8 juil. 2024

CROWS-Protection Ailée (Partie 1 : Sauvetage)

 


Certaines espèces animales sont enveloppés d’un voile opaque de préjugés souvent tenaces, leur collant aux poils ou aux plumes depuis des décennies. Voire des millénaires. On les range dans des tiroirs comme on classe les dossiers de son entreprise, des photos de famille, des jouets, des cartes collectors… Pour beaucoup, cette facilité permet aux esprits assommés par les idées reçues de leurs parents, leurs voisins ou le camarade d’école qui “l’a lu sur internet”, de cataloguer ces informations au sein d’un registre de compréhension qui ne fera pas surchauffer ses neurones. Celles-ci étant souvent mises à mal par un flot de données à emmagasiner tant bien que mal au sein des couloirs surbookés de son cerveau. Des préjugés qui sont tellement ancrés dans un collectif nourri par les pensées écrites par des prétendus “spécialistes”, n’ayant pour expérience que les témoignages d’autres et formant un relais culturel ne devant pas être contredit, que rares sont ceux et celles à préciser que ces “vérités” ne sont pas toujours immuables, loin s’en faut.

 

Dans une majorité de cas, ces généralités sur les comportements animaliers sont la conséquence effective de ce qui a été analysé avec minutie par des observateurs chevronnés. Ceci grâce à des études approfondis dans un milieu naturel bien précis. Entendez par là des catégories vivant dans un écosystème défini, et résultant de centaines, voire de milliers d’heures à se fondre dans l’environnement de la “cible”. Si vous cherchez à caresser un guépard ou un puma sur son territoire, il y a peu de chance que ces derniers trahissent leur instinct naturel de chasse. Ils vous feront vite savoir que vous n’êtes pas en position de force pour vous permettre ces familiarités. Bon, c’est un exemple ironique, bien sûr. C’était juste pour souligner qu’un fauve reste un fauve, et son comportement vis-à-vis d’un humain aura très souvent le même résultat.  Tragique dans la plupart des cas.

 

Malgré tout, comme pour toute chose en ce monde, il y a des exceptions. Un animal fortement blessé, ou soumis aux caprices des vapeurs toxiques d’une plante ingérée, bien que sur ses gardes face à un intrus bondé de bonnes intentions, pourra accepter de se laisser approcher. Si l’on se résout à suivre certaines précautions d’usage évidemment. Il faudra de longues heures de patience pour arriver à une relation de confiance. Mais il peut arriver que l’on parvienne à un contact physique permettant de juger du mal et tenter de le soigner sur place. Si la situation et le matériel possédé à ce moment le permet. Parfois, une anesthésie est nécessaire afin de procéder à un transport indispensable pour remettre l’animal sur pied. Très souvent, bien que désorienté une fois réveillé dans un environnement inconnu pour lui, tout en découvrant que son mal a disparu et comprenant que cela est le fait de ce qui constituait autrefois son repas occasionnel lors de disettes, la bête développera une reconnaissance envers ses bienfaiteurs. 

 

Un souvenir de son sauvetage qu’il gardera dans sa mémoire, une fois relâché et ayant retrouvé son chez soi, qu’il utilisera à bon escient. On a déjà vu des cas de lions, de tigres ou d’autres espèces habituellement méfiantes de la présence humaine, défendre un représentant de notre race lors d’une nouvelle rencontre face à l’un de ses congénères, après avoir reçu ce type de sauvetage. Parfois même adresser un regard de compassion à la cible choisie par son frère de clan, comme pour lui signifier “je m’occupe de le retenir : profites-en pour partir loin d’ici”. Dans ce genre de cas, la parole n’est pas forcément nécessaire : le pouvoir du regard se passe de mots. Bien sûr, ça ne fonctionne pas toujours de cette manière. Certaines espèces restent sur leurs positions, même après avoir reçu de l’aide, et conservent leur dangerosité pouvant mener à une mort inéluctable.

 

Néanmoins, si je vous ai fait part de ce petit préambule sur le comportement animal et les préjugés que peuvent avoir certains hommes et femmes sur les animaux, c’est parce que j’ai été témoin de ce type de reconnaissance. Cela de la part de deux représentants d’une race qu’on dit être symboles d’infortune ou de malchance à venir pour toute personne s’en approchant. Ce n’est pas nouveau : l’homme craint l’inconnu et ce qu’il ne peut pas maîtriser. Son inconscient, réagissant à des lectures faisant état de superstitions datant de plusieurs siècles, relayés par internet, des films ou des jeux vidéo, se met en position quasi-instantanée de défense lorsqu’il se trouve face à des animaux dits “porteurs de malheur”. Ce qui peut parfois mener à une réaction violente auprès de “l’animal du diable”. Une association régulièrement proclamé par certaines idéologies ancrées dans l’esprit d’un grand nombre, dont les sources proviennent d’époques révolus, aux mœurs bien différents de notre société d’aujourd’hui. 

 

Je ne vous apprendrai rien : vous connaissez forcément tous les méchancetés et gestes de méfiance portés par beaucoup envers les chats noirs, les rapaces nocturnes, les loups, les rats… Les contes de fées, en grande partie, ont été les déclencheurs de cette répulsion, suivant en cela la crainte que ces animaux procuraient. Crainte née en grande partie du fait de l’intelligence de ces bêtes, et leur permettant régulièrement de se jouer des pièges tendus à leur intention. Une capacité à réfléchir qui ne pouvait être que surnaturelle, qu’on disait parfois causée par un démon ou toute autre entité malfaisante et conspué par la Sainte Eglise. Une habitude de méfiance qui a perduré jusqu’à nos jours, et même par des communautés répudiant la parole évangélique. Preuve de la puissance apportée par ces racontars ayant traversé les siècles, née de méconnaissances de la part de castes refusant la vérité de la science et l’étude animale. Ces dernières étant considérée comme des activités diaboliques elles aussi, car non comprises par ces institutions endoctrinant les populations, grâce à des mensonges destinés à conserver leur pouvoir en place.

 

Quoiqu’il en soit, comme dit auparavant, je peux témoigner que l’une de ces fameuses espèces, considérée comme maléfique et ne pouvant donc qu’apporter le malheur, ne peut en aucun cas être jugée à grande échelle comme une créature vile, vouant son existence à provoquer la peur et attirer les ténèbres envers l’être humain. Cette espèce, c’est celle des corbeaux. Un animal emblématique associé aux sorcières. Au même titre que les chats noirs, précédemment évoqué. Souvent craint, chassé ou tué en nombre, simplement parce que ces préjugés dont ils sont l’objet font qu’ils suscitent l’angoisse et l’épouvante. Et ce, dès qu’ils s’approchent un peu trop près de personnes crédules ayant foi aux légendes racontées les concernant. Une frayeur accentuée par le statut mystique du corbeau, que l’on suppose capable d’ouvrir le portail séparant  le royaume des morts de celui des vivants.

 

Un “passeur”, pouvant accompagner un défunt épris de vengeance pour qu’il puisse revenir sur Terre. Ceci afin de s’acquitter d’une mission propre à lui offrir la paix, une fois revenu dans le monde d’en dessous. Une symbolique dont se sont emparé nombre de romanciers. Le poème d’Edgar Allan Poe, “Le Corbeau” en est le parfait exemple. Auquel on peut rajouter “The Crow”, la BD culte de James O’Barr, dont le titre n’a pas forcément la signification déduite à tort par la plupart.  Il faut d’abord savoir que le terme “Crow” ne désigne pas uniquement ce corvidé bien connu. Dans l’anglais américanisé, légèrement différent du britannique, il signifie l’appartenance à tout animal ailé dont le plumage est noir. Ce qui inclue les corbeaux, mais aussi les corneilles et certaines espèces d’étourneaux. 

 

Mais dans le cas du titre de la BD, il fait référence au verbe peu usité “Crow” :    le cri poussé par un bébé lorsqu’il vient au monde dans le langage américain.  “ The Crow” désigne donc une naissance. Ou plutôt une renaissance. Puisque le héros du comics, Eric Draven, renaît dans notre monde afin d’accomplir sa vengeance. Le corbeau qui l’accompagne n’a qu’un rôle très secondaire et agit uniquement en tant qu’observateur. Il attend que la mission de Draven soit terminée, afin de ramener ensuite celui-ci à son repos éternel, de l’autre côté. C’est aussi un protecteur, pouvant agir s’il juge que Draven est en difficulté dans le cadre de ses actions. Ceci dans le but de mener ces dernières au succès escompté. Un fait important, car si je me suis permis de faire ce petit aparté concernant cette BD connue dans le monde entier, et ayant popularisée l’interprétation intemporelle de Brandon Lee dans son adaptation cinéma devenue culte en 1994, c’est tout simplement parce que j’ai constaté de moi-même ce rôle de protection dont ont fait preuve deux corvidés à mon encontre.

 

J’avais 13 ans à l’époque. On était en 2001. Mes parents avaient loué une petite maison dans le sud de la France, pas très loin de Briançon. Mon père était originaire de la région. Il y avait passé une bonne partie de son enfance, et il avait voulu profiter des vacances d’été pour nous faire bénéficier de son envie de nostalgie. L’occasion pour lui de renouer le dialogue avec certains membres de sa famille qu’il n’avait pas revu depuis des lustres. C’est lors d’une excursion de cet ordre, dirigée vers la propriété d’une tante qui m’était inconnue, que j’ai fait la connaissance de Mathilda. La fille de la famille habitant la demeure voisine. Elle avait le même âge que moi et a vu ma présence comme une bénédiction, lui offrant un vent de neuf dans sa petite vie monotone. L’été, la plupart de ses camarades partaient dans d’autres endroits de la France, et elle se retrouvait sans personne avec qui jouer et discuter. Ses parents étaient en charge d’un musée d’art dans une ville proche, et leurs fonctions les empêchaient de partir.

 

Mathilda m’a expliqué que son père ne faisait pas assez confiance en ses collaborateurs. Alors que ces derniers pourraient aisément prendre les rênes du musée en son absence, si l’envie lui prenait de prendre des congés bien mérités. Hugo, son père, était aussi et surtout un passionné du travail, vouant un quasi-culte à l’art. Plusieurs fois, il avait eu à déplorer des gaffes de la part de ses employés. Ce qui avait conduit à des détériorations d’œuvres, certes pas très connues et véritablement importantes d’un point de vue culturel. Cependant, pour lui, c’était une raison suffisante pour ne pas risquer de découvrir d’autres déconvenues similaires au retour d’un congé. La mère de Mathilda, qui occupait le rôle de comptable et était responsable des entrées et sorties des œuvres du musée, a bien tenté plusieurs fois de le décider à partir, arguant que leur fille avait besoin de changement durant cette période où elle se retrouvait sans la proximité de ses amis. Mais Hugo n’a jamais voulu changer d’avis.

 

Vous comprenez bien qu’en me voyant, j’ai été perçue comme une délivrance à sa solitude. Ma tante connaissait très bien sa petite voisine. Celle-ci venait la voir régulièrement. Ce qui leur permettait, l’une et l’autre, de trouver une compagnie fort appréciée. Je me suis très vite entendue avec Mathilda. Nous avions des goûts et des passions très similaires. Ma nouvelle amie, avec l’accord de mes parents, a tenu à me faire visiter les environs. Ma tante semblait ravie de notre amitié naissante, connaissant l’esseulement dont souffrait Mathilda, et a convaincu mes parents que je ne risquais rien avec elle. Elle s’en portait totalement garante. Elle considérait la fillette quasiment comme un des ses petits-enfants, tellement elle venait la voir souvent. Il est même arrivé qu’elle en ait la garde pour quelques jours, lors de périodes où les parents de Mathilda devaient assurer une garde prolongée au musée, dans le cadre d’inventaire ou d’autres tâches du même ordre.

 

Ma tante, Eulalie, connaissait les parents de Mathilda de longue date. Elle était la seule en qui ceux-ci avaient une confiance absolue pour s’occuper de leur enfant. La mère de Mathilda encore plus que le père, considérant ma tante comme une mère à part entière. En somme, c’était presque une petite famille, n’ayant que leur nom les différenciant de toute autre cercle familial tel que l’on l’entend habituellement. Mathilda m’a fait voir les champs de fleurs avoisinants, ainsi que certaines bâtisses chargées d’histoire foisonnant tout autour. Puis, on s’est dirigées vers le centre de la petite ville constituant son cadre de vie récurent tout au long de l’année. J’ai vu l’école où Mathilda se rendait en dehors des vacances d’été, les commerces où elle avait l’habitude d’aller… En particulier la pâtisserie de Mme Gervaise. Une amie de ma tante. La tenante de la boutique n’ignorant rien du lien très fort liant Eulalie et mon amie, Mathilda profitait très souvent de petits cadeaux lors de ses visites, dans le cadre d’achats demandés par ses parents.

 

En voyant que sa cliente préférée n’était pas seule, Mme Gervaise nous a presque inondé de pâtisseries maison pour fêter notre amitié. J’étais un peu gênée au départ, n’ayant pas l’habitude de recevoir des cadeaux aussi importants, mais Mathilda a su trouver les mots pour me “déculpabiliser”.  J’ai appris aussi que Gervaise n’était pas le nom de cette gentille dame nous ayant offert toutes ces bonnes choses, mais son prénom. Elle n’aimait pas son nom de famille, qui lui rappelait le souvenir douloureux de la perte de son époux, décédé il y avait 10 ans de ça. D’où son désir qu’on la nomme uniquement par son prénom. Tout le monde comprenait ce besoin particulier de cette dame à l’âge respectable, et personne ne commettait l’erreur de l’appeler autrement. D’ailleurs, même le nom de sa boutique portait son prénom uniquement. Une forme de rappel aux éventuels “amnésiques”, mais surtout une manière pour elle de s’assurer que les touristes nombreux venant au sein de sa boutique, surtout en période d’été, ne viennent lui rappeler à sa mémoire la disparition de son cher Albert.

 

Une fois fait connaissance avec Gervaise et sorties de sa boutique, nous nous sommes dirigées vers la grande place de la cité. Là où siégeait fièrement une immense fontaine sertie de statues de faunes à ses 4 extrémités. Mathilda m’a expliqué que ces créatures étaient en quelque sorte les gardiens de la cité, suivant une vieille légende. Dans des temps très anciens, ces faunes avaient aidé la ville d’une attaque de brigands. La cause en étant le sauvetage d’un jeune marcassin dans les bois jouxtant la cité par l’un des habitants. Un geste qui avait été fort apprécié par ces protecteurs de la forêt. Ils ont voulu honorer le geste du jeune homme, auteur du sauvetage, en l’aidant à leur tour. On dit que les faunes ont levé une armée d’animaux pour faire fuir avec effroi les bandits. Ceux-ci ne sont jamais revenus. En mémoire de cet acte, la ville a attribué plusieurs noms d’animaux à des lieux divers, fait ériger des sculptures sur les charpentes de maisons ou les devantures de magasin. Tout cela en plus des grandes statues autour de la fontaine.

 

Bien sûr, ce n’était, à priori, qu’une vieille histoire comme il y en avait tant d’autres ailleurs. Malgré ça, moi qui aimais profondément tout ce qui touchait les animaux, j’ai particulièrement aimé cette légende. Je n’imaginais pas à ce moment à quel point ce qui semblait être une histoire touchante et pleine de charme possédait en elle un fond de vérité. Je vous rassure : je n’ai pas rencontré les faunes de la légende. Mais aujourd’hui, en y repensant, je me dis qu’ils ont peut-être été à l’origine de ce qui s’est déroulé par la suite lors de cette journée, me faisant devenir la détentrice de serviteurs dévoués corps et âmes à ma protection. Le comportement de ces petits êtres qui allaient me suivre partout où que j’aille dans les années à venir, usant d’actes tels pour me défendre que je n’aie jamais eu à souffrir de malveillance de qui que ce soit, je reste persuadé que c’est le présent dont m’ont fait don ces faunes en récompense de mon geste de bravoure envers ceux qui deviendrait mes gardes du corps personnels. Bien que responsables de mesures de protection aussi sauvages que violentes, et même sanglantes dans bien des cas. Ce qui me vaudrait une réputation quelque peu spéciale au sein de ma ville natale de Blois.

 

Il devait être environ 4 heures de l’après-midi. Mathilda et moi venions de finir de nous goinfrer des gâteaux offerts par Mme Gervaise, quand nous avons assisté à une scène que je qualifierais de détestable. Presque un crime pour moi qui suis une fervente partisane du respect envers les animaux. A une centaine de mètres de la fontaine se trouvait un grand chêne. Je n’ai pas tout de suite réagi au départ, ne sachant pas l’objectif visé par le jeune garçon se trouvant devant l’arbre. Il tenait dans sa main un lance-pierres et montrait un acharnement visible sur une cible que je ne parvenais pas à définir de là où j’étais. La distance était trop grande. Cependant, mes sens ont été alertées par des croassements persistants, semblant venir de toute évidence du même lieu où était posté l’agresseur. Appelez-ça un instinct ou je ne sais quoi, mais j’ai très vite suspecté que les cibles de ce qui apparaîtrait comme l’enfant d’un couple de touristes étrangers étaient des oiseaux. De toute évidence des corvidés. Je me suis ruée sans presque réfléchir vers le lieu du crime, surprenant Mathilda qui hurlait dans mon dos pourquoi je partais comme ça.

 

Une fois sur les lieux, ce que je soupçonnais se montrait à moi. Le jeune garçon, qui devait être un peu plus jeune que moi, s’en prenait à un couple de corbeaux. L’un montrait manifestement les signes d’une aile cassée, si j’en jugeais à son incapacité à s’enfuir par les airs. Son compagnon croassait sans discontinuer, s’adressant visiblement à l’agresseur de ce qui se révèlerait être sa femelle, lui-même semblant être blessé à une patte. Le sang sur le sol ne me permettait pas de douter là-dessus. D’autres personnes présentes ont réagi par la suite, alors que je m’étais interposé entre le couple de corbeaux et l’agresseur, sommant d’arrêter à ce dernier. Celui-ci, pour toute réponse, bien que je ne comprisse pas ce qu’il disait, montrait des gestes d’énervement. Comme pour me signifier de me retirer de là où j’étais. Je pense qu’il était allemand ou autrichien, au vu de l’accent et la sonorité de la langue, mais je n’en suis pas sûre.

 

Devant mon refus de bouger, alors que je recommençais à lui demander d’arrêter, le garçon m’a tiré une pierre dans le genou. J’ai hurlé de douleur, mais j’ai tenue bon et n’ai pas bougé, prenant soin à ce que les corbeaux restent à l’abri des tirs, derrière moi. Après ça, j’ai vu un homme s’emparer de l’arme du garçon, tout en montrant une grande colère dans ses yeux sur son acte inqualifiable. Le gamin s’est mis à hurler et pleurer, semblant demander qu’on lui rende son lance-pierres et devenant très agressif. Il donnait des coups de pied à l’homme, avant qu’il soit maîtrisé par d’autres personnes témoins de la scène. Juste après, sans doute alerté par les cris de leur fils, un couple est sorti d’une boutique proche. Ce dernier montrait des expressions de colère en voyant leur enfant pris à partie par un nombre conséquent d’hommes et de femmes, indiquant à leur tour leur mécontentement sur les actes du jeune délinquant juvénile.

 

L’une des femmes ayant assistée à la scène, parlant apparemment le même langage que le couple et le garçon, s’est adressée aux parents et leur expliqua la situation. J’ai vu le père froncer les sourcils en regardant son fils, le prenant par le bras l’instant d’après, et s’adressant à lui de manière très vive. Je n’ai pas compris ses mots, mais il était évident qu’il était très en colère. De manière calme, il a demandé à récupérer la fronde de son fils, qu’il s’est empressé de briser sous les yeux de son fils. Celui-ci a redoublé de pleurs. La mère, resté en retrait, n’a pas bougé d’un poil, montrant clairement son approbation concernant le geste de son époux. Je l’ai vue discuter avec l’autre femme parlant sa langue, semblant se confondre en excuses, baissant la tête. Puis Mathilda est finalement arrivée sur place et s’est précipitée vers moi. Elle a montré un air affolé en voyant ma blessure au genou, causée par la pierre projetée par le garçon quelques instants plus tôt.

 

Au même moment, le père du garçon s’est approché de nous, et, usant d’un français approximatif, s’est excusé pour les actes de son fils. Il a insisté pour payer les soins me concernant, mais aussi pour les corbeaux que j’avais sans doute sauvé d’une mort certaine si je n’étais pas intervenu. Si le garçon avait visé la tête de l’un et l’autre, nul doute que cela aurait causé quelque chose de plus grave encore que les plaies qu’ils montraient. Le père a discuté avec l’homme qui avait confisqué le lance-pierre et arrêté le geste du garçon. J’ai cru comprendre qu’il était vétérinaire et s’est engagé à soigner les corbeaux sans que le père, montrant un air désolé de la situation, n’ai à débourser quoi que ce soit. Puis, le même homme s’est dirigé vers moi, me demandant comment allait mon genou, l’a examiné, et m’a rassurée en me disant qu’il n’y avait rien de grave. Juste une écorchure. Un peu de mercurochrome, un désinfectant, un pansement et ça disparaîtrait très vite.

 

Par mesure de sécurité, il sollicita de ma part de me lever afin de vérifier si je n’éprouvais pas de gêne à marcher. Je suivis ses conseils, fis quelque pas dans un but de vérification, mais passé le choc du projectile reçu, je ne ressentais plus de douleur. L’homme a souri, montrant un air satisfait. Il m’a demandé, ainsi qu’à Mathilda, toujours inquiète malgré tout de mon état, de veiller à ce que personne d’autre ne s’approche des corbeaux, le temps qu’il se rende à son cabinet proche pour récupérer ce qu’il fallait pour les transporter. Je hochais la tête en réponse, encore un peu secouée de tout ça. Quelques minutes après, alors que la foule de badauds commençait à s’éclipser et que le couple avec leur fils était parti, non sans que le fautif de ces troubles continuât à se faire enguirlander sévèrement, le vétérinaire est revenu. Il avait une cage à la main. Il s’est employé à prendre délicatement les corbeaux avant de les glisser à l’intérieur. Ils semblaient plus sereins, montrant un calme envers l’homme qui m’a vraiment surprise. Comme s’ils indiquaient avoir une totale confiance en lui.

 

Pendant qu’il emmenait les oiseaux avec lui, il tendait une carte de visite à Mathilda. Il précisait de ne pas hésiter à l’appeler dès le lendemain pour prendre des nouvelles de mes protégés, affichant un grand sourire, et me félicitant de mon geste très courageux. Sur la carte il était indiqué Docteur Norman. Mathilda et moi on est reparties en direction de la maison de ma tante, où on a tout expliqué sur ce qui s’était passé. Ma mère a presque blanchie du visage en voyant ma petite blessure. A ses yeux, c’était comme si on m’avait coupé un bras. Mon père a dû la rassurer, pendant que ma tante s’est employée à me soigner, aidé de Mathilda. Celle-ci a insisté pour servir d’assistante-infirmière, selon ses propres mots. Sur les conseils d’Eulalie, je suis restée quelques jours sur place, le temps de vérifier qu’il n’y avait pas de séquelles à ce que j’avais subi. Je n’ai pas tout compris, mais je pense qu’elle parlait plus de conséquences psychologiques que de la blessure en elle-même. Cette dernière étant somme toute bénigne.

 

Mes parents ont accepté. Avec le sourire, ma tante a précisé que ce serait l’occasion pour eux deux de faire de petites sorties en amoureux, sans la présence de leur petite aventurière, en me désignant discrètement du coin de l’œil. Ce qui a fait sourire mon père de manière flagrante. J’ai presque compris que ma mésaventure l’arrangeait presque. J’ai préférée ne pas savoir ce qu’il avait en tête à ce moment-là, alors qu’il regardait le visage de ma mère d’un air malicieux. Ce à quoi celle-ci répondit à voix basse, non sans rougir quelque peu, parvenant à peine à cacher sa gêne sur les sous-entendus de mon père. Je suis resté 4 jours chez ma tante. Ce qui ravit Mathilda, trop heureuse de profiter de ma présence un peu plus longtemps que prévu. Ma blessure est vite devenue un simple souvenir. Je ne me rendais même pas compte de sa présence les jours d’après, alors que je suivais mon amie dans d’autres escapades moins risquées. J’ai demandé à ma tante d’appeler le vétérinaire pour prendre des nouvelles des corbeaux que j’avais sauvés. Elle prit soin de s’assurer du bon rétablissement de ceux-ci chaque jour en téléphonant au Dr. Norman. Le vétérinaire précisa qu’il faudrait quelques semaines avant de pouvoir relâcher les blessés dans la nature.

 

La patte du mâle a vite été guéri, mais pour l’aile cassée de la femelle, ce qui confirmait l’impression que j’avais eu le jour de l’agression, ça prendrait un peu plus de temps. Le Dr. Norman avait bien tenté de laisser partir le mâle, vu qu’il allait mieux, le temps que sa femelle soit complètement guérie de sa blessure. Mais ce dernier a refusé de sortir de la cage et laisser sa compagne seule. Ce que je trouvais très attendrissant, car montrant une attitude presque humaine. Quand je suis partie de chez ma tante, afin de revenir auprès de mes parents, j’ai promis à Mathilda de revenir la voir souvent. Il nous restait deux semaines à profiter des congés de mon père, et mes parents se sont arrangés avec ma tante pour que je reste deux ou trois jours chez elle à d’autres occasions. Je profitais largement de ce temps pour renforcer mon amitié avec Mathilda au fil de ces journées. J’ai même rencontré ses parents au cours d’un dîner organisé par ma tante. Ils avaient appris mon “geste héroïque” envers les petits corbeaux, et m’ont félicité à mon tour. Je ressentais un peu de gêne à toutes ces paroles dithyrambiques. A mes yeux, je n’avais pas fait grand-chose. Sinon obéir à mon instinct de protection envers des petits êtres faibles et sans défense, s’étant retrouvés face à un agresseur n’ayant montré aucun remords à s’en être pris à eux. En mon for intérieur, j’espérais que le garçon avait été bien puni par ses parents après ça…

 

Finalement, la fin de l’été arriva, et je me suis retenue de pleurer pour dire au revoir à Mathilda. Je sentais que c’était identique de son côté. Ses parents ont fourni leur numéro aux miens, à l’issue d’un barbecue où nous avions tous été conviés pour fêter l’expansion de cette petite famille. De cette manière, je pourrais appeler pour converser avec Mathilda quand je voudrais. Et… comment dire… Je crois que la note de téléphone de part et d’autre a été très élevée, vu le nombre de fois où on s’appelait toutes les deux par la suite. Le jour du départ, ma tante m’a précisé que le couple de corbeaux avait été relâché par le vétérinaire. L’aile de la femelle s’était remise plus rapidement que prévu, à son grand étonnement. Il a même ironisé sur le fait que ces corbeaux devaient venir d’un autre monde pour guérir aussi rapidement en ayant de telles blessures. J’étais contente qu’ils aillent mieux, et mon histoire aurait pu en rester là. Mais ce ne fut que le commencement. Car, sur le chemin du retour, j’ai cru apercevoir la présence des mêmes corbeaux à plusieurs reprises.

 

Tantôt perchés sur les branches d’un arbre, sur le toit d’une maison, ou l’auvent d’une caravane située sur l’aire de repos où nous avions fait halte, le temps d’une petite heure. Je me disais que je me faisais des idées. A l’heure qu’il était, il devait avoir repris leurs occupations d’oiseaux, sans doute dans la forêt proche de Rignac. La petite ville où toute cette histoire s’était déroulée et m’avait permis de nouer une relation durable d’amitié avec celle qui deviendrait une sorte d’âme sœur. Elle me rejoindrait à Blois des années plus tard, une fois atteinte sa majorité, suivant des cours dans la même université que moi. Le jour de nos retrouvailles a été un grand moment. On a fait une de ces fêtes. L’une de celles dont on se souvient toute sa vie. Mais pour revenir à ce qui s’est passé lors de ce voyage de retour, j’ai été très troublée de la présence continuelle de plusieurs corbeaux à divers endroits. Et ce, pendant tout le trajet. Même arrivée à Blois où j’allais reprendre mon train-train quotidien, j’ai eu la sensation de les revoir.

 

Je sais que ça peut paraître stupide, mais j’avais vraiment de plus en plus l’impression qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence, que ce n’étaient pas plusieurs corbeaux différents. Leur attitude, leur regard fixé vers tous les endroits où je me trouvais, la couleur de leurs becs… Oui, un truc que j’ai oubliée de préciser : les deux oiseaux avaient une particularité. Leur bec possédait une petite tache blanche. Sur le côté de la narine droite pour le mâle, sous la narine gauche pour la femelle. C’était quelque chose qui m’avait paru étonnant. C’était la première fois que je voyais des corbeaux possédant cette particularité. Quand ils étaient positionnés de loin, je ne pouvais évidemment pas percevoir s’ils avaient ces caractéristiques. En revanche, lors de l’arrêt à l’aire de repos, j’ai bien cru voir les mêmes taches sur leur becs respectifs. Quand j’ai voulu m’approcher, afin de vérifier s’il s’agissait bien d’eux, ma mère m’a appelée au même moment. J’ai alors tourné la tête pour lui répondre. Quand j’ai levé les yeux à nouveau vers l’endroit où ils étaient postés l’instant d’avant, il n’y avait plus rien. J’ai d’ailleurs cru que je n’avais fait que rêver leur présence.

 

Mais à Blois, j’ai vu des corbeaux identiques, taches comprises, se montrer parfois sur un arbre vu de ma chambre, le toit d’une voiture en partant à l’école, ou près du grillage entourant le stade de football lors de mes promenades. Vous allez me dire : c’est peut-être juste mon cerveau qui a voulu me persuader qu’il s’agissait des mêmes corbeaux, et qu’en fait ceux que j’ai aperçus à de nombreux endroits étaient vraisemblablement des volatiles tout à fait communs. Sans taches distinctives pouvant me faire croire que ce couple avait parcouru autant de kilomètres pour me suivre. Et d’ailleurs, dans quel but ? C’était idiot. Dans aucun livre traitant des habitudes des corvidés, dans aucun documentaire, je n’avais eu connaissance d’un comportement pouvant faire supposer une telle attitude. Peut-être voulaient-ils me remercier pour les avoir sauvés me direz-vous ? C’est ce que j’ai pensé aussi, avant de me persuader que ça n’avait aucun sens. Ce n’étaient pas des chiens ou des chats cherchant à rejoindre leur maître. A leurs yeux, après tout, je n’étais qu’une simple humaine. Certes j’avais, d’un certain point de vue, été leur héroïne si l’on peut dire, le temps d’un après-midi. Mais je doutais que de simples corbeaux puissent développer une reconnaissance aussi développée. Même s’agissant d’une espèce à l’intellect puissant.

 

Au bout d’un moment, j’ai cessé de m’interroger. La présence à Blois de corbeaux montrant des particularités proches de ceux que j’avais sauvés à Rignac ne pouvait être que le fruit de mon imagination. Quelque chose en moi, empreint d’une logique nourrie aux dizaines de livres lus sur les oiseaux et leurs comportements vis-à-vis de l’homme, voulait m’en persuader. Pendant qu’une autre partie de mon cerveau gardait des doutes sur l’éventualité d’un tel comportement de la part de corbeaux. J’ai vécu plusieurs mois sans ne plus songer à ça, continuant de vivre mon quotidien, tout juste interrompu par mes longues conversations avec Mathilda au téléphone. A force d’insistance, j’ai fini par faire accepter à mes parents la nécessité pour moi d’avoir un portable. Soulignant que ça leur coûterait moins cher que la ligne fixe, et qu’ils n’auraient plus à entendre nos “secrets de fille” comme ils disaient. De leur côté, les parents de Mathilda ont fait de même, cédant eux aussi aux demandes incessantes de leur fille, qui avait recours à des “opérations boudage” à chaque refus. On était très fières toutes les deux d’avoir fait craquer nos “vieux”, et on pouvait avoir libre cours pour parler de tout et n’importe quoi. Ceci sans risquer de choquer nos parents sur nos discussions enflammées, portant principalement sur les mecs les plus mignons de nos écoles respectives.

 

Il n’y avait pas une journée sans que moi ou elle ne nous appelions. Toutefois, pour préserver une certaine intimité auprès de nos proches, on s’était malgré tout imposées des barrières. On ne s’appelait qu’en fin de journée, juste après les cours, et jamais le week-end. Ça nous permettait, l’une et l’autre, de profiter pleinement de sorties avec nos amis ou nos parents. Au bout de deux mois, j’ai compris que mes impressions de départ concernant le voyage effectué par les corbeaux de Rignac, dans un but que j’ignorais encore à ce moment, n’étaient pas usurpées. C’est là que j’ai compris le rôle qu’ils s’étaient adjugé me concernant, en retour de mon geste salvateur. J’ai repensé à la légende des Faunes protecteurs de la cité, racontée par Mathilda. J’ai été témoin de ce que mes défenseurs ailés ont exécuté, sous mes yeux. J’ai bien reconnu leurs taches sur leurs becs. C’étaient bien les mêmes :  je ne pouvais pas me tromper. De la même façon que je les avais sauvés, ils ont alors agi en tant que protecteur pour moi ce jour-là. Mais il ne se sont pas arrêtés à ce simple coup d’éclat qui a fait la une des journaux. Ce qui m’a attribué une réputation de reine des corbeaux par la suite. A cause des nombreux actes de leur part, toujours dans un souci de me protéger de ce qu’ils considéraient comme des menaces selon leur point de vue. Ma vie ne fut plus jamais la même dès la première intervention de Matthew et Thethys, le nom que je leur ai attribué. Je les ai nommés ainsi en référence à mon comics préféré : “Sandman”. L’œuvre de Neil Gaiman où figurent deux corbeaux portant ces appellations...

 

A suivre…

 

Publié par Fabs

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