10 nov. 2020

HERITAGE SANGLANT

 


La nuit venait d’étendre son voile opaque à travers les rues et ruelles de la ville, se glissant dans ses moindres interstices, cherchant le rai de lumière qui lui aurait échappé pour se fondre sur lui et l’obscurcir de son manteau noir. Seuls quelques lampadaires vieillis par le temps jouaient les rebelles et donnaient l’impression de défier ce seigneur invisible envahissant les murs de briques partout où il passait. C’est dans ce duel habituel que l’horreur allait encore étaler sa toute puissance dans la pénombre d’une impasse gorgée par le néant. Affalée sur le sol, ne pouvant même plus arriver à crier, une jeune femme qui avait fait l’erreur de vouloir prendre un raccourci, vit soudain s’abattre une lame tranchante et lui sectionner net son cou dépourvu de toute verroterie pourtant habituel à toute fille de la nuit digne de ce nom pour attirer ses clients d’un soir. 

 

Mais le rituel n’avait rien de précis, et encore moins l’œuvre d’un orfèvre du meurtre, car bientôt l’ombre porteuse de mort asséna de nombreux autres coups semblant être disséminés au hasard, lacérant le visage à plusieurs reprises de gauche à droite et de droite à gauche dans un balayage incessant et sanglant, mettant les chairs à vif, avant de s’affairer à sortir les yeux de la malheureuse victime de leur orbite, écartant les trous ainsi formés jusqu’à l’extrême, transformant ce qui avait été autrefois une tête en un amas de viande rougeoyante, dont la substance liquide qu’on appelait sang se déversait sur le sol en quantités énormes.

 

Les mains responsables de ce massacre ne s’arrêtèrent pas là, réitérant les coups mortels sur l’ensemble du corps, déchirant chaque parcelle de peau, mettant en lambeaux la chair, sortant les os, les brisant, arrachant les entrailles fumantes pour les déverser en masse au hasard de la ruelle. Quel que pouvait être l’ombre s’affairant à dépecer de la sorte l’ancien corps humain qui se trouvait devant lui, il donnait plus l’impression d’une bête abominable, tuant pour le plaisir, et considérant l’éviscération comme le jeu le plus plaisant qui soit. 

 

Tout heureux de son tableau sanguinolent, la « chose » se releva, observant, le sourire aux lèvres, son jouet qu’il venait d’annihiler de toute vie, le réduisant en une multitude de morceau épars, comme les pièces d’un puzzle morbide.  Avant de repartir vers l’entrée de la ruelle, l’abominable meurtrier donna un dernier coup en écrasant littéralement parlant la tête de son infortunée proie, projetant ce qui en restait en une profusion de tissus humains s’imbriquant dans le sol tout autour. Semblant satisfait cette fois-ci, l’auteur du carnage releva la tête vers l’un des lampadaires, comme s’il cherchait la lumière de celui-ci pour s’en imbiber. Après ça, il sortit de la ruelle, et apercevant une flaque d’eau jonchant le sol, dans un réflexe incontrôlé, se pencha pour y faire apparaître son visage. Voyant ce dernier, celui qui semblait ignorer la pitié, au vu de son acte précédent, sursauta et se mit à crier, comme épouvanté de ce qu’il venait d’y voir.

 

C’est à ce moment-là que le jeune Samuel se réveilla dans son lit, trempé de sueur de toute part, et respirant à perdre haleine, tellement il semblait terrorisé de ce qu’il venait de vivre en rêve. Ce n’était pas la première fois qu’il vivait ce genre de rêves abominable, et empreint d’un réalisme à terroriser toute âme sensible. 2 mois déjà que ses nuits étaient parsemées de ces visions atroces, où mort, sang et carnage fusionnaient en un amalgame effroyable. Samuel ignorait d’où pouvait bien venir ces visions, lui qui avait en horreur toute forme de spectacle horrifique, grâce à une éducation où sérénité et beauté étaient les maîtres-mots inculqués par sa mère adoptive. Peut-être était-ce là le nœud du problème en y repensant, se disait-il. Cela faisait 2 mois qu’il avait appris par celle qui l’avait sorti d’un enfer la vérité sur la nature de sa mère biologique. Un choc pour Samuel, du haut de ses 16 ans. Normal, quand on apprend que sa véritable mère l’avait mis au monde en prison. Fiona, sa mère adoptive, l’avait cependant soutenu dans cette épreuve, qu’elle avait jugée nécessaire au vu de son âge. Nécessaire, car elle craignait que Samuel apprenne par lui-même ce terrible secret, et que cela détruise les liens qu’elle avait forgée avec lui toutes ces années, depuis le jour où elle l’avait sorti de cet horrible orphelinat où il séjournait auparavant. Elle devait donc lui donner elle-même ses origines. Mais pas tout. Il ne devait pas savoir toute la vérité sur sa vraie mère, ni que c’était la raison principale pour laquelle il s’était retrouvé dans cet orphelinat.

 

Un endroit sordide, où les murs sentaient l’âcre et l’humidité, où le personnel chargé de s’occuper des enfants ignoraient le sens du mot empathie, et ne voyaient dans leur travail qu’une tâche ingrate qu’ils détestaient au moins autant que les pensionnaires dont ils avaient la garde. Samuel était arrivé dans cet orphelinat alors qu’il n’avait que quelques jours. Le fils d’une meurtrière qui avait accouchée de lui au sein de la prison où elle purgeait sa peine. L’accouchement s’était mal passé, la faute à un personnel incompétent en la matière, et qui avait tout juste réussi à sauver l’enfant. Ne sachant qu’en faire, car il était évident qu’il ne pouvait rester dans la prison, le directeur l’avait confié à cet orphelinat, les Services Sociaux ne pouvant trouver une famille d’accueil pour un si jeune enfant, et surtout sachant qu’il était l’enfant d’une tueuse. Il n’avait pas une très bonne réputation, mais le directeur n’avait pas le choix.

 

C’est ainsi que Samuel avait grandi au sein de cette atmosphère où la haine et l’injustice étaient ses compagnons perpétuels. Brimé par ses camarades, parfois même violenté, par pur plaisir, il ne pouvait compter sur aucune aide, les membres du personnel étant plus préoccupés du jour de leur paie que des violences subies par un jeune garçon. Un calvaire qu’il avait dû subir quotidiennement jusqu’à l’âge de 11 ans. Jusqu’à ce que Fiona vienne le soustraire à cet enfer. Ce que Samuel ne savait pas à ce moment-là, c’était que celle-ci avait bataillé des années, juridiquement parlant, pour obtenir le droit de l’adopter. Elle connaissait le secret de sa naissance, celle que personne ne lui avait dit, et aujourd’hui encore, même après lui avoir indiqué des informations sur sa naissance, elle gardait une partie de ce secret enfoui en elle. Et il y avait une raison bien précise à cela. Fiona était à la fois la sœur et l’avocate de la mère de Samuel. La meurtrière qui avait perdu la vie en le mettant au monde. En apprenant que le nouveau-né avait été confié aux Services Sociaux, puis envoyé dans cet orphelinat, elle n’avait eu de cesse d’obtenir sa garde, en tant que membre de la famille. Un combat de plusieurs années, mais qui avait fini par payer, et elle avait enfin pu adopter Samuel, et l’élever comme son propre fils.

 

Elle n’avait jamais compris le parcours sanglant de sa sœur, mais pour elle, il était hors de question que son fils devienne comme elle. Et pendant 5 ans, elle avait mis un point d’honneur à faire en sorte que Samuel puisse bénéficier d’une vie saine auprès d’elle, en évitant d’indiquer qu’elle était sa tante, et que sa vraie mère était une tueuse sanguinaire. Pour Samuel, elle ne devait être que sa nouvelle maman. Il ne devait surtout pas apprendre les liens de parenté entre elle et sa mère biologique. Une mission qu’elle s’était elle-même confiée, et qu’elle avait réussie haut la main. Mais à l’approche des 16 ans de Samuel, elle savait qu’il lui faudrait dire une partie de la vérité, masquant le reste, pour la propre santé psychologique de ce dernier. Elle avait fait en sorte que les dossiers indiquant la nature de Rona, sa sœur, ainsi que son parcours teinté de sang et de larmes, ne soient jamais révélés, et elle avait pu obtenir que ceux-ci lui soient confiés. Afin d’éviter toute fuite qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour Samuel. Mais maintenant, elle se demandait si elle avait bien fait de lui masquer une partie de la vérité. Les cauchemars récurrents de Samuel étaient plus qu’équivoques. Il y avait un fort risque que ce dernier ait hérité des gênes meurtrier de sa sœur, et que ceux-ci commençaient à se développer dans l’esprit fragile de Samuel. Elle espérait juste que ceux-ci ne prendrait pas l’ascendant et le mène vers quelque chose de plus néfaste.

 

Alors que Fiona s’inquiétait des cauchemars de Samuel, une silhouette cachée dans la pénombre observait en silence la fenêtre de la chambre de Samuel. Ce n’était pas la première fois qu’elle suivait de loin le jeune garçon, analysant chacun de ses comportements, comme si elle attendait que quelque chose se passe. Chaque sortie, chaque jour d’école, chaque action du jeune Samuel était scrutée, observée par l’étrange ombre, et ce, depuis de nombreuses années. Attendant le moment propice pour se révéler à lui, et lui fournir les indices pouvant expliquer ses cauchemars récents, et aussi les secrets que Fiona ne lui avaient pas révélés. Mais il n’était pas encore temps. Samuel n’était pas encore prêt pour ça. Cependant, l’ombre sentait que le dénouement était proche. Ce moment qu’elle avait attendue, entrait dans une phase primordiale, celle de la révélation. Elle saurait enfin si Samuel était l’espoir qu’elle voulait voir émerger au-delà de ses désirs les plus fous. Mais pour l’instant, il lui fallait encore attendre et observer, afin de déterminer le moment propice, et savoir si Samuel était ce qu’elle attendait.

 

Les jours se suivaient et se ressemblaient pour Samuel. Les nuits aussi. Ses cauchemars devenaient à chaque fois plus intense. Comme plus réalistes. Il avait beau dire à Fiona qu’il maitrisait ceux-ci, il sentait bien que ceux-ci évoluaient de jour en jour. Des détails troublants qu’il avait caché à sa mère, ne sachant pas si il les avaient rêvés ou s’ils étaient réels. Une bague retrouvée dans son tiroir par exemple. Au début, il pensait qu’elle appartenait à Fiona, ayant glissée d’un de ses doigts, ceux-ci étant chacun doté de l’une d’elles. Mais il n’avait jamais vu celle-ci à ses doigts. Elle ne pouvait donc pas lui appartenir. Mais alors, d’où venait-elle ? En plus de ça, il avait remarqué de fines traces rouges séchées sur la pierre au centre de la bague. Comme du sang. Comme dans ses rêves. Il y avait autre chose. Ses baskets aussi comportaient ces mêmes traces. Et quand il se levait le matin, il trouvait parfois de la terre sur le sol de sa chambre. Comme s’il était sorti dehors pendant la nuit. Ca n’avait pas de sens. S’il était sorti, il s’en souviendrait. Et en dehors de ses cauchemars, aucun souvenir de quoi que ce soit qu’il aurait pu faire en pleine nuit. Et surtout sans réveiller qui que ce soit. Au début, Samuel se disait qu’il voyait des choses là où il n’y en avait pas. Il y avait sûrement une explication à la présence de cette bague, à la terre, et aux traces rouges. Mais d’autres détails se rallongèrent par la suite, de plus en plus inquiétants.

 

Au fil des jours, il trouva dans son tiroir, un pendentif, une boucle d’oreille, et même un portefeuille. Dans celui-ci, il y avait une carte de visite : Dolorès Minora. Une agente immobilière. Comment il avait pu entrer en possession de ce portefeuille ? Mais ce n’était pas le plus grave. Le jour où il trouva le portefeuille, en descendant l’escalier pour rejoindre la cuisine, afin de prendre le petit-déjeuner, un nom entendu aux informations, venant de la radio allumée, l’avait fait sursauter. Les autorités avaient trouvés le corps d’une femme dans une ruelle, massacrée d’une manière inimaginable. Et ce n’était pas la première victime. C’était la 3ème fois qu’une scène d’une brutalité inouïe avait été découverte dans des ruelles de la ville. Sans qu’aucun témoin ne puisse donner d’indications quant à un éventuel suspect. Tout au plus, un témoin ayant évoqué une « ombre » de petite taille à proximité du dernier massacre. L’analyse de ce qui restait de son corps avait pu déterminer l’identité de la victime, grâce à son permis de conduire. Il s’agissait de Dolorès Minora. Samuel crut défaillir en entendant ce nom. Et ce n’était pas tout. La police indiqua également qu’une boucle d’oreille manquait. Non. Ca ne pouvait pas être vrai. C’était impossible. Il ne pouvait pas être en lien avec ces massacres.

 

Remarquant son malaise, Fiona lui demanda ce qui le tracassait. Luttant pour masquer son angoisse, Samuel répondit qu’il avait juste un peu mal à la tête. Mais avec un peu d’aspirine ça irait mieux, tout en arborant un sourire forcé. Fiona n’avait pas insistée, mais Samuel sentait bien qu’elle ne le croyait pas. Cependant, il partit du principe que c’était lui qui se faisait des idées à son sujet. Il termina son bol de céréales, et partit pour le lycée. Du moins, il le fit croire. Toute cette histoire lui martelait la tête, et il voulait en savoir plus. Il se mit en tête de se diriger vers le quartier où avait eu lieu le dernier meurtre, histoire de voir si quelque chose de familier sur le parcours lui reviendrait en mémoire. Mais une fois sur place, rien ne lui était familier. Peut-être aurait-il eu plus de chance s’il avait pu plus s’approcher de la scène de crime, mais impossible de se rapprocher plus, avec la police qui surveillait le quartier, sans parler des journalistes et autres badauds. Il était certain d’être refoulé. Un peu déçu, il reprit le chemin du lycée, quand il aperçut une silhouette dans la pénombre d’une ruelle, proche du lieu du massacre. Une silhouette qui semblait le dévisager. Il n’arrivait pas bien à définir s’il s’agissait d’un homme ou d’autre chose. Il ferma les yeux un instant, comme pour être sûr qu’il ne rêvait pas. En les rouvrant, la silhouette avait disparu. Une hallucination sans doute se dit-il, avant de reprendre sa route. A ce moment, Samuel ignorait que la nuit qui venait allait être déterminante pour lui révéler les questions qui l’envahissaient.

 

Le soir venu, après avoir dîné, Samuel, comme à son habitude, monta dans sa chambre. Trop fatigué pour lire une BD, tel qu’il le faisait habituellement, il s’allongea sur le lit, histoire de réfléchir à certains détails de cette histoire. Mais le sommeil fut plus fort que ses doutes, et il finit par s’endormir, sans même s’en rendre compte. Au bout de quelques heures, un phénomène étrange se produisit : Samuel fut envahi d’une aura luminescente, à  mi-chemin entre le rouge vif et le bleu cyan, comme semblant sortir de son corps, et l’enveloppant peu à peu, formant une sorte de brouillard sombre, effaçant peu à peu les traits de son visage, ses bras, ses jambes, tout ce qui constituait son corps, jusqu’à le recouvrir entièrement, ne laissant la place qu’à une entité nuageuse teinté de ténèbres. L’étrange créature qu’était devenu Samuel se dirigea alors vers la fenêtre, passant à travers, comme si elle n’avait jamais été là, tel un fantôme, un corps sans la moindre consistance physique.

 

 L’entité se déplaça alors en direction d’un quartier voisin, comme cherchant quelque chose, scrutant les trottoirs sur les côtés et devant elle. Puis, elle stoppa son avancée, semblant avoir trouvée ce pour quoi elle était venue. Se cachant dans la pénombre d’une ruelle, elle observait ce qui semblait être sa future proie. Quelques mètres plus loin, une jeune femme, sortant d’une soirée, disait au revoir à ses amis, et se dirigea ensuite dans la direction de Samuel, ou plutôt la créature qu’il était devenu. Arrivée à la hauteur de la ruelle, la femme stoppa son avancée, afin de s’allumer une cigarette. Rangeant son briquet et son paquet dans son sac, elle voulut reprendre son chemin, mais quelque chose, sans qu’elle puisse déterminer ce que c’était, l’angoissait. Elle regardait autour d’elle. Le quartier était curieusement désert. C’était bizarre. D’habitude, même à cette heure, il y avait toujours des passants qui déambulaient çà et là sur les trottoirs avoisinants. Alors que là, le silence semblait avoir pris possession des alentours. Comme si elle s’était retrouvée dans une sorte de bulle, une dimension où elle seule serait piégée. Cette sensation augmentait encore son angoisse, elle se sentait observée, mais elle ne voyait rien autour d’elle.

 

Elle cherchait à repartir, mais une sorte de brume sombre lui attrapa le bras, la serrant avec force, et semblant vouloir l’entraîner vers la petite ruelle à proximité. Elle voulut s’en défaire, mais impossible. Elle ne pouvait pas non plus crier. C’était comme si sa gorge ne fonctionnait plus, qu’elle ne pouvait plus faire sortir le moindre son. Bientôt, la brume noire lui attrapa l’autre bras et la taille, et elle se retrouva propulsée en plein milieu de la ruelle et de ses ténèbres. Il n’y avait aucun bruit autour d’elle. C’était surréaliste. Elle se remémorait un épisode d’une vieille série SF des années 50 dont le nom lui échappait, relatant une situation ressemblant à celle-ci. Et cela ne la rassurait pas vraiment, au vu du sort du personnage dans l’épisode. Elle ne ressentait plus l’étrange brume autour de ses bras. Celle-ci semblait l’avoir lâchée. Mais elle était paralysée par la peur, sans se l’expliquer. Elle ressentait une présence autour d’elle.

 

Puis, d’un coup, une silhouette noire, pareille à une sorte d’aura, se présenta devant elle. Ses yeux dessinés au sommet de ce qui semblait être sa tête, donnait l’impression de vortex où des sillons bleutés et noirs tournaient en continu au centre des orbites. La silhouette s’avança alors, lentement, sans le moindre bruit, si ce n’est la respiration de la femme, paniquée, qui ne pouvait pas bouger, tellement elle était en proie à la terreur. En quelques secondes, la silhouette positionna ce qui lui servait de tête au-dessus du visage de la jeune femme, comme observant ses contours, ou pour décider par quelle partie commencer. C’est alors qu’une main de brume se plaça sur le visage, appuyant de toute sa force, faisant craqueler chaque os constituant sa tête, alors qu’elle retrouva la faculté de crier. Au même moment, une autre main brumeuse agrippa son bras droit, et d’un geste, l’arracha dans un craquement effroyable. Un mélange d’os brisé, de chair arrachée et de sang propulsé aux alentours. La femme hurlait, pendant que l’autre main continuait de lui écraser la surface de son visage, faisant ressortir ses yeux, sa mâchoire étant comme expulsée et se retrouvant suspendue au niveau du cou. Le sang coulait de toute part, l’entité, prise d’une frénésie meurtrière, arrachant tout à tour l’autre bras,  plongeant dans le corps pour en extirper une partie des côtes, avant de les balancer sur un des côtés de la ruelle.

 

 La brume tueuse renouvela le geste pour arracher divers organes de la femme, qui n’avait déjà plus de vie. Sa tête ayant été broyée par le fait d’une force inimaginable, formant un magma de sang, d’os et de chair étalés sur le sol. Le cœur, le foie, les poumons, furent un à un extirpés du corps sans vie, broyés à leur tour, puis jetés au hasard dans la ruelle. Ce fut ensuite le tour des jambes d’être arrachées du tronc, balancées vers les murs avoisinant. Le massacre continua : les mains de brume s’affairant à retirer les os du cou, écartant la chair, tel un jeu morbide dont seul l’entité connaissait les règles. Le dépeçage dura plusieurs minutes, avant qu’elle décide d’arrêter. Sans doute aussi parce qu’il ne restait plus rien à démembrer.  La silhouette de brume se leva alors, dédaignant son œuvre, et repartant vers la sortie de la ruelle, comme guidé par un instinct qu’elle-même ne semblait pas comprendre. Arrivée au bout de la ruelle, l’ombre se dissipa peu à peu, laissant la place au corps humain de Samuel, l’aura rouge et bleu semblant réintégrer l’intérieur de celui-ci. Samuel se retrouvait comme en état de transe, un moment qui lui semblait familier, pour l’avoir sans doute vécu d’autres fois, sans s’en souvenir. 

 

Mais cette fois, c’était différent. Cette fois, il se souvenait de tout. Sa transformation, les corps massacrés, l’excitation ressentie en arrachant les membres,… Il revoyait tout. Et pourtant, cela ne l’effrayait pas. Au contraire, il semblait prendre plaisir à ces souvenirs sanglants. Même s’il ne semblait pas tout comprendre ce qui lui arrivait. Au même moment, une autre ombre similaire à ce qu’il était quelques instants auparavant fit son apparition devant lui. Elle aussi vit peu à peu disparaitre son enveloppe brumeuse pour laisser place à un corps humain. L’homme qui se trouvait alors devant Samuel se présenta comme son père. Un peu sceptique, Samuel continua malgré tout de l’écouter. Ce dernier lui expliqua que lui et son épouse, il y a de ça quelques années, avait fait un rituel. Une invocation. Un pacte avec un démon. En échange de sa puissance, ils lui ont promis de lui offrir des vies pour assouvir sa soif de. C’est ainsi qu’ils sont devenus des meurtriers pourchassés par toutes les polices du pays. Chaque braquage de banque ou de commerce en tous genres n’étant que des prétextes pour donner toujours plus de vies au démon qui leur offrait son pouvoir. Cependant, malgré toute cette puissance, leurs corps n’étaient pas invulnérables. Et lors d’un énième braquage, par imprudence, ils furent canardés de toute part par la police. Lui, il avait eu le temps de reprendre la forme de brume que lui et son épouse utilisaient lors des massacres, qui ne comportaient habituellement aucun survivant pouvant indiquer ce qu’ils avaient vu.

 

Mais sa femme fut prise par l’effondrement d’un pan de mur, déclenché par la fusillade. Il aurait voulu lui venir en aide, mais il aurait mis à jour leur existence et leur forme démoniaque. Plus tard, il apprit qu’elle avait été enfermé dans une prison de la région, et surtout qu’elle était enceinte. Il ne pouvait donc pas la faire sortir sans risquer de mettre en danger la mise au monde de l’enfant. Il devait attendre la naissance. Mais l’accouchement s’est mal passé, et son épouse est morte en mettant au monde l’enfant. L’homme indiqua à Samuel que cet enfant c’était lui. Il était resté en retrait toutes ces années, sans intervenir, car il voulait être sûr que Samuel avait hérité des facultés offertes par le démon, de manière génétique. Et surtout, qu’il était un meurtrier en puissance, aimant tuer et massacrer. Ce soir, il venait d’en avoir la preuve. Il était bel et bien son fils. Maintenant, ils allaient pouvoir reprendre la mission que leur avait donnée le démon. En famille. En tant que Père et Fils. Il n’arrivait pas à expliquer encore pourquoi, mais Samuel sentait que l’homme ne lui mentait pas. Il était heureux même de retrouver sa vraie famille. 

 

Et de voir sa vraie nature faire surface. Son père lui en apprendrait plus sur la manière de faire dans les prochaines semaines, les prochains, mois, les prochaines années. Notamment cette faculté de plonger une zone au cœur des ténèbres invisible des autres. Un moyen idéal pour tuer sans être vu ou dérangé. Ce pouvoir était fabuleux. Il voulait en savoir plus. Alors, Samuel sourit à son père, prit sa main, et ensemble, ils partirent au cœur de la nuit, vers un destin sanglant qui les appelait.

 

Publié par Fabs

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