Personne n’a jamais su comment tout a réellement commencé. Pas dans les détails en tout cas. Il faut dire qu’on ne pouvait pas s’attendre à une chose pareille. C’était totalement inconcevable du point de vue d’un humain, et plus encore d’une bande d’ados tel que nous, qui ne s’intéressait qu’à la bière, l’herbe et les jolies filles. Bien sûr, comme tout le monde se passionnant pour les récits d’horreur, on a été nourri aux films de George Romero et sa célèbre saga des Morts-Vivants. Mais de là à s’imaginer que ça pouvait vraiment arriver dans le monde réel, il y avait un pas qu’on ne pouvait franchir. Quand on a entendu cette énorme explosion au nord de la ville, à un endroit où il n’était pas censé y avoir quelque chose pouvant causer un tel phénomène, ça a surpris tout le monde. Au début, beaucoup ont pensés au résultat des tentatives de petits bricoleurs ayant voulu faire décoller une fusée amateur, qui n’avait fonctionné comme ils le voulaient. Mais à l’heure où ça s’est déroulé, tous les gosses étaient couchés depuis longtemps.
Je me souviens de l’heure à laquelle l’explosion a été entendue. D’ailleurs, en y repensant, ça ressemblait à une grosse blague. Minuit. L’explosion qui a tout fait foirer dans la ville, s’est déroulé à Minuit. L’heure du crime. Ça a l’air ironique dit comme ça, mais au vu des évènements qui ont suivi, c’est vraiment perturbant de se dire qu’une heure en particulier peut déterminer l’avenir d’une ville, de ses habitants et peut-être même d’une race tout entière. Juste après ce tintamarre perçu par à peu près chaque résident de notre cité, un immense nuage aux accents violets, parsemé de milliers de lumières ressemblant à des lucioles, a soudain envahi le ciel et a commencé à descendre sur la ville. Sur le coup, chaque habitant était émerveillé de ces lumières scintillantes. C’était tellement beau, et ça a fait la une du journal local de l’édition du lendemain matin. C’était le sujet de discussion de tout un chacun, même moi et ma petite bande. Et pourtant, je vous assure qu’en règle générale, il en faut plus que ça pour nous enthousiasmer.
C’est en fin de matinée que les premiers morts ont commencé à émerger de leurs tombes, faisant comprendre au plus grand nombre que le nuage aperçu la veille ne pouvait être que la cause directe de ce phénomène complètement dingue. Du coup, les fameuses lumières contenues dans le nuage, apparaissant comme clairement à l’origine de ce remake de «La Nuit des Morts-Vivants » en situation réelle, ça devenait plus la représentation d’un fléau que d’un spectacle météorologique rare pouvant marquer les esprits de manière durable. Même si, en un sens, ça a été effectivement le cas, mais pas pour les mêmes raisons que chacun avait en tête lors de son apparition, avant la situation cauchemardesque qui en découlerait.
On était dans le cimetière à siroter nos deux packs de bière hebdomadaire, et fumer nos joints, comme chaque week-end où on se retrouvait pour glander et se remettre de notre semaine de cours, quand on a vu la vieille Cora devenue toute joyeuse de voir son mari sortir de la tombe fraîchement creusée la veille. Elle était persuadée que ses prières avaient été exaucées. Cependant, quand son tendre époux s’est approché d’elle et lui a arraché la jugulaire, faisant valser un flot de sang sur sa robe et l’herbe garnissant le contour des pierres tombales tout autour, bizarrement, elle était beaucoup moins heureuse. Nous, on avait vu le spectacle de loin, et on était tellement bourré à ce moment qu’on a cru qu’un cinéaste amateur était dissimulé dans un coin avec son caméraman et filmait un film d’horreur, avec effets sanglants bien craspecs, sans qu’on ait été tenu au courant que notre ville avait été choisi pour un tel tournage. On a même applaudi, tellement on trouvait ça fun. On a très vite changé d’attitude en voyant les autres morts du cimetière sortir, à leur tour, de leur villégiature forcée, fracassant les pierres de leurs sépultures, tout comme le bois de leurs cercueils au passage. Dès lors, ça devenait évident que ça n’avait rien d’un film.
Enfin, pour la plupart des membres de notre groupe. Cet imbécile de Phil, avec la dose de shit et de bière qu’il avait dans son corps, il s’est quasiment foutu de notre gueule quand il a vu qu’on se tirait, incapable de prendre conscience de ce qui se passait. Cet abruti a déconné grave en s’approchant d’un des macchabées et en lui foutant un coup de boule. Il rigolait à tout rompre en montrant le corps par terre, nous affirmant que c’était pas un vrai mort, mais juste un type en costume. Au même moment, le « type en costume » s’est relevé et lui a croqué le bras avec tellement de force que ce dernier s’est coupé en deux, faisant entrevoir les os et la chair à la lumière de la lune, pendant que Phil hurlait comme une de ces Scream Queens de la Hammer. En quelques secondes, il était entouré par une dizaine d’autres, attirés par le sang comme les moustiques en temps de grande chaleur.
Sans qu’il ait eu le temps de réagir, il était au sol, se faisant éviscérer en beauté, les tripes à l’air, avec plusieurs rangées de dents mordant l’ensemble de son corps. On aurait dit des affamés à qui on donne un plat de viande après plusieurs jours de disette. Le reste était horrible : deux zombies lui ont arraché la tête et ils donnaient presque l’impression de se disputer pour savoir qui aurait le plus gros morceau. Les autres prenaient chacun leur part. C’était comme des gosses affairés autour d’un buffet à volonté, sans la moindre consigne de bien se tenir de la part de leurs parents. Un bras ici, une jambe là, un moignon de l’autre côté. J’en ai même gerbé tellement c’était écœurant. On a pas attendu d’en voir plus : on s’est barré pendant qu’ils étaient occupés avec ce qui restait de Phil, filant sans demander notre reste.
Sortis du cimetière, alors qu’on pensait tous avoir échappé au pire, on a vite compris que c’était que le début : Il n’y avait pas que les morts enterrés qui revenaient à la vie. Ceux qui venaient de succomber à une crise cardiaque, alors qu’ils attendaient l’ambulance qu’un voisin venait d’appeler, signalant le malaise de leur interlocuteur préféré lorsqu’ils étaient affairés à leurs séances de jardinage quotidiennes, la petite frappe qui venait de se faire descendre par son caïd de patron pour l’avoir doublé lors d’une histoire de partage d’argent, ou encore une femme jalouse qui venait de planter son mec avec le couteau en argent offert à leur mariage, tous ceux-là étaient prêts à faire un remake de « Thriller », mais sans Michael Jackson. ça mordait et arrachait à tous vents : le pharmacien, persuadé d’avoir affaire à des toxicos se retrouva vite transformé en steak tartare, mais à la sauce bien saignante ; le flic de quartier, qui pensait que sa matraque allait le sauver, glissait comme un con sur sa propre pisse coulant de son pantalon, à cause de la terreur qui le submergeait, avant d’être acculé au sol et écartelé en 24 secondes chrono ; ou encore le poivrot de service, tout heureux de voir des visages plus rouges que lui, qui a vite déchanté quand ses « nouveaux amis » lui ont fait chanter la Traviata en si mineur pendant qu’il perdait définitivement la tête. Et là, c’était pas du figuré.
Devant cet enchaînements d’horreurs, d’un seul coup, on a complètement dessaoulé, tellement on était terrorisés. Surtout moi d’ailleurs, qui courait plus vite que les autres. J’osais même pas regarder en arrière : je sentais que si je le faisais, je risquais de me transformer en statue de pierre, comme dans la légende grecque d’Orphée et Eurydice. Le seul truc qui m’ait vraiment intéressé dans les cours d’histoire de ce vieux débris de Mr. Forbes. J’ai couru comme l’aurait fait dêratê, le marathonien qui a averti de la victoire des Grecs sur les perses dans la bataille des Thermopyles. Finalement, je suis arrivé sans trop savoir comment au vieux cinéma Art et Essai de la ville, dont tout le monde se foutait royalement des programmations proposées chaque semaine, tellement elles étaient nazes. Du coup, l’endroit était tellement désert, que même les rats voulaient pas y foutre les pattes.
Je me suis engouffré dans ce ramassis de sueur et de substances vaginales qui imbibaient les murs, à cause des plans d’un soir qui s’y déroulaient régulièrement. Je fermais mes yeux et surtout mon nez, tellement ça schlinguait le renfermé, la merde et la pisse. De véritables toilettes à ciel ouvert, ce ciné. Juste après moi, la petite bande est arrivée, et, ni une ni deux, Dolce, la seule à avoir un semblant de cerveau dans le groupe, a bloqué la porte avec un balai qui traînait par terre. Dernier vestige du courageux qui avait eu l’audace de croire que ce lieu pouvait être destiné à être autre chose qu’une succursale de la décharge d’ordures à la sortie de la ville.
On était complètement exténués, mais au moins, grâce à Dolce, au visage si magnifique quand elle abusait pas du maquillage piqué à sa sœur, et son cerveau bien plus réfléchi que la majorité d’entre nous, on pouvait espérer rester en vie. Du moins, tant que la porte saurait résister aux attaques des mangeurs de chair qui semblaient s’agglutiner autour du bâtiment, au vu des cris qu’on entendait et qui semblait sortir de tous les murs du ciné. On devait ça aux cloisons faites à l’économie, qui étaient minces comme du papier canson de 5ème qualité. Au début, on s’était dit qu’on serait tranquille, et qu’en plus de ça, on aurait de la bouffe gratos, grâce au distributeur situé dans le hall, rempli de barres vitaminées bourrés de cholestérol et de produits dont on voulait même pas savoir la provenance pour pas avoir l’appétit coupé.
Mais ça n’a pas duré. C’est au même moment qu’on a compris qu’il y avait 2 types de zombies. Les plus cons, ils se contentaient de courir après la viande, dans l’espoir de la becqueter. On les appelait les grignoteurs. Et puis, il y avait les autres, les Stratèges. Eux, c’était un vrai problème, parce que leurs cerveaux n’étaient pas encore en bouillie à cause des dizaines d’années passées dans un cercueil pourri par les vers. Non, les Stratèges, c’étaient les morts les plus récents, ceux n’ayant pas encore atteint un état de décomposition avancé, et avaient donc toute leur matière grise en parfait état de fonctionnement. Mis à part qu’ils étaient aussi obsédés par le fait de bouffer du cerveau que les grignoteurs. Mais eux, ils réfléchissaient avant de foncer, et autant vous dire qu’ils ont vite compris comment ouvrir la porte. En se servant d’un grignoteur comme bélier, tout simplement. Con, mais efficace.
Dit comme ça, on pourrait penser à un gag sorti du Saturday Night Live, émission hautement philosophique. Sauf que là, même Jerry Springer l’aurait pas trouvé drôle du tout. Avant même qu’on ait compris ce que les acharnés de la bouffe fraîche trafiquaient, ils étaient déjà à nos trousses. C’est-à-dire moi, Dolce, Vincente et Phyllis. Enfin, Phyllis, elle a pas pu avoir le temps de réfléchir longtemps. Avec sa manie de vouloir être fringuée comme une princesse de « Vogue », elle s’était empêtré le talon aiguille d’une de ses chaussures dans une fissure du sol. Et au lieu de penser qu’il serait pas idiot de laisser la chaussure sur place, elle a rien trouvé de mieux que de tenter de récupérer à la fois le pied et la chaussure. Au final, elle a tout perdu : la chaussure, le pied et la vie. Bon, elle avait beau m’énerver régulièrement avec ses airs de fausse bourgeoise qui se la pète, ça m’a fait de la peine de la voir se faire boulotter comme ça, sans qu’on puisse rien faire.
On a profité de la pause Kit Kat du club des Gourmets camés pour se réfugier dans la cabine de projection, située en haut de l’escalier. Celle-là, pour la défoncer, ils auraient à faire : elle était blindée. Et surtout elle fermait à clé. Clé qui était restée sur la porte par l’ancien projectionniste qui avait dû partir plus vite que Speedy Gonzales en apprenant qu’il serait pas payé, vu le nombre de clients qui envahissaient la salle chaque soir, proche du néant absolu. On pensait être vraiment à l’abri. Ce fut le cas. Pendant 2 heures. Passé ce délai, on a entendu un cliquetis dans la serrure. J’ignore toujours où ils ont réussi à trouver de quoi crocheter la serrure, mais ils étaient clairement en train de rendre notre dernier bastion imprenable en pièce de la mort sûre.
Quand ils sont parvenus à entrer, c’est là que j’ai pété un plomb, sans trop savoir ce qui m’était passé par la tête. Sous le coup sans doute de la panique totale, j’ai poussé Dolce et Vincente dans la masse de chair en décomposition qui venait de se propulser dans la pièce, pendant que je passais à travers la vitre menant dans la salle, plus en dessous. Arrivé en bas, alors que j’entendais les cris de mes deux anciens amis, j’ai pigé que j’avais été le pire des salauds. Je les avais clairement sacrifiés pour sauver ma petite personne. Sans le moindre remords à ce moment-là, en plus. Une ordure. Mais une ordure qui était vivante. Enfin, c’est ce que je me persuadais de m’imbriquer dans le cerveau pour éviter de culpabiliser. En tout cas, vu que toute la troupe était occupée à la cantine du 1er étage et dans les escaliers, la route dehors était libre de tout cadavre ambulant. J’ai pas réfléchi un centième de seconde de plus à la situation et j’ai foncé.
Une fois dehors, j’ai couru vers le promontoire qui menait à la rivière. Franchi cette étape, on se retrouvait au sein de la forêt, puis la plaine. Dès que je serais arrivé là, je pourrais avoir une chance de retrouver un semblant de civilisation en rejoignant la ville la plus proche. L’ironie dans tout ça, c’est que c’était moi, le loser, le mec pas foutu de délier sa langue devant n’importe quelle nana, la petite merde qui venait de balancer ses potes, qui allait s’en sortir. Sur le coup, je me suis souri à moi-même, tellement c’était improbable. Dans n’importe quel scénario de film d’horreur, j’étais le gars qui aurait dû mille fois être le premier à me faire bouffer par la Compagnie des Dents. Peut-être que j’avais un ange gardien ou une connerie de ce genre qui passionnait tant Phyllis ? Non, rien de tout ça : j’avais juste bénéficié de la chance des survivants involontaires. Instinctivement, je regardais ma montre. 23 H 56. Ça faisait presque 24 heures que toute cette merde était arrivée, sans qu’on sache ce qui avait provoqué cette foutue explosion. Une base militaire ? La plus proche connue était au moins à 200 miles d’ici. Un labo secret ? Vu les plaines autour, une telle installation, ça se serait vu.
Le plus probable, vu que la décharge était dans la même direction que l’endroit où s’était déroulée l’explosion, c’étaient des produits toxiques qui s’étaient mélangé entre eux, provoquant une sorte de réaction chimique. Avec toutes les merdes qui étaient balancés dans cette foutue décharge, y compris des cadavres largués par la pègre locale, toutes les conditions étaient remplies pour qu’un truc dans le genre puisse se produire. La chaleur intense de ces derniers jours a sans doute servi de catalyseur. Enfin, de toute façon, maintenant, je m’en foutais. Il me restait plus qu’à traverser cette foutue rivière que j’avais fini par rejoindre. Je commençais à plonger mes pieds dans l’eau de ce presque symbole de liberté, quand le destin s’est rappelé à moi. Un loser reste un loser. Quel que soit sa foutue chance, il parvient toujours à tout faire foirer. Juste devant moi, se dressant de toute sa hauteur, un clamecé me fonçait dessus et m’arrachait un bout du cou. J’eus beau le réflexe de lui donner un coup de ranger dans la tronche pour me dégager, le mal était fait.
Si on suit bien le processus expliqué chez Romero ou Walking Dead, à partir du moment où un humain se fait mordre, c’est la fin de la route. Je savais que ça servait plus à rien de continuer. De toute façon, j’aurais dû le savoir quelque part. C’était écrit. Mais cependant, il y avait quelque chose de positif : ok, j’allais mourir, mais comme j’étais pas comme le décharné qui venait de transformer ma vie, j’allais forcément devenir un Stratège. Donc, nettement moins con que la plupart des autres décérébrés. Bon, forcément, face aux autres Stratèges, je pèserais sûrement pas lourd niveau intellect. Mais je serais quand même un privilégié. Le petit loser allait devenir un chef, un guide. Pour la première fois de sa vie, on allait lui obéir et exécuter ses ordres.
C’était pas si mal en fait. De toute façon, le mal allait s’étendre maintenant, ç’était presque une certitude. Alors, autant faire partie de la caste dominante. Les humains auraient beau faire : on peut pas tuer un mort. J’en ai vu certains, lors de notre fuite vers le ciné, même coupé en deux, ils continuaient à avancer. Il y avait aussi des têtes dont les yeux bougeaient encore, alors qu’il restait rien de leur corps. Les humains allaient voir leur règne de pouvoir disparaître. Et moi, je serais là, parmi les meilleurs, à me moquer de leur impuissance. Je regardais ma montre tombé à terre. Minuit. J’étais devenu un chef à l’heure où les morts se sont levés.
Publié par Fabs
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