Je le regarde s’amuser au-dehors avec ses amis, mais les considère-t-il vraiment en tant que tel, au vu de sa nature ? Ne les voit-il pas plutôt comme de futurs vassaux, voire de simples proies qu’il lui sera tellement aisé d’annihiler dès lors que ses pouvoirs se seront manifestés en lui ? Je me raccroche à l’idée que cela n’arrivera jamais. Mais je sais que le temps joue contre moi, qu’il viendra un moment où il découvrira ce dont il est capable, du mal que ses mains feront d’un simple geste, des horreurs dont il sera la cause. J’ai peur de mon fils. Non. A dire la vérité, je suis terrorisé par lui. Je sais que pour l’instant il me considère comme sa mère, mais pour combien de temps encore ? Combien de temps s’apercevra-t-il qu’il est bien plus qu’un simple fils fait de chair et de sang ? Bien plus que ma chair, tellement plus… C’est ça qui me terrifie au plus profond de mon être. Je sais ce que vous vous dîtes. Que j’exagère sans doute un peu trop. Nombre de mères considèrent leur enfant un peu trop dissipé comme un monstre en devenir, s’inquiétant de ce que ses jeux innocents se transforment en terreur sans nom. Mais je vous assure que c’est vous qui ne savez pas de quoi il est capable. Vous qui n’avez aucune idée du sombre avenir qui nous attend quand il aura atteint l’âge adulte.
Non, je ne suis pas folle. J’aurais tellement aimé que ça soit le cas. Tout aurait été plus simple. J’aimerais vous poser une question… Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver face à un voisinage particulier ? Je veux dire par là que vous avez sûrement du avoir affaire à des voisins avec qui les relations étaient à part. Que ce soit dans le bon sens, à savoir une réelle amitié, une complicité, des personnes sur qui compter en cas de souci. Du bricolage, garder sa maison pendant une absence prolongée, faire la fête jusqu’au bout de la nuit. Ou bien au contraire, des voisins exécrables, vous poussant dans vos derniers retranchements, à cause d’un mode de vie différent du leur, une incompréhension de leur part de vos habitudes. Débutant par des insultes, des coups dans le mur, avant de se transformer littéralement en guerre ouverte, prenant à partie les autres voisins qui n’en avaient pas demandé tant.
Et puis, il y a la 3ème catégorie. Celle dont on évite de parler, pour ne pas passer pour dérangée, échappée de l’asile le plus proche. Vous menant à vous demander si effectivement, vous n’êtes pas devenue folle. Un voisinage où l’étrange, le bizarre, voir le nettement glauque s’empare de votre vie et en fait un enfer. L’enfer. Le mot n’est pas trop faible dans le cas de mon histoire. Vous allez me dire : mais quel rapport entre mon fils et le voisinage parfois limite de faire partie d’un épisode de « X-Files » ? Beaucoup plus que vous ne le pensez, croyez-moi. Mon histoire a commencé à cause d’une voisine très particulière. Au début, je la trouvais adorable. Toujours pleine d’attention, prête à rendre mille services. Puis, tout a changé dès lors que je suis tombé enceinte. Même ça, ça rentrait de plein fouet dans le cadre de l’inconcevable, et ce n’était pas peu dire. Vu que, selon les médecins, j’étais stérile. Impossible pour moi de concevoir un enfant. Alors, quand en plus, je me suis retrouvé dans la position d’ignorer qui était le père... Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai... Je connais très bien le père, mais quand je vous aurais dit sa nature... Une nature qui m'a mise dans l'état mental dans lequel je me trouve aujourd'hui. Mais ce n’ést pas le pire. Non. C’est au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer dès l'instant où j'ai franchi la porte de cette voisine. Vous connaissez « Rosemary’s Baby » ? Eh bien, à ce moment-là, j’ai clairement eu l’impression que l’on en tournait le remake, que j’en étais l’héroïne principale, et que j’étais la seule à ne pas être au courant.
Mais peut-être faudrait-il que je reprenne mon histoire depuis le commencement ? Oui, ce sera plus simple pour vous pour comprendre…
A l’époque où tout a débuté, j’avais 23 ans. Je venais tout juste de trouver un emploi qui allait enfin me permettre quitter le cocon familial. Pas que je ne m’y sentais pas à l’aise. Bien au contraire. Mes parents étaient les plus adorables de la planète. Simplement, je ne voulais plus dépendre d’eux, et il me devenait de plus en plus difficile de voir leurs yeux pleins de tristesse quand ils observaient mon ventre. C’était comme un rappel à l’ordre pour moi de ce que je ne vivrais jamais. Le bonheur d’être mère. La joie de porter son enfant, de l’élever, de le voir jouer parmi les autres. La fierté enfin d’avoir donné la vie. Toutes ces petits moments qui font sentir à une grande majorité de se sentir femme, avec de l’amour à revendre à cette étincelle de vie tenant sur ses 2 jambes. Mais tout ça, j’avais dû définitivement l’écarter, suite à un stupide accident de voiture. Et à ma manie de voir mes messages quand je recevais mes notifications, alors que j’étais en train de conduire. La suite, vous vous doutez de ce qui s’est passé : occupée à lire ce foutu message, je n’ai pas surveillé la route. Et je n’ai pas vu le feu rouge qui venait de se déclencher devant moi. Résultat : une voiture, bien plus imposante que la mienne, n’a pas eu le temps de freiner. Elle m’est rentrée dedans de plein fouet, m’envoyant valdinguer, moi et mon véhicule, de l’autre côté du boulevard, finissant dans la vitrine d’une boulangerie. Après que les secours aient été prévenus, je me souviens tout juste avoir aperçu le visage d’un infirmier tentant de me parler, pendant que d’autres m’installaient sur un brancard. Puis, plus rien. Je me suis évanouie à ce moment-là. Quand je me suis réveillée, j’étais dans une chambre d’hôpital. Je sortais d’une opération qui avait duré des heures pour tenter de me sauver la vie. J’étais en vie, oui. Mais une partie de celle-ci était partie. Les médecins avaient pu sauver mes jambes, mais pour empêcher une hémorragie qui aurait pu m’envoyer directement rejoindre mes ancêtres, ils avaient dû procéder à une ablation de toute la partie vaginale. Je ne pourrais jamais avoir d’enfants, alors que c’était mon désir le plus cher.
Puis, le temps a passé, j’ai pu surmonter ce manque en moi. Mais pas mes parents. Il ne se passait pas un jour sans qu’il y ait une allusion plus ou moins directe à ma condition de femme diminuée. J’avais beau adorer mes parents, la situation devenait à la limite du supportable. Bien sûr, j’étais incapable de leur dire. Comment aurais-je pu ? Ils ne pensaient pas à mal. Eux, ils voulaient juste me réconforter. Mais ils étaient très maladroits en la matière, et j’avais vraiment du mal avec ça. Pour reprendre une vie normale, je devais partir. Reprendre des bases solides, oublier tout ça. Oublier le fait que je n’étais que la moitié d’une femme. Alors, j’ai abandonné mes études. Et j’ai commencé à chercher un petit boulot. Afin de me prendre un appartement. Loin de chez mes parents. Loin de cette vie qui me rappelait l’erreur que j’avais faite. J'ai perdu toute envie de conduire le moindre véhicule après ça. Ça me rappelait trop ce fameux jour où j’ai tant perdu. Et je ne consulte mes messages que le soir, une fois posé quelque part. Une nouvelle habitude que j’aurais dû prendre depuis longtemps, et qui m’aurait évité cet accident.
Au bout de quelques semaines, j’ai fini par dégotter un petit emploi comme serveuse dans un bar. Un quartier calme, avec des patrons prévenants, des clients tout autant. Au début, je vivais encore chez mes parents, le temps de me trouver un appartement. Et un jour, j’ai trouvé la petite perle qui transformerait ma vie de manière durable. Dans une agence de quartier, pas très loin de mon lieu de travail. J’ignorais à ce moment-là que j’entrais dans une phase de cauchemar dont j’ignore toujours l’issue. Pourtant, j’aurais dû deviner qu’il y avait quelque chose de pas très claire dès le départ. L’agent immobilier, charmant au demeurant, m’avait posé des questions… curieuses au moment de l’établissement du dossier, après que j’avais visité mon futur appartement la veille.
« J’aurais aussi besoin de savoir votre rhésus sanguin, mademoiselle… »
Je fronçais les sourcils, tellement je n’arrivais pas à comprendre l’utilité de connaitre cette information. Voyant cela, l’agent reprit :
« Je comprends votre désarroi. La raison est très simple. Nous avons eu quelques cas de personnes souffrant de problèmes dû à l’humidité, et quelques autres désagréments sanitaires dans l’immeuble où vous allez emménager… »
« Des problèmes menant à des issues, disons, assez tragiques…. Sans rentrer dans les détails. Et toutes ces personnes étaient du même groupe sanguin. Je sais que ça peut paraître curieux comme demande, mais mes patrons demandent désormais de refuser les demandes émanant de personnes ayant le même groupe sanguin. D’où cette demande qui, je le conçois, peut paraître quelque peu… incongrue… »
« Je voudrais rajouter que depuis ces petits… incidents, toutes les mesures sanitaires ont été prises pour éviter d’autres problèmes du même ordre. Néanmoins, mes patrons ont tenu à conserver cette demande, à tout hasard… »
Vraiment bizarre comme demande, mais sur le coup, l’explication de l’agent immobilier semblait crédible. Alors, j’indiquais mon groupe sanguin sans chercher plus d’explications, et on continua la mise en place du dossier. Je me demandais tout de même la nature de ces « issues tragiques », mais après tout qu’importait. Ça ne devait pas être si terrible que ça, sinon il me l’aurait dit. Ne serait-ce que par professionnalisme. Ma naïveté du moment, en y repensant, n’avait pas d’égal. Au bout d’une petite heure de paperasse, de signatures et autres formalités administratives, l’affaire était conclue. Je devenais officiellement locataire dans un immeuble situé dans un quartier réputé comme le plus calme de la ville.
« Voilà qui est fait. Je vous remercie de votre patience, mademoiselle, et vous souhaite la bienvenue au nom de la société »
Il m’avait dit ça avec un sourire qui ne me laissait pas indifférente. Vraiment charmant. Le week-end suivant la signature, je déménageais dans mon nouveau chez moi. Au n° 665. Je me souvenais que j’avais souri en voyant le numéro de la porte en face de mon appartement. Le N° 666. Pas que je croyais au surnaturel, heureusement pour moi, mais tout de même, je trouvais ça marrant d’avoir le « numéro du diable » comme voisin. Mais sur le coup, je n’y prêtais pas plus d’attention, m’intéressant plus au bon déroulement du déménagement. Dans la semaine, des meubles devaient m’être livrés pour compléter la base de mon « sweet home ». Grâce à la générosité de mes chers parents. Prévenants jusqu’au bout. Ils tenaient à ce que j’ai le meilleur confort chez moi. Alors ils avaient tenu à me payer les meubles manquants, n’ayant pu me prendre au départ que le primordial : un lit, une table de salon et un canapé. Tout le reste des meubles, y compris une TV plasma dernier cri, ils avaient tenu à me l’offrir, et il était hors de question pour moi que je refuse, selon leurs propres mots. Inconcevable pour moi de refuser. Et puis, à dire vrai, ça m’arrangeait quelque peu. J’avais un bon salaire, mais ça m’aurait certainement pris des mois avant de pouvoir me payer tout ce que mes parents m’avaient offerts.
A ce moment-là, tout allait bien dans le meilleur des mondes, comme on dit. Et puis, les griffes du destin s’en sont mêlés. Un destin qui avait commencé à l’agence, mais ça, à ce moment-là, je l’ignorais encore. Le lendemain, après une journée au travail bien remplie, quelqu’un cogna à ma porte. Vu que seuls mes parents et mes patrons étaient au courant de mon déménagement, n’ayant pas encore prévenu mes amis, je me demandais qui ça pouvait être. Mes parents m’auraient averti par téléphone de leur venue… Curieuse et intriguée, je me rendais à la porte et ouvrais, sans la moindre méfiance. Devant la porte se trouvait une femme, la cinquantaine passée, avec un gâteau à la fraise dans les mains.
« Bonjour voisine. J’espère que je ne vous dérange pas ? C’est une tradition ici de ma part : je souhaite la bienvenue aux nouveaux arrivants. Mais si cela vous gêne, pas de souci. Je ne voudrais surtout pas m’imposer »
Je dois avouer que sur le moment, j’étais vraiment surprise d’une telle gentillesse. Je n’imaginais pas un tel accueil à mon arrivée. Elle avait le visage qui était envahi par un sourire éclatant, alors que je la sentais peiner à porter ce gâteau. En mon âme et conscience, je ne pouvais pas refuser une telle prévenance à mon égard, et acceptais qu’elle entre, et qu’on partage son présent. Je l’invitais à s’installer sur le canapé, pendant que j’allais chercher des assiettes et des couverts. A mon retour, elle se présenta à moi :
« Je manque de politesse : je m’appelle Viviane. Je suis votre voisine d’en face. Le N° 666. J’espère que vous n’avez pas peur du diable ? »
Me dit-elle en esquissant un petit sourire discret et un tantinet ironique.
Je la rassurais sur ce point, en lui affirmant que la seule chose que je craignais, c’était que le ciel me tombe sur la tête… comme Astérix et Obélix. Bien que je trouvais ma blague débile sur le coup, elle fit malgré tout son petit effet, et Vivianne exprima un petit rire étouffé.
« Eh bien tant mieux. Les gens sont tellement superstitieux de nos jours. C’est Harold, l’agent immobilier qui m’a averti que vous emménagiez aujourd’hui. Je ne pouvais pas faire autrement que venir vous voir. Vous vivez seule ? »
Voyant mon air un peu surpris, Viviane se rattrapa :
« Oh, excusez-moi de mon indiscrétion. Ça ne me regarde pas » dit-elle en affichant un air un peu gêné.
Je la rassurais, en lui affirmant que ça n’était pas du tout indiscret. C’était normal entre voisine qu’on sache à qui on avait affaire, tout en décochant mon plus beau sourire. Elle sembla soulagée, et on commença à papoter de tout et de rien, sur mon passé, mon travail et tout un tas de choses futiles qu’on sort toujours dans ces moments-là. Je me sentais vraiment à l’aise avec Viviane. Elle me rappelait ma grand-mère : d’une gentillesse inégalée, pleine d’humour, posant ses questions avec délicatesse. Oui, vraiment, à ce moment, Viviane était pour moi le symbole même de la voisine parfaite. Par la suite, il y eut plein de petites soirées de ce type. Parfois, c’était elle qui venait frapper à la porte. D’autres fois, c’est moi qui l’appelais par téléphone les jours où j’avais un peu le cafard. Elle était toujours de bon conseil, sachant toujours comment me consoler quand une journée au travail s’était moins bien passée que d’habitude, ou que j’avais eu connaissance d’une mauvaise nouvelle par téléphone. C’était un vrai ange de bonté et de douceur. J’en étais venue à la considérer non plus comme une simple voisine, mais une véritable amie. Du genre à qui on n’hésite pas à se confier en cas de doute pour porter une tenue pour une soirée, quel maquillage porter, le programme TV à choisir. Oui, vraiment, Viviane, c’était devenue ma confidente privilégiée. A tel point que j’en oubliais tout le reste, mes parents, mes amis, mes collègues. Je n’imaginais pas une soirée sans elle.
Et puis, un jour, elle en vint à me demander si j’accepterais de passer une soirée chez elle. Une soirée un peu particulière. Avec quelques amis qu’elle tenait à me présenter absolument. C’était la première fois qu’elle m’invitait à entrer chez elle, aussi curieux que ça paraissait. Malgré notre complicité, toutes nos soirées s’étaient toujours passées chez moi. Donc, pour moi, le fait de m’inviter chez elle, c’était comme une sorte d’entrée dans une nouvelle phase d’amitié. Un grand honneur que je ne pouvais pas refuser.
« A la bonne heure ! Je suis tellement contente que tu acceptes de venir ! Tu vas voir : mes amis te sembleront peut-être un peu particulier, mais je suis sûre que tu vas les adorer ! Dans ce cas, rendez-vous le 21 Mars prochain chez moi !»
C’est ainsi que, sans le savoir, j’acceptais d’entrer de plain-pied dans un cauchemar dont je ne suis toujours pas sorti. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais cette date, le 21 Mars, n’était pas anodine. Chez les druides, cela correspondait à l’Equinoxe de Printemps, le jour où les ténèbres de l’hiver et de la mort sont égales aux pouvoirs de l’ensemble de l’année. Un moment primordial pour procréer, et fertiliser la graine du futur roi des enfers en devenir. Mais, ignorant cela, j’étais loin de m’imaginer la fourberie cachée de Viviane, tout comme sa véritable nature, et pourquoi, en accord avec Harold, l’agent immobilier qui m’avait « recrutée », j’avais été choisie pour leurs noirs desseins. Un plan machiavélique, pensé avec une extrême minutie, et profitant de ma naïveté quant à l’existence de forces occultes dépassant l’entendement humain. Un plan qui passait par la réussite totale de cette soirée, et les fameux invités n’étaient ni plus ni moins que les disciples d’un culte obéissant à leur cheffe suprême, leur prêtresse, leur prophétesse… Viviane.
Vint donc ce fameux jour. Viviane m’avait donné rendez-vous à 19 heures chez elle. Aussi fut-je quelque peu surprise de la voir cogner chez moi près d’une heure avant, avec une robe à la main. D’un noir opaque, parée d’étranges signes sur le devant et les épaules. Je ne le savais pas à ce moment, mais il s’agissait de runes druidiques, des sortes de formules pour favoriser la réussite de la cérémonie de la fertilisation dont j’étais l’élément principal. Sur le coup, je lui demandais pourquoi elle amenait une robe. Que j’en avais déjà une sur moi.
« Ma chérie, sans vouloir te vexer, la robe que tu portes est tout juste bonne à exciter les mâles en rut de fin de soirée…. Celle-ci te mettra bien plus en valeur, crois-moi. Tu me fais confiance ? Tu sais que je ne me suis jamais trompé sur les conseils que je t’ai donnée jusqu’à présent… »
Là-dessus, elle marquait un point. Il était vrai qu’elle m’avait toujours donné avec une exactitude incroyable les meilleurs conseils qui soient, et à chaque fois, ils s’étaient révélés payants. De choses anodines, comme un maquillage à porter pour demander une augmentation à mes patrons, en passant par les numéros du loto, où j’avais gagné une somme considérable, m’ayant permis de payer le loyer pour le reste de l’année, à nouveau sur ses conseils. Elle m’avait même offert un pendentif le jour où j’ai à nouveau mis les pieds dans une voiture, afin, de ses propres mots, de conjurer le sort qui m’empêchait d’avancer. Et à chaque fois, tout avait fonctionné. Alors, si Viviane pensait que cette robe était mieux pour moi pour cette soirée, je ne pouvais avoir le moindre doute. J’acceptais de me changer, et j’enfilais la robe qu’elle avait apportée.
Ensuite, elle me prit la main, et m’emmena chez elle. Une fois à l’intérieur, je me sentis un peu mal à l’aise, ressentant une sorte d’atmosphère oppressante. Peut-être était-ce dû à la décoration quelque peu bizarre dont était paré son appartement. Les murs étaient remplis de runes pareilles à ceux sur la robe, ainsi que d’autres, des images sous cadre montrant des yeux terrifiants sortant de l’ombre. Sur un mur, était dessiné un pentacle, tels qu’on en voit dans les films dédiés au Paranormal. La musique qui emplissait l’air était très curieuse : envoutante, presque hypnotique, me donnant la migraine.
Les invités étaient tous habillés avec des sortes de tunique noires, tels qu’en ont les moines, avec de grandes capuches surplombant leurs crânes, cachant leurs visages. Le sol était totalement peint en noir, lui aussi contenant des runes, dessinées en rouge sang. Je me sentais vraiment mal à l’aise. J’avais envie de dire à Viviane mon ressenti, et qu’il vaudrait peut-être mieux que je rentre chez moi, mais j’en étais incapable. C’était comme si des voix me disaient de rester dans ma tête, des voix auxquels je ne pouvais pas désobéir, sans que j’en comprenne la raison. Puis, Viviane, qui s’était éclipsée quelques minutes, revint. Parée, elle aussi, d’une de ces tuniques que portaient les autres « invités ». Et portant en plus, une sorte de grand collier, représentant lui aussi une rune. Une rune particulière, que j’avais déjà vue. Mon pendentif ! C’était le même symbole que sur mon pendentif. Par des recherches, j’appris plus tard que c’était le symbole du Maître des Ténèbres dans la religion druidique. C’était aussi le symbole d’un ordre secret vouant un culte au Diable, l’Ordre des disciples de la lumière noire, dont l’objectif est de permettre la venue au monde de l’antéchrist.
Je ne parvenais toujours pas à opposer la moindre résistance à mes pas, j’étais comme guidée, dès l’instant où j’avais franchi la porte de cet antre du diable. La robe et le pendentif, offerts par Viviane, que je portais, avait sûrement quelque chose à voir dans tout cela. Puis, Viviane me fit boire un étrange breuvage. On aurait dit du sang. C’était très amer, et je ne pus m’empêcher d’avoir un haut le cœur. Je faillis vomir mais Viviane, en posant sa main sur ma bouche, en fit disparaître toute envie. Je me retrouvais alors comme pris en transe. Je voyais ce qui se passait autour de moi, mais je ne pouvais pas m’y opposer, encore plus qu’avant. J’étais comme une marionnette guidée par Viviane. Je fus emmenée dans une chambre plongée dans une obscurité presque totale, si ce n’était la lumière créée par une multitude de bougies noires et rouges. Je fus installée sur une sorte de grande table de marbre, où on m’attacha les mains et les pieds avec des sortes de sangles ferrées. Puis, les disciples se positionnèrent autour de la table, et Viviane commença à proférer des incantations dans une langue inconnue. Ce n’était pas du latin, quelque chose de plus ancien encore. Les recherches que je fis par la suite m’amenèrent à penser qu’il s’agissait sans doute de celte. Ce qui s’ensuivit ensuite fut d’une terreur presque indescriptible.
Devant le mur constituant le fond de la pièce, juste en face de la table où j’étais attachée, une sorte de brouillard commença à se former, avant de grandir, avec en son centre une sorte d’ondes, comme des sillons tracés sur une surface liquide, aussi irréel que cela puisse paraître. Bientôt, une forme en sortit. La pénombre m’empêchait de voir ce que c’était exactement, mais je devinais une silhouette à mi-chemin entre l’humain et l’animal, doté de sabots en guise de pieds, et d’une paire de cornes enroulées sur elles-mêmes au-dessus de la tête. La créature s’approchait de la table, ou plutôt de l’autel, car c’est bien de cela qu’il s’agissait. J’étais une offrande donnée à cette… chose. Puis, Viviane reprit la parole dans notre langue :
« Vois, Seigneur de toutes les ombres. Vois l’offrande que nous t’apportons aujourd’hui, afin que tu puisses y déposer la graine de la destruction. Prends-en possession, fertilise-la, afin que puisse en ressortir notre futur nouveau seigneur »
Je vivais un vrai cauchemar, et je ne pouvais rien faire. Pas seulement à cause des sangles, mais aussi parce qu’aucun de mes membres ne daignait bouger, pendant que la créature commençait à monter sur l’autel, et se positionnait au-dessus de moi. D’un geste, il arracha la robe que je portais, puis mes dessous. Je me retrouvais nue, à sa merci, pendant qu’il me donnait l’impression, malgré la grande obscurité, de se lécher les babines de satisfaction. L’instant d’après, je le sentis me pénétrer, profondément. C’était comme une sorte de dard libérant une douleur indéfinissable. J’avais les larmes qui coulaient le long de mon visage, mais je ne pouvais toujours rien faire. Les disciples autour de l’autel avaient depuis longtemps baissé les yeux, sans doute interdits de « le » voir. Seule Viviane, imperturbable, assistait à la scène. Cela dura des heures, en tout cas, je le ressentis comme tel. J’avais l’impression d’un immense bûcher qui se déversait en moi, libérant un pouvoir inimaginable. Je ne me rappelle pas la suite, car c’est à ce moment que je me suis évanouie, emportée par la douleur et la terreur.
Je me suis réveillée le lendemain dans mon lit, trempée de sueur, habillée d’une de mes nuisettes, sans doute prise dans mon armoire par Viviane. Ce devait être elle qui m’avait ramenée chez moi. Il me fallut plusieurs heures pour parvenir à sortir du brouillard qui envahissait mon esprit. Puis, je vis Viviane au bord de mon lit. D’abord prise d’un mouvement de panique, elle tenta de me rassurer, à sa manière.
« Ne t’inquiète pas. Tu ne crains plus rien, désormais. Tu as parfaitement jouée ton rôle, et l’Ordre t’en remercie infiniment. Mais ce n’est pas fini pour autant. La graine en toi va désormais grandir, et je serais là pour veiller à ce que tu ne fasses rien de stupide pour la détruire. Cela vaudra mieux pour toi. Tu restes libre de tes mouvements durant cette période, mais sache que tous tes gestes seront suivis à chacun de tes pas »
La graine ? Impossible. Je suis stérile. Quelle que pouvait être cette créature, elle ne pouvait pas aller contre ça. Comme pour répondre à mes questions, Viviane reprit :
« Nous sommes au courant de ta stérilité. C’est aussi pour ça que nous t’avons choisie. Avec ton rhésus sanguin qui s’accordait parfaitement, tu étais celle que nous attendions depuis si longtemps, tel que les astres me l’avaient prédit. Une fille dont le corps est pur, débarrassée de tout fluide humain. Mais le Maître des Ténèbres t’a enlevé cet écueil, afin que tu puisses faire naitre son descendant. Ton fils. »
Je n’arrivais même plus à parler tellement j’étais sous le choc. De quoi elle parlait ? Il y avait un monstre en moi, c’était ça ? Non, je n’en voulais pas. Je voulais un enfant, mais pas comme celui-là.
« Tu vas porter cet enfant. Quand viendra le moment qu’il naisse, nous nous chargerons de son éducation. Jusqu’à ses 6 ans. Il te sera rendu le 6ème mois de l’année, le 6ème jour à la 6ème heure du jour. A charge pour toi de l’aider à découvrir ses pouvoirs. Si tu refuses, une autre prendra ta place, et tu seras « effacée ». A toi de choisir à ce moment-là ce qui sera le meilleur choix pour toi… et pour l’enfant ».
Après m’avoir fait son monologue, Viviane me fit un grand sourire, avant de se diriger vers la cuisine, d’où elle revint avec une tisane qu’elle me tendit, telle l’amie qu’elle avait été jusqu’à cette nuit. Comme elle me l’avait dit, je pus reprendre ma vie par la suite, mais je me sentais surveillée, sans que je puisse voir quelqu’un autour. A partir du 4ème mois, pour éviter qu’on s’aperçoive de ma grossesse, il me fut interdit de sortir. Viviane, et certains disciples furent aux petits soins pour moi. Jusqu’à ce que j’accouche. Dans ma chambre. Au bout de 6 mois. Mais je n’en étais plus à une situation anormale près. Après 6 heures de travail, l’enfant était là. A première vue, il semblait normal. Mais je savais ce qu’il était réellement. Ce jour-là, Viviane me prit l’enfant, comme elle me l’avait dit. Et je n’eus plus un seul contact avec elle à partir de ce jour, ni avec l’enfant. Un mois plus tard, ne supportant plus cette situation, je trouvais un autre logement, une maison en périphérie de la ville, éloigné de ce quartier maudit. J’ai donné ma démission du bar, et j’ai trouvé un autre emploi. Dans une société de courtage en ligne, mettant ainsi à profit mes compétences vis-à-vis des chiffres. Les années passèrent, et j’avais presque oubliée toute cette partie de ma vie.
Puis, la 6ème année après la naissance, le 6ème mois à la 6ème heure du 6ème jour, un disciple de l’Ordre me ramena l’enfant, me demandant mon choix. Dans un premier temps, je fus tenté de refuser. Mais je me rappelais les paroles de Viviane. Je serais « effacée » en cas de refus, et une autre prendrait ma place. Je ne pouvais pas laisser faire ça. J’avais l’opportunité de changer les choses. De modifier la personnalité de cet enfant. Peut-être. En tout cas, j’essaierais. Malgré mes peurs. Malgré la terreur qu’il représente. Alors, j’acceptais. Et j’en reviens à ce que je vous disais au début de ce récit. Et si je ne trouve pas de solution avant que ses pouvoirs naissent, peut-être faudra-t-il que je trouve autre chose. Mais je savais qu’ils ne me laisseraient pas faire. Je savais qu’ils étaient là, quelque part, à m’observer. Je savais que si je tentais quoi que ce soit de dangereux pour l’enfant avant qu’il ait acquis ses facultés, ils n’hésiteraient pas à m’éliminer. Je sens bien que vous ne me croyez pas. Vous aussi vous me prenez pour une dingue. Je ne peux pas changer votre opinion sur moi, même après vous avoir tout révélé. J’ai l’habitude. Vous n’êtes pas les premiers à qui j’ai donné mon secret. Et à chaque fois, j’ai eu la même réaction. Alors, vous serez les derniers à qui j’en parlerais. Je dois accepter mon sort. Accepter d’être la mère du futur Antéchrist. Accepter de l’aider à monter en puissance. Accepter enfin à ce qu’il prenne la place de son père, et détruise le monde dans une apocalypse inéluctable. Je ne peux plus rien y faire. C’est ce à quoi j’étais destinée.
Publié par Fabs
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire