7 avr. 2023

OSTERFEUER-Les Feux de Pâques


 

On n’est jamais si bien trahi que par ceux qu’on soupçonne le moins d’être capable de le faire. Cette maxime résume parfaitement ce que nous avons subi, mon épouse et moi, au sein de notre village, dans la région de la Souabe, en Allemagne. De la vérité que nous avons découvert en son sein, et du drame qui nous a déchirés psychologiquement. Enfin, quand je dis notre région et notre village, ce n’est pas complètement vrai. Nous ne nous sommes installés qu’à Östenfrietz que depuis 11 mois pour être précis. Mais nous avons été accueillis avec une telle gentillesse par ses habitants, reçu une telle solidarité à notre arrivée, que nous en avons presque oublié nos origines. Nous qui avions fui la Westphalie, à cause des parents de Frieda, mon épouse, n’ayant pas accepté d’apprendre non seulement notre union, mais aussi que leur fille attendait un enfant du réfugié autrichien que j’étais. J’étais parti de mon pays pensant trouver en Allemagne un travail me permettant de subvenir aux besoins de ma famille. Mon père, ma mère et mes deux petits frères de 5 et 7 ans sont restés en Autriche, ne pouvant faire le voyage avec moi. J’avais déjà eu beaucoup de mal pour réunir l’argent nécessaire pour venir, après avoir réussi à convaincre ma mère que c’était la meilleure solution pour eux, comme pour moi.

 

La misère dont nous étions victimes nous imposait des conditions de vie drastique, et j’avais de plus en plus de mal à le supporter. Et je ne trouvais pas de travail voulant m’accepter car n’ayant aucun diplôme, la pauvreté de notre famille n’ayant pu permettre à mes parents de m’offrir des études qui aurait pu m’ouvrir des portes à ce niveau. Mon père parvenait tout juste à subvenir aux besoins en nourriture, loyer et autres charges primordiales pour que nous puissions survivre. Voyant ma détresse, un de mes amis m’a fourni une adresse où je pourrais me rendre, avec l’assurance d’un emploi stable, qui me donnerait l’opportunité de faire vivre ma famille décemment, en leur envoyant une partie de mon salaire chaque mois. Le départ fut déchirant, ma mère pleurant à chaudes larmes, persuadée qu’elle ne me reverrait plus, alors que je lui affirmais le contraire. Rajoutant, qu’en plus, du fait de mon absence provisoire, ils auraient une bouche de moins à nourrir, ce qui améliorerait leur quotidien. Mais dire cela n’a fait que rajouter à sa tristesse, et mes deux petits frères, avec leur jeune âge, ne comprenait pas bien non plus pourquoi je partais de la maison. Seul mon père comprenait ma décision, sans pour autant qu’il n’ait pas le cœur déchiré également. Arrivé à l’adresse indiquée, j’ai effectivement eu un travail immédiatement, le patron connaissait bien mon ami qui m’avait envoyé ici, ou plutôt son père, qui était une vieille connaissance. C’est ce qui m’a facilité mon embauche. Le travail était dur et pénible, étant affilié à diverses tâches ingrates au sein de la brasserie où je passais mes journées, mais la paie était plus que motivante.

 

Mon travail était très apprécié du patron, qui me confia vite des tâches plus importantes, jusqu’à me former pour devenir son second, augmentant encore plus mes revenus à ma grande joie. J’envoyais chaque mois une somme considérable, représentant la moitié de mon salaire, à ma famille, qui vit son train de vie devenir bien plus auréolé de joie et de lumière. Ma mère put même s’offrir des vêtements neufs, et mes petits frères n’étaient plus l’objet de moqueries par leur apparence à leur école. Et puis, grâce à ce travail, j’ai rencontré Frieda, qui habitait la maison juste en face de la brasserie. Ses parents venaient régulièrement, j’avais l’habitude de les voir, mais à dire vrai, je n’avais pas une bonne impression les concernant. Ils savaient mes origines autrichiennes, et semblaient ne voir en moi que quelqu’un ayant volé le travail qui aurait dû être destiné à un Allemand. Une forme de racisme qui m’était difficilement supportable. Mon patron s’en était aperçu, et tentait de me rassurer. Il n’aimait pas les parents de Frieda non plus à cause de cela. Mais comme ils étaient de très bons clients, il devait se murer dans le silence, et accepter ce qu’ils étaient, tant qu’ils ne faisaient pas de scandale dans l’établissement. Ce jour-là, les parents de Frieda étaient occupés à discuter avec un couple ami, ne se préoccupant pas de l’ennui de leur fille en ces lieux. Elle était venue par obligation, ses parents ne voulant pas qu’elle reste sans surveillance seule chez eux, ou à trainer dans les rues à fricoter avec des « impurs », le nom qui leur faisait désigner tout non-allemand. Elle commandait une bière et je fus très vite subjugué par l’éclat de son regard, la tristesse qui en découlait dans le même temps, et ses longs cheveux noirs.

 

Je ne me rappelle plus trop comment nous en sommes venus à discuter. Je crois me souvenir que c’est elle qui a entamé la conversation, cherchant une oreille accueillante pour entendre ses plaintes concernant sa vie auprès de ses parents. Un mode de vie strict, ne lui laissant aucun répit. Elle ne pouvait pas aller au lycée, car, selon ses parents, c’était un repère de mécréants, qui ne méritait pas le statut de citoyen allemand. Et pour eux, il était inconcevable qu’elle soit en contact avec cette plèbe. Des mots qu’on aurait cru sortir tout droit du moyen-âge. J’avais de la peine pour cette jeune fille, qui trouvait en moi le confident idéal. Quand elle n’accompagnait pas ses parents, c’est son grand frère qui était chargé de veiller à ce qu’elle ne sorte pas. Elle était comme un oiseau en cage ne sortant qu’à de rares occasions, au gré du bon vouloir de ses parents. Nous sommes devenus amis, de très bons amis même, tout en faisant attention à ne pas éveiller les soupçons de ses parents quand il se trouvaient dans l’établissement, quelques mètres plus loin.

 

Fort heureusement pour nous deux, son grand frère, Wilhelm, ne partageait pas l’avis de ses parents concernant sa petite sœur. Au contraire, il était ravi que Frieda ait trouvé quelqu’un d’autre que lui à confier ses malheurs, ses rares joies, ses passions et d’autres frivolités. De nombreuses fois, il a menti à ses parents, pour amener Frieda à la brasserie, et nous laisser seuls à discuter de tout et de rien, pendant qu’il sortait des lieux, pour nous laisser une plus grande intimité. Il revenait deux ou trois heures plus tard, pour revenir chercher Frieda. Wilhelm et moi sommes devenus comme des frères, et il nous est arrivé de faire des sorties à 3, à l’insu des parents des deux personnes devenus incontournables de ma nouvelle vie en Allemagne. Parfois à 4, la petite amie de Wilhelm nous accompagnant, et gardant le secret de notre relation à Frieda et moi, devenant chaque jour plus intime.

 

Wilhelm devenait notre protecteur pour masquer nos soirées secrètes, indiquant à ses parents que Frieda sortait avec lui et sa petite amie, et qu’ils n’avaient pas d’inquiétude à avoir. C’est lui aussi qui s’est servi de ses contacts pour organiser notre mariage en grand secret, et réfléchissait au moyen de l’annoncer à ses parents, comptant sur la confiance que ces derniers avaient en lui pour mieux faire passer la pilule. Mais ça ne s’est pas aussi bien passé qu’il le pensait. Les parents de Frieda apprenant que leur fils les avaient trompés depuis le début sur la relation que j’entretenais avec leur fille sont entrés dans une rage noire, chassant Wilhelm de la maison, et lui indiquant que désormais il n’était plus leur fils. Nous prévenant de la situation, alors que nous étions à la Brasserie, Wilhelm apprit le jour même que Frieda était enceinte par notre bouche, ayant vu nos sourires plus grands que d’habitude. Cependant, cette nouvelle, ne faisait que rajouter au problème.

 

Bien sûr, il était heureux de la grossesse de Frieda, mais dans le même temps, il craignait la réaction de ses parents à cette annonce. Ils lui avaient clairement dit qu’ils feraient tout pour rendre nul notre mariage, et forceraient Frieda à rentrer chez eux avec des mesures encore plus strictes qu’auparavant, avec des précepteurs triés sur le volet, ayant les mêmes idées qu’eux, accusant les autres précepteurs assurant les connaissances et l’éducation de leur fille comme complices de cette infamie, selon leurs propres termes. Wilhelm nous rassurait en nous indiquant qu’ils avaient beau avoir des contacts faisant partie du gratin de la société allemande, ils n’avaient pas le pouvoir de faire annuler le mariage sans raison valable. Prendre pour prétexte que j’étais autrichien, et, selon eux, indigne d’être le mari de leur fille « pure » ne passerait pas. Cependant, pour le reste, comme Frieda n’avait pas de domicile où elle pourrait trouver refuge, car dépendante d’eux malgré sa majorité, le reste de la situation lui interdisait de revenir auprès d’eux sans en subir les conséquences et les menaces d’enfermement invoqués.

 

Les parents de Frieda avaient l’influence nécessaire pour masquer le fait qu’ils enfermaient leur fille chez eux de manière totale. Ils avaient déjà pu cacher son contrôle partiel durant des années, ça ne leur poserait pas problème de continuer à un plus haut degré, sans que personne ne leur pose de questions. La seule solution pour Frieda et moi était de fuir. Fuir mon travail, les amis que je m’étais forgé au fil des mois, fuir Düsseldorf qui avait été une terre d’accueil, sans savoir où aller. Là encore, Wilhelm fut notre sauveur. C’est lui qui nous parla du village natal d’un de ses amis chers : Östenfrietz. Un petit paradis situé dans la Souabe, aux mœurs et aux traditions un peu archaïques, issu de croyances venant d’une époque lointaine, mais où nous serions en sécurité, et bien accueilli, il s’en assurerait. Son ami donnerait des consignes à sa famille resté là-bas pour que nous soyons protégés dans le cas, peu probable, où des enquêteurs payés par ses parents viendraient demander des renseignements sur nous dans la région.

 

C’est ainsi que nous avons atterri ici, c’est dans ce village que nous avons découvert une autre vie, au sein de paysages magnifiques, d’habitants tous aussi charmants et attentionnés les uns que les autres, et où un travail m’attendait déjà, grâce aux bons soins de Wilhelm et son ami. Les revenus étaient moins importants que ce que je touchais à Düsseldorf, mais suffisants pour continuer à en envoyer une partie à ma famille en Autriche, tout en gardant ce qu’il fallait pour subvenir aux besoins de notre désormais petite famille. Frieda a accouché au sein de notre maison, ne pouvant prendre le risque de se rendre dans un hôpital de la région, par crainte que cela permette aux parents de Frieda de retrouver notre trace par leurs contacts, s’ils apprenaient la naissance de notre bébé. C’est Anke, qui s’avérait être la grand-mère de l’ami de Wilhelm, qui veilla à ce que notre petite fille vienne au monde. Une naissance qui fut fêtée en grande pompe dans tout le village, à notre grand étonnement. Mais il est vrai que nous n’étions pas familiers des coutumes du village, et nous avons pris cette délicate attention avec le sourire.

 

Notre quotidien au sein d’Östenfrietz fut des plus merveilleux les mois qui suivirent notre arrivée, que ce soit avant l’accouchement, et après. Pendant 10 mois, cette vie fut à la limite du paradisiaque. Nous étions chouchoutés par tous les habitants, qui nous faisaient des prix pour nous faire livrer le matériel nécessaire au bébé, pour des aliments ou des objets particuliers. Il y avait un service affilié à ce genre de demande au village, établi depuis des décennies, et une personne était chargé de récupérer les commandes à un relais situé dans une ville proche. Enfin, proche. C’était à une trentaine de kilomètres de là, le village étant coupé de tout, et vivant essentiellement de la vente de produits de chasse, de cultures ou d’artisanerie. Comme de la poterie, de la vannerie, de la broderie et d’autres petites choses du même style. Malgré son éloignement, le village disposait de nombreux services le mettant à un pied d’égalité avec d’autres : église, bureau de poste, épicerie… Tout en apparence était à l’identique d’autres petites communes équivalentes. Mais sous ce masque de paradis se cachait une autre réalité, que Frieda et moi n’allions pas tarder à découvrir, à l’approche des fêtes de Pâques…

 

Étant natif d’Autriche, je n’étais pas très au courant des subtilités propres aux festivités de Pâques en Allemagne. En dehors des classiques œufs, cloches, poissons en chocolat, les « chasses » dans le jardin destinés aux enfants, et le tout le folklore autour du fameux lapin de Pâques. Bien qu’en fait, il s’agisse d’un lièvre pour être précis. Une semaine avant la date fatidique, je voyais chacun s’affairer à disposer des décorations dans tout le village : banderoles, fanions, lampions, ainsi que le fameux Osterbaum, une tradition consistant à garnir un arbre et ses branches de petites guirlandes et d’œufs décorés à la main. Je connaissais un peu ça parce qu’il y avait un équivalent en Autriche, que j’avais eu l’occasion de voir dans ma ville natale. Mais ici, les œufs étaient plus… particuliers. C’étaient des œufs noirs ou rouges, et parsemés de signes étranges sur leur surface. Ça ressemblait à des runes ou quelque chose de ressemblant. Vous savez, ce genre de lettrage qu’on voit parfois dans les livres de sorcellerie.

 

Le village s’appuyant sur des traditions héritées des fondements même de Pâques, en même temps, je ne m’alarmais pas plus que ça. C’était étrange, mais ça faisait partie des rituels germaniques anciens sans doute. Le principe même du lapin de Pâques est né en Allemagne d’ailleurs. Il y a plusieurs histoires qui établissent ses origines. La plus connue étant celle d’une femme pauvre. Ne pouvant offrir des friandises à ses enfants, elle eut l’idée de décorer des œufs, qu’elle cacha dans le jardin, afin d’offrir un peu de joie et de distraction, pour permettre à sa progéniture d’oublier leur misère. Les enfants, apercevant un lapin dans le jardin, pensèrent que c’est lui qui avait pondu les œufs. D’où la croyance populaire germanique du lapin, enfin du lièvre, pondant des œufs. A partir de là, cette tradition du lapin de Pâques s’est exportée dans les autres pays européens, avant de traverser les continents. Aussi bien les œufs que le lapin n’ont pas été choisis au hasard dans ces croyances. Les œufs sont un symbole de germination, d’évolution, et le lapin un vecteur de fécondité, de fertilité, de renouveau. En suivant ces mythes, on découvre que le lapin offre aux enfants l’assurance de grandir et de devenir des adultes par la consommation de ces œufs.

 

Dans le même état d’esprit, dans certains mythes, consommer du lapin permet aux femmes de s’assurer d’être fécondes après un mariage, et obtenir une descendance. Pour le mari, il lui permet d’empêcher toute forme de stérilité, et d’offrir à sa semence la qualité nécessaire pour qu’un enfant naisse. Le lapin doit être mangé le jour des noces, dans le but de permettre les meilleurs augures pour l’accouplement du couple lors de la nuit qui suit la fête. Oui, c’est très archaïque, mais n’oubliez pas que ces croyances datent d’une époque où les superstitions liées à la nature étaient très ancrées dans la culture populaire. En dehors de l’Osterbaum et ses œufs aux couleurs et signes curieux, il y avait des représentations du fameux lièvre ou lapin de Pâques un peu partout. Sur les portes des maisons, sur les arbres, certains habitant portaient même des t-shirts à l’effigie du fameux lapin. Sauf que, là encore, ce lapin n’était pas l’image du lapin souriant et heureux que j’avais l’habitude de voir habituellement pour Pâques. Pas de couleur blanche, de joues roses, de sourire… Non, rien de tout ça… C’était plus… Comment dire… ça me mettait mal à l’aise en fait…

 

Le lapin était d’un noir intense, les yeux rouges, les oreilles dressées, dépourvu de moustaches, de nez, et avait un visage en grande partie comme… effacé. On distinguait à peine les contours de ce dernier en dehors des grands yeux et des sourcils formant une expression mauvaise, comme de la colère ou de la haine. En tout cas, c’est ce que je ressentais. Vu comme ça, on aurait dit une créature échappée de l’enfer, pas un lapin mignon offrant des friandises aux enfants. D’ailleurs à ce propos, je remarquais quelque chose d’étrange les concernant. Les enfants du village, d’habitude joyeux et plein de vie, semblaient presque amorphes, ne donnant pas l’impression de prendre goût aux festivités, montrant des mines presque apeurées, observant avec crainte les représentations du lapin aux yeux rouges. Et puis, il y a eu cette sorte de loterie, ou quelque chose d’assimilé. Anke, qui était la doyenne du village, et au vu de ce que j’avais pu me rendre compte, presque comme la grande cheffe de ce village ayant la particularité de ne posséder aucun maire, se rajoutant à ses étrangetés, fit le tour des habitants, leur demandant d’inscrire leur nom et prénom sur des petits papiers, placés ensuite dans un panier. Vous savez, comme les paniers qu’on utilise pour ramasser les œufs. Ce genre de panier en osier en général. Anke s’approcha de Frieda et moi, nous demandant de faire de même. Ma nature curieuse ne put m’empêcher de demander :

 

-  Pourquoi ces petits papiers ? Je ne connais pas ce genre de tradition pour Pâques…

 

Anke me souriait, m’assurant que nous n’avions aucune crainte à avoir. C’était une coutume qui existait depuis des siècles dans le village. La veille de Pâques, on choisissait les « élus » parmi les enfants des couples choisis, qui gagneraient le droit d’être aux côtés du Osterhase, le nom allemand du lapin de Pâques, et bénéficieraient de sa bénédiction éternelle. Sur le coup, je comprenais mieux pourquoi seuls les couples étaient amenés à inscrire leurs noms sur ces petits papiers. Ça ne me semblait pas plus bizarre que ce que j’avais déjà vu, à cet instant. Faisant confiance à Anke, j’inscrivais notre nom et prénom à Frieda et moi, qui, de son côté s’émerveillait des décorations foisonnant dans tous le village, et les montrait innocemment à notre petite fille. Dans le même temps, je voyais une poignée d’habitants ériger un grand tas de planches, de bûches et de troncs au centre du village. Voyant mon interrogation à ce sujet, Anke me rassura, me disant que ce n’était rien de plus qu’un des éléments des festivités de Pâques. Il s’agissait de la tribune du Osterhase, l’Osterfeuer, le feu de Pâques, qui devait apporter la sérénité au village, et assurer la fécondité à tous les couples actuels ou futurs des habitants dans l’avenir. Je hochais la tête, comme montrant ma compréhension, mais je trouvais ces pratiques de plus en plus issues de superstitions dignes d’un mauvais film de série B emprunté au genre du Folk Horror. Un peu comme « The Wicker Man » pour vous donner une idée. Ces films prenant pour cadre des divinités adorés par des communautés et pratiquant le sacrifice humain.

 

Je riais intérieurement à cette idée, me trouvant ridicule de penser que des gens aussi adorables puissent être capable de tuer sciemment des membres de leur village au nom d’un quelconque dieu. Surtout qu’il n’y avait aucune trace de divinité nulle part. Juste… Juste ce lapin aux allures de démon… D’un coup, mon idée du Folk Horror ressurgissait, et je me disais que ce n’était peut-être pas si idiot que ça, à bien y réfléchir, tellement ces effigies de ce lapin de Pâques plus que curieux rentrait de de plein pied dans l’imagerie de ce type de croyances folkloriques. Je me surprenais à observer si je ne voyais pas Britt Eckland danser nue dans un coin du village, me faisant passer pour le personnage principal du film de Robin Hardy. C’était ridicule, je sais. D’autant que ça n’avait pas de sens. Le paganisme était propre à la culture anglo-saxonne, pas à l’Allemagne. Un tel culte ici était plus qu’improbable. Néanmoins, les jours suivants, je voyais l’Osterbaum se garnir de plus en plus de ces œufs me donnant l’impression d’être des objets d’un culte satanique. Et il y avait cette omniprésence du rouge et du noir, jusque dans les décorations garnissant les murs et les rues du village. Les couleurs dites gaies, comme le bleu, le jaune, ou le blanc, pourtant courantes dans tout ce qui a trait à Pâques, étaient pratiquement absentes. Et quant à la « tribune », elle s’affichait clairement comme un bûcher immense. Et je m’inquiétais encore plus en voyant 8 poteaux de bois à sa base.

 

J’en parlais à Frieda, mais selon elle, je me faisais des idées, et je devrais arrêter de regarder des films d’horreur. Mais je ne pouvais pas m’enlever ça de la tête : il y avait trop de trucs vraiment dérangeant. Je ne sais pas si c’était pour confirmer mes craintes, ou me rassurer que tout ce que je pensais comprendre n’était que le fruit d’un délire, mais j’ai fait des recherches sur les origines du lapin de Pâques plus approfondis. En plus de ce que je vous ai déjà évoqué auparavant, et faisant partie de ce que je savais déjà, j’ai trouvé une autre origine au fameux lapin. Une divinité. En fait, cette divinité, à son point de départ est la déesse Eostre, venant des mythes anglo-saxons, et attestée par Bède le Vénérable, un moine bénédictin du VIIIème siècle, dans son livre De Temporum Ratione, présentant le culte d’Eostre comme déjà éteint chez les anglo-saxons. Le terme « Easter », l’équivalent anglais de Pâques, est dérivé du nom de cette déesse, qui était célébrée au cours de l’Equinoxe de Printemps. L’Equinoxe de Printemps est le jour où le soleil se lève exactement à l’Est. East en anglais. Eostre est la déesse de l’Est, et est associée à d’autres divinités d’autres cultes : Aurore chez les romains, Ausra chez les Baltes, Eos chez les Grecs, Ushas chez les hindoues. Et enfin Ostara chez les germaniques. Le lièvre était l’animal emblématique d’Eostre/Ostara, et est resté associé aux fêtes de Pâques. Du fait de cette association et de son emblème du lièvre, symbole de fécondité, Eostre a fini par devenir une déesse offrant l’assurance de naissance en l’invoquant.

 

Au VIIIème siècle, les royaumes germaniques constituant les ancêtres de ce que serait la future Allemagne des siècles plus tard, virent arriver des moines anglo-saxons, qui furent à l’origine du culte d’Eostre, instituant leur culture aux royaumes germaniques où ils installèrent des monastères. Tels ceux de Fulda, Erfurt, Wurtzbourg et Eichstäät. Un de ces moines, mais il n’y a pas trop de détails concernant sa présence en ces lieux, fut retrouvé à moitié mort, dans un des bois avoisinant le village d’Östenfrietz. Soigné de ses blessures, c’est ce moine qui enseigna la culture anglo-saxonne aux habitants du village, devenant ami avec le chef de celui-ci, passionné par les mythes propres aux origines du moine. Ce dernier, très érudit, était déjà familier de la langue utilisée par les habitants du village, ce qui facilita les échanges avec le chef, et la mise en place du culte. Il est dit que ce moine avait vraisemblablement été banni par ses pairs, à cause de ses pratiques jugées blasphématoires, et appartenant à la sorcellerie. Afin d’assurer une protection au village, en guise de remerciement de l’avoir accueilli parmi eux, le moine inscrit le culte d’Eostre au sein du village. Un culte qui impliquait le sacrifice d’enfants le jour de Pâques pour assurer la fécondité des couples du village pour l’année à venir. Le taux de natalité étant faible au sein du village, le chef ne fut pas difficile à convaincre pour se convertir au culte. Bien évidemment, les enfants du village ne pouvant être sacrifiés, des raids sur les villages voisins, ou venant de campagnes dans d’autres pays, fut mis en place.

 

Les enfants enlevés à cette occasion étaient sacrifiés sur un bûcher, l’Osterfeuer. 8 pour être précis, suivant le principe du signe infini, venant de la Rome Antique, ou ce symbole désignait le chiffre mille, avant d’indiquer un très grand nombre. Chaque angle arrondi du symbole représentant les axes nécessaires pour établir l’équilibre de la fécondité. La purification par le feu faisait venir la représentation astrale de la déesse, accompagnée d’un lièvre sur une de ses épaules. Les invoquant n’ayant pas le droit de voir directement la déesse sous peine d’être foudroyés, ils devaient porter un masque figurant un lièvre, en signe de soumission et d’allégeance, et ne devait l’enlever que le lendemain matin, le bûcher devant brûler toute la nuit pour satisfaire la déesse. Une grande partie de ces découvertes je la fis non pas uniquement par internet, mais aussi par le fait de m’être introduit discrètement chez Anke, profitant du sommeil de Frieda et du reste du village. Lors d’une invitation à diner chez Anke, j’avais remarqué une petite porte sur la gauche de la bibliothèque du salon. Quand j’avais demandé à Anke ce qui se trouvait derrière cette porte, elle a montré un trouble, avant d’indiquer qu’il n’y avait rien d’intéressant, en dehors de plusieurs vieilleries sans valeur.

 

Ça m’intriguait, et c’est là que j’ai découvert à travers un livre posé sur un présentoir, au centre d’une petite pièce situé derrière la fameuse porte, ce que je viens de vous révéler, concernant les origines du culte propre au la « naissance » des croyances germaniques du lapin de Pâques. Je suis sorti de la maison d’Anke discrètement peu après, et une fois revenu à ma maison, j’ai approfondi les connaissances découvertes par le biais d’Internet, et la lecture de sites dédiés à l’histoire de l’Allemagne. J’étais atterré… J’aurais préféré que mes doutes soient faux. Mais ce n’est pas la seule horreur que j’ai pu trouver chez Anke, parmi d’autres livres. Les enfants du village, ceux qui paraissaient terrifiés… Ils n’appartenaient pas au village… C’étaient des enfants adoptés, ça nous le savions. Nous avions discuté avec leurs parents, lors de fêtes locales. Mais imaginer qu’ils avaient été adoptés dans le but d’être sacrifiés… Je comprenais mieux leur peur… Je ne vais pas vous l’apprendre : un enfant peut être très cruel par ses mots envers d’autres enfants. Ceux qui étaient nés naturellement au village avaient dû plus ou moins faire entendre aux futurs sacrifiés de leur futur sort, à l’insu de leurs parents. D’où leur peur en voyant s’installer l’Osterfeuer, les décorations et le reste…

 

L’Osterbaum a dû s’installer au sein du culte par la suite, au fil des siècles, comme une sorte de complément, pour s’assurer plus de réussite de la venue de la déesse, quelque chose dans ce style. Le rituel des « petits papiers » était sûrement pour désigner les enfants qui feraient partie du sacrifice parmi ceux adoptés. Ça n’était pas difficile de penser que les enfants « choisis » étaient remplacés par d’autres adoptions par la suite, en prévision des autres années… Leur seule chance d’y échapper était d’avoir l’espoir de ne pas être un élu par cette « loterie », et grandir pour ne plus être intégré dans cette horreur. Mais je repensais au fait que Frieda et moi avions nos noms dans la liste… Ce qui voulait dire que potentiellement notre petite fille… Elle… Elle pouvait faire partie des sacrifiés. Je comprenais mieux pourquoi les habitants nous avaient acceptés aussi facilement. Pour eux, nous étions des donneurs d’élus potentiels en vu de la loterie pour Eostre, leur déesse sanguinaire. Officiellement, cette divinité n’avait rien de méchant, mais en lisant le culte qui s’y rattache par les livres lus chez Anke, et opérant au sein de ce village, elle m’apparaissait comme un monstre bien pire qu’un démon de l’enfer, voire de Lucifer lui-même…

 

J’ai fait mine de ne rien savoir auprès des habitants, n’en parlant pas à Frieda, de peur qu’elle trahisse le fais que nous savions ce qui se tramait ici. La veille de Pâques, le bûcher devait être allumé, et les « gagnants » de la loterie annoncés, suivant ce que j’avais cru comprendre du « planning » du culte lu chez Anke. Il nous faudrait partir avant ça. Sans rien dire à Frieda, j’ai contacté Wilhelm et lui ai tout raconté. Il ne me croyait pas au départ, jusqu’à ce que je lui fournisse les preuves. Ayant pris des photos des pages des livres chez Anke, en prévision de preuves à apporter dans ce cas de figure. Il était horrifié, se sentant coupable de nous avoir amené au pire endroit qui soit, bien pire que ce à quoi il nous avait permis d’échapper. Il me promit de trouver une solution pour que quelqu’un vienne me chercher, moi et Frieda, sous une excuse quelconque, pour nous extirper de ces adeptes monstrueux. Je le remerciais, et raccrochais. Mais la veille de Pâques, le cauchemar devenait encore pire que ce que j’imaginais. Anke, et plusieurs habitants débarquèrent chez nous, nous ligotant, et s’emparant de notre petite fille, alors que Frieda demandait ce qui se passait, et criait qu’on lui rende son enfant. Notre enfant. Je ne comprenais pas. Comment Anke avait-elle pu se douter que je savais : j’avais pris toutes les précautions possibles, et si elle s’était rendu compte de ma « visite » chez elle, je l’aurais vu venir bien avant… Et c’est là que je compris… Wilhelm… C’était impossible… Je… Je ne pouvais pas croire qu’il puisse être impliqué là-dedans… Pas lui…

 

Mais Anke me confirmait mes soupçons, me disant que c’était bien Wilhelm qui l’avait averti de ce que j’avais découvert, et que je menaçais de m’enfuir. J’appris ainsi que Wilhelm faisait partie des « agents extérieurs », chargés de repérer des sacrifiés potentiels, soit en les enlevant, soit en s’assurant de les envoyer ici, au village. J’avais remarqué que le cimetière avait un nombre de tombes anormalement élevé. Je devinais qu’il s’agissait des couples « invités » n’ayant pas accepté de se conformer à la vie du village et son horrible culte… En fin de compte, toute l’amitié et le dévouement de Wilhelm n’était dû qu’à son désir d’offrir un « impur » inutile qui ne serait pas regretté, selon les dogmes de ses parents, qui devaient être dans la manigance eux aussi. C’était un véritable complot familial. Ils… Ils avaient utilisé leur propre fille pour tisser cette toile monstrueuse, ayant dû remarquer notre discussion à la brasserie la première fois. Ils ont joué les ignorants avec la complicité de Wilhelm dans le seul but d’assurer un sacrifié qui n’impliquerait pas un Allemand. C’est là que je découvrais une autre des horreurs du village. Les enfants adoptés… Aucun n’était allemand… Ils étaient tous d’origines étrangères à l’Allemagne… Des européens, pour qu’on ne se doute pas de quelque chose quand aux différentes couleurs de peau qui aurait pu être trop visible selon leurs dogmes et leur plan. La loterie n’était qu’un leurre… Les sacrifiés étaient déjà connus à l’avance. Les processus d’adoption pouvant parfois être long, c’est pourquoi des agents extérieurs comme Wilhelm existait. Au cas où le « quota » de sacrifiés de l’année risquait de ne pas être bon, ces agents étaient chargés d’enlèvements pour le village. Ou d’opérations spéciales, dont nous avions été victimes, Frieda et moi.

 

J’apprenais que les parents de Wilhelm étaient les « protecteurs » du village : il s’assurait que personne ne manquait de rien, ce qui expliquait que les services pour obtenir des objets divers à l’extérieur, s’opérait aussi aisément. Frieda et moi avions été les mouches de ces monstres humains. Mais ce n’était rien en comparaison de ce que Frieda et moi avons dû subir visuellement. Nous avons assisté à la mort des enfants, dont notre propre fille, brûlé vive sur l’Osterfeuer, au nom d’une déesse dont nous ne pouvions voir le visage, et dont l’existence était sûrement aussi factice que la bonté des habitants. Nous n’avons pu assister qu’à l’enflammement du bûcher, avant que notre regard ne soit dirigé dans la direction inverse, avec notre masque de lapin posé sur notre visage, comme tous les villageois. De ce que j’ai compris, seul Anke était « habilité » à voir la déesse. Frieda et moi nous avons entendu les cris de souffrance des enfants, les hurlements de notre petite fille crépitant dans les flammes, sans rien pouvoir faire. On nous a laissé entendre les cris d’agonie pendant de longues minutes, avant de nous ramener chez nous, où nous fûmes enfermés jusqu’au matin, dans le but de statuer sur notre sort, suivant notre décision…

 

Soit nous acceptions de rejoindre le culte, faisant partie officiellement du village, car notre sacrifice « volontaire » faisait de nous de nouveaux membres. Ce qui avait été le cas avant nous de la plupart des couples vivants ici, et ayant dû se résoudre eux aussi à ce choix. Soit nous refusions, et deux nouvelles tombes seraient creusées dans le cimetière… Le jour de Pâques, Anke est venue nous voir. Wihelm était là aussi. Je me suis retenu de ne pas me jeter sur lui pour le défigurer de ce qu’il avait fait subir à sa propre sœur, à moi, à notre défunte fille, qui n’était plus qu’un tas de cendres. C’est lui qui a posé la question de savoir notre choix. J’aurais voulu refuser, mais je ne pouvais pas laisser continuer cette horreur de perdurer. Cela me prendrait sans doute des années. Des années où je devrais accepter, avec Frida, d’adopter des enfants n’étant pas des natifs allemands, dans le but d’être sacrifiés à Pâques. Des années de calvaire où je me rendrais complice de meurtres, d’infanticides horribles, au nom d’un culte tout aussi terrifiant par sa noirceur, et sa monstruosité. Mais je trouverais un moyen de révéler cette ignominie au monde. Alors, j’ai accepté de rejoindre leurs rangs…

 

Je sais qu’ils ne me font pas confiance. Je serais surveillé, de manière à vérifier que je me confortais à leur culte. Je serais sûrement amené à enflammer moi-même le prochain Osterfeuer, pour preuve de mon acceptation. Je ne sais pas si Frieda tiendra le choc… J’ai empêché qu’elle commette l’irréparable plusieurs fois, m’obligeant à cacher tout ce qui pourrait lui servir d’armes pour mettre fin à sa vie. Elle sait ce que je prévois, elle sait mon plan pour mettre fin aux délires de ces fous sanguinaires qui osent dire qu’ils font ça dans un but d’épurement patriotique. On dirait le discours de néo-nazis voulant mettre en place le nouveau Reich. Je ferais de mon mieux pour leur faire croire que j’ai adhéré à leurs coutumes barbares et inhumaines. Ce ne sera pas facile. Frieda est déjà aux portes de la folie, et ça me rend dingue de la voir s’enfoncer chaque jour dans les ténèbres, perdant son envie de vivre. J’ai peur de la perdre. Peur après ça de perdre ma motivation au combat que je me suis donné pour dénoncer les actes de ces ordures. Je n’ai pas droit d’utiliser Internet et toute forme de communication, tant que je n’ai pas donné mes preuves de dévouement. Je me suis contenté d’écrire cette lettre, celle que vous lisez actuellement, en la cachant à l’intérieur d’une des caisses des produits destinés à la vente en dehors du village…

 

J’espère qu’elle sera lu, cru, et que vous saurez m’aider à détruire ce culte. Si cela arrive un jour, peut-être que je ne serais plus là. Frieda sera certainement partie avant moi, c’est une évidence. Mais tout ce que vous avez lu est la vérité. Ce culte est bel et bien réel. Les gens de ce village n’ont plus rien d’humain, au sens psychologique du terme. Je vous en conjure, au nom de tous les futurs sacrifiés sur les listes des ces malades, croyez mes paroles, croyez mon témoignage… C’est la seule chance qui reste aux enfants qui risquent de finir brûlés sur ce bûcher en sacrifice à cette déesse, celle qui est à l’origine du lapin de Pâques, d’avoir un espoir de survie…

 

Publié par Fabs

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