Il vous est déjà arrivé de vous dire que vous aviez fait une erreur monumentale qui aurait pu être évitée ? Un manque de jugement avec pour conséquence la mise en place d’une succession d’évènements qui vont non seulement vous donner des remords tout le reste de votre vie, mais vous laisser un énorme poids sur le cœur, à causes des vies perdues que votre choix a engendré. Oui, je suis sûr que vous comprenez de quoi je parle. On a tous eu, à un moment de notre vie, fait ce mauvais choix, occasionnant perte et fracas, que ce soit dans notre entourage proche, ou bien plus loin, par le jeu de la réaction en chaîne sociale. Mais ces conséquences ne sont évidemment pas toutes au même niveau, suivant la gravité de ce même choix. Bien souvent, d’ailleurs, ce sont de petites futilités, amenant à une simple brouille avec votre voisin, votre frère, votre sœur, vos parents, ou votre meilleur ami. Cela fait du mal sur le coup, dès lors que l’on se rend compte de ce que l’on a fait, mais cela finit presque toujours par s’estomper avec le temps. J’ai bien dit presque. Car il existe certaines situations où il n’est pas possible d’oublier, pas possible de réparer, pas possible de faire disparaitre les cauchemars engendrés par ce choix malheureux.
J’ai fait ce type de choix, et je n’arriverais jamais à me faire pardonner de l’avoir fait. A cause de moi, des vies ont été perdues. Des amis, des collègues, des personnes qui avaient confiance en moi et en ma faculté de jugement. Persuadés que ce choix ne pouvait pas provoquer quoi que ce soit de mauvais. Ils avaient tort. J’avais tort. Ce jour-là, j’ai fait le pire choix de ma vie, et j’ai déclenché un véritable enfer au sein de notre vaisseau. Ah, oui, j’ai oublié de faire les présentations. Je m’appelle Evan. Je faisais partie d’une équipe de recherche spatiale, chargée d’étudier l’environnement de Titan, l’un des satellites de la planète Saturne. Dans le but d’y ériger une station d’observation sur sa surface. Nous n’avions comme fonction que de faire des prélèvements de roches, d’éventuels organismes, des analyses de l’atmosphère, du sous-sol, et surtout détecter si, tel que l’indique les données de la sonde Cassini, d’Octobre 2005 à Mai 2007, ce sous-sol possède bel et bien un océan interne. Information supposée, du fait de repères fait par la sonde et indiquant un déplacement de 30 Km pendant cette période. Un indice pouvant faire correspondre à l’idée que la croûte de cette lune de Saturne est séparée de son intérieur.
L’espace enregistré pourrait supposer un environnement différent de la surface, cette dernière étant constituée de roches et de glaces d’eau, d’ammoniac et d’hydrocarbures, majoritairement du méthane et de l’éthane. Un océan où de la vie, vraisemblablement des micro-organismes, aurait pu naître. L’objectif de la mission étant de déterminer cela, et éventuellement voir si les composants de cet océan pourrait être filtré, et permettre l’installation d’une station, qui ouvrirait la voie à une étude plus approfondie de la lune, pouvant mener peut-être à la création d’une colonie terrestre. Notre but étant d’envoyer d’autres sondes, beaucoup plus perfectionnées que ne l’était Cassini, et surtout amphibies, afin d’effectuer le plus de prélèvements possibles, puis analysées en direct grâce à la technologie à notre disposition à l’intérieur du vaisseau. Une sorte de mission préliminaire, servant de base à l’équipe scientifique terrestre pour la mise en place de ce projet énorme, dans le but de chercher à communiquer avec d’autres formes de vie à travers l’univers, à partir de cette base, en plus d’envisager ladite colonie. Une sorte d’étape pour de futurs vols spatiaux de longue durée. Avec, qui sait, l’espoir de trouver d’autres environnements viables, lunes, planètes, satellites, ou exon-planètes, permettant de créer d’autres colonies plus denses, afin de faire face à l’expansion démographique sur Terre, et aussi d’échapper à la pollution de plus en plus importante au sein de ce que l’on appelait autrefois la planète bleue. Aujourd’hui, la couleur grise est devenue sa couleur prédominante vu de l’espace, et nos recherches étaient primordiales pour l’avancée de ce projet.
J’ai bien dit « était ». Car, comme je vous l’ai dit plus tôt, à cause de mon choix malheureux, toute cette entreprise est devenue un échec monumental, à tous les niveaux. Mais pour mieux comprendre ce qui a amené à détruire irrémédiablement un projet qui aurait dû donner un avenir meilleur aux futures générations de la planète, je dois revenir plusieurs mois en arrière. A un moment où notre vaisseau s’approchait de Titan, lieu de nos futures recherches et analyses. Le souci principal était de découvrir comment contrer les vents solaires flottant parfois à la surface de Titan, du fait de son absence de magnétisme, causant une orbite en dehors de la magnétosphère de Saturne. Ces vents pourraient être la cause de la brume orange qui englobe le satellite, du fait des anions dans l’atmosphère de Titan, et empêchant toute observation depuis l’espace de sa surface. D’où l’utilisation de sondes pour les prélèvements en surface, étant donné la dangerosité pour une équipe humaine de le faire physiquement. Les propriétés particulières des gaz présent dans l’ionosphère étant trop peu connus pour prendre le risque de cela.
Nous nous étions donc glissés dans le sillage de Titan, opérant des révolutions autour d’elle, afin de suivre sa rotation particulière, et permettre la bonne exécution de notre mission. Cela faisait déjà près d’une semaine que les sondes avaient été envoyés à la surface de la planète, et les premières analyses étaient très encourageantes. Et même plus que cela. Des images des sondes nous confirmèrent bientôt ce que nous soupçonnions : il y avait bel et bien un océan intérieur, mais ce n’était pas tout : cet océan était doté de sa propre atmosphère, très différente de celle de la surface, et composée, non pas de 98, 6 % de diazote, comme l’ensemble du satellite, mais de seulement 34, 4 %. Et, aussi incroyable que cela paraissait… de l’oxygène, à hauteur de 57, 2 %. Ce qui supposait la possibilité pour nous humains, de s'y installer. A cette découverte, nous avons sauté de joie, c’était une vraie révolution : l’élaboration d’une base était plus qu’envisageable. Non pas à la surface de Titan, mais en dessous de son sol, sur cet océan. Bien sûr, cela changerait la donne pour les techniciens et les scientifiques terrestres, puisqu’une base sur sol était envisagée, et non pas une station maritime, mais les possibilités de la mise en place d’une colonie étaient nettement plus importantes. Restait à savoir ce que contenait cet océan. Nous ignorions quelle faune pouvait s’y abriter, et son degré de dangerosité. De plus, il nous fallait quelque peu améliorer l’une des sondes, tel que le prévoyait notre mission dès le départ, afin qu’elle puisse creuser le sol, et offrir une brèche suffisante pour que ses fonctions maritimes se mettent en place, une fois arrivée dans cette atmosphère à part.
Une sonde particulière, car elle devait reboucher l’ouverture creusée derrière elle, afin d’éviter tout contact entre l’atmosphère de surface et celle de l’océan découvert. Ceci afin d’éviter une rencontre des 2 atmosphères qui aurait pu tout mettre ce projet à néant. 2 semaines plus tard, la sonde spéciale était prête. Nous étions au comble de notre excitation. Nous avions même organisé une sorte de « cérémonie » officielle pour l’envoi de celle-ci vers Titan. Nous n’avions manqué aucune étape de la sonde : de sa descente à travers la brume autour du satellite, jusqu’à son atterrissage sur la surface de glace. Nous avions choisi un endroit où la glace, au vu des précédents prélèvements des autres sondes, était la plus fébrile, et plus facilement perçable par notre « super-sonde ». Il fallut près de 3 heures à cette dernière pour parvenir au fameux océan, que jusqu’à présent nous n’avions vu que par l’intermédiaire de spectres géologiques. C’était incroyable : il englobait vraiment toute la surface intérieure de Titan. Aucune trace d’île, ou assimilé. Il était d’une couleur surprenante, à mi-chemin entre le bleu cyan, l’orangé et un vert très pâle. On n’avait jamais vu ça. Puis vint le moment de faire plonger la sonde pour explorer ces fonds sous-marins.
C’était extraordinaire de beauté. A couper le souffle. A côté de ce qu’on voyait, les mers terrestres faisaient bien pâle figure. Difficile de décrire toute la faune qui déambulait sous nos yeux, tellement elle était variée. Des sortes de requins dotés de 3 nageoires dorsales, et ce qui semblait ressembler à des branchies parsemaient l’intégralité des flancs de la bête, qui était entourée d’une sorte de halo lumineux. Il y avait des multitudes de poissons tous plus étranges les uns que les autres, que ce soient leurs formes, leurs couleurs, et leur morphologie, leurs protubérances, allant de simples filaments transparents à de grandes élongations ressemblant à s’y méprendre aux lamproies des abysses, tel que l’on voie dans les grands fonds des mers terrestres. D’autres animaux fantastiques se montraient à nos yeux ébahis, comme des formes évoluées de raies, de barracuda, d’anguilles, parés de couleurs toutes plus flamboyantes les unes que les autres. Chacun des habitants de cet océan semblait irradier, à l’image du requin vu précédemment. Il y avait aussi des coraux placés sur des rochers qui donnaient l’impression de faire des dizaines de kilomètres, dont on ne voyait pas la base, la couleur particulière de l’eau ne permettant à la sonde de ne pas voir à plus de 100 mètres devant elle.
Malgré tout, elle était prévue pour pouvoir descendre à près de 12.000 mètres de fond, alors, nous la fîmes explorer plus profond. Les autres auraient préférés analyser déjà tout ce que l’on avait déjà, avant de voir plus loin, mais devant mon insistance, ils ont cédé à mon caprice d’enfant éberlué par le spectacle qu’il voyait. La sonde descendit donc plus profond, et plus elle descendait, plus les créatures qui y vivaient avaient des formes moins nettes, plus sombres, beaucoup moins entourées du halo des premières créatures vues par la sonde. Celles-ci ressemblaient plus à des visions de cauchemars, porteuses de dents acérées, de yeux semblant sortir de leurs corps disproportionnés, des sortes de piquants parsemant le corps de nombres d’entre eux. Certains, en ouvrant la bouche, montrait des cavités buccales qui ressemblaient à des gouffres sans fond, d’autres montraient la présence de membres ressemblant à des pattes munies de griffes ou d’argots démesurés. Certaines espèces étaient dotées de plusieurs yeux, ou de nageoires semblant se scinder en plusieurs morceaux. Si l’enfer était un océan, nul doute qu’il aurait ressemblé à ça.
Puis, vint un moment, où la sonde parvint à toucher le fond de cet univers qui semblait n’avoir pas de fin. Toujours aucune roche au sol en dehors de la base des rochers abritant les coraux plus haut. Pas même de sable. Tout juste une sorte de terre d’un noir très opaque, et qui semblait bouger, ondulant presque en permanence, comme s’il était doté de vie. C’était vraisemblablement le résultat de secousses sismiques, mais ça restait perturbant. C’est là que j’ai pris ce fameux choix dont je vous ai parlé au début de ce récit, qui allait transformer notre mission en terreur sans nom. Prenant la forme de ce qui ressemblait à des œufs, mais à la forme presque indéfinissable, aux couleurs oscillants entre le gris, le noir et une sorte de rouge très sombre. A cet instant, il y a une chose qui aurait dû me mettre aux aguets, et m’empêcher de prendre la pire décision de ma vie. Aucune forme de vie ne semblait s’approcher de ces œufs, comme si chaque créature savait que ce serait dangereux pour elles de s’en approcher. Mais ces formes, ces couleurs, cela m’intriguait. La sonde était pourvue de pinces rétractables, et j’émis l’idée de prendre 2 ou 3 de ces œufs, afin de les étudier plus en profondeur, une fois la sonde ramenée au vaisseau.
Déjà réticents au départ à l’idée de faire descendre la sonde à cette profondeur, dès que je fis part de mon intention de m’emparer de ces œufs, je dus faire face à un non catégorique. On ignorait quelle créature cachait ces œufs, ses moyens de défense, sa toxicité éventuelle. Il ne fallait pas oublier que malgré la beauté de départ de cet océan incroyable, la suite a été nettement moins encourageante, quant à la faune environnante. Je dus batailler ferme, mais finalement, je réussis à leur faire prendre conscience de cette opportunité unique justement d’étudier une espèce inconnue, peut-être porteuse de réponses à cette vie sous-marine particulière. Peut-être qu’en elle réside des solutions pour répondre à des maladies bien terriennes, ou bien d’autres possibilités scientifiques. Et au final, ils acceptèrent que je m’empare de quelques œufs. Je sortis les pinces et les approchais des fameux œufs. Je dus les manipuler avec une extrême précision pour ne pas les briser sur place, et les ramener dans le corps de la sonde. Les 2 premiers ne posèrent pas de problème particulier. Pour le 3ème, ce fut plus… angoissant.
Alors que je venais d’happer le 3ème œuf, la sonde perçut des mouvements venant de plus loin, faisant encore plus onduler le sol, accompagné de sons très stridents, semblant venir d’un animal. Mes collègues tentèrent de me persuader de laisser tomber le 3ème œuf, et de remonter la sonde au plus vite. Mais je restais sourd à leurs demandes. Je continuais de ramener l’œuf vers la sonde. Je l’avais presque ramené quand un bruit effroyable se fit entendre, faisant fuir toutes les créatures des alentours à toute vitesse. Les vibrations étaient telles que la sonde bougeait dans tous les sens, menaçant de faire tomber l’œuf avant de pouvoir le rapatrier dans la sonde. Je venais enfin de mettre l’œuf à sa place, fermant la poche métallique ventrale de l’engin, quand des images qui nous glacèrent le sang se révélèrent à travers l’écran du vaisseau. Une ombre gigantesque se profilait dans la noirceur des eaux. On ne voyait que sa silhouette, sa forme exacte restait indéfinie, mais elle était porteuse de dizaines de pattes, faisant plusieurs mètres de hauteur. On pouvait entrapercevoir des sortes d’aspérités sur ces pattes, un peu comme des épines sur une rose, mais très longues, et à priori, très pointues. On devinait une sorte de queue énorme doté d’une sorte de dard à l’arrière de la créature.
Et malgré le brouillard provoqué par l’avancée de la créature vers la sonde, faisant bouger la terre comme si elle allait se soulever en grandes quantités, on devinait des yeux immenses, avec en dessous, ce qui ressemblait à des sortes de crochets, ou plutôt des mandibules, telles celles dont sont dotées les fourmis ou les araignées. Mais ce n’était ni une fourmi, ni une araignée. Et à la demande de mes collègues, qui me demandait de remonter la sonde le plus vite possible, pour une fois, je me mis d’accord avec eux, préférant ne pas attendre que cette créature se rapproche plus encore. D’autant qu’il semblait plus qu’évident qu’il s’agissait de la propriétaire des œufs, et elle ne semblait pas ravie qu’on lui pique ses enfants. Je manœuvrais la sonde afin de la faire remonter vers la surface le plus vite possible, juste à temps pour voir en dessous, par les caméras auxiliaires, la forme de la créature qui restait dans les profondeurs. Elle ne semblait visiblement pas capable de nager vers la sonde, mais on devinait aisément ce à quoi on avait échappé en voyant la masse qui se dessinait au fond, longue de plusieurs centaines de mètres. L’opacité de l’eau ne permettait toujours pas de voir ce que c’était exactement, mais à dire vrai, à cet instant, ça n’avait plus d’importance.
Quelques heures plus tard, on mettait de côté cette expérience de peur. Pas vraiment pour nous, mais plutôt vis-à-vis de la sonde. Un matériel d’un tel coût, perdu en mission, parce que je n’en avais fait qu’à ma tête, autant vous dire que je l’aurais senti passé de la part de mes supérieurs. Mais qu’importe, après tout, la menace était passée, et seul comptait à présent d’ouvrir le sas où la sonde avait pris place, après être remonté de Titan. Pendant que les autres s’affairaient auprès des données numériques enregistrées entretemps, et que Sven s’occupait de vérifier que la sonde n’avait pas reçu de dégâts non visibles, pour ma part, je récupérais les 3 œufs. A la lumière, ils étaient encore plus splendides. Très curieux, mais splendides. Je les déposais immédiatement dans le labo, dans un vivarium d’incubation, curieux de savoir quelle bestiole allait ressortir de ces fameux œufs. Je repensais à la créature que l’on avait en partie vu de tout à l’heure. Est-ce que ces créatures étaient de la même nature ? C’est-à-dire qu’elles étaient destinées à grandir autant ? Bon, de toute façon, même si c’était le cas, il leur faudrait sûrement des mois avant ça, et entretemps, une fois toutes les données recueillies sur elles, à force d’analyses, j’aurais trouvé une parade à cette phase de grandeur. Inutile de s’inquiéter pour ça. En tout cas, c’est ce que je me persuadais de croire. Mais la suite des évènements allait me montrer ma grave erreur.
Pendant plusieurs semaines, pendant que Sven, Tara et Stephen continuaient d’étudier les données de nature géologique de la sonde, tout comme les images des différentes créatures, observant leur morphologie en détail, moi je me consacrais exclusivement à l’étude de ces œufs. C’était étonnant. La surface réfléchissait la lumière en émettant une couleur rouge irisée, teintée d’un noir très profond, comme une enveloppe de lumière, un halo, à chaque fois que j’émettais une source de chaleur près d’eux. Cela me prit du temps, mais je finis par comprendre le pourquoi et le comment de l’intensité de ce halo. Plus la source de chaleur était chaude, plus le halo était fort, et semblait réagir par de petits tremblements, comme si cela les gênait. S’il était trop faible, les couleurs devenaient très pâles, donnant l’impression d’être à l’agonie. Au bout d’un certain temps, je trouvais la température idéale, celle où les lumières émanant des œufs restaient stables. Satisfait, je décidais de faire part de mes découvertes aux autres. Je voulais leur montrer aussi que j’avais radiographié les œufs, histoire de savoir si je pouvais identifier la nature des créatures à l’intérieur. Mais, de la même manière que leur mère lors de l’attaque de la sonde, les radios ne permettaient de distinguer qu’une vague silhouette, sans doute à cause de l’épaisseur de la coquille des œufs.
Jusqu’à présent, je n’avais jamais laissé les œufs sans surveillance. Même lors de mes périodes de sommeil, un système mis en place avait pour fonction de me réveiller en cas de comportement anormal des œufs. Une surveillance constante donc. Jusqu’à aujourd’hui. Un jour spécial. La plupart des analyses de données avaient été établies et répertoriées, ce qui signifiait pour nous que l’on s’approchait de la fin de la mission, et que d’ici 3 ou 4 semaines, on pourrait effectuer officiellement, après rapport vers nos supérieurs de la Terre, notre retour vers notre bonne vieille planète. Une étape qu’on ne pouvait faire autrement que fêter, d’autant que Tara était impatiente de goûter au champagne français qu’on avait mis de côté pour l’occasion. Sacrée Tara. Plus fêtarde qu’elle, je crois que ça n’existe clairement pas. Je ne l’ai jamais vu faire un sourire aussi éclatant que ce jour-là. Un sourire qui allait vite disparaitre dans les prochaines heures. A cause de mon inconscience. Les autres aussi allaient payer le prix de mon insistance à ramener ces foutus œufs à bord.
Après la petite fête, je revenais tranquillement au labo, histoire de voir où en étaient le développement des œufs, en étudiant les relevés informatiques de l’appareillage relié à l’incubateur. C’est là que le cauchemar se mit en place. Quand je revins au labo, je crus que je rêvais, tellement ça semblait inconcevable. La vitre de l’incubateur semblait avoir été fondue sur une grande partie de sa surface. C’était impossible. Cette vitre était capable de supporter des chaleurs de plus de 500 degrés Celsius. Qu’est-ce qui pouvait bien avoir provoqué… Je m’arrêtais net. Les œufs. Les 3 coquilles étaient elles aussi fondues, ressemblant à une masse de gélatine sur la surface du sol de l’incubateur. Et aucune trace des créatures qui en étaient sorties. Je cherchais dans le labo, me disant qu’elles étaient forcément là, quelque part. Je me munissais d’une combinaison ignifugée. Ça me semblait plus prudent, vu les apparentes capacités des créatures, aussi petites soient-elles. Au bout d’une demi-heure de recherche intensive, je devais me rendre à l’évidence, car je trouvais une ouverture dans le bas du mur, elle aussi semblant avoir été la proie d’une grande chaleur. Les créatures s’étaient échappées, et elles valdinguaient en toute liberté dans le vaisseau. Je ne savais pas quoi faire. Si je le disais aux autres, il était certain que j’allais m’en prendre plein la gueule. Ils me diraient des trucs du genre « on te l’avait dit que c’était une mauvaise idée » ou « t’es qu’un inconscient dangereux ». Et je n’avais clairement pas envie de me prendre la tête avec eux sur ce sujet.
Bon, OK, j’avais merdé sur ce coup-là. Mais, bon, il me suffisait de remettre la main sur ces bestioles, les remettre dans un autre vivarium, supportant des chaleurs plus élevées, et le tour était joué. Du coup, pour l’instant, je préférais taire la disparition de nos pensionnaires. D’autant que je ne savais toujours pas à quoi ces créatures ressemblaient. Alors, pendant près d’une semaine, j’ai fait comme si de rien n’était. J’ai fabriqué de fausses coquilles grâce à l’imprimante 3D, histoire de faire croire qu’elles étaient toujours là. J’ai remplacé la vitre, et rebouché le trou par où elles s’étaient enfuies. Et discrètement, avec un détecteur de chaleur, j’ai tenté de les retrouver. Je ne savais même pas la taille qu’elles faisaient. Après tout, les œufs étaient à mi-chemin entre un œuf de poule et un œuf d’autruche. Elles ne devaient pas être bien énormes. Grossière erreur. J’ignorais totalement leur rapidité de croissance, cette espèce était totalement inconnue. Et j’allais bien vite découvrir qu’elles étaient aussi très agressives.
Le 8ème jour depuis la disparition des créatures, je n’avais toujours pas retrouvé leur trace. A croire qu’elles s’étaient volatilisées. Je tentais de dissimuler mon angoisse aux autres, ce qui devenait de plus en plus difficile. Et Sven s’en est aperçu le premier. Le même jour, il me prit à part, et me demanda ce que j’avais, que c’était la première fois qu’il me voyait faire la gueule comme ça sans qu’on lui ait dit non à quelque chose. J’avais tellement envie de lui dire ma connerie, mais ma fierté m’en empêchait. Malgré tout, je me disais que si je n’avertissais pas les autres et qu’ils voyaient une de ses bestioles, quel que soit leur taille, la situation serait bien pire pour moi. Alors, je fermais les yeux, je pris une grande inspiration, et au moment où je m’apprêtais à dire la vérité à Sven, je vis celui-ci pris d’une pâleur cadavérique, du sang coulant de sa bouche à profusion, me regardant avec insistance, comme pour me dire « qu’est-ce que t’as encore fait ? ». Une sorte de grande tige noire énorme lui transperçait le corps, d’où sortait une mare de sang se déversant sur le sol, formant une flaque aussi grande qu’une table de salon. De la fumée sortait aussi du corps, libérant une odeur abominable, comme une putréfaction avancée. Alors que j’étais encore sous le choc de cette vision, je vis la tige se retirer d’un coup de Sven, pendant que celui-ci, n’étant plus retenu, tombait avec fracas au sol, sans la moindre once de vie, avec toujours cette fumée émanant de lui, comme s'il avait été soumis à une chaleur énorme, ayant fondu la plupart de ses organes vitaux, et plus encore. Et c’est là que je compris l’ampleur de mon erreur.
Elle était là. Du moins, l’une d’entre elles. Elle devait bien faire au moins près de 4 mètres de long pour environ un peu moins de 2 mètres de hauteur. D’un noir opaque et luminescent. Elle était dotée de deux rangées de 10 pattes, de mandibules et un dard immense au bout d’une queue tout aussi démesurée pendait au-dessus de sa tête. Un scorpion ! En tout cas, ça ressemblait à un scorpion. A la différence de ces fameuses pointes parsemant les pattes, et ces mandibules qui faisaient bien plus penser à celles d’une fourmi ou d’une mante religieuse. Son dard en lui-même était en fait en 2 parties : une partie longue ressemblant à une pique. Celle qui avait traversé Sven. Et une partie recourbée, située un peu à l’arrière de la partie longue. La créature avait 4 yeux disposés en carré d’un noir intense. Ce que je ne comprenais pas, c’était qu’à l’origine cette espèce avait apparemment besoin d’un espace maritime pour survivre. C’est pourquoi j’avais immergé les œufs dans le vivarium. Mais pas complètement à bien y réfléchir. C’était sans doute ma pire erreur. En faisant ainsi, en n’immergeant pas complètement les œufs dans le vivarium, et en les exposant à plusieurs types de température lors de mes tests, j’avais dû provoquer une sorte de mutation « In Vitro », causant cette accoutumance à un espace non-maritime.
J’étais paralysé, incapable de bouger, pendant que la créature semblait m’observer. Ça peut sembler curieux, mais j’avais même l’impression qu’elle me sentait d’une certaine manière. Peut-être était-ce dû à l’odeur de mes mains sur la coquille des œufs. Tel certains animaux ovipares, elles se repéraient à l’odeur déposé sur la coquille de leur œuf pour reconnaitre leur mère. Et ma forme devait l’interroger. D’un côté, elle reconnaissait l’odeur qui était sur sa coquille, d’un autre, elle voyait bien que je n'étais pas comme elle. J’en étais encore à me poser la question combien de temps il allait me rester à vivre avant qu’elle comprenne que je n’étais pas celui qui l’avait conçue, quand je vis Tara et Stephen qui sortait de leur chambre. Je voulus leur crier de s’enfuir, mais il était trop tard. Descendant du plafond où elles s’étaient nichées, les 2 autres créatures se dirigèrent directement sur mes malheureux collègues, les embrochant purement et simplement, aussi soudainement que celle en face de moi l’avait fait avec Sven. J’entendais leurs cris de terreur, le broiement de leur os au moment où le dard de ces créatures de cauchemar enfonçaient leur corps. Des cris horribles qui se turent aussi rapidement qu’ils s’étaient déclenchés.
J’entendais ensuite le glissement des dards sortants de la chair de la proie des deux créatures, me faisant penser aux Scorpions de mer qui hantaient les mers du Paléozoïque, laissant glisser au sol les corps de ceux qui firent l’erreur d’être mes amis, et de me faire confiance, enveloppés eux aussi d'une épaisse fumée se dégageant de leurs corps inertes. De la manière dont elles avaient foncée sur Tara et Stephen, je compris mieux comment elles m’avaient échappé. Tout ce temps, elles avaient dû vraisemblablement emprunter les tuyaux d’aération du vaisseau, avant de se déplacer sur les plafonds, quand leur taille ne leur permettait plus de se glisser dans les conduits. Les deux créatures, à leur tour, se rapprochèrent de moi, semblant m’observer, me sentir, tel que leur semblable l’avait fait avant eux. Elles sont restées ainsi un temps que je serais incapable de vous décrire. Puis, semblant lassées ou satisfaites, là encore, impossible de pouvoir le dire, elles se sont désintéressées de moi. Apparemment, elles en avaient conclu que mon odeur leur assurait que je faisais malgré tout partie de leur « famille », ou quelque chose du genre. En tout cas, les jours qui suivirent, elles ne cherchèrent jamais à m’attaquer. Mais je me retrouvais dans une impasse. Si je cherchais, par quelque moyen que ce soit, à tenter de les attaquer, j’étais certain d’y passer. D’un autre côté, je ne pouvais pas revenir sur Terre avec elles. Impossible de donner la possibilité à ces monstres de prendre la terre comme terrain de chasse.
Alors, que devais-je faire ? Plus tard, je regardais la surface de Titan qui s’offrait à mes yeux. Et plus je la regardais, plus je me disais que je ne pouvais pas indiquer à mes supérieurs terrestres que ce satellite serait l’idéal pour une base intermédiaire, voire une colonie. Cet océan, s’il renfermait d’autres créatures toutes aussi dangereuses, qui, elles étaient parfaitement capables de vivre en surface, et attaquer les futures colonies, n’était pas compatible avec notre projet. Il fallait tuer ce projet dans l’œuf, empêcher la divulgation des données recueillies. J’ai bien pensé à faire un rapport indiquant la présence de ces créatures mortelles, en précisant qu’il en existe peut-être des pires, mais connaissant la stupidité militaire et scientifique terrestre, qui sont bien pire que ma simple curiosité, je renonçais à cette idée. Je me rappelais alors mon expérience sur les coquilles vis-à-vis de la chaleur. Titan ! Le Methane ! La surface en était remplie. Si je lançais le vaisseau en chute libre vers Titan, l’explosion mélangée au gaz détruirait à la fois les données, et ces foutues créatures. De plus, elles ne se méfieraient pas d’un tel stratagème. Après tout, ça restait des arthropodes, malgré leur taille. J’entrais les coordonnées dans l’ordinateur de bord, la vitesse et je fonçais vers Titan, sentant les créatures, interrogatives, derrière moi, me donnant l’impression de reconnaitre leur lieu d’origine en le voyant se rapprocher de minute en minute. Encore quelques heures, et tout serait fini. C’est là que j’entendis un message que j’aurais préféré ne jamais entendre
« Nous avons bien reçu les données. Titan et son océan intérieur semble idéal pour notre projet. Vous avez superbement travaillé. Nous allons étudier tout ça. Merci encore pour vos analyses ».
Non ! Le transfert automatique ! J’avais complètement oublié le transfert automatique ! Sven avait dû le mettre en place quand lui et les autres ont commencé à traiter les données reçues par la sonde. Un système qui permet d’envoyer automatiquement les données enregistrées sur le fichier central une fois par semaine. Et le transfert venait d’être effectué. Si j’avais eu cette idée de lancer le vaisseau plus tôt, j’aurais pu mettre fin à ce cauchemar. Maintenant, il était trop tard. Mon sacrifice devenait complètement inutile. Et je ne pouvais plus modifier les coordonnées et la trajectoire. D’ici 2 heures, j'allais m’écraser sur Titan. Il ne me restait donc qu’une chose à faire : profiter de ce laps de temps avant la chute pour enregistrer ce journal et l’envoyer en transfert immédiat, malgré les conséquences que cela implique. Je n’avais plus le choix. J’espère seulement que vous, qui lisez ce journal, saurez juger le danger que représente Titan et les créatures qui l’habite, et prendrez les décisions nécessaires, au-delà de toute considération scientifique ou militaire, afin d’éviter un massacre inutile sur cette succursale de l’enfer. Au moment où je vous parle, je suis sur le point de disparaitre, avec les créatures que j'ai aidées à grandir avec moi. Prenez la bonne décision. Adieu…
Je tiens à préciser que cette histoire a fait l'objet de recherches scientifiques rigoureuses. Toutes les informations et chiffres scientifiques concernant les sondes Cassini, Titan, sa surface, son atmosphère ou encore l'hypothèse d'un océan intérieur sont issues de sites scientifiques et de magazines réputés et variés (à l'exception des chiffres de l'atmosphère de l'océan intérieur que j'ai extrapolé, mais malgré tout en prenant pour base des données scientifiques). Pour cette histoire, je me suis notamment basé sur le projet Dragonfly de la NASA qui envisage d'envoyer une sonde sur Titan en 2026. Les détails sur l'intérieur du vaisseau, son équipement et ses compartiments sont basés eux aussi sur des revues scientifiques. Seules les créatures, le côté amphibie de la sonde, et l'histoire en elle-même et ses personnages sont de mon imagination. Cependant, les Scorpions de mer géants ont réellement existé, et vivaient à l'ère Paléozoïque sur la Terre. Ils constituaient le haut de la pyramide des espèces de l'époque, en tant que plus grand et plus terrible prédateur. De leur nom scientifique des Euryptérides, je me suis basé pour cette histoire de son plus grand représentant connu, à savoir le Jaekelopterus Rhenaniae, d'une longueur de 2 mètres et demi, dont j'ai quelque peu modifié la taille et les particularités physiques pour les besoins de cette histoire.
Publié par Fabs
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