18 févr. 2022

LES DUNES DE TITAN

 


 

Journal de bord, Station Titan-II, année stellaire 145.8, 20 h 03

 

Ce journal, à l’heure où vous le lirez, sera sans doute postérieur à ma mort inéluctable. Mon corps s’amenuise de plus en plus, depuis que j’ai contracté ce mal issu du venin des proto-dragons sableux, le nom que l’on a donné à ces créatures tenant à la fois des serpents et des mythiques dragons, possédant ce qui pourrait être apparenté à des sortes d’ailerons longilignes, comportant des nervures, comme en ont les chauves-souris ou encore certaines races préhistoriques disparus depuis des millénaires, tels les ptéranodons. La parité avec ces derniers n’est pas anodine, puisque les proto-dragons sableux, ou PRAS tel que nous les appelons plus communément, possèdent des becs formant une continuité de la tête, et des cavités nasales, au nombre de 6, sur la base de ce même bec, à hauteur des yeux. Ces cavités, contrairement à ce que nous pensions jusqu’alors, bien avant que nous ayons la possibilité d’examiner de près l’une de ces créatures à l’état embryonnaire, n’ont pas pour seule fonction aux PRAS de respirer, mais aussi, et surtout, d’être une forme de radar naturel, quand l’animal se déplace sous les dunes, y agissant comme un poisson nageant dans l’océan.

 

Ces cavités nasales sont pourvues de tissus cellulaires favorisant l’écho-location, au même titre que la chauve-souris émet des ultra-sons pour déterminer la distance et le lieu de ses proies. Sauf qu’ici, le PRAS fait fonctionner ces cavités, que l’on a nommées les écho-narines, vis-à-vis de leur fonction, en quelque chose d’encore plus évolué, pouvant déceler également les sons les plus inaudibles pour la perception humaine. Le simple fait de respirer, ou de faire battre son cœur de manière élevée, suffit au PRAS pour repérer sa cible en surface, quand il est sous les sables. En plus de cela, sa vitesse de déplacement, du à l’étrange texture de sa peau, composée d’une sorte d’huile faisant glisser pratiquement tout et n’importe quoi tentant de s’accrocher ou de pénétrer sous sa surface, pourrait rivaliser avec un avion supersonique terrestre. 

 

Et sa longueur ne gêne en rien cette exceptionnelle vitesse. Le PRAS est sans aucun doute l’un des prédateurs vivant sur Titan les plus problématique qui soit, du fait de sa dextérité, de sa propension à repérer tout ce qui bouge, de sa vitesse, et de sa voracité… Ce cauchemar vivant, en plus de cela, peut perforer avec son bec les alliages métalliques les plus résistants, tel que nous avons pu le constater, pour notre plus grand malheur. 1 de nos véhicules a subi ses attaques, et a fini déchiqueté. Quant à ceux qui se trouvaient à l’intérieur de ceux-ci… Je ne sais même pas comment décrire ce qu’il est advenu d’eux. Et s’il n’y avait que les PRAS… Mais aux abords de la zone des dunes, les HellPeaks, telles que nous les appelions, du fait de la chaleur extrême de ce secteur, et du sort qui attend tous ceux qui s’y déplacent, semblable à une représentation spatiale de l’enfer, il y a autre chose. Les pourtours du secteur des dunes, disais-je, comme les étangs de méthane, sont les lieux de vies d’autres créatures presque aussi dangereuses, bien que moindre par rapport aux PRAS. Comme les Camedeinosuchus, ou CADES, parfaits hybrides de saurien aux facultés identiques aux caméléons de notre Terre. Le terme Deinosuchus employé vient de la race préhistorique terrestre, véritable ancêtre des sauriens modernes sur notre planète.

 

De ce que nous avons pu comprendre en explorant les bases de données et les journaux mis à disposition par le Consortium terrestre, à l’origine de la colonisation de Titan, cette lune de Saturne semble ressembler de plus en plus à une version aux proportions démesurées de l’ancienne préhistoire de notre planète, du fait de sa faune rassemblant à une version cauchemardesque des anciennes terreurs du passé de la Terre. Jamais le terme Titan n’a été aussi approprié pour désigner cet astre, tellement les formes de vie s’y trouvant s’avèrent gigantesques, quel que soit la zone. Nous connaissions les créatures de l’océan intérieur qui, au vu des derniers rapports envoyés par la station Titan-I, se font de plus en plus menaçantes envers les équipes en place là-bas ; ainsi que celles vivants dans les montagnes près de Titan-III, ayant causé la destruction de cette dernière et le massacre du personnel y officiant. Mais les informations récoltées par Titan-IV, V et VI ne sont guère plus engageantes, chacune des équipes en place relatant leurs expéditions désastreuses une fois mises en contact avec les horreurs qui vivaient dans leur secteur.

 

Chaque station a fait part de sa peur, au vu des morts s’accumulant à chaque sortie d’exploration, auprès du Consortium terrestre et de la Genetech, la société qui a développé les vaisseaux nous ayant amenés sur Titan, ainsi que tout le matériel qui nous sert chaque jour. Mais ils n’ont fait que nous rabâcher la même chose. A savoir que malgré la situation sur Titan, la menace de voir toute vie sur Terre devenir une réalité d’ici quelques centaines d’années, obligeait à quelques compromis nécessaires. Et, pour reprendre leurs mots, certains sacrifices mineurs ne doivent pas avoir de répercussions sur la colonisation de Titan, qui est primordiale. Des sacrifices ! Voilà tout ce que nous étions pour eux. Des cobayes jetables à jeter à ces créatures afin de mieux étudier le moyen de les contenir. Les nombreuses morts leur importaient peu, vu que les équipes décimées étaient remplacées par d’autres les mois suivants, au gré d’autres vaisseaux envoyés sur cet astre maudit. Ce lieu où nous nous rendions compte que nous ne pourrions jamais en être les maitres, quel que soit notre technologie. A quoi peuvent bien servir des armes face à la vitesse des PRAS, capables de détecter le son des projectiles, dès le moment où ceux-ci sont sortis du canon ? Même les fusils AED étaient trop lents. Et les capacités de dissimulation des CADES, se fondant dans l’environnement, étaient tout aussi déstabilisantes pour n’importe lequel d’entre nous…

 

Quand je creuse dans mes souvenirs, je reviens à ce moment où Genetech et le Consortium nous ont demandés d’envoyer une expédition, afin d’étudier la zone des sables, la Station-II où nous étions étant située à sa périphérie, à mi-chemin de celles des plaines. L’objectif premier était d’étudier la structure des grains de sable, ceux-ci présentant un intérêt majeur du fait de leur nature organique, formée par la photochimie de l’atmosphère, avant de retomber au sol. Une atmosphère composée à 98% d’Azote et provoquant des conditions électrostatiques uniques sur les sables de Titan, ceux-ci « collant » à la surface, et qui, théoriquement parlant, et selon les études publiées par la société Nanomechanics et l’Université John Hopkins aux USA en 2018, ne pourraient être soulevés que par des vents extrêmement violents. Le fait est que les vents de Titan n’ont pas la force suffisante pour cela, ne pouvant faire monter dans les airs que les grains situés à la surface la plus haute des sables. La partie tombant en premier sur le sol de l’astre par photochimie, composée de grains d’hydrocarbure, et représentant un micron, alors que les grains postés sous cette première couche peuvent atteindre 100 microns et sont donc bourrés d’électricités statique, les rendant trop lourds pour les faibles vents de Titan. 

 

De ce fait, les dunes de l’astre ont ces formes bizarres, opposées au sens des vents balayant la surface. Seuls les PRAS ont la faculté de faire bouger ces grains, pour se déplacer en leur sein, sous les dunes, ce qui donne une idée de la puissance de ces monstres. L’origine et la structure des grains de sables des couches inférieures des dunes de Titan pourraient donner lieu à des avancées d’ordre technologique fabuleuses, du fait de leur propriétés électrostatiques, capables de donner lieu à des molécules capables de résister aux tempêtes les plus incroyables officiant sur Terre. Des matériaux fabriqués à partir de ces molécules permettraient de créer des vaisseaux et du matériel à même de supporter des vents stellaires de grande ampleur, ce qui sonnerait comme une révolution dans l’exploration spatiale, et pourrait permettre à Genetech et au Consortium Terrestre d’étendre la recherche vers d’autres astres capables d’atmosphère propre à vivre pour les êtres humains, dans des régions jamais explorées encore par l’homme, y compris d’autres galaxies.

 

A cause de cela, l’étude des sables de Titan, et la possibilité de comprendre sa formation, de manière à reproduire sa structure moléculaire de manière artificielle était d’une importance capitale. Nous comprenions cela, mais la lecture des rapports des autres stations ayant subies des attaques mortelles n’étaient pas vraiment pour nous rassurer, et plusieurs des membres de l’équipe étaient devenus réticents à s’aventurer au dehors. Nous n’avons eu d’autre choix que de recourir à une méthode archaïque de tirage au sort pour désigner ceux et celles qui composeraient l’équipe chargée de sortir et s’aventurer dans les sables de Titan. A ce moment, nous étions très loin d’imaginer l’ampleur de dangerosité de la faune y vivant. A cause de la densité du sable, nous ne pouvions obtenir de relevés radars très précis sur ce qui se trouvait sous la surface des dunes de la zone. Et la hauteur de ces dernières, dont certaines pouvaient atteindre jusqu’à 100 mètres de hauteur, n’arrangeait rien. Par la suite, nous découvrîmes que l’intérieur même de ces dunes étaient en fait des nids pour les PRAS. Mais comme je l’ai déjà dit plus tôt, la menace des dunes a commencé à montrer son visage dès ses abords. Là où se situaient de petites surfaces, des petits étangs de méthane liquide.

 

Ces étangs n’étaient pas dangereux en soi. C’est plutôt ce qui vivait en leur sein, et qui nous prendraient pour cible, qui serait le point de départ du cauchemar de cette mission d’exploration… Une fois le tirage au sort terminé, les 6 membres désignés ainsi, dont moi-même, s’apprêtèrent, et s’installèrent à bord des 2 Rover habité, 2 des 12 exemplaires de type Hope se trouvant sur Titan, disséminés au travers des stations II à VI. La station I, du fait de son environnement océanique utilisant des bathyscaphes, qui sont plus appropriés. La station-II dont nous faisions partie possédait 3 Hope, et c’est donc 2 d’entre eux qui nous servirent pour se rendre sur place. Sans savoir que je serais le seul à revenir vivant de cette expédition. En tout cas, au moment où j’ai écrit ce rapport. Mais comme je l’ai également indiqué au début de ce journal, le poison qui m’a infecté, à l’heure qu’il est, a sûrement eu raison de moi, et les autres membres de la station ont dû déjà m’incinérer, pour éviter une contamination possible par contact, suivant en cela des règles sécuritaires d’hygiène très strictes.

 

Pour revenir à la mission à proprement parler, nous nous sommes donc dirigés vers notre lieu prévu pour l’exploration, après une halte près d’un de ces fameux étangs que je vous ais mentionnés précédemment, au bord de la zone des sables. Une manière pour nous de prélever des échantillons du sable présent à cette bordure de zone, et comprendre un peu mieux sa formation plus dense quelques mètres plus loin. Nous avons donc stoppé les véhicules dans un secteur entre l’étang et le commencement de la zone sableuse. Et pendant que deux des membres de l’équipe s’affairaient, nous avons entendu des cris venant d’Iris, qui avait été chargée de faire des prélèvements de roche près de l’étang. Entendant ses cris, nous nous sommes précipités, nous attendant à voir un premier représentant de la faune locale, et nous nous attendions au pire… Enfin, c’est ce que nous pensions à ce moment… Mais comment être préparés à ce que nous avons vu devant nos yeux horrifiés ?

 

Ça semblait tellement irréel… Iris semblait voler dans les airs, le corps transpercé par une queue écailleuse qui sortait de nulle part, lui traversant le dos, frétillante, pendant que ses jambes étaient croquées par des dents n’appartenant à aucune bouche, envoyant des gerbes de sang sur le sol rocailleux, pendant que son expression montrait que la vie était en train de quitter son corps. Nous ne savions que faire… Tirer nous était impossible sans voir l’ennemi. De plus, nous risquions de toucher Iris. Bien que tout semblait déjà fini pour elle… C’est sans doute ce qui a décidé Mick à épauler son fusil AED et tirer, visant l’étrange queue, puis les crocs. Ce qui eu pour effet de révéler l’agresseur, n’ayant visiblement pas vraiment apprécié la décharge du flux électrique lancé par l’arme, et lâchant le corps d’Iris qui tomba au sol, sans montrer le moindre signe de tentative de se relever, et signifiant sa mort évidente.

 

Et devant nous, les traits de la créature aux particularités similaires du caméléon, utilisant le mimétisme pour se dissimuler, nous apparut. Elle faisait la taille de trois hommes en longueur, mais ne dépassait pas les 1 mètre, 1 mètre 50 de hauteur. Doté de 4 pattes, chacune se séparant en deux parties distinctes, comme si elles étaient le résultat d’une greffe maladroite, l’animal avait l’aspect général d’un crocodile d’où émanait des vapeurs. Vraisemblablement du méthane, la créature devant vivre au sein de l’étang, et ayant dû être attiré par notre présence. Il n’y avait qu’un œil unique, situé à la base de sa gueule, et sa queue ne ressemblait à rien de commun. Donnant l’impression d’un harpon organique ou de la tige monstrueuse d’une rose, sans les pétales. En même temps, Titan avait déjà démontré qu’il fallait oublier toute logique propre à nos connaissances en anatomie animale sur sa surface… Soudain, l’animal se mit à charger, et bien que sa masse aurait pu faire croire à un déplacement lent et lourd, il n’en était rien, et le camédeinosuchus, le CADES, était d’une rapidité effrayante.

 

Mick, ayant vu que l’animal craignait l’action de son AED, tira à nouveau, ce qui déclencha un cri horrible nous perçant les tympans, tour à tour. Un cri aigu qui nous fit saigner les oreilles, ces dernières étant peu habituées à des sons d’une telle ampleur, nous obligeant à poser les genoux à terre, tellement la douleur ressentie nous était insupportable. Du coup, Mick lâcha son arme lui aussi, chutant à son tour, pendant que le CADES, voyant notre immobilité se précipita à nouveau en formation d’attaque, et se dirigeant vers celui qui avait été responsable de son mal, quelques secondes plus tôt, Mick…

 

L’animal fonça dessus, arrachant d’un coup à coup de dents le bras droit du pauvre Mick, qui hurlait à travers son casque. Du moins, nous le supposions, car nous ressentions encore les effets de douleur à nos oreilles, et nous n’entendions plus rien. Nous ressaisissant chacun à notre tour, nous empoignions également nos armes électriques et les pointions vers la créature, qui venait de prendre dans sa gueule le casque et la tête de Mick, qui hurlait de plus belle. Ses cris finirent par nous parvenir, au fur et à mesure que nous retrouvions l’usage de l’ouïe, entendant le craquement des os se brisant, et le sang se versant par flots sur sa combinaison. Nous entendions aussi le bruit de mastication de l’horrible monstre se nourrissant de Mick, nous laissant dans une position où, saisis par la terreur, nous ne savions que faire. Tirer avec nos armes risquait d’atteindre également Mick.

 

Et si la créature, bien que semblant mal supporter les flux des AED, nous donnerait sans doute du mal pour en venir à bout, ce n’était pas la même chose pour Mick, qui ne résisterait pas à une telle masse d’énergie dans son corps. Avait-il deviné notre hésitation, ou bien était-ce un simple réflexe ? Toujours est-il que ce dernier montra un signe que nous connaissions bien avec sa main gauche, pendant qu’il continuait de subir les assauts de la créature, simplement sauvé par la résistance de sa combinaison aux crocs de l’animal. Ce fameux rond formé avec son pouce et son index qui signifiait, selon son code, au terme « pas le choix » … Ce qui indiquait qu’il nous demandait de tirer sans nous occuper si son corps parviendrait à résister.

 

Nous hésitâmes encore quelques secondes, pendant que les cris de Mick commençaient à se faire moins insistants, preuve qu’il était sur le point de succomber, son signe de lancer l’attaque sans se préoccuper de lui se relâchant. Alors, les larmes aux yeux, nous nous donnions un signe de tête l’un à l’autre, et nous tirâmes tous ensemble en direction de Mick et de la créature monstrueuse. Celle-ci reçut une décharge électrique de grande ampleur, de l’ordre de près de 10.000 Volts, accumulation des 4 AED, hurlant, brisant à nouveau nos tympans de manière horrible. Mais nous tinrent bon, afin de nous débarrasser de cette horreur. Même en mettant à nouveau les genoux à terre, nous continuâmes de déverser le flux de rayons dans la direction de la créature, qui finit par lâcher prise, restant immobile un moment, avant de s’affaler sur le côté…

 

Cela faisait à peine une demi-heure que nous étions sortis, et déjà notre groupe se réduisait à 4 membres sur les 6 de départ, alors que nous n’avions pas encore pénétré dans la zone des sables... Où un sort bien pire encore nous attendait, mais nous l’ignorions à ce moment-là… Une fois remis du choc, à la fois de la double mort à laquelle nous avions assisté, mais aussi à la douleur ressenti à nos oreilles, malgré nos casques, pourtant censé résister à des sons de grande ampleur venant de l’extérieur, nous disposions les corps de Mick et Iris près de l’étang, après avoir poussé dans ses eaux, non sans mal, la créature dont la tête était en grande partie carbonisée… Ignorant si d’autres créatures du même type se trouvait dans les environs, au creux du lac de méthane dont les effluves ressortaient en grande quantité, et même sachant que les corps de nos amis avaient de grande chances de ne plus être là quand nous repasserions ici à notre retour, nous adressâmes un dernier adieu à nos amis morts sur cet astre de malheur, comme tant d’autres avant eux, par la faute de commanditaires ne voyant que l’intérêt avant la prudence, et n’ayant même pas l’intelligence d’accepter que Titan ne serait jamais une terre hospitalière pour l’humanité…

 

Malgré tout, nous ne pouvions que nous résigner à continuer la mission, sachant pertinemment que même en indiquant les faits qui venaient de se dérouler au Consortium, nous connaissions à l’avance la réponse que celui-ci donnerait : « la mission avant tout, et qu’importe les conséquences et les évènements sur le terrain ». Conscients de cet état de fait, nous finissions de remplir nos bacs d’échantillons de roches et de sable, avant de repartir, nous dirigeant vers ce qui était le point central de notre mission. Là où nous allions trouver une menace encore plus mortelle que le CADES. Vers le territoire d’une créature qui se présentait déjà comme le prédateur numéro 1 de Titan : le PRAS, le proto-dragon sableux, cet hybride improbable entre un dragon, un serpent, un ptéranodon et une chauve-souris. Un monstre abominable que personne ne souhaiterait rencontrer une seule fois dans sa vie. Un cauchemar vivant indécelable, vivant sous les sables, et capable d’anticiper le moindre de nos mouvements, avant même que nous ayons pu réfléchir au meilleur moyen de s’enfuir pour échapper à son bec de mort, et le poison qu’il véhiculait…

 

C’est ainsi que, à peu près une heure après avoir laissé nos compagnons aux abords de l’étang, laissant leurs corps à la merci d’autres CADES qui ne manqueraient pas de les dévorer minutieusement, nous nous trouvions en plein cœur de la zone des sables de Titan. Curieusement, malgré nos craintes de trouver d’autres créatures comme le CADES autour de nous, nous ne voyions rien de semblable aux alentours, ce qui nous avait plutôt rassuré. De plus, pour parer à toute éventualité, nous avions branché les détecteurs de chaleur organique.

 

A ce moment, nous ignorions que la créature qui allait nous montrer que la chaleur des lieux n’était pas ce qui était le pire de la zone, ne pouvait pas être détecté par nos appareils… Pas parce qu’elle n’était pas vivante, mais parce que le sable dans lequel elle vivait et se déplaçait faisait office de brouilleur naturel à nos instruments. Ce qui la rendait indétectable avant son attaque. Les prémices de celle-ci se montrèrent sous la forme de vibrations du sable. Au début, elles étaient assez légères, et nous avions pris ça pour une forme d’hallucination collective, vu que rien d’autre aux alentours ne bougeait, et qu’un apparat de tremblement de affecté à une zone bien distincte de Titan était peu probable.

 

Mais bientôt, les secousses devinrent plus intenses et régulières, et nous devions bien accepter le fait que cela ne pouvait être que le résultat du déplacement d’un animal suffisamment gros pour provoquer quelque chose de similaire à une secousse sismique. Cependant, nous ne comprenions pas qu’il n’apparaissait pas sur les appareils. Gwen émit l’hypothèse que c’était à cause de la densité et des propriétés électrostatiques du sable de Titan que les appareils ne le détectaient pas. Les secousses redoublant d’intensité, nous nous décidions à quitter la zone, sans chercher à savoir le visage de ce nouvel ennemi, car il semblait évident que nous étions en position de désavantage dans ces lieux que nous ne connaissions pas, alors que ce nouveau prédateur inconnu s’y déplaçait avec une aisance qui ne pourrait que nous être fatal si nous restions plus longtemps. Sur son territoire…

 

Nous étions partis depuis seulement quelques minutes à bord des 2 Hopes quand celui-ci montra le bout de son bec, se propulsant hors du sable comme s’il s’agissait d’un des dauphins de l’aquaworld de Miami. Pendant qu’il semblait suspendu dans les airs, nous pûmes voir une partie de ses caractéristiques, à savoir son long corps à mi-chemin entre un serpent et le mythique dragon des légendes terriennes, ses ailerons semblant avoir été volés à une race de chauve-souris géante, et ce bec, qui était la copie conforme, à quelques nuances près, de celui d’un ptéranodon. L’instant d’après, ce monstre semblant sorti du plus dingue des livres de fantasy de l’histoire s’abattait sur le Hope de Travis et Mark, le coupant littéralement en deux parties, pendant que l’animal s’enfonçait dans le sable comme s’il s’agissait d’une étendue d’eau. Je commençais à faire demi-tour, afin de leur venir en aide, quand Gwen arrêta mon bras, avant de me montrer l’horrible spectacle se déroulant devant nous…

 

3 autres créatures du même type, semblant sortir des dunes elles-mêmes se précipitèrent vers le Hope, pendant que Mark et Travis tentaient de s’enfuir, en tirant sur les monstres des sables, bien plus terribles que les vers de la saga de Frank Herbert. Mais les flux d’énergie semblaient glisser sur l’étrange texture de peau de ces dragons des sables. C’est Gwen la première qui leur donna le nom de proto-dragon, se rappelant en cela d’un terme qu’elle avait entendu lors d’une conférence, sur Terre. Et comme cette créature avait son habitat naturel au sein des sables, elle rajouta le mot « sableux ». Rajoutant que l’abréviation PRAS serait sans doute plus simple pour la désigner dans les futurs rapports. 

 

Mais pour l’heure, Gwen insistait pour fuir, pendant que les PRAS étaient occupés. Cependant, je me refusais à faire quelque chose d’aussi horrible. Gwen renouvelait sa demande de partir au plus vite. Je trouvais ça curieux. On aurait dit qu’elle était encore plus terrorisée que moi, mais pas seulement à cause de nos amis, qui se faisaient déchiqueter devant nos yeux par les PRAS les entourant. Je savais qu’on n’avait pas le matériel pour affronter de tels monstres, mais l’idée de les abandonner… De plus, le plus curieux dans l’attitude de Gwen, c’était qu’elle avait exprimé le besoin de partir dès les premiers signes de ce que l’on prenait pour des secousses, comme si elle comprenait soudainement ce que signifiait ces tremblements curieux. Elle avait été la première à préconiser la fuite, évoquant la présence d’une créature sous les sables… Et là, j’aperçus, dépassant de son caisson d’échantillons, ce qui était apparenté à une sorte de gros caillou long et épais. Sauf que sa surface ne semblait pas rocailleuse, mais ressemblait plutôt à une sorte de coquille… Une forme d’œuf d’une forme complètement improbable en fait, tel que l’idée me venait en tête. Et il n’y en avait pas qu’un, mais deux. Mais aux couleurs légèrement différentes, et possédant cet étrange sable, s’agglutinant sur sa surface…

 

Je comprenais sa hâte à cet instant. Elle avait dû trouver ces œufs près d’une des dunes où nous nous étions arrêtés, sans doute en creusant le sable pour atteindre la couche inférieure, afin d’obtenir les grains nécessaires pour les analyses supérieures, pendant que nous nous occupions d’autres prélèvements dans une zone proche, sur les rares surfaces rocheuses au milieu de ce vaste désert. En fait, si nous avions subi cette attaque, et que Mark et Travis étaient passés dans l’estomac de ces monstres, c’était à cause de ces œufs. J’ignorais s’il s’agissait de l’un des parents qui avaient lancé la première attaque, ou si c’est toute la communauté présente dans la zone qui cherchait à récupérer leurs bébés, mais ce qui était sûr, c’était que ces œufs étaient leur motivation première contre nous. Connaissant le caractère vindicatif des créatures de Titan, tel que l’indiquait les différents rapports que j’avais lu, peut-être que ceux-ci auraient quand même fini par nous attaquer à un moment ou à un autre. Mais il était certain que le « vol » de ces œufs avaient clairement précipité l’attaque.

 

Voyant des morceaux de ce qui avaient été Mark et Travis valdinguer dans les airs, et le Hope complètement détruit, des larmes commençaient à couler, et je me retournais vers Gwen, la colère me gagnant. A ce moment, je ne sais pas ce qui m’a pris. Sans doute un morceau de haine qui s’est développé dans mon être à cause de la connerie de ma coéquipière, qui avait négligée de nous avertir de sa trouvaille, et qui aurait pu nous inciter à partir bien avant que les premières vibrations soient décelées. En tout cas, voyant d’autres PRAS sortir des autres dunes avoisinantes, et se diriger à leur tour vers notre véhicule, je fus pris d’une forme de folie, et j’arrêtais un instant le Hope, avant de pousser Gwen sur le côté, la faisant tomber à l’extérieur, sur le sable, avant de redémarrer. Presque immédiatement, j’entendais ses cris, alors que des bruits d’arrachement se faisaient entendre. Je sais que ça peut paraitre puéril, mais je souriais à cet instant, comme satisfait, pensant que cet acte pourrait me permettre de sortir de la zone de sables, et donc de la menace de ces créatures de cauchemar. Peine perdue… Soudain, l’un d’entre eux se dressait devant moi, sortant de toute sa masse de la surface de sable située à l’avant du Hope. Paniqué, je tentais de l’éviter, en braquant sur le côté gauche. A ce moment, le PRAS déversa un jet de liquide poisseux dans ma direction, qui se colla sur le pare-brise, avant de donner l’impression de se ramollir, de fissurer. C’était comme un acide qui rongeait la surface normalement capable de supporter ce type de liquide.

 

Puis, la vitesse du véhicule aidant, et le plexiglas étant totalement rongé, le liquide fut projeté à l’intérieur du véhicule, se collant sur la visière de ma combinaison, ainsi que sur les manches. Je sentais le tissu fondre, ressentant une chaleur me rongeant en atteignant ma peau, s’incruster dans mon sang et ma chair. Je hurlais de douleur pendant que je voyais le PRAS prêt à fondre sur le véhicule. Malgré la souffrance ressentie, je parvins à éviter de justesse l’attaque. Puis, dans un geste désespéré, je prenais un des œufs du caisson de Gwen, resté en bas de son siège, et le lançais au-dehors. Immédiatement, la créature se précipitais vers celui-ci, le prenant dans son bec, avant de partir. Je profitais de ce moment pour rabattre la visière intérieure. Une sécurité, créée par Genetech pour nos équipements, au cas où la visière extérieure serait fissurée par la pression de l’air, ou une attaque de créature. Pour une fois, un ingénieur avait eu une idée vraiment valable.

 

Toutefois, il restait le problème du bras. Ce liquide, quel qu’il soit, avait pénétré mon système sanguin. Je colmatais comme je pouvais la manche détériorée, pour éviter toute autre infection venant des gaz toxiques de l’atmosphère de Titan, avant de m’injecter une dose massive d’anti-poison du matériel d’urgence fournie dans chaque Hope. En espérant que ça serait efficace, au moins le temps de rejoindre Titan-II. Je reprenais la route, sans attendre que les PRAS se rendent comptent ou sentent, ne sachant pas comment ils opéraient, qu’il y avait un autre œuf dans le véhicule, et pensant être hors de danger, malgré la douleur de ce que je pensais être une sorte de poison, tel le venin des serpents à laquelle les PRAS semblaient plus ou moins affiliés.

 

J’ignore quelle force m’a permis de rejoindre la base, avec ce poison ravageant mon corps, me donnant sueurs et nausées à chaque seconde passant, mais en tout cas, je chérissais le ciel de Titan, bien que je doutais qu’un tel environnement, plus proche de l’Enfer que du Paradis promis par le Consortium, puisse posséder un quelconque Dieu capable de me sortir de ma situation. Néanmoins, je fus pris en charge par les médecins de la station immédiatement, leur parlant de l’œuf également, qui fut étudié avec soin par l’équipe chargée de l’étude de la faune. Bien qu’en général, celle-ci se limitait aux petites espèces sans danger, même si ces dernières étaient rares sur Titan, ayant plus de races dangereuses et vindicatives que des inoffensives ou bien contrôlables. Je fus mis aux soins intensifs pendant 2 semaines, sans savoir comment j’avais réussi à survivre jusque-là, étant mis au courant des découvertes faites sur l’œuf de PRAS, au stade embryonnaire, et qui permettrait sans doute bientôt d’avoir accès à un spécimen complet à étudier, afin de comprendre ces créatures capables de moduler le sable électrostatique de Titan. Une découverte qui ravirait Genetech, j’en étais certain. Ça les intéresserait sûrement plus en tout cas que de savoir si je m’en sortirais…

 

Finalement, l’équipe médicale m’avertit que le produit qui s’était introduit dans mon système sanguin était bien un poison. Un poison lent qui allait me tuer petit à petit, et jusqu’à présent, il n’avait trouvé aucun antidote pour le contrer, du fait de trop d’inconnues sur sa structure cellulaire, permettant de créer un contre-poison. Pour faire simple, ils venaient de m’annoncer que j’allais mourir, en me donnant une approximation du temps qu’il me restait avant ma fin programmée. Deux jours plus tard, je parvenais malgré tout à être capable de me déplacer, en parfait désaccord avec l’équipe médicale, afin d’enregistrer ce journal et indiquer tout ce qui s’est passé. Expliquant la connerie de Gwen, qui avait malgré tout conduit à pouvoir étudier un embryon, et peut-être bientôt un bébé PRAS ; indiquant la mort des autres, et mon empoisonnement. Bien que ce dernier point ne devrait pas soulever beaucoup d’enthousiasme de la part du Consortium et de Genetech. C’est d’ailleurs mon décès prochain qui m’a donné le courage de dire autant de mal de ces ronds de cuir qui attendent patiemment que d’autres morts comme la mienne leur permettent de voir leur rêves empreints de folie de s’accomplir. Moi je ne serais plus là pour le voir, si tant est qu’il y ait quelque chose à voir avant que la faune de Titan ait tué l’intégralité du personnel scientifique habitant sur sa surface…

 

Année Stellaire 145.9

Temps approximatif d’espérance de vie du patient empoisonné :

4 Jours, 6 heures, 35 Minutes et 12 Secondes à partir de la fin de rédaction de ce rapport

Bilan Perte de la mission Dunes de Titan : 5 victimes

Découverte de nouvelles espèces de Titan : 2

Temps approximatif d’éclosion du PRAS :

1 Semaine, 3 Jours, 2 heures, 14 Minutes et 7 Secondes

Procédure d’analyse des propriétés du poison en cours par l’équipe scientifique B-24

L’analyse de la structure moléculaire du sable de Titan en cours par l’équipe scientifique SZ-12

Prochaine mission pour les dunes de Titan programmée dans :

7 Jours stellaires

 

Fin du rapport interne de l’IA N° 2587-41-T

 

Prochain Episode : Les Plaines de Titan

 

Publié par Fabs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire