Depuis combien de temps suis-je là à attendre leur venue ? A redouter de grossir le nombre de leurs victimes, devenue exponentielle, depuis ce jour maudit où j’ai découvert cette tablette, et que j’ai eu la stupidité d’en réciter les versets qui y était inscrit ? Je ne sais plus vraiment. J’ai perdu toute notion de temps depuis que je me suis prostré dans cette maison, attendant l’inévitable, comme d’autres attendent la délivrance, alors qu’ils sont alités aux portes de la mort. Est-ce qu’il s’est passé des jours ? Des semaines ? Des mois, peut-être ? Je serais incapable de le dire. Je ne peux que compter le nombre de gouttes de sueur perlant sur mes joues à chaque heure qui passe à surveiller le son de leurs pas dans les ténèbres qui ont envahi les rues. Eux, les enfants du crépuscule, les Dark Child. Enfin, c’est le nom que je leur ai donné. Personne ne sait vraiment qui ils sont. Ce qu’ils sont. D’où ils viennent. Enfin, pour cette dernière affirmation, j’ai bien quelques idées. Ils ne peuvent venir que de l’enfer. Leurs chiens noirs et décharnés, arracheurs de chair, destructeurs de vie en sont l’évidence même. Comment pourrais-je oublier la première fois où je les ai vu à l’œuvre ? Comment effacer de ma mémoire l’image de ces gens déchiquetée par leurs dents de cauchemar ? Ni celle de mes amis, démembrés par ces enfants aux yeux noirs, sans que ceux-ci ne les touchent physiquement. Simplement en pointant leurs mains dans leur direction, et faisant le geste de détacher de leur corps leurs mains, leurs bras, leurs jambes, avec ce sourire machiavélique au bord de leurs lèvres ?
J’ai vu le sang de tant de personnes couler après ça, tant de cadavres joncher les rues, tel un parterre macabre, une décoration de rue aux accents de morbide, une vision d’horreur indescriptible. Personne n’est à l’abri de leurs pouvoirs, de leurs compagnons infernaux. Le seul espoir qui reste à chacun est d’être le dernier sur leur liste de mort. Impossible de s’échapper : les issues de la ville sont toutes gardées par les Wraths, ces colosses d’argile doués de vie, sans la moindre pitié ou compassion pour ceux qui essaient de franchir les frontières délimitées par leurs maîtres. Certains n’ont pas eu le cran d’attendre. Combien de coups de feu venant des maisons voisines n’ai-je entendu résonner dans le silence du soir ? Des signes de fin de vie anticipée pour ne pas affronter l’indicible cognant à leur porte, signifiant qu’ils ont été choisis pour mourir. Des détonations qui sont devenues monnaie courante depuis les derniers jours, depuis l’avènement de ces enfants du désespoir, pourfendeurs de toute vie. Le pire pour moi, c’est que tout ça est entièrement de ma faute. Je suis le seul responsable de ce chaos monstrueux, cette plongée dans le néant et la terreur. C’est à cause de moi si la ville est enveloppée de cette vague de meurtres, toutes plus affreuses les unes que les autres, perpétrées par ces créatures sans âme, issues de mes invocations imbéciles. Toujours ma foutue curiosité ! Toujours à mettre en avant ma passion pour l’ésotérique et l’histoire avant le bon sens. Si seulement j’avais écouté Jenny. Elle aussi avait payé à cause de mon inconscience. D’une manière horrible. C’est pourquoi je rédige aujourd’hui ces mémoires. Afin que ceux qui les liront sachent à quoi ils vont faire face, quand les enfants se dirigeront vers d’autres lieux, d’autres populations pour étendre leur territoire de désolation, et qu’ils délaisseront notre ville. C’est pour que d’éventuels chercheurs de vérité au sein de notre cité morte le découvre au hasard de leurs inspections, et trouve, à travers les bribes de mes lignes, une solution pour enrayer ce fléau en cours.
Mais peut-être voudriez-vous savoir, vous qui lisez mes mots, comment un tel cauchemar a bien pu débuter ? Alors, je vais tout vous dire, en espérant n’omettre aucun détail qui pourrait vous être utile, et vous donner un indice, une petite piste, aussi infime soit-elle, pour arrêter les enfants et leurs créations, avant que l’humanité toute entière ne soit ravagée par la mort et les ténèbres. Quand vous lirez ceci, c’est que j’aurais déjà rejoint l’estomac d’un de leurs monstres, ou qu’ils se seront servis de mon cadavre pour s’amuser à orner les rues, comme un signe macabre de leur passage. Une marque indélébile frappée par le sceau du sang et de la destruction. Voici donc mon histoire. L’histoire d’un pauvre idiot qui a provoqué l’apocalypse par sa bêtise et son ignorance. L’histoire d’un simple petit étudiant en histoire antique, qui a fait une découverte qu’il aurait préféré ne jamais avoir eu connaissance. L’histoire d’un imbécile qui, par son implication, sera sans doute, à vos yeux, l’instigateur du plus grand fléau que la Terre n’ait jamais eu.
Je m’appelle Trevor, et je suis étudiant au sein de la prestigieuse Université d’Oxford, dans la section Sciences Humaines et habitant dans le collège Harris Manchester, réservé aux moins de 21 ans. Le système d’Oxford, comme pour la plupart des universités britanniques, est difficile à comprendre pour les non anglo-saxons, à cause de sa complexité, de ses différentes branches, ses spécificités. C’est un peu comme une ville au sein de la ville, pour résumer. Chaque collège possède sa propre catégorie d’âge, sa propre section d’études, le tout dirigé par un recteur, un directeur si vous préférez, chargé de veiller au bon déroulement des cours au sein du collège, et dépendant du Chancelier, à la tête de l’ensemble de l’université et ses 38 collèges, aidé par un vice-chancelier et d’une multitude de personnes dont il serait fastidieux de vous énumérer les rôles et les fonctions de chacun. Sachez seulement que l’ordre et la discipline y sont les maîtres-mots, et la moindre infraction au règlement peut avoir des conséquences dramatiques sur son avenir au sein de l’Université. Beaucoup ont critiqué le système d’Oxford depuis l’affaire Laura Spence, lors de l’année 2000, du nom d’une jeune étudiante venant d’une école publique et ayant postulée pour être admise au sein d’Oxford. Ce qui lui a été refusée sans que des raisons valables soient données, ses notes et ses connaissances étant très largement au-dessus de la moyenne, et aurait dû lui permettre une acceptation sans problème.
Pourquoi parler de Laura Spence me direz-vous ? Tout simplement parce que j’ai connu une histoire similaire dans ma famille, mon frère, alors qu’il cherchait à entrer dans la même Université, et j’ai pu voir à quel point cette injustice l’avait marqué. Tout cela à cause d’un rang social jugé « inférieur » pour les dirigeants D’Oxford. Cela a eu un battage médiatique beaucoup moins important, ma famille n’ayant pas eu la force nécessaire de s’engager dans un combat judiciaire qui aurait, de toute façon, été voué à l’échec. Alors, quand vint mon tour de faire ma demande d’admission, et que j’ai été accepté, alors que mon niveau était clairement un cran en-dessous de celui qu’avait mon frère, ce fut une véritable révolution pour ma famille modeste. J’aurais tant aimé que mon frère puisse voir cela. Mais cette injustice dont il a été la victime a eu un coût très lourd à porter. Entendez par là qu’il s’est suicidé, n’acceptant pas le fait que nos parents ne veuillent pas engager le combat comme l’avait fait la famille de Spence. Nous l’avons trouvé, ou plutôt JE l’ai trouvé pendu dans sa chambre.
J’avais 14 ans à l’époque, et vous imaginez bien le choc que cela a représenté pour moi. Je ne saurais dire si c’est cet épisode qui m’a fait me lancer de manière assidue dans les études, mais je pense qu’il ne serait pas faux de dire qu’il a certainement été déterminant. Quoi qu’il en soit, j’ai pratiquement abandonné toute vie sociale pour me consacrer à fond dans mes études, afin de pouvoir faire mieux que mon frère, de « venger » en quelque sorte sa fin tragique et injuste. Je me suis spécialisé dans l’histoire, en particulier les anciennes civilisations, tel que les aztèques, les mayas ou encore la Grèce antique. Cela m’a toujours fasciné, et je rêvais d’obtenir un doctorat dans le domaine, devenir un conférencier célèbre, afin que ma famille puisse obtenir la renommée auquel elle avait droit. Une manière pour moi de montrer à mon défunt frère que sa mort n’aura pas été totalement inutile aux yeux d’un monde ignorant les petites gens tel que nous.
Pendant plus de 5 ans j’ai trimé dur, très dur, passant des nuits à étudier, apprendre des langues mortes, tel le latin, l’égyptien antique, les écrits issus de l’ancienne Mésopotamie, tout ce que mon cerveau pouvait emmagasiner, au risque de le faire exploser de connaissances. J’en était arrivé à un point que j’étais capable de distancer intellectuellement quelques-uns des plus grands historiens connus du territoire britannique. Et depuis l’histoire Laura Spence, Oxford était sous les feux des projecteurs en cas de « récidive », et savait qu’il ne pouvait plus refouler un génie sous prétexte qu’il ne correspondait pas aux critères sociaux définis par une intelligentsia qui faisait partie, elle aussi, de l’histoire. Alors, j’ai été accepté haut la main, et intégré au sein de la forteresse culturelle d’Oxford. Le mot forteresse est bien faible au vu de la masse de connaissances disponible en son sein, rien que la bibliothèque centrale, la Bodléienne, et ses 8 millions de volume, en faisant la 2ème plus grande concentration de savoir écrit au Royaume-Uni, derrière la British Library. Pour moi, dont la soif de culture antique était presque impossible à assouvir, c’était comme si j’entrais dans le Pays des Merveilles d’Alice.
Il me fallut un peu de temps pour m’habituer à la grandeur et au faste d’Oxford, et Jenny a été déterminante dans cet « apprentissage ». Jenny, c’était tout le contraire de moi : elle adorait faire la fête, toujours à s’enthousiasmer pour tout et pour rien, spécialiste de la démonstration de câlins en public, malgré mes réticences, n’hésitant pas à me tirer par la main pour m’emmener vers des parties insoupçonnées de beauté de l’Université, faisant l’admiration de tous ses professeurs par son savoir, et lui pardonnant continuellement son excentricité. Cette fille, c’était une vraie fête foraine à elle toute seule. Rien n’allait jamais assez vite pour assouvir son désir de s’amuser en toute circonstance. Je me demandais même comment elle faisait pour accumuler avec tant de facilité toute cette connaissance en elle. Là où je devais passer des heures à étudier des dizaines de livres pour parvenir à rédiger un simple essai, devant revenir sans cesse de l’un à l’autre pour être sûr de bien avoir tout compris, elle, simplement en survolant un livre en le lisant en diagonale, elle était capable d’écrire pratiquement l’équivalent d’un discours entier de 50 pages, et ça sans le moindre effort. J’étais à chaque fois subjugué par ça, et je me demandais constamment, et je n’étais pas le seul d’ailleurs, qu’est-ce que j’avais de si particulier pour qu’elle m’ait choisi comme compagnon.
Le jour où j’ai eu le courage de lui demander, elle m’a juste dit qu’elle savait qu’on était fait l’un pour l’autre, que ça se voyait dans mes yeux si particuliers. Pour comprendre, il faut savoir que j’ai effectivement des yeux un peu « spéciaux » : ce sont des vairons. C’est-à-dire que mon œil droit est d’un vert opaque, pendant que mon œil gauche est d’un bleu très clair. Deux opposés, au même titre que mon caractère. J’avais beau donner l’impression d’une personne taciturne, ne voyant que les études pour me faire reconnaitre, dans le même temps, je savais que ce n’était qu’un masque que je m’étais forgé durant tant d’années. Au fond de moi, j’avais envie d’être comme tant d’autres, à folâtrer dans les rues, parcourant les bars, à admirer les étoiles sans penser à rien d’autres. Mais le souvenir de mon frère m’interdisait de faire comme les autres. Tant et si bien que je ne pouvais me résoudre à me « dissiper », de peur de trahir cette promesse faite à moi-même de rehausser l’honneur de ma famille. Je ne sais vraiment pas comment elle a fait, mais Jenny a vu cela en moi, et elle s’est comme senti investi de la mission de faire ressortir le vrai moi.
Et elle y est parvenue beaucoup plus facilement qu’on pourrait le croire. Comment dire ? J’adorais son dynamisme, cette excentricité qui faisait d’elle une fille à part. Une sorte d’Harumi Suzumiya, l’héroïne frappadingue du manga de Nagaru Tanigawa. A la différence près qu’on n’a pas créé de club bizarre en chassant les psions, les voyageurs du temps et les extraterrestres. Mais on a trouvé autre chose. Une chose qui a déclenché la venue dans notre monde de créatures ravageant tout sur leur passage. Des créatures qui, de prime abord, ont l’air d’enfants innocents. Mais qui, au final, n’en sont que les enveloppes charnelles. Car ce qui est à l’intérieur défie tout ce qu’il est possible de concevoir en terme scientifique et de l’utilisation du corps et de l’esprit. Des enfants capables des pires atrocités par leur simple regard, pouvant réduire en miettes votre volonté, rendre tous les os de votre corps à l’état de poussière, annihilant toute forme de vie ayant l’audace de se mesurer à eux. Et c’est à cause de moi et ma curiosité maladive qu’ils sont apparus au sein de l’université d’abord, avant de se répandre comme un véritable virus mortel dans la ville.
Le soir où j’ai déclenché cette apocalypse sans le savoir, Jenny et moi on se baladait derrière un des bâtiments désaffectés dans un des recoins presque oubliés de l’Université. Ou plutôt, comme d’habitude, c’est Jenny qui m’y avait entraîné, avec sa fougue habituelle. Elle voulait me montrer, selon ses dires, le monticule idéal pour regarder les étoiles en amoureux. Je sais, ça a l’air nunuche comme ça, digne d’un roman à l’eau de rose, mais ça aussi, c’était Jenny. Remplie de contradictions. Et franchement, c’était loin de me déplaire, je dois bien l’avouer. C’est en se dirigeant vers ce fameux monticule, derrière ces bâtiments en ruines, que j’ai aperçu quelque chose de curieux, caché entre les arbres du petit bois avoisinant. Je parvins à convaincre Jenny d’aller voir de plus près. A première vue, ça ressemblait à un cabanon en briques assez délabré. Peut-être un ancien local de jardinier tombé à l’abandon. Mais ce qui était bizarre, c’était le nombre de cadenas qui parsemaient la porte permettant d’accéder à l’intérieur. En s’approchant, et en grimpant sur un vieux tonneau situé plus loin, je scrutais l’intérieur, juste par curiosité, intrigué par ce qu’un simple cabanon soit aussi protégé.
A l’intérieur, il y avait une bibliothèque. En fait, tout l’intérieur était parsemé de livres, d’étagères, de tables remplies de documents en partie jaunies par le temps, et des objets curieux placés sur les murs un peu partout. On aurait dit des sortes de talismans, des signes cabalistiques ou quelque chose d’approchant. Comme des protections ésotériques. Je voulais en savoir plus, alors je me mis en tête de trouver de quoi briser les cadenas. Un caillou suffisamment costaud, une tige en fer, n’importe quoi qui me permettrait d’entrer et de satisfaire ma curiosité. Jenny tenta bien de m’en dissuader, me disant que s’il y avait des cadenas, ce n’était sûrement pas pour rien, et surtout qu’on n’était pas venu pour ça. Je n’arrivais pas à m’enlever cette idée de m’introduire, mais finalement je me ralliais au désir de Jenny de revenir à notre but de départ, quant à notre ballade du soir. Et je renonçais, temporairement, à découvrir ce que renfermait cette curieuse bibliothèque cachée au sein d’Oxford.
Cependant, même après avoir raccompagnée Jenny à son collège, différent du mien, Oxford séparant communauté masculine et féminine de plusieurs centaines de mètres l’une de l’autre, quand ce n’était pas beaucoup plus, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à cet étrange cabanon. En revenant à ma chambre, au sein de mon collège, je me mis à la recherche d’un outil quelconque pouvant m’assurer de pénétrer à l’intérieur de ce dernier. Je le trouvais en démontant ma lampe de bureau. La tige constituant le corps serait un outil parfait pour faire levier et briser les cadenas de la porte de ce qui était devenu mon obsession. J’attendis plusieurs heures, afin que chacun des élèves du bâtiment soit endormi, pour me glisser dans l’obscurité, et me diriger vers la fameuse bibliothèque secrète. Il ne me fallut que quelques minutes pour y parvenir, excité à l’idée des trésors que j’allais y trouver, peut-être de quoi faire une thèse sur un manuscrit inconnu, ou découvrir des documents sur le mode de vie de peuplades oubliées dans un recoin de notre monde… Rien qu’à l’idée de tout ça, je ne tenais plus en place, et, un à un, avec l’aide de mon pied de biche improvisé, je brisais les différents cadenas fermant l’accès à ce havre de culture caché à l’insu de tous.
Je perçais la pénombre à l’aide de la lampe de camping que j’avais emmenée avec moi, et m’engageais à explorer les lieux. A chaque livre, chaque document que je découvrais à la faveur de la lumière de ma lampe, je découvrais une nouvelle merveille issue d’un passé que peu de personnes au monde devaient soupçonner l’existence. Des traités de démonologie, des essais sur les techniques de torture, des manuscrits parfaitement conservés, à l’abri de tubes en aluminium ou tout du moins quelque chose d’assimilé, une encyclopédie dont je n’avais jamais entendu parler, sur divers phénomènes paranormaux avérés, véritable bible pour tout fan du Paranormal, … Ce n’était pas la mine d’or que je pensais, c’était une véritable caverne d’Ali-Baba. Il y avait aussi divers objets placés dans des sortes de coffrets transparents, scellés, plongés dans une sorte de liquide me faisant penser à une sorte de formol. Certains ressemblaient à des parties organiques : des doigts, des griffes, des oreilles d’animaux à la morphologie incroyable. On voyait aussi des os accrochés en suspension à divers endroits de la pièce aux formes tous aussi fabuleux les uns que les autres. Certains me faisaient penser aux orcs ou aux gobelins tels que décrits dans la saga du Seigneur des Anneaux, mais de dimensions plus réduites. Ailleurs, il y avait des sortes d’ailes tellement petites qu’on les aurait dites arrachés du corps de fées. Mais avec des textures noires. D’un noir très prononcé.
Plus je regardais les merveilles de cet endroit, plus je n’arrivais pas à comprendre pourquoi elles étaient cachées au monde, tellement j’étais émerveillé par toutes ces splendeurs semblant venir de différentes époques, peut-être même de dimensions parallèles à la nôtre. Et puis, mon regard fut attiré par un tout autre objet. Une tablette en argile. Semblable à celles qu’utilisaient les romains. Mais les signes inscrits dessus me faisaient plutôt penser à du phénicien. Sans trop savoir pourquoi, je me sentais comme attiré par l’éclat de cette tablette qui était vraisemblablement enduite d’un produit phosphorescent. Des champignons, sans doute, ou des algues. Peut-être que cette tablette avait séjournée dans l’océan avant d’être découverte et emmagasinée ici. Je me demandais aussi qui avait pu réunir toutes ces splendeurs. Mais j’étais de plus en plus intrigué par cette tablette, et je la prenais entre mes doigts, afin de mieux discerner ses inscriptions. C’était bien du phénicien. Aujourd’hui encore, j’ignore pourquoi mais je me suis mis à la traduire à voix haute, à la lumière de ma lampe.
« Tapis dans les profondeurs des abysses infernales, vous attendez mon appel, vous les enfants du crépuscule
Je n’ignore pas votre impatience de venir imposer vos lois de la souffrance à la surface d’où vous avez été bannis depuis tant de siècles
Vous qui étiez les seigneurs de ce monde avant même que l’Homme y naisse
Vous qui savourez le moment de votre juste retour afin de faire régner l’ordre naturel de la noirceur
Je vous en conjure : acceptez que je vous libère de votre carcan éternel dans lequel des âmes impures vous ont enfermé depuis bien trop longtemps
Montrez-vous, créatures du désespoir, et reforgez le monde à votre image, afin que les ténèbres qui vous ont créés reprennent leur place »
Soudain, je fus pris d’un tressaillement : il s’agissait clairement d’une invocation. Avais-je bien fait de la lire à haute voix ? Il aurait peut-être mieux valu la retranscrire sur papier à la place. Je croyais plus à la valeur historique de certains artefacts qu’à leur supposés pouvoirs, appartenant la plupart du temps à des folklores ancestraux, transmis de génération en génération, et transformés en rites fantastiques au cours du temps, sans conséquences véritables. Cependant, ce n’était pas le cas pour tous, et j’avais déjà eu connaissance par des sommités du paranormal, preuve à l’appui, que certains écrits n’étaient pas à prendre à la légère. De plus, était-ce l’atmosphère de cet endroit qui me faisait divaguer, mais je sentis soudain une forme d’oppression envahir tout mon corps, un froid presque hivernal envelopper toute la pièce. Je reposais la tablette sur la table, et, mû par un instinct que je ne saurais pas non plus expliquer, je me dirigeais vers la porte du cabanon, afin de sortir au-dehors.
Comment décrire ce que je voyais ? Le ciel tout entier s’était paré d’une immense nappe noire tourbillonnante, plongeant toute l’université dans une obscurité opaque et menaçante. Des éclairs s’abattaient un peu partout, toujours plus violent. Certains tombèrent de plein fouet sur les collèges, lézardant les murs de toute leur longueur, dans un fracas d’éboulement épouvantable, enflammant le gazon en divers endroits. Partout, des cris se faisaient entendre des différents bâtiments. Des cris de frayeur absolues, terrifiants, de plus en plus nombreux. Des dizaines d’élèves et de professeurs fuyaient des bâtisses s’écroulant, comme si elles étaient écrasées par une force incommensurable. Des vitres se brisaient, des incendies se propageaient, une étrange brume semblait monter de l’intérieur de la terre, envahissant la moindre parcelle de terrain. Et puis, le cauchemar s’amplifia : la terre tremblait, s’ouvrant comme un œuf dont l’occupant cherche à sortir. Et l’image n’était pas si éloignée de la réalité. Bientôt, d’immenses bras sortant de failles gigantesques se posaient sur le sol, afin de faire sortir le corps de colosses semblant constitués de terre ou d’une matière proche. D’autres créatures sortirent ressemblant à des chiens mais dépourvus de toute forme de chair, fonçant tout crocs dehors vers les infortunés ayant le malheur de se trouver sur leur route, les déchiquetant sans la moindre pitié, déchirant leurs gorges, arrachant leurs entrailles dans un craquement d’os effroyable.
A leur tour les géants d’argile sortirent complètement de leurs fosses, anéantissant les collèges de leurs mains monstrueuses, écrasant femmes et hommes sous leurs pieds, ne laissant derrière eux que des boues de chair et de sang, s’étalant sur l’herbe devenue d’un rouge flamboyant. Mais ils ne se limitaient pas à l’université. Bientôt, d’autres colosses sortirent, se dirigeant vers la ville, accompagnés d’autres créatures décharnées, des créatures ailées, véritables squelettes vivants, fondaient sur les rues au loin, dévorant les intrépides sortis dehors, affolés par cette vision apocalyptique. Mais il y avait autre chose : au milieu de ce cauchemar, il y avait des enfants. Entièrement vêtus de noir. A l’inverse des autres créatures sorties de terre, ils semblaient apparaître soudainement en divers lieux, se contentant de gestes à priori anodins, mais destructeurs à un niveau inimaginable. Ceux ou celles qu’ils visaient explosaient littéralement, fondaient sur place dans des douleurs et des cris effroyables.
Me sortant d’un coup de ma torpeur, je fonçais vers le campus, pensant à Jenny, aux rares amis que je m’étais fait, avec le faible espoir de les sauver avant qu’ils croisent la route d’un de ces monstres. Je me retrouvais ainsi face à 2 de ces enfants, que je pus détailler ainsi un peu plus. Ils avaient le visage blême, presque blanc, et leurs yeux… Leurs yeux étaient noirs. Aussi noir que le néant. Ils me sourirent. J’eus même l’impression qu’ils hochaient la tête, comme pour me remercier de leur avoir permis de sortir de leur royaume souterrain. Cela me glaça le sang. Néanmoins, ils ne cherchèrent pas à m’empêcher d’avancer, se préoccupant plus des autres proies qu’ils choisissaient, transformant chacun d’entre eux en bouillie, ou les forçant, sans doute par un quelconque pouvoir mental, à se tuer eux-mêmes avec tout objet à disposition : crayons, pierres, canifs, ciseaux, … Une vraie boucherie au sens littéral du terme, s’éventrant, s’ouvrant les veines, s’arrachant les yeux, se coupant les oreilles. Je crois qu’aucun mot n’existe pour décrire ce que je voyais partout ou je posais mes yeux. Ne cherchant plus d’explications quand au pourquoi d’être encore en vie, je continuais ma course vers le collège de Jenny.
J’arrivais enfin à ce dernier, et, comble de joie, Jenny était là, cherchant un abri où fuir, complètement paniquée, ayant perdu son légendaire sourire qui la caractérisait tant. Je voulus l’appeler, mais au même moment, je vis un autre de ces enfants infernaux apparaitre juste devant elle. Je criais, je hurlais même de la laisser vivre, de ne pas s’en prendre à elle. Un instant, je crus que l’enfant allait accéder à ma demande, me regardant, impassible, comme semblant s’interroger de ma demande. Puis, il se mit à sourire. Pas un sourire enfantin. Un sourire démoniaque, forcé. Je compris à ce moment ce qu’il risquait d’advenir de Jenny, mais je tentais d’empêcher l’inévitable en me dirigeant le plus vite possible vers Jenny. Je parvins enfin à elle, et sans dire un mot, je la pris par la main, lui signifiant de venir avec moi avant qu’il soit trop tard. Et puis, elle s’arrêta net, les yeux dans le vide, comme vidée de toute volonté. Plus loin, je voyais l’enfant aux yeux noirs diriger sa main en avant, la serrer du plus fort qu’il pouvait. Je regardais à nouveau Jenny. Et je… Je ne sais pas comment décrire ça tellement c’était horrible. Sa tête donnait l’impression de se comprimer sur elle-même, faisant ressortir ses yeux de leurs orbites, son nez se mélangeant dans ceux-ci, sa bouche affichant un rictus de terreur indescriptible.
J’entendais tous les os de son crâne craquer, se fissurer les uns après les autres. Et moi, je ne pouvais rien faire que de regarder, les larmes coulant sur mes joues comme jamais elles avaient coulé. Et puis, son corps tomba sur le gazon, presque sans un bruit, sa tête horriblement déformée, toute vie s’étant échappée du reste de son corps. J’étais dans le désespoir le plus total. Je hurlais de plus belle, en proie à une douleur inimaginable. Et pendant ce temps-là, l’enfant aux yeux noirs cessa de sourire, tourna les talons et se dirigea ailleurs, sans doute en quête d’autres victimes. Jenny était là, devant moi. J’avais l’impression qu’elle me lançait un regard accusateur de ses orbites vides. Comme pour me dire « Pourquoi tu as fait ça ? » « Pourquoi tu es retourné là-bas ? ». Je n’arrivais plus à m’arrêter de pleurer, pendant que le monde autour de moi continuait à subir l’horreur la plus totale. C’est Phil, un de mes amis, qui me sortit de ma transe, me forçant à lâcher la main de Jenny, et m’entraînant avec lui, me criant que je ne pouvais plus rien faire pour elle. Que maintenant, je devais surtout penser à sauver ma propre vie. Toujours rempli de larmes, je le suivis. On parvint je ne sais comment à nous enfuir vers la ville, où le spectacle était tout aussi horrible. Des enfants se postaient devant les maisons, fixant celles-ci, comme semblant lancer des messages psychiques à leurs occupants. Ceux-ci à peine sortis, était la proie des créatures ou tués de la pire des façons par les enfants eux-mêmes. Personne ne semblait pouvoir résister à leur pouvoir.
Les maisons étaient détruites par les colosses de toute part, des enfants de tous âge étaient dévorés par les chiens noirs, pendant que des personnes pensant être capables de fuir ce chaos se retrouvaient soudainement dans les airs, happés par les créatures ailées. Je les appelais les Skull Wings. Les colosses, je les nommais les Wraths, les chiens les Death Tooth, et les enfants, les Dark Child. Je sais, ça peut paraître futile de donner des noms à de telles horreurs, au vu de la situation que je vivais à ce moment. Mais c’était encore plus difficile pour moi de ne pas pouvoir nommer l’innommable. Le plus abominable c’était de voir qu’aucune de ces créatures ne cherchaient à m’attaquer moi directement. Comme si j’étais intouchable. En même temps, j’étais celui qui avait permis leur venue. J’étais leur libérateur, c’était sans doute à cause de ça que mon cœur battait toujours. Mais pour combien de temps ? Une fois que toute la population aurait été décimée, me laisserait-ils toujours la possibilité de vivre ? Et après ? Que se passerait-il ?
Ils n’allaient sûrement pas s’en limiter à cette ville. J’en étais à me poser mille questions, quand Phil se tordait de douleur, s’écroulant au sol, devenu la proie d’un autre Dark Child situé juste en face de moi, souriant en plein acte, comme les autres. Je ne cherchais même pas à protéger Phil. Ça vous paraîtra sans doute monstrueux de ma part, mais je savais que quoi que je fasse, ça ne changerait rien pour lui. A partir du moment qu’un Dark Child vous a pris dans son étreinte mentale, c’est terminé pour vous. Alors, je me contentais de détourner les yeux, pendant que Phil me suppliait de l’arrêter, me suppliait de le protéger. Mais c’était trop tard pour lui, et je suis sûr qu’il le savait déjà. Alors, je partais, laissant Phil agoniser atrocement, son corps aux proies de mille douleurs. Je me dirigeais vers une maison prise au hasard, soudain pris d’une lucidité que je ne me serais pas cru capable. Je cherchais de quoi écrire, afin de relater comment avait débuté toute cette horreur. Ce serait ma rédemption. Mon chant du cygne. En attendant que les Dark Child et leurs créatures n’aient plus rien à tuer dans cette ville, et décident qu’il était temps pour moi de rejoindre les autres macchabées parsemant toute l’étendue d’Oxford et ses proches alentours. J’attendais mon heure, imperturbable aux derniers cris que j’entendais au-dehors.
Combien de temps cela dura-t-il ? Je l’ignore. Quelle importance après tout. Peut-être attendront-ils d’avoir décimé toute l’humanité avant de s’occuper de moi ? Ou bien ils me laisseront en tant qu’unique humain survivant sur une terre dévastée… Quel que soit leur choix, de toute façon, je suis condamné. Après tout, je mérite sans doute ce sort. Tout ça est arrivé par ma faute. Alors, je n’ai plus qu’à attendre la fin des temps. Au train où vont les choses, je ne pense pas que j’aurais à attendre très longtemps. A moins que vous qui lisez ces lignes, et qui avez donc survécu, aussi impensable que ça puisse paraître, puissiez, grâce à mes renseignements, retrouver la tablette et le cabanon où tout a commencé. Et peut-être y trouver le moyen de mettre fin à l’apocalypse que j’ai déclenché. En tout cas, je l’espère sincèrement. Si vous trouvez mon cadavre à côté de ce journal, sachez que je suis désolé pour tout ça, si tant est que ça sert à quelque chose. Et si vous avez trouvé le moyen d’éradiquer les Dark Child et leurs troupes, la seule chose que je regretterais, c’est de ne plus être là pour le voir…
Publié par Fabs
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