30 sept. 2020

LA POUPEE

 


 

Une complicité, quand elle est sincère, peut lier deux êtres que tout oppose en une fusion inaltérable avec le temps. C’est comme la fleur et sa feuille, l’arbre avec son fruit. Deux parties, à priori très opposées, mais qui ne peuvent concevoir d’être séparés l’un de l’autre. Mais certaines complicités peuvent amener à des vœux ou des choix que l’on vient à regretter amèrement. Et ces mêmes choix malheureux créent un lien d’autant plus fort qu’il devient totalement indissociable entre l’une et l’autre partie. Quel que soit le nombre des années, si ce lien vient à se briser, les conséquences peuvent vite être désastreuses. Nul besoin que cette relation très particulière intervienne entre deux personnes. Un humain peut parfaitement nouer ce type de lien avec un objet au demeurant très commun, du moins en apparence. Et quand ce même objet est porteur de spécificités propre à susciter l’intérêt dans un premier temps pour son heureux propriétaire, les mêmes caractéristiques peuvent également amener à la peur et l’effroi, quand on trahit la confiance de l’autre. C’est la triste expérience de Whitney, qui a eu maille à partir avec un souvenir de son passé dont elle a voulu s’exorciser en s’en débarrassant, pensant que les histoires dont elle se rappelait concernant ledit objet n’était vraisemblablement que des fariboles d’enfant, au même titre que d’autres s’invente un ami imaginaire pour pallier à l’absence de parents trop pris par leur travail. Mais ce n’est pas un ami imaginaire qui a changé la vie de Whitney alors qu’elle n’était qu’une jeune enfant, loin de là. C’est un objet bien réel, qui s’est avéré être une véritable amie, une confidente comme nulle autre avant elle, mais aux instincts bien plus dangereux qu’elle ne l’aurait supposé de prime abord.

 

Tout a commencé alors que la jeune Whitney allait bientôt fêter ses 15 ans au sein de la maison familiale. Une fête bien morne, à la vérité, car Whitney, de par sa nature assez taciturne, avait peu d’amies, et seule 3 d’entre elles avaient répondues à l’appel. Ce qui, pour Whitney, était déjà énorme, car ce qui comptait le plus pour elle, c’était la vraie amitié, profonde et sincère. Pas celle que l’on donne par intérêt ou pour se faire bien voir par d’autres. Non. Ses 3 amies étaient des vraies de vraies, sans doute parce qu’elles partageaient les mêmes angoisses et plus ou moins les  mêmes ennemies. Ou quelque chose d’assimilé. En l’occurrence toutes les filles qui tournaient autour du beau Tony, un playboy incontestable, malgré ses presque 17 ans. D’ailleurs, le vrai problème venait de là. Ces 2 ans d’écart qui faisait que Tony les ignorait totalement, comme si aucune d’entre elle n’existait. Mais malgré ce comportement de bellâtre en herbe, cela n’empêchait le groupe d’amis d’inclure ce dernier dans la plupart de leurs conversations.

 

Mais aujourd’hui, ce qui était sur toutes les lèvres, ce n’était pas leurs petits soucis amoureux, mais plutôt la nature du cadeau du grand-père de Whitney. Ce dernier lui avait annoncé par téléphone qu’il lui amenait un cadeau exceptionnel, à la hauteur des qualités de sa petite fille adorée. Des mots qui avaient fait monter en la jeune fille une curiosité grandissante, de même que ses amies à qui elle avait confié cette nouvelle. Il faut dire que le grand-père de Whitney n’était pas n’importe qui. C’était un peu la star de la famille, en plus d’ être le membre familial qui ressemblait le plus à un vrai père pour elle. Le père de Whitney était mort dans un accident de voiture alors qu’elle était encore très jeune, et sa mère dut alors travailler double pour parvenir à survivre et subvenir aux besoins de leur petite famille brisée par ce malheur. Et le grand-père fit office de « remplaçant » pour s’occuper de sa petite fille, et permettre à sa fille de travailler. Pour cela, il avait fait le sacrifice de sa vie tumultueuse d’aventurier, afin de s’occuper au mieux d’elle. Il en avait été ainsi jusqu’à il y a environ 3 mois. Une date importante, car c’est là que Philip, le grand-père de Whitney, avait reçu une proposition qu’il n’aurait jamais cru avoir. Passionné de culture amérindienne, et particulièrement du Pérou, où il avait eu l’occasion de nombreuses expéditions, on lui avait proposé de participer à une aventure un peu particulière, puisqu’il s’agissait d’explorer un temple inconnu, près du Temple de la Lune, à Huayna Picchu, grâce à une inscription découverte sur une pièce inexplorée du « Huaca de la Luna ».

 

La perspective de repartir au Pérou, et plus encore pour découvrir un temple inconnu jusqu’alors avait fait briller les yeux de Philip si fort qu’il eut du mal à cacher sa joie. Mais il y avait un obstacle de taille : il ne pouvait laisser sa fille en plan et trahir sa promesse de s’occuper de sa petite fille pendant son travail. Mais celle-ci, qui avait surpris la conversation, l’avait devancé. En voyant les lumières dans les yeux de son père, et au vu du nombre d’années qu’il avait déjà sacrifié à sa passion pour elle, sa fille lui annonça qu’elle allait poser quelques congés, pour lui permettre de partir au Pérou. Au départ un peu réticent, ce dernier dut faire face au visage réprobateur de sa fille qui insistait pour lui faire ce plaisir bien mérité, au regard de ce qu’il avait fait pour elle depuis tant d’années.

 

Alors, il est parti. 3 longues semaines au plus profond de la jungle péruvienne à la recherche d’un nouveau pan de la civilisation propre au Machu Picchu. 3 semaines qui permirent à Whitney et sa maman de renouer avec une relation qu’elles n’avaient plus connues depuis bien des années. Philip ne pouvant donner de ses nouvelles pendant tout ce temps, Mary, la mère de Whitney, était régulièrement dans l’angoisse, se demandant sans cesse si elle avait bien fait de le laisser partir pour une telle expédition à son âge. Mais c’était mal connaître le fougueux aventurier qui  n’avait rien perdu de sa splendeur d’antan, à une époque où il faisait souvent les « unes » des journaux, du fait de ses découvertes en Amérique Centrale et du Sud. Et la veille de son anniversaire, il avait téléphoné pour annoncer le succès de son expédition, et qu’il avait hâte de leur raconter tout ça à son retour le lendemain, pile à l’heure pour l’anniversaire de sa petite fille préférée, comme il aimait en faire la plaisanterie, sachant pertinemment qu’il n’en avait qu’une, et que c’était la raison pour laquelle il la chérissait tant. C’est là qu’il avait annoncé qu’il ramenait cette fameuse surprise pour Whitney. Un cadeau particulier qu’il avait trouvé lors de ses recherches au sein du temple inconnu, dédié à un dieu non moins inconnu dans la mythologie péruvienne. Il avait dû batailler pour obtenir le droit de ramener cet objet face aux autorités réticentes. Finalement, il avait eu gain de cause, du fait de ses antécédents et du respect que ce dernier avait toujours témoigné lors de ses précédentes expéditions dans le pays.

 

Le moment approchait où son grand-père et son fameux cadeau allait franchir le pas de la porte, et Whitney ne tenait plus en place, fixant la pendule au-dessus de la porte tous les ¼ d’heure, impatiente à la fois de revoir enfin son grand-père et de découvrir le fameux cadeau. Puis, vint le moment attendu. A peine Philip avait dépassé l’encablure de la porte, que Whitney se jeta dans ses bras, manquant de le renverser, sous l’œil amusé de sa mère. Après s’être rendu dans le salon et installé sur le canapé pour un repos bien mérité, Philip se retrouva à subir bientôt un nouvel assaut de sa petite fille, qui attendait fébrilement son cadeau, sous le regard curieux de ses amies, restées en retrait pour ne pas gêner leurs retrouvailles. Malgré une petite remontrance de la part de sa mère, pour cette demande inadaptée, alors que son grand-père venait à peine de rentrer d’un long et fatiguant voyage, Philip fit un geste de la main, comme pour dire que Whitney avait raison. Après tout, cela faisait déjà près de 24 heures qu’elle attendait ce présent. Elle méritait bien d’être récompensée de son attente.

 

L’aventurier plongea les mains dans son sac à dos, qu’il avait auparavant déposé à ses pieds, et en sortit un poncho coloré, à l’intérieur duquel se trouvait le fameux cadeau. Un cadeau à la hauteur de l’attente, tellement Whitney semblait émerveillée. Il s’agissait d’une poupée. Mais une poupée comme celle-là, Whitney n’en avait jamais vue auparavant. Vêtue d’une sorte de long châle de couleur jaune, recouvrant la moitié de son corps, allant de son épaule droite jusqu’à son pied gauche, ne laissant qu’une partie de son ventre et de sa jambe droite à découvert, la poupée possédait des sortes de bracelets sertis de gemmes colorés aux deux mains. 2 à chaque poignet. Son visage était de couleur sombre, comme typé au teint des habitants du pays d’où elle venait, avec de longs cheveux noirs, coiffés en tresses. Un peu comme une indienne, type Pocahontas, un personnage que Whitney aimait beaucoup depuis qu’elle avait découvert le film Disney, relatant son histoire. Elle possédait aussi un collier en perles noires, ou du moins, cela ressemblait à des perles, mais son grand-père lui expliqua que cela représentait des œufs de condor, mais qu’il ignorait pourquoi ils étaient de cette couleur, les œufs de ce majestueux volatile étant blancs, comme beaucoup des oiseaux. Philip expliqua qu’il avait été étonné de trouver une poupée comme celle-ci dans un temple, mais le plus étonnant, c’était la texture de la représentation de la peau et du visage, qui était polie. Ce qui était plutôt inhabituel, les autres poupées qu’il avait eu l’occasion de voir fabriquées dans le pays, étaient plutôt légèrement craquelées, du fait de leur nature en terre, pour la plupart d’entre elles. Celle-ci semblait avoir été destinée à une fonction particulière, et il avait interrogé certains indigènes vivant à proximité du Machu Picchu, pour savoir s’ils connaissaient son origine. C’est d’ailleurs à cause de cette particularité de texture que les autorités ont acceptés de lui laisser la poupée, car, elle ne correspondait pas aux « standards » de la culture péruvienne, tels que les instances culturelles du pays la connaissait. Mais les indigènes en savaient un peu plus sur elle que les représentants culturels du pays. Philip expliqua que cette poupée était une poupée magique, investie des pouvoirs du Dieu Pachacamac, l’une des divinités de la création au Pérou. Toute personne voulant bénéficier de sa protection devait signifier sa dévotion en versant quelques gouttes de son sang sur la chevelure de la poupée. A partir de là, son propriétaire voit tous ses vœux exaucés, dans la limite qu’ils puissent être réalisable pour un humain. Cependant, les indigènes l’avait prévenu qu’une fois le lien accompli, il ne pouvait plus être défait jusqu’à la mort. Et que si l’on trahissait ce lien en tentant de se débarrasser de la poupée, celle-ci se vengerait de l’affront subi.

 

Voyant sa fille un peu effrayée par cette histoire, Philip la rassura en lui disant que ce n’était, après tout, qu’une simple légende, et qu’il ne fallait pas lui prêter foi. Il n’avait fait que raconter ce que les indigènes lui avaient dit. Whitney, après avoir déposé un énorme baiser à son grand-père en le remerciant pour ce très beau cadeau, se hâta d’aller faire voir sa poupée à ses amies, qui  s’extasièrent à leur tour de sa beauté particulière. Tout le reste de la journée se passa autour de la poupée, à la grande joie de son grand-père, tout heureux de lui avoir fait autant plaisir. Puis, le soir venu, et après que ses amies soient reparties chez elles, raccompagnées par Philip, Whitney demanda à aller dans sa chambre, car elle était fatiguée, et n’avait pas très faim, à force de s’être gavée de gâteau le reste de la journée. N’y voyant pas d’inconvénient, Mary accepta en lui adressant un grand sourire. Whitney se dépêcha de monter jusque dans sa chambre, et ferma précautionnement la porte derrière elle. Là, elle montra la poupée qu’elle décida d’appeler Pachacamac, en référence au Dieu dont lui avait parlé son grand-père, à ses autres poupées.

 

Puis, après s’être mise en pyjama, et prête à se coucher, elle se rappela l’histoire racontée par son grand-père, et décida de voir si cette légende était réelle, car elle voyait plusieurs vœux qu’elle aimerait bien demander à la poupée de réaliser, même si elle ne croyait que moyennement à cela. Mais cette légende la fascinait. Alors, elle prit une aiguille lui servant à accrocher l’un de ses posters au mur, et se piqua le doigt, non sans retenir un petit cri de douleur, et laissa couler quelques gouttes sur la chevelure de la  poupée. Mais rien de particulier ne semblait se passer. Un peu déçue, Whitney haussa les épaules en se disant que ça n’était pas grave si elle n’exauçait pas les vœux, après tout. Elle la trouvait très belle, la plus belle de toutes ses poupées, et elle l’adorait déjà. Elle prit Pachacamac avec elle, et se coucha, après avoir éteint la lumière. Plus tard dans la nuit, pendant à nouveau à la légende de la poupée, elle se mit en position assise sur son lit, mit la poupée devant elle, et fit le vœu que Tony tombe amoureux d’elle. Riant de ce vœu un peu saugrenu, car elle savait qu’il n’avait aucune chance de se réaliser, elle se rendormit aussitôt après d’un profond sommeil, satisfaite néanmoins de l’avoir fait.

 

Le lendemain, après avoir mangée son petit-déjeuner, Whitney prit le chemin pour aller à l’école. Une fois sur place, elle retrouva ses amies, mais ne leur dit pas ce qu’elle avait fait sur la poupée, de peur de passer pour une idiote à leurs yeux. Tout en bavardant entre elles, elles ne s’aperçurent pas que que Tony, le garçon qui mettait en extase la plupart des filles de l’école, se dirigeait vers le petit groupe. Arrivé à leur hauteur, Tony, à la surprise de tous, demanda à Whitney si elle voulait bien devenir sa petite amie, qu’il n’avait jamais osé lui dire jusqu’à présent, de peur de passer pour un imbécile, mais qu’il l’avait toujours aimé depuis longtemps. Alors que ses 3 amies étaient quelque peu sous le choc, comme une grande partie des filles présentes dans la cour, et qui avaient assistées à la scène, Whitney restait sans voix, en pensant à son vœu, mais ne sachant que dire, sans trahir son acte de la nuit précédente. Elle se contenta de dire un petit « Oui. Je veux bien », avant de se voir gratifié d’un baiser sur la joue de Tony, qui la remercia d’avoir accepté, avant de repartir vers le groupe de ses potes, tout aussi étonnés de son choix, mais n’osant lui en parler.

 

Bien évidemment, le choix de Tony ne plut pas à tout le monde, et notamment l’une des filles, connue pour être celle qui avait auparavant les faveurs de Tony, s’approcha et renversa Whitney à terre, en lui intimant l’ordre de ne plus s’approcher de Tony. Cependant, ce dernier, témoin de la scène, s’interposa et demanda à Lucy, celle qui avait renversée Whitney, de ne plus jamais lui adresser la parole. Celle-ci-, vexée repartit, avant que la cloche de l’école sonna pour indiquer le début des cours. Le reste de la journée, comme les suivantes, fut le début d’un rêve pour Whitney, objet de toutes les attentions de la part de Tony, qui s’était transformé en véritable Prince Charmant, lui offrant régulièrement des cadeaux, l’invitant à la cafétéria en tête à tête et autres activités. Whitney était ravie de cette situation, et, par la suite, elle fit d’autres vœux à Pachacamac. Certains innocents, comme demander une bonne note à une interrogation, d’autres plus méchantes, comme faire tomber dans la boue Lucy, qui se moquait d’elle régulièrement, ou lui faire pousser des boutons sur le visage, devenant la risée de toute l’école. A un tel point qu’un jour, on apprit que Lucy avait déménagée avec ses parents, pour qu’elle puisse subir une opération spéciale pour lui faire enlever ces boutons apparus de manière inexplicable. Seulement, si personne ne se doutait de la vérité, ses amies, elles savaient la vérité, ou plutôt l’une d’entre elles, Daphné, la seule à savoir la légende à propos de la poupée, et surtout la seule à qui elle avait confiée avoir pratiquée le rituel pour obtenir les faveurs de Pachacamac. Daphné était très en colère de ce que Whitney avait fait subir à Lucy. Cette dernière avait beau être une peste, elle n’avait pas méritée un tel traitement. Sous le coup de la colère, Whitney lui avait dit de se mêler de ses affaires, que cela ne la regardait pas. Alors, Daphné lui dit que le lendemain, elle irait tout raconter à son grand-père, et qu’il la punirait pour ce qu’elle avait fait. Et aussi qu’elle pouvait dire adieu à Pachacamac, parce qu’une fois que son grand-père apprendrait la vérité, il lui enlèverait sûrement.

 

Un peu déboussolée par la menace de Daphné, la tristesse de Whitney se transforma en colère, puis en haine envers son ancienne amie. A la nuit tombée, sans faire attention que Pachacamac était à ses côtés, et que le moindre vœu fait en sa présence était, pour la poupée, une demande officielle, Whitney dit à  haute voix qu’elle voudrait que Daphné meure pour ce qu’elle s’apprête à faire, à savoir la séparer de sa poupée préférée. Elle pleura longuement, puis, se calmant, elle prit sa poupée avec elle, et s’endormit. Le lendemain, en arrivant à l’école, elle vit tout le monde dans la cour de l’école, rassemblée par les professeurs. Une fois les grilles fermées, le directeur expliqua que cette nuit, les parents de Daphné avaient retrouvés leur fille décédée dans son lit, comme si elle avait été étouffée dans son sommeil, sans que les médecins comprennent ce qui s’était passé. A l’annonce de cela, Whitney poussa un cri, faisant sursauter tout le monde. Beaucoup savaient que Daphné était une de ses meilleures amies, et tous avaient l’air désolés pour elle. Tous savaient la peine que devait avoir Whitney en ce moment, et, du coup, personne ne tenta de la retenir quand celle-ci s’enfuit hors de l’école.

 

Les jours qui suivirent, Whitney fut dispensé de retourner à l’école, le temps pour elle qu’elle se remette de la disparition de son amie, selon le désir du directeur de l’école, en demandant à sa mère et son grand-père de le prévenir dès que Whitney se sentirait prête à revenir. 3 jours après le décès de Daphné, Whitney prit sa poupée, et voulut la jeter par la fenêtre. Mais elle se rappela des paroles de son grand-père, disant que si on l’abandonnait, la poupée se vengerait de son propriétaire. Alors, Whitney réfléchit et décida de la garder malgré tout, mais que plus jamais elle n’exaucerait le moindre vœu en sa présence. Elle mit la poupée dans une boite en carton, et rangea le carton dans son armoire, le plus au fond possible, afin qu’elle ne puisse plus jamais nuire, en entendant d’éventuels faux vœux qu’elle exprimerait dans sa chambre. Pour être encore plus sûr, elle enveloppa la tête de la poupée d’un tissu et mit du coton dans ses oreilles. C’est ainsi que Pachacamac ne put plus exaucer le moindre vœu, mais resta néanmoins toujours auprès de Whitney, pendant toutes les années qui suivirent, même quand celle-ci devint assez grande pour quitter la maison et se prendre un appartement. 25 ans passèrent ainsi, et Whitney se préparait à changer de vie. Tony était toujours avec elle. Whitney n’avait jamais pu se résoudre à lui dire la vérité. De toute façon, il ne l’aurait jamais cru. Elle avait accepté sa proposition de venir habiter chez lui. Cela faisait 5 ans qu’il lui faisait cette demande, mais elle avait toujours refusé, lui prétextant qu’elle ne se sentait pas prête. La vérité, c’était qu’elle avait peur que la poupée, pour une raison ou une autre, soit découverte par Tony, que celui-ci la sorte de sa boite, et exauce un vœu par mégarde, même s’il ignorait le secret de celle-ci. Mais, les années passant, Whitney se dit qu’elle avait été ridicule tout ce temps passé de croire ces histoires. Plus elle y pensait, plus elle se disait, que les vœux n’étaient vraisemblablement que des coïncidences. D’ailleurs, quelques jours après le décès de Daphné, les médecins avaient découvert une malformation cardiaque à cette dernière, expliquant sa mort brutale. Tony avait vraisemblablement dit la vérité quand il avait dit qu’il n’osait pas avouer son amour de peur de passer pour un idiot. Et les autres vœux avaient sûrement tous une explication logique.

 

Il était temps pour Whitney de tourner la page, et de se débarrasser de son passé, du souvenir de Daphné et Lucy, et de tout le reste. Elle prit le carton de Pachacamac, et se rendit à sa voiture, où elle déposa le carton sur la banquette arrière. Une dernière précaution. Elle devait se rendre chez Tony ce soir, elle jetterait la poupée dans le container à poubelles à côté de chez lui, et ça en serait fini de ses angoisses stupides à propos de cette poupée, qui n’était qu’un simple jouet. Et un jouet ne peut pas faire de mal. C’était évident. Et elle se maudissait d’avoir gâché toutes ces années à croire le contraire. Aujourd’hui, elle vivrait déjà avec Tony. Mais ce soir, le mal sera réparé. Une dernière soirée en tête à tête chez lui, et dès demain, ils discuteraient ensemble du jour du déménagement. Après la soirée, elle rentrerait chez elle, car elle était très fatiguée, et elle avait besoin de dormir seule, juste ce soir, histoire de remettre tout ça en place dans sa tête. Tony comprendrait. Elle en était sûre.

Une fois chez Tony, comme elle avait prévu de le faire, elle se dirigea vers le container à ordures, ouvrit le couvercle, et, sans hésitation, lança le carton à l’intérieur. Après ça, elle alla cogner à la porte de chez Tony. Qui serait bientôt chez elle aussi.

 

Plus tard dans la nuit, Whitney quitta Tony, non sans lui avoir adressé un dernier baiser, et en lui disant à demain, pour préparer sa « migration », qu’ils avaient décidés de faire dans la foulée, sans attendre. Elle avait déjà bien trop attendu pour ça. A peine arrivée dans son appartement, Whitney se rendit dans sa chambre. Trop fatiguée pour prendre le temps d’une douche, elle s’affala sur le lit. Quelques minutes passèrent ainsi dans le silence le plus total. Et puis, une sonnerie retentit. Pourquoi le téléphone sonnait à une heure aussi tardive ? Est-ce qu’elle aurait oubliée quelque chose chez Tony ? C’était bien possible vu son niveau de fatigue. En même temps, elle devait revoir Tony dès demain, c’était idiot qu’il appelle pour ça. Et d’ailleurs, ce n’était pas dans ses habitudes. Curieuse de savoir qui était le mystérieux interlocuteur, Whitney décrocha le combiné. A l’autre bout du fil, une voix faible, comme enfantine lui dit :

« Je suis sortie de la poubelle. J’arrive bientôt. Pourquoi m’as-tu abandonnée ? »

 

D’un seul coup, la fatigue de Whitney s’était évanouie. Ce n’était pas possible. Ce ne pouvait pas être Pachacamac. Une poupée ne pouvait pas parler. Et encore moins se déplacer. C’était sûrement une mauvaise blague. Pourtant, personne ne l’avait vue jeter le carton contenant la poupée. Et personne ne connaissait, en dehors de sa mère et son regretté grand-père l’existence de celle-ci. Non, décidément, Whitney se disait que ce devait être le coup de la fatigue. Sûrement les paroles du film vu chez Tony qui était resté dans sa tête. Il n’y a pas eu de coup de fil. C’était dans son imagination. Malgré tout, Whitney décida de prendre quand même une douche. Ça lui permettrait d’avoir les idées plus claires avant de se coucher. Une fois sa douche prise, Whitney s’assit sur le rebord du lit, et se sécha les cheveux. Quand tout à coup, le téléphone sonna à nouveau.

 

« Cette fois, je suis bien réveillée. Qui ça peut bien être ? »

 

Sans appréhension,  Whitney décrocha. A nouveau, la même voix enfantine demanda :

 

« Je suis près de l’épicerie. Je suis bientôt là. Ce n’est pas bien ce que tu m’as fait. »

 

Cette fois, le visage de Whitney fut pris d’une terreur non dissimulée. Prise de panique, elle arracha le fil du téléphone, sans même se rendre compte de son geste. Complètement affolée, elle se rendit à la fenêtre, pour voir s’il y avait quelqu’un dehors avec un talkie-walkie ou quelque chose d’assimilé. Il lui semblait avoir lu quelque part que des petits malins étaient capables de trafiquer ces appareils pour se brancher sur des lignes téléphoniques. Ou alors c’était un gamin qui composait des numéros au hasard avec son portable. Oui. C’était sûrement ça. Comme s’ils n’avaient pas autre chose à faire que déranger les gens en pleine nuit. Elle referma la fenêtre, souriant de sa panique idiote. Elle se rassit sur le lit en observant le fil arraché de son téléphone fixe, et en se disant que Tony allait bien rire de lui demain. Ce serait peut-être l’occasion de lui dire qu’ils étaient ensemble à cause d’une poupée. Non. Il me prendrait pour une folle.

 

A peine s’était-elle prononcée ces paroles à elle-même, que cette fois, c’est la sonnerie de son portable qui se mit à résonner.

 

« Cette fois, c’est trop fort. Les plaisanteries à cette heure-là, même de la part d’un gosse, j’apprécie pas du tout ! »

 

Mais à l’autre bout de la ligne, mettant Whitney dans un état de grande frayeur, la même voix l’interpella :

 

« Je suis devant la porte. Je vais bientôt entrer. Tu vas payer pour ce que tu m’as fait subir, traîtresse ! »

 

Cette fois, Whitney semblait avoir le souffle coupé, comme tétanisée. Elle n’osait plus bouger, comme si elle était tombée dans une transe la paralysant de tous ses membres. Comme mû par un instinct inconnu, elle fouilla dans son sac et attrapa une boite d’anxiolytique, l’ouvrit et avala plusieurs cachets. Comme si le cauchemar allait s’effacer par cette action. Mais c’était inutile, et elle le savait, alors elle laissa tomber au sol la boite vide.  Et avant qu’elle ait le temps de se remettre de l’idée même de ce qui était en train de lui arriver,  elle vit la porte de sa chambre s’entrebâiller, laissant la lumière de celle-ci filtrer vers l’extérieur, et laissant entrevoir une petite silhouette qu’elle aurait reconnue entre mille, même si, à l’instant présent, elle ne pouvait y croire. D’un seul coup, elle se remémora son enfance : la déclaration de Tony, les contrôles réussis, les retards non punis par le directeur, les boutons de Lucy et surtout, la mort de Daphné. Tout était vrai. Elle n’avait rien inventé. Et ce soir, elle allait payer l’erreur d’avoir crue que tout ceci n’était que des histoires pour amuser les enfants. A peine eut elle le temps de déglutir qu’elle sentit sa gorge comme écrasée de l’intérieur. Puis, c’était comme si sa vie sortait de son corps, comme un filet blanc s’élevant au ciel pour fuir l’attraction terrestre, et enfin plus rien. Juste son corps tombant sur la couette de son lit.

 

Le lendemain, Tony, inquiet de ne pas avoir Whitney au téléphone, que ce soit le portable ou le fixe, qui sonnait étrangement occupé, se rendit à l’appartement de cette dernière, où il vit avec stupeur, que la porte était ouverte. Pris d’un pressentiment, il se précipita vers sa chambre, et en l’ouvrant, il se glaça d’effroi devant le spectacle devant ses yeux.  Whitney était là, allongée, juste vêtue de son peignoir, le visage blême, comme pris d’une terreur extrême, et à ses côtés, la plus belle des poupées qu’il ait jamais vu, noircie par la salissure, les yeux grand ouverts, comme si elle le fixait, le désignant peut-être comme son nouvel ami, à qui elle pourrait exaucer ses vœux à son tour. 

 

Publié par Fabs

UNE AMITIE PARTICULIERE

 


 

L’amitié. Vous connaissez tous ce sentiment permettant d’accorder deux êtres que tout semble opposer. Partage de goûts, de pensées, de sourires. Et la sensation que rien ne peut vous arriver tant que son ami est à ses côtés. Oubliant toute prudence. Jusqu’à l’extrème.

C’est cette même impression de sécurité qui a amené Steve jusqu’à cette plage qui allait sceller son destin. Un choix qui lui semblait judicieux, et surtout salvateur, car il allait lui permettre d’échapper à ses poursuivants. Mais Steve n’est pas ce que vous pourriez croire. Il n’est pas une obscure crapule cherchant à fuir les forces de l’ordre, à cause de ses actes défiant la loi. Non. Steve n’est qu’un jeune garçon de 15 ans. Maltraité, humilié par une petite bande de caïds de cour d’école. Par simple plaisir. Parce qu’il ne correspond pas à la norme que leurs parents imbéciles leur ont inculqués. Steve est obèse. Environ 30 kilos de trop pour un enfant de son âge. La cible parfaite pour les railleries les plus immondes. « Comme dans nombre d’écoles » me direz-vous. Sauf que le harcèlement est censé être puni. Mais là, à cause d’un directeur qui préfère fermer les yeux, la loi ne s’applique pas. Tout ça parce que dans cette bande de bourreaux en culottes courtes, se trouve le fils d’un riche parent d’élève. Un homme important qui joue les mécènes auprès du Directeur de l’école, pour que son fils bénéficie des meilleurs locaux. Alors, pour ne pas perdre cette manne financière, les hautes instances de l’école laisse faire. Pour le plus grand malheur de Steve, devenu leur tête de turc privilégiée.

 

Mais cette fois, ils avaient voulu aller plus loin. Ils ont attendu Steve à la sortie, l’entraînant avec eux vers le terrain vague jouxtant l’établissement. Là, ils l’ont obligé à manger des vers de terre. Plusieurs dizaines. Tout en ricanant de leur méfait. Puis, Steve a voulu se rebeller. Ils n’ont pas apprécié. Le fils du mécène a sorti un canif. Il a tailladé Steve. Sur les bras, les jambes. Pour lui apprendre à obéir. Et, pendant que la bande ricanait, Steve est parvenu à s’enfuir. Il a couru, couru, comme si le diable était à ses trousses. Ce qui était presque le cas. Sans regarder derrière lui, pour ne pas voir leurs yeux plein de haine. En maudissant d’être ce qu’il est. Un petit gros qui ne sait que fuir. Mais cette fois, sa fuite allait lui être utile.

 

Au bout de la plage où il fuyait toujours la bande, Steve trouva une grotte en bord de mer. Immense. Avec une mauvaise réputation. Il se rappelait d’étranges rumeurs la concernant, racontés par d’autres élèves. Des histoires disant que tout ceux qui étaient entrés dans cette grotte n’étaient jamais revenu. A cause de la bête y vivant. Mais il n’avait pas le choix. La grotte était sa seule chance de salut pour semer ses harceleurs. Alors, il ferma les yeux. Et il entra dans la pénombre de celle-ci.

 

A peine entré, il sentit une présence malfaisante tout autour de lui. Et une odeur de sang. De pourriture. Comme de la viande avariée. Une senteur pestilentielle. Malgré tout, il continua d’avancer. C’est là qu’il la vit, la bête. Juste devant lui. Une araignée géante de plusieurs mètres de hauteur. Qui le fixait. Etrangement, elle ne semblait pas chercher à l’attaquer. Elle l’observait plutôt. Steve était tétanisé. Mais sa peur redoubla quand il entendit ses ennemis pénétrer à leur tour dans la grotte, dans sa direction, criant son nom.

 

L’araignée ne bougeait toujours pas. Puis, ses poursuivants le rattrapèrent dans les ténèbres. Ils n’avaient pas encore vu l’araignée. Mais, alors qu’ils commençaient à mettre Steve à terre pour lui faire subir leurs coups, l’araignée avança. Son avancée, en plus du bruit amplifiée par l’écho de la grotte, rendit blême le groupe de garçons. Mais avant qu’ils aient eu le temps de faire quoi que ce soit, ils furent transpercés un à un par les pattes de l’énorme araignée. Puis dévorés par la créature dans un bruit de mastication épouvantable. Un mélange d’os qui se broient et d’entrailles sanguinolentes tombant sur le sol. Cela ne dura que quelques secondes, avant que l’araignée se tourne vers Steve. Celui-ci pensait subir le même sort. Celle-ci attrapa son t-shirt avec sa monstrueuse gueule, et l’emmena plus loin dans la grotte. Puis, elle le déposa près d’un amas de rocher où s’étaient accumulés des algues, formant une couche plus qu’acceptable. Il devenait clair que l’araignée ne lui voulait aucun mal. Du moins en apparence.

 

Au fil des jours, entre l’araignée et Steve, que ce dernier avait nommé Gilda, s’instaurait une amitié inédite. Gilda apportait chaque jour de la nourriture au jeune garçon. Poissons, crustacés, coquillages. Un vrai festin à chaque fois. Ces scènes régulières durèrent pendant plusieurs semaines. Steve ne pensait même plus à rentrer chez lui. Avec Gilda, il lui semblait avoir trouvé ce qui lui manquait. Une vraie amie.

 

Puis, un soir, alors que Steve commençait à s’endormir, il sentait Gilda se poser sur lui. Chose qu’elle n’avait encore jamais faite. Ce n’était pas désagréable. Bien au contraire. Son corps chaud lui donna même une sensation de bien-être. Puis, il s’endormit profondément.

 

Le lendemain, Gilda avait disparu. Steve pensa qu’elle était parti chercher de la nourriture. Mais quelque chose n’allait pas. Il ne pouvait plus bouger. Il était comme paralysé au sol, et il sentait comme un poids sur son dos. Il avait beau faire des efforts, rien n’y faisait. 2 jours durant, il resta ainsi plaqué au sol, sans que Gilda daigne se remontrer. Il ne comprenait plus rien. L’avait-elle abandonnée ? Soudain, il sentit une grande douleur qui venait de son dos. Ou plutôt des centaines de douleurs. Comme des morsures. Comme si quelque chose lui dévorait sa peau et sa chair. Au fil des heures, la douleur devenait de plus en plus insoutenable. Il se sentait défaillir, voyait sa vie s’enfuir de lui petit à petit, sans même comprendre ce qui lui arrivait. C’est alors qu’il vit des dizaines de petites araignées lui parcourir le visage. Avant de planter leurs crocs sur ses joues, son nez, ses yeux. Arrachant la chair sans vergogne, faisant couler son sang par litres.

 

C’est là qu’il comprit. Gilda ne l’avait pas épargnée pour faire de lui son ami. Elle avait besoin d’un corps pour faire naître ses petits, et leur donner de quoi manger dès qu’ils seraient éclos de leur cocon. C’était cela qu’il avait senti sur son dos. Et Gilda avait du lui injecter une sorte de venin paralysant dans son sommeil, pour être sûr que ses petits auraient ce qu’il faut à leur réveil. Gilda, comme la plupart des araignées, était vraisemblablement morte maintenant, en apposant ce cocon et ses petits à naître. Et lui, il était leur garde-manger. Pire encore, ces araignées allaient sûrement sortir de la grotte et chercher d’autres formes de nourriture, une fois qu’il aurait été entièrement dévoré. Elles allaient grandir, et devenir une véritable menace pour les habitants proches. Peut-être même l’humanité toute entière. Mais Steve n’y pouvait plus rien, car il venait de succomber. Et déjà, plusieurs araignées scrutaient l’extérieur de la grotte, et se préparaient à faire subir aux hommes l’un des plus grands fléau que la Terre ait jamais eu.

 

Publié par Fabs