8 juin 2022

L'AMI MORTEL

 


 

 Cette histoire a obtenu la 1ère place du Concours de Creepypasta organisé sur le serveur Discord de CreepyStories lors de la soirée du Vendredi 3 Juin 2022

 

 

Qu’êtes-vous capable de faire par amitié. Je veux dire… A quel niveau êtes-vous prêt à aller pour prouver votre fidélité à votre meilleur ami ? Qu’il soit un ami d’enfance, un collègue, un co-locataire, un partenaire de soirée, ou celui qui partage votre chambre d’étudiant au sein d’une université… En amitié, il n’y a pas vraiment de règles. On sent quand on peut tout dire à quelqu’un. C’est comme une sorte de feeling, comme un 6ème sens qui vous fait dire qu’il n’y a qu’à lui ou elle que vous pouvez tout confier. Uniquement à cet ami sincère que vous pouvez avouer des trucs qu’il vous serait impossible de révéler même à vos propres parents ou un autre membre de votre famille, un frère ou une sœur. Parce que vous savez qu’eux ne peuvent pas comprendre quand vous vous sentez mal, ou que vous avez un secret que seuls quelques personnes se doivent de connaitre. Dans ces cas-là, un ami, c’est la personne à qui vous pouvez tout dire sans la moindre crainte. Un vrai ami j’entends bien sûr, pas celui que vous connaissez depuis quelques jours. Un ami avec qui vous avez fait les 400 coups comme on dit. Que ce soient des trucs interdits ou bien des délires dignes de gosses de la maternelle. Le genre de trucs qu’on fait après une soirée bien arrosée, si vous voyez ce que je veux dire.

 

Ça vous est sûrement arrivé. Vous avez forcément un de ces amis capable de vous comprendre en profondeur, quoi que vous fassiez. Le genre de personne vous défendant alors que tout le monde est contre vous, vous prodiguant des conseils ou vous rassurant quand vous êtes dans une période noire, voire tenter de trouver une solution pour vous en sortir, au détriment de ses propres problèmes. Ce genre d’ami, quoi qu’on en dise, est très rare. Et quand on en a un dans son entourage de ce type, on serait prêt à faire n’importe quoi pour lui, quitte à plonger en enfer. Ou en tout cas prêt à vous mettre dans une situation y ressemblant. C’est de ce type d’amitié dont je vais vous parler à travers ce journal. Un lien unique et incassable qui peut transformer votre vie à jamais. Par amitié. Pour le pire et le meilleur…

 

Dit comme ça, on croirait des vœux de mariage. Mais on y regardant de plus près, l’amitié et le mariage sont très proches en termes de relation. Dans les deux cas on se jure fidélité absolue, protection et sincérité. Il n’y a guère que la nuit de noces et l’heure du coucher qui différent entre les deux. Et encore. Parfois des liens d’amitié peuvent se transformer en sentiments. Je ne vous apprends rien. Vous connaissez sûrement des films du genre « Quand Harry Rencontre Sally ». Mais je m’écarte du sujet. Ce que j’essaie de vous dire depuis le début, c’est que j’ai un ami comme ça. Un vrai. Un type fabuleux que je connais depuis mes 12 ans à l’école. J’étais quelqu’un de timide, et au physique qu’on peut qualifier de « pas facile », sans rentrer dans les détails. Le genre de garçon que les filles fuient comme la peste, et qui est le souffre-douleur préféré des brutes de la cour de récré. Je ne compte plus les moqueries, les brimades, les crocs en jambes me faisant tomber dans la boue à cause de mon corps atypique. J’étais obèse, le visage boursouflé et rempli de bouton d’acné. Pas vraiment le type que les autres désirent avoir comme ami.

 

 Mais Vince n’était pas comme les autres. Il détestait ceux qui prenait comme cible les personnes dont le physique était ingrat. Et encore plus ceux qui riaient des mésaventures de ces dernières,  subies à cause des petits cons de l’école. Je ne compte plus le nombre de fois où il s’est battu pour moi, se prenant des heures de colle à profusion. Juste pour m’avoir défendu. Je n’ai jamais vraiment su pourquoi il s’était pris d’amitié pour moi. Un jour, alors qu’on était en école de médecine, je lui ai demandé. Il m’a juste dit :

 

 « Parce que j’aimais bien ta tête, tout simplement »

 

Et ça, en arborant un sourire majestueux… Avec le temps, on est devenu des vrais frères, même si on n’était pas liés par le sang. Quand l’un de nous était pris dans un établissement, l’autre s’arrangeait pour être dans le même, pour pas se perdre de vue. On a grandi comme ça jusqu’à l’âge adulte. Et on s’est fait embaucher dans la même branche d’activités et au même endroit. Comme médecin dans une clinique spécialisée dans les maladies auto-immunes et les cancers. Je n’en revenais pas qu’on ait été pris tous les deux. Je veux dire : les probabilités pour ça étaient du domaine du presque impossible. Surtout qu’il était beaucoup plus doué que moi. 

 

Le truc marrant, c’est qu’à force d’être conseillé, protégé et tout par lui, j’ai fini par vaincre ma timidité, et, sans me vanter, j’ai développé une technique imparable pour draguer lors de soirées. Au point de prendre l’habitude de servir d’appât pour Vince, et ça se finissait généralement en quasi-orgie dans l’appartement qu’on louait. Oui, un truc important, c’est que notre amitié était tellement étroite que l’idée de vivre séparément, c’était inconcevable pour nous. Impossible d’être loin l’un de l’autre. Jusqu’à ce qu’il soit obligé de partir pour une semaine en Thaïlande pour un séminaire, à la demande de notre patron. Pour la première fois, on n’était pas ensemble pour une activité. Ça m’a fait bizarre. Bon, je n’ai pas fait de dépression non plus, je vous rassure. Mais on s’appelait régulièrement pour prendre des nouvelles l’un de l’autre. Et puis, il y a eu ce jour où j’ai reçu un appel d’un hôpital de Bangkok où se déroulait le séminaire. Vince était en soins intensifs après avoir été mordu par une bête inconnue, lors d’une excursion en dehors de la ville. Il était dans un état grave.

 

Tellement grave que j’ai bien cru qu’il ne s’en sortirait pas. J’étais dans tous mes états à cette annonce. Je n’arrivais même plus à dormir, je négligeais mon travail. J’ai fini par poser des RTT pour mieux supporter le stress, craignant chaque jour qu’on m’annonce le décès de Vince. Et puis, finalement, j’ai reçu un appel rassurant, m’indiquant que mon « frère » était hors de danger, sa blessure avait pu être soignée, malgré quelques complications. Entendez par là qu’il garderait quelques séquelles au niveau de ses déplacements. Un léger boitement de la jambe gauche, tel que j’allais m’en apercevoir à son retour dans notre appartement. J’utilisais le reste de mes RTT pour être à ses côtés le temps qu’il finisse de se rétablir, et sois prêt à reprendre le travail. Et c’est à partir de là que j’ai pu voir le changement qui s’opérait en lui. Petit à petit, j’ai pu voir que sa blessure était beaucoup moins anodine que les médecins thaïlandais le pensaient. Faisant de lui un monstre sanguinaire au sens littéral du terme.

 

Les premiers signes se montraient lors de moments de contrariété infimes. Vous savez, les trucs du genre : oubli d’éteindre la lumière dans les toilettes, ou bien musique trop forte. Il disait que ses oreilles lui faisaient mal quand j’écoutais mes CD de métal à fond. Pourtant, auparavant, il était le premier que j’étais obligé de modérer sur ça, pour pas qu’on ait de problème avec les voisins. Bon, d’un autre côté, l’un des tapages nocturnes musicaux de Vince m’avait permis de connaitre Mindy, notre voisine d’en face. Appelez-ça une coïncidence ou je ne sais quoi, mais Mindy était thaïlandaise, et d’une beauté rare. Et pour une fois, je n’ai pas eu à faire preuve de mes talents de dragueur pour la séduire, c’est elle qui a pris les devants….

 

Elle venait souvent chez nous, et une sorte d’amitié à trois s’est développé au fur et à mesure. Enfin, un peu plus que ça. Encore une fois, c’est Mindy la première qui a proposé de s’adonner au triolisme entre nous. Si au départ j’étais un peu gêné de cette demande, Vince, lui, a montré tout de suite un intérêt flagrant. On avait un peu l’impression d’être dans une version trash de la série « Friends », tellement les jeux érotiques auxquels on s’adonnait à trois étaient chaud à plusieurs niveaux. Une relation qui pourrait choquer beaucoup, mais nous, c’était devenu notre petit train-train quotidien. Mindy venait chaque week-end chez nous, et c’était le prétexte à des moments d’excès sexuels difficiles à décrire, dont je vous épargnerais les détails.

 

Seulement, après le retour de Vince, ce dernier n’éprouvait plus le même regard envers Mindy. Il trouvait toujours un prétexte pour la faire partir, sans que j’en sache la raison. Je le voyais se tenir la tête de plus en plus souvent, le visage rempli de sueur, au point qu’il devait changer régulièrement de vêtements, son corps transpirant à outrance. Son comportement devenait plus violent pour tout et n’importe quoi, et la présence de Mindy semblait être ce qu’il détestait le plus. J’ignorais à ce moment-là qu’en fait, il cherchait à la protéger de lui, de ce qu’il était en train de devenir petit à petit. Dans ces instants, je me rendais chez Mindy, dans son appartement, le laissant seul, tel qu’il le demandait. Ça me faisait de la peine de le voir comme ça, en proie à un mal que je ne comprenais pas, et Vince ne voulait rien me dire sur celui-ci, évitant la question chaque fois que je tentais une approche pour connaitre ce qui lui arrivait. 

 

Mais Mindy savait s’y prendre pour me convaincre de venir seul avec elle, me disant de ne pas m’en faire pour Vince. Que ça ne servait à rien de lui imposer notre présence s’il ne le désirait pas. Alors, Mindy et moi on se livrait seuls à nos jeux sexuels. Sans Vince. Si j’avais su le changement qui s’opérait en mon ami de toujours, jamais je ne l’aurais laissé en proie à la transformation qui s’opérait en son être. J’aurais tenté de le faire soigner avant même que cette « chose » qui s’insinuait dans ses gênes, modifiant ses cellules, sa personnalité et son mode de vie, n’ait le temps de faire de lui la créature qu’il allait devenir. Mais comment aurais-je pu savoir ? J’ai tenté à plusieurs reprises de rappeler l’hôpital de Bangkok où Vince avait séjourné, afin de savoir la nature de la créature qui l’avait mordu, mais la réponse était toujours la même, me laissant dans le flou total. On me disait que personne ne savait ce qu’était cette créature, mais je percevais à l’intonation de leur voix qu’on me mentait éhontément.  Comme si on m’indiquait silencieusement qu’il valait mieux pour moi ne pas savoir ce qu’était la créature qui était la cause de la transformation de Vince.

 

C’est 3 jours plus tard que je compris que Vince ne serait plus jamais comme je l’avais connu. Ce soir-là, je revenais plus tard que d’habitude, la faute à plusieurs cas compliqués, m’ayant obligé à faire des heures supplémentaires. En arrivant dans le couloir, je croisais Mme Grichek, la dame du 2ème, qui cherchait sa petite chienne, Dolly, un caniche insupportable, qui passait son temps à aboyer à tout moment de la journée. Elle m’indiquait qu’en rentrant chez elle, à 18 heures, elle avait trouvé sa porte d’appartement fracturée. La serrure avait été arrachée, et sa Dolly demeurait introuvable. Je la rassurais, en lui disant que si je voyais sa chienne, je ne manquerais pas de lui en faire part. Elle me remerciait, d’un air peiné. C’était la première fois que je voyais Mme Grichek comme ça. Elle qui nous parlait toujours mal à chaque fois qu’on venait cogner à sa porte pour lui demander de faire taire son petit monstre. Le terme qu’on employait pour désigner sa chienne. Là, j’avais du mal à reconnaitre la femme acariâtre qu’elle était habituellement. Mais je ne m’inquiétais pas plus que ça. Après tout, si ça permettait enfin d’avoir la paix, même si cette pensée était horrible, je n’allais pas m’en plaindre. Et les autres locataires encore moins…

 

Seulement, en entrant dans notre logement, à Vince et moi, je crus que j’étais en train de faire un cauchemar éveillé… Devant moi, je voyais un Vince à mi-chemin entre l’homme et l’animal. Enfin, si on peut appeler ça un animal. Une monstruosité ressemblant à une tête de chacal dont les traits étaient horriblement déformés. Des oreilles élargies, faisant penser à celle d’une chauve-souris, un museau proche de celui d’un loup-garou, tel que ceux qu’on voyait dans les vieux films, pourvu de 3 rangées de dents aussi pointues que celles d’un requin, avec la même forme triangulaire. La chose avait des yeux humains, ceux de Vince, j’étais sûr de ne pas me tromper. A la place des mains et des bras se trouvaient des pattes semblant écorchées, dépourvues de poils et même d’un semblant de peau. Même chose pour les jambes, ces dernières étant plus longues, et comprenant des griffes d’un rouge éclatant. 

 

Mais je compris vite que cette couleur était due au sang maculant le sol du salon, où se trouvait le corps d’un animal de petite envergure, dont le poil ne pouvait pas permettre de douter. Ça ne pouvait être que Dolly, la chienne de Mme Grichek, horriblement mutilée, les boyaux sortis, et la tête écrabouillée… Vince me regardait, l’une de ses pattes monstrueuses tenant l’arrière du corps de Dolly contre sa bouche, ou plutôt sa gueule, mâchant frénétiquement ce dernier. La créature me regardait encore quelques instants, tout en continuant de mastiquer son « repas ». Et moi, je n’osais pas bouger, j’étais paralysé par la peur de ce qui se trouvait devant moi. Et alors que je visais le téléphone, espérant trouver de l’aide pour m’aider à comprendre ce qu’était cette chose, celle-ci s’adressait à moi :

 

« Ne fais pas ça… Je… Je suis désolé que tu aies vu ça ce soir… Je ne peux pas la contrôler… Cette faim qui me tenaille… »

 

C’était bien Vince, aucun doute là-dessus. Et il était évident que son état actuel était dû à la morsure subie par cette créature lors de son voyage en Thaïlande. J’avais toujours du mal à bouger, et puis je vis Vince reprendre peu à peu forme humaine, le corps maculé de sang, faisant de lui une sorte de clone en version masculine de Carrie White. Sauf que là, je n’étais pas dans un film. Ce qui se trouvait en face de moi était bien réel. Aussi impossible que ça paraissait, Vince était devenu un monstre sanguinaire… Il fallut plusieurs minutes avant que Vince redevienne celui que j’avais toujours connu, s’avançant vers moi comme si de rien n’était, et me parlant à nouveau :

 

« Bobby, regarde-moi… C’est bien moi… Pour l’instant… Mais il me faut plus de viande… J’aurais besoin de toi pour les prochains jours… Je sais que je peux compter sur ton amitié… Tu ne trahirais pas un ami, n’est-ce pas ? Je t’expliquerais tout ce que tu dois savoir sur ce que je suis et que j’ai découvert… Ainsi que sur mon nouveau mode alimentaire et son cycle… »

 

Voyant mon état presque catatonique, et comprenant que son aspect en était la cause, Vince s’excusait sur ça… Et pour le tapis souillé de sang. Il précisait qu’il le remplacerait par un encore plus beau pour la peine. Et qu’il allait prendre une douche. Après ça, il aurait une longue conversation avec moi. Il s’excusait à nouveau pour Dolly. Il ne supportait plus ses aboiements. D’habitude, il chassait dehors, quand j’étais occupé avec Mindy, ou pendant que je dormais profondément. Si ce n’était pas le cas, il s’assurait de mon sommeil en m’injectant un somnifère discrètement. En entendant ça, j’observais mes bras, tâtait mon cou, et je comprenais alors l’origine des traces de piqûre sur ce dernier, que je pensais être la cause de moustique ou d’araignées. Je voyais Vince se diriger vers la salle de bains, et s’y engouffrer. 

 

Pendant que le bruit d’écoulement de la douche se faisait entendre, je cherchais sur Internet la nature de la créature qu’était devenue Vince, en me basant sur ce que j’avais vu. Mais je ne trouvais rien de comparable. Même sur les sites dédiés au Paranormal les plus complet ou les pages de Cryptozoologie. Cette créature, cette aberration de la nature, était totalement inconnue de tous les spécialistes… Je me versais plusieurs verres de whisky, les uns après les autres, afin de m’aider à tenir le coup psychologiquement. Vince… Mon ami de toujours, mon frère… Pourquoi était-il devenu cette horreur ? Pourquoi lui ? Les larmes coulaient toutes seules, tombant dans mon verre, se noyant dans l’alcool. Je ne parvenais plus à réfléchir. Je ne savais même pas ce qu’il était. Et en quoi je pourrais l’aider. Il disait qu’il avait besoin de viande… Mais je serais incapable de tuer pour lui offrir ce que son nouveau corps lui réclamait… Je ne savais pas quoi faire…

 

Plus tard, alors que j’étais toujours en proie au doute, Vince revint, débarrassé de son manteau de sang qu’il arborait précédemment. Il s’asseyais sur le canapé, en face de moi, et me donnait ses directives, tel qu’il me le désignait. Il m’apprenait ainsi que s’il ignorait quelle créature il était devenu, il avait appris à comprendre son mode de fonctionnement alimentaire. Il lui fallait des victimes… Mais des victimes humaines. Pour limiter le nombre. Dolly était une exception. Son ouïe étant devenue très sensible, les aboiements intempestifs de cette chienne l’avait fait péter un câble, et il avait fait en sorte qu’elle ne lui casse plus les oreilles. De manière définitive. Il m’expliquait qu’un corps humain lui permettait de contrôler les transformations de son corps pendant une période de 6 à 8 jours, selon la taille et le poids de la victime. Et comme je le redoutais, il me demandait de l’aider à chasser d’une manière plus discrète. Jusqu’à présent, il chassait dans la rue, mais, même s’il s’était arrangé de dissimuler le reste des corps où il pouvait, caché dans des bennes à ordure, aidé par leur position dans des endroits peu ou pas éclairés, il craignait que cela finisse par se remarquer, et que les morceaux soient découverts.

 

Il m’expliquait aussi que la première transformation avait été très douloureuse, et ce jour-là, il ne contrôlait rien. Il s’en était pris à un SDF, à moitié endormi dans une ruelle, la bête en lui le dominant totalement à ce moment, comme si elle s’était réveillée d’un long sommeil, et qu’elle ne pouvait plus maitriser sa faim. Il s’était rendu compte qu’une fois la viande accumulée, celle-ci était digéré dans son corps, pendant ce qui pouvait durer plusieurs jours. Après ça, il ressentait une sensation de manque, signifiant qu’il lui fallait à nouveau trouver une victime à dévorer. Pour un nouveau cycle. Tant qu’il était rassasié, il pouvait maintenir et contrôler sa forme humaine, et agir comme n’importe quel humain. A la différence que son corps n’acceptait que de la viande, et rien d’autre. Animale ou humaine, ça n’avait pas vraiment d’importance. Mais seuls les corps humains frais permettaient d’assurer une plus longue maintenance sous forme humaine.

 

 Un manque pouvait le faire revenir à la première fois, et libérer la bête en lui. Et c’est là où il avait besoin de moi. Et plus précisément de mes facultés de dragueur. Je devais servir d’appât, emmener des filles ici. Mon rôle se limiterait à les emmener et les endormir à l’aide d’une seringue d’anesthésiant. Il se chargerait de la partie « découpe et absorption » de la viande. Devant mon hésitation à me rendre complice de meurtres, il remettait en avant notre amitié, sachant que je ne pourrais jamais prendre le risque de la briser. Qu’il savait qu’elle était bien trop importante pour moi. Il me demandait de me souvenir de notre parcours. En tant que frères. Il insistait tellement sur ça, que je ne pouvais faire autrement que d’accéder à sa demande, et j’acceptais de servir d’appât et de fournisseur de viande. Afin qu’il ne soit pas contrôlé de manière permanente par la bête en lui.

 

C’est ainsi que débutait notre collaboration mortelle. Cependant, j’imposais une condition. Les victimes devaient être des personnes condamnées à mourir. Des atteints de cancer, ou de maladies dont il n’existait pas de remèdes. Ou en tout cas dont la mort était plus ou moins programmée. Au vu de ma position au sein de l’hôpital, il me serait facile d’avoir accès au fichier des personnes les plus à même de remplir ce « rôle ». Des patients dont l’état de santé était irréversible, mais qui pouvaient malgré tout vivre chez eux, sous contrôle médical. Que ce soit en mois ou en années, leur mort était inéluctable. Vince acceptait notre « deal », rajoutant qu’il pourrait lui aussi chercher des victimes potentielles de son côté, en cherchant sur le fichier d’autres hôpitaux, grâce à ses « aptitudes » d’hacker expérimenté. Ce dont il avait fait preuve plusieurs fois pour pirater des sites de jeux ou pour obtenir des médicaments à la consommation règlementée et limitée, falsifiant des ordonnances, afin d’avoir des drogues récréatives pour nos petites soirées privées avec Mindy, du temps d’avant son voyage en Thaïlande, où tout ce cauchemar avait commencé.

 

C’est comme ça que mon amitié me fit devenir un « collecteur » de corps pour Vince. Une fois par semaine, je « ferrais » une victime, choisie au préalable sur le fichier des patients atteints de maladies graves et incurables. A la suite de ça, j’opérais à une « opération séduction ». Ayant connaissance, grâce au dossier médical, aux habitudes, au lieu d’habitation et autres renseignements utiles de mes cibles, il me suffisait ensuite de trouver une excuse pour me trouver sur le chemin de ces dernières, et utiliser mes « techniques » de drague qui avaient faits leurs preuves maintes et maintes fois. Je devenais un meurtrier passif, un complice pour permettre à Vince de garder sa forme humaine. Une fois séduites, j’emmenais les futures victimes à notre appartement, grâce à divers prétextes, avant de les anesthésier, et les livrer en pâture à Vince. 

 

A chaque fois, je devais supporter le bruit horrible du déchiquetage des corps, de la mastication de l’horrible créature qu’était devenu Vince, pendant qu’il prenait son repas dans la salle de bains, afin de ne pas remplir de sang les autres pièces. Chaque jour, je me demandais si mon sens de l’amitié méritait d’offrir ces sacrifices, car c’était bien de cela qu’il s’agissait. Pendant que Vince était jovial à toutes occasions, moi je devenais pratiquement asocial, refusant de me rendre à des soirées où Vince participait, ayant cette peur de me retrouver face à des membres de la famille des victimes que j’avais aidé à servir de casse-croûte. Peur de trahir le fait d’avoir tué indirectement leur sœur, leur fille, leur mère, leur tante… Peur que Vince, malgré ce qu’il était devenu, ne devienne, à son tour, une cible. Une proie pour des chasseurs de monstres…

 

Je ne sais pas si cette complicité, cette amitié contre-nature, a entraîné des conséquences sur ma lucidité ou quoi que ce soit, ou si c’est simplement le karma qui a voulu me faire arrêter les frais. Mais le pire est arrivé 3 mois après m’être transformé en fournisseur de viande pour mon ami d’enfance, ou plutôt la bête en lui. Était-ce mes doutes, mes interrogations sur mes actions au nom de l’amitié, mais j’ai commis une erreur un soir, envers une de mes proies. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai pris des photos de Vince, alors qu’il était en plein repas. Appelez-ça un besoin de déculpabiliser mes actes, ou une folie grandissante, par suite de ma relation avec Vince. Et lors d’un rendez-vous, j’ai accidentellement montré l’une de ces photos, alors que ma proie d’un soir me demandait une photo de moi. Pourquoi avais-je mis une photo de la créature qu’était Vince dans la poche intérieure de mon veston, là où se trouvait mon portefeuille ? 

 

Un moment d’inattention, ou bien simplement mon esprit embrumé ne sachant plus trop ce qu’il faisait. Quoi qu’il en soit, la photo est tombée à terre, et avant que je réalise qu’il s’agissait d’une photo de Vince, il était trop tard : Karen, la fille du moment destinée à servir de repas, a ramassé la photo…Aussitôt, j’ai vu son visage blêmir, avant de porter mon regard sur moi, montrant un air terrifié, ce qui était compréhensible. Elle tentait de s’enfuir, courant à toute allure devant moi, cherchant à me distancer. Conscient du danger que pouvait représenter Karen si elle montrait cette photo à un poste de police, je me mettais à sa poursuite, dans l’espoir de lui reprendre cette preuve de ma culpabilité, cette preuve de l’existence de ma complicité avec un monstre mangeur de chair humaine. Et c’est juste après que le drame arrivait. Karen traversait une petite rue, et ne fit pas attention à une voiture sortant de la pénombre. Elle fut frappée de plein fouet par le véhicule, lançant son corps contre un mur, où son crâne fut fracassé. Bientôt une troupe de badauds se pressaient autour de l’accident, pendant que le conducteur responsable sortait, aussi épouvanté que les autres. Je profitais de la confusion générale pour ramasser la photo, qui était tombée au sol, heureusement à l’envers, juste devant la voiture ayant causé la fin de Karen.

 

Mais je me retrouvais avec un autre problème. C’était ce soir que je devais emmener Karen à l’appartement, et du coup, je me retrouvais sans victime à offrir à Vince. Et au vu du temps qu’il me fallait pour analyser les renseignements de mes proies, il me serait impossible de trouver quelqu’un d’autre en si peu de temps. Malgré tout, je revenais auprès de Vince, lui expliquant la situation, le rassurant sur le fait que j’avais récupéré la photo, et que personne d’autre que Karen ne l’avait vue. Et comme celle-ci ne parlerait pas, au vu de l’état de son corps, il n’y aurait pas de conséquences. Cependant Vince était furieux pour deux raisons. D’abord mon imprudence concernant la photo, qu’il me prenait des mains et déchirait rageusement. Ensuite sur le fait qu’il ressentait une sensation de manque importante. Il me faudrait trouver une autre victime rapidement, sinon la bête présente en Vince reprendrait le dessus, et les conséquences pourraient être désastreuses. 

 

Durant 2 jours, j’ai tenté des approches auprès de futures proies, trouvées grâce au fichier informatique, mais le stress, la peur m’ont fait perdre mes moyens, et je ne parvenais pas à être aussi efficace en séduction que d’habitude. L’état de Vince devenait alarmant, ayant de plus en plus de mal à se contenir. Il dut déposer des congés pour éviter de se rendre au travail, et risquer que sa transformation se déclenche sur place, ce qui aurait été une catastrophe… Le comportement de Vince à l’appartement devenait encore plus irascible que les premières fois où son évolution avait commencé. Il portait sa colère sur les meubles, détruisant avec force des objets de toutes sortes. Parfois, il se transformait en partie, laissant sortir ses griffes de ses mains, et laissant de longues traces sur les murs ou le sol. Je ne supportais pas de le voir comme ça, luttant pour ne pas laisser la place à la créature en lui, qui menaçait de faire son apparition à tout moment. Finalement, je dus me résoudre à précipiter les choses…

 

Le 3ème soir, ayant laissé Vince seul, qui semblait parvenir à contenir son autre lui, je me risquais à me diriger vers un quartier où je savais que je pourrais trouver de la matière première. Ça allait à l’encontre des règles que j’avais moi-même fixé avec Vince, concernant la nature des victimes, mais je n’avais pas le choix. Je repérais très vite la proie idéale. Une jeune junkie, seule, semblant tout juste tenir debout. Je dis junkie, parce qu’en l’abordant, elle me demandait si j’avais de l’herbe ou une autre substance « planante ». Afin de m’assurer qu’elle me suive, je lui répondais par l’affirmative, mais que ma marchandise se trouvait chez moi, et qu’il faudrait qu’elle m’accompagne pour que je puisse la fournir. Elle acceptait très facilement, et elle me suivait docilement. Mais une fois devant la porte de l’appartement, je fus saisi par une odeur que je ne connaissais que trop bien. Une odeur de mort. Une odeur de cadavre. On était samedi. C’était le jour où Mindy venait nous rendre visite comme à son habitude… La peur au ventre, je saisissais la main de la junkie, qui se faisait appeler Elizabeth, et j’entrais avec elle à l’intérieur.

 

Et mes craintes devinrent confirmation… Dans le salon, Vince avait finalement revêtu sa forme bestiale, il avait cédé à la domination de la créature en lui, et s’était transformé. A ses pieds, il y avait le corps de Mindy, dans un état tel que je ne pourrais même pas le décrire, tellement son corps avait été ravagé. En voyant Vince et le corps de Mindy, Elizabeth criait, terrorisée, tentant de se défaire de l’emprise de ma main, que la peur me faisait serrer fortement, l’empêchant de fuir. La suite fut horrible. Vince, enfin la créature qui l’habitait, fonçait vers Elizabeth, et avant qu’elle n’ait eu le temps de pousser un autre cri, elle vit sa tête voler dans les airs, avant d’atterrir près du porte-manteau, derrière la porte, après avoir laissé une marque sanglante sur le mur où elle s’était cognée dans un premier temps. Je restais figé sur place, tenant toujours d’une poigne ferme la main du corps décapité d’Elizabeth. Sans plus aucune vie pour le retenir, celui-ci glissait vers le sol, m’entrainant avec lui. Au même instant, Vince s’approchait, de l’écume sanglante sortant de sa gueule, ses yeux n’avait plus aucune trace d’humanité, contrairement à ce que j’avais vu lors de la première fois où j’avais découvert sa nature monstrueuse.

 

Les yeux d’un animal, d’un jaune presque fluorescent. Même ses bras et ses jambes ressemblaient bien plus à ceux d’une bête. Le crâne chevelu avait fait place à des poils hérissées, comme ceux d’un porc-épic. Ce n’était plus Vince. L’humain en lui avait complètement disparu. Il s’avançait vers moi, alors que j’étais toujours au sol, avec la main du cadavre d’Elizabeth dans la mienne, n’ayant même pas le réflexe de tenter de m’en défaire, tellement la vision de Vince venant vers moi me mettait dans un état de terreur indescriptible. Je pleurais à chaudes larmes, suppliant celui qui avait été mon meilleur ami pendant des années de me laisser la vie, bien qu’ayant peu d’espoir d’être entendu par cette créature qui l’avait remplacée. Pourtant, à la suite de mes suppliques, l’expression du monstre en face de moi semblait changer. Inexplicablement, alors que je m’attendais à subir le même sort que Mindy et Elizabeth, la créature commençait à me renifler le visage, puis le corps, hésitante…

 

Et d’un coup, elle s’emparait du corps d’Elizabeth. Enfin, du reste de son corps, le prenant dans sa gueule, avant de bondir en direction de la fenêtre proche. D’un geste brutal de sa patte droite, elle brisait la vitre, et se positionnait sur le rebord. Ça peut sembler dingue, mais à ce moment, la créature se retournait, m’observant. J’ai vraiment cru à cet instant que ce n’était plus le monstre qui était là, mais bel et bien Vince, semblant montrer un air d’excuse, doublé de tristesse. Une larme a même coulée le long de la texture de sa peau. Je suis sûr que je ne me suis pas trompé sur ça. Il m’observait un court instant avant de sauter par la fenêtre, emportant ce qui restait d’Elizabeth avec lui, et me laissant là, en proie à l’interrogation. Un peu plus tard, à peine remis de ce qui venait de se passer, j’appelais la police, afin de leur dire que je venais de rentrer chez moi, et que j’y avais trouvé le corps de ma voisine, ainsi que la tête d’une inconnue. C’est tout ce que la police trouverait. Les restes des corps des autres repas que j’avais aidé à fournir, je les avais tous jetés dans les eaux du port, après les avoir lestés. Comme quoi, être fana de séries policières a au moins l’avantage de prodiguer des conseils pour se débarrasser de preuves compromettantes…

 

Je n’ai pas revu Vince à ce jour, mais je sais qu’il est toujours actif en ville. Les nombreuses morts relayées par les journaux télévisées, relatant des corps en charpie et montrant le fait d’une attaque de fauve, était suffisamment explicite à ce sujet. Je ne sais pas quoi faire. Dois-je toujours le considérer comme un être humain, caché quelque part dans le corps de cette bête qu’il est devenu ? Ou bien dois-je m’avouer à moi-même que Vince a irrémédiablement disparu ? J’ai toujours la peur de découvrir son corps d’animal étalé sur les pages des magazines et des tabloïds, tué par les forces de l’ordre, des militaires ou bien des chasseurs de monstres. Je sais que ça peut paraitre ridicule maintenant que vous connaissez mon histoire, mais au fond de moi, Vince reste celui qui me protégeait étant enfant, celui avec qui j’ai fait les soirées les plus folles, celui que j’appelais mon frère. Il reste mon meilleur ami, quoi qu’il soit devenu, quoi qu’il fasse, où qu’il soit.

 

Je sais très bien que la plupart d’entre vous ne comprendront pas ce lien qu’il y a entre Vince et moi, et je ne vous en voudrais pas de me considérer comme un fou, un idiot ou quelqu’un n’ayant pas conscience du monstre qu’est devenu Vince. Mais c’est aussi ça l’amitié. Accepter tout ce qui fait que celui qu’on a choisi soit notre confident, notre partenaire. Accepter ses qualités comme ses défauts. Qu’il soit humain… ou monstre. Alors, vous qui me lisez en ce moment, je vous demanderais juste une chose. Si vous entendez parler d’une bête de près de 80 kilos, à l’allure d’un chacal doublé d’un loup, portant des piquants de porc-épic sur la tête, indiquez-moi où il a été vu sur ce blog. Dites-moi si vous- même avez été témoin. Je ne perds pas espoir que Vince puisse redevenir ce qu’il était. Peut-être que la science pourra me le rendre. Ou tout simplement la force de notre amitié… Je n’oublierais pas le visage qu’il m’a adressé avant qu’il disparaisse de ma vie. Ni cette larme. Vous pouvez penser tout ce que vous voulez de lui, mais je sais que Vince est toujours présent dans ce monstre. Il attend que je vienne vers lui à nouveau, que je lui pardonne pour Mindy et pour toutes les autres, et que je lui fasse sentir qu’il restera à jamais mon ami…

 

Publié par Fabs

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