où j’ai vécu avant que mes parents soient obligés de fuir les conflits ayant débuté en 1992 en Bosnie-Herzégovine, à la suite de la proclamation d’indépendance du président Bosniaque Izetbegovic et provoquant la colère du peuple serbe, ces “superstitions” étaient prises très au sérieux. Et malheur à qui ne les respecteraient pas ou useraient de versions “raccourcies” pour abréger des cérémonies. En Bosnie-Herzégovine, les Serbes étaient mal-aimés. Leurs croyances se retrouvaient bien souvent conspuées par les habitants non serbes des villes. Dans celle où je vivais avec mes parents, Klirnek, le maire était bosniaque. Il montrait régulièrement son opposition à la présence serbe dans ce qu’il désignait comme “sa” ville. Ce qui avait pour effet des rixes récurrentes entre les populations serbes et bosniaques de la cité. Le maire savait l’importance des Serbes pour les inhumations au cimetière local. Il n’hésitait pas à se servir de son influence pour “abréger” la longueur des cérémonies, malgré l’opposition du prêtre, qui, lui, était serbe. On avait parfois des séances d’engueulades mémorables publiques entre les deux. C’était un peu comme la série de films franco-italiens “Don Camillo”, mais en moins tolérant de part et d’autre.
Parmi les nombreux différends les opposant se trouvaient les rites liés à l’embaumement des morts, qui se devaient, selon les traditions serbes, d’être très minutieux pour que les os, censés abriter l’âme des défunts, toujours selon les croyances serbes, soient le mieux préservés possibles avant l’enterrement. Ce qui avait un coût non négligeable, comme vous devez bien vous en douter, et faisant appel à des produits spécifiques. Le but étant que l’âme du mort puisse rester au sein du caveau le plus d’années possibles, afin de pouvoir rendre visite à sa famille lors des dîners. Ce qui permettait à ces foyers endeuillés d’accepter plus aisément la disparition du défunt, car sachant qu’il venait lors des dîners. De ce fait, il y avait toujours une assiette en plus à table à ce moment de la journée : celle de la personne décédée. Bien sûr, elle ne comportait pas de nourriture : c’était purement symbolique. Un mort ne pouvant pas manger de la nourriture humaine, car il ne se trouve pas dans le même plan dimensionnel. Néanmoins, cette croyance était très respectée et dépendait de la conservation du corps mis en terre. En particulier ses os. On disait que des os mal préparés à durer ferait fuir l’âme du corps, et que celle-ci serait condamnée à ne pas retrouver le chemin de sa maison. Il errerait sans fin à la recherche de celle-ci sans trouver le repos. Le maire se moquait de ces croyances jugées stupides et affaiblissant le budget de la ville. Il a fini par interdire l’usage des produits nécessaires pour la préservation optimum des os, lors de l’embaumement des corps des défunts. Ce qui a provoqué de nombreuses protestations. C’était quelques mois avant l’insurrection serbe à Sarajevo, en 1992.
Après ça, les Serbes de la ville ont profité des conflits nationaux pour mettre à sac la mairie : une véritable guerre ouverte s’est alors déclenchée au sein de la cité entre serbes et bosniaques. C’est là que mes parents ont décidé de fuir avec moi et mon frère. Malheureusement, ce dernier n’a pas pu supporter le voyage. Il était déjà malade depuis quelques semaines avant notre fuite, et aurait dû bénéficier de soins. Mais l’hôpital avait comme directeur un bosniaque, qui profitait des conflits ravageant la ville pour interdire à tout serbe de se faire soigner. Une décision qui n’a fait que redoubler les affrontements. Nous n’avions aucune notion en médecine, et à cause de ça, nous ignorions de quoi était atteint Brojnic, mon petit frère. Il est mort dans son sommeil 6 jours après notre départ de Klirnec. Nous avons voyagé jusqu’à trouver refuge en France, où mon père a entrepris des études de médecine. Ce n’était pas innocent, comme vous devez le penser. Pour lui, c’était un moyen d’exorciser la perte de mon frère. Il ne voulait plus se révéler ignorant en soins, et ne plus subir d’autres pertes au sein de notre famille, par ignorance, au cas où on se retrouverait confronté à un problème similaire dans notre nouvelle terre d’asile. Ma mère avait beau lui dire que c’était différent ici, et qu’on ne subirait pas le même rejet, mon père ne voulait rien savoir. Elle n’avait pas vu un sourire chez lui depuis la mort de Brojnic, et désespérait qu’il redevienne un jour l’homme qu’elle avait épousé. Quand je fus en âge, mon père, devenu depuis un médecin réputé au sein de l’hôpital dans lequel il officiait, voulut que je suive ses traces. Ceci afin que je puisse être capable, moi aussi, de sauver les membres de ma future famille.
Il insistait beaucoup là-dessus. Mais moi, je n’étais pas particulièrement intéressé par le fait de devenir chef d’une petite tribu, avec femme et enfant. En revanche, la perspective d’apprendre la médecine était bien plus tentant. Je me suis tu sur mes ressentiments véritables, et ai accepté que mon père me fasse bénéficier des mêmes études que lui-même avait suivies. Toutefois, j’ai voulu me spécialiser dans le domaine de la radiologie. J’avais eu l’occasion de voir mon père occuper les fonctions de radiologues, entre autres spécialités, au sein de l’hôpital où il travaillait, et j’ai ressenti un émerveillement à la vision de tous ces appareils capables de montrer ce qui se trouvait dans le corps humain. Plus que tout le reste, c’était surtout la vision des os qui me fascinait. Ce n’était pas vraiment nouveau chez moi. Lorsque nous étions encore en Bosnie-Herzégovine, c’était quelque chose qui était source chez moi d’un intérêt majeur. Il m’était arrivé plusieurs fois, sans en informer mes parents, d’explorer le corps de petits animaux que j’avais découvert dans la forêt proche d’où nous habitions. Des mulots pour la plupart, mais aussi, plus rarement, des bêtes un peu plus grosses. Tels des renards ou des blaireaux. Les corps étaient dans un état de décomposition avancé et leur cage thoracique était très nettement visible. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais la vue de ces os, et particulièrement les vertèbres la composant, faisait briller mes yeux. Je me servais de branches pour écarter la chair putride entourant les os, et observer plus attentivement l’objet de ma fascination. J’étais tellement obnubilé par eux qu’il m’arrivait parfois d’oublier l’odeur nauséabonde se dégageant des cadavres, et je touchais les vertèbres s’offrant à mes yeux.
Plusieurs fois, je prétextais de sorties entre amis pour me rendre seul dans la forêt, sans mon petit frère, et chercher d’autres cadavres à “explorer”. Je savais qu’il y avait des braconnages réguliers, malgré leur interdiction par arrêté de la mairie, et j’ai appris à repérer les lieux de placements des pièges des contrevenants dans l’espoir de soustraire à leur piège les corps d’animaux. Ils n’étaient pas toujours morts quand je les découvrais. Je les voyais agoniser, me regardant comme pour me demander de les libérer, ou du moins abréger leurs souffrances. J’obéissais alors à une forme d’instinct me parcourant l’esprit dans ces moments. Je prenais une grosse pierre et portais un coup bref et violent sur les crânes des animaux piégés. Je sortais ensuite les cadavres de leur carcan, en m’aidant d’outils pris dans l’atelier de mon père, à son insu, et les transportait dans un coin de la forêt dans laquelle je savais que je ne serais pas dérangé. Je procédais alors à un dépeçage méticuleux de l’animal mort. À l’aide d’un couteau, lui aussi ramené de ma maison, je découpais la chair consciencieusement, prenant garde à ne pas être éclaboussé par le sang giclant lors de l’opération. Une fois procédé à cette ouverture, je plongeais mes doigts dedans, écartant la fourrure et la chair, afin de mettre à nu les organes de l’animal. Je m’appliquais alors à enlever chacun d’entre eux, pour pouvoir accéder aux vertèbres. Je savais comment procéder, car j’avais vu des reportages sur le sujet à la télévision. Les documentaires animaliers sont une source intarissable d’informations, tout comme ceux dédiés à des métiers rattachés à l’industrie du travail de la viande. À l’origine, c’était ce à quoi mon père me destinait d’ailleurs. Avant les conflits. Avant la guerre. Avant la mort de Brojnic. Il voulait faire de moi un boucher, comme mon oncle dont j’admirais tant le travail.
C’est ce dernier qui m’a aussi donné mes premières “infos” sur le métier de boucher. En plus des documentaires qui ont approfondi mes connaissances, j’ai appris la découpe des corps grâce son soutien. Il était ravi que je veuille devenir un boucher aguerri comme lui, et j’ai souvent été invité à “l’assister” dans la boutique où il travaillait. Ça plaisait beaucoup aux clients de voir un jeune apprenti leur servir leurs pièces de viande, dont j’étais fier de dire que j’avais participé à sa préparation. Sous la supervision de mon oncle bien sûr. Grâce à ces premières expériences, j’ai pu acquérir une solide connaissance de l’art de la découpe, qui me sert toujours aujourd’hui dans le cadre de l’expansion de ma collection personnelle. Les victimes invitées au sein de ma demeure sont les heureux bénéficiaires de mon savoir-faire obtenu lors de cette période. Peut-être est-ce justement cette période de ma vie qui m’a fait me familiariser à la présence de cadavres, et que je n’ai jamais ressenti de dégoût véritable à la vue des corps des animaux trouvés dans la forêt, puis à ceux de mes victimes une fois atteint l’âge adulte. Pourtant, je n’avais pas encore cette fascination pour les vertèbres. Celle-ci est arrivée plus tard, au gré de la découverte de ces cadavres en décomposition.
Je ne m’explique pas ce qui a été le véritable déclencheur à vrai dire. Tout ce que je sais, c’est que cette fascination a été grandissante. Tuer ne m’était pas étranger non plus. Je l’avais déjà expérimenté à de nombreuses reprises, lors de séances de chasse dans des lieux autorisés à la chasse, loin de notre ville de Klirnec, avec d’autres membres de ma famille. Ce sont eux qui m’ont habitué à achever une bête blessée n’ayant pas succombé immédiatement aux tirs. Donc, en face de ces animaux piégés, je n’éprouvais aucune compassion particulière à mettre fin à leur vie. De mon point de vue, ils n’étaient que des sujets d’expérience et rien de plus. Une manière de parfaire mon apprentissage, vu que j’avais toujours en moi cette envie de devenir boucher et devenir l’assistant officiel de mon oncle. C’était vraiment ce que j’avais en tête. Sans savoir que ma fascination pour quelque chose de plus concret que le dépeçage d’animaux m’envahissait un peu plus, à chaque fois que je me retrouvais en présence d’un de ces cobayes, non consentants pour certains d’entre eux.
Pour revenir au moment où je m’appliquais à enlever les organes de l’animal se trouvant devant moi, et suivant un instinct que je ne contrôlais pas réellement, je parvenais finalement à révéler les vertèbres, objet de ma quête de ce jour. Pendant que foie, intestin, cœur et autres constituants de l’intérieur du corps gisait sur la terre, baignant dans le sang, je caressais les os avec précaution. C’est difficile à définir, mais je ressentais alors comme une sorte d’extase au toucher, un plaisir perceptible parcourant mes doigts et ma peau et formant comme une sorte d’onde électrique tout le long de mon corps. Je décidais d’en voir plus, me servant de mon couteau pour écarter encore plus la fourrure et la peau de l’animal autour des vertèbres convoitées. De manière à permettre de les voir plus en détail. J’entrepris de sectionner la tête, afin d’avoir plus de facilité à découvrir l’os hyoïde, celui situé en dessous de la base de la langue. Pour cela, je devais découper le visage et entreprendre une ouverture au niveau de la gueule. Les documentaires et mon expérience de découpe me furent fort utile dans mon entreprise et je parvenais à mes fins. Les restes du crâne, coupé en plusieurs endroits pour me faciliter l’extraction, je les jetais négligemment sur le côté. Mes mains ensanglantées offraient une adhérence non négligeable pour saisir l’ensemble des vertèbres mises à nu, après près d’une heure de travail.
Au préalable, j’avais retiré mon tee-shirt et mon pantalon, pour éviter qu’ils ne soient gorgés de sang. Ce qui aurait trahi ce dont je m’étais rendu coupable. Que ce soit le vol du “gibier”, l’achèvement dont j’avais fait preuve pour assouvir mon instinct morbide et la découpe à proprement parler. Des éléments que j’aurais eus du mal à justifier à mes parents. Sans compter que revenir à la maison, paré de sang sur mes habits lors du trajet et donc à la vue de tout un chacun, ça n’aurait pas été l’idéal pour faciliter mes explications… Toujours en me servant de mon couteau, que je n’avais pas choisi au hasard et prévu pour le désossage de la viande, un cadeau de mon oncle pour ma future carrière de boucher, je sectionnais aussi les pattes de l’animal et finissais d’enlever la peau et la fourrure se trouvant autour de ce que je visais en priorité : ces vertèbres qui étaient l’objet d’une fascination de plus en plus forte, au fur et à mesure qu’elles se révélaient encore plus à ma vue. Elles étaient finalement devant moi, extraites du reste du corps, débarrassé de toute chair superflue. Je les tenais en main. La sensation de leur toucher, du grain de l’os au contact de ma peau, c’était indéfinissable comme plaisir ressenti. J’étais comme Indiana Jones après qu’il ait enfin en sa possession un artefact convoité. De l’ordre du Graal. C’était exactement ce que j’éprouvais en cet instant : l’impression de tenir dans mes mains un objet mythique que peu aurait la chance d’avoir. C’est quelque chose qui ne m’a pas quitté l’esprit par la suite en grandissant, même une fois arrivé en France. Je gardais en mémoire toutes ces fois où j’ai extrait ces vertèbres tellement belles à mes yeux auparavant. Car, oui, cet animal, en l’occurrence cette fois-là c’était un renard, il ne fut pas le seul à avoir le privilège de mes dissections complètes, dans le but d’obtenir cet artefact rare que représentaient ces vertèbres. En France, je ne pouvais plus recourir à mes expériences appréciées. La ville où nous avions emménagés ne jouxtait aucune forêt à même de m’offrir à nouveau les sensations m’ayant envahi lorsque je me trouvais en Bosnie-herzégovine.
J’ai cru pendant longtemps que cette passion morbide m’avait quitté. Qu’elle n’était qu’une passade bizarre s’étant estompée, effacée à cause du choc de la perte de mon petit frère et la fuite à travers l’Europe pour fuir les conflits. Mais je me mentais à moi-même. Cette passion ne m’a jamais abandonnée, bien au contraire. Elle s’était juste momentanément assoupie, attendant de ressurgir au moment le plus propice, malgré l’assèchement de “produits” à même de la satisfaire, faute de gibier à étudier. Un gibier qui prendrait une autre forme plus tard, des années après avoir obtenu mon diplôme de radiologue expérimenté. J’avais reçu les meilleures notes et les félicitations de mes professeurs, en plus de la fierté de mon père quand il a appris la nouvelle. À ce moment, je ne pouvais pas lui dire que c’était à cause de sa fonction de radiologue qu’il occupait lui-même au sein de l’hôpital dans lequel il travaillait qui avait été à l’origine de ma vocation. Et même du réveil de mes pulsions macabres. L’évidence de chasser autre chose que les animaux piégés dans une forêt, pour les disséquer et extraire leurs vertèbres, c’est quelque chose qui ne s’est pas déclenché en moi tout de suite. Ça, c’est à la suite d’un évènement qu’on pourrait désigner de tragique m’étant arrivé lors d’un accident de la route, alors que j’étais en compagnie d’une de mes collègues. J’officiais aux côtés de mon père dans le même hôpital que lui, depuis plusieurs mois, en tant que radiologue, quand j’ai fait la rencontre d’Ivanka. Elle était d’origine serbe, comme moi. C’est sans doute ce qui nous a rapproché le plus. Nous nous partagions nos souvenirs d’enfance lors des pauses déjeuners. Enfant, elle vivait en Serbie en revanche, au contraire de moi qui habitait une petite bourgade de Bosnie-Herzégovine, comme déjà dit. Mais nous avions été éduqués par nos parents avec les mêmes traditions. De simples collègues s’appréciant mutuellement, nous sommes vite passés au stade des amis sincères, presque inséparables, puis amants. Ce qui faisait la joie de mon père, tout heureux à l’idée d’être grand-père.
J’avais beau lui dire de ne pas brûler les étapes, il ne voulait rien savoir. Et ma mère, tout aussi impatiente à l’idée d’avoir un petit-fils ou une petite fille, n’arrangeait pas vraiment les choses. Comment aurais-je pu leur déclarer, au vu de leur joie évidente, que je ne voyais pas aussi loin qu’eux. Certes, j’aimais beaucoup Ivanka, mais pour moi, elle n’était pas aussi importante que mes parents le croyaient. Bien sûr, je ne pouvais pas dire ça ni à eux, ni à Ivanka. Je ne voulais briser les rêves à aucun de ces personnes faisant partie de ma vie et importantes à mes yeux. Restait qu’Ivanka n’était pas la première à avoir partagé mon lit, au sein de la maison que je louais, juste à côté de l’hôpital. Un logement à l’emplacement pratique qui a grandement facilité mes rapports avec Ivanka. Mais pas seulement elle. Et pas uniquement des femmes d’ailleurs. Une situation que je cachais à mon père. Il était ce qu’on peut appeler un conservateur en matière de relations amoureuses. Pour lui, l’homosexualité était une tare incompréhensible. Il ne pouvait concevoir qu’un homme puisse être attiré, sentimentalement parlant, par un autre homme, ou qu’une femme ait des rapports sexuels avec une autre femme. Ça allait à l’encontre de sa conception de la famille.
Donc, lui avouer que j’étais bisexuel, je ne pouvais décemment pas lui dire sans le préparer. Si tant est que je serai capable de le faire un jour, tel que je le pensais à ce moment. Ma mère était plus libérale à ce sujet et elle était au courant de mes préférences sexuelles. À dire vrai, elle m’a surpris un jour à la terrasse d’un café, en présence d’un de mes amants, et l’embrassant goulûment. Nous en avons longuement discuté après ça. Elle m’a appelé un jour, en me disant qu’elle voulait parler de mes fréquentations seul à seul avec moi. Sans la présence de mon père. J’ai tout de suite compris ce à quoi elle voulait faire allusion et je craignais de voir de la tristesse dans ses yeux sur mes choix en matière d’amour. Je fus donc très surpris de son sourire quand on a abordé le sujet. Pour elle, ce qui comptait, c’était que je sois heureux. Qu’importe que ce soit avec un homme ou une femme. Mais elle savait aussi que mon père l’accepterait difficilement. Voire pas du tout. Elle désirait éviter que mes fréquentations viennent à l’oreille de mon père et que cela brise l’entente qu’il y avait entre nous trois. C’est pourquoi elle m’a enjoint à me montrer plus discret à l’avenir. Le temps qu’elle puisse “préparer” mon père à l’éventualité que leur fils ne réponde pas forcément aux critères amoureux qu’il acceptait.
J’ai joué le jeu et j’ai redoublé de discrétion lors de mes sorties en présence d’hommes. Moins quand j’étais avec des femmes. Ce qui n’était pas sans provoquer des ruptures fréquentes de la part de mes compagnons, s’étant rendu compte que j’étais moins démonstratif en termes de visibilité avec eux par rapport à mes partenaires féminins. Qui plus est, je n’étais pas ce qu’on appelle communément un adepte des couples de longue durée. J’aimais changer fréquemment de partenaires, m’ennuyant vite de leur présence. La découverte de ma bisexualité, elle s’est pratiquée d’ailleurs durant mes études pour devenir radiologue. C’est l’un des autres étudiants qui a été le premier à me rendre compte de mon attirance aussi bien envers les hommes que les femmes. Mes premières expériences sexuelles ont été compliquées, ne sachant pas si je devais m’accepter en tant que tel, ou bien faire un choix entre les hommes et les femmes. Ryan a été celui qui m’a aidé à ne justement pas à me restreindre à ce choix, et faire ce qui me faisait envie, quels que soient le regard des autres. Il a été mon professeur, mon ami et mon 1er véritable amant. Avant lui, mon inexpérience et mes doutes amenèrent souvent à des désillusions. Je ne me concentrais pas vraiment en matière de sexe, et ça irritait mes compagnons et compagnes, se révélant peu patients. Ryan, lui, faisait preuve de nettement plus de compréhension. Il a été d’une gentillesse à toute épreuve, ne cherchant jamais à forcer les choses et me laissant apprendre par moi-même à m’ouvrir sur ma condition. C’est aussi lui qui m’a enseigné à ne pas m’attacher, à garder ma liberté sans être retenu par un amant ou une maitresse. Je n’étais pas son seul “coup”. Il était connu pour dispenser ses “cours personnels” à d’autres étudiants, tout aussi perdu que moi quant à leur appartenance sexuelle à l’un ou l’autre bord. Voire aux deux, comme je l’étais.
Quand Ivanka s’est révélée avoir plus de choses en commun avec moi que mes précédents amants et amantes, j’ai quelque peu oublié ces conseils. Je me suis laissé happer par l’amour de cette jeune femme pleine d’entrain et d’une nature compréhensive extrême. Elle était au courant que j’aimais aussi les hommes. J’ai toujours ignoré comment elle l’avait su, et je ne lui ai jamais fait l’injure de lui demander. Cette ouverture d’esprit sur ce que j’étais, qu’elle acceptait pleinement, tout en étant persuadée de me faire changer en devenant la première à me faire oublier mon attirance envers les hommes et mes habitudes de “changer” régulièrement de partenaires, c’est ce qui m’a plu de prime abord, facilitant grandement nos rapports. Avec elle, je pouvais librement parler de ces sujets, sans avoir de jugement. Et comme elle était serbe, c’était encore plus appréciable. À croire que les femmes serbes étaient plus tolérantes que les hommes en matière d’acceptation de préférences sexuelles n’appartenant pas à une “normalité” établie. La crainte que je ressentais de voir un jour mon père apprendre que j’étais bisexuell s’est envolée au contact d’Ivanka.
Elle se prétendait capable de faire comprendre à mon père que je n’étais pas un monstre, et qu’il ne devait pas me rejeter pour ça. Le fait qu’elle partage ma vie, elle était persuadée que ça jouerait en ma faveur et calmerait les préjugés de mon paternel. Mais ça, c’était avant l’accident. Celui à l’issue duquel mon père a appris ma bisexualité. Celui durant lequel ce que je pensais enfoui en moi a refait surface de façon inopinée. C’était le soir où Ivanka et moi avions décidés de révéler mes penchants contre-nature à mon père, tout en le rassurant en lui indiquant que ma fiancée ne comptait pas me lâcher, et qu’elle espérait bien me convaincre de faire naître un petit descendant supplémentaire à la famille Nakjovic. On en avait discuté plusieurs fois, mais je ne me sentais pas capable d’être père. Pas tant que mes penchants pour la gent masculine seraient aussi présents en moi que ceux pour son homologue féminine. Cela faisait deux mois qu’on était ensemble, et je n’arrivais toujours pas à me décider de céder aux demandes d’Ivanka d’emménager avec moi, pour officialiser notre couple. C’était la première fois que je restais aussi longtemps avec quelqu’un à vrai dire, et je n’étais pas certain que cela durerait dans le temps. Ce soir-là, Ivanka voulait frapper un grand coup. Elle voulait crever l’abcès par ses révélations à mon père, et, par la même occasion, me forcer la main sur la longévité de notre relation.
Nous étions en chemin pour un dîner chez mes parents. Ivanka avait tout organisé en ce sens et se voyait ravie d’être celle qui changerait ma vie de manière radicale. Elle était loin d’imaginer à quel point elle allait réussir, mais pas comme elle l’aurait voulu, c’était certain. Il pleuvait abondamment, et les essuie-glaces de ma voiture peinait à suivre le rythme des trombes d’eau parsemant le paysage. Alors que nous étions presque arrivés, dans un quartier proche de celui où résidaient mes parents, tout a basculé. Les lieux étaient quasiment déserts, car plusieurs maisons étaient vouées à la destruction, dans le cadre d’une revalorisation du quartier. Ce n’était pas la première fois qu’Ivanka et moi nous rendions ensemble chez mes parents. Nous avions l’habitude de passer par ce quartier parce qu'il était le trajet le plus court pour rallier notre destination. Nous passions devant une maison aux lumières éteintes, quand soudain, une voiture a fait irruption devant nous. Elle avançait en marche arrière, sortant du garage de la maison. Je n’ai pas pu l’éviter. Le choc a été terrible et a fait faire une embardée à notre véhicule. Il a subi plusieurs tonneaux avant d’atterrir dans le jardin d’une des nombreuses maisons inoccupées du quartier.
À dire vrai, il n’y avait presque plus d’habitants dans la rue. La plupart des anciens locataires des maisons la composant avaient déjà déménagé. Les autres s’apprêtaient à le faire et ne vivaient plus qu’épisodiquement sur place. En plus de ça, la forte pluie réduisait drastiquement la visibilité des rares occupants des maisons alentours. Ce qui fait que personne n’a été témoin de l’accident et n’a pu donc prévenir les secours. J’ai été le premier à me remettre du choc. J’ouvrais les yeux. Ceux-ci s’embuèrent de larmes en voyant le corps éventré d’Ivanka sur son siège. Une partie du tableau de bord était enfoncé dans son ventre, laissant échapper ses boyaux sur le sol parsemé de bris de verre du véhicule. Son visage était d’une pâleur propre aux cadavres ornant une morgue, et ne montrant aucun signe de vie. Bien que moi-même salement amoché, j’ai pu défaire ma ceinture de sécurité. J’ai tenté de secouer Ivanka, l’appelant par son prénom, dans le but de la faire réagir. Je refusais d’accepter l’évidence de sa mort. Au bout d’un moment, sans réaction de sa part, mon esprit finit par se résoudre au fait qu’Ivanka ne pourrait jamais mener à terme ses projets avec moi. Dans le même temps, un homme cogna sur la carlingue cabossée de la voiture accidentée, demandant si on allait bien et se confondant en excuses pour ne pas nous avoir vus arriver. Il disait des phrases du genre :
– Je paierai tous les frais d’hôpitaux… C’est ma faute, j’en assume toutes les conséquences…
La colère et le choc m’ont fait réagir de la pire des façons. “Toutes les conséquences ?” Me disais-je intérieurement. “Parfait. C’est exactement ce que tu vas avoir.” J’ai réussi à m’extirper de la voiture, me présentant devant l’homme affolé. Je crois qu’à ce moment précis, c’est mon instinct primaire qui a agi à la place de mon esprit, sans réfléchir à quoi que ce soit d’autre. Je me suis jeté sur l’homme avec rage, lui assénant coups sur coups, ne tenant même pas compte des mots sortant de sa bouche me demandant d’arrêter. Je frappais encore et encore, envahi par la haine. Le visage tuméfié, balayé par la pluie, l’homme ne bougeait presque plus, parvenant tout juste à parler pour dire des mots en boucle, du style :
– Je suis vraiment désolé… Ne me tuez pas… Je vous assure que je ne voulais pas ça… S’il vous plait, écoutez-moi… Je suis désolé… Tellement désolé… Ne me tuez pas, je vous en supplie…
Mais j’avais bien trop de colère en moi pour écouter plus encore ses suppliques. Je voyais la barrière du jardin où ma voiture avait atterri. Des planches cassées formaient des quasi-pieux propres à me servir d’autel de sacrifice à l’homme responsable de la mort d’Ivanka. C’est vraiment l’idée qui m’a parcouru à cet instant. Je n’avais plus aucun sens de logique ou de retenue et j’ai commis la seule chose à même de soulager ma douleur. J’ai traîné l’homme vers ce que je voyais comme la méthode propice à faire s’effacer les souffrances mentales qui m’envahissaient. Il hurlait, me demandait encore pardon, me suppliant de ne pas le tuer. Je ne l’écoutais plus et continuais mon chemin. Parvenu à mon objectif, je soulevais l’homme balbutiant de nouveau son mantra de pardon. Je ne savais même pas s’il pleurait, au vu de toute la pluie tombant sur son visage et masquant en grande partie sa détresse. Sans hésiter une seconde, j’ai alors projeté son corps me paraissant avoir le poids d’un fétu de paille directement sur la barrière brisée. Il s’est empalé dessus en émettant un hurlement, suivi de râles à peine distincts au fur et à mesure que son corps glissait le long des planches lui servant de lieu d’exécution.
Le sang de son corps coulait sur le bois, immédiatement lavé par la pluie. Un long filet rougeâtre sortait de sa bouche. Il émettait encore des râles épisodiques. Il vivait encore. Désirant finir ce que j’avais commencé, j’ai alors usé de la force de mes mains et mes bras pour enfoncer plus avant le corps empalé, déclenchant un dernier gémissement de la part de ma victime. La première d’une longue liste. Mais la seule qui n’a pas servi à ma collection future. J’ai observé le corps quelques minutes, comme pour vérifier qu’il ne bougeait plus et que l’homme ne chercherait pas à se sortir de son piège, une fois que j’aurais tourné les talons. Ce ne fut pas le cas. Ses yeux étaient restés figés dans un regard de terreur, du sang redoublait de couler le long de la barrière où j’avais mis fin à la vie de celui que je jugeais responsable de la mort d’Ivanka. J’avais été son juge et son bourreau. Peu après, je suis revenu légèrement à un moment de lucidité. Je savais qu’il ne fallait pas que je reste trop près du corps. Je pourrais toujours dire que c’était le choc de l’accident qui l’avait fait se projeter sur la barrière. Le pare-brise de son véhicule proche était totalement brisé : ça pourrait être plausible. Dans le pire des cas, les enquêteurs chargés de comprendre ce qui s’était passé pourraient conclure à un suicide de la part de l’homme, désespéré d’avoir causé la mort de quelqu’un. Je dirais que quand je suis sorti de ma voiture, il était déjà tel que le corps se montrait, enfoncé dans le bois de la barrière jusqu’à sa moitié.
Après ça, je suis revenu auprès d’Ivanka, en rentrant dans la voiture. J’observais son visage. Il montrait une forme d’apaisement. Je le caressais tendrement. Je tentais de ne pas me laisser envahir par la tristesse qui pointait, faisant battre mon cœur submergé par toutes sortes d’émotions. C’est après ça que mes yeux se sont abaissés, mus par une forme d’instinct ou je ne sais quoi d’autre. Je voyais son ventre déchiqueté, laissant entrevoir sa cage thoracique brisée. En cet instant, je me suis revu enfant dans la forêt où ma passion s’est déclenchée, touchant les vertèbres de ce renard qui me fascinait. Je ressentais quelque chose de similaire à la vue des os visibles. Mais Ivanka n’était pas un animal. Pour autant, je ne pouvais pas nier mon intérêt croissant vers ses vertèbres sortantes. Bien qu’entourées encore de chair et d’organes transpercés, elles attiraient mon regard. Je me retrouvais plongé dans un état second que je ne pouvais pas empêcher d’agir. Instinctivement, répondant à une sorte d’appel intérieur me demandant d’approcher ma main, je posais mes doigts sur le corps d’Ivanka, glissant vers ces vertèbres qui semblaient m’inviter à les toucher. J’écartais les monceaux de chair les recouvrant pour mieux les voir luire à la lumière du plafonnier qui s’était déclenché lors du choc, sans s’être éteint.
Délicatement, je retirais les organes gênant le spectacle de la vue des vertèbres d’Ivanka. Elles étaient tellement magnifiques. La lumière paraissait danser sur les courbures des côtes, seulement souillées du sang les recouvrant. Je prenais un mouchoir dans ma poche pour écarter ce liquide gênant, masquant la beauté et la blancheur relative de cette merveille s’affichant devant moi. C’était comme un tableau vivant et mort à la fois. Une forme d’impressionnisme que n’aurait pas renié les plus grands maîtres de ce mouvement artistique. Ma passion est née de ce moment. Ou plutôt, elle a bénéficié d’une résurrection attendue au plus profond de mon être. Elle était en attente d’un jour comme celui-ci, voulant me montrer tout l’éclat de la beauté de cet instant de pure frénésie. Je sentais l’excitation grimper à son firmament, sans pouvoir me l’expliquer. Mais ce n’était pas suffisant. J’en voulais plus. Je voulais voir plus de ces formes aguichantes que représentait la texture de ces os, l’élancement de ces lignes s’étendant dans le corps ravagé de celle qui fut Ivanka. Mais je n’eus pas le plaisir d’en découvrir davantage. Les sirènes d’une ambulance se faisaient entendre, s’approchant de là où je me trouvais. Bientôt, des secouristes vinrent me sortir du véhicule, m’arrachant à la vision de cette harmonie convexe resplendissante par la lumière l’y faisant baigner. Je fus interrogé par des policiers le lendemain. Ils vinrent dans ma chambre d’hôpital. Les secouristes avaient jugé que je venais de subir un trop grand choc pour répondre la veille. Ils m’avaient entendu délirer des paroles étranges.
— Où ? Où sont-elles ? Où sont passées ces perfections blanches ? Elles sont si belles…. Je veux les voir encore…
C’était ce que je déclamais presque sans discontinuer après que l’on m’a sorti de l’habitacle de la voiture. De ce que j’ai compris, j’ai psalmodié ces paroles tout le long du trajet me menant au centre de soins le plus proche. À savoir l’hôpital dans lequel je travaillais en tant que radiologue. Les policiers m’informèrent que c’était un cycliste passant dans la rue qui avait remarqué les deux véhicules accidentés. Il m’avait vu dans ma voiture et avait essayé de me parler, mais j’étais déjà en plein délire selon lui, les mains posées sur les côtes ressorties de ma passagère. Il a alors appelé les secours en urgence. À ce moment, le corps de l’autre conducteur n’avait pas encore été trouvé sur son pieu improvisé. Mes interlocuteurs me questionnèrent aussi sur ça. Leurs collègues supposaient que le corps avait été projeté jusque-là, mais ça ne correspondait pas à la position du véhicule du corps découvert. En termes de trajectoire logique en tout cas. Il était plus vraisemblable que le corps s’était empalé après l’accident, sans savoir comment. Peut-être que l’homme cherchait un moyen de trouver son chemin, a trébuché, et s’est finalement empalé. Mais là encore, c’était bizarre. Il aurait fallu qu’il saute et décide de se laisser transpercer de lui-même pour arriver à ce résultat. Raison pour laquelle ils voulaient savoir si je l’avais vu faire, ou du moins Aperçu se diriger dans l’intention de le faire.
Bien évidemment, je ne pouvais pas leur avouer que c’était moi qui l’avais positionné là. J’ai donc joué les amnésiques, indiquant que je ne me rappelais rien. Les policiers se sont contentés de hocher la tête, en inscrivant des notes sur leurs calepins. Je ne sais pas s’ils m’ont cru ou s’ils ont sciemment fait comme si je ne me rappelais vraiment pas ce qui s’était passé. L’expression de leurs visages ne laissait rien transparaître. Je n’ai jamais eu de contact supplémentaire avec eux par la suite en tout cas. Ils ont sans doute conclu à un suicide de la part de l’homme, faisant suite à un traumatisme conséquent à l’accident et la probable découverte qu’il avait causé une mort. J’ai cru comprendre, en lisant les journaux relatant l’accident, que l’homme était en instance de divorce et suivait une thérapie auprès d’un psychiatre pour soigner ses angoisses à ce titre. Il est possible que ça ait joué en ma faveur et que les policiers ont tenu compte des tendances dépressives de l’homme dans leur rapport, éludant sans doute leurs suspicions à mon encontre. Ou peut-être était-ce dû au directeur de l’hôpital, un vieil ami du chef de la police locale, qui a demandé à ce qu’on me laisse tranquille, en tant que fils de leur “star” de médecin multi-tâches qu’était mon père. Et aussi dans le souci qu’un scandale n’entache pas la réputation de leur établissement. Tout était possible.
Quoi qu'il en soit, j’ai été tenu éloigné de mon travail pendant deux mois. Un temps que j’ai mis à profit pour établir les bases de ma future salle aux trésors. J’ai répondu ainsi à un flot de rêves m’incitant à obéir à un instinct me poursuivant depuis mon enfance. Je ne pouvais ignorer plus encore le bien que me procurait la vision de ces vertèbres, tel que je l’avais ressenti à la vue de celles d’Ivanka. C’était bien au-delà de la sensation ressentie lors de mon enfance, en présence de celles du renard et d’autres animaux. Les vertèbres humaines m’offraient nettement plus de plaisir et de bien-être. J’ai compris que je devais suivre les directives de Ryan. Celles qu’ils m’avaient prodiguées pour être bien dans ma peau : écouter ce que me disait mon cœur et ne pas freiner mes penchants. Je décidais de faire exactement ça : écouter mon instinct. Écouter mon envie de regoûter à ce que j’avais ressenti avec le corps d’Ivanka. Sans penser que c’était mal. Sans me préoccuper du qu’en-dira-t-on… Bon, je devais m’entourer de précautions quand même. Malgré ce que Ryan m’avait encouragé à suivre, je doutais que ce que je m’apprêtais à faire soit des plus appréciés par le plus grand nombre.
L’idée d’extraire l’objet de mes convoitises sur des corps vivants ne m’est pas venu tout de suite. J’ai d’abord tenté de jouer les fossoyeurs nocturnes en me rendant dans des cimetières, prélevant ces chères vertèbres m’attirant tant sur des corps usés par le temps, dans des caveaux. J’ai vite compris que celles des défunts morts depuis des lustres ne me procuraient pas du tout la même sensation d’extase. Même quand il s’agissait de corps fraichement enterrés, je ne ressentais toujours pas la même sensation perçue avec le corps d’Ivanka. Dans son cas, il ne s’était déroulé que moins d’une heure depuis son décès lorsque je me suis adonné à ce plaisir tactile avec ses vertèbres. Je ne pouvais pas obtenir ça avec les morts des cimetières, qui étaient dans cet état depuis plusieurs jours. Je n’étais pas légiste, et n’avait pas d’autorisation à me rendre dans la morgue de l’hôpital en tant que tel. Ce qui faisait que je n’aurai jamais l’occasion de toucher des corps décédés depuis seulement quelques heures ou moins que ça.
J’ai bien tenté l’expérience en jouant sur mon amitié avec un des adjoints du légiste. Il a accepté un jour de me laisser entrer en cachette, pour que j’assiste à une autopsie dont il avait la charge. Le truc, c’est que je n’avais pas de contact direct avec ce que je convoitais. Il aurait fallu tomber sur un corps ayant subi des déflagrations au moins aussi importantes que celles reçues par Ivanka. Et quant à la tentation de “creuser” les corps de ceux emmagasinés dans les caissons réfrigérés, en profitant d’une absence pour pause pipi de mon ami, j’y ai vite renoncé. À cause de la rigidité cadavérique bien trop importante, éliminant d’office toute possibilité d’obtenir des sensations à même de me satisfaire. Non. J’ai vite conclu que seuls des morts récentes, de moins d’une heure, comme l’avait été Ivanka, pouvait m’apporter ce que je recherchais. Et si, en plus, je pouvais bénéficier de corps vivant au moment de l’extraction, j’étais certain d’obtenir quelque chose d’encore plus fort en tant que sensation. Il me faudrait réfléchir aussi à un moyen de conservation des vertèbres, une fois retirées des corps. Je songeais déjà à des sortes de cuves cylindriques pour les entreposer. Un système hydraulique me permettant de les remplir d’un liquide à base de formol, ou d’une autre substance ayant les mêmes propriétés, et de les vider aussi souvent que je le voudrais. Ainsi, je pourrais entreposer mes trophées, sans qu’ils subissent les affres du temps, car plongés dans un liquide à même de garder intact leur texture. Et, dans le même temps, je pourrais toucher mes trésors comme je l’entends, lors de séances privilégiées. Juste avant d’actionner de nouveau le système de remplissage en attendant la prochaine session. C’était quelque chose de complexe, mais je faisais confiance à mon ingéniosité pour franchir cette difficulté technique.
Le plus gros souci résidait dans le choix des “volontaires”. Pour l’extraction proprement dite, il me faudrait obtenir des tables spécialement étudiées pour retourner les corps installées dessus. De façon à pouvoir faciliter leur extraction en retournant à profusion les victimes vivantes. Ceci afin de procéder au délicat processus d’enlèvement des vertèbres, promises à augmenter ma future collection. Ce type de tables existait déjà et je savais où m’en procurer. Je bénéficiais de contacts peu regardants sur l’illégalité d’acquisitions de ce type, à partir du moment où ils étaient grassement payés. Il en serait de même pour la base de fabrication des cylindres de conservation. Restait à trouver le liquide idéal pour permettre ce que j’avais en tête. Mais comment choisir des futurs “donneurs” ? Concernant les remords conséquents à leur sacrifice, je ne m’en faisais pas. Depuis la mort d’Ivanka, quelque chose s’était brisé en moi. Je n’éprouvais plus le moindre ressentiment quant au contact de tout être humain. Mon père a été aussi déterminant dans ce choix.
Lors de mon hospitalisation, une partie des affaires que je portais lors de l’accident lui a été confié, à lui et ma mère. Il a trouvé des photos de Ryan dans mon portefeuille, ainsi que d’autres de ceux ayant été mes compagnons d’un soir, ou de quelques jours. Ce n’est pas que je désirais ces photos, mais j’avais accepté de les recevoir devant l’insistance de mes amants de conserver un souvenir d’eux. Même si on mettait fin à notre relation. Une erreur de ma part. D’autant que les photos comportaient des mots doux sans équivoque aucune sur la relation nous ayant reliés, écrits sur leur verso. Mon père a immédiatement compris mes préférences sexuelles. Il a attendu que je sorte de l’hôpital pour venir un soir chez moi et me signifier qu’il ne me considérait plus comme mon fils. J’ai essayé de discuter, me conformant à ce que m’avait indiqué Ivanka dans le cadre de la révélation qu’elle comptait lui adresser, mais il est resté ancré dans ses résolutions. Il m’a dit que ma mère avait déjà tenté de lui faire changer d’avis. Il a même ajouté que si c’était Ivanka qui lui avait demandé, sachant qu’elle désirait un enfant de moi, et donc vivre bien plus qu’une simple aventure en ma compagnie, il aurait mis de côté ses à priori. Mais elle n’était plus là, et personne d’autre ne serait capable de le faire revenir sur sa décision. Quand nous nous croisions dans les couloirs de l’hôpital, il faisait comme si je n’existais pas, m’ignorant, agissant envers moi comme si je n’étais qu’un étranger à ses yeux.
J’ai vu les yeux réprobateurs de mes collègues, sans doute mis au courant par mon père de mes exactions impies. Nombre d’entre eux avaient déjà montré leurs idées homophobes, ce n’était pas un secret. Je me taisais quand ils me racontaient leurs “blagues”, faisant mine de les trouver drôle. Maintenant, au moins, je n’avais plus à faire semblant vis-à-vis d’eux. Mais il n’y avait pas que mes collègues qui posaient souci. D’autres, pourtant tolérant à “ceux comme moi”, agissaient comme les autres. Sans doute dans un souci de solidarité envers mon père et ne désirant pas prendre le risque d’être mal vu par lui. J’étais devenu un paria sur mon lieu de travail, à quelques exceptions près. Ces dernières agissaient comme d’habitude avec moi, sans arrières pensées. En tout cas, en apparence. J’ai aussi découvert que mon cher paternel avait fait en sorte de répandre la nouvelle à nombre de ses connaissances, même en dehors de l’hôpital, puisque je percevais le même regard où se mêlait dégoût et gêne chez nombre de commerçants, et même au sein de celles et ceux se prétendant autrefois mes amis. J’ignorais ce que mon père leur avait raconté exactement, mais j’ai compris que j’étais considéré comme une erreur de la nature pour nombre d’entre eux.
À la lumière de ça, vous comprendrez aisément que je ne vouais plus la moindre sympathie à mes semblables. J’avais développé une telle haine envers eux que même celles et ceux acceptant mes faveurs, je ne les voyais que comme de futurs trophées, et rien d’autre. Les tuer ne me posait aucun problème. Restait à choisir le modus operandi pour satisfaire mes envies de construire les bases de ma future salle aux trésors. Je me rendis compte que la meilleure “base de données”, et moyen de recherches, résidait dans le cadre de mon travail au sein de l’établissement hospitalier où j’officiais. Les radios. Après la “révélation” dû involontairement, et de manière posthume, à Ivanka, j’ai vu les clichés des radios d’une autre manière. Je n’irais pas jusqu’à dire que je bavais devant, mais ce n’était pas si éloigné de cette image. Certaines, à leur seule vue, me faisait ressentir l’envie de les toucher de plus près. J’entends par là les vraies vertèbres, sur les corps d’origine. Je savais que ce serait comme ça que je choisirais mes futurs trophées. Il me suffirait de séduire ensuite les “porteurs”, de les inviter à venir chez moi, et de procéder à un processus consistant à les endormir, avant d’extraire leurs vertèbres. Hommes ou femmes, aucune importance. Ce qui comptait, c’était la beauté de ce qu’il y avait sous leur peau et leurs organes.
Ce fut le début de ma carrière cachée de collectionneur. Quant au moyen de me débarrasser des corps délestés de leurs vertèbres après extraction, là aussi, la solution était toute trouvée. Par l’intermédiaire des mêmes personnes pouvant me fournir le reste du matériel, je savais pouvoir commander une cuve servant à la liquéfaction funéraire. Une méthode en vogue aux USA et dans d’autres pays anglo-saxons. Moins populaire en Europe, à cause de la problématique éthique de ce processus. Pour ne pas attirer de soupçons par la suite, du fait des disparitions recensées, il me suffirait de commander la cuve en pièces détachées, sous un nom d’emprunt, et livrable à une adresse désignée pour plus de discrétion. Mon contact me trouverait facilement un lieu servant pour les livraisons, parmi ses autres clients tout disposés à recevoir une commission pour leur silence. Et comme ceux-ci ignoreraient la composition des caisses contenant les pièces détachées, tout comme ils n’auraient jamais idée qu’une fois assemblé le contenu de ces différentes caisses, cela aboutirait à du matériel servant à faire disparaitre des corps en les faisant fondre, littéralement parlant, ils ne seraient pas inquiétés non plus et ça m’assurerait qu’ils ne se douteraient de rien. De toute façon, rien que par le fait de servir d’intermédiaire par le biais de quelqu’un servant de fournisseur pour du matériel “spécial”, et commandant eux-mêmes des produits illégaux, ça serait idiot de leur part de dénoncer quoi que ce soit d’étrange à leurs yeux. J’étais assuré de leur discrétion sur tous les tableaux.
Tout était en place pour parfaire la constitution de ma salle des trésors. Le sous-sol de ma maison possédait une cave décomposée en plusieurs sections. Un vestige d’activités au sein de la demeure, qui avait servi de QG à la résistance française durant la 2ème guerre mondiale. Quand je l’ai acheté, je ne savais pas encore à quel point elle me serait utile. Concrètement, il y avait trois salles composant cette cave. 3 compartiments distincts. Une me servirait pour être ma salle des trésors. La deuxième serait mon laboratoire d’extractions. Et la troisième, celle qui serait directement visible en descendant l’escalier pour atteindre la cave, servirait de couverture. L’accès aux autres salles serait bouché par un mur, avec une ouverture escamotable cachée par un meuble quelconque. Lui aussi facilement déplaçable par un système électronique. Là encore, ça supposerait des aménagements, de la sueur et du travail. Mais au final, j’ai pu établir les bases de ma passion de cette manière, aussi discrètes qu’efficaces…
À suivre...
Publié par Fabs
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