16 juil. 2024

CROWS-Protection Ailée (Partie 2 : La Reine des Corbeaux)


 

La première intervention de mes protecteurs ailés s’est déroulé quelques jours après la rentrée, dans la cour du lycée où j’étudiais. Un évènement qui allait choquer nombre d’élèves mais aussi des professeurs, et forger le futur surnom qui me collerait à la peau tout le reste de ma vie. On était le 14 septembre. Je sortais du cours de sciences naturelles où, comme elle avait l’habitude de le faire depuis l’année scolaire précédente, Mme Trévise m’avait demandé de la “seconder” pour un cours portant sur les différentes espèces d’oiseaux peuplant les abords des villes, et agrémentant parfois le quotidien des habitants de Blois. Que ce soit dans les parcs publics ou même dans plusieurs endroits boisés de la ville. Elle savait que je possédais en moi de solides connaissances sur le sujet. En grande partie grâce à ma mère, ornithologue de métier et auteure reconnue d’un livre sur la population des Aves. Le nom scientifique des oiseaux. Ce qui faisait de moi une sorte d’experte très pointue dans le domaine, et Mme Trévise, qui voyait en moi celle qui serait la digne successeuse de mon illustre génitrice, aimait me mettre en avant en cours. Elle disait que ça m’habituerait au public des futures conférences que je donnerais plus tard.

 

Elle croyait énormément en moi, et je ne dis pas ça parce qu’elle était aussi une fan assidue des travaux de ma mère, en plus d’être une de ses meilleures amies. Elle ne tarissait pas d’éloge sur mes aptitudes lorsqu’elle était invitée à dîner à la maison, à la demande de ma mère. Des moments privilégiés où je devenais la “star” de la soirée, sous le regard admiratif de mes parents, lorsque Stella, le prénom de ma professeure préférée, se prêtait à des petits “quizz” sur mes connaissances ornithologiques. C’était quelqu’un que j’aimais énormément. En dehors du lycée, Stella devenait très différente, surtout en présence de ma mère. Quand elles étaient toutes les deux ensemble, on avait l’impression de voir deux collégiennes. Elles se remémoraient leurs années d’enfance passées au même établissement et leurs 400 coups. De nombreuses farces et aventures qui avaient provoqués le désespoir de leurs parents respectifs, les faisant s’interroger sur leur capacité à faire autre chose que s’amuser dans leur avenir.

 

C’est la rencontre avec mon père qui a transformé la petite adolescente qu’elle était en une adulte amoureuse et désireuse de tout faire pour s’assurer de garder auprès d’elle celui qu’elle voyait déjà comme son âme sœur. Stella a été d’une grande aide dans cette “conquête”, parvenant à faire briser plusieurs barrières qui lui empêchaient de devenir une “pro” de la séduction. Quand on voit ma mère aujourd’hui, on a du mal à s’imaginer qu’elle était très timide en matière d’approche sentimentale. Elle qui est devenue un modèle, y compris pour moi, en termes de maitrise de soi, d’assurance et de professionnalisme. Et pourtant… Lors de ces mêmes soirées, Stella rapportait régulièrement que sans son aide, ma mère n’aurait jamais franchi le cap du simple bonjour au garçon qui envahissait ses pensées, dès lors qu’elle avait aperçu celui-ci dans la cour du collège où les deux étudiaient. Mon père se taisait lors de ces discussions et souriait en silence. On voyait qu’il ne se voyait pas interrompre la joie des retrouvailles que manifestaient les deux éternelles amies lorsqu’elles évoquaient leurs années de jeunes filles quelque peu insouciantes et pleines de vie.

 

Il n’oubliait pas que Stella restait le moteur de ma mère. Celle qui l’avait poussé à décider de plusieurs de ses choix dans de nombreuses étapes de sa vie, là où mon père échouait à lui apporter des conseils éclairés. Papa m’a précisé que ça avait toujours été comme ça entre elles deux : chaque fois que maman avait une décision à prendre, elle fonçait demander à Stella pour l’aider à la motiver et la diriger à faire le bon choix. Les deux étaient de vrais inséparables, et je pense que j’ai hérité de leur instinct d’amitié indéfectible. Ma rencontre avec Mathilda, qui allait devenir ma meilleure amie dans les années à venir, en était la meilleure preuve. Elle qui serait à même de m’aider à surmonter les épreuves qui jalonnerait mon parcours professionnel après mes années d’études, et saurait me conseiller efficacement comme l’avait fait Stella pour ma mère. Y compris, et surtout, lorsque Matthew et Thetys userait avec excès de leur qualité de protecteurs rapprochés. Et ce, de manière parfois violente et sanglante.

 

Pour en revenir à cette journée du 14 septembre, je dois préciser qu’un nouvel élève avait rejoint mon cercle de camarades cette année-là. La plupart d’entre eux étaient ceux de l’année dernière, ayant, tout comme moi, réussis brillamment leur montée de classe. Celui-là, Marc, s’était vite affirmé comme le caïd du lycée. Il avait cette faculté d’attirer par son charisme et son impétuosité les autres garçons, voyant en lui une sorte de leader né. Je ne saurais pas trop expliquer comment il parvenait à faire naître cette alchimie entre lui et eux. Sans parler de l’attraction qu’il exerçait envers plusieurs filles du lycée. Je dois avouer qu’à son arrivée, comme beaucoup d’autres, je n’étais pas insensible à son charme, à ma grande honte. Tout a changé dès lors qu’il m’a pris en grippe et a fait de moi la cible de ses attaques. Simplement parce qu’il semblait avoir en lui une sorte de complexe d’infériorité en termes de popularité. On voyait qu’il aimait ressentir être le centre d’attraction de tous, et a très vite créé son “fan-club”. Dont plusieurs de mes camarades qui, autrefois, étaient des amies sincères.

 

Mark a brisé ces amitiés, parce qu’il ne supportait pas, et ce de manière manifeste, le fait que j’étais vue comme une sorte de “célébrité” locale, du fait du prestige de ma mère. Il considérait que, contrairement à lui qui avait trimé dur pour obtenir son “statut”, moi je n’avais fait que bénéficier de l’aura de ma mère, sans avoir fait le moindre effort pour acquérir cette position. Ce jour-là, il a joué les indifférents à l’attention qui était porté sur moi lors de l’assistance dont je faisais bénéficier Mme Trevise. Il se permettait d’agir comme si le cours ne l’intéressait pas, car j’avais été mise sur le devant de la scène, tel un « chouchou ». Il émettait des sortes de gémissements plaintifs, montrant son ennui de façon impolie et irrespectueuse, ou se prêtant à des discussions peu discrètes avec son voisin de table. Ce qui a obligé Mme Trevise à sévir plusieurs fois pour lui demander d’être plus attentif.

 

Devant son attitude nonchalante, et après avoir clairement évoqué qu’il n’avait pas à obéir à quelqu’un qui prenait son pied à lécher les bottes d’une fausse célébrité, ce qui me désignait ouvertement, Mme Trévise a perdu son calme et l’a renvoyé de cours. Elle a demandé à Judith, la déléguée de classe, de l’accompagner au bureau du proviseur, et d’expliquer la raison de son renvoi. Il a reçu un avertissement pour ça, ce qui n’a fait que développer encore plus sa haine envers moi. Il n’y a pas que lors du cours de sciences naturelles qu’il se permettait d’opérer à des moqueries me visant directement, et Marc s’est vu infliger de nombreuses remontrances sur ces attaques qui n’avaient pas leur place en cours. Pour éviter des sanctions plus sévères qui auraient pu lui occasionner un renvoi temporaire de l’établissement, il a alors usé de tactiques plus silencieuses en classe, se servant de ses “adeptes” pour que ces derniers se livrent à des actes de vandalisme discrets sur mes affaires. Comme des jets d’encre sur le dos de mon pull, ou l’usage de ciseaux pour découper des pans de ma robe.

 

Ses actions se répercutaient aussi lors des séances d’EPS, toujours par l’intermédiaire de ses complices. Une manière pour lui de ne pas subir les foudres des professeurs s’il s’avérait être responsable des incidents et humiliations dont j’étais victime. Ça se caractérisait sous forme de chutes provoquées par des poussées dans le dos, ou la descente à mes chevilles de mon short de sport, exposant mes dessous à la vue de tout le monde. Ce qui faisait rire l’ensemble de la classe, même ceux et celles que je considérais auparavant comme des ami(e)s sincères. Marc, en quelques semaines seulement, était parvenu à me mettre à dos la plupart des étudiants du lycée, à coup de médisances sur mon statut de préférée des profs, tel qu’il me désignait. Il disait que je n’étais qu’une pistonnée que personne n’osait contredire, simplement parce que ma mère était célèbre, et qu’il allait changer les choses. Vous l’aurez compris, ça ne se limitait pas à ma seule classe. Je subissais régulièrement les regards moqueurs des autres élèves. Ceux-ci se livrant à des gestes déplacés en ma présence, à coup de gestes obscènes de la main.

 

Sur les conseils de Stella, qui s’est portée garante envers moi, assurant que je n’étais pas quelqu’un qui avait l’habitude de se plaindre ou de mentir, j’ai parlé au proviseur de l’établissement concernant les attitudes de mes camarades, agissant sur les “ordres” plus ou moins directs de Marc. J’étais certaine de ça : avant son arrivée au lycée, je n’avais jamais été victime de telles campagnes de dénigrement. Mr. Perez, le proviseur, m’a assuré qu’il ferait du mieux qu’il pouvait pour que je n’aie plus à subir d’autres désagréments. Une affirmation qu’il indiquait comporter un bémol. Tant que Marc n’était pas surpris en flagrant délit d’être le maître d’œuvre de mes malheurs, en étant vu en train de discuter à un élève se prêtant l’instant d’après à des attaques me visant, discrètes ou plus “visuelles”, il ne pourrait pas faire grand chose. Marc était suffisamment malin pour ne pas commettre l’erreur d’être vu en train d’agir lui-même au sein du lycée. Ce qui voulait dire qu’il y avait peu d’espoir que je ne sois plus l’objet de ses manigances.

 

Ma mère et Stella, appuyées par d’autres professeurs ayant eu vent de ce climat de terreur me visant, sans pour autant avoir été les témoins directs de ce que je subissais, ont tenté de discuter avec Marc. Mais celui-ci feignait ne pas savoir de quoi ils parlaient, indiquant qu’il n’était en rien l’instigateur des attaques dont j’étais la cible. Il usait à chaque fois de ses talents d’acteur né pour déplorer mes sévices au sein du lycée, assurant ses interlocuteurs de la sincérité de sa compassion, mais affirmait être étranger à toute action me visant. Sans doute “briefés”au préalable, ceux et celles que je désignais comme complices eurent le même discours. Je ne voyais pas d’issue. Jusqu’au jour où l’un des “disciples” de Marc a fait une grosse erreur en voulant aller trop loin. J’étais de plus en plus isolée, mon cercle d’amis se réduisant de plus en plus. Les rares éprouvant encore de la sympathie pour moi préférait ne pas me côtoyer de trop près, de crainte de subir à leur tour les attaques silencieuses du cercle de Marc, se montrant comme un véritable « parrain » comme je pensais qu’il n’en existait que dans les films.

 

Un après-midi, alors que je m’étais mise à part près du grillage, à l’écart de tout le monde, un groupe de 4 garçons est venu vers moi. Les sourires qui s’affichaient sur leurs visages ne présageaient rien de bon, et je m’apprêtais à me lever pour trouver la sécurité de la proximité d’un surveillant. Mais je n’en ai pas eu le temps. Celui qui semblait être le chef de fil du groupe me prit par le bras, en me demandant de le suivre lui et ses amis, sans crier ou faire de gestes susceptibles d’attirer l’attention. Pour asseoir sa domination, il montrait un petit canif qu’il sortait de sa poche de blouson, avant de le remettre à sa place. Juste pour me faire comprendre qu’il ne plaisantait pas. Ils m’ont obligée à les suivre discrètement jusqu’aux abords du gymnase, à l’arrière du lycée, s’employant à m’entourer de chaque côté, pour s’assurer que je n’userais pas de gestes pouvant signifier à une potentielle aide extérieur la menace qui pesait sur moi.

 

Une fois emmenée là où ils voulaient que je sois, l’un d’eux a commencé à descendre sa braguette, pendant que les 3 autres me forçaient à me mettre à genoux. Je résistais tant bien que vaille, alors que Jacques, le chef de ce petit groupe, avait fait tomber complètement son pantalon, puis son caleçon. Il exposait son sexe devant mon visage, le masturbant lentement pour le raidir de manière significative. Il me disait que Marc lui avait demandé de me faire comprendre d’arrêter de me plaindre auprès du proviseur et des professeurs, et que pour ça, il avait carte blanche. Il s’était dit que le mieux était de joindre l’utile à l’agréable pour que je comprenne mieux, et me demandait de lui faire une fellation sous les rires des autres. Je me débattais encore plus, criais. Jacques me giflait alors, me disant de me taire et de lui faire la gâterie qu’il demandait sans faire d’histoires. J’étais en larmes. Je cherchais des yeux quelqu’un dans les environs pour me venir en aide ou quelque chose qui me servirait d’arme pour me défendre. Mais les complices de Jacques me tenaient trop fermement pour que je puisse envisager m’emparer de quoi que ce soit dans les alentours. Les lieux étaient trop éloignés des surveillants postés dans la cour, on était à l’heure de la récréation. J’étais presque résignée à pratiquer ce qu’on me demandait, bien que l’idée me révulsât, quand je fus sauvée d’une manière que je n’aurais jamais imaginé.

 

Les deux corbeaux que j’avais remarqué maintes fois sur les grillages du lycée, ou à de nombreux endroits sur les chemins que j’empruntais pour revenir chez moi, sortirent de nulle part et se mirent à attaquer mes assaillants. Les garçons qui me retenaient les bras n’eurent d’autre choix que de me lâcher pour éviter les coups de becs et de serres des oiseaux qui semblaient déchaînés. Ils frappaient avec force les bras, jambes et têtes des mes agresseurs, sans que ceux-ci ne parviennent à s’opposer à eux. Jacques se prostrait à terre en position fœtale. Je voyais un long filet de sang coulant de son entrejambe, qui avait dû être le centre d’attaques d’un des corbeaux. Il se retrouva bientôt seul à terre. Ses complices n’ayant pas assez de courage pour l’épauler, et préférant fuir à toutes jambes en direction de la cour du lycée. Jacques fut alors la cible d’un redoublement d’attaques des deux volatiles qui venaient de me sauver d’un sort peu enviable.

 

Cette fois, je les voyais de près. Je reconnaissais parfaitement les taches sur les becs qui lacéraient les chairs de Jacques avec violence. C’étaient bien les mêmes corbeaux que j’avais sauvé des coups du garçon à la fronde à Rignac. J’étais sûre de ne pas me tromper. Jacques criait à tout rompre, me demandant de faire arrêter mes oiseaux, qu’il s’excusait pour avoir tenté d’abuser de moi, qu’il ferait tout ce que je voudrais. J’aurais pu effectivement leur donner cet ordre. Je ne savais pas trop comment, ni pourquoi, mais je sentais que si j’avais expressément crié aux corbeaux de cesser d’attaquer Jacques, ceux-ci m’auraient écoutée. Mais je ne l’ai pas fait. Au contraire, je me délectais du spectacle de ce pervers réduit à une cible vivante, meurtri de dizaines de blessures sur son corps. Ses habits n’étaient plus que des loques tellement mes sauveurs s’acharnaient sur lui, ensanglantant de plus en plus le sol. Jacques pleurait comme un gosse, et j’appréciais ce spectacle à un haut degré.

 

J’ai honte de dire ça, mais je souriais même. Je prenais plaisir à ce que cette petite ordure sous les ordres de Marc se fasse martyriser autant. C’était tout ce qu’il méritait après avoir failli me faire subir tous les outrages. Peut-être qu’il ne se serait pas limité à m’obliger à pratiquer une fellation. Peut-être qu’il aurait fait pire par la suite. Peut-être même que ses amis se seraient joints à la fête. Je ne pouvais pas lui pardonner cette ignominie, tout comme il me serait impossible désormais de considérer Marc comme autre chose qu’un être abject et sans scrupules, ne supportant pas le fait de ne pas être comme moi. Je n’y pouvais rien si ma mère était célèbre et si sa meilleure amie, celle qu’elle appelait sa sœur, était ma professeure, m’offrant régulièrement de l’assister dans les cours. Ceci dans le seul but de m’aider à devenir celle qui succèderait à Hélène Surgeon, la grande ornithologue française. Ça ne justifiait en rien ses attaques incessantes envers moi.

 

Péniblement, je parvenais à me relever, frottant mes bras que les complices de Jacques, ces fuyards ayant abandonné leur “maître”, avaient meurtris. Je regrettais que ça ne soit pas Marc qui soit là, gisant à terre, à la place de cette petite merde de Jacques. Le spectacle n’en aurait été que plus jouissif encore. Je continuais à regarder sans même chercher à réagir ou empêcher les corbeaux de planter leurs becs et leurs serres dans la chair de cette ordure qui couinait comme une fillette. Très vite, ses plaintes se sont tues. Il bougeait encore, mais il subissait un tel traumatisme que plus aucun son ne parvenait à sortir de sa gorge. Ou bien c’était à cause du trou visible dans celle-ci. Un de ses yeux avait été arraché de son orbite, des nerfs se montraient à l’air libre, ainsi que des os. Des morceaux de peau sanglants étaient projetés avec dédain du bec des corbeaux après avoir été enlevés du corps de Jacques, et un énorme trou dans son crâne dévoilait une partie de sa matière grise.

 

Du haut de mes 13 ans, moi qui avais toujours été réticente à tout ce qui touchait de près ou de loin à l’horreur, que ce soient les films, les séries ou même de simples images, j’adorais ce que je voyais. J’étais dans ce qu’on pourrait appeler un moment de grâce, ou une transe. Vous voyez ce que je veux dire ? Un état tel que je ne parvenais plus à distinguer ce qui était bien ou mal. Les croassements remplis de haine des corbeaux sonnaient comme une musique si douce à mes oreilles. En me voyant dans cet état figé, l’un des surveillants venus sur place, sans doute prévenu par l’un des fuyards de ce qui se passait, a tenté de me faire sortir de ma transe. J’entendais bien un autre son que celui des corbeaux, mais c’était comme si je ne comprenais pas ce langage. Comme si je ne comprenais pas ce que le surveillant me disait. Je ne faisais que regarder Jacques, qui ne bougeait plus du tout, se faisant déchiqueter. D’autres surveillants, ainsi que des professeurs, tentèrent de faire fuir les corbeaux. Mais ceux-ci ne montraient aucunement l’intention de s’en aller, menaçant toute personne voulant s’approcher de ce qui n’était désormais plus qu’un corps sans vie.

 

Alertés par ce remue-ménage, un flot d’élèves arriva à son tour sur les lieux, vites encadrés par les surveillants impuissants à stopper l’action de mes protecteurs. A force de me parler et de me secouer dans tous les sens pour me faire réagir, j’ai fini par sortir de mon état de transe, effaçant mon sourire. C’était comme si je venais de me rendre compte de la réalité de ce qui s’était passé, de ce qui se passait en ce moment même, et que je décidais d’agir en redevenant celle que tout le monde connaissait. J’ai juste crié aux corbeaux d’arrêter et de partir, rien de plus, sans insister. Au même instant, réceptifs à ma voix, les deux corvidés ont cessé tout déchirement de chair, se sont retournés, m’ont observé quelques instants, avant de s’envoler en libérant dans l’air quelques croassements que j’ai ressenti comme un message de leur part. Du style  :

-  Maintenant, tu sais que nous serons toujours là pour te protéger. Si d’autres que lui essaient de s’en prendre à toi, nous nous occuperons de son cas...

 

J’ai senti le regard d’incompréhension des surveillants, ainsi que des élèves derrière moi. Patrick, l’un des “pions” du lycée, s’est approché du corps de Jacques, et a tenté de trouver un pouls sur celui-ci. Pendant ce temps, toute l’assemblée autour de moi semblait attendre sa réponse comme s’il s’agissait du résultat d’un examen. Quand il s’est retourné en hochant la tête, tout le monde a compris qu’il n’y avait plus rien à faire : jacques était mort. Voyant que j’étais disposée à marcher, Philippe, le surveillant qui m’avait sorti de mon état presque comateux, me demanda de le suivre en me tenant le bras. Je voyais chaque fille, chaque garçon, chaque professeur, parmi ceux qui étaient présents, me fixer comme si j’étais une bête de foire, s’écartant sur mon passage. Je ne saurais dire le nombre de visages épouvantés qui se montraient à chacun de mes pas, regardant successivement dans ma direction, puis vers celle où gisait le corps ensanglanté et perforé de partout de Jacques. Ils ne disaient rien, mais j’avais l’impression de comprendre leurs pensées. Des pensées semblant dire :

 

-          Monstre ! Comment t’as pu faire ça à Jacques ?

-         T’es vraiment qu’une conasse, en plus d’une meurtrière...

 

D’autres chuchotaient entre eux. Bien que peu perceptibles, je comprenais très bien leurs paroles.

 

-         Vous avez vu ? Les corbeaux lui ont obéi...

-         Elle peut contrôler ces bestioles, c’est plus qu’évident.

-         Bordel, elle est pire que Carrie White.

 

 Je n’ai pu réfréner un léger sourire en entendant ça, me disant intérieurement qu’après ce qui s’était passé, il n’y en aurait plus un seul qui oserait me faire quoi que ce soit. Sous peine de subir la même chose que le cadavre étalé sur la pelouse devant le gymnase. Pour autant, personne n’osait dire la moindre parole de manière distincte et à haute voix. Ils étaient bien trop terrifiés pour prendre un tel risque. Alors que j’étais dirigé vers l’infirmerie, je voyais un flot d’ambulanciers et de policiers franchir le portail du lycée, se dirigeant vers le lieu du drame. J’ai aperçu mes sauveurs installés sur la branche de l’un des arbres entourant la cour de récréation. Instinctivement, je les ai fixés dans les yeux, et, silencieusement, sans me faire entendre de Philippe, je les ai remerciés pour leur intervention. En réponse, ils m’ont adressé chacun un croassement voulant vraisemblablement dire :

 

-         De rien. Ce fut un plaisir...

 

Il m’a fallu plusieurs jours pour parvenir à parler de ce qui était arrivé. Ce n’était pas que j’étais choquée, comme beaucoup le pensaient. Bien au contraire. Je voulais parvenir à montrer une vision de moi qui ne me désignerait pas comme un monstre sans cœur en indiquant que je ne regrettais pas la mort de Jacques. J’ai dû m’infliger une forme d’auto-contrôle pour ne pas sourire à l’évocation de son massacre par les corbeaux, qui se trouvaient chaque jour devant l’arbre en face de la fenêtre de ma chambre. Mes protecteurs. Une fois sûre que je pourrais évoquer les circonstances de ce que tout le monde désignait comme un drame, alors que moi je considérais ça comme un acte de justice, j’ai suivi une thérapie auprès d’un psychiatre. J’ai parlé de la menace de Jacques, m’obligeant à le suivre vers le gymnase avec ses potes, de la fellation qu’il a tenté de me forcer à effectuer, de l’attaque des corbeaux. Je précisais que je ne m’expliquais pas l’obéissance de ces derniers à mes ordres, évitant d’évoquer cette sensation perçue dès leur premier coup de bec. Je disais que je leur avais demandé d’arrêter dans un instinct de peur, sans rien attendre de concret en retour, et surprise qu’ils m’aient écoutée. Tout comme l’avaient été les nombreuses personnes sur place. 

 

Le psy m’a cru, ainsi que mes parents, qui ont tenus à assister à la séance. J’ai vu les yeux pleins de colère de ma mère quand j’ai évoqué le moment où Jacques a voulu me forcer à un acte aussi horrible pour une fille aussi jeune que moi. Mon père, lui, a failli exploser. Le psychiatre a été obligé de lui demander de sortir pour se calmer, afin qu’il continue de discuter calmement avec moi. Ma mère a fait de même. Je sentais qu’elle était aux bords des larmes et qu’elle luttait pour que je ne la voie pas dans cet état. Les jours suivants, j’ai appris que les complices de Jacques avaient avoué avoir agi sous les recommandations de Marc, mais que la demande de fellation venait de Jacques uniquement. Ils ont tous les 3 été expulsés pour 3 mois du lycée pour s’être rendus complices des actes de Jacques. Marc, lui, a fini par reconnaitre à son tour qu’il était bien l’instigateur de départ. Il a confirmé qu’il n’avait jamais demandé à Jacques de faire ce qu’il a tenté d’exécuter. Néanmoins, en tant que “cerveau” de toute l’affaire, il a été renvoyé définitivement du lycée, et obligé de suivre, lui aussi, une thérapie pour calmer ses ardeurs de “chef” au sein d’un centre de redressement. Ou du moins quelque chose dans le même style. Je n’ai pas tout compris.

 

Pour ma part, je n’ai réintégré mon établissement scolaire que 6 mois plus tard. Une fois ma thérapie terminée et jugée apte à reprendre les cours par ma psy. Entretemps, Stella s’occupait personnellement de me faire suivre les cours à domicile les premiers temps. Elle a demandé au proviseur de bénéficier d’un congé exceptionnel à cet effet. Par la suite, ma mère a fait appel à un professeur recommandé par Stella. Ma mère ne voulait pas que son amie sacrifie son travail pour moi. Elle la savait très bien capable d’être prête à démissionner, car se sentant responsable de n’avoir pas su empêcher ce qui était arrivé. Stella a fini par reprendre son poste au lycée, après que ma mère et moi, et même mon père, très marqué par tout ça lui aussi, avons fini par la convaincre qu’elle n’était en rien coupable. Avec le temps, mes protecteurs se sont montrés plus hardis durant mon éloignement forcé du lycée. Ils se postaient régulièrement sur le rebord de ma fenêtre. Prenant soin de ne pas alerter ma mère de leur présence, profitant qu’elle était affairée au jardin ou ailleurs, j’ouvrais ma fenêtre et les laissais entrer dans ma chambre.

 

Je ne comprenais pas leur langage à proprement parler, mais j’ai décodé certains sons me permettant de mettre au point une forme de décryptage de celui-ci. Sons de colère, de satisfaction, d’énervement, de joie, de tendresse… C’était une expérience très particulière, et je voyais que mes amis ailés prenaient grand soin à ce que je comprenne, à mon niveau humain j’entends, la moindre sonorité de leur part. C’est lors de cette période que je leur ai donné leur nom : Matthew et Thetys, comme je vous l’ai dit plus tôt dans mon récit. Ma mère et mon père s’étaient organisés pour que l’un ou l’autre soient présents à la maison, en accordant leurs plannings respectifs. Comme mon père, horticulteur, était auto-entrepreneur, ça ne lui était pas trop difficile de mettre en place cet agencement de son travail avec ses associés et employés. Pour ma mère, qui travaillait comme co-directrice du Centre d’Ornithologie de la ville, ce ne fut pas très complexe non plus de trouver le moyen de coordonner ses tâches avec Pamela, celle qui partageait la direction du centre avec elle. Cette dernière a engagé des suppléants exprès pour permettre à ma mère d’avoir des jours réguliers de libre dans la semaine, dans le but de s’occuper de moi.

 

Comme précédemment évoqué, les premiers temps, Stella était également présente. En tant que professeure particulière d’une part, et nounou le cas échéant, quand les plannings respectifs de mes parents ne leur permettaient pas de prendre de nouveaux jours de présence à mes côtés. Stella s’est montrée être une vraie mère- poule, très attentionnée. Encore plus que ma mère. Tellement que je n’ai pas pu lui cacher les visites de Matthew et Thetys au bout d’un moment. Enfin, ce n’était pas volontaire. Elle a surpris leur présence un jour qu’elle pensait que je faisais ma sieste journalière, sur les recommandations de ma psychiatre. Au début, n’ignorant pas les actes de mes protecteurs envers Jacques, elle n’a pas caché son appréhension, voulant même les chasser. Elle craignait terriblement qu’ils s’en prennent à moi. J’ai su la rassurer, en lui montrant qu’ils ne montreraient jamais de signes d’animosité contre moi. C’est en les voyant se positionner sur mes épaules, faisant preuve de gestes de tendresse envers moi, comme caressant mes joues à l’aide du plumage de leur tête ou m’apportant des accessoires à ma demande, comme de vrais petits serviteurs, qu’elle a compris que je ne risquais rien.

 

D’un commun accord, on a préféré taire ce secret auprès de mes parents dans l’immédiat. Plus tard, ils seraient mis au courant, et, au même titre que Stella, ils approuveraient la présence de mes petits valets. Mon père en viendrait même à leur fabriquer de petites installations spécialement prévues pour eux. Que ce soit dans ma chambre, mais aussi dans le reste de la maison. Je sentais bien qu’ils ne pouvaient s’empêcher de ressentir une part de peur quand ils voletaient autour de moi, ou se postaient sur mes épaules. Ce qui deviendrait une vraie habitude qui ne les quitteraient plus lorsque je grandirais. Ils n’oubliaient pas que mes gardes du corps ailés étaient responsables de la mort d’un jeune garçon de 15 ans de manière atroce. Je comprenais leur crainte, c’était légitime. Malgré ça, ils ont fini par accepter leur présence, rassurés par leur attitude envers moi, comme en avait été témoin Stella avant eux. Pendant longtemps, j’ai pensé que cette mesure de protection se limiterait à ces seuls corbeaux, mais c’est là où je pense que l’action des Faunes de Rignac est entrée en jeu. Même si je ne peux pas affirmer que cette légende est vraie et qu’ils ont véritablement été à l’origine de tout ce qui suivrait. Car au cours de ma vie, suivant l’importance du danger, d’autres que Matthew et Thethys se sont rangés au rang de protecteurs dévoués. Ce qui me vaudrait le titre de Reine des Corbeaux…

 

Dès mon retour au lycée, je m’apercevais du climat de méfiance autour de moi. De peur même. Je ne retrouvais pas vraiment ce que j’espérais. À savoir un lieu où je ne serais plus perçu comme un objet de moqueries de toutes sortes, mais empli du respect et de l’admiration dont j’étais gratifiée avant que Marc arrive. C’était même tout le contraire. On s’écartait à mon chemin. Les visages qui se montraient à moi affichaient une terreur à peine voilée. Les rares qui osaient faire preuve de bravoure en me souriant ou me disant bonjour étaient aussitôt réprimandés par les autres. Comme s’ils venaient de faire acte de folie en s’adressant à moi. J’étais une pestiférée pour la majorité des élèves, et même des surveillants. Seuls quelques professeurs gardaient un semblant de professionnalisme à mon encontre. Ils affichaient des visages joviaux, mais ne pouvaient masquer complètement les gouttes de sueur perlant sur les contours de ces derniers en me voyant. Ils avaient pour consigne d’agir comme auparavant “l’incident”. C’était le terme qui était employé pour éviter de rappeler l’abomination qui s’était déroulée ce jour-là, se trouvant encore dans toutes les mémoires. Que ce soient ceux et celles ayant vu le corps ; ou les autres, plus chanceux, n’ayant pas lu ou écouté ce qu’on avait dit sur l’affaire.

 

La seule à avoir occulté ces évènements était Stella, fidèle à elle-même. Fidèle à sa gentillesse et son dévouement envers sa petite princesse. Le surnom dont elle m’affublait quand je me trouvais seule avec elle. J’avais une sainte horreur de ce patronyme en temps normal. Mais là, pour le coup, je devais dire que j’appréciais ce “titre”. L’un des rares qui ne me désignait pas comme une curiosité ou un monstre. La présence continuelle de Matthew et Thetys, me suivant dans quasiment tous mes déplacements, y compris au sein de la cour de l’école, comme parés à toute éventualité me concernant vis-à-vis de nouveaux agresseurs, ne faisait qu’accentuer l’ambiance de crainte se trouvant au cœur de l’établissement. Ils se postaient sur les rebords des fenêtres des salles où je me trouvais pour mes différents cours, sur les branches de l’arbre le plus proche où je marchais, m’offrant un croassement de temps à autre auquel je répondais par un signe de la main. Ce qui avait pour effet de faire pâlir encore plus les personnes présentes autour de moi à cet instant.

 

Le fait de savoir mes deux serviteurs autour de moi me donnait ce sentiment de sécurité que j’avais perdu après ce dont s’était rendu coupable Jacques et ses amis. Ce qui lui avait coûté la vie. Je me moquais d’être toujours isolée, sans amis, car je savais que mes gardiens à plumes étaient là pour veiller sur moi à tout instant. Je gardais toujours quelques restes de mes repas à la cantine pour eux. Je les enfournais dans des sacs congélation ou des petites boites tupperwares que j’emmenais toujours avec moi dans mon cartable, je m’installais un peu à l’écart dans la cour et j’appelais mes protecteurs à venir me rejoindre. Ils arrivaient quelques secondes après, non sans m’adresser des croassements de satisfaction et de joie en voyant ce que je leur réservais comme pitance. J’aimais leur caresser le haut du crâne lors de ces moments. Ils s’arrêtaient parfois de dévorer leur repas en se frottant contre mes mains. Une manière pour eux de me remercier. Comme vous pouvez vous en douter, ce petit manège ne passait pas inaperçu, et plusieurs élèves en furent témoins.

 

Les semaines passaient. D’autres volatiles se joignaient parfois à ces petits moments de plaisir partagés. Uniquement des corvidés. Quand d’autres espèces d’oiseaux tentaient de s’incruster, ils étaient immédiatement chassés par Matthew. Le plus réfractaire à ces tentatives d’invasion. Il y avait une forme de hiérarchie flagrante qui s’installait également lors ce ces instants. Thethys choisissait qui avait droit à tel morceau, se réservant pour elle et son compagnon les meilleures parts et laissant le reste aux autres. Je réservais caresses et gestes d’affection à Matthew et Thetys. J’ai essayé une fois de toucher un autre des “invités”, mais mes deux petits serviteurs m’ont bien fait comprendre qu’ils étaient les seuls à avoir le droit de bénéficier de ce privilège. Pas à moi cependant, mais en agitant les ailes et adressant des croassements que je savais être des sons de colère aux imprudents tentant de s’attirer mes faveurs. Ce qui me faisait beaucoup rire. L’instant d’après, je me faisais pardonner ma petite trahison à leur égard, en redoublant de caresses à leur intention.

 

Mes protecteurs pouvaient se révéler être très attentifs à tout ce qu’il considérait comme une menace cependant, et cela pouvait parfois mener à quelques désagréments. Il suffisait qu’un professeur en classe frappait ma table avec une règle, pour me faire sortir d’une somnolence lors d’un exposé, et cela déclenchait une manifestation de mécontentement de la part de Matthew et Thetys, de l’autre côté d’une des fenêtres où ils étaient postés. Ce qui provoquait une ambiance de crainte manifeste dans toute la classe, professeur compris. Dans ces cas-là, je n’avais d’autre choix que de leur faire signe de la main, indiquant que tout allait bien. Ceci à l’aide d’un code que j’avais mis au point et qu’ils ont assimilé aussi aisément qu’un être humain. Ils ont alors stoppé leurs jérémiades, et ont repris une attitude passive et calme. Il y a eu d’autres fois où la surprotection de Matthew et Thethys posa problème. En particulier à l’extérieur du lycée, lorsque je me baladais dans le parc à la sortie des cours, ou en me rendant en ville pour divers achats. Soit à la demande de mes parents, soit pour mon usage personnel.

 

Je me souviens d’une fois où deux garçons plus âgés que moi ont jetés des pétards à mes pieds. Un geste, somme toute, pas très grave. J’ai eu peur sur le coup, mais je ne leur en voulais pas. Après tout, il m’était déjà arrivé de recourir à ce genre de petites plaisanteries stupides, et datant de l’époque d’avant les actions de Marc et sa clique. Des « opérations farces » pratiquées en compagnie de celles qui étaient des amies que je pensais sincères à ce moment-là. Je n’étais pas particulièrement fière de cette volonté de faire peur à des inconnus, mais ça ne restait qu’un simple jeu. Seulement, Matthew et Thetys ne voyait pas ça de la même manière. Ils ont considéré ce jet de pétard de la part de ces adolescents comme une agression pure et simple. Ils se sont rués sur les deux garçons et se sont mis à leur asséner des coups de becs sur le crâne et leur picorant la peau à divers endroits. L’un d’eux a vu une des boucles qui pendait au lobe de son oreille droite être arrachée par Thethys, faisant gicler une gerbe de sang, pendant que la victime hurlait de douleur. J’ai eu tout juste le temps d’intervenir pour éviter que mes protecteurs commettent des blessures plus graves. J’ai voulu m’excuser, mais les deux garçons se sont enfuis sans demander leur reste, en m’insultant, moi et mes “oiseaux de malheur”. Le plus âgée a même dit :

 

– Bordel ! Mon petit frère avait raison à ton sujet ! T’est une vraie tarée ! Toi, la reine des corbeaux de mes deux !

 

La Reine des Corbeaux. C’est à partir de là que j’ai eu connaissance du surnom qu’on m’attribuait et qui me poursuivrait des années durant. Jusqu’à l’âge adulte. D’autres soucis du même type ne fit que confirmer mon statut de “reine”. Il suffisait que je me bouche les oreilles à cause du klaxon d’une voiture pour voir une nuée de corbeaux s’abattre sur le véhicule fautif, terrorisant le conducteur. Ou encore plus tard en grandissant, lors d’une sortie scolaire, que je sois bousculée en descendant du bus pour occasionner l’intervention agressive de ce qui constituait quasiment une petite armée, suivant en cela les directives de Matthew et Thethys. Ces derniers agissant comme des généraux. Plusieurs fois, j’ai dû m’excuser des actes de mes “bestioles” auprès des malheureux s’étant fait réprimander sévèrement par mes protecteurs zélés. Si, avec les mois et les années, j’ai pu réussir à leur faire comprendre la part de ce qui était une vraie menace et des actions ne méritant pas leur intervention, ceci en usant du code que j’avais créé à leur intention, ce fut un long parcours ponctué de multiples plaintes venant des victimes des attaques de Matthew, Thethys ou l’un de leurs “soldats” dévoués à leur cause, et donc à la mienne.

 

Malgré tout, de manière générale, mes parents parvenaient à régler les différends à l’amiable, en payant les frais inhérents aux blessures causées par mes protecteurs. Mais j’ai très vite compris qu’ils étaient fatigués de toujours devoir intervenir pour m’éviter des ennuis. Même si, dans les faits, ce n’était pas vraiment moi qui étais en cause. Toutefois, le bouche à oreille ayant fait son œuvre à travers tout Blois, personne n’ignorait l’influence que j’exerçais sur l’ensemble des corvidés de chaque endroit où je me trouvais. Forcément, on me considérait responsable de l’action de mes “sujets”. Le nom de Reine des Corbeaux étant usité par nombre de personnes. Même par la police chargée de recueillir l’ensemble des plaintes dont je faisais l’objet de manière récurrente. Je suscitais à la fois crainte et admiration de tout ceux et celles croisant ma route. Au fil des années, j’ai quand même retrouvé un contact certain avec mes pairs, bien que la plupart fût au courant de la mort de Jacques à cause de “mes”corbeaux, et acceptait de ne pas me tenir rigueur de ce drame. En grande partie à cause de ce dont s’était rendu coupable le disciple de Marc à l’époque.

 

Sans l'intervention de Matthew et Thethys, j’aurais été irrémédiablement souillée au plus profond de moi, et je ne suis pas sûre que je me serais relevé d’une telle humiliation. Il était certain que Jacques et ses amis se seraient fait un plaisir de se vanter d’avoir bénéficié de mes faveurs, en se gardant bien de dire qu’il m’avait forcé à le faire. Ce qui m’aurait forgé une réputation monstrueuse. Mes protecteurs m’ont évité cet affront. Aujourd’hui, je regrette qu’ils soient allés aussi loin. Jacques, malgré l’ordure qu’il était, ne méritait pas de mourir. Surtout de façon aussi horrible. Mais à l’époque, je ne peux pas nier que je me suis réjouie du spectacle de sa mort à laquelle j’avais assisté, minute après minute, seconde après seconde. Jusqu’à ce qu’il ne se réduise plus qu’à un tas de chair morte. Je n’avais que 13 ans, je venais de subir un traumatisme dont peu de filles de mon âge auraient été capables de se relever, et j’étais envahi de colère et de haine. Comme d’un point de vue pénal, on ne pouvait pas officiellement m’attribuer la mort, car rien n’indiquait que j’avais orchestré l’attaque en usant d’ordres précis en ce sens, je n’avais pas eu d’inscription sur un casier judiciaire. Les témoignages des amis de Jacques ont confirmé que je n’avais rien dit aux corbeaux pouvant indiquer que j’étais l’instigatrice de l’attaque coordonnée de Matthew et Thethys.

 

Les années passant, il a été établi que j’avais été une victime dans cette histoire, et que je n’étais pas responsable des actes des vrais meurtriers de Jacques. Comme la justice ne pouvait décemment pas emprisonner des corbeaux, sous peine de devenir la risée de tous, même en considérant leur acte, toute l’histoire s’est tassée et a cessé de faire l’objet de vidéos YouTube.  Voire de reportages relatant cette sordide histoire. En revanche, ma réputation de fille pouvant commander aux corbeaux, elle, ne m’a plus lâché. Une réputation qui a eu deux effets contraires : il y avait ceux à qui je causais une terreur non-dissimulée dès lors qu’ils m’apercevaient dans la rue ; et il y avait ceux qui me vouaient une quasi-admiration à cause de mon “pouvoir” de dicter des ordres aux corbeaux. J’avais beau leur dire que je n’avais pas cette faculté qu’ils m’attribuaient, ne contrôlant pas toujours les actions de mes protecteurs ailés, ils n’en avaient cure, et me considéraient comme la nouvelle Carrie White ou bien Jennifer Corvino. La fille qui contrôle les insectes dans le film “Phénomena” de Dario Argento. L’un des rares films d’horreur que j’aie pu regarder jusqu’au bout.

 

Bien que ponctué de divers petits incidents minimes, mais relayés à chaque fois dans la presse et faisant de moi une « célébrité » à Blois, une réputation dont je me serais bien passée, j’ai grandi sans autre faits divers sanglant de grande envergure. En tout cas, pas de l’ampleur de la mort de Jacques. Bien entendu, Mathilda, tout comme ses parents et ma tante, n’ignoraient rien de tout ce qui s’était passé. Si le père et la mère de mon amie se montraient inquiet de ce que cette “protection” pouvait occasionner pour mon avenir, se joignant aux craintes de mes propres parents, tout comme Stella, en revanche, Mathilda me voyait déjà comme une sorte d’héroïne choisie par les Faunes de Rignac pour montrer aux hommes que la nature restera toujours la force la plus puissante sur Terre. Dis comme ça, j’étais pratiquement rendue au rang d'Avenger à ses yeux. Et ça ne s’est pas arrangé avec les années, à chacune des fois où je lui relatais les autres “punitions” orchestrées par mes gardes du corps à plumes.

 

Quand elle m’a rejoint à Blois dans le cadre de ses études, à ma majorité, partageant avec moi le même cursus universitaire afin de pouvoir enfin goûter à mon quotidien de manière plus récurrente, et non plus se contenter de petits séjours de ma part à l’occasion des congés de mes parents, j’ai pu constater que Matthew et Thethys semblaient l’apprécier presque autant que moi. Entendez par là qu’ils acceptaient de se laisser dorloter et caresser par elle, ce qui n’a pas manqué de me surprendre. Elle s’est également employée à trouver mon âme sœur pour que mon destin ne se limite pas à vivre comme une future nonne. Ce sont les mots exacts qui sont sortis de sa bouche. Je dois dire que mon statut de Reine des Corbeaux, s’il avait tendance à susciter l’admiration de nombre de filles me côtoyant ayant appris à m’apprécier, c’était loin d’être le cas des garçons, dont la plupart me fuyaient comme la Peste. En majorité à cause de la crainte qu’ils éprouvaient envers mes corbeaux et leurs soldats s’ils commettaient des “fautes” aux yeux de ces derniers.

 

Je ne pouvais pas leur donner tort en même temps. Une simple dispute avec mon amoureux du moment pouvait provoquer une attaque caractérisée de l’imprudent ayant “osé” élever la voix envers leur Reine… Et ce, malgré les efforts fournis depuis mes 13 ans pour éviter des déconvenues de cet ordre. Mathilda s’est imposée en tant que “coach” auto-proclamée pour que je puisse profiter des plaisirs charnels que procurait la vie terrestre. Là encore, je reprends les mots de ma chère inséparable. Elle savait que ce n’était pas la seule chose qui m’empêchait d’avoir une relation stable avec un garçon. Je lui avouais que j’avais tenté des aventures auprès de quelques “élus”, si je m’en tenais à son vocabulaire de séductrice invétéré qu’elle était devenue au fil des ans. Et sans que ça provoque de crainte de la part de celui-ci vis-à-vis de mes protecteurs, ceux-ci n’étant jamais loin de moi, où que l’on aille. Mais dès que l’on voulait aller plus loin qu’un simple flirt, je bloquais presque instinctivement dès lors que le simple fait de dégrafer son pantalon provoquait un sentiment de rejet de ma part.

 

Il y a eu des garçons plus patients que d’autres sur mon problème à ce niveau, mais ça s’est toujours fini de la même manière : ils finissaient toujours par s'en aller, lassés de n’être que des usines à bisous et caresses, et rien d’autre qui vaille la peine de continuer notre relation à leurs yeux. Et puis, le jour de mes 19 ans, après avoir été, je dois dire, un peu “poussée” par Mathilda, j’ai rencontré Alain. Cela à l’occasion d’une sortie en boite voulue par mon “coach” en amour. Cependant, ce que je pensais être LE garçon ayant déclenché mon “déblocage”, permettant ma première vraie relation valable et approfondie, allait se révéler être le point de départ d’une série d’actions de la part de mes protecteurs nettement plus violente et sanglante. Matthew et Thethys, dès ce jour-là, oublieraient les règles que j’avais eu tant de mal à établir entre eux et moi, et se révèlèraient vite incontrôlables. Ce qui ferait de ma vie un enfer gorgé de morts et de sang autour de moi. Mais le pire, ce ne serait pas les drames découlant de ces véritables exécutions, au sens propre du terme. Non, le pire ce seraient les sentiments d’extase que ça me procurerait en voyant chaque obstacle sur ma route éliminé l’un après l’autre. Une sensation qui me ferait plonger dans un maelstrom de morts diverses, effrayant Mathilda, qui aurait bien du mal à me faire redevenir l’amie chère qu’elle aimait tant…

 

Suite et fin de cette histoire très prochainement...

 

Publié par Fabs

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