La nuit
venait d’étendre son voile opaque à travers les rues et ruelles de la ville, se
glissant dans ses moindres interstices, cherchant le rai de lumière qui lui
aurait échappé pour se fondre sur lui et l’obscurcir de son manteau noir. Seuls
quelques lampadaires vieillis par le temps jouaient les rebelles et donnaient
l’impression de défier ce seigneur invisible envahissant les murs de briques
partout où il passait. C’est dans ce duel habituel que l’horreur allait encore
étaler sa toute puissance dans la pénombre d’une impasse gorgée par le néant.
Affalée sur le sol, ne pouvant même plus arriver à crier, une jeune femme qui
avait fait l’erreur de vouloir prendre un raccourci, vit soudain s’abattre une
lame tranchante et lui sectionner net son cou dépourvu de toute verroterie
pourtant habituel à toute fille de la nuit digne de ce nom pour attirer ses
clients d’un soir.
Mais le
rituel n’avait rien de précis, et encore moins l’œuvre d’un orfèvre du meurtre,
car bientôt l’ombre porteuse de mort asséna de nombreux autres coups semblant
être disséminés au hasard, lacérant le visage à plusieurs reprises de gauche à
droite et de droite à gauche dans un balayage incessant et sanglant, mettant
les chairs à vif, avant de s’affairer à sortir les yeux de la malheureuse
victime de leur orbite, écartant les trous ainsi formés jusqu’à l’extrême,
transformant ce qui avait été autrefois une tête en un amas de viande
rougeoyante, dont la substance liquide qu’on appelait sang se déversait sur le
sol en quantités énormes.
Les mains responsables de ce massacre ne
s’arrêtèrent pas là, réitérant les coups mortels sur l’ensemble du corps,
déchirant chaque parcelle de peau, mettant en lambeaux la chair, sortant les
os, les brisant, arrachant les entrailles fumantes pour les déverser en masse
au hasard de la ruelle. Quel que pouvait être l’ombre s’affairant à dépecer de
la sorte l’ancien corps humain qui se trouvait devant lui, il donnait plus
l’impression d’une bête abominable, tuant pour le plaisir, et considérant
l’éviscération comme le jeu le plus plaisant qui soit.
Tout heureux
de son tableau sanguinolent, la « chose » se releva, observant, le
sourire aux lèvres, son jouet qu’il venait d’annihiler de toute vie, le
réduisant en une multitude de morceau épars, comme les pièces d’un puzzle
morbide. Avant de repartir vers l’entrée
de la ruelle, l’abominable meurtrier donna un dernier coup en écrasant
littéralement parlant la tête de son infortunée proie, projetant ce qui en
restait en une profusion de tissus humains s’imbriquant dans le sol tout
autour. Semblant satisfait cette fois-ci, l’auteur du carnage releva la tête
vers l’un des lampadaires, comme s’il cherchait la lumière de celui-ci pour
s’en imbiber. Après ça, il sortit de la ruelle, et apercevant une flaque d’eau
jonchant le sol, dans un réflexe incontrôlé, se pencha pour y faire apparaître
son visage. Voyant ce dernier, celui qui semblait ignorer la pitié, au vu de
son acte précédent, sursauta et se mit à crier, comme épouvanté de ce qu’il
venait d’y voir.
C’est à ce
moment-là que le jeune Samuel se réveilla dans son lit, trempé de sueur de
toute part, et respirant à perdre haleine, tellement il semblait terrorisé de
ce qu’il venait de vivre en rêve. Ce n’était pas la première fois qu’il vivait
ce genre de rêves abominable, et empreint d’un réalisme à terroriser toute âme
sensible. 2 mois déjà que ses nuits étaient parsemées de ces visions atroces,
où mort, sang et carnage fusionnaient en un amalgame effroyable. Samuel
ignorait d’où pouvait bien venir ces visions, lui qui avait en horreur toute
forme de spectacle horrifique, grâce à une éducation où sérénité et beauté
étaient les maîtres-mots inculqués par sa mère adoptive. Peut-être était-ce là
le nœud du problème en y repensant, se disait-il. Cela faisait 2 mois qu’il
avait appris par celle qui l’avait sorti d’un enfer la vérité sur la nature de
sa mère biologique. Un choc pour Samuel, du haut de ses 16 ans. Normal, quand on
apprend que sa véritable mère l’avait mis au monde en prison. Fiona, sa mère adoptive,
l’avait cependant soutenu dans cette épreuve, qu’elle avait jugée nécessaire au
vu de son âge. Nécessaire, car elle craignait que Samuel apprenne par lui-même
ce terrible secret, et que cela détruise les liens qu’elle avait forgée avec
lui toutes ces années, depuis le jour où elle l’avait sorti de cet horrible
orphelinat où il séjournait auparavant. Elle devait donc lui donner elle-même
ses origines. Mais pas tout. Il ne devait pas savoir toute la vérité sur sa
vraie mère, ni que c’était la raison principale pour laquelle il s’était
retrouvé dans cet orphelinat.
Un endroit
sordide, où les murs sentaient l’âcre et l’humidité, où le personnel chargé de
s’occuper des enfants ignoraient le sens du mot empathie, et ne voyaient dans
leur travail qu’une tâche ingrate qu’ils détestaient au moins autant que les
pensionnaires dont ils avaient la garde. Samuel était arrivé dans cet
orphelinat alors qu’il n’avait que quelques jours. Le fils d’une meurtrière qui
avait accouchée de lui au sein de la prison où elle purgeait sa peine. L’accouchement
s’était mal passé, la faute à un personnel incompétent en la matière, et qui
avait tout juste réussi à sauver l’enfant. Ne sachant qu’en faire, car il était
évident qu’il ne pouvait rester dans la prison, le directeur l’avait confié à
cet orphelinat, les Services Sociaux ne pouvant trouver une famille d’accueil
pour un si jeune enfant, et surtout sachant qu’il était l’enfant d’une tueuse. Il
n’avait pas une très bonne réputation, mais le directeur n’avait pas le choix.
C’est ainsi
que Samuel avait grandi au sein de cette atmosphère où la haine et l’injustice
étaient ses compagnons perpétuels. Brimé par ses camarades, parfois même
violenté, par pur plaisir, il ne pouvait compter sur aucune aide, les membres
du personnel étant plus préoccupés du jour de leur paie que des violences
subies par un jeune garçon. Un calvaire qu’il avait dû subir quotidiennement
jusqu’à l’âge de 11 ans. Jusqu’à ce que Fiona vienne le soustraire à cet enfer.
Ce que Samuel ne savait pas à ce moment-là, c’était que celle-ci avait bataillé
des années, juridiquement parlant, pour obtenir le droit de l’adopter. Elle
connaissait le secret de sa naissance, celle que personne ne lui avait dit, et
aujourd’hui encore, même après lui avoir indiqué des informations sur sa
naissance, elle gardait une partie de ce secret enfoui en elle. Et il y avait
une raison bien précise à cela. Fiona était à la fois la sœur et l’avocate de
la mère de Samuel. La meurtrière qui avait perdu la vie en le mettant au monde.
En apprenant que le nouveau-né avait été confié aux Services Sociaux, puis
envoyé dans cet orphelinat, elle n’avait eu de cesse d’obtenir sa garde, en
tant que membre de la famille. Un combat de plusieurs années, mais qui avait
fini par payer, et elle avait enfin pu adopter Samuel, et l’élever comme son
propre fils.
Elle n’avait
jamais compris le parcours sanglant de sa sœur, mais pour elle, il était hors
de question que son fils devienne comme elle. Et pendant 5 ans, elle avait mis
un point d’honneur à faire en sorte que Samuel puisse bénéficier d’une vie
saine auprès d’elle, en évitant d’indiquer qu’elle était sa tante, et que sa vraie
mère était une tueuse sanguinaire. Pour Samuel, elle ne devait être que sa
nouvelle maman. Il ne devait surtout pas apprendre les liens de parenté entre
elle et sa mère biologique. Une mission qu’elle s’était elle-même confiée, et
qu’elle avait réussie haut la main. Mais à l’approche des 16 ans de Samuel,
elle savait qu’il lui faudrait dire une partie de la vérité, masquant le reste,
pour la propre santé psychologique de ce dernier. Elle avait fait en sorte que
les dossiers indiquant la nature de Rona, sa sœur, ainsi que son parcours
teinté de sang et de larmes, ne soient jamais révélés, et elle avait pu obtenir
que ceux-ci lui soient confiés. Afin d’éviter toute fuite qui pourrait avoir
des conséquences désastreuses pour Samuel. Mais maintenant, elle se demandait
si elle avait bien fait de lui masquer une partie de la vérité. Les cauchemars
récurrents de Samuel étaient plus qu’équivoques. Il y avait un fort risque que
ce dernier ait hérité des gênes meurtrier de sa sœur, et que ceux-ci
commençaient à se développer dans l’esprit fragile de Samuel. Elle espérait
juste que ceux-ci ne prendrait pas l’ascendant et le mène vers quelque chose de
plus néfaste.
Alors que
Fiona s’inquiétait des cauchemars de Samuel, une silhouette cachée dans la
pénombre observait en silence la fenêtre de la chambre de Samuel. Ce n’était
pas la première fois qu’elle suivait de loin le jeune garçon, analysant chacun
de ses comportements, comme si elle attendait que quelque chose se passe.
Chaque sortie, chaque jour d’école, chaque action du jeune Samuel était
scrutée, observée par l’étrange ombre, et ce, depuis de nombreuses années.
Attendant le moment propice pour se révéler à lui, et lui fournir les indices
pouvant expliquer ses cauchemars récents, et aussi les secrets que Fiona ne lui
avaient pas révélés. Mais il n’était pas encore temps. Samuel n’était pas
encore prêt pour ça. Cependant, l’ombre sentait que le dénouement était proche.
Ce moment qu’elle avait attendue, entrait dans une phase primordiale, celle de
la révélation. Elle saurait enfin si Samuel était l’espoir qu’elle voulait voir
émerger au-delà de ses désirs les plus fous. Mais pour l’instant, il lui
fallait encore attendre et observer, afin de déterminer le moment propice, et
savoir si Samuel était ce qu’elle attendait.
Les jours se
suivaient et se ressemblaient pour Samuel. Les nuits aussi. Ses cauchemars
devenaient à chaque fois plus intense. Comme plus réalistes. Il avait beau dire
à Fiona qu’il maitrisait ceux-ci, il sentait bien que ceux-ci évoluaient de
jour en jour. Des détails troublants qu’il avait caché à sa mère, ne sachant
pas si il les avaient rêvés ou s’ils étaient réels. Une bague retrouvée dans
son tiroir par exemple. Au début, il pensait qu’elle appartenait à Fiona, ayant
glissée d’un de ses doigts, ceux-ci étant chacun doté de l’une d’elles. Mais il
n’avait jamais vu celle-ci à ses doigts. Elle ne pouvait donc pas lui
appartenir. Mais alors, d’où venait-elle ? En plus de ça, il avait
remarqué de fines traces rouges séchées sur la pierre au centre de la bague.
Comme du sang. Comme dans ses rêves. Il y avait autre chose. Ses baskets aussi
comportaient ces mêmes traces. Et quand il se levait le matin, il trouvait
parfois de la terre sur le sol de sa chambre. Comme s’il était sorti dehors
pendant la nuit. Ca n’avait pas de sens. S’il était sorti, il s’en
souviendrait. Et en dehors de ses cauchemars, aucun souvenir de quoi que ce
soit qu’il aurait pu faire en pleine nuit. Et surtout sans réveiller qui que ce
soit. Au début, Samuel se disait qu’il voyait des choses là où il n’y en avait
pas. Il y avait sûrement une explication à la présence de cette bague, à la
terre, et aux traces rouges. Mais d’autres détails se rallongèrent par la
suite, de plus en plus inquiétants.
Au fil des
jours, il trouva dans son tiroir, un pendentif, une boucle d’oreille, et même
un portefeuille. Dans celui-ci, il y avait une carte de visite : Dolorès
Minora. Une agente immobilière. Comment il avait pu entrer en possession de ce
portefeuille ? Mais ce n’était pas le plus grave. Le jour où il trouva le
portefeuille, en descendant l’escalier pour rejoindre la cuisine, afin de
prendre le petit-déjeuner, un nom entendu aux informations, venant de la radio
allumée, l’avait fait sursauter. Les autorités avaient trouvés le corps d’une
femme dans une ruelle, massacrée d’une manière inimaginable. Et ce n’était pas
la première victime. C’était la 3ème fois qu’une scène d’une
brutalité inouïe avait été découverte dans des ruelles de la ville. Sans qu’aucun
témoin ne puisse donner d’indications quant à un éventuel suspect. Tout au
plus, un témoin ayant évoqué une « ombre » de petite taille à
proximité du dernier massacre. L’analyse de ce qui restait de son corps avait
pu déterminer l’identité de la victime, grâce à son permis de conduire. Il s’agissait
de Dolorès Minora. Samuel crut défaillir en entendant ce nom. Et ce n’était pas
tout. La police indiqua également qu’une boucle d’oreille manquait. Non. Ca ne
pouvait pas être vrai. C’était impossible. Il ne pouvait pas être en lien avec
ces massacres.
Remarquant
son malaise, Fiona lui demanda ce qui le tracassait. Luttant pour masquer son
angoisse, Samuel répondit qu’il avait juste un peu mal à la tête. Mais avec un
peu d’aspirine ça irait mieux, tout en arborant un sourire forcé. Fiona n’avait
pas insistée, mais Samuel sentait bien qu’elle ne le croyait pas. Cependant, il
partit du principe que c’était lui qui se faisait des idées à son sujet. Il
termina son bol de céréales, et partit pour le lycée. Du moins, il le fit
croire. Toute cette histoire lui martelait la tête, et il voulait en savoir
plus. Il se mit en tête de se diriger vers le quartier où avait eu lieu le
dernier meurtre, histoire de voir si quelque chose de familier sur le parcours
lui reviendrait en mémoire. Mais une fois sur place, rien ne lui était
familier. Peut-être aurait-il eu plus de chance s’il avait pu plus s’approcher
de la scène de crime, mais impossible de se rapprocher plus, avec la police qui
surveillait le quartier, sans parler des journalistes et autres badauds. Il était
certain d’être refoulé. Un peu déçu, il reprit le chemin du lycée, quand il
aperçut une silhouette dans la pénombre d’une ruelle, proche du lieu du
massacre. Une silhouette qui semblait le dévisager. Il n’arrivait pas bien à
définir s’il s’agissait d’un homme ou d’autre chose. Il ferma les yeux un
instant, comme pour être sûr qu’il ne rêvait pas. En les rouvrant, la
silhouette avait disparu. Une hallucination sans doute se dit-il, avant de
reprendre sa route. A ce moment, Samuel ignorait que la nuit qui venait allait
être déterminante pour lui révéler les questions qui l’envahissaient.
Le soir
venu, après avoir dîné, Samuel, comme à son habitude, monta dans sa chambre.
Trop fatigué pour lire une BD, tel qu’il le faisait habituellement, il s’allongea
sur le lit, histoire de réfléchir à certains détails de cette histoire. Mais le
sommeil fut plus fort que ses doutes, et il finit par s’endormir, sans même s’en
rendre compte. Au bout de quelques heures, un phénomène étrange se produisit :
Samuel fut envahi d’une aura luminescente, à
mi-chemin entre le rouge vif et le bleu cyan, comme semblant sortir de
son corps, et l’enveloppant peu à peu, formant une sorte de brouillard sombre,
effaçant peu à peu les traits de son visage, ses bras, ses jambes, tout ce qui
constituait son corps, jusqu’à le recouvrir entièrement, ne laissant la place
qu’à une entité nuageuse teinté de ténèbres. L’étrange créature qu’était devenu
Samuel se dirigea alors vers la fenêtre, passant à travers, comme si elle n’avait
jamais été là, tel un fantôme, un corps sans la moindre consistance physique.
L’entité se déplaça alors en direction d’un
quartier voisin, comme cherchant quelque chose, scrutant les trottoirs sur les
côtés et devant elle. Puis, elle stoppa son avancée, semblant avoir trouvée ce
pour quoi elle était venue. Se cachant dans la pénombre d’une ruelle, elle
observait ce qui semblait être sa future proie. Quelques mètres plus loin, une
jeune femme, sortant d’une soirée, disait au revoir à ses amis, et se dirigea
ensuite dans la direction de Samuel, ou plutôt la créature qu’il était devenu.
Arrivée à la hauteur de la ruelle, la femme stoppa son avancée, afin de s’allumer
une cigarette. Rangeant son briquet et son paquet dans son sac, elle voulut
reprendre son chemin, mais quelque chose, sans qu’elle puisse déterminer ce que
c’était, l’angoissait. Elle regardait autour d’elle. Le quartier était
curieusement désert. C’était bizarre. D’habitude, même à cette heure, il y
avait toujours des passants qui déambulaient çà et là sur les trottoirs
avoisinants. Alors que là, le silence semblait avoir pris possession des
alentours. Comme si elle s’était retrouvée dans une sorte de bulle, une
dimension où elle seule serait piégée. Cette sensation augmentait encore son
angoisse, elle se sentait observée, mais elle ne voyait rien autour d’elle.
Elle
cherchait à repartir, mais une sorte de brume sombre lui attrapa le bras, la
serrant avec force, et semblant vouloir l’entraîner vers la petite ruelle à
proximité. Elle voulut s’en défaire, mais impossible. Elle ne pouvait pas non
plus crier. C’était comme si sa gorge ne fonctionnait plus, qu’elle ne pouvait
plus faire sortir le moindre son. Bientôt, la brume noire lui attrapa l’autre
bras et la taille, et elle se retrouva propulsée en plein milieu de la ruelle
et de ses ténèbres. Il n’y avait aucun bruit autour d’elle. C’était
surréaliste. Elle se remémorait un épisode d’une vieille série SF des années 50
dont le nom lui échappait, relatant une situation ressemblant à celle-ci. Et
cela ne la rassurait pas vraiment, au vu du sort du personnage dans l’épisode. Elle
ne ressentait plus l’étrange brume autour de ses bras. Celle-ci semblait l’avoir
lâchée. Mais elle était paralysée par la peur, sans se l’expliquer. Elle
ressentait une présence autour d’elle.
Puis, d’un
coup, une silhouette noire, pareille à une sorte d’aura, se présenta devant
elle. Ses yeux dessinés au sommet de ce qui semblait être sa tête, donnait l’impression
de vortex où des sillons bleutés et noirs tournaient en continu au centre des
orbites. La silhouette s’avança alors, lentement, sans le moindre bruit, si ce
n’est la respiration de la femme, paniquée, qui ne pouvait pas bouger,
tellement elle était en proie à la terreur. En quelques secondes, la silhouette
positionna ce qui lui servait de tête au-dessus du visage de la jeune femme, comme
observant ses contours, ou pour décider par quelle partie commencer. C’est
alors qu’une main de brume se plaça sur le visage, appuyant de toute sa force,
faisant craqueler chaque os constituant sa tête, alors qu’elle retrouva la faculté
de crier. Au même moment, une autre main brumeuse agrippa son bras droit, et d’un
geste, l’arracha dans un craquement effroyable. Un mélange d’os brisé, de chair
arrachée et de sang propulsé aux alentours. La femme hurlait, pendant que l’autre
main continuait de lui écraser la surface de son visage, faisant ressortir ses
yeux, sa mâchoire étant comme expulsée et se retrouvant suspendue au niveau du
cou. Le sang coulait de toute part, l’entité, prise d’une frénésie meurtrière,
arrachant tout à tour l’autre bras,
plongeant dans le corps pour en extirper une partie des côtes, avant de
les balancer sur un des côtés de la ruelle.
La brume tueuse renouvela le geste pour
arracher divers organes de la femme, qui n’avait déjà plus de vie. Sa tête
ayant été broyée par le fait d’une force inimaginable, formant un magma de
sang, d’os et de chair étalés sur le sol. Le cœur, le foie, les poumons, furent
un à un extirpés du corps sans vie, broyés à leur tour, puis jetés au hasard
dans la ruelle. Ce fut ensuite le tour des jambes d’être arrachées du tronc, balancées
vers les murs avoisinant. Le massacre continua : les mains de brume s’affairant
à retirer les os du cou, écartant la chair, tel un jeu morbide dont seul l’entité
connaissait les règles. Le dépeçage dura plusieurs minutes, avant qu’elle décide
d’arrêter. Sans doute aussi parce qu’il ne restait plus rien à démembrer. La silhouette de brume se leva alors,
dédaignant son œuvre, et repartant vers la sortie de la ruelle, comme guidé par
un instinct qu’elle-même ne semblait pas comprendre. Arrivée au bout de la
ruelle, l’ombre se dissipa peu à peu, laissant la place au corps humain de
Samuel, l’aura rouge et bleu semblant réintégrer l’intérieur de celui-ci.
Samuel se retrouvait comme en état de transe, un moment qui lui semblait
familier, pour l’avoir sans doute vécu d’autres fois, sans s’en souvenir.
Mais cette
fois, c’était différent. Cette fois, il se souvenait de tout. Sa transformation,
les corps massacrés, l’excitation ressentie en arrachant les membres,… Il revoyait
tout. Et pourtant, cela ne l’effrayait pas. Au contraire, il semblait prendre
plaisir à ces souvenirs sanglants. Même s’il ne semblait pas tout comprendre ce
qui lui arrivait. Au même moment, une autre ombre similaire à ce qu’il était
quelques instants auparavant fit son apparition devant lui. Elle aussi vit peu
à peu disparaitre son enveloppe brumeuse pour laisser place à un corps humain.
L’homme qui se trouvait alors devant Samuel se présenta comme son père. Un peu
sceptique, Samuel continua malgré tout de l’écouter. Ce dernier lui expliqua
que lui et son épouse, il y a de ça quelques années, avait fait un rituel. Une
invocation. Un pacte avec un démon. En échange de sa puissance, ils lui ont
promis de lui offrir des vies pour assouvir sa soif de. C’est ainsi qu’ils sont
devenus des meurtriers pourchassés par toutes les polices du pays. Chaque braquage
de banque ou de commerce en tous genres n’étant que des prétextes pour donner
toujours plus de vies au démon qui leur offrait son pouvoir. Cependant, malgré
toute cette puissance, leurs corps n’étaient pas invulnérables. Et lors d’un
énième braquage, par imprudence, ils furent canardés de toute part par la police.
Lui, il avait eu le temps de reprendre la forme de brume que lui et son épouse
utilisaient lors des massacres, qui ne comportaient habituellement aucun
survivant pouvant indiquer ce qu’ils avaient vu.
Mais sa
femme fut prise par l’effondrement d’un pan de mur, déclenché par la fusillade.
Il aurait voulu lui venir en aide, mais il aurait mis à jour leur existence et
leur forme démoniaque. Plus tard, il apprit qu’elle avait été enfermé dans une
prison de la région, et surtout qu’elle était enceinte. Il ne pouvait donc pas
la faire sortir sans risquer de mettre en danger la mise au monde de l’enfant.
Il devait attendre la naissance. Mais l’accouchement s’est mal passé, et son
épouse est morte en mettant au monde l’enfant. L’homme indiqua à Samuel que cet
enfant c’était lui. Il était resté en retrait toutes ces années, sans
intervenir, car il voulait être sûr que Samuel avait hérité des facultés
offertes par le démon, de manière génétique. Et surtout, qu’il était un
meurtrier en puissance, aimant tuer et massacrer. Ce soir, il venait d’en avoir
la preuve. Il était bel et bien son fils. Maintenant, ils allaient pouvoir
reprendre la mission que leur avait donnée le démon. En famille. En tant que
Père et Fils. Il n’arrivait pas à expliquer encore pourquoi, mais Samuel
sentait que l’homme ne lui mentait pas. Il était heureux même de retrouver sa
vraie famille.
Et de voir
sa vraie nature faire surface. Son père lui en apprendrait plus sur la manière
de faire dans les prochaines semaines, les prochains, mois, les prochaines
années. Notamment cette faculté de plonger une zone au cœur des ténèbres
invisible des autres. Un moyen idéal pour tuer sans être vu ou dérangé. Ce
pouvoir était fabuleux. Il voulait en savoir plus. Alors, Samuel sourit à son
père, prit sa main, et ensemble, ils partirent au cœur de la nuit, vers un
destin sanglant qui les appelait.
Publié par Fabs