22 févr. 2022

LA MOMIE DES MERS

 


Cette histoire est basée sur un faits divers réel. Celui de la découverte, au large des îles des Philippines, du corps momifié de Manfred Fritz Bajorat, à l'intérieur de son bateau à la dérive, le 25 Février 2016. Un cas unique de momification naturelle en milieu marin, et ce dans un temps extrêmement court, soit 7 jours, rendant caduque tout ce que l'on pensait savoir sur le processus de momification...

 

Quand j’ai reçu au sein de mon lieu de travail particulier, cette morgue où je passe le plus grand nombre d’heure de mon temps de vie dans la semaine, le corps de Manfred Fritz Bajorat, j’ai d’abord été surpris par l’état de ce dernier. Ma première réaction a été de penser qu’il s’agissait d’une momie égyptienne sortie d’un sarcophage volé dans un musée spécialisé dans cette période de l’histoire. Bien qu’improbable, cette idée n’était pas si saugrenue de prime abord, tellement j’ai vu des histoires incroyables au sein du département de police dont je dépendais. Mais ce n’était pas une momie « classique » au sens propre du terme. Entendez par là que ce n’était donc pas le corps desséché et parfaitement conservé d’un ancien pharaon ou bien celle d’un prêtre inca ou aztèque, mais bel et bien celle d’un homme mort dans des circonstances curieuses, il n’y avait que 7 jours… Ce qui semblait impossible. Comment un corps avait pu se momifier de façon aussi parfaite en un laps de temps si court ?

 

Franchement, j’ai bien cru au départ qu’on me faisait une blague douteuse, avec la complicité des autres membres du département policier. D’autant que j’avais déjà eu droit à deux reprises à leurs blagues de très mauvais goût, qui m’avait values des sueurs froides. La première fois pour mon arrivée au sein de la morgue. Une sorte de bizutage morbide où les membres de la section scientifique avaient placés à l’intérieur d’un corps fraîchement débarqué, des sortes d’électrodes tel qu’on en utilise pour faire repartir le cœur de personnes en état de choc cardiaque, savamment dissimulées, actionnables à distance. Cette nuit-là, j’ai poussé des hurlements de terreur en voyant le corps bouger, comme s’il était vivant, grâce à la dextérité des manipulateurs. J’ai couru comme un dératé dans les couloirs, me dirigeant vers la sortie. Une fois arrivé à la porte située à l’arrière du bâtiment, et avoir ouvert celle-ci, j’ai eu la surprise d’être accueilli par un groupe de policiers hilares, qui m’ont expliqué leur petite blague qui avait failli me déclencher une crise cardiaque.

 

La deuxième fois, ils ont poussé la perfection encore plus loin, la nuit d’Halloween, en substituant un corps, avec la complicité de mon supérieur et ami, et en mettant à la place, pendant que j’avais été envoyé par ce salaud de Chris à la réserve pour récupérer une pompe de thanatopraxie, prétextant d’un mauvais fonctionnement de celle que nous utilisions habituellement. Ça ne m’avait pas paru bizarre dans un premier temps, la pompe présentant effectivement des irrégularités depuis quelques jours. J’ignorais à ce moment que la vraie pompe avait été remplacée volontairement par une défectueuse à mon insu, par ce même Chris. A mon retour de la réserve, surpris de son absence soudaine, mais ne m’en alarmant pas, car pensant qu’il était peut-être parti aux toilettes, je me préparais à effectuer les opérations d’usage sur notre patient du soir, quand celui-ci se mit à se lever et se diriger vers moi.

 

Je crois que je n’ai jamais hurlé aussi fort que ce soir-là. La faute au génie du maquillage d’un groupe d’étudiants spécialisés dans les films d’horreur, qui s’était chargé de maquiller un des hommes du commissariat proche de la morgue, de manière tellement réaliste, et ressemblant trait pour trait au défunt qu’on était chargé, Chris et moi, de s’occuper, que j’ai vraiment cru être dans une version véritable du retour des morts-vivants. J’étais tellement terrorisé que je suis tombé au sol, cherchant à fuir à reculons, puis en rampant, après avoir lancé tout ce que je pouvais comme objets à proximité sur le mort qui marchait. Et puis, comme pour la fois précédente de leurs tours macabres, j’ai entendu des rires venir de toute parts, des policiers et Chris se montrant, caméras à la main pour certains, portables pour d’autres, filmant la scène. En me retournant, je vis le « cadavre » les mains sur les genoux, éclatant de rire lui aussi. Ça m’a pris plusieurs minutes avant de me remettre, et il a fallu que le comédien enlève son masque de latex pour que je sois convaincu que ce n’était pas un vrai mort en face de moi, malgré les explications des autres.

 

Comme vous voyez, j’avais pris l’habitude de leurs petites farces à la limite du supportable, et j’ai bien cru qu’il s’agissait d’une nouvelle mise à l’épreuve de leur part. Mais cette fois, j’ai vu le ton interrogatif de Chris et des gars chargés d’amener le corps, et j’ai compris que ça n’avait rien d’une nouvelle pitrerie orchestrée par Chris et ses amis. Ce cas était bien réel, et suscitait nombre de questionnements. 7 jours. Il ne s’était passé que 7 jours pour que ce corps se momifie, selon les premières analyses des équipes médicales, suite à la constatation et la découverte du corps de Manfred Fritz Bajorat au sein de son bateau en dérive. 7 jours pour arriver à une momification de cette ampleur, ça semblait tellement impossible.  Scientifiquement impossible que ce corps se soit momifié en si peu de temps, là où il fallait parfois des mois, voire des années pour arriver à un résultat similaire. Et encore. En utilisant des techniques particulières pour favoriser la momification, tel les rites utilisés par des civilisations tels que les prêtres de l’égypte antique ou celles précolombiennes. Tandis que là, d’après les premiers rapports légistes en notre possession, rien de tout ça n’avait été constaté. La momification s’était faite de manière totalement naturelle, sans la moindre intervention humaine. C’était du jamais vu, et j’avoue m’être posé la question d’une action surnaturelle, bien que cette idée, en tant qu’explication rationnelle, et en tant que médecin cartésien, me révulsait. Mais le fait était que ni Chris, ni moi, ni l’entourage scientifique n’avait de solution à apporter dans un premier temps à cette énigme…

 

La nouvelle fit grand bruit évidemment, au vu de la nature exceptionnelle d’un tel fait, et les journaux et médias de toute sortes ont eu vite fait d’élaborer des hypothèses toutes aussi farfelues les unes que les autres. Certains évoquèrent des créatures marines, possédant une sorte de venin ayant causé cette momification ultra-rapide ; d’autres parlèrent d’une expérience ratée occasionnée par la personne momifiée, bien qu’il fut prouvé que Manfred, la victime de ce mal étrange, n’avait aucune connaissance scientifique, et n’avait rien d’un Dr. Frankenstein ou ayant des connaissances dignes d’Octopus ou Fatalis, au grand dam des fans de comics ou passionnés de science improbable. Les complotistes ont fait part de leurs théories à base de gênes extraterrestre ou de météorites venues d’une autre galaxie possédant un virus inconnu, et inoculé à son insu à la victime. Autant de tentative d’explications toutes aussi folles et dénuées de sens les unes que les autres, surtout en connaissant la personnalité de Manfred Fritz Bajorat.

 

Ce dernier était un marin, un navigateur expérimenté de 59 ans, de nationalité allemande, qui était parti des Pays-Bas il y avait 20 ans de cela pour un tour du monde en bateau. C’est un ami du navigateur qui avait indiqué qu’avant la découverte du bateau, avec à son bord le marin, il n’avait plus eu de contact avec son ami depuis déjà un an. Beaucoup ont avancé que la mort était, du coup, peut-être plus ancienne qu’on le croyait, et que les légistes chargés des premières constations du décès s’étaient trompés dans la datation. Mais l’ami du navigateur avait précisé que Manfred avait peut-être eu une avarie sur sa radio, ce qui l’avait empêché de communiquer, n’ayant pas le matériel adéquat, et surtout les connaissances, pour la réparer. Celui-ci ayant été assez discret sur ses rares étapes pour se ravitailler durant son long périple en mer. D’autant que l’enquête a également révélé que le bateau avait essuyé une tempête. Seule incertitude à ce sujet : on ne savait pas si la mort était survenu pendant cette dernière, ou avant, expliquant la dérive du bateau, la mort de Manfred ayant été évaluée à 7 jours avant sa découverte.

 

C’est d’ailleurs ce point qui nous a alerté en premier, Chris et moi. Nous nous demandions si cet environnement particulier qu’est le milieu marin n’avait pas eu un impact sur cette momification accélérée et hors norme, allant à contresens de tout ce qu’on pensait savoir sur cet état de conservation du corps. Les vents océaniques et leur air salé, rempli d’iode, favorise une putréfaction rapide, comme il a déjà été constaté lors de corps repêchés en mer, sur les parties immergées de ceux-ci, étant en contact avec l’air, car flottant à la surface de l’eau. Mais généralement, dans ces cas-là, l’effet de putréfaction se limite à certaines zones, et pas au corps entier. Et surtout n’occasionne pas une momification de cette ampleur, mais simplement une rigidité cadavérique plus rapide que la moyenne. Dès lors, nous nous mîmes à faire plusieurs constatations en autopsiant le corps, et nous nous aperçûmes d’un premier fait troublant. A savoir que le haut du corps était dans un meilleur état de momification que la partie basse. Ce qui n'avait pas de sens. Du moins, c’est ce que nous pensions à ce moment-là.

 

Le fait que Manfred était enfermé à l’intérieur de son bateau, et donc n’étant pas en contact avec l’eau, facteur non négligeable de désagrégation du corps, était une clé du mystère, que Chris et moi avons creusé. Pour qu’une momification puisse opérer, elle doit avoir lieu dans un environnement aqueux, humide à un certain niveau, sans pour autant être immergé, et le corps doit être dépourvu de toute substance liquide, ceci afin d’éviter la putréfaction interne et occasionnée par des bactéries.

 

Un environnement humide, balayé par des vents de même teneur, favorisent l’accélération de la momification, car empêchant la prolifération de ces bactéries, provoquant la putréfaction. Les bactéries se développant en milieu sec. Un autre élément nous apporta la lumière de la solution. En l’occurrence, la présence de substances poisseuses sous le corps, signe que le corps s’est vidé de toute forme liquide qui aurait pu provoquer la putréfaction du corps. Celle-ci s’est donc opéré en dehors du corps. Ce dernier, asséché et soumis à l’air marin, a commencé à se contracter, et a mis en place la momification. Un phénomène constaté lors de la découverte de momies découvertes dans des grottes présentant des conditions similaires, où le taux d’humidité et la présence de vents s’engouffrant par l’entrée de la grotte, permettait également une momification, bien que moins rapide que celle de Manfred.

 

Le dernier élément déterminant était la position de Manfred, dont la mort était dû, selon les rapports et l’autopsie effectuée par nos soins, à un infarctus du myocarde. Le navigateur devait être donc assis au moment de l’attaque cardiaque, et fut sans doute très soudaine, le laissant dans la position où il fut trouvé par les marins locaux ayant découverts le bateau à la dérive et le corps à l’intérieur. Cette position assise a favorisé l’expulsion des liquides du corps, autrement dit ce qu’on appelle les jus de putréfaction, qui se sont déversés au sol, et formant les substances poisseuses découvertes sous le corps. Une fois débarrassé des liquides le constituant, comme le sang et l’eau, ceux-ci se putréfiant en dehors, les tissus du corps, soumis aux vents marins salés, celui-ci agissant en tant que conservateur, en se déposant sur sa surface, et formant une couche protectrice, qui a occasionné un assèchement rapide de l’intérieur, en commençant par les organes, avant de s’étendre sur les autres parties. Raison pour laquelle la partie supérieure du corps était dans un état de conservation plus évoluée que la partie basse, cette dernière, pas complètement vidée de tout liquide, ayant une action moins propice à une momification aussi rapide que la partie haute.

 

Fort des résultats de nos analyses, nous avons donc pu expliquer de manière rationnelle ce cas unique de momification qui n’a pas d’équivalent, en tout cas dans l’environnement où il a été découvert. Néanmoins, il subsiste quelques zones d’ombre sur des points qui n’ont pas été révélés à la presse, Chris et moi étant conscients qu’ils soulèveraient d’autres interrogations qui pourraient remettre en question nos conclusions sur la mort étrange de Manfred. Points relatés aux officiers des affaires maritimes chargés de l’affaire, qui ont clairement fait comprendre de ne pas ébruiter ces zones d’ombre. J’ignore pourquoi j’ai fait ça, mais j’ai cherché à savoir si ces officiers appartenaient bien à la marine, de manière non-officielle, usant de mes compétences informatiques et d’un passé que je me suis bien gardé de signaler quand j’ai été embauché à ce poste, il y a 6 ans de ça, à une époque où je faisais partie d’un groupe de hackers opérant sur des cibles bien précises, coupables d’actions frauduleuses, et ayant causées des drames familiaux.

 

Et si j’ai bien pu constater la véracité d’identité de deux d’entre eux, le 3ème qui les accompagnaient, lui, était totalement inconnu des services maritimes, côtiers ou toute autre fonction du même ordre. Ce qui était curieux et me confortait dans le fait que les fameux points, qui pouvait paraitre insignifiant, avaient sans doute une importance plus grande qu’il ne le paraissait. L’un d’eux étaient ces fameux trous en forme de triangle situés sous l’oreille droite du corps, qui, malgré la momification, avaient pu être visibles par traitement informatique des clichés du corps. Une autre chose curieuse était l’absence de plusieurs dents, qui montraient des traces non pas de chute naturelle ou d’extraction dentaire, mais plutôt semblaient avoir été comme découpées au laser, de façon bien nette, à la base de la racine. Celle-ci étant toujours en place, montrant bien qu’il ne s’agissait pas d’une extraction. En tout cas pas de façon classique. L’un des faits le plus troublant était la datation même de l’âge de Manfred, qui ne correspondait pas à sa date de naissance officielle, telle qu’indiquée sur son extrait de naissance.

 

La datation, aussi dingue que ça paraissait, donnait l’âge de… 256 ans ! C’était complètement incompréhensible. J’ai fait le test de datation 3 fois, pensant m’être trompé, sans en parler à Chris, et à chaque fois je suis arrivé au même résultat… Il semblait que son extrait de naissance et la plupart des documents officiels concernant Manfred avaient été falsifiés, afin de cacher son véritable âge. Sans compter que certains tissus internes ne correspondaient pas avec l’ADN d’autres parties du corps, ce qui était encore plus troublant. Ainsi que des traces de coutures extrêmement fines, presque invisibles. La momification avait permis de mettre à jour ces traces infimes. C’était comme si Manfred était composé de différentes parties de corps. A la lumière de ces constatations, je me posais la question de qui était réellement Manfred Fritz Bajorat… Etait-il seulement humain ? Et qui était cet officier maritime qui n’apparaissait sur aucun registre ? Ayant acquis certaines de mes découvertes de manière non autorisées, je ne pouvais évidemment pas en parler. Mais depuis, je me sens épié, surveillé par quelqu’un… ou quelque chose…Tapie dans l’ombre, prêt à guetter un faux pas de ma part, une révélation de ces points troublants pour lesquels on nous avait explicitement indiqués, à Chris et moi, de nous taire. Sauf que Chris ne savait pas tout ce que j’avais découvert. Ce qui me mettait dans une position bien plus dangereuse que lui…

 

Une semaine plus tard, j’appris que Chris avait été muté ailleurs, à sa demande. Chris et moi on ne se cachait jamais rien. Jamais il n’aurait omis de me dire qu’il partait ailleurs. Et son remplaçant semble trop prévenant pour être sincère. Je sens bien qu’il joue un jeu, afin de m’amadouer, espérant que je fasse une erreur en parlant de ce que je ne devrais pas savoir, et que Chris ne savait pas. Je sais que j’ai sans doute mis le doigt sur quelque chose d’interdit, et que ma « disparition » ou ma « mutation secrète » est peut-être déjà inscrite sur un document, attendant qu’un cachet soit apposé si mon surveillant, car il est évident que c’en est un, se rend compte que j’en sais trop. C’est pourquoi j’ai fait ce journal, et que je vous l’ai envoyé, Mr. Mulder, en utilisant un chiffrage que je sais que vous serez capable de décoder. Juste au cas où quelqu’un parviendrait à le réceptionner en même temps que vous. Après tout, j’ai bien réussi à cracker votre adresse mail pour vous envoyer ce journal. Qui dit qu’il n’y en a pas d’autre qui ait pu le faire…

 

Je fais confiance à votre réputation, et j’espère que vous porterez crédit à mes interrogations à travers ces mots que je vous livre. Si par la suite, vous constatez ma disparition en tentant discrètement de me recontacter, sans que mon babysitter ne s’en rende compte, c’est que mes découvertes se révèleront plus importantes que je le pensais. Et en ce cas, vous resterez le seul à même de résoudre le vrai mystère qui se cache derrière le secret de la momie des mers…

 

Publié par Fabs

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