25 mars 2021

DOPPELGÄNGER-Le Double Maléfique

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Je sais qu’il est là, à me scruter dans l’obscurité, observant mes moindres faits et gestes, silencieusement, ricanant intérieurement de mon désarroi, de ma détresse m’envahissant chaque jour un peu plus. Il sait que je ne pourrais pas lutter contre lui indéfiniment, que je n’arriverais pas toujours à reprendre le dessus. Il me domine, malgré ma résistance. Il anticipe tous mes mouvements, à l’affut de ces tremblements qui trahissent ma peur de lui. Malgré la pénombre, je devine son sourire démoniaque, je perçois son aura maléfique salir tout ce qui a de l’importance pour moi. Mon honneur, ma réputation, ma dignité… tout ce qui fait de moi un être humain. Mais le suis-je encore ? Car tel est son pouvoir. Il parvient à me faire douter de ce que je suis, de ce que j’étais, et de ce que je pourrais devenir.  Il est moi, et je suis lui. Je devine ses actes tout comme il sait tout ce que j’envisage de faire. La seule différence entre lui et moi, c’est que je sais comment y mettre fin. Mais je ne parviens pas à m’y résoudre. Ce serait tellement plus simple. Oui, je pourrais mettre fin à ce cauchemar en coupant le lien qu’il y a entre nous. Mais cela signifierait mettre en route un autre cauchemar.

 

Je les entends, les autres, arpentant les couloirs, les hommes en blanc. Ils se rient de moi, je le sais. Ils me prennent pour un fou. Comme tant d’autres avant eux. Mais je ne suis pas fou. Je sais très bien ce que je suis, en tout cas pour l’instant. Mais pour combien de temps. Tant que je resterais ici, je resterais à sa merci, sans la moindre défense, et il le sait. C’est pour ça qu’il prend son temps. Il attend que je sombre complètement pour prendre ma place. Cette place que je l’ai autorisé à partager en moi, un soir où j’étais trop démuni pour penser rationnellement. Ce fameux soir où ma raison a vacillé à tel point que j’ai fait l’erreur de le faire naître. Je vous vois venir avec vos reproches. Non, je n’ai pas fait de rituel. Non, je n’ai pas utilisé de planche Ouija. Non, je n’ai pas fait non plus d’invocation pour appeler dans notre monde une créature infernale. Celui qui hante mes jours et mes nuits est bien plus dangereux que tout cela. Il est mon double. Mon autre moi. Peut-être mon vrai moi. Peut-être que c’est moi qui suis la mauvaise partie. Peut-être suis-je dans un monde faux, un univers parallèle où l’interdit est autorisé, où le rationnel n’existe pas, où le bien est soumis au mal, où je suis du mauvais côté du miroir d’une existence qui n’a pas de sens. Je ne sais plus trop quoi penser. Qui suis-je ? Suis-je seulement humain ? Et n’est-ce pas lui qui est censé me rappeler la vraie manière de me comporter dans ce monde qui m’échappe ? Est-il un guide ? Une conscience ? Une simple entité chargée de me ramener dans le chemin d’où je n’aurais jamais dû m’écarter ? Autant de questions dont j’ignore les réponses. Comment le pourrais-je ? Pour y répondre, encore faudrait-il que je sois sûr de ce que j’ai fait, et de ce que lui a fait. Mon autre. Ma moitié. Mon Doppelgänger.

 

Je vous entends à nouveau soupirer à ce mot. Vous êtes comme les hommes en blanc en fait. Vous croyez que je délire. Que tout ce que je dis n’est que le fruit de mon imagination débordante, à force de regarder des films d’horreur. Que cela a fini par empoisonner mon cerveau d’idées saugrenues. Que je vois du mal là où il n’y en a pas. A dire vrai, je me suis souvent posé la question avant d’arriver ici. Juste après le dernier meurtre. Juste après avoir tué mon meilleur ami. Le seul qui aurait pu un tant soit peu me croire à force d'insister. L’unique personne qui aurait pu trouver une solution à mon problème, je l’ai éliminé sans vergogne. Mais ce n’était pas vraiment moi. C’était lui. Derek faisait partie de son planning mortel. Mais Derek n’était pas n’importe qui. C’était une sommité dans le domaine scientifique. Un spécialiste de la schizophrénie. En plus d’être mon ami, c’était aussi mon psychothérapeute. Curieux mélange n’est-ce pas ? Comment on peut être à la fois le patient et l’ami de quelqu’un de sa profession ? Je ne le sais pas moi-même. C’est arrivé comme ça, à force de parler lors de nos séances. De tout et de rien. De mon enfance, où on s’est trouvé des connaissances communes. Sans le savoir, on avait passé nos études au même collège, passé les mêmes examens, suivi le même cursus universitaire. A la fois proche et éloigné.

 

 Vous connaissez le principe des flammes jumelles ? Eh bien, Derek et moi, on était un peu ça. Il a fallu le décès de ma sœur pour qu’on se rencontre et qu’on se découvre des affinités. Ce jour-là, j’étais au plus bas qu’un être humain puisse être. Complètement anéanti. Ma sœur que j’aimais plus que tout au monde, plus que moi-même venait d’être la proie d’un serial killer, alors qu’elle était tranquillement installée sur son canapé à regarder son émission stupide qu’elle adorait. Et elle avait le tort d’être la cible parfaite de cet assassin. Blonde, sexy, attirant le regard des hommes, qu’elle dédaignait sans détour, étant lesbienne, enfin non, elle était gay. Elle détestait quand j’utilisais le mot « lesbienne ». Elle le trouvait moche. Et péjoratif. Donc, voilà, elle était gay. Et infirmière. C’est difficile de comprendre ce qui peut pousser un tueur en puissance à choisir une catégorie sociale, une couleur de cheveux, une race, une profession en tant que cible. Daphné, ma sœur, faisait partie de la catégorie qu’il « chassait ». Pour son plus grand malheur.

 

Quand la police m’a appelé, en pleine nuit, pour me demander de l’identifier à la morgue, j’ai cru que ma vie s’était arrêtée. D’un seul coup. Je me suis effondré sur le sol, tellement la nouvelle de sa mort m’avait détruit intérieurement. Je pense que c’est à ce moment-là que je l’ai créé. Inconsciemment. Mon autre. Celui qui allait faire de ma vie un chemin bardé de meurtres, de sang et de folie. Comme je vous l’ai dit, ma sœur était gay. Et elle était inscrite sur un site de rencontres, espérant trouver la femme parfaite. Elle s’était décidée à s’inscrire sur les conseils d’une collègue. Pas trop convaincue au départ, elle s’était finalement laissé tenter, alignant les « dating », après chaque « match » sur le site. Ce qu’elle ne savait pas, c’était que le site servait de « marché » pour ce fameux tueur, qui repérait ses « proies » de cette manière. Toutes avec le même profil. Après que la police ait finalement retrouvé sa trace et arrêté, il a été découvert que ma sœur était sa 12ème victime, en retraçant son parcours. Il avait « matché » chacune des victimes, et surtout il avait fait une énorme erreur. Du sang retrouvé sur le lieu de son dernier crime, dû à des marques de griffures causées par ma sœur envers son agresseur. Il était fiché en tant que prédateur sexuel en liberté conditionnelle. Et malgré son statut, la justice avait décidée qu’il avait le droit de rester dehors, tant qu’il se rendait aux rendez-vous fixé par la personne chargée de veiller à ce qu’il ne récidive pas.

 

Elle est belle la justice ! A cause de cette « erreur de jugement », tel que les médias l’avaient titré, tout comme les professionnels psychiatriques, ma sœur n’était plus de ce monde. En tout les cas, suite à cette affaire, je suis tombé en pleine dépression, et c’est là que j’ai rencontré Derek, et surtout qu’on s’est rendu compte de notre « lien » sans s’en douter. Curieux le destin parfois. Curieux et impitoyable. Je ne saurais dire comment, mais ces thérapies, ce choc reçu suite au décès de ma sœur, ont semble-t-il réveillé une partie de moi. Violente, impitoyable, sans la moindre pitié. Une partie infime, mais que ma colère a transformé en quelque chose de beaucoup plus puissant. Comment ça s’est déroulé ? Difficile à comprendre, mais ma haine envers ce tueur a mise au monde une entité qui m’était propre, composée de toute la noirceur que j’enfouissais en moi depuis des années. Et si au départ, cela se résumait à des phases d’énervement que je n’arrivais pas à comprendre, des bris de matériel après un énième refus d’augmentation envers mon patron, un cendrier balancé sur l’écran de TV, parce que mon équipe favorite de base-ball s’était gaufrée en beauté ; mes réactions devinrent au fur et à mesure de moins en moins « contrôlées », et ce malgré ma thérapie.

 

Et puis, il y a eu un  gros « dérapage », il est arrivé à une soirée où Derek m’avait convié, m’ayant expliqué qu’il était important pour moi de rencontrer du monde pour me redonner une « importance sociale », tel qu’il me l’avait décrit. Il croyait dur comme fer que cette sortie allait me permettre d’extérioriser ma culpabilité de n’avoir pas su protéger ma sœur. Personnellement, je ne comprenais pas très bien son charabia, mais je lui faisais confiance. Pas en tant que thérapeute, mais en tant qu’ami. Le seul vrai ami que j’avais à ce moment-là. Les autres soi-disants amis, qui étaient plus ceux de ma sœur que de moi à proprement parler, m’ayant très vite écarté de leur centre de préoccupation, une fois la douleur de leur amie plus ou moins en phase d’effacement de leur mémoire. D’un coup, ma sœur n’étant plus là, je n’étais plus que le « frère de », au lieu de l’ami qu’ils me disaient être. L’hypocrisie prend parfois des formes insoupçonnées. Bref, ce soir-là, Derek, occupé à « extérioriser » lui aussi envers une jolie brune, sans doute pour mieux me forcer à me lancer au milieu de la foule, et sans doute espérant que je sympathiserais avec le premier venu, m’a plus ou moins fait sentir que je devais aller vers l’autre. Alors, j’ai suivi son conseil, et me suis mélangé à ces personnes remplies de strass et de paillettes, dignes des stars d’Hollywood, leurs verres de champagne à la main, leurs conversations que j’entendais à demi-mots, aussi strériles que parfois incompréhensibles pour un néophyte tel que moi d’un tel monde, où le faste l’emporte sur le modeste. Je n’arrivais pas trop à comprendre pourquoi Derek croyait que me trouver lâché en plein cœur d’une fosse de requins de la finance, de traders multi-friqués et autres nymphettes avides de trouver un homme pouvant leur apporter un confort financier confortable, serait un bon déclencheur pour moi pour retrouver un semblant d’humanité et retrouver une passion de la vie qui s’était échappée de moi.

 

Mais bon, je continuais ma « tournée », quand mon regard se posa sur un couple en train de se disputer assez sévèrement sur la terrasse de la maison où se trouvait la soirée. Une dispute qui commençait à s’envenimer, les noms d’oiseaux fusant de plus en plus violemment. Et puis, l’homme commença à empoigner le bras de la jeune femme, le serrant fortement, ce qui provoquait manifestement une douleur importante à cette dernière. Elle lui demandait de le lâcher, il refusait. C’est alors que mes mouvements prirent le dessus sur ma volonté, et je me dirigeais vers le couple en dispute, et sans dire un mot, j’obligeais l’homme à lâcher la jeune femme surprise par mon intervention, et en profitant pour retourner au cœur de la foule. L’homme me jeta un regard furieux, menaçant de lever le poing vers moi. Et d’un coup, je me sentis comme envahi d’un voile noir, une sorte d’aura, amplifiant ma colère, mes yeux me donnant l’impression de se remplir d’un liquide noir et opaque, je sentais mes membres se gonfler d’une force que je n’aurais jamais imaginé avoir. C’était comme si on m’avait transmis un pouvoir et que je le découvrais parce que je ne pouvais contrôler mes ressentiments.

 

J’ai alors attrapé l’homme par sa cravate hors de prix d’une main, et de l’autre, je lui assénais un coup de poing violent en plein visage. Il tomba à terre, le nez en sang, se tenant le visage en couinant comme un jeune pourceau. Etait-ce son attitude ensuite qui me fit sortir de tout contrôle, à cause de ses insultes à mon encontre ? Ou simplement parce que j’aimais ce pouvoir qui déferlait à l’intérieur de mon corps ? Toujours est-il que je me suis dirigé vers ma victime, la criblant de coups de plus en plus violents, la soulevant à plusieurs centimètres du sol, moi qui avais pourtant une carrure bien moins imposante que lui, projetant son corps contre un mur sous l’œil médusé et effrayé des autres convives de la soirée. Je ne contrôlais plus rien. Je m’emparais d’un morceau de verre au sol, provenant du cocktail d’un invité l’ayant lâché, épouvanté par la bagarre, et je commençais à lui lacérer les bras, déchirant son beau costume à plusieurs centaines de dollars, enfonçant plus profond à chaque fois, malgré ses cris de douleurs. Puis, je m’attaquais à son visage, le lardant de cicatrices qui lui resteraient sans doute toute sa vie, sans pouvoir m’arrêter. Et sous l’emprise de je ne sais quelle force, mes yeux passèrent à un rouge profond. Je le vis en voyant le reflet de mon visage sur sa boite à cigarettes en aluminium qui dépassait de sa poche de veston. Un rouge flamboyant, comme démoniaque. Cela me terrorisa, et je me stoppais net, laissant le pourceau pleurant comme une madeleine, tentant de se protéger sans trop de convictions.

 

Derek vint juste après, m’emmenant à part, pendant que les hôtes de la soirée, prévenus de l’affrontement sanglant qui venait d’avoir lieu, tentaient de relever ma malheureuse proie d’un soir, l’emmenant le plus loin possible loin de moi, tentant d’empêcher le sang dont il était parsemé de couler plus encore sur le sol, à l’aide de mouchoirs et de serviettes. Derek me parlait, mais je n’entendais pas ses paroles, c’était comme si mon cerveau ne comprenait pas ses paroles, ou bien qu’il refusait de le faire. Mais peut-être n’était-ce pas moi directement la cause de ça. Peut-être était-ce « l’autre » en moi ? ça ne pouvait être que ça. Je ne pouvais pas être celui qui était responsable de cette attaque digne d’un barbare de l’antiquité. Je ne savais pas comment à ce moment-là, mais j’étais de plus en plus persuadé que je devais être comme un de ces possédés dont le cinéma d’horreur est si friand à travers ses films. Je me souvenais les yeux rouges. Aucun être humain ne peut avoir des yeux comme ça. 

 

Oui, c’était certain : il y avait quelque chose en moi, et c’était elle qui m’avait poussé à cet acte, en utilisant mon corps. En prenant possession de celui-ci, contrôlant mes mains, mes doigts, chacun de mes gestes. Irriguant la colère en moi, comme un barrage ayant soudain cédé face à une pression surnaturelle. Par la suite, ses relations aidant, Derek à réussi à obtenir un compromis avec l’homme que j’avais tailladé, ainsi que sa famille. Il ne m’a rien dit directement, mais je suppose que cela avait dû se régler à coup de dollars. Ça marche toujours comme ça dans ce milieu. Plus tu es riche, plus tu peux faire oublier n’importe quoi. Derek ne m’a plus jamais emmené en soirée. Mais par contre, il a intensifié les séances de thérapie. Pensant réguler la haine que j’avais développé. Il m’a expliqué que c’était vraisemblablement le fait d’avoir vu cet homme agresser physiquement cette femme, qu’il m’a expliqué être sa petite amie qui voulait rompre avec lui, qui avait déclenché cette fureur en moi. Une sorte de réminiscence de mon état mental suite à l’agression de ma sœur. Derek m’expliqua aussi que mon cerveau avait imagé tout homme agressant une femme comme un symbole de celui qui avait tué ma sœur. Comme si mon inconscient voyait tout homme commettre un acte répréhensible envers une femme comme un ennemi à éliminer. Pour ne pas qu’il recommence envers d’autres femmes.

 

Sur le coup, son explication restait plausible, mais je savais bien que c’était autre chose. Je savais que je n’étais plus seul dans mon corps. Une entité le partageait avec moi. Une entité dangereuse. Mais je pensais que maintenant que je le savais, je serais capable de l’empêcher d’agir, de la laisser enfermé au plus profond de moi. Lourde erreur. C’était mal juger de la force que j’avais crée involontairement. Une force qui allait bien vite grandir, maintenant que je lui avais laissé l’occasion de se montrer au grand jour. Le simple fait d’avoir opéré cette 1ère attaque lui avait donné l’assurance dont elle avait besoin pour prendre le dessus sur le faible mental qui m’envahissait. Je revoyais le visage de l’homme de la soirée chaque soir dans mes rêves. Ou plutôt mes cauchemars. En tout cas, au début, c’est lui que je voyais. Lui… et ces yeux rouges. Chaque fois que je me regardais dans la glace, je les voyais. Mais pas seulement eux. Peu à peu, une silhouette commença à se former autour de moi. Noire, menaçante, tentant de s’extirper de mon corps, afin d’avoir sa vie propre. Cela me terrorisait. Je ne savais pas comment faire pour m’en débarrasser. 

 

J’ai tenté d’en parler à Derek. Mais pour toute réponse, il me disait que c’était une hallucination que mon esprit avait créée. Une réponse à ma culpabilité d’avoir agressé cet homme. Comment aurait-il pu me croire ? Il vivait dans la rationalité après tout. Il ne croyait pas au fait que des forces surnaturelles nous entourent, ne demandant qu’à se manifester dès lors qu’on les sollicite. Que ce soit volontairement ou inconsciemment. Les jours et les nuits qui suivirent furent de plus en plus horribles à chaque fois. Je voyais cette silhouette partout où il y avait une surface réfléchissante. Que ce soit l’émail de la baignoire, les vitres du salon, la flaque du café que je venais de renverser au sol, me fixant de ses yeux rouges au milieu des éclats de la tasse. J’ai cherché sur le net des moyens de la combattre, par des rituels, des incantations, l’absorption de potions, de drogues multiples. Rien n’a fonctionné. Au contraire, j’avais même l’impression qu’à chaque tentative, je m’affaiblissais, et je lui permettais de prendre encore plus le contrôle de mon esprit… et de mon corps. C’était un vrai cauchemar. Et je ne pouvais pas en parler. On me prendrait pour un fou. Peut-être étais-je en train de le devenir ? Peut-être que Derek avait raison ? Qu’il fallait que j’arrête de me considérer responsable de l’état du gars que j’avais défiguré ? Non. Je savais bien au fond de moi que je n’étais pas fou. Je savais qu’il existait. Mais ce n’était que le début du cauchemar. D’autres évènements allaient arriver. Bien plus tragique et sanglants encore.

 

Chaque jour qui passait était une lutte incessante contre « lui », sans trouver une issue. Une situation qui me rendait faible. Il me devenait de plus en plus difficile de le contenir en moi. Et un jour, l’inévitable s’est produit : il a réussi à sortir de mon corps. C’était un soir à priori comme les autres. Toujours le même songe. Me revoyant encore en train de taillader le jeune richard. Et puis, son image s’est déformée. D’autres visages sont apparus. Celui du meurtrier de ma sœur. Mes anciens « amis » qui m’avaient délaissé. Je ne comprenais pas. Pourquoi leurs visages avaient-ils remplacés celui de l’autre homme ? Au bout d’un moment, le visage du meurtrier apparut plus régulièrement. L’autre en moi semblait influer, plus encore que d’habitude, pour me montrer son image. Alors, sans que j’en ai le moindre contrôle, je me suis mis sur mon ordinateur, cherchant où il avait été enfermé. Dans quelle prison, quel service de celle-ci. Je n’avais jamais été très doué en informatique, et question vitesse, même un escargot aurait pu me battre, niveau frappe des caractères. 

 

Pourtant, là, je tapais à une cadence infernale, comme si j’étais soudain devenu un hacker expérimenté, me faufilant sur des sites dont je n’avais jamais entendu parler, voyant des images, des graphiques, des plans avec les blasons des plus grandes instances judiciaires, qu’elles soient locales, ou plus importantes, tel le FBI. Je « crackais » les codes comme si j’avais fait ça toute ma vie. Mais ce n’était pas moi à vrai dire, je le savais bien. C’était « lui ». Il voulait savoir où était le meurtrier, et il voulait tout connaitre des moindres recoins de la prison où il était. Sur le coup, je ne comprenais pas bien à quoi ça pouvait lui servir. Et plus tard, sans doute parce qu’il avait obtenu tout ce dont il avait besoin, je m’arrêtais dans mes recherches. Et, harassé par la fatigue, je me recouchais, et m’endormais, presque sans m’en rendre compte. Je pensais que ça s’en tiendrait là. J’étais naïf. Le lendemain, au petit déjeuner, je regardais les infos du jour, comme chaque matin. Et là, je crus que j’allais vomir tout ce que je venais de manger. Les infos venaient d’annoncer la mort de Reggie Delvey, le meurtrier de ma sœur, retrouvé mort dans sa cellule. Officiellement, il s’était ouvert la gorge et les veines avec un canif sorti d’on ne sait où. Une enquête était ouverte pour savoir qui avait bien pu lui fournir cette arme. Mais moi, je savais. C’était « lui ». ça ne faisait aucun doute. Voilà pourquoi il avait besoin de tous ces renseignements sur la prison. Pour savoir où le trouver. Et le forcer à se tuer lui-même. Mais ce n’est pas ce qui me faisait le plus peur. Cela signifiait qu’il pouvait désormais sortir de mon corps comme bon lui semblait à mon insu.

 

Comment vous dire ce que je ressentais à ce moment-là ? D’un côté, je me sentais heureux de sa mort, comme soulagé que ma sœur avait été vengée ; mais de l’autre, je me posais la question : pourquoi mon « autre » avait-il eu soudain le désir de le tuer ? J’en étais encore à me poser la question quand soudain je fus pris de visions. C’était comme un des cauchemars que je faisais, mais en plein jour. Je me sentais comme une liseuse de diapositive humaine, dont mes yeux seraient l’écran. Je revoyais Reggie dans sa cellule. Je le voyais avec la terreur dans son regard, tentant de crier, mais aucun son ne sortait de sa bouche, sans doute empêché par « lui ». Je le voyais comme dirigé tel une marionnette s’emparer d’un canif, apparu comme par magie sur le rebord de son lit. Je voyais le canif de plus près, et ma terreur s’amplifia.

 

C’était le mien. Plus précisément, celui qui m’avait été offert par ma sœur pour mon anniversaire il y avait 3 ans de ça. Etant passionné de pêche, et pour m’avoir vu utiliser mes dents régulièrement pour couper le fil de mes lignes, ou pour ouvrir les boites d’appâts, elle m’avait offert ce canif. Pour ne pas, selon ses propres mots « me retrouver avec des dents de lapin à force de tirer dessus ». Comment il savait où je le rangeais ? Question stupide. Il est « moi » en quelque sorte. Donc, il savait tout ce qui me concerne. Mais si la police faisait le lien entre ce canif et moi ? Si c’était un canif ordinaire, je n’aurais pas de crainte à avoir, n’ayant pas de casier judiciaire. Mais ce canif comportait mes initiales sur le côté. C’est ma sœur qui les avait fait graver. Avec un petit mot sur l’autre côté du canif : « à mon frère adoré ». N’importe quel flic suffisamment chevronné ferait le rapprochement entre ma sœur, sa dernière victime, les initiales, et moi. C’était pas possible… D’un autre côté, les flics trouveraient ça bizarre que je me sois introduit dans une prison surveillée, en ayant évité toutes les caméras de surveillance, et ayant pu ouvrir la porte de la cellule sans l’aide de la clé. Néanmoins, la présence du canif allait malgré tout les interroger. Comment je pourrais expliquer qu’il se soit trouvé entre les mains de Delvey ?

 

Mais mon « autre » ne se limita pas à cette image. Il me montra toute la scène où Delvey se trancha les veines, délicatement, patiemment, versant son sang sur le sol, l’air hagard, avant de rapidement diriger la lame vers sa gorge, ouvrant celle-ci de part en part dans une gerbe de sang, se projetant partout autour de lui, puis tombant par terre, vidé de toute substance de vie. La vision s’arrêta net à cet instant, alors qu’il me semblait entendre un ricanement emplir toute la pièce, « son » ricanement. Puis je le vis, enfin pas tout à fait. Ce n’était qu’une silhouette se fondant dans le recoin ombreux de la pièce d’en face. Au début, il resta immobile, ses yeux rouges illuminant la pénombre. Puis, il s’avança, doucement, prenant un malin plaisir à positionner ses pas avec précision. Au début, je me demandais pourquoi il avançait de cette manière. Voulait-il m’effrayer plus que je ne le fusse déjà ? Non, je compris bien vite pourquoi. Il voulait me laisser le temps de l’observer en profondeur, au fur et à mesure qu’il s’avançait dans la lumière. Quand il fut enfin distinct parfaitement, mon visage se figea d’horreur. C’était moi ! C’était mon visage, mon corps, mes jambes, mes bras, portant la tenue que j’avais au moment-même où je le regardais. Il était mon sosie parfait, si ce n’était ses yeux rouges étincelants. 

 

Puis, il s’arrêta net, comme satisfait que je me sois rendu compte qui il était. Il ria alors à gorge déployé, avant de disparaître peu à peu, ses traits et sa silhouette laissant place au vide. Je dus m’asseoir tellement le choc était rude. Il me fallut plusieurs minutes pour m’en remettre. Je savais maintenant ce qu’il était. Un Doppelgänger. Je me souvenais avoir lu un ou 2 trucs sur ce type de créature en farfouillant au hasard sur le net, mais je pensais que ce n’était qu’une légende. Le genre d’histoire qu’on raconte aux enfants pour qu’ils se tiennent tranquille ou simplement pour les effrayer. Mais là, je venais d’avoir eu la preuve que ce n’était pas un mythe. Un Doppelgänger ! Autrement dit, un double maléfique. Né de la colère et du sentiment d’injustice d’un humain. C’était moi qui l’avait fait naître ! Parce que je n’avais pas accepté le meurtre de ma sœur, et surtout que son meurtrier était toujours en vie. J’avais créé ce monstre, identique à mon image. Mais je me posais une autre question. Si c’était à cause de la mort de ma sœur que je l’avais créée, maintenant qu’elle était vengée, il allait disparaitre pour de bon, et me renvoyer à une vie normale. Là encore, je me trompais lourdement.

 

Les nuits suivantes, je refis d’autres cauchemars, avec d’autres images en tête. Celle de mes anciens amis. Chaque nuit, le visage de l’un d’entre eux m’apparut. Chaque lendemain, je découvrais leur meurtre sauvage étalé sur les journaux. Jeff s’est éventré avec son couteau de chasse, laissant ses boyaux se déverser dans sa cuisine, en pleine nuit. C’est sa fille de 7 ans dont il avait la garde ce soir-là qui a trouvé son corps, et qui a trouvé le courage d’alerter les voisins, avant que ceux-ci préviennent la police. Carla, elle, s’est défenestrée en sautant par la fenêtre de son appartement. Du 20ème étage. Ce que les policiers ont trouvés au sol ressemblait à l’étalage d’un boucher, la tête ayant éclaté sur le bitume, projetant une partie de son cerveau plusieurs mètres plus loin, pendant que le reste de son corps ressemblait à une vraie bouillie de chair et d’os. Jonah s’est jeté contre un mur avec sa voiture flambant neuve, totalement réduit à un amas de chair, transperçé par son volant « sport », la plupart de ses organes ayant éclaté sous le choc et projeté un peu partout dans l’habitacle de la voiture. Ismaël a été retrouvé pendu au ventilateur du salon de sa maison, la tête partiellement découpée par les pales. Quand les policiers ont trouvé le corps, alertés par sa petite amie à qui il ne répondait pas au téléphone, le ventilateur tournait encore, faisant tournoyer le corps, envoyant du sang et des morceaux de cervelle un peu partout. Et enfin, Maddie a été retrouvé les mains hachées par son mixer. Elle s’était préalablement coupé la langue avec une cisaille de jardinier. Sans doute pour être sûre de ne pas crier. L’hémorragie a eu raison d’elle. Mais on suppose qu’elle a dû souffrir des heures avant de succomber à ses blessures.

 

Une vraie hécatombe qui m’a fait comprendre le fonctionnement de mon Doppelgänger. Il s’en prenait à ceux qui m’avaient fait du mal, que ce soit directement ou non. Le meurtrier de ma sœur, mes amis qui m’avaient laissé tomber juste après. Soudain, la terreur m’envahit à nouveau. Si le Doppelgänger choisissait ses cibles en fonction de mes ressentiments, ça voulait dire que Derek… Non ! Pas lui ! Certes, je lui en voulais de ne pas avoir voulu me croire quand je lui ai parlé la première fois de celui que j’appelais mon « autre » à ce moment-là, mais je ne voulais pas qu’il meure pour ça. Les autres aussi ne le méritaient pas. Surtout d’une manière aussi horrible. Qu’il ait tué le meurtrier de ma sœur, je pouvais encore le comprendre, même si je ne l’acceptais pas, mais les autres… ! D’un coup, je compris pourquoi il était parti tout à l’heure. Il voulait continuer le travail. S’il s’en prenait ensuite à tous ceux qui m’ont plus ou moins blessé psychologiquement durant toutes ces années… Je n’osais imaginer le massacre qui allait s’en suivre. Mais pour l’heure, je devais sauver Derek. Je m’habillais d’un simple jogging et d’un tee-shirt, malgré le froid presque hivernal du dehors, enfilais des baskets et fonçais vers le cabinet de Derek. Jamais les transports en commun ne m’avaient paru aussi lents. Je ne comptais plus le nombre de personnes que je bousculais sur mon passage. Pas le temps de m’excuser. Pas le temps de m’expliquer surtout. Personne ne me croirait de toute façon. Seul comptait le fait d’arriver à temps.

 

Au bout de près de ¾ d’heure, je parvins enfin au cabinet de Derek, espérant qu’il était toujours en vie. Il était tôt, et son cabinet n’était pas encore ouvert officiellement, mais je savais qu’il était toujours sur place au moins une bonne heure avant. Aussi, je n’étais pas vraiment étonné qu’il n’y avait personne dans les escaliers de l’immeuble menant à son lieu de travail. Je dédaignais l’ascenseur, prenant l’escalier, oubliant ma fatigue, pour arriver avant que mon double n’opère. Quand j’ouvris la porte, je fus soulagé de voir Derek devant moi, souriant même. Derek me demanda ce que je faisais là, qu’on n’avait pas de séance aujourd’hui. J’allais commencer à lui dire une explication fantaisiste pour expliquer ma présence, quand je m’arrêtais sur place, pétrifié par ce que je voyais. « Il » était là. Mon autre. Mon Doppelgänger. Souriant, un ouvre-lettre à la main, luisant à la lumière passant par la fenêtre. Voyant mon air terrifié, et surtout que je dirigeais mon regard derrière lui, Derek se retourna. Je lui criais de ne pas le faire, de venir vers moi, mais c’était trop tard. Il eut à peine le temps de voir mon double, montrant sa surprise de me voir, alors que j’étais de l’autre côté de la pièce, que mon « moi », abattit de toute sa force la lame de son arme improvisée sur le visage de Derek, lui traçant une cicatrice allant de l’extrémité droite de la tête au bord inférieur gauche du menton. Derek se tordit de douleur, se mettant à genoux au sol, hurlant de douleur. Je n’arrivais toujours pas à bouger, paralysé par la terreur, pendant que Derek était assailli de dizaines d’autres coups de la part de mon Doppelgänger, lacérant son visage, ses mains avec lesquelles il essayait de se protéger, ses bras, son ventre, à travers sa fine chemise blanche, sa préférée. Puis, il plongea son arme en plein cœur de la gorge de Derek. Celui-ci révulsa ses yeux, se tint la gorge avec ses mains ensanglantées, laissant échapper un râle d’étouffement, tombant sur le flanc droit, agonisant petit à petit. Mon double le laissa ainsi, nageant dans son sang, plusieurs minutes. Puis, sans doute lassé de ses gémissements, plongea la lame au milieu du crâne, la tournant, la malaxant, faisant sortir des litres de sang, de chair et de cerveau, dans un bruit effroyable d’os brisés.

 

J’avais les larmes aux yeux, non, pire que ça, je déversais des litres de larmes devant ce spectacle qui me semblait durer des heures. Au bout d’un instant, mon double s’arrêta. Derek ne bougeait plus. Il était mort. Se relevant, mon « autre » s’approcha de moi, souriant. Sans rien dire, il me posa la lame dans les mains, et disparut, me laissant seul avec mon destin. Quelques instants plus tard, alerté par les cris, les autres occupants de l’immeuble débarquèrent, me trouvant affalé sur les genoux au sol, envahi par la douleur, incapable de dire quoi que ce soit, avec toujours l’ouvre-lettres qui avait servi d’instrument de mort entre les mains. Comme vous vous en doutez, malgré le fait que j’ai tenté de dire que je n’étais pas le meurtrier par la suite, personne ne m’a cru. J’ai été interrogé des heures durant par les policiers qui voulaient savoir également comment mon canif s’était trouvé en possession de Reggie Delvey, dans sa cellule, avec mes empreintes un peu partout. Idem pour les autres meurtres, mes empreintes digitales m’ont trahi pour chacun d’entre eux. Quand j’ai commencé enfin à parler du Doppelgänger, ils m’ont fait passer un examen psychiatrique. Conclusion : schizophrénie paranoïde aigüe, trouble de la personnalité, catatonie latente à certaines heures de la journée, correspondant aux heures de la mort de Derek et des autres. 

 

C’est ainsi que je me suis retrouvé enfermé ici, incapable de prouver l’existence de mon double maléfique. Comment le pourrais-je ? Il n’apparait que quand je suis seul dans ma cellule capitonnée, toujours caché dans la pénombre, à l’abri de l’œil des caméras, ricanant, m’envoyant la nuit de nouvelles images de ceux qu’il a tué en mon nom, afin de plus me perturber, attendant que je sombre totalement dans la folie. Afin qu’il puisse être libéré de mon emprise, et vivre avec sa propre autonomie. Pour l’instant, il est limité aux personnes que mon subconscient considère comme de mauvaises personnes envers moi. Mais je ne serais pas toujours là. Lui, si. Maintenant que je l’ai créé, je ne peux plus le détruire. En tout cas, j’ignore complètement comment faire. Quand il sera libre, que je ne serais plus de ce monde, il pourra tuer qui il veut, sans distinction, sans limite. Alors, je m’accroche à la vie, pour l’empêcher qu'après ma mort lui vienne un jour l’idée de s’en prendre à des enfants, des bébés, ou que sais-je encore. Je ne sais pas combien de temps je tiendrai. Je sens que mes forces faiblissent de jour en jour. A cause du traitement. Mon corps semble ne pas l’accepter. Et ça n’inquiète personne. Pour eux, ça ne ferait qu’un meurtrier en moins. Qu’il meure de ça ou autre chose, ça libérerait la société. Les imbéciles ! Ils ignorent ce que je sais. Ils n’ont pas conscience que quand je mourrais, il sera libre. Et là, les meurtres s’enchaineront sans que personne ne puisse rien faire. Ce sera son règne. Son royaume mortel. Un monde régi par la mort et la terreur. Un monde dont le maître sera mon Doppelgänger.

 

Publié par Fabs


18 mars 2021

LES ENFANTS DU CREPUSCULE


 


Depuis combien de temps suis-je là à attendre leur venue ? A redouter de grossir le nombre de leurs victimes, devenue exponentielle, depuis ce jour maudit où j’ai découvert cette tablette, et que j’ai eu la stupidité d’en réciter les versets qui y était inscrit ? Je ne sais plus vraiment. J’ai perdu toute notion de temps depuis que je me suis prostré dans cette maison, attendant l’inévitable, comme d’autres attendent la délivrance, alors qu’ils sont alités aux portes de la mort. Est-ce qu’il s’est passé des jours ? Des semaines ? Des mois, peut-être ? Je serais incapable de le dire. Je ne peux que compter le nombre de gouttes de sueur perlant sur mes joues à chaque heure qui passe à surveiller le son de leurs pas dans les ténèbres qui ont envahi les rues. Eux, les enfants du crépuscule, les Dark Child. Enfin, c’est le nom que je leur ai donné. Personne ne sait vraiment qui ils sont. Ce qu’ils sont. D’où ils viennent. Enfin, pour cette dernière affirmation, j’ai bien quelques idées. Ils ne peuvent venir que de l’enfer. Leurs chiens noirs et décharnés, arracheurs de chair, destructeurs de vie en sont l’évidence même. Comment pourrais-je oublier la première fois où je les ai vu à l’œuvre ? Comment effacer de ma mémoire l’image de ces gens déchiquetée par leurs dents de cauchemar ? Ni celle de mes amis, démembrés par ces enfants aux yeux noirs, sans que ceux-ci ne les touchent physiquement. Simplement en pointant leurs mains dans leur direction, et faisant le geste de détacher de leur corps leurs mains, leurs bras, leurs jambes, avec ce sourire machiavélique au bord de leurs lèvres ?

 

J’ai vu le sang de tant de personnes couler après ça, tant de cadavres joncher les rues, tel un parterre macabre, une décoration de rue aux accents de morbide, une vision d’horreur indescriptible. Personne n’est à l’abri de leurs pouvoirs, de leurs compagnons infernaux. Le seul espoir qui reste à chacun est d’être le dernier sur leur liste de mort. Impossible de s’échapper : les issues de la ville sont toutes gardées par les Wraths, ces colosses d’argile doués de vie, sans la moindre pitié ou compassion pour ceux qui essaient de franchir les frontières délimitées par leurs maîtres. Certains n’ont pas eu le cran d’attendre. Combien de coups de feu venant des maisons voisines n’ai-je entendu résonner dans le silence du soir ? Des signes de fin de vie anticipée pour ne pas affronter l’indicible cognant à leur porte, signifiant qu’ils ont été choisis pour mourir. Des détonations qui sont devenues monnaie courante depuis les derniers jours, depuis l’avènement de ces enfants du désespoir, pourfendeurs de toute vie. Le pire pour moi, c’est que tout ça est entièrement de ma faute. Je suis le seul responsable de ce chaos monstrueux, cette plongée dans le néant et la terreur. C’est à cause de moi si la ville est enveloppée de cette vague de meurtres, toutes plus affreuses les unes que les autres, perpétrées par ces créatures sans âme, issues de mes invocations imbéciles. Toujours ma foutue curiosité ! Toujours à mettre en avant ma passion pour l’ésotérique et l’histoire avant le bon sens. Si seulement j’avais écouté Jenny. Elle aussi avait payé à cause de mon inconscience. D’une manière horrible. C’est pourquoi je rédige aujourd’hui ces mémoires. Afin que ceux qui les liront sachent à quoi ils vont faire face, quand les enfants se dirigeront vers d’autres lieux, d’autres populations pour étendre leur territoire de désolation, et qu’ils délaisseront notre ville. C’est pour que d’éventuels chercheurs de vérité au sein de notre cité morte le découvre au hasard de leurs inspections, et trouve, à travers les bribes de mes lignes, une solution pour enrayer ce fléau en cours.

 

Mais peut-être voudriez-vous savoir, vous qui lisez mes mots, comment un tel cauchemar a bien pu débuter ? Alors, je vais tout vous dire, en espérant n’omettre aucun détail qui pourrait vous être utile, et vous donner un indice, une petite piste, aussi infime soit-elle, pour arrêter les enfants et leurs créations, avant que l’humanité toute entière ne soit ravagée par la mort et les ténèbres. Quand vous lirez ceci, c’est que j’aurais déjà rejoint l’estomac d’un de leurs monstres, ou qu’ils se seront servis de mon cadavre pour s’amuser à orner les rues, comme un signe macabre de leur passage. Une marque indélébile frappée par le sceau du sang et de la destruction. Voici donc mon histoire. L’histoire d’un pauvre idiot qui a provoqué l’apocalypse par sa bêtise et son ignorance. L’histoire d’un simple petit étudiant en histoire antique, qui a fait une découverte qu’il aurait préféré ne jamais avoir eu connaissance. L’histoire d’un imbécile qui, par son implication, sera sans doute, à vos yeux, l’instigateur du plus grand fléau que la Terre n’ait jamais eu.

 

Je m’appelle Trevor, et je suis étudiant au sein de la prestigieuse Université d’Oxford, dans la section Sciences Humaines et habitant dans le collège Harris Manchester, réservé aux moins de 21 ans. Le système d’Oxford, comme pour la plupart des universités britanniques, est difficile à comprendre pour les non anglo-saxons, à cause de sa complexité, de ses différentes branches, ses spécificités. C’est un peu comme une ville au sein de la ville, pour résumer. Chaque collège possède sa propre catégorie d’âge, sa propre section d’études, le tout dirigé par un recteur, un directeur si vous préférez, chargé de veiller au bon déroulement des cours au sein du collège, et dépendant du Chancelier, à la tête de l’ensemble de l’université et ses 38 collèges, aidé par un vice-chancelier et d’une multitude de personnes dont il serait fastidieux de vous énumérer les rôles et les fonctions de chacun. Sachez seulement que l’ordre et la discipline y sont les maîtres-mots, et la moindre infraction au règlement peut avoir des conséquences dramatiques sur son avenir au sein de l’Université. Beaucoup ont critiqué le système d’Oxford depuis l’affaire Laura Spence, lors de l’année 2000, du nom d’une jeune étudiante venant d’une école publique et ayant postulée pour être admise au sein d’Oxford. Ce qui lui a été refusée sans que des raisons valables soient données, ses notes et ses connaissances étant très largement au-dessus de la moyenne, et aurait dû lui permettre une acceptation sans problème.

 

Pourquoi parler de Laura Spence me direz-vous ? Tout simplement parce que j’ai connu une histoire similaire dans ma famille, mon frère, alors qu’il cherchait à entrer dans la même Université, et j’ai pu voir à quel point cette injustice l’avait marqué. Tout cela à cause d’un rang social jugé « inférieur » pour les dirigeants D’Oxford. Cela a eu un battage médiatique beaucoup moins important, ma famille n’ayant pas eu la force nécessaire de s’engager dans un combat judiciaire qui aurait, de toute façon, été voué à l’échec. Alors, quand vint mon tour de faire ma demande d’admission, et que j’ai été accepté, alors que mon niveau était clairement un cran en-dessous de celui qu’avait mon frère, ce fut une véritable révolution pour ma famille modeste. J’aurais tant aimé que mon frère puisse voir cela. Mais cette injustice dont il a été la victime a eu un coût très lourd à porter. Entendez par là qu’il s’est suicidé, n’acceptant pas le fait que nos parents ne veuillent pas engager le combat comme l’avait fait la famille de Spence. Nous l’avons trouvé, ou plutôt JE l’ai trouvé pendu dans sa chambre.

 

 J’avais 14 ans à l’époque, et vous imaginez bien le choc que cela a représenté pour moi. Je ne saurais dire si c’est cet épisode qui m’a fait me lancer de manière assidue dans les études, mais je pense qu’il ne serait pas faux de dire qu’il a certainement été déterminant. Quoi qu’il en soit, j’ai pratiquement abandonné toute vie sociale pour me consacrer à fond dans mes études, afin de pouvoir faire mieux que mon frère, de « venger » en quelque sorte sa fin tragique et injuste. Je me suis spécialisé dans l’histoire, en particulier les anciennes civilisations, tel que les aztèques, les mayas ou encore la Grèce antique. Cela m’a toujours fasciné, et je rêvais d’obtenir un doctorat dans le domaine, devenir un conférencier célèbre, afin que ma famille puisse obtenir la renommée auquel elle avait droit. Une manière pour moi de montrer à mon défunt frère que sa mort n’aura pas été totalement inutile aux yeux d’un monde ignorant les petites gens tel que nous.

 

Pendant plus de 5 ans j’ai trimé dur, très dur, passant des nuits à étudier, apprendre des langues mortes, tel le latin, l’égyptien antique, les écrits issus de l’ancienne Mésopotamie, tout ce que mon cerveau pouvait emmagasiner, au risque de le faire exploser de connaissances. J’en était arrivé à un point que j’étais capable de distancer intellectuellement quelques-uns des plus grands historiens connus du territoire britannique. Et depuis l’histoire Laura Spence, Oxford était sous les feux des projecteurs en cas de « récidive », et savait qu’il ne pouvait plus refouler un génie sous prétexte qu’il ne correspondait pas aux critères sociaux définis par une intelligentsia qui faisait partie, elle aussi, de l’histoire. Alors, j’ai été accepté haut la main, et intégré au sein de la forteresse culturelle d’Oxford. Le mot forteresse est bien faible au vu de la masse de connaissances disponible en son sein, rien que la bibliothèque centrale, la Bodléienne, et ses 8 millions de volume, en faisant la 2ème plus grande concentration de savoir écrit au Royaume-Uni, derrière la British Library. Pour moi, dont la soif de culture antique était presque impossible à assouvir, c’était comme si j’entrais dans le Pays des Merveilles d’Alice.

 

Il me fallut un peu de temps pour m’habituer à la grandeur et au faste d’Oxford, et Jenny a été déterminante dans cet « apprentissage ». Jenny, c’était tout le contraire de moi : elle adorait faire la fête, toujours à s’enthousiasmer pour tout et pour rien, spécialiste de la démonstration de câlins en public, malgré mes réticences, n’hésitant pas à me tirer par la main pour m’emmener vers des parties insoupçonnées de beauté de l’Université, faisant l’admiration de tous ses professeurs par son savoir, et lui pardonnant continuellement son excentricité. Cette fille, c’était une vraie fête foraine à elle toute seule. Rien n’allait jamais assez vite pour assouvir son désir de s’amuser en toute circonstance.  Je me demandais même comment elle faisait pour accumuler avec tant de facilité toute cette connaissance en elle. Là où je devais passer des heures à étudier des dizaines de livres pour parvenir à rédiger un simple essai, devant revenir sans cesse de l’un à l’autre pour être sûr de bien avoir tout compris, elle, simplement en survolant un livre en le lisant en diagonale, elle était capable d’écrire pratiquement l’équivalent d’un discours entier de 50 pages, et ça sans le moindre effort. J’étais à chaque fois subjugué par ça, et je me demandais constamment, et je n’étais pas le seul d’ailleurs, qu’est-ce que j’avais de si particulier pour qu’elle m’ait choisi comme compagnon.

 

Le jour où j’ai eu le courage de lui demander, elle m’a juste dit qu’elle savait qu’on était fait l’un pour l’autre, que ça se voyait dans mes yeux si particuliers. Pour comprendre, il faut savoir que j’ai effectivement des yeux un peu « spéciaux » : ce sont des vairons. C’est-à-dire que mon œil droit est d’un vert opaque, pendant que mon œil gauche est d’un bleu très clair. Deux opposés, au même titre que mon caractère. J’avais beau donner l’impression d’une personne taciturne, ne voyant que les études pour me faire reconnaitre, dans le même temps, je savais que ce n’était qu’un masque que je m’étais forgé durant tant d’années. Au fond de moi, j’avais envie d’être comme tant d’autres, à folâtrer dans les rues, parcourant les bars, à admirer les étoiles sans penser à rien d’autres. Mais le souvenir de mon frère m’interdisait de faire comme les autres. Tant et si bien que je ne pouvais me résoudre à me « dissiper », de peur de trahir cette promesse faite à moi-même de rehausser l’honneur de ma famille. Je ne sais vraiment pas comment elle a fait, mais Jenny a vu cela en moi, et elle s’est comme senti investi de la mission de faire ressortir le vrai moi. 

 

Et elle y est parvenue beaucoup plus facilement qu’on pourrait le croire. Comment dire ? J’adorais son dynamisme, cette excentricité qui faisait d’elle une fille à part. Une sorte d’Harumi Suzumiya, l’héroïne frappadingue du manga de Nagaru Tanigawa. A la différence près qu’on n’a pas créé de club bizarre en chassant les psions, les voyageurs du temps et les extraterrestres. Mais on a trouvé autre chose. Une chose qui a déclenché la venue dans notre monde de créatures ravageant tout sur leur passage. Des créatures qui, de prime abord, ont l’air d’enfants innocents. Mais qui, au final, n’en sont que les enveloppes charnelles. Car ce qui est à l’intérieur défie tout ce qu’il est possible de concevoir en terme scientifique et de l’utilisation du corps et de l’esprit. Des enfants capables des pires atrocités par leur simple regard, pouvant réduire en miettes votre volonté, rendre tous les os de votre corps à l’état de poussière, annihilant toute forme de vie ayant l’audace de se mesurer à eux. Et c’est à cause de moi et ma curiosité maladive qu’ils sont apparus au sein de l’université d’abord, avant de se répandre comme un véritable virus mortel dans la ville.

 

Le soir où j’ai déclenché cette apocalypse sans le savoir, Jenny et moi on se baladait derrière un des bâtiments désaffectés dans un des recoins presque oubliés de l’Université. Ou plutôt, comme d’habitude, c’est Jenny qui m’y avait entraîné, avec sa fougue habituelle. Elle voulait me montrer, selon ses dires, le monticule idéal pour regarder les étoiles en amoureux. Je sais, ça a l’air nunuche comme ça, digne d’un roman à l’eau de rose, mais ça aussi, c’était Jenny. Remplie de contradictions. Et franchement, c’était loin de me déplaire, je dois bien l’avouer. C’est en se dirigeant vers ce fameux monticule, derrière ces bâtiments en ruines, que j’ai aperçu quelque chose de curieux, caché entre les arbres du petit bois avoisinant. Je parvins à convaincre Jenny d’aller voir de plus près. A première vue, ça ressemblait à un cabanon en briques assez délabré. Peut-être un ancien local de jardinier tombé à l’abandon. Mais ce qui était bizarre, c’était le nombre de cadenas qui parsemaient la porte permettant d’accéder à l’intérieur. En s’approchant, et en grimpant sur un vieux tonneau situé plus loin, je scrutais l’intérieur, juste par curiosité, intrigué par ce qu’un simple cabanon soit aussi protégé.

 

A l’intérieur, il y avait une bibliothèque. En fait, tout l’intérieur était parsemé de livres, d’étagères, de tables remplies de documents en partie jaunies par le temps, et des objets curieux placés sur les murs un peu partout. On aurait dit des sortes de talismans, des signes cabalistiques ou quelque chose d’approchant. Comme des protections ésotériques. Je voulais en savoir plus, alors je me mis en tête de trouver de quoi briser les cadenas. Un caillou suffisamment costaud, une tige en fer, n’importe quoi qui me permettrait d’entrer et de satisfaire ma curiosité. Jenny tenta bien de m’en dissuader, me disant que s’il y avait des cadenas, ce n’était sûrement pas pour rien, et surtout qu’on n’était pas venu pour ça. Je n’arrivais pas à m’enlever cette idée de m’introduire, mais finalement je me ralliais au désir de Jenny de revenir à notre but de départ, quant à notre ballade du soir. Et je renonçais, temporairement, à découvrir ce que renfermait cette curieuse bibliothèque cachée au sein d’Oxford.

 

Cependant, même après avoir raccompagnée Jenny à son collège, différent du mien, Oxford séparant communauté masculine et féminine de plusieurs centaines de mètres l’une de l’autre, quand ce n’était pas beaucoup plus, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à cet étrange cabanon. En revenant à ma chambre, au sein de mon collège, je me mis à la recherche d’un outil quelconque pouvant m’assurer de pénétrer à l’intérieur de ce dernier. Je le trouvais en démontant ma lampe de bureau. La tige constituant le corps serait un outil parfait pour faire levier et briser les cadenas de la porte de ce qui était devenu mon obsession. J’attendis plusieurs heures, afin que chacun des élèves du bâtiment soit endormi, pour me glisser dans l’obscurité, et me diriger vers la fameuse bibliothèque secrète. Il ne me fallut que quelques minutes pour y parvenir, excité à l’idée des trésors que j’allais y trouver, peut-être de quoi faire une thèse sur un manuscrit inconnu, ou découvrir des documents sur le mode de vie de peuplades oubliées dans un recoin de notre monde…  Rien qu’à l’idée de tout ça, je ne tenais plus en place, et, un à un, avec l’aide de mon pied de biche improvisé, je brisais les différents cadenas fermant l’accès à ce havre de culture caché à l’insu de tous.

 

Je perçais la pénombre à l’aide de la lampe de camping que j’avais emmenée avec moi, et m’engageais à explorer les lieux. A chaque livre, chaque document que je découvrais à la faveur de la lumière de ma lampe, je découvrais une nouvelle merveille issue d’un passé que peu de personnes au monde devaient soupçonner l’existence. Des traités de démonologie, des essais sur les techniques de torture, des manuscrits parfaitement conservés, à l’abri de tubes en aluminium ou tout du moins quelque chose d’assimilé, une encyclopédie dont je n’avais jamais entendu parler, sur divers phénomènes paranormaux avérés, véritable bible pour tout fan du Paranormal, … Ce n’était pas la mine d’or que je pensais, c’était une véritable caverne d’Ali-Baba. Il y avait aussi divers objets placés dans des sortes de coffrets transparents, scellés, plongés dans une sorte de liquide me faisant penser à une sorte de formol. Certains ressemblaient à des parties organiques : des doigts, des griffes, des oreilles d’animaux à la morphologie incroyable. On voyait aussi des os accrochés en suspension à divers endroits de la pièce aux formes tous aussi fabuleux les uns que les autres. Certains me faisaient penser aux orcs ou aux gobelins tels que décrits dans la saga du Seigneur des Anneaux, mais de dimensions plus réduites. Ailleurs, il y avait des sortes d’ailes tellement petites qu’on les aurait dites arrachés du corps de fées. Mais avec des textures noires. D’un noir très prononcé.

 

Plus je regardais les merveilles de cet endroit, plus je n’arrivais pas à comprendre pourquoi elles étaient cachées au monde, tellement j’étais émerveillé par toutes ces splendeurs semblant venir de différentes époques, peut-être même de dimensions parallèles à la nôtre. Et puis, mon regard fut attiré par un tout autre objet. Une tablette en argile. Semblable à celles qu’utilisaient les romains. Mais les signes inscrits dessus me faisaient plutôt penser à du phénicien. Sans trop savoir pourquoi, je me sentais comme attiré par l’éclat de cette tablette qui était vraisemblablement enduite d’un produit phosphorescent. Des champignons, sans doute, ou des algues. Peut-être que cette tablette avait séjournée dans l’océan avant d’être découverte et emmagasinée ici. Je me demandais aussi qui avait pu réunir toutes ces splendeurs. Mais j’étais de plus en plus intrigué par cette tablette, et je la prenais entre mes doigts, afin de mieux discerner ses inscriptions. C’était bien du phénicien. Aujourd’hui encore, j’ignore pourquoi mais je me suis mis à la traduire à voix haute, à la lumière de ma lampe.

 

« Tapis dans les profondeurs des abysses infernales, vous attendez mon appel, vous les enfants du crépuscule

Je n’ignore pas votre impatience de venir imposer vos lois de la souffrance à la surface d’où vous avez été bannis depuis tant de siècles

Vous qui étiez les seigneurs de ce monde avant même que l’Homme y naisse

Vous qui savourez le moment de votre juste retour afin de faire régner l’ordre naturel de la noirceur

Je vous en conjure : acceptez que je vous libère de votre carcan éternel dans lequel des âmes impures vous ont enfermé depuis bien trop longtemps

Montrez-vous, créatures du désespoir, et reforgez le monde à votre image, afin que les ténèbres qui vous ont créés reprennent leur place »

 

Soudain, je fus pris d’un tressaillement : il s’agissait clairement d’une invocation. Avais-je bien fait de la lire à haute voix ? Il aurait peut-être mieux valu la retranscrire sur papier à la place. Je croyais plus à la valeur historique de certains artefacts qu’à leur supposés pouvoirs, appartenant la plupart du temps à des folklores ancestraux, transmis de génération en génération, et transformés en rites fantastiques au cours du temps, sans conséquences véritables. Cependant, ce n’était pas le cas pour tous, et j’avais déjà eu connaissance par des sommités du paranormal, preuve à l’appui, que certains écrits n’étaient pas à prendre à la légère. De plus, était-ce l’atmosphère de cet endroit qui me faisait divaguer, mais je sentis soudain une forme d’oppression envahir tout mon corps, un froid presque hivernal envelopper toute la pièce. Je reposais la tablette sur la table, et, mû par un instinct que je ne saurais pas non plus expliquer, je me dirigeais vers la porte du cabanon, afin de sortir au-dehors.

 

Comment décrire ce que je voyais ? Le ciel tout entier s’était paré d’une immense nappe noire tourbillonnante, plongeant toute l’université dans une obscurité opaque et menaçante. Des éclairs s’abattaient un peu partout, toujours plus violent. Certains tombèrent de plein fouet sur les collèges, lézardant les murs de toute leur longueur, dans un fracas d’éboulement épouvantable, enflammant le gazon en divers endroits. Partout, des cris se faisaient entendre des différents bâtiments. Des cris de frayeur absolues, terrifiants, de plus en plus nombreux. Des dizaines d’élèves et de professeurs fuyaient des bâtisses s’écroulant, comme si elles étaient écrasées par une force incommensurable. Des vitres se brisaient, des incendies se propageaient, une étrange brume semblait monter de l’intérieur de la terre, envahissant la moindre parcelle de terrain. Et puis, le cauchemar s’amplifia : la terre tremblait, s’ouvrant comme un œuf dont l’occupant cherche à sortir. Et l’image n’était pas si éloignée de la réalité. Bientôt, d’immenses bras sortant de failles gigantesques se posaient sur le sol, afin de faire sortir le corps de colosses semblant constitués de terre ou d’une matière proche. D’autres créatures sortirent ressemblant à des chiens mais dépourvus de toute forme de chair, fonçant tout crocs dehors vers les infortunés ayant le malheur de se trouver sur leur route, les déchiquetant sans la moindre pitié, déchirant leurs gorges, arrachant leurs entrailles dans un craquement d’os effroyable.

 

A leur tour les géants d’argile sortirent complètement de leurs fosses, anéantissant les collèges de leurs mains monstrueuses, écrasant femmes et hommes sous leurs pieds, ne laissant derrière eux que des boues de chair et de sang, s’étalant sur l’herbe devenue d’un rouge flamboyant. Mais ils ne se limitaient pas à l’université. Bientôt, d’autres colosses sortirent, se dirigeant vers la ville, accompagnés d’autres créatures décharnées, des créatures ailées, véritables squelettes vivants, fondaient sur les rues au loin, dévorant les intrépides sortis dehors, affolés par cette vision apocalyptique. Mais il y avait autre chose : au milieu de ce cauchemar, il y avait des enfants. Entièrement vêtus de noir. A l’inverse des autres créatures sorties de terre, ils semblaient apparaître soudainement en divers lieux, se contentant de gestes à priori anodins, mais destructeurs à un niveau inimaginable. Ceux ou celles qu’ils visaient explosaient littéralement, fondaient sur place dans des douleurs et des cris effroyables.

 

 Me sortant d’un coup de ma torpeur, je fonçais vers le campus, pensant à Jenny, aux rares amis que je m’étais fait, avec le faible espoir de les sauver avant qu’ils croisent la route d’un de ces monstres. Je me retrouvais ainsi face à 2 de ces enfants, que je pus détailler ainsi un peu plus. Ils avaient le visage blême, presque blanc, et leurs yeux… Leurs yeux étaient noirs. Aussi noir que le néant. Ils me sourirent. J’eus même l’impression qu’ils hochaient la tête, comme pour me remercier de leur avoir permis de sortir de leur royaume souterrain. Cela me glaça le sang. Néanmoins, ils ne cherchèrent pas à m’empêcher d’avancer, se préoccupant plus des autres proies qu’ils choisissaient, transformant chacun d’entre eux en bouillie, ou les forçant, sans doute par un quelconque pouvoir mental, à se tuer eux-mêmes avec tout objet à disposition : crayons, pierres, canifs, ciseaux, … Une vraie boucherie au sens littéral du terme, s’éventrant, s’ouvrant les veines, s’arrachant les yeux, se coupant les oreilles. Je crois qu’aucun mot n’existe pour décrire ce que je voyais partout ou je posais mes yeux. Ne cherchant plus d’explications quand au pourquoi d’être encore en vie, je continuais ma course vers le collège de Jenny.

 

J’arrivais enfin à ce dernier, et, comble de joie, Jenny était là, cherchant un abri où fuir, complètement paniquée, ayant perdu son légendaire sourire qui la caractérisait tant. Je voulus l’appeler, mais au même moment, je vis un autre de ces enfants infernaux apparaitre juste devant elle. Je criais, je hurlais même de la laisser vivre, de ne pas s’en prendre à elle. Un instant, je crus que l’enfant allait accéder à ma demande, me regardant, impassible, comme semblant s’interroger de ma demande. Puis, il se mit à sourire. Pas un sourire enfantin. Un sourire démoniaque, forcé. Je compris à ce moment ce qu’il risquait d’advenir de Jenny, mais je tentais d’empêcher l’inévitable en me dirigeant le plus vite possible vers Jenny. Je parvins enfin à elle, et sans dire un mot, je la pris par la main, lui signifiant de venir avec moi avant qu’il soit trop tard. Et puis, elle s’arrêta net, les yeux dans le vide, comme vidée de toute volonté. Plus loin, je voyais l’enfant aux yeux noirs diriger sa main en avant, la serrer du plus fort qu’il pouvait. Je regardais à nouveau Jenny. Et je… Je ne sais pas comment décrire ça tellement c’était horrible. Sa tête donnait l’impression de se comprimer sur elle-même, faisant ressortir ses yeux de leurs orbites, son nez se mélangeant dans ceux-ci, sa bouche affichant un rictus de terreur indescriptible. 

 

J’entendais tous les os de son crâne craquer, se fissurer les uns après les autres. Et moi, je ne pouvais rien faire que de regarder, les larmes coulant sur mes joues comme jamais elles avaient coulé. Et puis, son corps tomba sur le gazon, presque sans un bruit, sa tête horriblement déformée, toute vie s’étant échappée du reste de son corps. J’étais dans le désespoir le plus total. Je hurlais de plus belle, en proie à une douleur inimaginable. Et pendant ce temps-là, l’enfant aux yeux noirs cessa de sourire, tourna les talons et se dirigea ailleurs, sans doute en quête d’autres victimes. Jenny était là, devant moi. J’avais l’impression qu’elle me lançait un regard accusateur de ses orbites vides. Comme pour me dire « Pourquoi tu as fait ça ? » « Pourquoi tu es retourné là-bas ? ». Je n’arrivais plus à m’arrêter de pleurer, pendant que le monde autour de moi continuait à subir l’horreur la plus totale. C’est Phil, un de mes amis, qui me sortit de ma transe, me forçant à lâcher la main de Jenny, et m’entraînant avec lui, me criant que je ne pouvais plus rien faire pour elle. Que maintenant, je devais surtout penser à sauver ma propre vie. Toujours rempli de larmes, je le suivis. On parvint je ne sais comment à nous enfuir vers la ville, où le spectacle était tout aussi horrible. Des enfants se postaient devant les maisons, fixant celles-ci, comme semblant lancer des messages psychiques à leurs occupants. Ceux-ci à peine sortis, était la proie des créatures ou tués de la pire des façons par les enfants eux-mêmes. Personne ne semblait pouvoir résister à leur pouvoir.

 

Les maisons étaient détruites par les colosses de toute part, des enfants de tous âge étaient dévorés par les chiens noirs, pendant que des personnes pensant être capables de fuir ce chaos se retrouvaient soudainement dans les airs, happés par les créatures ailées. Je les appelais les Skull Wings. Les colosses, je les nommais les Wraths, les chiens les Death Tooth, et les enfants, les Dark Child. Je sais, ça peut paraître futile de donner des noms à de telles horreurs, au vu de la situation que je vivais à ce moment. Mais c’était encore plus difficile pour moi de ne pas pouvoir nommer l’innommable. Le plus abominable c’était de voir qu’aucune de ces créatures ne cherchaient à m’attaquer moi directement. Comme si j’étais intouchable. En même temps, j’étais celui qui avait permis leur venue. J’étais leur libérateur, c’était sans doute à cause de ça que mon cœur battait toujours. Mais pour combien de temps ? Une fois que toute la population aurait été décimée, me laisserait-ils toujours la possibilité de vivre ? Et après ? Que se passerait-il ?

 

 Ils n’allaient sûrement pas s’en limiter à cette ville. J’en étais à me poser mille questions, quand Phil se tordait de douleur, s’écroulant au sol, devenu la proie d’un autre Dark Child situé juste en face de moi, souriant en plein acte, comme les autres. Je ne cherchais même pas à protéger Phil. Ça vous paraîtra sans doute monstrueux de ma part, mais je savais que quoi que je fasse, ça ne changerait rien pour lui. A partir du moment qu’un Dark Child vous a pris dans son étreinte mentale, c’est terminé pour vous. Alors, je me contentais de détourner les yeux, pendant que Phil me suppliait de l’arrêter, me suppliait de le protéger. Mais c’était trop tard pour lui, et je suis sûr qu’il le savait déjà. Alors, je partais, laissant Phil agoniser atrocement, son corps aux proies de mille douleurs. Je me dirigeais vers une maison prise au hasard, soudain pris d’une lucidité que je ne me serais pas cru capable. Je cherchais de quoi écrire, afin de relater comment avait débuté toute cette horreur. Ce serait ma rédemption. Mon chant du cygne. En attendant que les Dark Child et leurs créatures n’aient plus rien à tuer dans cette ville, et décident qu’il était temps pour moi de rejoindre les autres macchabées parsemant toute l’étendue d’Oxford et ses proches alentours. J’attendais mon heure, imperturbable aux derniers cris que j’entendais au-dehors.

 

Combien de temps cela dura-t-il ?  Je l’ignore. Quelle importance après tout. Peut-être attendront-ils d’avoir décimé toute l’humanité avant de s’occuper de moi ? Ou bien ils me laisseront en tant qu’unique humain survivant sur une terre dévastée… Quel que soit leur choix, de toute façon, je suis condamné. Après tout, je mérite sans doute ce sort. Tout ça est arrivé par ma faute. Alors, je n’ai plus qu’à attendre la fin des temps. Au train où vont les choses, je ne pense pas que j’aurais à attendre très longtemps. A moins que vous qui lisez ces lignes, et qui avez donc survécu, aussi impensable que ça puisse paraître, puissiez, grâce à mes renseignements, retrouver la tablette et le cabanon où tout a commencé. Et peut-être y trouver le moyen de mettre fin à l’apocalypse que j’ai déclenché. En tout cas, je l’espère sincèrement. Si vous trouvez mon cadavre à côté de ce journal, sachez que je suis désolé pour tout ça, si tant est que ça sert à quelque chose. Et si vous avez trouvé le moyen d’éradiquer les Dark Child et leurs troupes, la seule chose que je regretterais, c’est de ne plus être là pour le voir…

 

Publié par Fabs