25 mars 2021

DOPPELGÄNGER-Le Double Maléfique

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Je sais qu’il est là, à me scruter dans l’obscurité, observant mes moindres faits et gestes, silencieusement, ricanant intérieurement de mon désarroi, de ma détresse m’envahissant chaque jour un peu plus. Il sait que je ne pourrais pas lutter contre lui indéfiniment, que je n’arriverais pas toujours à reprendre le dessus. Il me domine, malgré ma résistance. Il anticipe tous mes mouvements, à l’affut de ces tremblements qui trahissent ma peur de lui. Malgré la pénombre, je devine son sourire démoniaque, je perçois son aura maléfique salir tout ce qui a de l’importance pour moi. Mon honneur, ma réputation, ma dignité… tout ce qui fait de moi un être humain. Mais le suis-je encore ? Car tel est son pouvoir. Il parvient à me faire douter de ce que je suis, de ce que j’étais, et de ce que je pourrais devenir.  Il est moi, et je suis lui. Je devine ses actes tout comme il sait tout ce que j’envisage de faire. La seule différence entre lui et moi, c’est que je sais comment y mettre fin. Mais je ne parviens pas à m’y résoudre. Ce serait tellement plus simple. Oui, je pourrais mettre fin à ce cauchemar en coupant le lien qu’il y a entre nous. Mais cela signifierait mettre en route un autre cauchemar.

 

Je les entends, les autres, arpentant les couloirs, les hommes en blanc. Ils se rient de moi, je le sais. Ils me prennent pour un fou. Comme tant d’autres avant eux. Mais je ne suis pas fou. Je sais très bien ce que je suis, en tout cas pour l’instant. Mais pour combien de temps. Tant que je resterais ici, je resterais à sa merci, sans la moindre défense, et il le sait. C’est pour ça qu’il prend son temps. Il attend que je sombre complètement pour prendre ma place. Cette place que je l’ai autorisé à partager en moi, un soir où j’étais trop démuni pour penser rationnellement. Ce fameux soir où ma raison a vacillé à tel point que j’ai fait l’erreur de le faire naître. Je vous vois venir avec vos reproches. Non, je n’ai pas fait de rituel. Non, je n’ai pas utilisé de planche Ouija. Non, je n’ai pas fait non plus d’invocation pour appeler dans notre monde une créature infernale. Celui qui hante mes jours et mes nuits est bien plus dangereux que tout cela. Il est mon double. Mon autre moi. Peut-être mon vrai moi. Peut-être que c’est moi qui suis la mauvaise partie. Peut-être suis-je dans un monde faux, un univers parallèle où l’interdit est autorisé, où le rationnel n’existe pas, où le bien est soumis au mal, où je suis du mauvais côté du miroir d’une existence qui n’a pas de sens. Je ne sais plus trop quoi penser. Qui suis-je ? Suis-je seulement humain ? Et n’est-ce pas lui qui est censé me rappeler la vraie manière de me comporter dans ce monde qui m’échappe ? Est-il un guide ? Une conscience ? Une simple entité chargée de me ramener dans le chemin d’où je n’aurais jamais dû m’écarter ? Autant de questions dont j’ignore les réponses. Comment le pourrais-je ? Pour y répondre, encore faudrait-il que je sois sûr de ce que j’ai fait, et de ce que lui a fait. Mon autre. Ma moitié. Mon Doppelgänger.

 

Je vous entends à nouveau soupirer à ce mot. Vous êtes comme les hommes en blanc en fait. Vous croyez que je délire. Que tout ce que je dis n’est que le fruit de mon imagination débordante, à force de regarder des films d’horreur. Que cela a fini par empoisonner mon cerveau d’idées saugrenues. Que je vois du mal là où il n’y en a pas. A dire vrai, je me suis souvent posé la question avant d’arriver ici. Juste après le dernier meurtre. Juste après avoir tué mon meilleur ami. Le seul qui aurait pu un tant soit peu me croire à force d'insister. L’unique personne qui aurait pu trouver une solution à mon problème, je l’ai éliminé sans vergogne. Mais ce n’était pas vraiment moi. C’était lui. Derek faisait partie de son planning mortel. Mais Derek n’était pas n’importe qui. C’était une sommité dans le domaine scientifique. Un spécialiste de la schizophrénie. En plus d’être mon ami, c’était aussi mon psychothérapeute. Curieux mélange n’est-ce pas ? Comment on peut être à la fois le patient et l’ami de quelqu’un de sa profession ? Je ne le sais pas moi-même. C’est arrivé comme ça, à force de parler lors de nos séances. De tout et de rien. De mon enfance, où on s’est trouvé des connaissances communes. Sans le savoir, on avait passé nos études au même collège, passé les mêmes examens, suivi le même cursus universitaire. A la fois proche et éloigné.

 

 Vous connaissez le principe des flammes jumelles ? Eh bien, Derek et moi, on était un peu ça. Il a fallu le décès de ma sœur pour qu’on se rencontre et qu’on se découvre des affinités. Ce jour-là, j’étais au plus bas qu’un être humain puisse être. Complètement anéanti. Ma sœur que j’aimais plus que tout au monde, plus que moi-même venait d’être la proie d’un serial killer, alors qu’elle était tranquillement installée sur son canapé à regarder son émission stupide qu’elle adorait. Et elle avait le tort d’être la cible parfaite de cet assassin. Blonde, sexy, attirant le regard des hommes, qu’elle dédaignait sans détour, étant lesbienne, enfin non, elle était gay. Elle détestait quand j’utilisais le mot « lesbienne ». Elle le trouvait moche. Et péjoratif. Donc, voilà, elle était gay. Et infirmière. C’est difficile de comprendre ce qui peut pousser un tueur en puissance à choisir une catégorie sociale, une couleur de cheveux, une race, une profession en tant que cible. Daphné, ma sœur, faisait partie de la catégorie qu’il « chassait ». Pour son plus grand malheur.

 

Quand la police m’a appelé, en pleine nuit, pour me demander de l’identifier à la morgue, j’ai cru que ma vie s’était arrêtée. D’un seul coup. Je me suis effondré sur le sol, tellement la nouvelle de sa mort m’avait détruit intérieurement. Je pense que c’est à ce moment-là que je l’ai créé. Inconsciemment. Mon autre. Celui qui allait faire de ma vie un chemin bardé de meurtres, de sang et de folie. Comme je vous l’ai dit, ma sœur était gay. Et elle était inscrite sur un site de rencontres, espérant trouver la femme parfaite. Elle s’était décidée à s’inscrire sur les conseils d’une collègue. Pas trop convaincue au départ, elle s’était finalement laissé tenter, alignant les « dating », après chaque « match » sur le site. Ce qu’elle ne savait pas, c’était que le site servait de « marché » pour ce fameux tueur, qui repérait ses « proies » de cette manière. Toutes avec le même profil. Après que la police ait finalement retrouvé sa trace et arrêté, il a été découvert que ma sœur était sa 12ème victime, en retraçant son parcours. Il avait « matché » chacune des victimes, et surtout il avait fait une énorme erreur. Du sang retrouvé sur le lieu de son dernier crime, dû à des marques de griffures causées par ma sœur envers son agresseur. Il était fiché en tant que prédateur sexuel en liberté conditionnelle. Et malgré son statut, la justice avait décidée qu’il avait le droit de rester dehors, tant qu’il se rendait aux rendez-vous fixé par la personne chargée de veiller à ce qu’il ne récidive pas.

 

Elle est belle la justice ! A cause de cette « erreur de jugement », tel que les médias l’avaient titré, tout comme les professionnels psychiatriques, ma sœur n’était plus de ce monde. En tout les cas, suite à cette affaire, je suis tombé en pleine dépression, et c’est là que j’ai rencontré Derek, et surtout qu’on s’est rendu compte de notre « lien » sans s’en douter. Curieux le destin parfois. Curieux et impitoyable. Je ne saurais dire comment, mais ces thérapies, ce choc reçu suite au décès de ma sœur, ont semble-t-il réveillé une partie de moi. Violente, impitoyable, sans la moindre pitié. Une partie infime, mais que ma colère a transformé en quelque chose de beaucoup plus puissant. Comment ça s’est déroulé ? Difficile à comprendre, mais ma haine envers ce tueur a mise au monde une entité qui m’était propre, composée de toute la noirceur que j’enfouissais en moi depuis des années. Et si au départ, cela se résumait à des phases d’énervement que je n’arrivais pas à comprendre, des bris de matériel après un énième refus d’augmentation envers mon patron, un cendrier balancé sur l’écran de TV, parce que mon équipe favorite de base-ball s’était gaufrée en beauté ; mes réactions devinrent au fur et à mesure de moins en moins « contrôlées », et ce malgré ma thérapie.

 

Et puis, il y a eu un  gros « dérapage », il est arrivé à une soirée où Derek m’avait convié, m’ayant expliqué qu’il était important pour moi de rencontrer du monde pour me redonner une « importance sociale », tel qu’il me l’avait décrit. Il croyait dur comme fer que cette sortie allait me permettre d’extérioriser ma culpabilité de n’avoir pas su protéger ma sœur. Personnellement, je ne comprenais pas très bien son charabia, mais je lui faisais confiance. Pas en tant que thérapeute, mais en tant qu’ami. Le seul vrai ami que j’avais à ce moment-là. Les autres soi-disants amis, qui étaient plus ceux de ma sœur que de moi à proprement parler, m’ayant très vite écarté de leur centre de préoccupation, une fois la douleur de leur amie plus ou moins en phase d’effacement de leur mémoire. D’un coup, ma sœur n’étant plus là, je n’étais plus que le « frère de », au lieu de l’ami qu’ils me disaient être. L’hypocrisie prend parfois des formes insoupçonnées. Bref, ce soir-là, Derek, occupé à « extérioriser » lui aussi envers une jolie brune, sans doute pour mieux me forcer à me lancer au milieu de la foule, et sans doute espérant que je sympathiserais avec le premier venu, m’a plus ou moins fait sentir que je devais aller vers l’autre. Alors, j’ai suivi son conseil, et me suis mélangé à ces personnes remplies de strass et de paillettes, dignes des stars d’Hollywood, leurs verres de champagne à la main, leurs conversations que j’entendais à demi-mots, aussi strériles que parfois incompréhensibles pour un néophyte tel que moi d’un tel monde, où le faste l’emporte sur le modeste. Je n’arrivais pas trop à comprendre pourquoi Derek croyait que me trouver lâché en plein cœur d’une fosse de requins de la finance, de traders multi-friqués et autres nymphettes avides de trouver un homme pouvant leur apporter un confort financier confortable, serait un bon déclencheur pour moi pour retrouver un semblant d’humanité et retrouver une passion de la vie qui s’était échappée de moi.

 

Mais bon, je continuais ma « tournée », quand mon regard se posa sur un couple en train de se disputer assez sévèrement sur la terrasse de la maison où se trouvait la soirée. Une dispute qui commençait à s’envenimer, les noms d’oiseaux fusant de plus en plus violemment. Et puis, l’homme commença à empoigner le bras de la jeune femme, le serrant fortement, ce qui provoquait manifestement une douleur importante à cette dernière. Elle lui demandait de le lâcher, il refusait. C’est alors que mes mouvements prirent le dessus sur ma volonté, et je me dirigeais vers le couple en dispute, et sans dire un mot, j’obligeais l’homme à lâcher la jeune femme surprise par mon intervention, et en profitant pour retourner au cœur de la foule. L’homme me jeta un regard furieux, menaçant de lever le poing vers moi. Et d’un coup, je me sentis comme envahi d’un voile noir, une sorte d’aura, amplifiant ma colère, mes yeux me donnant l’impression de se remplir d’un liquide noir et opaque, je sentais mes membres se gonfler d’une force que je n’aurais jamais imaginé avoir. C’était comme si on m’avait transmis un pouvoir et que je le découvrais parce que je ne pouvais contrôler mes ressentiments.

 

J’ai alors attrapé l’homme par sa cravate hors de prix d’une main, et de l’autre, je lui assénais un coup de poing violent en plein visage. Il tomba à terre, le nez en sang, se tenant le visage en couinant comme un jeune pourceau. Etait-ce son attitude ensuite qui me fit sortir de tout contrôle, à cause de ses insultes à mon encontre ? Ou simplement parce que j’aimais ce pouvoir qui déferlait à l’intérieur de mon corps ? Toujours est-il que je me suis dirigé vers ma victime, la criblant de coups de plus en plus violents, la soulevant à plusieurs centimètres du sol, moi qui avais pourtant une carrure bien moins imposante que lui, projetant son corps contre un mur sous l’œil médusé et effrayé des autres convives de la soirée. Je ne contrôlais plus rien. Je m’emparais d’un morceau de verre au sol, provenant du cocktail d’un invité l’ayant lâché, épouvanté par la bagarre, et je commençais à lui lacérer les bras, déchirant son beau costume à plusieurs centaines de dollars, enfonçant plus profond à chaque fois, malgré ses cris de douleurs. Puis, je m’attaquais à son visage, le lardant de cicatrices qui lui resteraient sans doute toute sa vie, sans pouvoir m’arrêter. Et sous l’emprise de je ne sais quelle force, mes yeux passèrent à un rouge profond. Je le vis en voyant le reflet de mon visage sur sa boite à cigarettes en aluminium qui dépassait de sa poche de veston. Un rouge flamboyant, comme démoniaque. Cela me terrorisa, et je me stoppais net, laissant le pourceau pleurant comme une madeleine, tentant de se protéger sans trop de convictions.

 

Derek vint juste après, m’emmenant à part, pendant que les hôtes de la soirée, prévenus de l’affrontement sanglant qui venait d’avoir lieu, tentaient de relever ma malheureuse proie d’un soir, l’emmenant le plus loin possible loin de moi, tentant d’empêcher le sang dont il était parsemé de couler plus encore sur le sol, à l’aide de mouchoirs et de serviettes. Derek me parlait, mais je n’entendais pas ses paroles, c’était comme si mon cerveau ne comprenait pas ses paroles, ou bien qu’il refusait de le faire. Mais peut-être n’était-ce pas moi directement la cause de ça. Peut-être était-ce « l’autre » en moi ? ça ne pouvait être que ça. Je ne pouvais pas être celui qui était responsable de cette attaque digne d’un barbare de l’antiquité. Je ne savais pas comment à ce moment-là, mais j’étais de plus en plus persuadé que je devais être comme un de ces possédés dont le cinéma d’horreur est si friand à travers ses films. Je me souvenais les yeux rouges. Aucun être humain ne peut avoir des yeux comme ça. 

 

Oui, c’était certain : il y avait quelque chose en moi, et c’était elle qui m’avait poussé à cet acte, en utilisant mon corps. En prenant possession de celui-ci, contrôlant mes mains, mes doigts, chacun de mes gestes. Irriguant la colère en moi, comme un barrage ayant soudain cédé face à une pression surnaturelle. Par la suite, ses relations aidant, Derek à réussi à obtenir un compromis avec l’homme que j’avais tailladé, ainsi que sa famille. Il ne m’a rien dit directement, mais je suppose que cela avait dû se régler à coup de dollars. Ça marche toujours comme ça dans ce milieu. Plus tu es riche, plus tu peux faire oublier n’importe quoi. Derek ne m’a plus jamais emmené en soirée. Mais par contre, il a intensifié les séances de thérapie. Pensant réguler la haine que j’avais développé. Il m’a expliqué que c’était vraisemblablement le fait d’avoir vu cet homme agresser physiquement cette femme, qu’il m’a expliqué être sa petite amie qui voulait rompre avec lui, qui avait déclenché cette fureur en moi. Une sorte de réminiscence de mon état mental suite à l’agression de ma sœur. Derek m’expliqua aussi que mon cerveau avait imagé tout homme agressant une femme comme un symbole de celui qui avait tué ma sœur. Comme si mon inconscient voyait tout homme commettre un acte répréhensible envers une femme comme un ennemi à éliminer. Pour ne pas qu’il recommence envers d’autres femmes.

 

Sur le coup, son explication restait plausible, mais je savais bien que c’était autre chose. Je savais que je n’étais plus seul dans mon corps. Une entité le partageait avec moi. Une entité dangereuse. Mais je pensais que maintenant que je le savais, je serais capable de l’empêcher d’agir, de la laisser enfermé au plus profond de moi. Lourde erreur. C’était mal juger de la force que j’avais crée involontairement. Une force qui allait bien vite grandir, maintenant que je lui avais laissé l’occasion de se montrer au grand jour. Le simple fait d’avoir opéré cette 1ère attaque lui avait donné l’assurance dont elle avait besoin pour prendre le dessus sur le faible mental qui m’envahissait. Je revoyais le visage de l’homme de la soirée chaque soir dans mes rêves. Ou plutôt mes cauchemars. En tout cas, au début, c’est lui que je voyais. Lui… et ces yeux rouges. Chaque fois que je me regardais dans la glace, je les voyais. Mais pas seulement eux. Peu à peu, une silhouette commença à se former autour de moi. Noire, menaçante, tentant de s’extirper de mon corps, afin d’avoir sa vie propre. Cela me terrorisait. Je ne savais pas comment faire pour m’en débarrasser. 

 

J’ai tenté d’en parler à Derek. Mais pour toute réponse, il me disait que c’était une hallucination que mon esprit avait créée. Une réponse à ma culpabilité d’avoir agressé cet homme. Comment aurait-il pu me croire ? Il vivait dans la rationalité après tout. Il ne croyait pas au fait que des forces surnaturelles nous entourent, ne demandant qu’à se manifester dès lors qu’on les sollicite. Que ce soit volontairement ou inconsciemment. Les jours et les nuits qui suivirent furent de plus en plus horribles à chaque fois. Je voyais cette silhouette partout où il y avait une surface réfléchissante. Que ce soit l’émail de la baignoire, les vitres du salon, la flaque du café que je venais de renverser au sol, me fixant de ses yeux rouges au milieu des éclats de la tasse. J’ai cherché sur le net des moyens de la combattre, par des rituels, des incantations, l’absorption de potions, de drogues multiples. Rien n’a fonctionné. Au contraire, j’avais même l’impression qu’à chaque tentative, je m’affaiblissais, et je lui permettais de prendre encore plus le contrôle de mon esprit… et de mon corps. C’était un vrai cauchemar. Et je ne pouvais pas en parler. On me prendrait pour un fou. Peut-être étais-je en train de le devenir ? Peut-être que Derek avait raison ? Qu’il fallait que j’arrête de me considérer responsable de l’état du gars que j’avais défiguré ? Non. Je savais bien au fond de moi que je n’étais pas fou. Je savais qu’il existait. Mais ce n’était que le début du cauchemar. D’autres évènements allaient arriver. Bien plus tragique et sanglants encore.

 

Chaque jour qui passait était une lutte incessante contre « lui », sans trouver une issue. Une situation qui me rendait faible. Il me devenait de plus en plus difficile de le contenir en moi. Et un jour, l’inévitable s’est produit : il a réussi à sortir de mon corps. C’était un soir à priori comme les autres. Toujours le même songe. Me revoyant encore en train de taillader le jeune richard. Et puis, son image s’est déformée. D’autres visages sont apparus. Celui du meurtrier de ma sœur. Mes anciens « amis » qui m’avaient délaissé. Je ne comprenais pas. Pourquoi leurs visages avaient-ils remplacés celui de l’autre homme ? Au bout d’un moment, le visage du meurtrier apparut plus régulièrement. L’autre en moi semblait influer, plus encore que d’habitude, pour me montrer son image. Alors, sans que j’en ai le moindre contrôle, je me suis mis sur mon ordinateur, cherchant où il avait été enfermé. Dans quelle prison, quel service de celle-ci. Je n’avais jamais été très doué en informatique, et question vitesse, même un escargot aurait pu me battre, niveau frappe des caractères. 

 

Pourtant, là, je tapais à une cadence infernale, comme si j’étais soudain devenu un hacker expérimenté, me faufilant sur des sites dont je n’avais jamais entendu parler, voyant des images, des graphiques, des plans avec les blasons des plus grandes instances judiciaires, qu’elles soient locales, ou plus importantes, tel le FBI. Je « crackais » les codes comme si j’avais fait ça toute ma vie. Mais ce n’était pas moi à vrai dire, je le savais bien. C’était « lui ». Il voulait savoir où était le meurtrier, et il voulait tout connaitre des moindres recoins de la prison où il était. Sur le coup, je ne comprenais pas bien à quoi ça pouvait lui servir. Et plus tard, sans doute parce qu’il avait obtenu tout ce dont il avait besoin, je m’arrêtais dans mes recherches. Et, harassé par la fatigue, je me recouchais, et m’endormais, presque sans m’en rendre compte. Je pensais que ça s’en tiendrait là. J’étais naïf. Le lendemain, au petit déjeuner, je regardais les infos du jour, comme chaque matin. Et là, je crus que j’allais vomir tout ce que je venais de manger. Les infos venaient d’annoncer la mort de Reggie Delvey, le meurtrier de ma sœur, retrouvé mort dans sa cellule. Officiellement, il s’était ouvert la gorge et les veines avec un canif sorti d’on ne sait où. Une enquête était ouverte pour savoir qui avait bien pu lui fournir cette arme. Mais moi, je savais. C’était « lui ». ça ne faisait aucun doute. Voilà pourquoi il avait besoin de tous ces renseignements sur la prison. Pour savoir où le trouver. Et le forcer à se tuer lui-même. Mais ce n’est pas ce qui me faisait le plus peur. Cela signifiait qu’il pouvait désormais sortir de mon corps comme bon lui semblait à mon insu.

 

Comment vous dire ce que je ressentais à ce moment-là ? D’un côté, je me sentais heureux de sa mort, comme soulagé que ma sœur avait été vengée ; mais de l’autre, je me posais la question : pourquoi mon « autre » avait-il eu soudain le désir de le tuer ? J’en étais encore à me poser la question quand soudain je fus pris de visions. C’était comme un des cauchemars que je faisais, mais en plein jour. Je me sentais comme une liseuse de diapositive humaine, dont mes yeux seraient l’écran. Je revoyais Reggie dans sa cellule. Je le voyais avec la terreur dans son regard, tentant de crier, mais aucun son ne sortait de sa bouche, sans doute empêché par « lui ». Je le voyais comme dirigé tel une marionnette s’emparer d’un canif, apparu comme par magie sur le rebord de son lit. Je voyais le canif de plus près, et ma terreur s’amplifia.

 

C’était le mien. Plus précisément, celui qui m’avait été offert par ma sœur pour mon anniversaire il y avait 3 ans de ça. Etant passionné de pêche, et pour m’avoir vu utiliser mes dents régulièrement pour couper le fil de mes lignes, ou pour ouvrir les boites d’appâts, elle m’avait offert ce canif. Pour ne pas, selon ses propres mots « me retrouver avec des dents de lapin à force de tirer dessus ». Comment il savait où je le rangeais ? Question stupide. Il est « moi » en quelque sorte. Donc, il savait tout ce qui me concerne. Mais si la police faisait le lien entre ce canif et moi ? Si c’était un canif ordinaire, je n’aurais pas de crainte à avoir, n’ayant pas de casier judiciaire. Mais ce canif comportait mes initiales sur le côté. C’est ma sœur qui les avait fait graver. Avec un petit mot sur l’autre côté du canif : « à mon frère adoré ». N’importe quel flic suffisamment chevronné ferait le rapprochement entre ma sœur, sa dernière victime, les initiales, et moi. C’était pas possible… D’un autre côté, les flics trouveraient ça bizarre que je me sois introduit dans une prison surveillée, en ayant évité toutes les caméras de surveillance, et ayant pu ouvrir la porte de la cellule sans l’aide de la clé. Néanmoins, la présence du canif allait malgré tout les interroger. Comment je pourrais expliquer qu’il se soit trouvé entre les mains de Delvey ?

 

Mais mon « autre » ne se limita pas à cette image. Il me montra toute la scène où Delvey se trancha les veines, délicatement, patiemment, versant son sang sur le sol, l’air hagard, avant de rapidement diriger la lame vers sa gorge, ouvrant celle-ci de part en part dans une gerbe de sang, se projetant partout autour de lui, puis tombant par terre, vidé de toute substance de vie. La vision s’arrêta net à cet instant, alors qu’il me semblait entendre un ricanement emplir toute la pièce, « son » ricanement. Puis je le vis, enfin pas tout à fait. Ce n’était qu’une silhouette se fondant dans le recoin ombreux de la pièce d’en face. Au début, il resta immobile, ses yeux rouges illuminant la pénombre. Puis, il s’avança, doucement, prenant un malin plaisir à positionner ses pas avec précision. Au début, je me demandais pourquoi il avançait de cette manière. Voulait-il m’effrayer plus que je ne le fusse déjà ? Non, je compris bien vite pourquoi. Il voulait me laisser le temps de l’observer en profondeur, au fur et à mesure qu’il s’avançait dans la lumière. Quand il fut enfin distinct parfaitement, mon visage se figea d’horreur. C’était moi ! C’était mon visage, mon corps, mes jambes, mes bras, portant la tenue que j’avais au moment-même où je le regardais. Il était mon sosie parfait, si ce n’était ses yeux rouges étincelants. 

 

Puis, il s’arrêta net, comme satisfait que je me sois rendu compte qui il était. Il ria alors à gorge déployé, avant de disparaître peu à peu, ses traits et sa silhouette laissant place au vide. Je dus m’asseoir tellement le choc était rude. Il me fallut plusieurs minutes pour m’en remettre. Je savais maintenant ce qu’il était. Un Doppelgänger. Je me souvenais avoir lu un ou 2 trucs sur ce type de créature en farfouillant au hasard sur le net, mais je pensais que ce n’était qu’une légende. Le genre d’histoire qu’on raconte aux enfants pour qu’ils se tiennent tranquille ou simplement pour les effrayer. Mais là, je venais d’avoir eu la preuve que ce n’était pas un mythe. Un Doppelgänger ! Autrement dit, un double maléfique. Né de la colère et du sentiment d’injustice d’un humain. C’était moi qui l’avait fait naître ! Parce que je n’avais pas accepté le meurtre de ma sœur, et surtout que son meurtrier était toujours en vie. J’avais créé ce monstre, identique à mon image. Mais je me posais une autre question. Si c’était à cause de la mort de ma sœur que je l’avais créée, maintenant qu’elle était vengée, il allait disparaitre pour de bon, et me renvoyer à une vie normale. Là encore, je me trompais lourdement.

 

Les nuits suivantes, je refis d’autres cauchemars, avec d’autres images en tête. Celle de mes anciens amis. Chaque nuit, le visage de l’un d’entre eux m’apparut. Chaque lendemain, je découvrais leur meurtre sauvage étalé sur les journaux. Jeff s’est éventré avec son couteau de chasse, laissant ses boyaux se déverser dans sa cuisine, en pleine nuit. C’est sa fille de 7 ans dont il avait la garde ce soir-là qui a trouvé son corps, et qui a trouvé le courage d’alerter les voisins, avant que ceux-ci préviennent la police. Carla, elle, s’est défenestrée en sautant par la fenêtre de son appartement. Du 20ème étage. Ce que les policiers ont trouvés au sol ressemblait à l’étalage d’un boucher, la tête ayant éclaté sur le bitume, projetant une partie de son cerveau plusieurs mètres plus loin, pendant que le reste de son corps ressemblait à une vraie bouillie de chair et d’os. Jonah s’est jeté contre un mur avec sa voiture flambant neuve, totalement réduit à un amas de chair, transperçé par son volant « sport », la plupart de ses organes ayant éclaté sous le choc et projeté un peu partout dans l’habitacle de la voiture. Ismaël a été retrouvé pendu au ventilateur du salon de sa maison, la tête partiellement découpée par les pales. Quand les policiers ont trouvé le corps, alertés par sa petite amie à qui il ne répondait pas au téléphone, le ventilateur tournait encore, faisant tournoyer le corps, envoyant du sang et des morceaux de cervelle un peu partout. Et enfin, Maddie a été retrouvé les mains hachées par son mixer. Elle s’était préalablement coupé la langue avec une cisaille de jardinier. Sans doute pour être sûre de ne pas crier. L’hémorragie a eu raison d’elle. Mais on suppose qu’elle a dû souffrir des heures avant de succomber à ses blessures.

 

Une vraie hécatombe qui m’a fait comprendre le fonctionnement de mon Doppelgänger. Il s’en prenait à ceux qui m’avaient fait du mal, que ce soit directement ou non. Le meurtrier de ma sœur, mes amis qui m’avaient laissé tomber juste après. Soudain, la terreur m’envahit à nouveau. Si le Doppelgänger choisissait ses cibles en fonction de mes ressentiments, ça voulait dire que Derek… Non ! Pas lui ! Certes, je lui en voulais de ne pas avoir voulu me croire quand je lui ai parlé la première fois de celui que j’appelais mon « autre » à ce moment-là, mais je ne voulais pas qu’il meure pour ça. Les autres aussi ne le méritaient pas. Surtout d’une manière aussi horrible. Qu’il ait tué le meurtrier de ma sœur, je pouvais encore le comprendre, même si je ne l’acceptais pas, mais les autres… ! D’un coup, je compris pourquoi il était parti tout à l’heure. Il voulait continuer le travail. S’il s’en prenait ensuite à tous ceux qui m’ont plus ou moins blessé psychologiquement durant toutes ces années… Je n’osais imaginer le massacre qui allait s’en suivre. Mais pour l’heure, je devais sauver Derek. Je m’habillais d’un simple jogging et d’un tee-shirt, malgré le froid presque hivernal du dehors, enfilais des baskets et fonçais vers le cabinet de Derek. Jamais les transports en commun ne m’avaient paru aussi lents. Je ne comptais plus le nombre de personnes que je bousculais sur mon passage. Pas le temps de m’excuser. Pas le temps de m’expliquer surtout. Personne ne me croirait de toute façon. Seul comptait le fait d’arriver à temps.

 

Au bout de près de ¾ d’heure, je parvins enfin au cabinet de Derek, espérant qu’il était toujours en vie. Il était tôt, et son cabinet n’était pas encore ouvert officiellement, mais je savais qu’il était toujours sur place au moins une bonne heure avant. Aussi, je n’étais pas vraiment étonné qu’il n’y avait personne dans les escaliers de l’immeuble menant à son lieu de travail. Je dédaignais l’ascenseur, prenant l’escalier, oubliant ma fatigue, pour arriver avant que mon double n’opère. Quand j’ouvris la porte, je fus soulagé de voir Derek devant moi, souriant même. Derek me demanda ce que je faisais là, qu’on n’avait pas de séance aujourd’hui. J’allais commencer à lui dire une explication fantaisiste pour expliquer ma présence, quand je m’arrêtais sur place, pétrifié par ce que je voyais. « Il » était là. Mon autre. Mon Doppelgänger. Souriant, un ouvre-lettre à la main, luisant à la lumière passant par la fenêtre. Voyant mon air terrifié, et surtout que je dirigeais mon regard derrière lui, Derek se retourna. Je lui criais de ne pas le faire, de venir vers moi, mais c’était trop tard. Il eut à peine le temps de voir mon double, montrant sa surprise de me voir, alors que j’étais de l’autre côté de la pièce, que mon « moi », abattit de toute sa force la lame de son arme improvisée sur le visage de Derek, lui traçant une cicatrice allant de l’extrémité droite de la tête au bord inférieur gauche du menton. Derek se tordit de douleur, se mettant à genoux au sol, hurlant de douleur. Je n’arrivais toujours pas à bouger, paralysé par la terreur, pendant que Derek était assailli de dizaines d’autres coups de la part de mon Doppelgänger, lacérant son visage, ses mains avec lesquelles il essayait de se protéger, ses bras, son ventre, à travers sa fine chemise blanche, sa préférée. Puis, il plongea son arme en plein cœur de la gorge de Derek. Celui-ci révulsa ses yeux, se tint la gorge avec ses mains ensanglantées, laissant échapper un râle d’étouffement, tombant sur le flanc droit, agonisant petit à petit. Mon double le laissa ainsi, nageant dans son sang, plusieurs minutes. Puis, sans doute lassé de ses gémissements, plongea la lame au milieu du crâne, la tournant, la malaxant, faisant sortir des litres de sang, de chair et de cerveau, dans un bruit effroyable d’os brisés.

 

J’avais les larmes aux yeux, non, pire que ça, je déversais des litres de larmes devant ce spectacle qui me semblait durer des heures. Au bout d’un instant, mon double s’arrêta. Derek ne bougeait plus. Il était mort. Se relevant, mon « autre » s’approcha de moi, souriant. Sans rien dire, il me posa la lame dans les mains, et disparut, me laissant seul avec mon destin. Quelques instants plus tard, alerté par les cris, les autres occupants de l’immeuble débarquèrent, me trouvant affalé sur les genoux au sol, envahi par la douleur, incapable de dire quoi que ce soit, avec toujours l’ouvre-lettres qui avait servi d’instrument de mort entre les mains. Comme vous vous en doutez, malgré le fait que j’ai tenté de dire que je n’étais pas le meurtrier par la suite, personne ne m’a cru. J’ai été interrogé des heures durant par les policiers qui voulaient savoir également comment mon canif s’était trouvé en possession de Reggie Delvey, dans sa cellule, avec mes empreintes un peu partout. Idem pour les autres meurtres, mes empreintes digitales m’ont trahi pour chacun d’entre eux. Quand j’ai commencé enfin à parler du Doppelgänger, ils m’ont fait passer un examen psychiatrique. Conclusion : schizophrénie paranoïde aigüe, trouble de la personnalité, catatonie latente à certaines heures de la journée, correspondant aux heures de la mort de Derek et des autres. 

 

C’est ainsi que je me suis retrouvé enfermé ici, incapable de prouver l’existence de mon double maléfique. Comment le pourrais-je ? Il n’apparait que quand je suis seul dans ma cellule capitonnée, toujours caché dans la pénombre, à l’abri de l’œil des caméras, ricanant, m’envoyant la nuit de nouvelles images de ceux qu’il a tué en mon nom, afin de plus me perturber, attendant que je sombre totalement dans la folie. Afin qu’il puisse être libéré de mon emprise, et vivre avec sa propre autonomie. Pour l’instant, il est limité aux personnes que mon subconscient considère comme de mauvaises personnes envers moi. Mais je ne serais pas toujours là. Lui, si. Maintenant que je l’ai créé, je ne peux plus le détruire. En tout cas, j’ignore complètement comment faire. Quand il sera libre, que je ne serais plus de ce monde, il pourra tuer qui il veut, sans distinction, sans limite. Alors, je m’accroche à la vie, pour l’empêcher qu'après ma mort lui vienne un jour l’idée de s’en prendre à des enfants, des bébés, ou que sais-je encore. Je ne sais pas combien de temps je tiendrai. Je sens que mes forces faiblissent de jour en jour. A cause du traitement. Mon corps semble ne pas l’accepter. Et ça n’inquiète personne. Pour eux, ça ne ferait qu’un meurtrier en moins. Qu’il meure de ça ou autre chose, ça libérerait la société. Les imbéciles ! Ils ignorent ce que je sais. Ils n’ont pas conscience que quand je mourrais, il sera libre. Et là, les meurtres s’enchaineront sans que personne ne puisse rien faire. Ce sera son règne. Son royaume mortel. Un monde régi par la mort et la terreur. Un monde dont le maître sera mon Doppelgänger.

 

Publié par Fabs


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