27 nov. 2020

UN COEUR A PRENDRE

 


Croyez-vous à l’amour ? Ou plutôt croyez-vous aux rencontres fortuites lors d’une soirée dans un bar où vous n’attendez rien, en dehors de plonger un peu plus dans la morosité qui vous étreint au moment où vous y êtes entré ? Je sais, ça peut paraitre un peu bizarre comme question, mais c’est pour que vous compreniez mieux ce qui m’est arrivé il y a peu, et aussi faire en sorte que de mettre en garde contre la personne qui m’a rendu en l’état dans laquelle je vous parle en ce moment. Ah oui, c’est vrai : j’ai oublié de vous préciser que je ne suis pas humain. Enfin, pour être précis, je ne le suis plus. Je suis devenu ce que vous appelez un fantôme, un esprit, un revenant. Qu’importe le nom que vous lui donniez. Je ne suis plus qu’un corps immatériel condamné à errer dans ce monde. Vous pensez sans doute que je mérite cet état ? Que c’est parce que j’ai commis une faute grave que je me retrouve à déambuler de la sorte ? Bon, je ne peux pas vous en vouloir : vous faites vraisemblablement partie de ceux qui ont été nourris par les histoires fantastiques à la « The Grudge » ou « Conjuring », persuadés que tous les esprits sont mauvais et ne cherchent qu’à faire le mal. J’ai été comme vous à une époque. Mon seul lien avec le surnaturel étaient les films, les bouquins, les docs, que je considérais plus comme une distraction que comme un fait établi. Je le regrette aujourd’hui. Si j’avais un peu plus cru en ces choses, j’aurais certainement été plus méfiant, je serais toujours un être physique, et je ne serais pas là à me lamenter sur mon sort auprès de vous. Mais je brûle les étapes. Vous vous demandez sûrement comment j’ai bien pu devenir cette entité fantomatique qui cherche à vous prévenir d’un danger ? Et vous avez raison. Mais je tiens à vous prévenir : cette histoire est à la fois belle et tragique, horrible et tendre. Tout dépendra du point de vue que vous aurez sur les évènements que je vais vous conter à présent.

 

Mais reprenons au début : je me nomme Harvey. Je vous vois venir. Non, pas comme le lapin invisible du film avec James Stewart. Même si au vu de mon état actuel, je peux comprendre la comparaison. Mais mon prénom, je l’avais bien avant de devenir un esprit. Reprenons : le soir où ma vie a basculée, je venais de subir une séparation douloureuse avec celle qui partageait ma vie depuis 5 ans. Autant vous dire que moralement, j’étais dans un état pas beau à voir. Le visage blafard, les yeux dans le vide… Une loque au sens propre du terme. Et comme je trouvais que c’étais pas assez, je me suis retrouvé sans trop savoir comment dans ce bar, à commander whisky sur whisky. 

Je devais bien en être à mon 4ème verre quand une femme magnifique est venue s’asseoir près de moi, au comptoir du bar. Je n’avais jamais vu une telle beauté. De type asiatique, les cheveux noirs descendant jusqu’à la moitié du dos, des courbes parfaites, un visage angélique… Bref, j’étais complètement sous le charme. Le type même de personne que tu sais que tu ne pourras jamais avoir la moindre chance avec elle. Alors, quand celle-ci a commencé à entamer la conversation, j’ai cru que j’étais en train de rêver. Je ne me rappelle même plus de quoi on a parlé exactement. J’étais tellement subjugué par sa beauté que je ne me souviens pas avoir fait attention à autre chose. Et puis, le rêve a atteint un autre niveau : elle m’a invitée à continuer notre conversation chez elle. Elle m’a dit qu’elle n’habitait pas très loin, et qu’elle aimerait beaucoup faire plus ample connaissance avec moi dans un cadre plus…intime.

 

Face à une telle proposition, je ne connais aucun homme qui aurait refusé. Surtout de la part d’une véritable déesse de beauté comme elle. Alors, bien sûr, j’ai accepté, et je l’ai suivi chez elle. Une petite maison toute simple, dans le plus pur style japonais, avec un petit jardin composé de tout ce qu’on voit dans les films venant tout droit du pays du Soleil Levant. Jusqu’à la devanture. Avec une différence cependant : un peu partout, il y avait des décorations d’araignées. Statuettes, lampes japonaises, gravures sur le mur. C’était beau, mais curieux cette obsession de ces bestioles. Déjà, j’aurais dû me douter que cela cachait quelque chose. Mais je ne sais pas si elle m’avait envoûté ou quoi que ce soit d’autre, mais je ne voyais qu’elle. Comme si on se connaissait depuis des années. Du coup, tout le reste m’importait peu. A l’intérieur, on a continué à parler un peu, tout en partageant une bière asiatique. C’était vraiment agréable, et plus le temps passait à discuter avec elle, plus je sentais mon désir pour elle augmenter. Et puis, elle m’a pris par la main, avec ce petit regard mutin qui en disait long. 

 

Elle m’a entrainé vers sa chambre, et moi j’étais comme un petit garçon à qui on avait promis de faire voir son cadeau d’anniversaire en avance. Sauf que là, le cadeau, était bien plus somptueux. Une fois entré dans sa chambre, sans que j’ai le temps de dire quoi que ce soit, elle a commencé à me déshabiller. Complètement. Ensuite, elle m’a littéralement poussé vers le lit où je me suis affalé sans bouger, attendant la suite des évènements. Elle s’est mise nue à son tour. Son corps était magnifique, parfait. En y repensant, trop parfait. Cela aurait dû m’alerter. Une beauté physique pareille, ça n’existe pas dans le monde humain. Mais sur le coup, j’étais bien trop sous le charme pour penser à ça. Elle s’est allongée sur mon corps. Moi, je sais pas pourquoi, mais je pouvais même plus bouger, comme paralysé par sa beauté irréelle. Sans trop savoir pourquoi, je fermais les yeux. Sans doute pour vérifier que je ne rêvais pas. J’en sais trop rien en fait.

 

C’est après que tout a dérapé. Que le cauchemar a commencé. Pendant que j’avais les yeux fermés, j’ai senti que mon corps se paralysait de plus en plus. C’était comme si je m’étais transformé en piquet de bois. Je sentais même plus mes bras et mes jambes. C’était vraiment très curieux. Quand j’ai rouvert les yeux, j’ai cru que j’étais soudainement plongé en enfer. Devant moi, la jeune femme magnifique avait fait place à un visage de cauchemar. Une rangée de yeux d’un rouge flamboyant parsemait le haut de celui-ci. Sa bouche était pourvue d’une multitude de dents acérées, son nez avait disparu, ses cheveux semblaient comme flotter dans les airs autour d’elle. Et il y avait pire : des excroissances sortaient de son corps. On aurait dit des pattes immenses. Mais pas n’importe quelles pattes. Des pattes d’araignée. Et en regardant vers mon corps, je compris pourquoi je ne pouvais plus bouger. J’étais pris dans une sorte de cocon fait de toile qui enveloppait tout mon corps, bloquant tout mes mouvements. J’étais pris au piège. Mais l’horreur ne s’arrêta pas là. Elle prit dans ses bras une couverture. L’aspect faisait penser à un lange pour bébé. Elle le déposa alors près de ma tête, puis défit le lange. A l’intérieur, une quantité impressionnante d’œufs se mit à éclore, libérant des centaines de petites araignées qui se ruèrent vers mon visage, avant de le croquer de toute part. La douleur était insupportable, et elle, elle regardait en souriant. Pendant que je me faisais dévorer le visage de toute part en hurlant, elle se jeta sur moi à son tour, plongeant sa main dans mon corps, et, en quelques secondes, extirpa mon cœur palpitant et sanguinolent. Je pense que c’est à ce moment là que je vis les choses autrement. De plus haut. 

 

Mon esprit était sorti de mon corps, et j’assistais au carnage perpétré par la Jogorumo et ses enfants. J’ai appris le nom de cette créature par la suite, en me faufilant dans une bibliothèque. Quand on n’a plus de corps, rien de plus facile. Le plus compliqué a été d’apprendre à manipuler les objets matériels. Bref. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer ce qu’on peut ressentir quand on voit son propre corps se faire littéralement dévorer par une créature de ce type, sans rien pouvoir faire. C’est la pire des situations. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais devenu un fantôme. Au début, j’ai cru que j’étais sous l’emprise de drogue, ou quelque chose d’assimilé. Mais quand j’ai essayé de l’arrêter, de crier, et que j’ai vu que mes doigts passaient à travers son corps, sans que ça puisse la stopper, j’ai compris. J’ai compris que j’étais mort, et que c’était mon corps qui servait de repas à cette créature. Le spectacle était horrible et a duré des heures. A la fin, il ne restait plus rien. Même pas les os. Tout juste des masses de sang sur le sol et les draps du lit. Je suppose qu’elle a tout nettoyé par la suite. Ou jeté. Et qu’elle avait déjà en tête sa prochaine chasse. Car c’est tout ce que j’étais. Une proie. Un casse-croûte pour satisfaire son appétit.

 

Voilà mon histoire. Comme je vous l’avais dit : belle au début, tragique à la fin. Le genre d’histoires qui vous fait voir la vie autrement. Mais au moins, je tiens à ce que mon sacrifice serve à quelque chose, en prévenant de l’existence de cette monstruosité. Maintenant, vous savez à quoi vous en tenir. Si par malheur, vous croisez la route d’une beauté asiatique sans équivalent, que vous vous sentez attiré par elle de manière irrésistible sans comprendre pourquoi, et que celle-ci vous invite à venir chez elle : fuyez. Partez le plus loin possible d’elle et de sa bouche dévoreuse de chair. Car une fois entré dans son antre, ce sera trop tard. Vous rejoindrez la liste de ses victimes, et deviendrez comme moi une âme en peine. Un esprit tourmenté qui regrettera toute sa vie d’avoir fait passer le plaisir avant la prudence. 

 

Publié par Fabs

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