27 mars 2022

SUSHI NIGHTMARE

 


 

J’écris ces mots en espérant que quelqu’un les lira, même si je n’ai pas trop d’illusion que mon histoire soit crue, en dehors de ces murs, là où ma vie va s’arrêter d’ici quelque temps, une fois que toutes les parties de mon corps auront servies à nourrir cette abomination que ma curiosité aura eu le malheur de me faire découvrir. Pourquoi ai-je voulu savoir ce qui se cachait dans cette pièce où aucun employé n’avait le droit de se rendre ? D’autant que le restaurant Sushi No Sekai, dans le quartier de Shibuya, a acquis depuis quelque mois une réputation peu flatteuse, voire même inquiétante, du fait de plusieurs employés, de clients ou d’inspecteurs du Bureau de l’Hygiène japonaise, chargés d’enquêter sur des rumeurs d’implantation d’additifs de nature chimique non-contrôlés au sein des plats proposés par le restaurant. Le fait est que, depuis quelques années, le restaurant est soudainement passé du statut de petit commerce à celui de quasi-institution du quartier de Shibuya, l’arrondissement de Tokyo où les shibuyettes, le nom donné aux femmes fréquentant assidument les magasins de cet endroit très prisé de la ville, constitue près de 80 % de ses revenus.

 

Pour revenir aux rumeurs concernant le Sushi No Sekai, et son incroyable progression commerciale, cela vient du fait du goût incroyable des nigiri, temaki, chirashi, maki, temari : toutes ces variantes des sushis proposés par l’établissement. Le bouche à oreille favorable s’est transformé en véritable raz-de-marée populaire, suscitant la jalousie des autres commerces, y compris ceux situés dans les étages du célèbre centre commercial Seibu, dont le ténor des lieux : le Katsumidori, qui partage avec le Sushi No Sekai la même spécialité. A savoir qu’il s’agit d’un Kaiten Sushi. Un restaurant où les sushis sont placés sur de petites assiettes, défilant sur un tapis roulant, les couleurs des assiettes déterminant le prix à payer pour les clients. Une jalousie qui a mené à plusieurs tentatives de nuire à ce concurrent dont la rentabilité soudaine autant qu’incompréhensible, par le biais de plaintes et dénonciations, indiquant aux inspecteurs chargés d’enquêter que les aliments devaient avoir une sorte de produit dans leur constitution, donnant ce goût tant apprécié. 

 

Nombre de commerces identiques, et auparavant ayant une forme de monopole du marché de Shibuya, pensant que cet additif pourrait être d’ordre stupéfiante, expliquant la dépendance des habitués du Sushi No Sekai. Les remplacements fréquents de cuisiniers, serveuses ou autres employés, ainsi que de clients, ont alimenté encore plus ces suspicions à l’égard du restaurant. Néanmoins, beaucoup ne tenait pas compte de cette jalousie de la part d’entreprises n’acceptant pas qu’un petit restaurant sorti de nulle part leur ai volé une grande partie de leur clientèle habituelle. Et malgré les disparitions, les remplacements réguliers, beaucoup de jeunes gens dans le besoin venaient postuler pour pallier le manque de personnel récurent, que ce soit pour des extras afin de payer leur chambre d’étudiants, ou pour financer l’achat d’un véhicule entre autres. Je faisais partie de ces jeunes, mais pour une raison tout autre. Mes parents venaient de me jeter à la rue, faisant suite à de multiples actes de violence de ma part auprès de camarades de lycée, leur ayant valu bien des ennuis avec la police et les parents des victimes de mes coups.

 

Je dois dire que j’ai un esprit bagarreur depuis bien longtemps, et je n’acceptais pas qu’on me contredise sur pas mal de choses. De nature curieuse, comme je vous l’ai indiqué précédemment, j’avais l’habitude de m’intéresser à tout, et à force de lire un peu tout et n’importe quoi, j’avais souvent tendance à mélanger les choses, et quand j’exposais mes connaissances, et que j’en parlais à mes camarades de classe, afin d’obtenir une notoriété qui me faisait défaut, je devais faire face à des moqueries sur ma naïveté, voire ma stupidité, telle qu’il me l’était indiqué. N’acceptant pas ces insultes, mes poings réagissaient régulièrement avant même que mon cerveau réfléchisse à mes actes. C’est ainsi que je suis devenu un paria pour beaucoup. J’ai fini par être renvoyé de mon lycée, et ce fut la goutte d’eau de trop pour mes parents, surtout mon père, qui n’acceptait pas un tel comportement de ma part, après tous les sacrifices qu’il avait fait, financièrement parlant, pour que je puisse suivre une éducation à son image. Voulant que je suive la voie qu’il avait choisi pour moi, à savoir une carrière de médecin comme lui. Ce qui ne m’intéressait pas vraiment, et a souvent été l’objet de disputes entre lui et moi.

 

Cette plainte de plus à mon encontre après une nouvelle rixe au lycée, avec pour conséquence mon renvoi définitif, l’a fait exploser, et malgré les suppliques de ma mère, il m’a mis dehors le jour même. Depuis, il me fallait trouver un travail si je voulais avoir les ressources nécessaires pour payer le loyer d’un appartement ou d’une chambre d’hôtes, dans le pire des cas. En entendant parler d’un recrutement au sein du Sushi No Sekai, j’y ai vu l’opportunité de parvenir à mon objectif. Bien que n’ayant aucune expérience dans le domaine culinaire, étonnamment, le patron du restaurant accepta tout de suite ma demande d’embauche. Il avait besoin de quelqu’un pour nettoyer les lieux, entre chaque service, et mon inexpérience dans le domaine du culinaire, dans ce cas précis, ne posait pas de problème, vu que je n’aurais pas à être en cuisine.

 

 Ainsi, je commençais mon travail dans l’établissement controversé, et très vite je me familiarisais avec le personnel. Mon côté travailleur plut très vite au patron et son épouse, et sachant que j’avais besoin de ressources importantes pour payer le loyer de l’appartement que j’avais pu dégotter dans le même temps, il m’offrait souvent des petites tâches supplémentaires, pour gonfler un peu ma paie. Ce que, bien évidemment, j’acceptais sans broncher, trop heureux d’avoir plus de yen à rajouter sur mon compte en banque, guère florissant. N’étant plus alimenté par mes parents, suite aux évènements que je vous ai décrits. C’est à partir de là que ma foutue curiosité allait finir par causer ma perte. Dans tous les sens du terme. Et j’étais loin d’imaginer que les rumeurs concernant l’ingrédient secret de la cuisine du restaurant, me ferait plonger dans l’horreur la plus totale. Un secret qui allait me montrer que les pires monstruosités ne sont pas dans les films de la Toho, ou dans les Category III, mais dans une réalité allant au-delà de tout ce qui pourrait être concevable.

 

Comme je vous l’ai dit plus tôt, grâce à la générosité et la compréhension du patron du restaurant et son épouse, je faisais souvent des heures supplémentaires, parfois même après la fermeture de l’établissement. Le patron me faisant suffisamment confiance pour me confier la clé du restaurant pour fermer après mon départ. Avec promesse d’être présent le lendemain à l’aube pour ouvrir, et commencer mes tâches avant l’arrivée du personnel. Et surtout une consigne qui, à ses yeux, était le plus important. Ne pas tenter de savoir ce qu’il y avait dans la pièce tout au fond du couloir, derrière la cuisine. 

 

C’était très important. Le patron me faisait à chaque fois cette recommandation quand il me laissait seul tard le soir dans le restaurant, sans surveillance. En présence du personnel, la porte de la pièce était même parfois agrémentée d’un panneau dissuasif pour les contrevenants trop curieux, indiquant que ceux tentant d’y pénétrer, malgré le cadenas ornant la porte, s’exposait à un renvoi immédiat, et les conséquences pour cet acte se verrait même sanctionné d’une punition très lourde, en plus du renvoi. De ce fait, personne ne s’approchait de cette porte, à juste titre. La paie était plus que conséquente, et aucun employé n’aurait eu la stupidité de risquer de perdre un emploi aussi rémunérateur. Sauf que moi, ma curiosité était telle que je m’interrogeais à chaque fois que je passais devant cette porte, en faisant le ménage. Je me posais surtout la question : pourquoi un cadenas ? En plus de ça, la taille de celui-ci était énorme. J’ignorais même qu’il existait des cadenas de cette taille. C’était très intriguant. Pourquoi tant de précautions pour fermer une porte, alors que la fermer à clé serait bien suffisant. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir dans cette pièce justifiant autant de précautions ? Etait-ce à l’origine du secret du goût des sushis tellement prisé par les habitués du quartier de Shibuya ? Ou bien était-ce autre chose ?

 

Pendant de nombreuses semaines, je résistais à la tentation, me disant que ce n’était pas très important, et que mon emploi l’était bien plus. Mais ma curiosité maladive finit par prendre le dessus, et une nuit, muni d’un nécessaire pour crocheter la serrure du cadenas, commandé sur un site internet, je m’affairais à ouvrir la fameuse porte protégeant ce secret que personne ne devait connaitre… Une fois à l’intérieur, je fus tout de suite saisi par l’odeur. Une odeur pestilentielle, qui faillit me faire vomir, tellement elle me montait au cœur. Une odeur de pourriture, comme si un cadavre en décomposition se trouvait dans la pièce. Je fermais la porte derrière moi, et cherchait l’interrupteur sur le mur, afin d’éclairer les lieux. Je finis par le trouver, et la pénombre fit place à une clarté aveuglante, venant d’un néon au plafond, dont la luminosité très forte me faisait mal aux yeux, et m’empêchait de voir ce qu’il y avait en haut…

 

Après quelques pas, j’entendis comme des marmonnements, venant d’une autre pièce, adjacente à celle où je me trouvais. De plus en plus intrigué, je me rendais donc vers celle-ci, et allumais la lumière également. Et là, je crus défaillir, tellement le spectacle qui se trouvait devant moi était monstrueux. Deux jeunes hommes étaient attachés, la bouche fermée par un scotch tel qu’on en utilise pour des travaux d’étanchéité des toits. Ils étaient parsemés de blessures sur tout leur corps. L’un d’entre eux n’avait plus de bras. Pas qu’il était né de cette manière, mais bien parce qu’on lui avait arrachés. L’autre, il lui manquait une jambe, et la main droite. Et les deux avaient leurs vêtements déchirés, en lambeaux, comme griffés par un animal, mettant leur chair à vif en dessous. Mais ce n’était pas le pire. Un peu plus loin, l’horreur atteint son comble. Un charnier de plusieurs morceaux de corps s’entassait, des têtes décharnées, des os de fémur, de tibia, certains montrant des traces de brisures, comme si une force monstrueuse les avaient brisés, et surtout des centaines de mouches virevoltaient au-dessus, livrant un ballet macabre. L’odeur qui se dégageait de cet endroit était à la limite du supportable. C’était cela que j’avais senti en entrant.

 

Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Horrifié par cette vision, et comprenant ce qu’il était advenu des « disparus », ayant reconnu les restes d’un uniforme d’un inspecteur du Bureau d’Hygiène dans le charnier, ainsi que la tenue donnée aux employés du restaurant sur les deux jeunes attachées et mutilés, je sortais. Revenu dans l’autre pièce, je ne pouvais plus me retenir, et vomissais sur le sol carrelé. Je restais quelques secondes ainsi, pétrifié par ce que je venais de voir, et puis je m’aperçus d’un détail. Une table figurait contre un mur de la pièce. Une table comportant tout un nécessaire de découpage, tel que les cuisiniers utilisaient, avec un petit frigo à côté. La décence, surtout au vu de ce que j’avais observé de l’autre côté, aurait dû me dire de fuir l’endroit au plus vite, et de ne pas m’occuper du reste. Mais c’était plus fort que moi, et je m’approchais de la table, reconnaissant les petites boites hermétiques alimentaires qui servaient de base pour les variétés de sushis en cuisine, tel que je l’avais vu, lors d’une de mes pauses, invité à voir les lieux par l’un des employés.

 

Bien que mon cœur se nouait de plus en plus, je mis ma main sur la porte du frigo, prenant une grande inspiration, avant d’ouvrir. A l’intérieur, je reconnus les morceaux de poisson utilisés en cuisine, se trouvant dans les boites alimentaires, préparés avec soin, découpés à la perfection, et étalés sur les différents étages du frigo. A un moment, je m’attendais presque à voir des morceaux de chair humaine, au vu de ce qu’il y avait dans l’autre pièce. Mais non. Je pris le risque de sentir l’un des morceaux dans le frigo. J’en goûtais un, juste pour être sûr. Mais c’était bien du poisson. Avec ce goût qui faisait la popularité du restaurant. Mais alors, les personnes, le charnier de l’autre côté, c’était juste parce qu’ils avaient été trop curieux eux aussi ? Je découvris bientôt l’horrible vérité, qui était bien pire que je pensais. Les marmonnements que j’avais entendu précédemment s’intensifièrent, et j’entendis un grand bruit derrière moi. Comme si quelque chose venait de tomber soudainement du plafond, et s’abattant lourdement sur le sol. Je refermais le frigo, et me retournais, et je vis une créature monstrueuse me faire face…

 

D’un point de vue général, on aurait dit un jeune garçon, d’à peine une dizaine d’années. Peut-être 12 ou 13 ans au maximum, mais ses traits étaient difformes. Son visage voyait ses yeux décalés l’un de l’autre, la couleur de sa peau était d’un gris clair, tout comme le reste de sa peau. Et c’est là que je compris l’origine de la viande de poisson. Partout sur le corps, il y avait des textures identiques à ce qu’il y avait dans le frigo. Différentes formes ressemblant à du saumon, des algues, des corps de crevettes frétillantes, comme poussant dans la chair. D’autres parties donnait l’impression de petits crabes, dépourvues de pinces, et de toute forme de carapace, montrant leur chair blanche. Il y avait aussi ce qui ressemblait à des œufs de poisson, et d’autre étant des copies miniatures de morues, de thon et d’autres variétés. Cet être, cette chose, était un amalgame de produits de la mer à elle toute seule, constituant cet ingrédient spécial qui intriguait tant les restaurants concurrents. Je n’eus pas le loisir d’en voir plus. La créature m’assomma d’un simple coup de poing, et je me retrouvais au sol.

 

Quand je me réveillais, j’étais attaché dans l’autre pièce, un morceau de scotch sur la bouche, auprès des deux autres jeunes. Le patron et son épouse étaient devant moi, l’air à la fois mécontent et désolé. Ils m’expliquèrent que cette créature que j’avais vu était leur fils. Sa femme avait été irradiée lors de l’incident de la centrale nucléaire de Fukushima, alors qu’elle était enceinte. Elle parvint à survivre, mais à la naissance, ils eurent la surprise de découvrir la nature de leur fils. En grandissant, ils s’aperçurent également de ce qui composait son corps, tel que je l’avais vu, et aussi son mode alimentaire. A savoir de la chair humaine. Pour éviter qu’il ne sorte et chasse plus qu’il ne le devait, ayant tendance à manger toujours plus, ils ont dû l’enfermer dans cette pièce, utilisant le corps des trop curieux, tel que moi, comme base alimentaire pour le nourrir. Puis, voulant utiliser les particularités du corps de leur fils, s’étant aperçu que ce qui le constituait et poussait de manière régulière, était parfaitement comestible, après extraction, quand certains morceaux ne tombaient pas d’eux-mêmes,. Ils commencèrent à utiliser ceux-ci pour former la viande de poisson nécessaire à leur sushi. Le reste, je le connaissais : le goût devint très populaire, et fut à l’origine de leur succès.

 

Cependant, maintenant que je connaissais leur secret, ils ne pouvaient se résoudre à me laisser en vie. Je servirais de repas, petit à petit, découpe après découpe, à leur fils. A force d’éducation, ils sont parvenus à lui apprendre à ne pas se servir n’importe comment de son garde-manger, cette pièce. Après m’avoir indiqué tout ça, ils sortirent, pendant que leur fils escaladait les murs, comme s’il était un insecte rampant, se fixant au plafond, où j’aperçus comme des sortes de nombreux cocons naturels, ressemblant à des oursins, sans doute confectionnés par la créature elle-même. Après quelques jours, sans me faire remarquer, je parvins à me libérer les mains. J’ai essayé plusieurs fois de tenter de trouver un moyen de sortir, mais rien à faire. J’étais condamné à servir de repas à cette monstruosité de la nature. C’est là que j’ai eu l’idée d’écrire mon histoire, utilisant mon portable, et créant un fichier texte que j’ai envoyé sur divers sites dédiés au paranormal, espérant que quelqu’un croie mon témoignage. Ce même texte que vous lisez peut-être en ce moment, alors que je suis déjà probablement mort. Vous connaissez désormais le secret de Sushi No Sekai. Ce terrible et horrible secret. Libre à vous désormais de continuer à vous rendre dans ce restaurant et manger goulûment, lors de vos repas, la chair de ce monstre qui sert de fils aux patrons…

 

Publié par Fabs

22 mars 2022

LA PROIE DE L'OMBRE

 


 

Je n’ai pas de mots pour décrire la terreur qui m’envahit chaque heure, chaque minute, chaque seconde depuis que j’ai découvert son existence, depuis que cette partie de moi est devenue autonome, et a fait de ma vie un cauchemar. Je me terre dans ma demeure, dans une pièce vide de tous objet. J’ai même arraché le papier peint, bout après bout, enlevé les vitres et les volets de ma fenêtre, afin d’éviter que tout appendice, quel qu’il soit, lui permette de trouver un moyen d’apparaitre la nuit, par le biais d’une réflection de lumière. Dans la journée, je m’enferme dans la penderie, au milieu d’un espace vide de tout vêtements, dans le noir total, ne m’alimentant plus, me contentant d’avaler ma salive en guise d’élément liquide pour ne pas dépérir de déshydratation, restant nu, par mesure de précaution, afin de ne pas lui créer l’occasion de se former, au cas où une bribe de clarté parviendrait à s’infiltrer dans ma cachette, et me laisserait à sa merci. La nuit, dans le noir complet de mon appartement, vu qu’elle ne peut pas prendre forme, je peux parvenir à reprendre souffle, soulagé de ne plus avoir peur, ne serait-ce que pour respirer, tellement je crains que l’air sorti de ma bouche lui permette de prendre vie…

 

Cela fait 3 jours que je vis de cette manière, et j’ignore encore combien de temps je tiendrais à ce rythme. J’ai même dû barricader la porte d’entrée, pour éviter que mon propriétaire, ou la police, alerté par mon absence partout où j’avais l’habitude d’aller auparavant, ou ayant découvert mon lien avec les nombreuses morts m’entourant, n'en vienne à tenter d’ouvrir, et lui crée une opportunité qui serait fatale à ces visiteurs, ces nouvelles victimes. Mes larmes sont sèches. Je ne parviens même plus à avoir des sécrétions normales, à force d’en avoir tant versées quand tout a commencé. A force de voir ceux que j’aimais, mes amis, voire même des inconnus ayant fait l’erreur de m’approcher, ne subisse ses pulsions meurtrières, m’ayant rendu tel que je suis aujourd’hui, en proie à une terreur absolue.

 

Je ne comprends toujours pas comment elle en est venue à s’accrocher à moi, à faire partie de moi, à devenir un morceau de moi. Je me souviens juste de la première fois où j’ai ressenti une impression étrange, après cette soirée un peu arrosée, après l’accident que j’ai provoqué, à cause de l’alcool qui submergeait mon corps. Jamais je n’aurais dû prendre la route ce jour-là. J’aurais ainsi évité que ce cauchemar fasse de ma vie un enfer, et cause toutes ces morts. Ces morts horribles. Pedro, Scarlett, Tiana, Herbert… Ils ont tous été tués par ma faute. Tous morts par elle. Déchiquetés, éventrés, leurs corps réduits en lambeaux, sans que je ne puisse rien faire, sans que je puisse avoir le pouvoir de l’arrêter. Tout ça parce que j’ai eu la stupidité de prendre cette foutue voiture ce soir-là, et qu’à cause de moi, ce couple et leur bébé ont péris, peu après le choc de l’accident. J’ai tenté de les sauver, de les sortir de leur voiture qui avait pris feu, malgré les vapeurs d’alcool qui émanait de mon corps, malgré le manque de lucidité flagrante qui était en moi. J’ai toujours la vision de cet homme, affalé sur le volant, le visage en sang, sans montrer un signe de vie, les yeux fermés.

 

Je me souviens de la femme, hystérique en voyant son bébé à l’arrière brûler sous ses yeux, criant de toutes ses forces, se débattant pour tenter de décrocher sa ceinture bloquée, assistant impuissante à la lente agonie de son enfant qui se carbonisait peu à peu… Et moi, avec mon ébriété avancée, je n’arrivais même pas à ouvrir la portière. J’aurais pu briser une vitre, mais j’étais dans un tel état que je n’ai même pas pensé à ce simple geste. Au bout d’un moment, n’arrivant pas à ouvrir, je suis resté là, à demi-conscient, ne pouvant qu’observer le drame dont j’étais le responsable, voyant le feu envahir le reste de l’habitacle, jusqu’à parvenir à l’avant. J’ai vu le visage de cette femme, terrorisée, en colère, me fixant de son regard que je ne pourrais jamais oublier. Il s’est ancré dans ma mémoire. Un regard accusateur, un regard de haine. J’ai cru apercevoir cette même femme bouger ses lèvres. Ça ne semblait plus être des cris. Les vitres étant fermées, j’ignore ce qu’elle a bien pu dire à cet instant. Était-ce des insultes ? Me demandait-elle pourquoi je ne les avais pas aidés à sortir ? Ou bien était-ce… autre chose ?

 

Plus j’y pense, et surtout au vu de ce que je vis actuellement, plus je suis de plus en plus persuadé que tout est lié. L’accident, les paroles de cette femme juste avant que le feu l’embrase à son tour, elle et l’homme au volant, qui devait vraisemblablement être son mari, les morts violentes, et surtout : l’ombre… Cette ombre qui est la cause de mon tourment perpétuel, à force de voir s’accumuler les victimes autour de moi. Curieusement, quelque chose me dit que cette chose qui émane de moi quand la lumière se porte sur mon corps, cette ombre mortelle, ne peut pas s’attaquer à moi directement. Elle ne peut pas parce qu’elle nait de moi. Si elle le faisait, elle ne ferait que s’auto-détruire. Or, j’ai bien compris que son but était de me faire souffrir en me laissant assister au calvaire de mes proches, à leur mort horrible. Plus les gens me sont proches, plus j’ai l’impression que leur souffrance atteint des sommets inimaginables, dont je ne peux comprendre l’étendue exacte.  Oui, il était évident que son objectif était de me faire ressentir ce que cette femme avait subie ce soir-là, ayant vu son mari perdre la vie, n’ayant rien pu faire pour le sauver, lui et son bébé pris dans les flammes. Tout ça à cause de moi.

 

Je suis persuadé que ces paroles que je n’ai pas pu percevoir à cet instant étaient une malédiction. Ou quelque chose comme ça. Moi qui pensais que ce genre de choses ne pouvaient arriver que dans les films ou les livres, je devais me rendre à l’évidence. Cette femme devait être une sorcière, ou du moins avait des capacités à invoquer des forces que personne ne pourrait imaginer. Les paroles qu’elle avaient dites à mon encontre juste avant de périr à son tour par les flammes, devaient être une sorte d’invocation. C’est elle qui avait dû demander à cette ombre de me punir, non pas directement, mais en me faisant subir ce que j’avais provoqué. Je devais souffrir comme elle avait souffert en voyant sa famille anéantie parce que je n’avais pas eu l’intelligence de ne pas prendre le volant ce soir-là, alors que j’étais alcoolisé à outrance… Je devais souffrir en voyant ceux que j’aimais mourir devant moi, à ma place, impuissant. C’était ma punition, la vengeance d’une femme ayant tout perdu à cause de ma stupidité. Son dernier acte pour que justice soit faite.

 

Après que la voiture se soit complètement embrasée, je me suis enfui vers mon propre véhicule, qui, miraculeusement, fonctionnait encore. Tout juste avait-il de gros dégâts sur l’aile avant gauche, un phare cassé, et une partie du métal du capot retourné. Sans même m’en rendre compte, on pourrait appeler ça l’instinct du désespoir, j’ai démarré la voiture, et je suis parti à grande vitesse, observant si quelqu’un d’autre autour avait été témoin de la scène. Témoin de ma culpabilité. Mais il n’y avait personne, et j’ai foncé droit devant moi. Il faut dire que l’accident s’était déroulé en dehors de toute forme d’habitation. La soirée d’où je sortais s’était déroulé dans une boite de nuit, en périphérie, pratiquement en pleine campagne. Quand l’accident a eu lieu, j’étais à mi-chemin entre l’établissement où j’avais passé cette soirée, et mon domicile, situé à la ville proche, à environ trois ou quatre kilomètres du drame que j’avais causé. En partant, j’ai entendu une explosion. Le feu devait avoir atteint le réservoir, détruisant du coup toute preuve de ma présence, à savoir mes empreintes que la police n’aurait pas manqué de découvrir sur les poignées du véhicule accidenté. Certains diraient que c’était un coup de chance. Mais moi je ne dirais pas ça… Le lendemain, le cauchemar a commencé…

 

Une fois désaoulé, et après une nuit agitée, j’ai d’abord cru que mes yeux embrumés m’avaient fait voir un restant d’alcool, mais maintenant, je sais que c’est à ce moment précis qu’elle a commencé à se manifester. Cette ombre sortant de moi, se tenant juste dans mon dos, comme pour me défier, me montrer son existence. A ce moment, à travers la glace de la salle de bains, j’ai cru apercevoir un rictus au milieu du haut de cette silhouette de moi-même. Je me suis frotté les yeux, comme pour vérifier que je rêvais encore un peu, et puis plus rien. Je n’y ai plus pensé en sortant, persuadé que c’était mon imagination, une part de culpabilité m’ayant traversé et m’ayant fait montrer cette silhouette derrière moi vue dans la glace. Et puis, il y a eu les premiers meurtres. A ce moment, j’étais parti rendre visite à Pedro, mon ami de toujours. Celui avec qui j’avais fait les 400 coups. C’est lui qui m’avait offert son invitation pour la soirée où je me suis rendu, et qui a été la cause de mon malheur. Comme il s’était cassé le pied lors d’un entrainement à son club de foot quelques jours auparavant, pour ne pas gâcher l’invitation, il m’avait proposé d’y aller à sa place, avec promesse de lui raconter comment était l’ambiance…

 

Arrivé à son appartement, J’ai sonné à la porte, et c’est sa petite amie, Scarlett, qui m’a ouvert. Une vraie top-model de magazine cette fille. Je me posais la question comment un loser tel que Pedro avait bien pu séduire une telle beauté. Mais en même temps, j’étais heureux du bonheur qu’elle lui procurait. Il n’avait jamais eu beaucoup de chance niveau filles. Alors, quand Scarlett est arrivée dans sa vie, je l’ai vu changer du tout au tout. Lui qui avait l’habitude de se négliger constamment, était maintenant toujours tiré à 4 épingles comme on dit, ne mangeant que des trucs « équilibrés », ultra pointilleux sur l’ordre et le ménage. Un autre homme en tout point. Et même si je regrette un peu l’ancien Pedro, le nouveau est bien mieux. Scarlett, toute souriante, m’a fait installer dans le salon, sur le sofa, auprès de Pedro, ayant son pied dans le plâtre. Et puis, on a commencé à prendre un verre tous les trois, je leur racontais comment ça s’était passé, omettant, bien évidemment, l’accident qui avait suivi, et le drame que j’avais causé.

 

A un moment, Scarlett, regardant les nouvelles sur son portable, a parlé d’un flash info retraçant la découverte d’une voiture carbonisée, retrouvée sur une route de campagne, avec à son bord 3 victimes, dont un bébé de 3 mois. Scarlett semblait très choquée à cette annonce. Pedro aussi semblait triste en apprenant ce drame. Moi, je faisais semblant d’être effaré, évoquant même le fait que l’auteur de ça devrait être en prison. Le flash info indiquant que des traces d’impact avaient été trouvées sur la voiture, preuve qu’un autre véhicule était en cause. Et au moment où j’ai dit ces paroles, Scarlett, qui était en face de moi et Pedro, relevant la tête de son portable, a ouvert de grands yeux, montrant un air épouvanté. Elle s’est levée, montrant du doigt quelque chose derrière moi et Pedro, complètement terrorisée. Après, tout a été très vite…

 

J’ai tout juste pu apercevoir ce qui me semblait être une sorte d’éclair noir traverser le corps de Pedro, avant de voir une sorte de main montrant son cœur ensanglanté. Je regardais, horrifié, Pedro. Mais celui-ci avait déjà les yeux dans le vide. La vie l’avait déjà quitté. Scarlett hurlait, et en quelques secondes, la « chose » qui tenait le cœur de Pedro, l’a lâché, le laissant tomber au sol, avant de s’allonger et se dirigeait droit vers le crâne de Scarlett, perforant ce dernier de part en part, sans qu’elle ai eu le temps de réagir. 

 

Comme elle l’avait fait pour le cœur de Pedro, l’ombre avait fait sortir le cerveau de Scarlett de sa tête, laissant le visage de cette dernière inexpressif, saisi par la rapidité de l’action de cette « chose ». Du sang dégoulinait sur son corps, glissant tout du long, jusqu’à arriver à ses pieds. Puis, l’ombre laissa choir le cerveau, celui-ci s’écrasant au sol, faisant entendre un bruit flasque, comme de la gelée qu’on aurait renversée. Juste après, la forme noire se retira de la tête de Scarlett. Celle-ci, son corps n’étant plus retenu, s’affala sur la petite table vitrée où se trouvaient nos verres, la brisant en éclat dans un bruit assourdissant, projetant des dizaines de gouttes de sang sur moi, et me laissant en proie à l’incompréhension, doublée d’une panique indescriptible en voyant la silhouette se positionner devant moi. Cette fois, j’étais sûr que ce que je voyais n’était pas dû à l’alcool. La silhouette se tenait pile en face de moi, semblant me narguer, et arborant une trace blanche à la hauteur de ce qui semblait former sa tête. Une trace prenant l’air d’un sourire, avant qu’un rire caverneux se fit entendre, résonnant dans toute la pièce…

 

J’étais terrorisé par cette vision, je n’arrivais même pas à réagir, tellement j’étais sous le choc, et pire encore, c’est au même moment que je m’aperçus, en suivant la ligne du corps de la silhouette noire, que l’ombre sortait de mon propre corps…. Ce qui me terrifiait encore plus. C’était de moi que sortait cette monstruosité qui venait de tuer sans le moindre état d’âme Pedro et Scarlett… Sortant de ma torpeur, je me levais, me précipitant vers la porte, oubliant le fait que la décence aurait dû me dire d’appeler la police. Mais comment leur expliquer ce qui venait de se passer ? Aucun policier ne m’aurait cru. D’autant que je sentais encore l’alcool, n’ayant pas encore évacué toutes les vapeurs de la veille. Il était évident que je passerais forcément pour le coupable dès l’instant qu’un inspecteur aurait franchi la porte de cet appartement….

 

Alors, je sortais sans me retourner, laissant la porte grande ouverte, dévalant les escaliers comme si j’avais le diable à mes trousses. Ce qui n’était pas totalement faux, au vu de la créature. Ne réagissant pas encore au fait que l’ombre était rattaché à moi, et que donc, quel que soit l’endroit où j’irais, elle serait en moi, sortant de moi, étant comme une sorte de double. Un double meurtrier. A cet instant, je n’ai pas fait le rapport avec l’accident. 

 

Ce n’est que plus tard, au moment où je me remémore tous les faits de ces derniers jours, que j’en ai pris conscience. Mais à ce moment-là, j’étais tellement en proie au choc et à la terreur que je n’étais pas capable de réfléchir à quoi que ce soit. Je courais sans savoir où j’allais, déambulant dans les rues, entendant toujours ce rire horrible qui résonnait dans ma tête. Combien de temps ai-je couru ? je l’ignore. J’ai perdu la notion du temps dès l’instant où j’ai vu les corps de Pedro et Scarlett perdre tout souffle de vie. Ce n’est que plusieurs minutes plus tard, après avoir parcouru ce qui me semblait être la moitié de la ville, que, la fatigue aidant, je finis par m’arrêter de courir, tentant de réfléchir à ce qui venait de se passer. Et là, je la vis. Se reflétant sur le mur en face de l’endroit où je m’étais posé. Dans une petite ruelle. Elle ricanait encore. Son rire pénétrait dans ma tête comme une aiguille, provoquant une douleur atroce. Elle me fixa un long moment, puis je la vis s’affaisser, rétrécir le long du mur, avant de se refondre en moi, disparaissant totalement, et me laissant dans le désarroi le plus total…

 

A partir de là, ma vie devint un enchainement de morts. A chaque fois que je tentais d’expliquer mon histoire à des connaissances, que je voulais leur expliquer ce qui était arrivé à Pedro et Scarlett, que je parlais de l’ombre me poursuivant, ou plutôt sortant de moi, je ne trouvais qu’incompréhension et inquiétude. Comment leur en vouloir en même temps ? En face d’eux se trouvait le visage blême d’un homme qui montrait les signes évident d’une névrose. Mais j’ai eu le malheur de parler de mon calvaire à des personnes que j’aimais, et j’avais l’impression que mon ombre le sentait, sortant au moment où je m’y attendais le moins, avant de massacrer sans vergogne les gens qui m’entouraient, et me laissant à chaque fois dans l’effroi et la peur. Terrorisé par les morts se succédant. J’ignore comment j’ai fait pour ne pas attirer l’attention, et ne pas m’être fait incarcérer sur le champ par des témoins. Mais il devint vite clair que l’ombre n’était pas qu’une simple ombre émanant de mon corps.

 

Elle réfléchissait, elle pensait, elle prenait garde à ce qu’aucun témoin ne soit présent dans les parages. Et les rares fois où il y en avait un, elle le faisait passer de vie à trépas en l’espace de quelques secondes, sans aucune pitié, ne me laissant pas le temps de réagir. Je sombrais dans la folie, n’osant plus demander d’aide à quiconque, m’enfermant dans un cocon de peur, sans comprendre comment me sortir de cette situation. Dans un éclair de lucidité, je finis par comprendre que pour agir, l’ombre avait besoin d’un reflet de lumière sur des objets, des surfaces, des matières. Si je parvenais à faire en sorte qu’il n’y ait aucune de ces sources, l’ombre ne pourrait pas se former, et donc tuer. C’était la seule solution. C’est à partir de là que je me suis enfermé chez moi, barricadant tout, Enlevant tout ce que je pouvais. Mais le moindre reflet filtrant à travers les fenêtres, les miroirs, de la surface du frigo, un rai de lumière en-dessous de la porte, la lumière du micro-ondes en action, la flamme de la gazinière, presque tout était propice à faire apparaitre l’ombre, qui prenait plaisir à me tourmenter en se projetant…

 

J’ai donc vidé entièrement une pièce de tout ce qu’elle contenait, formant un espace dénué de toute source pouvant permettre à l’ombre de naitre, n’utilisant plus d’objet, de matériel ou quoi que ce soit dans la journée. J’en vint au moment que je vous ai décrit au début de ce récit. Je sais que la folie a déjà pris possession de moi. J’ai même pensé à mettre fin à mes jours, mais à chaque fois, par le simple fait d’utiliser un objet créant un reflet, l’ombre m’en a empêché, projetant le semblant d’arme qui aurait pu enfin me libérer contre un mur, ou dans une autre pièce. Finalement, j’ai vidé la penderie, et m’y suis cloitré, dédaignant toute forme de nourriture en journée, pour ne pas prendre le risque de créer l’occasion à l’ombre de se former et continuer à se rire de moi, à me narguer. Ne sortant que la nuit, me reléguant dans cette pièce dénuée de toute possibilité à l’ombre de se former. A force de ce traitement, j’en viendrais à succomber, je le sais. J’ai décidé ce matin de ne plus m’alimenter du tout, de ne plus boire, et de rester enfermé dans ma penderie, attendant la délivrance de la mort, afin de ne plus subir la vengeance de cette femme par l’intermédiaire de cette ombre. Mon ombre. Ma malédiction.

 

On dit que le corps humain ne peut survivre à plus de 3 jours sans être hydraté ni avoir d’apport de nourriture. Donc, en faisant ainsi, je devrais mourir dans 3 jours. Dans 3 jours, je pourrais expier ma faute de manière définitive, et je serais libéré de cette ombre maléfique. Cette ombre maudite qui m’a fait devenir un meurtrier indirect, tuant ceux que j’aimais. Après tout, c’est mieux ainsi. De cette manière, je ne tuerais plus personne, et je ne souffrirais plus. Et les âmes de cette famille que j’ai détruite pourront elles aussi aller en paix, puisque leurs morts auront été vengées…

 

Publié par Fabs

12 mars 2022

LE JEU DU LAPIN DE PÂQUES

 

 

Killy… Killy… Tu es toujours là ? Tu n’es pas parti ? J’ai tant besoin de toi… Ils ne peuvent pas comprendre… Tous ces gens qui sont autour de moi, comme si j’étais fou… Je ne suis pas fou… Je sais que tu existes… Je sais que tu es mon ami… Je leur ai dit pourtant que ce n’était pas ma faute… Tout ça, c’était un jeu… Juste un jeu…Mais ils ne me comprennent pas…Ils ne me croient pas… Ils croient que tu as été créé par mon imagination… Mais moi, je sais bien qu’on a fait tout ça ensemble, pas vrai Killy ? Pourquoi tu me réponds pas ? Tu es fâché parce que j’ai parlé de toi, c’est ça ? Je voulais pas le faire, mais ils m’ont obligé… Ils m’ont dit que si je parlais pas de toi, ils m’enfermeraient loin de toi, dans un endroit où je serais tout seul… Loin de maman… Loin de Chloé… Loin de toi… Comme ici, mais en pire… Dans un endroit où même toi, tu n’arriverais pas à me consoler quand ça va pas… J’ai peur, Killy… Réponds- moi !!

 

« Du calme, je suis là. N’aies pas peur, Matt. Tu sais que jamais je ne te laisserais… Tu es mon ami, tu le sais… Ton ami pour la vie… »

 

Bien sûr que je le sais, mais tous ces gens qui m’interrogent sur toi, ça me fait tellement peur. Je comprends pas pourquoi lls font ça… On a fait que jouer, pourtant… Juste jouer… Tu sais, Killy, je me souviens la première fois que tu es apparu auprès de moi… Ce jour-là aussi, j’étais triste…On venait d’emmener mon papa que j’aimais tant. Les journaux ont dit des choses horribles sur lui. Ils ont dit qu’il était méchant. Qu’il avait fait du mal à d’autres gens. Je sais bien que c’était pas vrai. Je l’ai dit aux policiers qui sont venus à la maison. Maman, elle pleurait aussi quand on lui a dit ce qui était arrivé aux voisins… Ainsi qu’à leur petite fille… Samantha… Elle, je l’aimais pas… Elle était méchante avec moi… Je l’avais dit à Papa…

 

« Oui, je me souviens de ça aussi. Il n’y avait pas que Samantha qui avait été méchante avec toi… Ses parents aussi, parce qu’ils n’ont rien fait quand ils ont appris que leur fille se moquait de toi en classe… La maitresse non plus ne t’as pas crue… »

 

Oui, elle non plus… Tout ça parce que j’avais demandé si le lapin de Pâques existait, et comment on faisait pour le rencontrer… Toute la classe a ri, je sais pas pourquoi… Et puis la maitresse a dit que le lapin de Pâques n’existait pas. Que c’était une invention, une histoire pour les petits garçons. Mais que moi, j’étais grand, et que je ne devais plus croire à ces fables. C’est là que Samantha a commencé à se moquer de moi… Pendant plusieurs jours… Me traitant de bébé… Et la maitresse riait aussi quand elle disait ça… Quand je l’ai dit à papa, il était en colère. Il m’a dit qu’il allait leur parler, et qu’il leur demanderait de me faire des excuses. Et le lendemain, la maitresse est pas venue à l’école. C’est une autre maitresse qui l’a remplacé. Elle était gentille elle. Elle me disait qu’elle savait que le lapin de Pâques existait. Et quand Samantha a essayé de dire que c’était pas vrai, la maitresse l’a grondée.

 

« Oui, et Samantha l’a dit à ses parents, qui en ont parlé au directeur, c’est bien ça ? »

 

Oui. Et la maitresse elle a plus parlé du lapin de Pâques après ça. Elle évitait de répondre à mes questions. Je sentais bien qu’elle osait pas. Et Samantha ricanait en voyant ça. Ça aussi, j’en ai parlé à papa. Et le lendemain, Samantha est pas venu à l’école. Le directeur a essayé d’appeler ses parents, mais personne a répondu au téléphone. Alors il a appelé la police. C’est plus tard que les policiers sont venus à la maison et ont mis des menottes à papa. J’ai pleuré tellement fort. Je voulais pas qu’il soit emmené. Maman  m’a alors emmené dans ma chambre. Elle m’a dit que papa viendrait plus à la maison pour un très long moment. Parce qu’il avait fait quelque chose de très mal. Que c’était à cause de lui si la première maitresse, ainsi que Samantha et ses parents avaient disparus. Qu’il leur avait fait de vilaines choses. Mais elle a jamais voulu m’expliquer ce que c’était…

 

« Et c’est là que je suis venu. Pour te consoler. Pour devenir ton ami. »

 

Oui. Après ça, j’étais plus triste. Chaque fois que j’allais pas bien, tu étais là pour enlever mes larmes sur mon visage. On jouait à plein de jeux. J’ai voulu parler de toi à Chloé. Je l’ai fait venir dans ma chambre pour qu’elle puisse te voir. Elle avait l’air si contente quand je lui ai dit que le vrai lapin de Pâques était devenu mon ami, et qu’il était dans ma chambre. Mais quand elle est venue, elle ne t’a pas vu. Elle a cru que j’étais un menteur. Et pourtant, tu étais là, juste devant elle.

 

« C’est parce qu’elle ne croyait pas assez en moi à ce moment. Pas autant que toi. »

 

Oui, ça doit être ça. Après, elle voulait plus croire ce que je lui disais. Elle m’a dit qu’elle m’avait observé en secret dans ma chambre pour voir si tu étais là. Mais elle ne voyait que moi, parlant dans le vide, comme si quelqu’un était en face de moi. Mais elle ne voyait personne d’autre que moi. Elle a dit que j’étais pas bien dans ma tête. Elle l’a même dit à Maman. Du coup, maman a voulu, elle aussi, me persuader que tu n’existais pas. Elle aussi elle a dit que le lapin de Pâques n’était qu’une histoire pour les petits garçons et les petites filles. Elle aussi, elle te voyait pas. Mais je leur en voulais pas. C’était pas très grave. Je me disais qu’un jour, elles finiraient par te voir. Et là, elles verraient bien que j’avais raison. Mais d’autres étaient plus méchants. Comme Samantha. Ils me disaient que j’étais un idiot pour croire à des histoires pour bébé. J’étais en colère contre eux.

 

« C’est à ce moment-là que je t’ai appris d’autres jeux. Pour les punir. Pour leur montrer qu’ils n’avaient pas le droit de se moquer de toi. »

 

Oui. Au début, j’avais peur de pas arriver à faire comme tu me disais. Je savais pas comment bien tenir le couteau, le faire bouger, viser… J’ai du beaucoup m’entrainer. Sur les peluches, les murs, ou à l’intérieur du placard. Dans des endroits qui pourraient pas être vus par maman. Et les peluches, je leur mettais des sparadraps, en disant à maman que je jouais au docteur avec toi, pour pas l’inquiéter, et qu’elle sache pas que je m’entrainais à des jeux qu’elle pourrait pas comprendre. Pourquoi tu voulais pas qu’elle le sache ? Après tout, c’était pas méchant : peut-être qu’elle aurait aimé jouer elle aussi. Et peut-être qu’elle t’aurait vu comme ça. Qu’elle aurait compris que tu étais bien réel…

 

« Non, tous les adultes ne comprennent pas forcément ce genre de jeux. Ils croient que c’est dangereux. Alors que ce ne sont que des jeux d’enfant. De simples jeux d’enfant. »

 

C’est bizarre qu’ils peuvent pas te voir quand même. Même Chris il te voyait pas, quand je lui ai mis le couteau dans le ventre, à la sortie de l’école, dans cette petite rue.

 

« C’était drôle pas vrai, ce jour-là ? Ta première fois. Tu as parfaitement compris comment faire. »

 

J’étais tellement fier. C’était drôlement bien comme jeu. La couleur rouge, on aurait dit la même que dans les films que maman regarde parfois à la télévision. Les films d’horreur. Mais pourquoi je devais me nettoyer le visage à la rivière après ? Et laver mes vêtements aussi, après avoir mis ceux de rechange dans mon sac ?

 

« Parce que ça faisait partie du jeu. C’est un jeu très spécial. Comme dans les films que regarde ta maman. Il ne fallait pas que les autres devinent trop vite que c’est toi qui avais puni tes camarades. Sinon, ça aurait été moins amusant »

 

Je comprends. C’était pareil pour les autres aussi, mais avec d’autres méthodes. D’autres « outils », c’est comme ça qu’on dit ?

 

« C’est tout à fait ça. Différents outils pour différentes punitions. Pour éviter qu’on devine qui est le coupable. Comme dans les films. Pour brouiller les pistes et éviter que le jeu se termine trop vite… »

 

Oui, c’est logique. Mais pourquoi c’était toujours pendant la période de la semaine de Pâques qu’on jouait à ce jeu ? On aurait pu y jouer les autres jours de l’année ?

 

« Non. Si on joue trop souvent à ce jeu, il se termine trop vite. Et c’est important que ça dure longtemps, n’est-ce pas ? Les autres jours de l’année servaient à te perfectionner, apprendre plein d’autres méthodes pour le jeu. En plus d’autres jeux plus classiques, pour occuper tes journées.»

 

Ah, d’accord. Mais pourquoi on montrait les visages de ceux avec qui j’avais joué à la télévision ? En plus, c’était que des photos où ils fermaient les yeux, et y’avait des images de policiers et les lumières de voiture de police aussi…

 

« Ça, c’était parce qu’ils étaient de mauvais joueurs. Ils trichaient pour qu’on leur donne des indices pour te trouver, et finir le jeu plus vite »

 

C’était pas très gentil de faire comme ça. J’aime pas les tricheurs. Maman m’a dit que ceux qui trichaient ils allaient pas au paradis. Ils allaient en enfer. Moi, je veux pas aller en enfer. J’ai vu des images dans des livres. Ça fait peur.

 

« Il ne faut pas avoir peur de cet endroit. Ni croire ceux qui en parlent en mal. Crois-moi, je connais bien cet endroit. Je suis sûr que tu aimerais beaucoup y aller. C’est très amusant là-bas. »

 

Tu en parles comme si tu y allais souvent… Maintenant que tu m’as dit ça, ça me donne envie de le voir de près l’enfer. Si tu dis que c’est un bel endroit, alors je sais que c’est vrai. Parce que toi, je te fais confiance. Je sais que t’es pas un méchant, et que tu mens pas. Tu as toujours été gentil avec moi. Tu m’as appris ce jeu très drôle. Je me demande si papa ira un jour ?

 

« Ton papa ira certainement, tu peux en être certain. Et toi aussi, je suis persuadé que tu pourras voir toutes les merveilleuses choses qu’il y a là-bas. Ça ne devrait plus tarder d’ailleurs. Le jeu est presque terminé à présent. »

 

Oui, mais c’est parce que j’ai fait des erreurs ou que les policiers ont triché, pas vrai ? Sinon, le jeu aurait pu durer plus longtemps. Ils m’ont montré toutes les photos des méchants qui ont servi au jeu. Ils m’ont demandé si c’était papa qui m’avait montré comment faire. C’est là que j’ai été obligé de dire que c’était toi qui m’avais appris le jeu. Ils ont fait une drôle de tête quand j’ai dit ça. On aurait dit qu’ils savaient pas que c’était un jeu. Même maman. Elle pleurait d’ailleurs. Ça m’a fait de la peine. Tu crois qu’elle était triste parce que j’ai perdu le jeu ?

 

« Tu n’as pas encore totalement perdu le jeu. Tu as toujours le petit canif que je t’ai demandé de garder dans le revers de ta manche ? »

 

Oui, je l’ai placé bien comme tu m’as dit, pour pas qu’on le trouve. Et j’ai bien limé la lame, pour qu’elle soit plus tranchante. Alors, c’est vrai ? Le jeu n’est pas terminé ? J’ai pas encore perdu ? Comment je dois faire alors ?

 

« Ne t’inquiète pas, tu vas vite comprendre. Tu es très doué à ce jeu. Exactement comme l’étais ton père. Avant toi, c’est à lui que j’ai appris ce jeu, quand il avait ton âge. Dommage qu’il ne m’ait pas écouté quand il a pris la décision de te venger de ceux qui t’avaient fait du mal, sans prendre toutes les précautions requises. Pourtant, il avait toujours suivi ce que je lui disais avant, et il ne s’était jamais fait prendre. Mais il a manqué de prudence en apprenant qu’on s’était moqué de toi. Tu étais sa faiblesse. »

 

Papa aussi a joué à ce jeu ? Mais alors, c’est parce que papa ne pouvait plus jouer que tu es venu vers moi, et que tu me l’as appris à mon tour ? Pour que je continue ce qu’il n’avait pas pu continuer ? 

 

« C’est tout à fait ça. Je suis apparu à ton père, il y a bien longtemps, quand il avait à peu près ton âge. Toute sa vie, il a joué à ce jeu avec moi. C’est grâce à moi qu’il est devenu le tueur de Pâques. Grâce à moi que tu as pris la relève brillamment toutes ces années. Ton papa était un peu plus doué que toi : il a fallu longtemps avant qu’il perde le jeu. Mais si tu fais bien ce que je te dis, tu peux encore faire mieux que son score de 34 points. En seulement 7 ans de jeu, tu as déjà à ton actif 17 points. C’est très bien. Attends le bon moment, quand un policier t’emmènera vers le camion dehors, pour aller dans l’endroit où tu ne veux pas aller, et là, en utilisant ton canif, tu pourras continuer le jeu »

 

Super ! J’ai hâte de continuer. Mais dis-moi, je peux te demander quelque chose ? J’ai remarqué un truc depuis tout à l’heure. Chloé. Elle a l’air de te voir à travers la vitre. Depuis un moment, elle fixe pile où tu te trouves. Tu penses qu’elle croit en toi maintenant ?

 

« Oui, je pense que très bientôt, elle aussi, elle pourra jouer à son tour… »

 

Publié par Fabs