2 nov. 2020

LA FACE CACHEE DU COTTAGECORE

 


Connaissez-vous le phénomène du Cottagecore ? C’est un mouvement artistique qui s’est développé lors du premier confinement, à un moment où chacun tentait de s’évader pour oublier les conditions de vie drastiques qui leur étaient imposées. Le cottagecore permet de recréer un idéal de vie, le plus souvent à la campagne, où on met en avant une imagerie dite « de carte postale » au sein d’un paysage idyllique, respirant la sérénité, le calme et la joie de vivre, totalement à l’opposé de ce que les gens vivaient à l’époque, ayant plus l’impression d’être cloîtrés en prison. Le principe consiste à créer un costume « vintage » de campagnard, de fermière, de bergère, voire de personnes issues d’une certaine bourgeoisie révolue, dans un décor bucolique, entre animaux de ferme, champs de fleurs s’étendant à volonté, ou forêt luxuriante. Le tout en utilisant des filtres appropriés, afin de donner une impression de vie, à mi-chemin entre l’ancien et le moderne. Une sorte de vie épanouie, à mille lieues de la vie réelle à la campagne, mais permettant de donner un peu de rêve à ceux qui découvrent ces photographies publiées sur les Réseaux Sociaux.

 

Ella fait partie de ces artisanes du Cottagecore, forme artistique qui a survécu au confinement, et est devenu un véritable engouement pour des millions de gens à travers le monde. Elle crée ses costumes, cherche et module un cadre idéal, se plaçant au milieu d’une grange, d’une prairie où on voit un troupeau de vaches paître au loin, un chien de ferme à ses côtés, ou un chat sur la meule de foin derrière elle. Une véritable mise en scène digne d’un film d’époque, pour faire rêver ses followers, de plus en plus nombreux, et admiratifs du travail de précision de ses robes, ses dentelles, ses accessoires utilisés pour ses photographies. Ella est devenue en quelques semaines une véritable star du mouvement artistique, tellement ses compositions suscitent un engouement en pleine expansion. Certaines de ses photographies sont partagées des millions de fois à travers la toile, servant de décors pour le fond d’écran de mobiles ou de PC d’autant d’utilisateurs.

Ella a même créé un blog, qui attire chaque jour tout autant de visiteurs qu’elle a de followers, inscrivant des commentaires tous plus autant élogieux les uns que les autres, des likes par milliers, voire par millions, pour lesquels elle met un point d’honneur à répondre à chacun, y passant des heures entières, afin de fidéliser toujours plus son public sans cesse grandissant. Ella est devenue aujourd’hui un modèle de gentillesse, d’artiste accomplie et de dévouement envers ses nombreux admirateurs, conversant sur Messenger régulièrement avec ses fans les plus assidus, lui demandant conseil pour parvenir au résultat dont elle a le secret.

 

Un succès qui a attiré une équipe de journaliste désireuse d’en savoir plus sur sa manière de composer ses véritables tableaux de vie, son atelier de confection pour ses costumes, ou encore sa méthode pour arriver à convaincre les animaux de ses compositions à tenir la pose de manière aussi parfaite. A l’annonce de cette visite, pourtant, Ella s’est montrée quelque peu anxieuse, comme inquiète de leur venue. Elle ne pouvait pas leur refuser, car cela aurait eu un aspect négatif de sa gentillesse populaire, mais néanmoins, elle n’était pas rassurée. Certes, la présence des caméras, des techniciens et tout ce qui va autour auraient créé un stress au moins aussi important chez nombre d’autres personnes, mais pour Ella, la raison était autre. Elle craignait que l’on découvre la véritable nature de ce qui faisait le succès des ses créations qui faisaient tant l’admiration. Un secret bien gardé, mais qui risquait de détruire l’empire qu’elle avait forgé avec talent si quelqu’un venait à le découvrir. Aussi, elle devait prendre certaine précautions afin que personne ne mette à jour la partie submergée de son entreprise.

 

A peine avait-elle raccrochée suite à la conversation avec le réalisateur chargé de filmer Ella lors de la mise en place de ses tableaux, afin de faire un documentaire qui attirerait l’œil de millions de gens, et assurerait, non seulement de potentiels nouveaux abonnés à Ella, mais aussi une audience pour la chaîne productrice plus que substantielle, qu’elle se dirigea vers la maison principale du domaine où elle habitait, et qui constituait le cadre principal de ses photographies. A nouveau en proie à l’angoisse, elle entra à l’intérieur, observant discrètement derrière elle, comme si elle avait peur que quelqu’un la suive, et referma la porte à clé.

Elle s’adossa à celle-ci, fermant les yeux, comme pour réfléchir à la manière dont elle allait bien pouvoir gérer la situation à venir, avant de se diriger vers le couloir en face d’elle, où elle s’engouffra. Arrivée au bout de celui-ci, elle tourna la poignée de l’une des portes situées au fond, et ouvrit cette dernière. Elle appuya sur le bouton placé sur le côté droit du mur, allumant la lumière. Elle descendit alors les escaliers d’un pas décidé. Arrivée en bas, elle se dirigea vers une pièce qui avait l’allure d’un véritable atelier de confection caché. Sur les murs se trouvaient plusieurs modèles de robes de différentes couleurs, aux tissus élaborées et finement brodés, parsemées de dentelle et autres finitions donnant des allures de costumes au parfum de luxe. Au centre de la pièce se trouvait une immense table, inondée de morceaux de tissus, de ciseaux aux tailles variées, de machines de couture, règles, dés à coudre et autres éléments propres à la confection de vêtements. Ella passa à côté de la table et se dirigea vers le fond de la pièce, et bifurqua vers la droite. Là, une série de lits se trouvait plongée dans l’obscurité. 6 lits alignés contre les parois de la petite pièce formée par ce prolongement de la grande pièce précédemment traversée par Ella. De plus en plus anxieuse, elle alluma la lumière en tirant sur la petite corde fixée à la lampe au-dessus du centre de la petite pièce, inondant celle-ci d’un rai de lumière enveloppant son intégralité. Puis, Ella se mit à crier :

 

« Réveillez-vous, toutes les 6. J’ai à vous parler. Et je vous conseille vivement de bien écouter ce que j’ai à vous dire, sinon vous savez ce qu’il vous en coûtera ! »

 

A ces mots, la petite troupe commença à se lever péniblement, se frottant les yeux, avant de s’asseoir chacun sur le bord de leurs lits respectifs. S’immobilisant, les 6 femmes qui constituaient cette équipe de l’ombre dirigèrent leurs visages et leurs oreilles envers Ella, qui se positionnait envers elles comme une dictatrice.

 

« Vous savez ce qui est arrivée à la dernière d’entre vous qui a osé me contrarier, n’est-ce pas ? »

 

Fixant Ella, les 6 femmes acquiescèrent en baissant les yeux.

 

« Parfait. Alors, écoutez-moi : d’ici quelques jours, une équipe de télévision va venir au domaine. Ils vont tourner un documentaire pour montrer ma manière de créer mes costumes, l’élaboration des tableaux et le reste. Bien entendu, ils ignorent que c’est vous qui faites tout ça, et que je ne fais que profiter de votre travail. »

 

S’interrompant un instant, comme pour reprendre son souffle, Ella continua :

 

« N’oubliez pas non plus que, quand je vous ais recueilli ici, vous étiez des femmes en fuite, sans papiers, ayant passées illégalement la frontière. Et j’ai eu la bonté d’âme de vous offrir ce toit. Mais rien n’est gratuit. Et votre travail, c’est le juste dû que vous me devez pour que je ne vous dénonce pas au service de l’immigration. »

 

Hochant la tête, n’osant pas proférer le moindre mot, les 6 femmes continuaient de fixer Ella.

 

« Très bien. Si vous voulez que ça continue, je ne veux pas entendre un mot sortant de cette pièce, pour essayer d’attirer l’attention de l’un des membres de l’équipe de tournage. Sinon, vous subirez le même sort que Tania. C’est bien compris ? »

 

Terrorisées à l’énoncé du sort de leur ancienne camarade, les 6 femmes hochèrent à nouveau la tête. Semblant satisfaite, et comme pour répondre à leur hochement, Ella fit de même.

 

« Maintenant, au travail. Je veux montrer le meilleur de moi à cette équipe de télévision. Dépassez-vous pour m’offrir le plus fabuleux des costumes. Et toi, Inga, je compte sur toi pour élaborer le meilleur des tableaux avec tes dessins que je me chargerais de transformer en vrai tableau vivant. »

 

Inga hocha à nouveau la tête, en signe de soumission. De toute façon, elle savait qu’elle n’avait pas le choix. Si elle désobéissait, si elle s’opposait de la moindre façon à leur maîtresse, c’était la mort qui les attendait. Elle n’oublierait jamais ce jour funeste où Tania avait refusé de continuer à faire le travail demandé par Ella, en échange de son « hospitalité. Elle lui avait dit que c’était de l’esclavage. Elle n’avait pas fuies leur pays en guerre pour devenir soumises à une névrosée. Ella avait alors pris un des ciseaux sur la table de confection, et sans donner le moindre avertissement, elle l’avait enfoncé dans l’œil droit de Tania, profondément, jusqu’à atteindre son cerveau. Tania s’était effondrée d’un coup. Par la suite, Ella l’avait découpée, et elle les avait forcées à l’aider dans cette tâche avant de faire brûler le corps en morceaux dans la chaudière de l’autre côté de la pièce. Pendant plusieurs semaines, l’odeur de corps brûlé avait empli tout le sous-sol, leur causant des vomissements réguliers, et un sentiment de malaise permanent. A la suite de ça, plus aucune des filles n’avait osé dire la moindre parole, quelle qu’elle soit.

 

Ella tourna les talons, et remonta les escaliers, après avoir pris avec elle 2 robes qui étaient accrochées sur le mur, afin de les disposer en haut, dans un endroit qui servirait de leurre aux journalistes. Histoire de leur faire croire que c’est bien elle qui confectionnait les costumes. Il lui suffirait juste d’aménager une des pièces du haut pour faire croire à un petit atelier. Inga l’aiderait à faire à mettre en place ce stratagème. Elle était très douée pour la mise en place de décors. Elle l’avait prouvée maintes fois. Depuis que ces filles étaient venues ici, son travail a été reconnu. Elle se souvenait qu’au début, quand elle s’était lancée dans le CottageCore, piètre couturière, elle avait bien du mal à imposer son style. De plus ses décors étaient assez sommaires, et laissaient tous les internautes indifférents. Inga et les autres avaient tout changés. La faisant passer d’illustre inconnue à celui de star du mouvement. Elles avaient changé sa vie, c’était indéniable. Mais en même temps, elles lui devaient reconnaissance et respect. Après tout, si elle ne les avait pas cachées ici, elles auraient fini par être dénoncées et remises aux services d’immigration, signifiant un retour vers leur pays, synonyme de mort assurée. En un sens, elle leur avait sauvée la vie.

 

Mais l’heure n’était pas aux souvenirs. Les jours qui venaient allaient être primordiaux pour son avenir au sein du Web. Ce documentaire, c’était la porte ouverte à une reconnaissance énorme au sein de tout le mouvement à travers le monde. Elle ne pouvait pas laisser passer ça. Les retombées financières allaient dépasser toutes ses espérances. Et Inga et les autres étaient la clé de voûte de cette future réussite totale.

 

Deux semaines passèrent. Inga et ses camarades avaient réalisées un travail incroyable : 3 robes magnifiques, dans le plus pur style victorien, drapées de flanelle et de broderies toutes aussi somptueuses les unes que les autres. Quand à Inga, son faux atelier pour donner le change aux journalistes était un pur bijou. Sans parler du dessin du décor chargé d’impressionner l’équipe de télévision, qu’Ella s’était appropriée en le réalisant en live à la perfection. Maintenant, le stress était son comble. L’équipe serait là d’ici une ou deux heures. Il était temps qu’Inga retourne en bas avec les autres. Retournant vers la cave, Inga accepta sans rechigner de retourner dans son enfer. Redescendant les escaliers, et rejoignant les autres, épuisées, mais heureuses d’avoir pu satisfaire Ella, et de rester en vie surtout. Celle-ci, tout à son excitation, commit une erreur cependant. Une erreur qui allait signifier de graves conséquences. Remontant les escaliers, fermant la porte, elle oublia de tourner la clé de celle-ci, la laissant ainsi avec la possibilité pour les filles de s’enfuir. Mais Ella pensait bien trop à son futur triomphe pour avoir fait attention à cette erreur. Inga, elle, avait parfaitement saisi l’opportunité pour elle et les autres de quitter ce lieu d’esclavage. Dans la cave, les moindres petits échos sont perceptibles. De ce fait, quand Ella tournait la clé pour fermer la porte, le cliquetis occasionné s’entendait parfaitement en résonnance. Et cette fois-ci, Inga n’avait entendu aucun cliquetis. La porte était ouverte !

 

Pendant ce temps, à l’extérieur, Ella accueillait l’équipe de télévision avec une voix mielleuse à souhait :

 

« Bienvenue au 2ème Paradis. J’espère que vous apprécierez tout ce que vous verrez ici. Et je suis sûre que vous saurez mettre mon travail en valeur. »

 

La rassurant sur ce point, le réalisateur termina de diriger la mise en place du matériel pour le futur tournage, en invitant Ella à observer, telle une star absolue qu’elle se rêvait de devenir. Elle était très enthousiaste de tout ça, et admirait chaque étape comme un enfant allant à la foire pour la première fois de sa vie. Puis vint le moment du tournage proprement dit. A commencer par une interview d’Ella, en costume, sur le lieu de son nouveau tableau. Bien que nerveuse, grâce aux conseils du réalisateur, elle fit des merveilles. Par la suite, Ella montra aux caméras l’immensité du domaine, et les différents endroits où avaient eu lieu les précédents tableaux présents sur son blog et les Réseaux Sociaux qui faisaient l’admiration de tous. Parsemant de temps à autre l’équipe d’un :

 

« Et vous n’avez pas encore tout vu. Le meilleur reste à venir ».

 

Avant de se diriger l’équipe et elle vers la maison, afin de montrer ce qui devait être l’apothéose du documentaire : à savoir l’atelier de confection. Mais Ella était loin de s’imaginer à ce moment-là que ce qui l’attendait dans la maison allait changer sa vie d’une toute autre manière de ce qu’elle espérait.

 

Ella pénétra en premier, et laissa la porte ouverte, afin que le reste de l’équipe de tournage puisse entrer. Elle les dirigea alors vers le faux atelier, afin de donner cette part de rêve que ses fans qui allaient suivre le documentaire par la suite attendaient. Mais une fois arrivée au soi-disant atelier, une surprise de taille l’attendait. Inga et ses camarades étaient toutes là, semblant l’attendre impatiemment, comme pour signifier un mouvement de révolte et de vérité à leur geôlière. Le réalisateur voulut demander qui était ces femmes, alors Ella tenta de le rassurer.

« Ce sont des cousines qui m’ont un peu aidées pour le décor »

 

Le réalisateur rétorqua qu’il pensait qu’elle faisait seule l’intégralité des décors et des costumes. Un peu gênée, Ella voulut répondre, mais soudain Inga s’approcha vers elle, les sourcils froncés, un ciseau à la main. Elle se positionna devant Ella, les yeux noirs.

Et avant qu’Ella puisse dire quoi que ce soit, Inga lui planta le ciseau dans l’œil droit, le perçant sauvagement, faisant valser un flot de sang tout autour. Ella s’effondra, les genoux au sol, submergée par la douleur, pendant que l’équipe de télévision tenta de s’interposer. Mais Inga leur jeta à leur tour un regard froid, plein de haine, semblant leur dire, sans la moindre parole de la laisser faire. Paniqué, le réalisateur, pensant à la sécurité de son équipe avant tout, recula, et entraîna ses hommes vers la sortie de la maison, tout en allumant son téléphone, dans l’espoir de joindre la police, pour maitriser cette furie inconnue, qui semblait en vouloir à Ella, sans qu’il sache pourquoi. Mais l’un des caméramen, pendant que toute l’équipe sortait, s’était caché derrière un pan de mur, et continuait à filmer, persuadé qu’il tenait là un scoop. Devant lui, Ella tentait de se relever, les mains sur le ciseau qui remplaçait l’orbite de son œil ensanglanté, mais Inga sortit alors un autre ciseau qu’elle planta dans l’autre œil d’Ella, qui hurla de plus belle. Celle-ci tomba en arrière, ses cris emplissant toute la pièce. Inga s’agenouilla alors vers elle.

 

Et avec force, elle enleva l’un des ciseaux, projetant encore plus de sang, et s’employa à le planter dans le corps d’Ella. Encore. Encore. Des dizaines de fois. Pris d’une folie meurtrière, Inga semblait ne plus pouvoir s’arrêter. Sa bouche trahissait une envie de vengeance. Pour Tania. Pour les autres. Pour elle. Ella devait payer. Et elle ne s’arrêterait que quand cette dernière n’aurait plus le moindre souffle de vie. Elle continua à frapper le corps d’Ella pendant plusieurs minutes. Puis, sans doute pressée d’en finir, elle porta le dernier coup en plein milieu de la tête d’Ella. Le corps de celle-ci s’arrêta net, ses cris également. Ella n’était plus. Ses yeux n’étaient plus que des orbites vides au rouge dégoulinant sur ses joues. Son corps lacéré de toute part laissant s’échapper aussi des rivières de sang, se déversant sur le sol. Alors, le regard d’Inga changea. La fureur l’avait quittée. Elle regardait, comme pris en transe, le corps de celle qui avait fait de sa vie un enfer, satisfaite qu’elle ne pourrait plus jamais le faire. Remarquant le caméraman qui avait tout filmé, elle lui adressa un regard mauvais. Celui-ci, terrorisé de ce qu’il venait de voir, trouva le courage de s’enfuir vers l’extérieur de la maison, pendant qu’au loin des sirènes de police se faisaient entendre. Inga savait qu’elle avait sans doute quitté une prison pour en retrouver une autre. Mais son témoignage, ainsi que celui de ses « sœurs » allait rétablir la vérité sur Ella. Et cela la satisfaisait. Qu’importe de perdre à nouveau la liberté, si cela impliquait de libérer le monde d’Ella et de sa folie des grandeurs.

 

Publié par Fabs





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