16 juil. 2024

CROWS-Protection Ailée (Partie 2 : La Reine des Corbeaux)


 

La première intervention de mes protecteurs ailés s’est déroulé quelques jours après la rentrée, dans la cour du lycée où j’étudiais. Un évènement qui allait choquer nombre d’élèves mais aussi des professeurs, et forger le futur surnom qui me collerait à la peau tout le reste de ma vie. On était le 14 septembre. Je sortais du cours de sciences naturelles où, comme elle avait l’habitude de le faire depuis l’année scolaire précédente, Mme Trévise m’avait demandé de la “seconder” pour un cours portant sur les différentes espèces d’oiseaux peuplant les abords des villes, et agrémentant parfois le quotidien des habitants de Blois. Que ce soit dans les parcs publics ou même dans plusieurs endroits boisés de la ville. Elle savait que je possédais en moi de solides connaissances sur le sujet. En grande partie grâce à ma mère, ornithologue de métier et auteure reconnue d’un livre sur la population des Aves. Le nom scientifique des oiseaux. Ce qui faisait de moi une sorte d’experte très pointue dans le domaine, et Mme Trévise, qui voyait en moi celle qui serait la digne successeuse de mon illustre génitrice, aimait me mettre en avant en cours. Elle disait que ça m’habituerait au public des futures conférences que je donnerais plus tard.

 

Elle croyait énormément en moi, et je ne dis pas ça parce qu’elle était aussi une fan assidue des travaux de ma mère, en plus d’être une de ses meilleures amies. Elle ne tarissait pas d’éloge sur mes aptitudes lorsqu’elle était invitée à dîner à la maison, à la demande de ma mère. Des moments privilégiés où je devenais la “star” de la soirée, sous le regard admiratif de mes parents, lorsque Stella, le prénom de ma professeure préférée, se prêtait à des petits “quizz” sur mes connaissances ornithologiques. C’était quelqu’un que j’aimais énormément. En dehors du lycée, Stella devenait très différente, surtout en présence de ma mère. Quand elles étaient toutes les deux ensemble, on avait l’impression de voir deux collégiennes. Elles se remémoraient leurs années d’enfance passées au même établissement et leurs 400 coups. De nombreuses farces et aventures qui avaient provoqués le désespoir de leurs parents respectifs, les faisant s’interroger sur leur capacité à faire autre chose que s’amuser dans leur avenir.

 

C’est la rencontre avec mon père qui a transformé la petite adolescente qu’elle était en une adulte amoureuse et désireuse de tout faire pour s’assurer de garder auprès d’elle celui qu’elle voyait déjà comme son âme sœur. Stella a été d’une grande aide dans cette “conquête”, parvenant à faire briser plusieurs barrières qui lui empêchaient de devenir une “pro” de la séduction. Quand on voit ma mère aujourd’hui, on a du mal à s’imaginer qu’elle était très timide en matière d’approche sentimentale. Elle qui est devenue un modèle, y compris pour moi, en termes de maitrise de soi, d’assurance et de professionnalisme. Et pourtant… Lors de ces mêmes soirées, Stella rapportait régulièrement que sans son aide, ma mère n’aurait jamais franchi le cap du simple bonjour au garçon qui envahissait ses pensées, dès lors qu’elle avait aperçu celui-ci dans la cour du collège où les deux étudiaient. Mon père se taisait lors de ces discussions et souriait en silence. On voyait qu’il ne se voyait pas interrompre la joie des retrouvailles que manifestaient les deux éternelles amies lorsqu’elles évoquaient leurs années de jeunes filles quelque peu insouciantes et pleines de vie.

 

Il n’oubliait pas que Stella restait le moteur de ma mère. Celle qui l’avait poussé à décider de plusieurs de ses choix dans de nombreuses étapes de sa vie, là où mon père échouait à lui apporter des conseils éclairés. Papa m’a précisé que ça avait toujours été comme ça entre elles deux : chaque fois que maman avait une décision à prendre, elle fonçait demander à Stella pour l’aider à la motiver et la diriger à faire le bon choix. Les deux étaient de vrais inséparables, et je pense que j’ai hérité de leur instinct d’amitié indéfectible. Ma rencontre avec Mathilda, qui allait devenir ma meilleure amie dans les années à venir, en était la meilleure preuve. Elle qui serait à même de m’aider à surmonter les épreuves qui jalonnerait mon parcours professionnel après mes années d’études, et saurait me conseiller efficacement comme l’avait fait Stella pour ma mère. Y compris, et surtout, lorsque Matthew et Thetys userait avec excès de leur qualité de protecteurs rapprochés. Et ce, de manière parfois violente et sanglante.

 

Pour en revenir à cette journée du 14 septembre, je dois préciser qu’un nouvel élève avait rejoint mon cercle de camarades cette année-là. La plupart d’entre eux étaient ceux de l’année dernière, ayant, tout comme moi, réussis brillamment leur montée de classe. Celui-là, Marc, s’était vite affirmé comme le caïd du lycée. Il avait cette faculté d’attirer par son charisme et son impétuosité les autres garçons, voyant en lui une sorte de leader né. Je ne saurais pas trop expliquer comment il parvenait à faire naître cette alchimie entre lui et eux. Sans parler de l’attraction qu’il exerçait envers plusieurs filles du lycée. Je dois avouer qu’à son arrivée, comme beaucoup d’autres, je n’étais pas insensible à son charme, à ma grande honte. Tout a changé dès lors qu’il m’a pris en grippe et a fait de moi la cible de ses attaques. Simplement parce qu’il semblait avoir en lui une sorte de complexe d’infériorité en termes de popularité. On voyait qu’il aimait ressentir être le centre d’attraction de tous, et a très vite créé son “fan-club”. Dont plusieurs de mes camarades qui, autrefois, étaient des amies sincères.

 

Mark a brisé ces amitiés, parce qu’il ne supportait pas, et ce de manière manifeste, le fait que j’étais vue comme une sorte de “célébrité” locale, du fait du prestige de ma mère. Il considérait que, contrairement à lui qui avait trimé dur pour obtenir son “statut”, moi je n’avais fait que bénéficier de l’aura de ma mère, sans avoir fait le moindre effort pour acquérir cette position. Ce jour-là, il a joué les indifférents à l’attention qui était porté sur moi lors de l’assistance dont je faisais bénéficier Mme Trevise. Il se permettait d’agir comme si le cours ne l’intéressait pas, car j’avais été mise sur le devant de la scène, tel un « chouchou ». Il émettait des sortes de gémissements plaintifs, montrant son ennui de façon impolie et irrespectueuse, ou se prêtant à des discussions peu discrètes avec son voisin de table. Ce qui a obligé Mme Trevise à sévir plusieurs fois pour lui demander d’être plus attentif.

 

Devant son attitude nonchalante, et après avoir clairement évoqué qu’il n’avait pas à obéir à quelqu’un qui prenait son pied à lécher les bottes d’une fausse célébrité, ce qui me désignait ouvertement, Mme Trévise a perdu son calme et l’a renvoyé de cours. Elle a demandé à Judith, la déléguée de classe, de l’accompagner au bureau du proviseur, et d’expliquer la raison de son renvoi. Il a reçu un avertissement pour ça, ce qui n’a fait que développer encore plus sa haine envers moi. Il n’y a pas que lors du cours de sciences naturelles qu’il se permettait d’opérer à des moqueries me visant directement, et Marc s’est vu infliger de nombreuses remontrances sur ces attaques qui n’avaient pas leur place en cours. Pour éviter des sanctions plus sévères qui auraient pu lui occasionner un renvoi temporaire de l’établissement, il a alors usé de tactiques plus silencieuses en classe, se servant de ses “adeptes” pour que ces derniers se livrent à des actes de vandalisme discrets sur mes affaires. Comme des jets d’encre sur le dos de mon pull, ou l’usage de ciseaux pour découper des pans de ma robe.

 

Ses actions se répercutaient aussi lors des séances d’EPS, toujours par l’intermédiaire de ses complices. Une manière pour lui de ne pas subir les foudres des professeurs s’il s’avérait être responsable des incidents et humiliations dont j’étais victime. Ça se caractérisait sous forme de chutes provoquées par des poussées dans le dos, ou la descente à mes chevilles de mon short de sport, exposant mes dessous à la vue de tout le monde. Ce qui faisait rire l’ensemble de la classe, même ceux et celles que je considérais auparavant comme des ami(e)s sincères. Marc, en quelques semaines seulement, était parvenu à me mettre à dos la plupart des étudiants du lycée, à coup de médisances sur mon statut de préférée des profs, tel qu’il me désignait. Il disait que je n’étais qu’une pistonnée que personne n’osait contredire, simplement parce que ma mère était célèbre, et qu’il allait changer les choses. Vous l’aurez compris, ça ne se limitait pas à ma seule classe. Je subissais régulièrement les regards moqueurs des autres élèves. Ceux-ci se livrant à des gestes déplacés en ma présence, à coup de gestes obscènes de la main.

 

Sur les conseils de Stella, qui s’est portée garante envers moi, assurant que je n’étais pas quelqu’un qui avait l’habitude de se plaindre ou de mentir, j’ai parlé au proviseur de l’établissement concernant les attitudes de mes camarades, agissant sur les “ordres” plus ou moins directs de Marc. J’étais certaine de ça : avant son arrivée au lycée, je n’avais jamais été victime de telles campagnes de dénigrement. Mr. Perez, le proviseur, m’a assuré qu’il ferait du mieux qu’il pouvait pour que je n’aie plus à subir d’autres désagréments. Une affirmation qu’il indiquait comporter un bémol. Tant que Marc n’était pas surpris en flagrant délit d’être le maître d’œuvre de mes malheurs, en étant vu en train de discuter à un élève se prêtant l’instant d’après à des attaques me visant, discrètes ou plus “visuelles”, il ne pourrait pas faire grand chose. Marc était suffisamment malin pour ne pas commettre l’erreur d’être vu en train d’agir lui-même au sein du lycée. Ce qui voulait dire qu’il y avait peu d’espoir que je ne sois plus l’objet de ses manigances.

 

Ma mère et Stella, appuyées par d’autres professeurs ayant eu vent de ce climat de terreur me visant, sans pour autant avoir été les témoins directs de ce que je subissais, ont tenté de discuter avec Marc. Mais celui-ci feignait ne pas savoir de quoi ils parlaient, indiquant qu’il n’était en rien l’instigateur des attaques dont j’étais la cible. Il usait à chaque fois de ses talents d’acteur né pour déplorer mes sévices au sein du lycée, assurant ses interlocuteurs de la sincérité de sa compassion, mais affirmait être étranger à toute action me visant. Sans doute “briefés”au préalable, ceux et celles que je désignais comme complices eurent le même discours. Je ne voyais pas d’issue. Jusqu’au jour où l’un des “disciples” de Marc a fait une grosse erreur en voulant aller trop loin. J’étais de plus en plus isolée, mon cercle d’amis se réduisant de plus en plus. Les rares éprouvant encore de la sympathie pour moi préférait ne pas me côtoyer de trop près, de crainte de subir à leur tour les attaques silencieuses du cercle de Marc, se montrant comme un véritable « parrain » comme je pensais qu’il n’en existait que dans les films.

 

Un après-midi, alors que je m’étais mise à part près du grillage, à l’écart de tout le monde, un groupe de 4 garçons est venu vers moi. Les sourires qui s’affichaient sur leurs visages ne présageaient rien de bon, et je m’apprêtais à me lever pour trouver la sécurité de la proximité d’un surveillant. Mais je n’en ai pas eu le temps. Celui qui semblait être le chef de fil du groupe me prit par le bras, en me demandant de le suivre lui et ses amis, sans crier ou faire de gestes susceptibles d’attirer l’attention. Pour asseoir sa domination, il montrait un petit canif qu’il sortait de sa poche de blouson, avant de le remettre à sa place. Juste pour me faire comprendre qu’il ne plaisantait pas. Ils m’ont obligée à les suivre discrètement jusqu’aux abords du gymnase, à l’arrière du lycée, s’employant à m’entourer de chaque côté, pour s’assurer que je n’userais pas de gestes pouvant signifier à une potentielle aide extérieur la menace qui pesait sur moi.

 

Une fois emmenée là où ils voulaient que je sois, l’un d’eux a commencé à descendre sa braguette, pendant que les 3 autres me forçaient à me mettre à genoux. Je résistais tant bien que vaille, alors que Jacques, le chef de ce petit groupe, avait fait tomber complètement son pantalon, puis son caleçon. Il exposait son sexe devant mon visage, le masturbant lentement pour le raidir de manière significative. Il me disait que Marc lui avait demandé de me faire comprendre d’arrêter de me plaindre auprès du proviseur et des professeurs, et que pour ça, il avait carte blanche. Il s’était dit que le mieux était de joindre l’utile à l’agréable pour que je comprenne mieux, et me demandait de lui faire une fellation sous les rires des autres. Je me débattais encore plus, criais. Jacques me giflait alors, me disant de me taire et de lui faire la gâterie qu’il demandait sans faire d’histoires. J’étais en larmes. Je cherchais des yeux quelqu’un dans les environs pour me venir en aide ou quelque chose qui me servirait d’arme pour me défendre. Mais les complices de Jacques me tenaient trop fermement pour que je puisse envisager m’emparer de quoi que ce soit dans les alentours. Les lieux étaient trop éloignés des surveillants postés dans la cour, on était à l’heure de la récréation. J’étais presque résignée à pratiquer ce qu’on me demandait, bien que l’idée me révulsât, quand je fus sauvée d’une manière que je n’aurais jamais imaginé.

 

Les deux corbeaux que j’avais remarqué maintes fois sur les grillages du lycée, ou à de nombreux endroits sur les chemins que j’empruntais pour revenir chez moi, sortirent de nulle part et se mirent à attaquer mes assaillants. Les garçons qui me retenaient les bras n’eurent d’autre choix que de me lâcher pour éviter les coups de becs et de serres des oiseaux qui semblaient déchaînés. Ils frappaient avec force les bras, jambes et têtes des mes agresseurs, sans que ceux-ci ne parviennent à s’opposer à eux. Jacques se prostrait à terre en position fœtale. Je voyais un long filet de sang coulant de son entrejambe, qui avait dû être le centre d’attaques d’un des corbeaux. Il se retrouva bientôt seul à terre. Ses complices n’ayant pas assez de courage pour l’épauler, et préférant fuir à toutes jambes en direction de la cour du lycée. Jacques fut alors la cible d’un redoublement d’attaques des deux volatiles qui venaient de me sauver d’un sort peu enviable.

 

Cette fois, je les voyais de près. Je reconnaissais parfaitement les taches sur les becs qui lacéraient les chairs de Jacques avec violence. C’étaient bien les mêmes corbeaux que j’avais sauvé des coups du garçon à la fronde à Rignac. J’étais sûre de ne pas me tromper. Jacques criait à tout rompre, me demandant de faire arrêter mes oiseaux, qu’il s’excusait pour avoir tenté d’abuser de moi, qu’il ferait tout ce que je voudrais. J’aurais pu effectivement leur donner cet ordre. Je ne savais pas trop comment, ni pourquoi, mais je sentais que si j’avais expressément crié aux corbeaux de cesser d’attaquer Jacques, ceux-ci m’auraient écoutée. Mais je ne l’ai pas fait. Au contraire, je me délectais du spectacle de ce pervers réduit à une cible vivante, meurtri de dizaines de blessures sur son corps. Ses habits n’étaient plus que des loques tellement mes sauveurs s’acharnaient sur lui, ensanglantant de plus en plus le sol. Jacques pleurait comme un gosse, et j’appréciais ce spectacle à un haut degré.

 

J’ai honte de dire ça, mais je souriais même. Je prenais plaisir à ce que cette petite ordure sous les ordres de Marc se fasse martyriser autant. C’était tout ce qu’il méritait après avoir failli me faire subir tous les outrages. Peut-être qu’il ne se serait pas limité à m’obliger à pratiquer une fellation. Peut-être qu’il aurait fait pire par la suite. Peut-être même que ses amis se seraient joints à la fête. Je ne pouvais pas lui pardonner cette ignominie, tout comme il me serait impossible désormais de considérer Marc comme autre chose qu’un être abject et sans scrupules, ne supportant pas le fait de ne pas être comme moi. Je n’y pouvais rien si ma mère était célèbre et si sa meilleure amie, celle qu’elle appelait sa sœur, était ma professeure, m’offrant régulièrement de l’assister dans les cours. Ceci dans le seul but de m’aider à devenir celle qui succèderait à Hélène Surgeon, la grande ornithologue française. Ça ne justifiait en rien ses attaques incessantes envers moi.

 

Péniblement, je parvenais à me relever, frottant mes bras que les complices de Jacques, ces fuyards ayant abandonné leur “maître”, avaient meurtris. Je regrettais que ça ne soit pas Marc qui soit là, gisant à terre, à la place de cette petite merde de Jacques. Le spectacle n’en aurait été que plus jouissif encore. Je continuais à regarder sans même chercher à réagir ou empêcher les corbeaux de planter leurs becs et leurs serres dans la chair de cette ordure qui couinait comme une fillette. Très vite, ses plaintes se sont tues. Il bougeait encore, mais il subissait un tel traumatisme que plus aucun son ne parvenait à sortir de sa gorge. Ou bien c’était à cause du trou visible dans celle-ci. Un de ses yeux avait été arraché de son orbite, des nerfs se montraient à l’air libre, ainsi que des os. Des morceaux de peau sanglants étaient projetés avec dédain du bec des corbeaux après avoir été enlevés du corps de Jacques, et un énorme trou dans son crâne dévoilait une partie de sa matière grise.

 

Du haut de mes 13 ans, moi qui avais toujours été réticente à tout ce qui touchait de près ou de loin à l’horreur, que ce soient les films, les séries ou même de simples images, j’adorais ce que je voyais. J’étais dans ce qu’on pourrait appeler un moment de grâce, ou une transe. Vous voyez ce que je veux dire ? Un état tel que je ne parvenais plus à distinguer ce qui était bien ou mal. Les croassements remplis de haine des corbeaux sonnaient comme une musique si douce à mes oreilles. En me voyant dans cet état figé, l’un des surveillants venus sur place, sans doute prévenu par l’un des fuyards de ce qui se passait, a tenté de me faire sortir de ma transe. J’entendais bien un autre son que celui des corbeaux, mais c’était comme si je ne comprenais pas ce langage. Comme si je ne comprenais pas ce que le surveillant me disait. Je ne faisais que regarder Jacques, qui ne bougeait plus du tout, se faisant déchiqueter. D’autres surveillants, ainsi que des professeurs, tentèrent de faire fuir les corbeaux. Mais ceux-ci ne montraient aucunement l’intention de s’en aller, menaçant toute personne voulant s’approcher de ce qui n’était désormais plus qu’un corps sans vie.

 

Alertés par ce remue-ménage, un flot d’élèves arriva à son tour sur les lieux, vites encadrés par les surveillants impuissants à stopper l’action de mes protecteurs. A force de me parler et de me secouer dans tous les sens pour me faire réagir, j’ai fini par sortir de mon état de transe, effaçant mon sourire. C’était comme si je venais de me rendre compte de la réalité de ce qui s’était passé, de ce qui se passait en ce moment même, et que je décidais d’agir en redevenant celle que tout le monde connaissait. J’ai juste crié aux corbeaux d’arrêter et de partir, rien de plus, sans insister. Au même instant, réceptifs à ma voix, les deux corvidés ont cessé tout déchirement de chair, se sont retournés, m’ont observé quelques instants, avant de s’envoler en libérant dans l’air quelques croassements que j’ai ressenti comme un message de leur part. Du style  :

-  Maintenant, tu sais que nous serons toujours là pour te protéger. Si d’autres que lui essaient de s’en prendre à toi, nous nous occuperons de son cas...

 

J’ai senti le regard d’incompréhension des surveillants, ainsi que des élèves derrière moi. Patrick, l’un des “pions” du lycée, s’est approché du corps de Jacques, et a tenté de trouver un pouls sur celui-ci. Pendant ce temps, toute l’assemblée autour de moi semblait attendre sa réponse comme s’il s’agissait du résultat d’un examen. Quand il s’est retourné en hochant la tête, tout le monde a compris qu’il n’y avait plus rien à faire : jacques était mort. Voyant que j’étais disposée à marcher, Philippe, le surveillant qui m’avait sorti de mon état presque comateux, me demanda de le suivre en me tenant le bras. Je voyais chaque fille, chaque garçon, chaque professeur, parmi ceux qui étaient présents, me fixer comme si j’étais une bête de foire, s’écartant sur mon passage. Je ne saurais dire le nombre de visages épouvantés qui se montraient à chacun de mes pas, regardant successivement dans ma direction, puis vers celle où gisait le corps ensanglanté et perforé de partout de Jacques. Ils ne disaient rien, mais j’avais l’impression de comprendre leurs pensées. Des pensées semblant dire :

 

-          Monstre ! Comment t’as pu faire ça à Jacques ?

-         T’es vraiment qu’une conasse, en plus d’une meurtrière...

 

D’autres chuchotaient entre eux. Bien que peu perceptibles, je comprenais très bien leurs paroles.

 

-         Vous avez vu ? Les corbeaux lui ont obéi...

-         Elle peut contrôler ces bestioles, c’est plus qu’évident.

-         Bordel, elle est pire que Carrie White.

 

 Je n’ai pu réfréner un léger sourire en entendant ça, me disant intérieurement qu’après ce qui s’était passé, il n’y en aurait plus un seul qui oserait me faire quoi que ce soit. Sous peine de subir la même chose que le cadavre étalé sur la pelouse devant le gymnase. Pour autant, personne n’osait dire la moindre parole de manière distincte et à haute voix. Ils étaient bien trop terrifiés pour prendre un tel risque. Alors que j’étais dirigé vers l’infirmerie, je voyais un flot d’ambulanciers et de policiers franchir le portail du lycée, se dirigeant vers le lieu du drame. J’ai aperçu mes sauveurs installés sur la branche de l’un des arbres entourant la cour de récréation. Instinctivement, je les ai fixés dans les yeux, et, silencieusement, sans me faire entendre de Philippe, je les ai remerciés pour leur intervention. En réponse, ils m’ont adressé chacun un croassement voulant vraisemblablement dire :

 

-         De rien. Ce fut un plaisir...

 

Il m’a fallu plusieurs jours pour parvenir à parler de ce qui était arrivé. Ce n’était pas que j’étais choquée, comme beaucoup le pensaient. Bien au contraire. Je voulais parvenir à montrer une vision de moi qui ne me désignerait pas comme un monstre sans cœur en indiquant que je ne regrettais pas la mort de Jacques. J’ai dû m’infliger une forme d’auto-contrôle pour ne pas sourire à l’évocation de son massacre par les corbeaux, qui se trouvaient chaque jour devant l’arbre en face de la fenêtre de ma chambre. Mes protecteurs. Une fois sûre que je pourrais évoquer les circonstances de ce que tout le monde désignait comme un drame, alors que moi je considérais ça comme un acte de justice, j’ai suivi une thérapie auprès d’un psychiatre. J’ai parlé de la menace de Jacques, m’obligeant à le suivre vers le gymnase avec ses potes, de la fellation qu’il a tenté de me forcer à effectuer, de l’attaque des corbeaux. Je précisais que je ne m’expliquais pas l’obéissance de ces derniers à mes ordres, évitant d’évoquer cette sensation perçue dès leur premier coup de bec. Je disais que je leur avais demandé d’arrêter dans un instinct de peur, sans rien attendre de concret en retour, et surprise qu’ils m’aient écoutée. Tout comme l’avaient été les nombreuses personnes sur place. 

 

Le psy m’a cru, ainsi que mes parents, qui ont tenus à assister à la séance. J’ai vu les yeux pleins de colère de ma mère quand j’ai évoqué le moment où Jacques a voulu me forcer à un acte aussi horrible pour une fille aussi jeune que moi. Mon père, lui, a failli exploser. Le psychiatre a été obligé de lui demander de sortir pour se calmer, afin qu’il continue de discuter calmement avec moi. Ma mère a fait de même. Je sentais qu’elle était aux bords des larmes et qu’elle luttait pour que je ne la voie pas dans cet état. Les jours suivants, j’ai appris que les complices de Jacques avaient avoué avoir agi sous les recommandations de Marc, mais que la demande de fellation venait de Jacques uniquement. Ils ont tous les 3 été expulsés pour 3 mois du lycée pour s’être rendus complices des actes de Jacques. Marc, lui, a fini par reconnaitre à son tour qu’il était bien l’instigateur de départ. Il a confirmé qu’il n’avait jamais demandé à Jacques de faire ce qu’il a tenté d’exécuter. Néanmoins, en tant que “cerveau” de toute l’affaire, il a été renvoyé définitivement du lycée, et obligé de suivre, lui aussi, une thérapie pour calmer ses ardeurs de “chef” au sein d’un centre de redressement. Ou du moins quelque chose dans le même style. Je n’ai pas tout compris.

 

Pour ma part, je n’ai réintégré mon établissement scolaire que 6 mois plus tard. Une fois ma thérapie terminée et jugée apte à reprendre les cours par ma psy. Entretemps, Stella s’occupait personnellement de me faire suivre les cours à domicile les premiers temps. Elle a demandé au proviseur de bénéficier d’un congé exceptionnel à cet effet. Par la suite, ma mère a fait appel à un professeur recommandé par Stella. Ma mère ne voulait pas que son amie sacrifie son travail pour moi. Elle la savait très bien capable d’être prête à démissionner, car se sentant responsable de n’avoir pas su empêcher ce qui était arrivé. Stella a fini par reprendre son poste au lycée, après que ma mère et moi, et même mon père, très marqué par tout ça lui aussi, avons fini par la convaincre qu’elle n’était en rien coupable. Avec le temps, mes protecteurs se sont montrés plus hardis durant mon éloignement forcé du lycée. Ils se postaient régulièrement sur le rebord de ma fenêtre. Prenant soin de ne pas alerter ma mère de leur présence, profitant qu’elle était affairée au jardin ou ailleurs, j’ouvrais ma fenêtre et les laissais entrer dans ma chambre.

 

Je ne comprenais pas leur langage à proprement parler, mais j’ai décodé certains sons me permettant de mettre au point une forme de décryptage de celui-ci. Sons de colère, de satisfaction, d’énervement, de joie, de tendresse… C’était une expérience très particulière, et je voyais que mes amis ailés prenaient grand soin à ce que je comprenne, à mon niveau humain j’entends, la moindre sonorité de leur part. C’est lors de cette période que je leur ai donné leur nom : Matthew et Thetys, comme je vous l’ai dit plus tôt dans mon récit. Ma mère et mon père s’étaient organisés pour que l’un ou l’autre soient présents à la maison, en accordant leurs plannings respectifs. Comme mon père, horticulteur, était auto-entrepreneur, ça ne lui était pas trop difficile de mettre en place cet agencement de son travail avec ses associés et employés. Pour ma mère, qui travaillait comme co-directrice du Centre d’Ornithologie de la ville, ce ne fut pas très complexe non plus de trouver le moyen de coordonner ses tâches avec Pamela, celle qui partageait la direction du centre avec elle. Cette dernière a engagé des suppléants exprès pour permettre à ma mère d’avoir des jours réguliers de libre dans la semaine, dans le but de s’occuper de moi.

 

Comme précédemment évoqué, les premiers temps, Stella était également présente. En tant que professeure particulière d’une part, et nounou le cas échéant, quand les plannings respectifs de mes parents ne leur permettaient pas de prendre de nouveaux jours de présence à mes côtés. Stella s’est montrée être une vraie mère- poule, très attentionnée. Encore plus que ma mère. Tellement que je n’ai pas pu lui cacher les visites de Matthew et Thetys au bout d’un moment. Enfin, ce n’était pas volontaire. Elle a surpris leur présence un jour qu’elle pensait que je faisais ma sieste journalière, sur les recommandations de ma psychiatre. Au début, n’ignorant pas les actes de mes protecteurs envers Jacques, elle n’a pas caché son appréhension, voulant même les chasser. Elle craignait terriblement qu’ils s’en prennent à moi. J’ai su la rassurer, en lui montrant qu’ils ne montreraient jamais de signes d’animosité contre moi. C’est en les voyant se positionner sur mes épaules, faisant preuve de gestes de tendresse envers moi, comme caressant mes joues à l’aide du plumage de leur tête ou m’apportant des accessoires à ma demande, comme de vrais petits serviteurs, qu’elle a compris que je ne risquais rien.

 

D’un commun accord, on a préféré taire ce secret auprès de mes parents dans l’immédiat. Plus tard, ils seraient mis au courant, et, au même titre que Stella, ils approuveraient la présence de mes petits valets. Mon père en viendrait même à leur fabriquer de petites installations spécialement prévues pour eux. Que ce soit dans ma chambre, mais aussi dans le reste de la maison. Je sentais bien qu’ils ne pouvaient s’empêcher de ressentir une part de peur quand ils voletaient autour de moi, ou se postaient sur mes épaules. Ce qui deviendrait une vraie habitude qui ne les quitteraient plus lorsque je grandirais. Ils n’oubliaient pas que mes gardes du corps ailés étaient responsables de la mort d’un jeune garçon de 15 ans de manière atroce. Je comprenais leur crainte, c’était légitime. Malgré ça, ils ont fini par accepter leur présence, rassurés par leur attitude envers moi, comme en avait été témoin Stella avant eux. Pendant longtemps, j’ai pensé que cette mesure de protection se limiterait à ces seuls corbeaux, mais c’est là où je pense que l’action des Faunes de Rignac est entrée en jeu. Même si je ne peux pas affirmer que cette légende est vraie et qu’ils ont véritablement été à l’origine de tout ce qui suivrait. Car au cours de ma vie, suivant l’importance du danger, d’autres que Matthew et Thethys se sont rangés au rang de protecteurs dévoués. Ce qui me vaudrait le titre de Reine des Corbeaux…

 

Dès mon retour au lycée, je m’apercevais du climat de méfiance autour de moi. De peur même. Je ne retrouvais pas vraiment ce que j’espérais. À savoir un lieu où je ne serais plus perçu comme un objet de moqueries de toutes sortes, mais empli du respect et de l’admiration dont j’étais gratifiée avant que Marc arrive. C’était même tout le contraire. On s’écartait à mon chemin. Les visages qui se montraient à moi affichaient une terreur à peine voilée. Les rares qui osaient faire preuve de bravoure en me souriant ou me disant bonjour étaient aussitôt réprimandés par les autres. Comme s’ils venaient de faire acte de folie en s’adressant à moi. J’étais une pestiférée pour la majorité des élèves, et même des surveillants. Seuls quelques professeurs gardaient un semblant de professionnalisme à mon encontre. Ils affichaient des visages joviaux, mais ne pouvaient masquer complètement les gouttes de sueur perlant sur les contours de ces derniers en me voyant. Ils avaient pour consigne d’agir comme auparavant “l’incident”. C’était le terme qui était employé pour éviter de rappeler l’abomination qui s’était déroulée ce jour-là, se trouvant encore dans toutes les mémoires. Que ce soient ceux et celles ayant vu le corps ; ou les autres, plus chanceux, n’ayant pas lu ou écouté ce qu’on avait dit sur l’affaire.

 

La seule à avoir occulté ces évènements était Stella, fidèle à elle-même. Fidèle à sa gentillesse et son dévouement envers sa petite princesse. Le surnom dont elle m’affublait quand je me trouvais seule avec elle. J’avais une sainte horreur de ce patronyme en temps normal. Mais là, pour le coup, je devais dire que j’appréciais ce “titre”. L’un des rares qui ne me désignait pas comme une curiosité ou un monstre. La présence continuelle de Matthew et Thetys, me suivant dans quasiment tous mes déplacements, y compris au sein de la cour de l’école, comme parés à toute éventualité me concernant vis-à-vis de nouveaux agresseurs, ne faisait qu’accentuer l’ambiance de crainte se trouvant au cœur de l’établissement. Ils se postaient sur les rebords des fenêtres des salles où je me trouvais pour mes différents cours, sur les branches de l’arbre le plus proche où je marchais, m’offrant un croassement de temps à autre auquel je répondais par un signe de la main. Ce qui avait pour effet de faire pâlir encore plus les personnes présentes autour de moi à cet instant.

 

Le fait de savoir mes deux serviteurs autour de moi me donnait ce sentiment de sécurité que j’avais perdu après ce dont s’était rendu coupable Jacques et ses amis. Ce qui lui avait coûté la vie. Je me moquais d’être toujours isolée, sans amis, car je savais que mes gardiens à plumes étaient là pour veiller sur moi à tout instant. Je gardais toujours quelques restes de mes repas à la cantine pour eux. Je les enfournais dans des sacs congélation ou des petites boites tupperwares que j’emmenais toujours avec moi dans mon cartable, je m’installais un peu à l’écart dans la cour et j’appelais mes protecteurs à venir me rejoindre. Ils arrivaient quelques secondes après, non sans m’adresser des croassements de satisfaction et de joie en voyant ce que je leur réservais comme pitance. J’aimais leur caresser le haut du crâne lors de ces moments. Ils s’arrêtaient parfois de dévorer leur repas en se frottant contre mes mains. Une manière pour eux de me remercier. Comme vous pouvez vous en douter, ce petit manège ne passait pas inaperçu, et plusieurs élèves en furent témoins.

 

Les semaines passaient. D’autres volatiles se joignaient parfois à ces petits moments de plaisir partagés. Uniquement des corvidés. Quand d’autres espèces d’oiseaux tentaient de s’incruster, ils étaient immédiatement chassés par Matthew. Le plus réfractaire à ces tentatives d’invasion. Il y avait une forme de hiérarchie flagrante qui s’installait également lors ce ces instants. Thethys choisissait qui avait droit à tel morceau, se réservant pour elle et son compagnon les meilleures parts et laissant le reste aux autres. Je réservais caresses et gestes d’affection à Matthew et Thetys. J’ai essayé une fois de toucher un autre des “invités”, mais mes deux petits serviteurs m’ont bien fait comprendre qu’ils étaient les seuls à avoir le droit de bénéficier de ce privilège. Pas à moi cependant, mais en agitant les ailes et adressant des croassements que je savais être des sons de colère aux imprudents tentant de s’attirer mes faveurs. Ce qui me faisait beaucoup rire. L’instant d’après, je me faisais pardonner ma petite trahison à leur égard, en redoublant de caresses à leur intention.

 

Mes protecteurs pouvaient se révéler être très attentifs à tout ce qu’il considérait comme une menace cependant, et cela pouvait parfois mener à quelques désagréments. Il suffisait qu’un professeur en classe frappait ma table avec une règle, pour me faire sortir d’une somnolence lors d’un exposé, et cela déclenchait une manifestation de mécontentement de la part de Matthew et Thetys, de l’autre côté d’une des fenêtres où ils étaient postés. Ce qui provoquait une ambiance de crainte manifeste dans toute la classe, professeur compris. Dans ces cas-là, je n’avais d’autre choix que de leur faire signe de la main, indiquant que tout allait bien. Ceci à l’aide d’un code que j’avais mis au point et qu’ils ont assimilé aussi aisément qu’un être humain. Ils ont alors stoppé leurs jérémiades, et ont repris une attitude passive et calme. Il y a eu d’autres fois où la surprotection de Matthew et Thethys posa problème. En particulier à l’extérieur du lycée, lorsque je me baladais dans le parc à la sortie des cours, ou en me rendant en ville pour divers achats. Soit à la demande de mes parents, soit pour mon usage personnel.

 

Je me souviens d’une fois où deux garçons plus âgés que moi ont jetés des pétards à mes pieds. Un geste, somme toute, pas très grave. J’ai eu peur sur le coup, mais je ne leur en voulais pas. Après tout, il m’était déjà arrivé de recourir à ce genre de petites plaisanteries stupides, et datant de l’époque d’avant les actions de Marc et sa clique. Des « opérations farces » pratiquées en compagnie de celles qui étaient des amies que je pensais sincères à ce moment-là. Je n’étais pas particulièrement fière de cette volonté de faire peur à des inconnus, mais ça ne restait qu’un simple jeu. Seulement, Matthew et Thetys ne voyait pas ça de la même manière. Ils ont considéré ce jet de pétard de la part de ces adolescents comme une agression pure et simple. Ils se sont rués sur les deux garçons et se sont mis à leur asséner des coups de becs sur le crâne et leur picorant la peau à divers endroits. L’un d’eux a vu une des boucles qui pendait au lobe de son oreille droite être arrachée par Thethys, faisant gicler une gerbe de sang, pendant que la victime hurlait de douleur. J’ai eu tout juste le temps d’intervenir pour éviter que mes protecteurs commettent des blessures plus graves. J’ai voulu m’excuser, mais les deux garçons se sont enfuis sans demander leur reste, en m’insultant, moi et mes “oiseaux de malheur”. Le plus âgée a même dit :

 

– Bordel ! Mon petit frère avait raison à ton sujet ! T’est une vraie tarée ! Toi, la reine des corbeaux de mes deux !

 

La Reine des Corbeaux. C’est à partir de là que j’ai eu connaissance du surnom qu’on m’attribuait et qui me poursuivrait des années durant. Jusqu’à l’âge adulte. D’autres soucis du même type ne fit que confirmer mon statut de “reine”. Il suffisait que je me bouche les oreilles à cause du klaxon d’une voiture pour voir une nuée de corbeaux s’abattre sur le véhicule fautif, terrorisant le conducteur. Ou encore plus tard en grandissant, lors d’une sortie scolaire, que je sois bousculée en descendant du bus pour occasionner l’intervention agressive de ce qui constituait quasiment une petite armée, suivant en cela les directives de Matthew et Thethys. Ces derniers agissant comme des généraux. Plusieurs fois, j’ai dû m’excuser des actes de mes “bestioles” auprès des malheureux s’étant fait réprimander sévèrement par mes protecteurs zélés. Si, avec les mois et les années, j’ai pu réussir à leur faire comprendre la part de ce qui était une vraie menace et des actions ne méritant pas leur intervention, ceci en usant du code que j’avais créé à leur intention, ce fut un long parcours ponctué de multiples plaintes venant des victimes des attaques de Matthew, Thethys ou l’un de leurs “soldats” dévoués à leur cause, et donc à la mienne.

 

Malgré tout, de manière générale, mes parents parvenaient à régler les différends à l’amiable, en payant les frais inhérents aux blessures causées par mes protecteurs. Mais j’ai très vite compris qu’ils étaient fatigués de toujours devoir intervenir pour m’éviter des ennuis. Même si, dans les faits, ce n’était pas vraiment moi qui étais en cause. Toutefois, le bouche à oreille ayant fait son œuvre à travers tout Blois, personne n’ignorait l’influence que j’exerçais sur l’ensemble des corvidés de chaque endroit où je me trouvais. Forcément, on me considérait responsable de l’action de mes “sujets”. Le nom de Reine des Corbeaux étant usité par nombre de personnes. Même par la police chargée de recueillir l’ensemble des plaintes dont je faisais l’objet de manière récurrente. Je suscitais à la fois crainte et admiration de tout ceux et celles croisant ma route. Au fil des années, j’ai quand même retrouvé un contact certain avec mes pairs, bien que la plupart fût au courant de la mort de Jacques à cause de “mes”corbeaux, et acceptait de ne pas me tenir rigueur de ce drame. En grande partie à cause de ce dont s’était rendu coupable le disciple de Marc à l’époque.

 

Sans l'intervention de Matthew et Thethys, j’aurais été irrémédiablement souillée au plus profond de moi, et je ne suis pas sûre que je me serais relevé d’une telle humiliation. Il était certain que Jacques et ses amis se seraient fait un plaisir de se vanter d’avoir bénéficié de mes faveurs, en se gardant bien de dire qu’il m’avait forcé à le faire. Ce qui m’aurait forgé une réputation monstrueuse. Mes protecteurs m’ont évité cet affront. Aujourd’hui, je regrette qu’ils soient allés aussi loin. Jacques, malgré l’ordure qu’il était, ne méritait pas de mourir. Surtout de façon aussi horrible. Mais à l’époque, je ne peux pas nier que je me suis réjouie du spectacle de sa mort à laquelle j’avais assisté, minute après minute, seconde après seconde. Jusqu’à ce qu’il ne se réduise plus qu’à un tas de chair morte. Je n’avais que 13 ans, je venais de subir un traumatisme dont peu de filles de mon âge auraient été capables de se relever, et j’étais envahi de colère et de haine. Comme d’un point de vue pénal, on ne pouvait pas officiellement m’attribuer la mort, car rien n’indiquait que j’avais orchestré l’attaque en usant d’ordres précis en ce sens, je n’avais pas eu d’inscription sur un casier judiciaire. Les témoignages des amis de Jacques ont confirmé que je n’avais rien dit aux corbeaux pouvant indiquer que j’étais l’instigatrice de l’attaque coordonnée de Matthew et Thethys.

 

Les années passant, il a été établi que j’avais été une victime dans cette histoire, et que je n’étais pas responsable des actes des vrais meurtriers de Jacques. Comme la justice ne pouvait décemment pas emprisonner des corbeaux, sous peine de devenir la risée de tous, même en considérant leur acte, toute l’histoire s’est tassée et a cessé de faire l’objet de vidéos YouTube.  Voire de reportages relatant cette sordide histoire. En revanche, ma réputation de fille pouvant commander aux corbeaux, elle, ne m’a plus lâché. Une réputation qui a eu deux effets contraires : il y avait ceux à qui je causais une terreur non-dissimulée dès lors qu’ils m’apercevaient dans la rue ; et il y avait ceux qui me vouaient une quasi-admiration à cause de mon “pouvoir” de dicter des ordres aux corbeaux. J’avais beau leur dire que je n’avais pas cette faculté qu’ils m’attribuaient, ne contrôlant pas toujours les actions de mes protecteurs ailés, ils n’en avaient cure, et me considéraient comme la nouvelle Carrie White ou bien Jennifer Corvino. La fille qui contrôle les insectes dans le film “Phénomena” de Dario Argento. L’un des rares films d’horreur que j’aie pu regarder jusqu’au bout.

 

Bien que ponctué de divers petits incidents minimes, mais relayés à chaque fois dans la presse et faisant de moi une « célébrité » à Blois, une réputation dont je me serais bien passée, j’ai grandi sans autre faits divers sanglant de grande envergure. En tout cas, pas de l’ampleur de la mort de Jacques. Bien entendu, Mathilda, tout comme ses parents et ma tante, n’ignoraient rien de tout ce qui s’était passé. Si le père et la mère de mon amie se montraient inquiet de ce que cette “protection” pouvait occasionner pour mon avenir, se joignant aux craintes de mes propres parents, tout comme Stella, en revanche, Mathilda me voyait déjà comme une sorte d’héroïne choisie par les Faunes de Rignac pour montrer aux hommes que la nature restera toujours la force la plus puissante sur Terre. Dis comme ça, j’étais pratiquement rendue au rang d'Avenger à ses yeux. Et ça ne s’est pas arrangé avec les années, à chacune des fois où je lui relatais les autres “punitions” orchestrées par mes gardes du corps à plumes.

 

Quand elle m’a rejoint à Blois dans le cadre de ses études, à ma majorité, partageant avec moi le même cursus universitaire afin de pouvoir enfin goûter à mon quotidien de manière plus récurrente, et non plus se contenter de petits séjours de ma part à l’occasion des congés de mes parents, j’ai pu constater que Matthew et Thethys semblaient l’apprécier presque autant que moi. Entendez par là qu’ils acceptaient de se laisser dorloter et caresser par elle, ce qui n’a pas manqué de me surprendre. Elle s’est également employée à trouver mon âme sœur pour que mon destin ne se limite pas à vivre comme une future nonne. Ce sont les mots exacts qui sont sortis de sa bouche. Je dois dire que mon statut de Reine des Corbeaux, s’il avait tendance à susciter l’admiration de nombre de filles me côtoyant ayant appris à m’apprécier, c’était loin d’être le cas des garçons, dont la plupart me fuyaient comme la Peste. En majorité à cause de la crainte qu’ils éprouvaient envers mes corbeaux et leurs soldats s’ils commettaient des “fautes” aux yeux de ces derniers.

 

Je ne pouvais pas leur donner tort en même temps. Une simple dispute avec mon amoureux du moment pouvait provoquer une attaque caractérisée de l’imprudent ayant “osé” élever la voix envers leur Reine… Et ce, malgré les efforts fournis depuis mes 13 ans pour éviter des déconvenues de cet ordre. Mathilda s’est imposée en tant que “coach” auto-proclamée pour que je puisse profiter des plaisirs charnels que procurait la vie terrestre. Là encore, je reprends les mots de ma chère inséparable. Elle savait que ce n’était pas la seule chose qui m’empêchait d’avoir une relation stable avec un garçon. Je lui avouais que j’avais tenté des aventures auprès de quelques “élus”, si je m’en tenais à son vocabulaire de séductrice invétéré qu’elle était devenue au fil des ans. Et sans que ça provoque de crainte de la part de celui-ci vis-à-vis de mes protecteurs, ceux-ci n’étant jamais loin de moi, où que l’on aille. Mais dès que l’on voulait aller plus loin qu’un simple flirt, je bloquais presque instinctivement dès lors que le simple fait de dégrafer son pantalon provoquait un sentiment de rejet de ma part.

 

Il y a eu des garçons plus patients que d’autres sur mon problème à ce niveau, mais ça s’est toujours fini de la même manière : ils finissaient toujours par s'en aller, lassés de n’être que des usines à bisous et caresses, et rien d’autre qui vaille la peine de continuer notre relation à leurs yeux. Et puis, le jour de mes 19 ans, après avoir été, je dois dire, un peu “poussée” par Mathilda, j’ai rencontré Alain. Cela à l’occasion d’une sortie en boite voulue par mon “coach” en amour. Cependant, ce que je pensais être LE garçon ayant déclenché mon “déblocage”, permettant ma première vraie relation valable et approfondie, allait se révéler être le point de départ d’une série d’actions de la part de mes protecteurs nettement plus violente et sanglante. Matthew et Thethys, dès ce jour-là, oublieraient les règles que j’avais eu tant de mal à établir entre eux et moi, et se révèlèraient vite incontrôlables. Ce qui ferait de ma vie un enfer gorgé de morts et de sang autour de moi. Mais le pire, ce ne serait pas les drames découlant de ces véritables exécutions, au sens propre du terme. Non, le pire ce seraient les sentiments d’extase que ça me procurerait en voyant chaque obstacle sur ma route éliminé l’un après l’autre. Une sensation qui me ferait plonger dans un maelstrom de morts diverses, effrayant Mathilda, qui aurait bien du mal à me faire redevenir l’amie chère qu’elle aimait tant…

 

Suite et fin de cette histoire très prochainement...

 

Publié par Fabs

8 juil. 2024

CROWS-Protection Ailée (Partie 1 : Sauvetage)

 


Certaines espèces animales sont enveloppés d’un voile opaque de préjugés souvent tenaces, leur collant aux poils ou aux plumes depuis des décennies. Voire des millénaires. On les range dans des tiroirs comme on classe les dossiers de son entreprise, des photos de famille, des jouets, des cartes collectors… Pour beaucoup, cette facilité permet aux esprits assommés par les idées reçues de leurs parents, leurs voisins ou le camarade d’école qui “l’a lu sur internet”, de cataloguer ces informations au sein d’un registre de compréhension qui ne fera pas surchauffer ses neurones. Celles-ci étant souvent mises à mal par un flot de données à emmagasiner tant bien que mal au sein des couloirs surbookés de son cerveau. Des préjugés qui sont tellement ancrés dans un collectif nourri par les pensées écrites par des prétendus “spécialistes”, n’ayant pour expérience que les témoignages d’autres et formant un relais culturel ne devant pas être contredit, que rares sont ceux et celles à préciser que ces “vérités” ne sont pas toujours immuables, loin s’en faut.

 

Dans une majorité de cas, ces généralités sur les comportements animaliers sont la conséquence effective de ce qui a été analysé avec minutie par des observateurs chevronnés. Ceci grâce à des études approfondis dans un milieu naturel bien précis. Entendez par là des catégories vivant dans un écosystème défini, et résultant de centaines, voire de milliers d’heures à se fondre dans l’environnement de la “cible”. Si vous cherchez à caresser un guépard ou un puma sur son territoire, il y a peu de chance que ces derniers trahissent leur instinct naturel de chasse. Ils vous feront vite savoir que vous n’êtes pas en position de force pour vous permettre ces familiarités. Bon, c’est un exemple ironique, bien sûr. C’était juste pour souligner qu’un fauve reste un fauve, et son comportement vis-à-vis d’un humain aura très souvent le même résultat.  Tragique dans la plupart des cas.

 

Malgré tout, comme pour toute chose en ce monde, il y a des exceptions. Un animal fortement blessé, ou soumis aux caprices des vapeurs toxiques d’une plante ingérée, bien que sur ses gardes face à un intrus bondé de bonnes intentions, pourra accepter de se laisser approcher. Si l’on se résout à suivre certaines précautions d’usage évidemment. Il faudra de longues heures de patience pour arriver à une relation de confiance. Mais il peut arriver que l’on parvienne à un contact physique permettant de juger du mal et tenter de le soigner sur place. Si la situation et le matériel possédé à ce moment le permet. Parfois, une anesthésie est nécessaire afin de procéder à un transport indispensable pour remettre l’animal sur pied. Très souvent, bien que désorienté une fois réveillé dans un environnement inconnu pour lui, tout en découvrant que son mal a disparu et comprenant que cela est le fait de ce qui constituait autrefois son repas occasionnel lors de disettes, la bête développera une reconnaissance envers ses bienfaiteurs. 

 

Un souvenir de son sauvetage qu’il gardera dans sa mémoire, une fois relâché et ayant retrouvé son chez soi, qu’il utilisera à bon escient. On a déjà vu des cas de lions, de tigres ou d’autres espèces habituellement méfiantes de la présence humaine, défendre un représentant de notre race lors d’une nouvelle rencontre face à l’un de ses congénères, après avoir reçu ce type de sauvetage. Parfois même adresser un regard de compassion à la cible choisie par son frère de clan, comme pour lui signifier “je m’occupe de le retenir : profites-en pour partir loin d’ici”. Dans ce genre de cas, la parole n’est pas forcément nécessaire : le pouvoir du regard se passe de mots. Bien sûr, ça ne fonctionne pas toujours de cette manière. Certaines espèces restent sur leurs positions, même après avoir reçu de l’aide, et conservent leur dangerosité pouvant mener à une mort inéluctable.

 

Néanmoins, si je vous ai fait part de ce petit préambule sur le comportement animal et les préjugés que peuvent avoir certains hommes et femmes sur les animaux, c’est parce que j’ai été témoin de ce type de reconnaissance. Cela de la part de deux représentants d’une race qu’on dit être symboles d’infortune ou de malchance à venir pour toute personne s’en approchant. Ce n’est pas nouveau : l’homme craint l’inconnu et ce qu’il ne peut pas maîtriser. Son inconscient, réagissant à des lectures faisant état de superstitions datant de plusieurs siècles, relayés par internet, des films ou des jeux vidéo, se met en position quasi-instantanée de défense lorsqu’il se trouve face à des animaux dits “porteurs de malheur”. Ce qui peut parfois mener à une réaction violente auprès de “l’animal du diable”. Une association régulièrement proclamé par certaines idéologies ancrées dans l’esprit d’un grand nombre, dont les sources proviennent d’époques révolus, aux mœurs bien différents de notre société d’aujourd’hui. 

 

Je ne vous apprendrai rien : vous connaissez forcément tous les méchancetés et gestes de méfiance portés par beaucoup envers les chats noirs, les rapaces nocturnes, les loups, les rats… Les contes de fées, en grande partie, ont été les déclencheurs de cette répulsion, suivant en cela la crainte que ces animaux procuraient. Crainte née en grande partie du fait de l’intelligence de ces bêtes, et leur permettant régulièrement de se jouer des pièges tendus à leur intention. Une capacité à réfléchir qui ne pouvait être que surnaturelle, qu’on disait parfois causée par un démon ou toute autre entité malfaisante et conspué par la Sainte Eglise. Une habitude de méfiance qui a perduré jusqu’à nos jours, et même par des communautés répudiant la parole évangélique. Preuve de la puissance apportée par ces racontars ayant traversé les siècles, née de méconnaissances de la part de castes refusant la vérité de la science et l’étude animale. Ces dernières étant considérée comme des activités diaboliques elles aussi, car non comprises par ces institutions endoctrinant les populations, grâce à des mensonges destinés à conserver leur pouvoir en place.

 

Quoiqu’il en soit, comme dit auparavant, je peux témoigner que l’une de ces fameuses espèces, considérée comme maléfique et ne pouvant donc qu’apporter le malheur, ne peut en aucun cas être jugée à grande échelle comme une créature vile, vouant son existence à provoquer la peur et attirer les ténèbres envers l’être humain. Cette espèce, c’est celle des corbeaux. Un animal emblématique associé aux sorcières. Au même titre que les chats noirs, précédemment évoqué. Souvent craint, chassé ou tué en nombre, simplement parce que ces préjugés dont ils sont l’objet font qu’ils suscitent l’angoisse et l’épouvante. Et ce, dès qu’ils s’approchent un peu trop près de personnes crédules ayant foi aux légendes racontées les concernant. Une frayeur accentuée par le statut mystique du corbeau, que l’on suppose capable d’ouvrir le portail séparant  le royaume des morts de celui des vivants.

 

Un “passeur”, pouvant accompagner un défunt épris de vengeance pour qu’il puisse revenir sur Terre. Ceci afin de s’acquitter d’une mission propre à lui offrir la paix, une fois revenu dans le monde d’en dessous. Une symbolique dont se sont emparé nombre de romanciers. Le poème d’Edgar Allan Poe, “Le Corbeau” en est le parfait exemple. Auquel on peut rajouter “The Crow”, la BD culte de James O’Barr, dont le titre n’a pas forcément la signification déduite à tort par la plupart.  Il faut d’abord savoir que le terme “Crow” ne désigne pas uniquement ce corvidé bien connu. Dans l’anglais américanisé, légèrement différent du britannique, il signifie l’appartenance à tout animal ailé dont le plumage est noir. Ce qui inclue les corbeaux, mais aussi les corneilles et certaines espèces d’étourneaux. 

 

Mais dans le cas du titre de la BD, il fait référence au verbe peu usité “Crow” :    le cri poussé par un bébé lorsqu’il vient au monde dans le langage américain.  “ The Crow” désigne donc une naissance. Ou plutôt une renaissance. Puisque le héros du comics, Eric Draven, renaît dans notre monde afin d’accomplir sa vengeance. Le corbeau qui l’accompagne n’a qu’un rôle très secondaire et agit uniquement en tant qu’observateur. Il attend que la mission de Draven soit terminée, afin de ramener ensuite celui-ci à son repos éternel, de l’autre côté. C’est aussi un protecteur, pouvant agir s’il juge que Draven est en difficulté dans le cadre de ses actions. Ceci dans le but de mener ces dernières au succès escompté. Un fait important, car si je me suis permis de faire ce petit aparté concernant cette BD connue dans le monde entier, et ayant popularisée l’interprétation intemporelle de Brandon Lee dans son adaptation cinéma devenue culte en 1994, c’est tout simplement parce que j’ai constaté de moi-même ce rôle de protection dont ont fait preuve deux corvidés à mon encontre.

 

J’avais 13 ans à l’époque. On était en 2001. Mes parents avaient loué une petite maison dans le sud de la France, pas très loin de Briançon. Mon père était originaire de la région. Il y avait passé une bonne partie de son enfance, et il avait voulu profiter des vacances d’été pour nous faire bénéficier de son envie de nostalgie. L’occasion pour lui de renouer le dialogue avec certains membres de sa famille qu’il n’avait pas revu depuis des lustres. C’est lors d’une excursion de cet ordre, dirigée vers la propriété d’une tante qui m’était inconnue, que j’ai fait la connaissance de Mathilda. La fille de la famille habitant la demeure voisine. Elle avait le même âge que moi et a vu ma présence comme une bénédiction, lui offrant un vent de neuf dans sa petite vie monotone. L’été, la plupart de ses camarades partaient dans d’autres endroits de la France, et elle se retrouvait sans personne avec qui jouer et discuter. Ses parents étaient en charge d’un musée d’art dans une ville proche, et leurs fonctions les empêchaient de partir.

 

Mathilda m’a expliqué que son père ne faisait pas assez confiance en ses collaborateurs. Alors que ces derniers pourraient aisément prendre les rênes du musée en son absence, si l’envie lui prenait de prendre des congés bien mérités. Hugo, son père, était aussi et surtout un passionné du travail, vouant un quasi-culte à l’art. Plusieurs fois, il avait eu à déplorer des gaffes de la part de ses employés. Ce qui avait conduit à des détériorations d’œuvres, certes pas très connues et véritablement importantes d’un point de vue culturel. Cependant, pour lui, c’était une raison suffisante pour ne pas risquer de découvrir d’autres déconvenues similaires au retour d’un congé. La mère de Mathilda, qui occupait le rôle de comptable et était responsable des entrées et sorties des œuvres du musée, a bien tenté plusieurs fois de le décider à partir, arguant que leur fille avait besoin de changement durant cette période où elle se retrouvait sans la proximité de ses amis. Mais Hugo n’a jamais voulu changer d’avis.

 

Vous comprenez bien qu’en me voyant, j’ai été perçue comme une délivrance à sa solitude. Ma tante connaissait très bien sa petite voisine. Celle-ci venait la voir régulièrement. Ce qui leur permettait, l’une et l’autre, de trouver une compagnie fort appréciée. Je me suis très vite entendue avec Mathilda. Nous avions des goûts et des passions très similaires. Ma nouvelle amie, avec l’accord de mes parents, a tenu à me faire visiter les environs. Ma tante semblait ravie de notre amitié naissante, connaissant l’esseulement dont souffrait Mathilda, et a convaincu mes parents que je ne risquais rien avec elle. Elle s’en portait totalement garante. Elle considérait la fillette quasiment comme un des ses petits-enfants, tellement elle venait la voir souvent. Il est même arrivé qu’elle en ait la garde pour quelques jours, lors de périodes où les parents de Mathilda devaient assurer une garde prolongée au musée, dans le cadre d’inventaire ou d’autres tâches du même ordre.

 

Ma tante, Eulalie, connaissait les parents de Mathilda de longue date. Elle était la seule en qui ceux-ci avaient une confiance absolue pour s’occuper de leur enfant. La mère de Mathilda encore plus que le père, considérant ma tante comme une mère à part entière. En somme, c’était presque une petite famille, n’ayant que leur nom les différenciant de toute autre cercle familial tel que l’on l’entend habituellement. Mathilda m’a fait voir les champs de fleurs avoisinants, ainsi que certaines bâtisses chargées d’histoire foisonnant tout autour. Puis, on s’est dirigées vers le centre de la petite ville constituant son cadre de vie récurent tout au long de l’année. J’ai vu l’école où Mathilda se rendait en dehors des vacances d’été, les commerces où elle avait l’habitude d’aller… En particulier la pâtisserie de Mme Gervaise. Une amie de ma tante. La tenante de la boutique n’ignorant rien du lien très fort liant Eulalie et mon amie, Mathilda profitait très souvent de petits cadeaux lors de ses visites, dans le cadre d’achats demandés par ses parents.

 

En voyant que sa cliente préférée n’était pas seule, Mme Gervaise nous a presque inondé de pâtisseries maison pour fêter notre amitié. J’étais un peu gênée au départ, n’ayant pas l’habitude de recevoir des cadeaux aussi importants, mais Mathilda a su trouver les mots pour me “déculpabiliser”.  J’ai appris aussi que Gervaise n’était pas le nom de cette gentille dame nous ayant offert toutes ces bonnes choses, mais son prénom. Elle n’aimait pas son nom de famille, qui lui rappelait le souvenir douloureux de la perte de son époux, décédé il y avait 10 ans de ça. D’où son désir qu’on la nomme uniquement par son prénom. Tout le monde comprenait ce besoin particulier de cette dame à l’âge respectable, et personne ne commettait l’erreur de l’appeler autrement. D’ailleurs, même le nom de sa boutique portait son prénom uniquement. Une forme de rappel aux éventuels “amnésiques”, mais surtout une manière pour elle de s’assurer que les touristes nombreux venant au sein de sa boutique, surtout en période d’été, ne viennent lui rappeler à sa mémoire la disparition de son cher Albert.

 

Une fois fait connaissance avec Gervaise et sorties de sa boutique, nous nous sommes dirigées vers la grande place de la cité. Là où siégeait fièrement une immense fontaine sertie de statues de faunes à ses 4 extrémités. Mathilda m’a expliqué que ces créatures étaient en quelque sorte les gardiens de la cité, suivant une vieille légende. Dans des temps très anciens, ces faunes avaient aidé la ville d’une attaque de brigands. La cause en étant le sauvetage d’un jeune marcassin dans les bois jouxtant la cité par l’un des habitants. Un geste qui avait été fort apprécié par ces protecteurs de la forêt. Ils ont voulu honorer le geste du jeune homme, auteur du sauvetage, en l’aidant à leur tour. On dit que les faunes ont levé une armée d’animaux pour faire fuir avec effroi les bandits. Ceux-ci ne sont jamais revenus. En mémoire de cet acte, la ville a attribué plusieurs noms d’animaux à des lieux divers, fait ériger des sculptures sur les charpentes de maisons ou les devantures de magasin. Tout cela en plus des grandes statues autour de la fontaine.

 

Bien sûr, ce n’était, à priori, qu’une vieille histoire comme il y en avait tant d’autres ailleurs. Malgré ça, moi qui aimais profondément tout ce qui touchait les animaux, j’ai particulièrement aimé cette légende. Je n’imaginais pas à ce moment à quel point ce qui semblait être une histoire touchante et pleine de charme possédait en elle un fond de vérité. Je vous rassure : je n’ai pas rencontré les faunes de la légende. Mais aujourd’hui, en y repensant, je me dis qu’ils ont peut-être été à l’origine de ce qui s’est déroulé par la suite lors de cette journée, me faisant devenir la détentrice de serviteurs dévoués corps et âmes à ma protection. Le comportement de ces petits êtres qui allaient me suivre partout où que j’aille dans les années à venir, usant d’actes tels pour me défendre que je n’aie jamais eu à souffrir de malveillance de qui que ce soit, je reste persuadé que c’est le présent dont m’ont fait don ces faunes en récompense de mon geste de bravoure envers ceux qui deviendrait mes gardes du corps personnels. Bien que responsables de mesures de protection aussi sauvages que violentes, et même sanglantes dans bien des cas. Ce qui me vaudrait une réputation quelque peu spéciale au sein de ma ville natale de Blois.

 

Il devait être environ 4 heures de l’après-midi. Mathilda et moi venions de finir de nous goinfrer des gâteaux offerts par Mme Gervaise, quand nous avons assisté à une scène que je qualifierais de détestable. Presque un crime pour moi qui suis une fervente partisane du respect envers les animaux. A une centaine de mètres de la fontaine se trouvait un grand chêne. Je n’ai pas tout de suite réagi au départ, ne sachant pas l’objectif visé par le jeune garçon se trouvant devant l’arbre. Il tenait dans sa main un lance-pierres et montrait un acharnement visible sur une cible que je ne parvenais pas à définir de là où j’étais. La distance était trop grande. Cependant, mes sens ont été alertées par des croassements persistants, semblant venir de toute évidence du même lieu où était posté l’agresseur. Appelez-ça un instinct ou je ne sais quoi, mais j’ai très vite suspecté que les cibles de ce qui apparaîtrait comme l’enfant d’un couple de touristes étrangers étaient des oiseaux. De toute évidence des corvidés. Je me suis ruée sans presque réfléchir vers le lieu du crime, surprenant Mathilda qui hurlait dans mon dos pourquoi je partais comme ça.

 

Une fois sur les lieux, ce que je soupçonnais se montrait à moi. Le jeune garçon, qui devait être un peu plus jeune que moi, s’en prenait à un couple de corbeaux. L’un montrait manifestement les signes d’une aile cassée, si j’en jugeais à son incapacité à s’enfuir par les airs. Son compagnon croassait sans discontinuer, s’adressant visiblement à l’agresseur de ce qui se révèlerait être sa femelle, lui-même semblant être blessé à une patte. Le sang sur le sol ne me permettait pas de douter là-dessus. D’autres personnes présentes ont réagi par la suite, alors que je m’étais interposé entre le couple de corbeaux et l’agresseur, sommant d’arrêter à ce dernier. Celui-ci, pour toute réponse, bien que je ne comprisse pas ce qu’il disait, montrait des gestes d’énervement. Comme pour me signifier de me retirer de là où j’étais. Je pense qu’il était allemand ou autrichien, au vu de l’accent et la sonorité de la langue, mais je n’en suis pas sûre.

 

Devant mon refus de bouger, alors que je recommençais à lui demander d’arrêter, le garçon m’a tiré une pierre dans le genou. J’ai hurlé de douleur, mais j’ai tenue bon et n’ai pas bougé, prenant soin à ce que les corbeaux restent à l’abri des tirs, derrière moi. Après ça, j’ai vu un homme s’emparer de l’arme du garçon, tout en montrant une grande colère dans ses yeux sur son acte inqualifiable. Le gamin s’est mis à hurler et pleurer, semblant demander qu’on lui rende son lance-pierres et devenant très agressif. Il donnait des coups de pied à l’homme, avant qu’il soit maîtrisé par d’autres personnes témoins de la scène. Juste après, sans doute alerté par les cris de leur fils, un couple est sorti d’une boutique proche. Ce dernier montrait des expressions de colère en voyant leur enfant pris à partie par un nombre conséquent d’hommes et de femmes, indiquant à leur tour leur mécontentement sur les actes du jeune délinquant juvénile.

 

L’une des femmes ayant assistée à la scène, parlant apparemment le même langage que le couple et le garçon, s’est adressée aux parents et leur expliqua la situation. J’ai vu le père froncer les sourcils en regardant son fils, le prenant par le bras l’instant d’après, et s’adressant à lui de manière très vive. Je n’ai pas compris ses mots, mais il était évident qu’il était très en colère. De manière calme, il a demandé à récupérer la fronde de son fils, qu’il s’est empressé de briser sous les yeux de son fils. Celui-ci a redoublé de pleurs. La mère, resté en retrait, n’a pas bougé d’un poil, montrant clairement son approbation concernant le geste de son époux. Je l’ai vue discuter avec l’autre femme parlant sa langue, semblant se confondre en excuses, baissant la tête. Puis Mathilda est finalement arrivée sur place et s’est précipitée vers moi. Elle a montré un air affolé en voyant ma blessure au genou, causée par la pierre projetée par le garçon quelques instants plus tôt.

 

Au même moment, le père du garçon s’est approché de nous, et, usant d’un français approximatif, s’est excusé pour les actes de son fils. Il a insisté pour payer les soins me concernant, mais aussi pour les corbeaux que j’avais sans doute sauvé d’une mort certaine si je n’étais pas intervenu. Si le garçon avait visé la tête de l’un et l’autre, nul doute que cela aurait causé quelque chose de plus grave encore que les plaies qu’ils montraient. Le père a discuté avec l’homme qui avait confisqué le lance-pierre et arrêté le geste du garçon. J’ai cru comprendre qu’il était vétérinaire et s’est engagé à soigner les corbeaux sans que le père, montrant un air désolé de la situation, n’ai à débourser quoi que ce soit. Puis, le même homme s’est dirigé vers moi, me demandant comment allait mon genou, l’a examiné, et m’a rassurée en me disant qu’il n’y avait rien de grave. Juste une écorchure. Un peu de mercurochrome, un désinfectant, un pansement et ça disparaîtrait très vite.

 

Par mesure de sécurité, il sollicita de ma part de me lever afin de vérifier si je n’éprouvais pas de gêne à marcher. Je suivis ses conseils, fis quelque pas dans un but de vérification, mais passé le choc du projectile reçu, je ne ressentais plus de douleur. L’homme a souri, montrant un air satisfait. Il m’a demandé, ainsi qu’à Mathilda, toujours inquiète malgré tout de mon état, de veiller à ce que personne d’autre ne s’approche des corbeaux, le temps qu’il se rende à son cabinet proche pour récupérer ce qu’il fallait pour les transporter. Je hochais la tête en réponse, encore un peu secouée de tout ça. Quelques minutes après, alors que la foule de badauds commençait à s’éclipser et que le couple avec leur fils était parti, non sans que le fautif de ces troubles continuât à se faire enguirlander sévèrement, le vétérinaire est revenu. Il avait une cage à la main. Il s’est employé à prendre délicatement les corbeaux avant de les glisser à l’intérieur. Ils semblaient plus sereins, montrant un calme envers l’homme qui m’a vraiment surprise. Comme s’ils indiquaient avoir une totale confiance en lui.

 

Pendant qu’il emmenait les oiseaux avec lui, il tendait une carte de visite à Mathilda. Il précisait de ne pas hésiter à l’appeler dès le lendemain pour prendre des nouvelles de mes protégés, affichant un grand sourire, et me félicitant de mon geste très courageux. Sur la carte il était indiqué Docteur Norman. Mathilda et moi on est reparties en direction de la maison de ma tante, où on a tout expliqué sur ce qui s’était passé. Ma mère a presque blanchie du visage en voyant ma petite blessure. A ses yeux, c’était comme si on m’avait coupé un bras. Mon père a dû la rassurer, pendant que ma tante s’est employée à me soigner, aidé de Mathilda. Celle-ci a insisté pour servir d’assistante-infirmière, selon ses propres mots. Sur les conseils d’Eulalie, je suis restée quelques jours sur place, le temps de vérifier qu’il n’y avait pas de séquelles à ce que j’avais subi. Je n’ai pas tout compris, mais je pense qu’elle parlait plus de conséquences psychologiques que de la blessure en elle-même. Cette dernière étant somme toute bénigne.

 

Mes parents ont accepté. Avec le sourire, ma tante a précisé que ce serait l’occasion pour eux deux de faire de petites sorties en amoureux, sans la présence de leur petite aventurière, en me désignant discrètement du coin de l’œil. Ce qui a fait sourire mon père de manière flagrante. J’ai presque compris que ma mésaventure l’arrangeait presque. J’ai préférée ne pas savoir ce qu’il avait en tête à ce moment-là, alors qu’il regardait le visage de ma mère d’un air malicieux. Ce à quoi celle-ci répondit à voix basse, non sans rougir quelque peu, parvenant à peine à cacher sa gêne sur les sous-entendus de mon père. Je suis resté 4 jours chez ma tante. Ce qui ravit Mathilda, trop heureuse de profiter de ma présence un peu plus longtemps que prévu. Ma blessure est vite devenue un simple souvenir. Je ne me rendais même pas compte de sa présence les jours d’après, alors que je suivais mon amie dans d’autres escapades moins risquées. J’ai demandé à ma tante d’appeler le vétérinaire pour prendre des nouvelles des corbeaux que j’avais sauvés. Elle prit soin de s’assurer du bon rétablissement de ceux-ci chaque jour en téléphonant au Dr. Norman. Le vétérinaire précisa qu’il faudrait quelques semaines avant de pouvoir relâcher les blessés dans la nature.

 

La patte du mâle a vite été guéri, mais pour l’aile cassée de la femelle, ce qui confirmait l’impression que j’avais eu le jour de l’agression, ça prendrait un peu plus de temps. Le Dr. Norman avait bien tenté de laisser partir le mâle, vu qu’il allait mieux, le temps que sa femelle soit complètement guérie de sa blessure. Mais ce dernier a refusé de sortir de la cage et laisser sa compagne seule. Ce que je trouvais très attendrissant, car montrant une attitude presque humaine. Quand je suis partie de chez ma tante, afin de revenir auprès de mes parents, j’ai promis à Mathilda de revenir la voir souvent. Il nous restait deux semaines à profiter des congés de mon père, et mes parents se sont arrangés avec ma tante pour que je reste deux ou trois jours chez elle à d’autres occasions. Je profitais largement de ce temps pour renforcer mon amitié avec Mathilda au fil de ces journées. J’ai même rencontré ses parents au cours d’un dîner organisé par ma tante. Ils avaient appris mon “geste héroïque” envers les petits corbeaux, et m’ont félicité à mon tour. Je ressentais un peu de gêne à toutes ces paroles dithyrambiques. A mes yeux, je n’avais pas fait grand-chose. Sinon obéir à mon instinct de protection envers des petits êtres faibles et sans défense, s’étant retrouvés face à un agresseur n’ayant montré aucun remords à s’en être pris à eux. En mon for intérieur, j’espérais que le garçon avait été bien puni par ses parents après ça…

 

Finalement, la fin de l’été arriva, et je me suis retenue de pleurer pour dire au revoir à Mathilda. Je sentais que c’était identique de son côté. Ses parents ont fourni leur numéro aux miens, à l’issue d’un barbecue où nous avions tous été conviés pour fêter l’expansion de cette petite famille. De cette manière, je pourrais appeler pour converser avec Mathilda quand je voudrais. Et… comment dire… Je crois que la note de téléphone de part et d’autre a été très élevée, vu le nombre de fois où on s’appelait toutes les deux par la suite. Le jour du départ, ma tante m’a précisé que le couple de corbeaux avait été relâché par le vétérinaire. L’aile de la femelle s’était remise plus rapidement que prévu, à son grand étonnement. Il a même ironisé sur le fait que ces corbeaux devaient venir d’un autre monde pour guérir aussi rapidement en ayant de telles blessures. J’étais contente qu’ils aillent mieux, et mon histoire aurait pu en rester là. Mais ce ne fut que le commencement. Car, sur le chemin du retour, j’ai cru apercevoir la présence des mêmes corbeaux à plusieurs reprises.

 

Tantôt perchés sur les branches d’un arbre, sur le toit d’une maison, ou l’auvent d’une caravane située sur l’aire de repos où nous avions fait halte, le temps d’une petite heure. Je me disais que je me faisais des idées. A l’heure qu’il était, il devait avoir repris leurs occupations d’oiseaux, sans doute dans la forêt proche de Rignac. La petite ville où toute cette histoire s’était déroulée et m’avait permis de nouer une relation durable d’amitié avec celle qui deviendrait une sorte d’âme sœur. Elle me rejoindrait à Blois des années plus tard, une fois atteinte sa majorité, suivant des cours dans la même université que moi. Le jour de nos retrouvailles a été un grand moment. On a fait une de ces fêtes. L’une de celles dont on se souvient toute sa vie. Mais pour revenir à ce qui s’est passé lors de ce voyage de retour, j’ai été très troublée de la présence continuelle de plusieurs corbeaux à divers endroits. Et ce, pendant tout le trajet. Même arrivée à Blois où j’allais reprendre mon train-train quotidien, j’ai eu la sensation de les revoir.

 

Je sais que ça peut paraître stupide, mais j’avais vraiment de plus en plus l’impression qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence, que ce n’étaient pas plusieurs corbeaux différents. Leur attitude, leur regard fixé vers tous les endroits où je me trouvais, la couleur de leurs becs… Oui, un truc que j’ai oubliée de préciser : les deux oiseaux avaient une particularité. Leur bec possédait une petite tache blanche. Sur le côté de la narine droite pour le mâle, sous la narine gauche pour la femelle. C’était quelque chose qui m’avait paru étonnant. C’était la première fois que je voyais des corbeaux possédant cette particularité. Quand ils étaient positionnés de loin, je ne pouvais évidemment pas percevoir s’ils avaient ces caractéristiques. En revanche, lors de l’arrêt à l’aire de repos, j’ai bien cru voir les mêmes taches sur leur becs respectifs. Quand j’ai voulu m’approcher, afin de vérifier s’il s’agissait bien d’eux, ma mère m’a appelée au même moment. J’ai alors tourné la tête pour lui répondre. Quand j’ai levé les yeux à nouveau vers l’endroit où ils étaient postés l’instant d’avant, il n’y avait plus rien. J’ai d’ailleurs cru que je n’avais fait que rêver leur présence.

 

Mais à Blois, j’ai vu des corbeaux identiques, taches comprises, se montrer parfois sur un arbre vu de ma chambre, le toit d’une voiture en partant à l’école, ou près du grillage entourant le stade de football lors de mes promenades. Vous allez me dire : c’est peut-être juste mon cerveau qui a voulu me persuader qu’il s’agissait des mêmes corbeaux, et qu’en fait ceux que j’ai aperçus à de nombreux endroits étaient vraisemblablement des volatiles tout à fait communs. Sans taches distinctives pouvant me faire croire que ce couple avait parcouru autant de kilomètres pour me suivre. Et d’ailleurs, dans quel but ? C’était idiot. Dans aucun livre traitant des habitudes des corvidés, dans aucun documentaire, je n’avais eu connaissance d’un comportement pouvant faire supposer une telle attitude. Peut-être voulaient-ils me remercier pour les avoir sauvés me direz-vous ? C’est ce que j’ai pensé aussi, avant de me persuader que ça n’avait aucun sens. Ce n’étaient pas des chiens ou des chats cherchant à rejoindre leur maître. A leurs yeux, après tout, je n’étais qu’une simple humaine. Certes j’avais, d’un certain point de vue, été leur héroïne si l’on peut dire, le temps d’un après-midi. Mais je doutais que de simples corbeaux puissent développer une reconnaissance aussi développée. Même s’agissant d’une espèce à l’intellect puissant.

 

Au bout d’un moment, j’ai cessé de m’interroger. La présence à Blois de corbeaux montrant des particularités proches de ceux que j’avais sauvés à Rignac ne pouvait être que le fruit de mon imagination. Quelque chose en moi, empreint d’une logique nourrie aux dizaines de livres lus sur les oiseaux et leurs comportements vis-à-vis de l’homme, voulait m’en persuader. Pendant qu’une autre partie de mon cerveau gardait des doutes sur l’éventualité d’un tel comportement de la part de corbeaux. J’ai vécu plusieurs mois sans ne plus songer à ça, continuant de vivre mon quotidien, tout juste interrompu par mes longues conversations avec Mathilda au téléphone. A force d’insistance, j’ai fini par faire accepter à mes parents la nécessité pour moi d’avoir un portable. Soulignant que ça leur coûterait moins cher que la ligne fixe, et qu’ils n’auraient plus à entendre nos “secrets de fille” comme ils disaient. De leur côté, les parents de Mathilda ont fait de même, cédant eux aussi aux demandes incessantes de leur fille, qui avait recours à des “opérations boudage” à chaque refus. On était très fières toutes les deux d’avoir fait craquer nos “vieux”, et on pouvait avoir libre cours pour parler de tout et n’importe quoi. Ceci sans risquer de choquer nos parents sur nos discussions enflammées, portant principalement sur les mecs les plus mignons de nos écoles respectives.

 

Il n’y avait pas une journée sans que moi ou elle ne nous appelions. Toutefois, pour préserver une certaine intimité auprès de nos proches, on s’était malgré tout imposées des barrières. On ne s’appelait qu’en fin de journée, juste après les cours, et jamais le week-end. Ça nous permettait, l’une et l’autre, de profiter pleinement de sorties avec nos amis ou nos parents. Au bout de deux mois, j’ai compris que mes impressions de départ concernant le voyage effectué par les corbeaux de Rignac, dans un but que j’ignorais encore à ce moment, n’étaient pas usurpées. C’est là que j’ai compris le rôle qu’ils s’étaient adjugé me concernant, en retour de mon geste salvateur. J’ai repensé à la légende des Faunes protecteurs de la cité, racontée par Mathilda. J’ai été témoin de ce que mes défenseurs ailés ont exécuté, sous mes yeux. J’ai bien reconnu leurs taches sur leurs becs. C’étaient bien les mêmes :  je ne pouvais pas me tromper. De la même façon que je les avais sauvés, ils ont alors agi en tant que protecteur pour moi ce jour-là. Mais il ne se sont pas arrêtés à ce simple coup d’éclat qui a fait la une des journaux. Ce qui m’a attribué une réputation de reine des corbeaux par la suite. A cause des nombreux actes de leur part, toujours dans un souci de me protéger de ce qu’ils considéraient comme des menaces selon leur point de vue. Ma vie ne fut plus jamais la même dès la première intervention de Matthew et Thethys, le nom que je leur ai attribué. Je les ai nommés ainsi en référence à mon comics préféré : “Sandman”. L’œuvre de Neil Gaiman où figurent deux corbeaux portant ces appellations...

 

A suivre…

 

Publié par Fabs