27 mars 2022

SUSHI NIGHTMARE

 


 

J’écris ces mots en espérant que quelqu’un les lira, même si je n’ai pas trop d’illusion que mon histoire soit crue, en dehors de ces murs, là où ma vie va s’arrêter d’ici quelque temps, une fois que toutes les parties de mon corps auront servies à nourrir cette abomination que ma curiosité aura eu le malheur de me faire découvrir. Pourquoi ai-je voulu savoir ce qui se cachait dans cette pièce où aucun employé n’avait le droit de se rendre ? D’autant que le restaurant Sushi No Sekai, dans le quartier de Shibuya, a acquis depuis quelque mois une réputation peu flatteuse, voire même inquiétante, du fait de plusieurs employés, de clients ou d’inspecteurs du Bureau de l’Hygiène japonaise, chargés d’enquêter sur des rumeurs d’implantation d’additifs de nature chimique non-contrôlés au sein des plats proposés par le restaurant. Le fait est que, depuis quelques années, le restaurant est soudainement passé du statut de petit commerce à celui de quasi-institution du quartier de Shibuya, l’arrondissement de Tokyo où les shibuyettes, le nom donné aux femmes fréquentant assidument les magasins de cet endroit très prisé de la ville, constitue près de 80 % de ses revenus.

 

Pour revenir aux rumeurs concernant le Sushi No Sekai, et son incroyable progression commerciale, cela vient du fait du goût incroyable des nigiri, temaki, chirashi, maki, temari : toutes ces variantes des sushis proposés par l’établissement. Le bouche à oreille favorable s’est transformé en véritable raz-de-marée populaire, suscitant la jalousie des autres commerces, y compris ceux situés dans les étages du célèbre centre commercial Seibu, dont le ténor des lieux : le Katsumidori, qui partage avec le Sushi No Sekai la même spécialité. A savoir qu’il s’agit d’un Kaiten Sushi. Un restaurant où les sushis sont placés sur de petites assiettes, défilant sur un tapis roulant, les couleurs des assiettes déterminant le prix à payer pour les clients. Une jalousie qui a mené à plusieurs tentatives de nuire à ce concurrent dont la rentabilité soudaine autant qu’incompréhensible, par le biais de plaintes et dénonciations, indiquant aux inspecteurs chargés d’enquêter que les aliments devaient avoir une sorte de produit dans leur constitution, donnant ce goût tant apprécié. 

 

Nombre de commerces identiques, et auparavant ayant une forme de monopole du marché de Shibuya, pensant que cet additif pourrait être d’ordre stupéfiante, expliquant la dépendance des habitués du Sushi No Sekai. Les remplacements fréquents de cuisiniers, serveuses ou autres employés, ainsi que de clients, ont alimenté encore plus ces suspicions à l’égard du restaurant. Néanmoins, beaucoup ne tenait pas compte de cette jalousie de la part d’entreprises n’acceptant pas qu’un petit restaurant sorti de nulle part leur ai volé une grande partie de leur clientèle habituelle. Et malgré les disparitions, les remplacements réguliers, beaucoup de jeunes gens dans le besoin venaient postuler pour pallier le manque de personnel récurent, que ce soit pour des extras afin de payer leur chambre d’étudiants, ou pour financer l’achat d’un véhicule entre autres. Je faisais partie de ces jeunes, mais pour une raison tout autre. Mes parents venaient de me jeter à la rue, faisant suite à de multiples actes de violence de ma part auprès de camarades de lycée, leur ayant valu bien des ennuis avec la police et les parents des victimes de mes coups.

 

Je dois dire que j’ai un esprit bagarreur depuis bien longtemps, et je n’acceptais pas qu’on me contredise sur pas mal de choses. De nature curieuse, comme je vous l’ai indiqué précédemment, j’avais l’habitude de m’intéresser à tout, et à force de lire un peu tout et n’importe quoi, j’avais souvent tendance à mélanger les choses, et quand j’exposais mes connaissances, et que j’en parlais à mes camarades de classe, afin d’obtenir une notoriété qui me faisait défaut, je devais faire face à des moqueries sur ma naïveté, voire ma stupidité, telle qu’il me l’était indiqué. N’acceptant pas ces insultes, mes poings réagissaient régulièrement avant même que mon cerveau réfléchisse à mes actes. C’est ainsi que je suis devenu un paria pour beaucoup. J’ai fini par être renvoyé de mon lycée, et ce fut la goutte d’eau de trop pour mes parents, surtout mon père, qui n’acceptait pas un tel comportement de ma part, après tous les sacrifices qu’il avait fait, financièrement parlant, pour que je puisse suivre une éducation à son image. Voulant que je suive la voie qu’il avait choisi pour moi, à savoir une carrière de médecin comme lui. Ce qui ne m’intéressait pas vraiment, et a souvent été l’objet de disputes entre lui et moi.

 

Cette plainte de plus à mon encontre après une nouvelle rixe au lycée, avec pour conséquence mon renvoi définitif, l’a fait exploser, et malgré les suppliques de ma mère, il m’a mis dehors le jour même. Depuis, il me fallait trouver un travail si je voulais avoir les ressources nécessaires pour payer le loyer d’un appartement ou d’une chambre d’hôtes, dans le pire des cas. En entendant parler d’un recrutement au sein du Sushi No Sekai, j’y ai vu l’opportunité de parvenir à mon objectif. Bien que n’ayant aucune expérience dans le domaine culinaire, étonnamment, le patron du restaurant accepta tout de suite ma demande d’embauche. Il avait besoin de quelqu’un pour nettoyer les lieux, entre chaque service, et mon inexpérience dans le domaine du culinaire, dans ce cas précis, ne posait pas de problème, vu que je n’aurais pas à être en cuisine.

 

 Ainsi, je commençais mon travail dans l’établissement controversé, et très vite je me familiarisais avec le personnel. Mon côté travailleur plut très vite au patron et son épouse, et sachant que j’avais besoin de ressources importantes pour payer le loyer de l’appartement que j’avais pu dégotter dans le même temps, il m’offrait souvent des petites tâches supplémentaires, pour gonfler un peu ma paie. Ce que, bien évidemment, j’acceptais sans broncher, trop heureux d’avoir plus de yen à rajouter sur mon compte en banque, guère florissant. N’étant plus alimenté par mes parents, suite aux évènements que je vous ai décrits. C’est à partir de là que ma foutue curiosité allait finir par causer ma perte. Dans tous les sens du terme. Et j’étais loin d’imaginer que les rumeurs concernant l’ingrédient secret de la cuisine du restaurant, me ferait plonger dans l’horreur la plus totale. Un secret qui allait me montrer que les pires monstruosités ne sont pas dans les films de la Toho, ou dans les Category III, mais dans une réalité allant au-delà de tout ce qui pourrait être concevable.

 

Comme je vous l’ai dit plus tôt, grâce à la générosité et la compréhension du patron du restaurant et son épouse, je faisais souvent des heures supplémentaires, parfois même après la fermeture de l’établissement. Le patron me faisant suffisamment confiance pour me confier la clé du restaurant pour fermer après mon départ. Avec promesse d’être présent le lendemain à l’aube pour ouvrir, et commencer mes tâches avant l’arrivée du personnel. Et surtout une consigne qui, à ses yeux, était le plus important. Ne pas tenter de savoir ce qu’il y avait dans la pièce tout au fond du couloir, derrière la cuisine. 

 

C’était très important. Le patron me faisait à chaque fois cette recommandation quand il me laissait seul tard le soir dans le restaurant, sans surveillance. En présence du personnel, la porte de la pièce était même parfois agrémentée d’un panneau dissuasif pour les contrevenants trop curieux, indiquant que ceux tentant d’y pénétrer, malgré le cadenas ornant la porte, s’exposait à un renvoi immédiat, et les conséquences pour cet acte se verrait même sanctionné d’une punition très lourde, en plus du renvoi. De ce fait, personne ne s’approchait de cette porte, à juste titre. La paie était plus que conséquente, et aucun employé n’aurait eu la stupidité de risquer de perdre un emploi aussi rémunérateur. Sauf que moi, ma curiosité était telle que je m’interrogeais à chaque fois que je passais devant cette porte, en faisant le ménage. Je me posais surtout la question : pourquoi un cadenas ? En plus de ça, la taille de celui-ci était énorme. J’ignorais même qu’il existait des cadenas de cette taille. C’était très intriguant. Pourquoi tant de précautions pour fermer une porte, alors que la fermer à clé serait bien suffisant. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir dans cette pièce justifiant autant de précautions ? Etait-ce à l’origine du secret du goût des sushis tellement prisé par les habitués du quartier de Shibuya ? Ou bien était-ce autre chose ?

 

Pendant de nombreuses semaines, je résistais à la tentation, me disant que ce n’était pas très important, et que mon emploi l’était bien plus. Mais ma curiosité maladive finit par prendre le dessus, et une nuit, muni d’un nécessaire pour crocheter la serrure du cadenas, commandé sur un site internet, je m’affairais à ouvrir la fameuse porte protégeant ce secret que personne ne devait connaitre… Une fois à l’intérieur, je fus tout de suite saisi par l’odeur. Une odeur pestilentielle, qui faillit me faire vomir, tellement elle me montait au cœur. Une odeur de pourriture, comme si un cadavre en décomposition se trouvait dans la pièce. Je fermais la porte derrière moi, et cherchait l’interrupteur sur le mur, afin d’éclairer les lieux. Je finis par le trouver, et la pénombre fit place à une clarté aveuglante, venant d’un néon au plafond, dont la luminosité très forte me faisait mal aux yeux, et m’empêchait de voir ce qu’il y avait en haut…

 

Après quelques pas, j’entendis comme des marmonnements, venant d’une autre pièce, adjacente à celle où je me trouvais. De plus en plus intrigué, je me rendais donc vers celle-ci, et allumais la lumière également. Et là, je crus défaillir, tellement le spectacle qui se trouvait devant moi était monstrueux. Deux jeunes hommes étaient attachés, la bouche fermée par un scotch tel qu’on en utilise pour des travaux d’étanchéité des toits. Ils étaient parsemés de blessures sur tout leur corps. L’un d’entre eux n’avait plus de bras. Pas qu’il était né de cette manière, mais bien parce qu’on lui avait arrachés. L’autre, il lui manquait une jambe, et la main droite. Et les deux avaient leurs vêtements déchirés, en lambeaux, comme griffés par un animal, mettant leur chair à vif en dessous. Mais ce n’était pas le pire. Un peu plus loin, l’horreur atteint son comble. Un charnier de plusieurs morceaux de corps s’entassait, des têtes décharnées, des os de fémur, de tibia, certains montrant des traces de brisures, comme si une force monstrueuse les avaient brisés, et surtout des centaines de mouches virevoltaient au-dessus, livrant un ballet macabre. L’odeur qui se dégageait de cet endroit était à la limite du supportable. C’était cela que j’avais senti en entrant.

 

Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Horrifié par cette vision, et comprenant ce qu’il était advenu des « disparus », ayant reconnu les restes d’un uniforme d’un inspecteur du Bureau d’Hygiène dans le charnier, ainsi que la tenue donnée aux employés du restaurant sur les deux jeunes attachées et mutilés, je sortais. Revenu dans l’autre pièce, je ne pouvais plus me retenir, et vomissais sur le sol carrelé. Je restais quelques secondes ainsi, pétrifié par ce que je venais de voir, et puis je m’aperçus d’un détail. Une table figurait contre un mur de la pièce. Une table comportant tout un nécessaire de découpage, tel que les cuisiniers utilisaient, avec un petit frigo à côté. La décence, surtout au vu de ce que j’avais observé de l’autre côté, aurait dû me dire de fuir l’endroit au plus vite, et de ne pas m’occuper du reste. Mais c’était plus fort que moi, et je m’approchais de la table, reconnaissant les petites boites hermétiques alimentaires qui servaient de base pour les variétés de sushis en cuisine, tel que je l’avais vu, lors d’une de mes pauses, invité à voir les lieux par l’un des employés.

 

Bien que mon cœur se nouait de plus en plus, je mis ma main sur la porte du frigo, prenant une grande inspiration, avant d’ouvrir. A l’intérieur, je reconnus les morceaux de poisson utilisés en cuisine, se trouvant dans les boites alimentaires, préparés avec soin, découpés à la perfection, et étalés sur les différents étages du frigo. A un moment, je m’attendais presque à voir des morceaux de chair humaine, au vu de ce qu’il y avait dans l’autre pièce. Mais non. Je pris le risque de sentir l’un des morceaux dans le frigo. J’en goûtais un, juste pour être sûr. Mais c’était bien du poisson. Avec ce goût qui faisait la popularité du restaurant. Mais alors, les personnes, le charnier de l’autre côté, c’était juste parce qu’ils avaient été trop curieux eux aussi ? Je découvris bientôt l’horrible vérité, qui était bien pire que je pensais. Les marmonnements que j’avais entendu précédemment s’intensifièrent, et j’entendis un grand bruit derrière moi. Comme si quelque chose venait de tomber soudainement du plafond, et s’abattant lourdement sur le sol. Je refermais le frigo, et me retournais, et je vis une créature monstrueuse me faire face…

 

D’un point de vue général, on aurait dit un jeune garçon, d’à peine une dizaine d’années. Peut-être 12 ou 13 ans au maximum, mais ses traits étaient difformes. Son visage voyait ses yeux décalés l’un de l’autre, la couleur de sa peau était d’un gris clair, tout comme le reste de sa peau. Et c’est là que je compris l’origine de la viande de poisson. Partout sur le corps, il y avait des textures identiques à ce qu’il y avait dans le frigo. Différentes formes ressemblant à du saumon, des algues, des corps de crevettes frétillantes, comme poussant dans la chair. D’autres parties donnait l’impression de petits crabes, dépourvues de pinces, et de toute forme de carapace, montrant leur chair blanche. Il y avait aussi ce qui ressemblait à des œufs de poisson, et d’autre étant des copies miniatures de morues, de thon et d’autres variétés. Cet être, cette chose, était un amalgame de produits de la mer à elle toute seule, constituant cet ingrédient spécial qui intriguait tant les restaurants concurrents. Je n’eus pas le loisir d’en voir plus. La créature m’assomma d’un simple coup de poing, et je me retrouvais au sol.

 

Quand je me réveillais, j’étais attaché dans l’autre pièce, un morceau de scotch sur la bouche, auprès des deux autres jeunes. Le patron et son épouse étaient devant moi, l’air à la fois mécontent et désolé. Ils m’expliquèrent que cette créature que j’avais vu était leur fils. Sa femme avait été irradiée lors de l’incident de la centrale nucléaire de Fukushima, alors qu’elle était enceinte. Elle parvint à survivre, mais à la naissance, ils eurent la surprise de découvrir la nature de leur fils. En grandissant, ils s’aperçurent également de ce qui composait son corps, tel que je l’avais vu, et aussi son mode alimentaire. A savoir de la chair humaine. Pour éviter qu’il ne sorte et chasse plus qu’il ne le devait, ayant tendance à manger toujours plus, ils ont dû l’enfermer dans cette pièce, utilisant le corps des trop curieux, tel que moi, comme base alimentaire pour le nourrir. Puis, voulant utiliser les particularités du corps de leur fils, s’étant aperçu que ce qui le constituait et poussait de manière régulière, était parfaitement comestible, après extraction, quand certains morceaux ne tombaient pas d’eux-mêmes,. Ils commencèrent à utiliser ceux-ci pour former la viande de poisson nécessaire à leur sushi. Le reste, je le connaissais : le goût devint très populaire, et fut à l’origine de leur succès.

 

Cependant, maintenant que je connaissais leur secret, ils ne pouvaient se résoudre à me laisser en vie. Je servirais de repas, petit à petit, découpe après découpe, à leur fils. A force d’éducation, ils sont parvenus à lui apprendre à ne pas se servir n’importe comment de son garde-manger, cette pièce. Après m’avoir indiqué tout ça, ils sortirent, pendant que leur fils escaladait les murs, comme s’il était un insecte rampant, se fixant au plafond, où j’aperçus comme des sortes de nombreux cocons naturels, ressemblant à des oursins, sans doute confectionnés par la créature elle-même. Après quelques jours, sans me faire remarquer, je parvins à me libérer les mains. J’ai essayé plusieurs fois de tenter de trouver un moyen de sortir, mais rien à faire. J’étais condamné à servir de repas à cette monstruosité de la nature. C’est là que j’ai eu l’idée d’écrire mon histoire, utilisant mon portable, et créant un fichier texte que j’ai envoyé sur divers sites dédiés au paranormal, espérant que quelqu’un croie mon témoignage. Ce même texte que vous lisez peut-être en ce moment, alors que je suis déjà probablement mort. Vous connaissez désormais le secret de Sushi No Sekai. Ce terrible et horrible secret. Libre à vous désormais de continuer à vous rendre dans ce restaurant et manger goulûment, lors de vos repas, la chair de ce monstre qui sert de fils aux patrons…

 

Publié par Fabs

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